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Gestion de l’actif sous le régime légal: la sanction des actes accomplis en dépassement des pouvoirs d’un époux (art. 1427 C. civ.)

L’article 1427, al. 1er du Code civil prévoit que « si l’un des époux a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, l’autre, à moins qu’il n’ait ratifié l’acte, peut en demander l’annulation. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’accomplissement d’un acte par un époux en dépassement de ses pouvoirs, cet acte encourt la nullité.

Aussi, lorsqu’un acte soumis au principe de cogestion n’a pas donné lieu à l’accord du conjoint, celui-ci est fondé à en réclamer l’anéantissement.

I) Domaine de la nullité

La nullité prévue par l’article 1427 du Code civil est encourue, à la lecture du texte, par tous les actes accomplissement en dépassement des pouvoirs d’un époux, pourvu que l’acte porte, bien évidemment, sur un bien commun.

Au nombre des actes susceptibles de faire l’objet d’un excès de pouvoir on compte on peut les classer en trois catégories

II) Action en nullité

Le régime de l’action en nullité prévue par l’article 1427, al. 1er du Code civil est défini au second alinéa de ce même texte.

La règle énoncée prévoit que « l’action en nullité est ouverte au conjoint pendant deux années à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus de deux ans après la dissolution de la communauté. »

Plusieurs enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

==> Titularité de l’action

La nullité prévue par l’article 1427 du Code civil est une nullité relative.

La raison en est que la règle instituée par le texte vise à protéger le conjoint des actes susceptibles d’être accomplis par son époux en dépassement de ses pouvoirs.

Il est, par ailleurs, précisé que l’acte peut donner lieu à ratification postérieure par le conjoint.

Ce sont là autant d’indices qui conduisent à qualifier la nullité prescrite par l’article 1427 de relative.

Il en résulte que l’action qui y est attachée appartient au seul conjoint.

Aussi, ne saurait-elle être exercée :

En revanche, la Cour de cassation a admis dans un arrêt du 6 novembre 2019 que l’action en nullité puisse être exercée par les ayants droit du conjoint.

Elle a jugé en ce sens que « l’action en nullité relative de l’acte que l’article 1427 du code civil ouvre au conjoint de l’époux qui a outrepassé ses pouvoirs sur les biens communs, est, en raison de son caractère patrimonial, transmise, après son décès, à ses ayants cause universels » (Cass. 1ère civ. 6 nov. 2019, n°18-23.913).

==> Prescription de l’action

III) Effets de la nullité

Plusieurs effets sont attachés à la nullité d’un acte. Il convient de distinguer les effets de la nullité à l’égard des époux des effets à l’égard des tiers.

A) Les effets de la nullité à l’égard des époux

À l’égard des parties, les effets de la nullité sont au nombre de trois.

==> L’effet rétroactif de la nullité

Le principal effet de la nullité c’est la rétroactivité. Par rétroactivité il faut entendre que l’acte est censé n’avoir jamais existé.

Cela signifie, autrement dit, que l’acte est anéanti, tant pour ses effets futurs que pour ses effets passés.

À cet égard, dans un célèbre arrêt Couka rendu le 27 juin 1978, la Cour de cassation a jugé que « l’action accordée à l’épouse par l’article 1427 du code civil, dans le cas où le mari a passé seul, relativement aux biens communs, un acte qui exigeait le consentement de la femme, tend […] non pas à une inopposabilité de l’acte, mais a une nullité qui prive cet acte de ses effets, non seulement à l’égard de la femme, mais aussi dans les rapports du mari et de l’autre contractant » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-15.546).

Dans l’hypothèse où l’acte a reçu un commencement d’exécution, voire a été exécuté totalement, l’annulation du contrat suppose de revenir à la situation antérieure, soit au statu quo ante.

Pour ce faire, il conviendra alors de procéder à des restitutions.

==> Les restitutions

Conséquence de l’effet rétroactif de la nullité, l’obligation de restitution qui échoit aux parties consiste pour ces dernières à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Les restitutions qui résultent de la nullité d’un acte sont régies aux articles 1352 à 1352-9 du Code civil.

L’objectif poursuivi par les restitutions est de remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient antérieurement à la conclusion du contrat.

Cet objectif se révélera toutefois, dans bien des cas, difficile à atteindre, notamment lorsque la restitution portera sur une chose consomptible, périssable ou encore qui a fait l’objet de dégradation. Quid encore de la restitution des fruits procurés par la chose restituée ?

Toutes ces questions sont traitées dans un chapitre propre aux restitutions, destiné à unifier la matière et à s’appliquer à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

==> L’octroi de dommages et intérêts

En droit commun, il est admis que la partie qui obtient la nullité d’un acte peut se voir octroyer, si elle justifie d’un préjudice, des dommages et intérêts.

L’article 1178, al. 4 du Code civil prévoit en ce sens que « indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle. »

Cette règle est-elle transposable à la situation du tiers victime de l’annulation d’un acte irrégulier sur le fondement de l’article 1427 du Code civil ?

Dans l’arrêt Couka du 27 juin 1978, la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question en jugeant que l’annulation « qui sanctionne un dépassement de pouvoirs, ne peut, sauf stipulation particulière, faire naître à la charge du mari une obligation de garantie » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-15.546).

Aussi, seule une clause spécifique serait susceptible de fonder une action en responsabilité contre l’époux qui a agi en dépassement de ses pouvoirs.

Il peut être observé que dans un arrêt du 24 mars 1981, la Cour de cassation a estimé que le dépassement de pouvoirs ne constituait pas en lui-même une faute de nature à engager la responsabilité de l’auteur de l’acte, quand bien même l’annulation de l’acte a causé un préjudice à un tiers (Cass. 1ère civ. 24 mars 1981, n°79-14.965).

La position adoptée par la haute juridiction s’explique – sans doute – par sa volonté de responsabiliser les tiers qui traitent avec des personnes mariées sous le régime légal. Il appartient à ces tiers de vérifier, avant de conclure l’acte, de vérifier les pouvoirs de leur cocontractant.

Une autre raison a été avancée pour justifier cette position. À supposer que l’on admette que la violation des règles de répartition des pouvoirs soit constitutive d’une faute délictuelle, cela reviendrait à faire peser le poids de la dette, à tout le moins temporairement, sur le conjoint victime de l’annulation dans la mesure où, au plan de l’obligation, elle pèserait sur la communauté et pourrait donc être poursuivie sur les biens communs, déduction faites des gains et salaires du conjoint.

B) Les effets de la nullité à l’égard des tiers

==> Principe

Dans la mesure où l’acte annulé est censé n’avoir jamais existé, il ne devrait en toute logique produire aucun effet à l’égard des tiers.

C’est la position qui a été prise par la Cour de cassation dans l’arrêt Couka rendu le 27 juin 1978.

Pour rappel, dans cette décision, elle a affirmé que « l’action accordée à l’épouse par l’article 1427 du code civil, dans le cas où le mari a passé seul, relativement aux biens communs, un acte qui exigeait le consentement de la femme, tend […] non pas à une inopposabilité de l’acte, mais a une nullité qui prive cet acte de ses effets, non seulement à l’égard de la femme, mais aussi dans les rapports du mari et de l’autre contractant » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-15.546).

Dans une décision rendue le même jour, l’arrêt Pourtoy, la haute juridiction a en a déduit que « la nullité prononcée en vertu de ce texte a pour effet de remettre les choses dans l’état ou elles se trouvaient avant la formation du contrat et ne laisse pas subsister les clauses destinées a sanctionner l’inexécution dudit contrat » (Cass. 1ère civ. 27 juin 1978, n°76-10.145).

Pour la Cour de cassation, parce que l’acte est anéanti, la clause pénale stipulée dans cet acte est privée de tous ses effets.

Cette solution s’applique à toutes les clauses du contrat qui donc ne survivent pas à son annulation.

Par ailleurs, il résulte de l’anéantissement rétroactif de l’acte que toute prérogative octroyée à un tiers et qui a sa source dans l’acte annulé doit normalement être anéantie.

Exemple :

==> Correctifs

Manifestement, la règle nemo plus juris porte atteinte à la sécurité juridique puisque l’annulation d’un acte est susceptible de remettre en cause nombre de situations juridiques constituées dans le lignage de cet acte.

Cette situation est d’autant plus injuste lorsque le tiers est de bonne foi, soit lorsqu’il ignorait la cause de nullité qui affectait l’acte initial.

C’est la raison pour laquelle, de nombreux correctifs ont été institués pour atténuer l’effet de la nullité d’un acte à l’égard des tiers.

IV) Le remède à la nullité

Le vice qui affecte la validité d’un acte n’est pas sans remède. Il est possible de sauver l’acte de la nullité, en se prévalant de sa confirmation.

Par confirmation, il faut entendre, selon l’article 1182 du Code civil « l’acte par lequel celui qui pourrait se prévaloir de la nullité y renonce ».

Il s’agit, autrement dit, de la manifestation de volonté par laquelle le titulaire de l’action en nullité renonce à agir et, par un nouveau consentement, valide rétroactivement l’acte.

C’est ce que prévoit spécifiquement l’article 1427 du Code civil en disposant que l’acte accompli par un époux en dépassement de ses pouvoirs peut toujours être ratifié par son conjoint postérieurement à l’établissement de l’acte.

Dans un arrêt du 17 mars 1987, la Cour de cassation a précisé que la ratification de l’acte « peut résulter de tout acte qui implique, sans équivoque, sa volonté de la confirmer » (Cass. 1ère civ. 17 mars 1987, n°85-11.507).

Il n’est donc pas nécessaire qu’elle soit expresse et notamment formalisée dans un écrit.

Une fois l’acte ratifié, la confirmation emporte renonciation aux moyens et exceptions qui pouvaient être opposés.

Cela signifie que la confirmation d’un acte fait obstacle à ce que son auteur, en l’occurrence le conjoint, après avoir renoncé à son droit de critiquer l’acte, soit exerce une action en nullité, soit oppose une exception tirée de l’existence d’une irrégularité.

En définitive, une fois confirmé, l’acte ne pourra donc plus être remis en cause.

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