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Gestion de l’actif commun sous le régime légal: les actes nécessaires à l’exercice d’une profession séparée

Le XXe siècle est la période de l’Histoire au cours de laquelle on a progressivement vu s’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux et plus précisément à une émancipation de la femme mariée de la tutelle de son mari.

Cette émancipation est intervenue dans tous les aspects de la vie du couple. Parmi ces aspects, l’autonomie professionnelle de la femme mariée qui a conquis :

L’autonomie dont jouit désormais la femme mariée en matière professionnelle est le produit d’une lente évolution qui, schématiquement, se décompose en plusieurs étapes :

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à octroyer à la femme mariée une sphère d’autonomie, non seulement s’agissant du choix de sa profession, mais encore pour ce qui concerne la perception et la disposition de ses gains et salaires, ainsi que pour l’accomplissement des actes nécessaires à l’exercice de sa profession.

Cette indépendance professionnelle dont jouissent les époux désormais les époux se traduit, sur le plan de la gestion de l’actif, par l’octroi d’un pouvoir exclusif sur :

Nous nous focaliserons ici sur la première catégorie d’actes.

L’article 1421, al. 2e du Code civil prévoit que « l’époux qui exerce une profession séparée a seul le pouvoir d’accomplir les actes d’administration et de disposition nécessaires à celle-ci. »

La règle énoncée ici instaure donc un principe de gestion exclusive pour les actes nécessaires à l’activité professionnelle des époux.

À l’analyse, cette règle peut être envisagée sous deux aspects :

Parce que les actes accomplis par un époux dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle sont susceptibles de porter sur des biens communs, la modalité de gestion instituée par l’article 1421, al. 2e du Code civil déroge à la règle.

En effet, les actes qui portent sur des éléments de l’actif commun relèvent, en principe, du domaine de la gestion concurrence.

Les époux devraient, dans ces conditions, être investis de pouvoirs égaux et concurrents sur les biens communs affectés à l’exercice d’une activité professionnelle.

L’application du principe de gestion concurrente conduirait toutefois à admettre qu’un époux puise s’ingérer dans les affaires de son conjoint, ingérence qui serait de nature à porter atteinte à l’indépendance professionnelle des époux.

Pour cette raison, le législateur a conféré aux époux un pouvoir de gestion exclusif pour les actes nécessaires à l’exercice de leur activité professionnelle.

Dans la mesure où il s’agit d’une dérogation portée au principe de gestion concurrence, le domaine de la règle a néanmoins été strictement circonscrit.

Quant à sa sanction, elle est assurée par l’article 1427 du Code civil qui prévoit la nullité des actes accomplis en dépassement des pouvoirs d’un époux.

I) Le domaine de la gestion exclusive

Le pouvoir exclusif dont sont investis les époux au titre de l’article 1421, al. 2e du Code civil tient :

A) L’exercice d’une profession séparée

Pour qu’un époux soit investi du pouvoir exclusif prévu par l’article 1421, al. 1er du Code civil, il doit exercer une profession séparée de son conjoint.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par « profession séparée ».

Cette notion n’est définie par aucun texte, ni par aucune décision jurisprudentielle. C’est donc vers la doctrine qu’il y a lieu de se tourner.

À cet égard, les auteurs observent que l’identification de l’exercice d’une profession séparée ne soulèvera pas de difficulté lorsque :

À la vérité, la détermination de l’existence d’une séparation des activités professionnelles soulèvera une difficulté lorsque l’un des époux collabore à l’activité professionnelle de son conjoint.

Une assistance ponctuelle et temporaire à l’activité du conjoint suffit-elle à priver l’époux qui collabore du pouvoir de gestion exclusif prévu par l’article 1421, al .2e du Code civil, ou faut-il une collaboration régulière et permanente ?

À partir de quelle intensité dans la collaboration doit-on considérer que les époux n’exercent pas des professions séparées. ?

Pour les auteurs il y a lieu de distinguer selon la nature de la collaboration dont il est question.

Si l’on se réfère à l’article L. 121-4 du Code de commerce, cette disposition prévoit que le conjoint du chef d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale qui y exerce de manière régulière une activité professionnelle opte pour l’un des statuts prévus par la loi que sont :

L’article 321-5, al. 7e du Code rural énonce sensiblement la même règle pour le conjoint de l’exploitant agricole.

Le premier enseignement qui peut être retiré de ces dispositions, c’est que le choix de l’un de ces trois statuts n’est obligatoire que si la collaboration du conjoint est régulière.

On peut en déduire que lorsque la collaboration est seulement ponctuelle, le conjoint du chef d’entreprise pourra n’endosser aucun statut.

Dans cette hypothèse, il ne sera donc pas privé de la faculté de prouver qu’il exerce une profession séparée au sens de l’article 1421, al. 2e du Code civil.

Au vrai, l’établissement de cette preuve ne soulèvera des difficultés que lorsque le conjoint du chef d’entreprise collabore régulièrement à son activité.

Le second enseignement qui peut être retiré de l’article L. 121-4 du Code de commerce, c’est que, lorsqu’elle est régulière, la collaboration du conjoint se traduira nécessairement par l’adoption, au choix, du statut de coexploitant, de collaborateur ou de salarié.

Ce sont là autant de statuts susceptibles de priver le conjoint du chef d’entreprise de la possibilité de se prévaloir d’un pouvoir exclusif sur les biens communs affectés à l’exercice de son activité professionnelle.

Aussi, convient-il d’envisager chacun de ces statuts pris individuellement.

==> Le statut de conjoint associé

Le conjoint optera pour le statut d’associé lorsqu’il coexploitera l’entreprise commerciale, artisanale ou agricole et plus précisément lorsqu’il détiendra des parts ou actions dans la société, ce qui exige la fourniture d’un apport.

Lorsque cette condition est remplie, les époux sont exploitants. Parce qu’ils sont placés sur un pied d’égalité, l’un et l’autre ne saurait soutenir qu’il exerce une profession séparée.

Tous deux œuvrent dans le même sens : la réalisation de l’objet social de leur entreprise.

==> Le statut de conjoint collaborateur

Il sera opté pour le statut de collaborateur lorsque le conjoint exercera une activité professionnelle régulière dans l’entreprise sans percevoir de rémunération.

Parce que, par hypothèse, il n’est pas associé dans l’entreprise familiale, le conjoint collaborateur n’endosse pas la qualité de coexploitant : il a vocation à exécuter les missions qui lui sont confiées.

Est-ce à dire que ce statut le prive de tous pouvoirs sur les biens communs affectés à l’exploitation de l’entreprise ? Il n’en est rien.

La particularité du conjoint collaborateur est qu’il est investi d’un pouvoir de représentation de son époux quant à la gestion de l’entreprise.

L’article L. 121-6, al. 1er du Code de commerce prévoit en ce sens que « le conjoint collaborateur, lorsqu’il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers ou au registre des entreprises tenu par les chambres de métiers d’Alsace et de Moselle est réputé avoir reçu du chef d’entreprise le mandat d’accomplir au nom de ce dernier les actes d’administration concernant les besoins de l’entreprise. »

Est ainsi instituée une présomption légale de pouvoir qui, à l’égard des tiers, autorise le conjoint collaborateur à accomplir les actes de gestion courante de l’entreprise.

Une présomption de pouvoirs est instituée sensiblement dans les mêmes termes par l’article L. 321-1, al. 2e du Code rural à la faveur du conjoint collaborateur de l’exploitant agricole.

Ces présomptions de pouvoirs ont pour effet de réputer les actes d’administration accomplis par le conjoint collaborateur comme ayant été conclus par le chef d’entreprise lui-même.

Aussi, se concilient-elles mal avec le pouvoir de gestion exclusive dont est investi l’époux qui exerce une profession séparée.

Celui-ci ne peut pas agir exclusivement en son propre nom et tout à la fois agir exclusivement au nom du chef d’entreprise. Il y a là des pouvoirs qui sont incompatibles.

C’est la raison pour laquelle le statut de collaborateur est exclusif de l’exercice d’une profession séparée.

Le conjoint collaborateur est, dans ces conditions, insusceptible de se prévaloir d’un pouvoir de gestion exclusif sur les biens communs affectés à l’entreprise au sein de laquelle il collabore à titre régulier.

À l’opposé l’époux qui endosse la qualité de chef d’entreprise pourra se prévaloir d’un tel pouvoir, cette qualité le plaçant dans une situation où il exerce bien une profession séparée de celle de son conjoint.

==> Le statut de conjoint salarié

L’article L. 121-4, I du Code de commerce prévoit que le conjoint du chef d’une entreprise artisanale ou commerciale peut opter pour le statut de salarié, lequel offre incontestablement la protection sociale la plus étendue.

Il peut être observé que ce statut n’a été envisagé par loi qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 1982.

Sous l’empire du droit antérieur, la licéité de la conclusion d’un contrat de travail entre époux n’avait été admise que par la jurisprudence (V. en ce sens Cass. civ. 8 nov. 1937). L’intervention du législateur en 1982 a, sans aucun doute, permis de clarifier les choses.

Quoi qu’il en soit, le conjoint du chef d’entreprise peut désormais librement opter pour le statut de salarié.

Dans cette hypothèse, il est admis que le conjoint est fondé à se prévaloir de l’exercice d’une profession séparée.

Lui endosse la qualité de salarié, tandis que son époux exerce la fonction de chef d’entreprise.

Aussi, l’article 1421, al. 2e du Code civil peut parfaitement trouver à s’appliquer

II) Des actes nécessaires à l’exercice d’une activité professionnelle

Un époux ne peut se prévaloir d’un pouvoir de gestion exclusif sur les biens communs affectés à son activité professionnelle que s’il démontre que les actes accomplis sont nécessaires à l’exercice de cette activité.

Toute la question est alors de savoir ce que l’on doit entendre par « nécessaire ». L’article 1421, al. 2e ne définit pas la notion, ni ne fournit des critères d’appréciation.

Pour les auteurs, de façon générale « on vise par là tous les actes de gestion patrimoniale qu’implique un exercice normal de la profession : ventes ou achats de marchandises, contrats de location (d’un local par exemple), d’entreprise, d’assurance, location-gérance d’un fonds de commerce, cession de tel élément du fonds etc. »[1].

Reste que cette description ne fait que dégrossir la notion de nécessité. Elle ne permet pas d’en cerner les contours avec précision.

Faute d’indications dans les textes, il y a lieu de se reporter à la doctrine qui propose deux approches :

Au bilan, il y a lieu, selon nous, de retenir la seconde approche afin de délimiter le domaine de la gestion exclusive.

Les époux sont investis d’un pouvoir exclusif pour tous les actes d’administration et de disposition dont l’accomplissement est nécessaire à la gestion normale de leur activité professionnelle.

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