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Régime légal: le domaine de la gestion concurrente

En application de l’article 1421, al. 1er du Code civil, le principe de gestion concurrente est d’application général, faute de textes délimitant son domaine. Est-ce à dire qu’il est sans limite ? Il n’en est rien.

À l’analyse, la généralité de la règle énoncée à l’article 1421, al. 1er du Code civil est un trompe l’œil.

Ainsi qu’il l’a été relevé par la doctrine, le législateur a assorti le principe de gestion concurrence de très nombreuses exceptions, à telle enseigne que l’on légitimement en droit de se demander si cette modalité de gestion des biens communs ne présentait pas, en réalité, un caractère résiduel[1].

En effet, des dispositions spécifiques dérogent à la règle en excluant du champ d’application de la gestion concurrente, tantôt certains biens, tantôt certains actes.

I) Le domaine quant aux biens

A) Les biens relevant de la gestion concurrente

La règle énoncée à l’article 1421, al. 1er du Code civil est de portée générale. Tous les biens communs relèvent, en principe, de la gestion concurrente, sans distinction.

Sous l’empire du droit antérieur, les biens communs se divisaient en deux grandes catégories : les biens communs ordinaires dont la gestion relevait du monopole du mari et les biens réservés qui étaient exclusivement et séparément administrés par la femme mariée.

En abolissant la catégorie des biens réservés, la loi du 23 décembre 1985 a mis fin à cette dualité de gestion.

Désormais, les biens communs forment une masse relativement homogène, de sorte que tous sont a priori éligibles à un seul mode de gestion : la gestion concurrente. Le législateur a néanmoins prévu un certain nombre d’exceptions.

B) Les biens ne relevant pas de la gestion concurrente

Sous le régime légal, il est un certain nombre de biens qui, alors même qu’ils endossent la qualification de biens communs, ne relèvent pas de la gestion concurrente.

L’exclusion de ces biens du domaine de la gestion concurrente se justifie par la nécessité, soit de préserver les intérêts du ménage, soit d’assurer l’indépendance des époux.

==> Le logement familial

L’article 215, al. 3e du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille, ni des meubles meublants dont il est garni. »

Il ressort de cette disposition qu’un époux ne peut disposer seul de la résidence familiale ainsi que des meubles qui y sont attachés.

Il ne peut le faire qu’avec le consentement de son conjoint, ce qui, lorsqu’il s’agit d’un bien commun, a pour effet de déroger au principe de gestion concurrente.

La formulation du texte est des plus larges, de sorte que tous les actes qui tendent à aliéner, à titre onéreux ou à titre gratuit, le bien dans lequel le ménage a élu domicile sont d’emblée visés par l’interdiction.

Plus que l’aliénation de la résidence familiale, ce sont, en réalité, tous les actes susceptibles de priver la famille de son logement qui relèvent du domaine d’application de l’article 215, al. 3e du Code civil.

==> Les gains et salaires

L’article 223 du Code civil reconnaît aux époux le droit percevoir leurs gains et salaires et d’en disposer librement.

Cela signifie que le consentement du conjoint n’est jamais requis s’agissant de l’emploi des revenus professionnels qui peuvent être affectés par l’époux qui les perçoit à la destination qui lui sied.

Là encore, il est donc dérogé au principe de gestion concurrente, dans la mesure où les gains et salaires constituent des biens communs.

Cette règle qui est d’ordre public s’impose quel que soit le régime matrimonial applicable, de sorte qu’il ne peut pas y être dérogé par convention contraire.

Un contrat de mariage ne saurait, dans ces conditions, prévoir par le biais d’une clause d’administration conjointe qu’un époux renonce à son droit de percevoir et de disposer librement de ses gains et salaires. Une telle clause matrimoniale serait réputée non écrite.

==> Les fonds déposés sur un compte bancaire personnel

L’article 221, al. 2e du Code civil prévoit que « à l’égard du dépositaire, le déposant est toujours réputé, même après la dissolution du mariage, avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

Est ainsi instituée une présomption de pouvoir au profit de l’époux titulaire d’un compte ouvert en son nom personnel qui l’autorise à accomplir toutes opérations sur ce compte, sans qu’il lui soit besoin de solliciter l’autorisation de son conjoint.

Pratiquement, cette présomption dispense le banquier d’exiger la fourniture de justifications s’agissant des dépôts et des retraits qu’un époux est susceptible de réaliser sur son compte personnel.

Plus précisément, elle a pour effet de réputer l’époux titulaire du compte « avoir la libre disposition des fonds et des titres en dépôt. »

C’est là une autre exception au principe de gestion concurrente. Par le jeu de la présomption posé à l’article 221, al. 2e du Code civil, la loi confère à l’époux titulaire d’un compte individuel un pouvoir exclusif sur les fonds qui y sont déposés.

Il est indifférent que ces fonds soient des biens communs ordinaires, et qui donc, par principe, devraient faire l’objet d’une gestion concurrente.

Dès lors que des sommes sont inscrites en compte, elles sont hors de portée du conjoint qui ne saurait exiger du banquier qu’il les lui remette ou lui octroie un quelconque pouvoir sur elles.

Plus encore, le texte interdit formellement au banquier de solliciter des justifications sur la situation matrimoniale de son client ou sur la provenance des fonds, sauf les cas de vérification qui lui incombent au titre des obligations prescrites par le Code monétaire et financier relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

En dehors de ces obligations légales, le banquier doit exécuter toutes les opérations pour lesquelles il a reçu un ordre de l’époux titulaire du compte.

Le banquier engagerait sa responsabilité s’il perturbait le fonctionnement du compte en considération de règles qui intéressent la situation matrimoniale de son client.

Dans un arrêt du 3 juillet 2001, la Cour de cassation a jugé en ce sens que si l’article 1421 du Code civil « reconnaît à chacun des époux [mariés sous un régime de communauté] le pouvoir d’administrer seul les biens communs, l’article 221 du Code civil leur réserve la faculté de se faire ouvrir un compte personnel sans le consentement de l’autre, et que le banquier dépositaire ne doit, aux termes de l’article 1937 du même Code, restituer les fonds déposés qu’à celui au nom duquel le dépôt a été fait ou à celui qui a été indiqué pour les recevoir » (Cass. 1ère civ. 3 juill. 2001, n°99-19.868).

Commet ainsi une faute le banquier qui remet des fonds au conjoint du titulaire du compte, alors même que, en application du régime matrimonial applicable, il serait établi que ces fonds auraient été déposés en violation des règles de pouvoirs.

II) Le domaine quant aux actes

Parce que la règle énoncée à l’article 1421, al. 1er du Code civil est d’application générale, tous les actes que les époux accomplissent sur les biens communs relèvent, par principe, de la gestion concurrente.

Chaque époux est ainsi autorisé à accomplir seul, tant des actes d’administration, que des actes d’administration sur le patrimoine commun.

Le pouvoir dont ils sont investis n’est toutefois pas sans limite. Certains actes sous soumis à des règles qui dérogent à la gestion concurrente.

A) Les actes d’administration

En application de l’article 1421, al. 1er du Code civil, chaque époux est donc investi du pouvoir d’accomplir, de son propre chef et à égalité, des actes d’administration sur les biens communs.

Pour mémoire, les actes d’administration se définissent comme les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne dénués de risque anormal.

Il s’agit, autrement dit, de tout acte qui vise à assurer la gestion courante d’un ou plusieurs biens sans que le patrimoine de son propriétaire s’en trouve modifié de façon importante.

Pour cette catégorie d’actes, le domaine de la gestion concurrente est des plus vaste La seule limite à laquelle elle se heurte tient à l’administration des baux ruraux et commerciaux.

L’article 1425 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, donner à bail un fonds rural ou un immeuble à usage commercial, industriel ou artisanal dépendant de la communauté ».

Les baux ruraux et commerciaux sont ainsi soumis à la cogestion. Le texte précise néanmoins que « les autres baux sur les biens communs peuvent être passés par un seul conjoint et sont soumis aux règles prévues pour les baux passés par l’usufruitier. »

En dehors de cette restriction, les époux sont autorisés à accomplir sur les biens communs toutes sortes d’acte d’administration dont notamment :

B) Les actes de disposition

Le pouvoir de gestion des biens communs que les époux tiennent de l’article 1421, al. 1er du Code civil ne se limite pas aux actes d’administration, il comprend également certains actes de disposition comme précisé dans le texte.

Par actes de disposition, il faut entendre les actes qui engagent le patrimoine de la personne, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire.

Autrement dit, les actes de disposition correspondent aux actes les plus graves qui ont pour effet de modifier le patrimoine du propriétaire du bien sur lequel porte l’acte considéré.

Si, pour cette catégorie d’actes, le domaine de la gestion concurrence est plus restreint que pour les actes d’administration, elle n’en demeure pas moins le principe.

L’article 1421, al. 1er du Code civil est pourvu d’une portée générale. Il en résulte que tout acte de disposition peut être accompli du chef d’un seul époux, sauf dérogations spéciales.

Ces dérogations, qui sont instituées par les articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil, instaurent le principe de gestion conjointe pour les opérations visées.

Au nombre de ces opérations figurent notamment :

En dehors de ces actes expressément listés par les articles 1422, 1424 et 1425 du Code civil, c’est la gestion concurrente qui s’applique aux actes de disposition.

À l’analyse, son domaine s’étend notamment aux actes suivants :

III) Le cas particulier des legs

L’article 1423 du Code civil envisage le mode de gestion des legs de biens communs dont le régime se rapproche de celui auquel est la gestion concurrente est soumise.

Pour mémoire, un legs est une libéralité consentie par voie testament, lequel présente une double nature :

Afin de concilier ces deux aspects – antinomiques – du testament, l’article 1423 du Code civil prévoit que lorsqu’il porte sur des biens communs, il est soumis au principe de gestion concurrente.

Chaque époux peut ainsi consentir, de son propre chef, un legs de biens communs, de sorte que la prohibition des testaments conjonctifs est respectée.

Toutefois, parce que le testament est un acte de disposition à cause de mort, il ne produit ses effets qu’au décès du testateur et donc, pratiquement au jour de la dissolution de la communauté, laquelle donne lieu à une période d’indivision.

Le législateur en a déduit que cet acte ne pouvait pas relever du domaine de l’article 1421 qui n’a vocation à régir que les actes accomplis au cours du mariage.

D’où l’adoption d’une disposition spéciale, l’article 1423, qui régit les legs de biens communs.

À cet égard, il appréhende les biens légués, non pas comme des biens communs, la communauté ayant par hypothèse disparu au jour où le testament produit ses effets, mais comme des biens indivis.

Le texte envisage alors deux situations :

==> Première situation : le legs porte sur une fraction de la masse commune

Dans cette hypothèse, l’article 1423, al. 1er du Code civil prévoit que « le legs fait par un époux ne peut excéder sa part dans la communauté. »

Il ressort de cette disposition que l’époux légataire ne peut léguer plus de la moitié de la masse commune.

Ce cantonnement s’explique par les circonstances : le legs ne produisant ses effets qu’au décès du testateur, il ne peut porter que sur la part revenant à ce dernier au jour de la dissolution de la communauté.

Or cette part correspond à la moitié des biens soumis à l’indivision post-communautaire.

Les légataires ont ainsi vocation à se retrouver en indivision avec le conjoint.

==> Seconde situation : le legs porte sur un bien commun déterminé

Dans cette hypothèse, la difficulté tient aux aléas du partage de l’indivision post-communautaire qui est susceptible de donner lieu, conformément à l’article 826 du Code civil, à un tirage au sort, lequel permettra de déterminer à qui est attribué tel ou tel lot.

C’est pour surmonter cette difficulté, et notamment l’hypothèse où le legs d’un bien commun figure dans un lot attribué au conjoint, que le législateur a adopté la règle énoncée à l’article 1423, al. 2e du Code civil.

Le texte prévoit en ce sens que « si un époux a légué un effet de la communauté, le légataire ne peut le réclamer en nature qu’autant que l’effet, par l’événement du partage, tombe dans le lot des héritiers du testateur ; si l’effet ne tombe point dans le lot de ces héritiers, le légataire a la récompense de la valeur totale de l’effet légué, sur la part, dans la communauté, des héritiers de l’époux testateur et sur les biens personnels de ce dernier. »

Aussi, convient-il de distinguer deux situations :

La règle énoncée à l’article 1423, al. 2e du Code civil présente indéniablement l’avantage de prévenir tout risque de conflit et, surtout, d’exécuter le plus fidèlement possible la volonté du de cujus.

Que le legs soit compris dans le lot attribué au conjoint ou dans le lot attribué au légataire, dans les deux cas il pourra faire l’objet d’une exécution.

Dans un arrêt du 16 mai 2000, la Cour de cassation est venue préciser que l’article 1423, al. 2e du Code civil « relatif au sort et aux modalités d’exécution du legs d’un bien de communauté par l’un des époux, n’est pas applicable au legs d’un bien dépendant d’une indivision, fût-elle postcommunautaire » (Cass. 1ère civ. 16 mai 2000, n°98-11.977).

Autrement dit cette disposition n’a pas vocation à jouer lorsque le legs intervient entre la date de dissolution de la communauté et la date de réalisation du partage.

L’article 1423 est également inopérant en cas de testament-partage, la Cour de cassation considérant que « la faculté accordée par l’article 1075 du Code civil aux ascendants de faire par anticipation le partage de leur succession est limitée aux biens dont chacun d’eux a la propriété et la libre disposition sans pouvoir être étendue aux biens communs » (Cass. 1ère civ. .16 mai 2000, n°97-20.839).

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