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La répartition de l’actif sous le régime légal: la détermination des biens propres

Le régime légal, qui s’applique aux couples mariés faute d’établissement d’un contrat de mariage, est le régime de la communauté réduite aux acquêts.

Ce régime a été institué par la loi du 13 juillet 1965 qui l’a substitué à l’ancien régime légal de communauté de meubles et d’acquêts, lequel est désormais relégué au rang de régime conventionnel.

Principale caractéristique du régime légal, il s’agit d’un régime communautaire. Cette spécificité implique la création d’une masse commune de biens aux côtés des biens propres dont les époux demeurent seuls propriétaires.

La question qui immédiatement se pose est de savoir comment s’opère la répartition des biens entre ceux qui tombent en communauté et ceux qui relèvent d’un actif propre.

Pour le déterminer, il convient de se reporter aux articles 1401 à 1408 du Code civil qui sont logés sous un paragraphe intitulé « De l’actif de la communauté ».

À l’analyse, l’économie générale du dispositif instauré par ces dispositions prend assise sur la notion d’acquêt qui fixe la ligne de partage entre biens communs et biens propres.

Par acquêts, il faut entendre les biens acquis à titre onéreux par les époux pendant le mariage.

La communauté instituée par le régime légal étant « réduite aux acquêts », on peut en déduire que les biens qui, soit n’ont pas été acquis avant la célébration du mariage, soit ont été acquis à titre gratuit par les époux, constituent des biens propres.

Contrairement aux biens communs, lors de la dissolution du mariage ils ne feront l’objet d’aucun partage ; ils resteront la propriété exclusive de l’un ou l’autre époux.

Tout l’enjeu est donc de déterminer quels sont les biens susceptibles d’endosser la qualification d’acquêt et ceux qui échappent à cette qualification.

À cet égard, la mise en œuvre de la notion d’acquêt n’est pas sans soulever, parfois, un certain nombre de difficultés. Il est, en effet, des cas où il sera peu aisé de déterminer de quel côté de la frontière qui sépare la masse commune des masses propres se situe un bien.

Nous nous focaliserons ici sur les biens propres.

Si l’on s’en réfère à l’intitulé du régime légal, tous les biens qui ne sont pas des acquêts devraient en toute logique endosser la qualification de propre.

Reste que la masse commune n’est pas exclusivement alimentée par les acquêts. Par le jeu de la présomption énoncée à l’article 1402 du Code civil, ont également vocation à tomber en communauté tous les biens dont l’origine est incertaine.

Ainsi, les biens qui composent la masse commune débordent la catégorie des acquêts, ce qui fait des biens communs une catégorie ouverte.

Tel n’est pas le cas des biens propres dont la qualification tient l’existence d’un texte spécifique.

À cet égard les masses de propres sont composées de biens limitativement énumérés par articles 1404 à 1408 du Code civil.

Une lecture de ces dispositions conduit à distinguer quatre catégories de biens propres :

I) Les biens propres par origine

Le principe général qui préside au dispositif de répartition des biens sous le régime légal est que tous les biens acquis à titre onéreux pendant le mariage ont vocation à tomber en communauté.

A contrario, cela signifie que les biens présents au jour du mariage et les biens acquis à titre gratuit au cours du mariage sont exclus de la masse commune et appartiennent donc en propre à l’un ou l’autre époux.

A) Les biens présents au jour du mariage

1. Principe général

L’article 1405, al. 1er du Code civil prévoit que « restent propres les biens dont les époux avaient la propriété ou la possession au jour de la célébration du mariage ».

Ainsi, tous les biens que les époux ont acquis ou qu’ils possédaient antérieurement au mariage sont exclus d’emblée de la masse commune.

Contrairement à l’ancien régime légal – en vigueur avant que la loi du 13 juillet 1965 ne soit adoptée – qui ne visait que les seuls immeubles, l’article 1405 n’opère aucune distinction entre les meubles et les immeubles.

Pour endosser la qualification de propre, la nature du bien est indifférente. Il en va de même des circonstances de l’acquisition ou de ses modalités.

La seule exigence posée par le texte c’est que le bien ait été acquis avant la célébration du mariage ou dont il avait la possession.

2. Mise en œuvre

La règle selon laquelle tous les biens acquis ou possédés avant la célébration du mariage restent propres soulève une difficulté de mise en œuvre lorsque le transfert de propriété est différé dans le temps.

L’acquisition échelonnée dans le temps d’un bien peut avoir pour cause :

2.1 Le jeu de la prescription acquisitive

Il ressort de l’article 1405 du Code civil que pour être qualifié de propre, il n’est pas absolument nécessaire que le bien ait fait l’objet d’une acquisition, il peut également avoir été seulement possédé.

Cette précision n’est pas sans importance. Elle signifie que, en cas d’usucapion, le bien appartiendra en propre à l’époux possesseur nonobstant l’expiration du délai de la prescription acquisitive au cours du mariage.

Pour que la prescription acquisitive puisse jouer, encore faudra-t-il que la possession soit établie.

Pour ce faire, elle devra être caractérisée dans ses éléments constitutifs que sont :

La possession devra, en outre, n’être affectée d’aucun vice, soit être utile. Par utile, il faut entendre présentant les caractères énoncés à l’article 2261 du Code civil.

Selon cette disposition, « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire. »

Ce n’est que si ces conditions sont remplies que la prescription acquisitive produira ses pleins effets.

À cet égard, s’agissant de la durée de la prescription, elle dépend de la nature du bien objet de la possession.

Lorsque la prescription acquisitive produit ses effets, le bien objet de la possession est réputé avoir été acquis avant la célébration du mariage, raison pour laquelle il échappera à la communauté et restera propre à l’époux possesseur.

2.2 L’effet d’une stipulation contractuelle

Il est des cas où la stipulation d’une clause contractuelle aura pour effet de différer dans le temps le transfert de propriété du bien objet du contrat.

Tel sera notamment le cas en présence d’avant-contrats, tels qu’une promesse unilatérale de vente et une promesse synallagmatique ou encore pour les contrats assortis d’une condition suspensive.

La question qui alors se pose est de savoir à quelle date intervient l’acquisition du bien pour ces situations où le processus de formation du contrat s’échelonne dans le temps.

À l’analyse, il ressort de la jurisprudence que c’est la date du transfert de propriété qui doit servir de référence pour déterminer si l’acquisition est intervenue avant ou après la célébration du mariage.

À cet égard, plusieurs situations doivent être envisagées :

==> La promesse unilatérale de vente

Pour rappel, aux termes de l’article 1124 du Code civil « la promesse unilatérale est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. »

La spécificité de cet avant-contrat est que, après que les parties se sont entendues sur les éléments essentiels de contrat de vente projeté, seul le promettant a donné son consentement.

Aussi, la vente ne sera formée qu’au moment de l’exercice de l’option par le bénéficiaire de la promesse.

Ce n’est donc pas au moment de la conclusion de la promesse unilatérale que le transfert de propriété interviendra, mais à la date de levée de l’option.

Dans ces conditions, le bien sera propre si l’option est exercée avant la célébration du mariage et tombera en communauté si l’option est levée postérieurement.

==> La promesse synallagmatique de vente

La promesse synallagmatique de contrat est l’acte par lequel deux parties s’engagent réciproquent l’une envers l’autre à conclure un contrat dont les éléments essentiels (la chose et le prix pour la vente) sont déterminés.

À la différence de la promesse unilatérale de vente, la promesse synallagmatique implique que les deux parties ont donné leur consentement quant à la conclusion du contrat de vente projeté.

C’est la raison pour laquelle l’article 1589 du Code civil prévoit que « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix. »

En matière de promesse synallagmatique de vente, le Code civil pose ainsi un rapport d’équivalence entre la promesse et la vente.

Cette équivalence se justifie par le fait que, lors de la conclusion de la promesse synallagmatique, toutes les conditions de validité du contrat de vente sont d’ores et déjà remplies :

Aussi, est-il admis que le transfert de propriété intervient à la date de conclusion de la promesse et non au jour de la réitération par acte authentique.

Ce n’est que si les parties stipulent expressément dans la promesse synallagmatique que la réitération des consentements est un élément essentiel du contrat de vente que le transfert de propriété sera différé au jour de l’établissement de l’acte authentique.

La raison en est que la règle selon laquelle « la promesse de vente vaut vente n’a qu’un caractère supplétif » (V. en ce sens Cass. 3e civ. 10 mai 2005).

S’agissant d’une promesse synallagmatique de vente conclue avant la célébration, afin de déterminer si le bien vendu tombe ou non en communauté il convient de distinguer deux situations :

Au bilan, la date du transfert de propriété du bien objet de la promesse synallagmatique de vente dépend de la fonction que les parties ont entendu donner à la réitération des consentements en la forme authentique, à tout le moins lorsqu’elle interviendra postérieurement à la célébration du mariage, tandis que la promesse aura été conclue avant.

==> Le contrat translatif de propriété assorti d’une condition suspensive

Pour mémoire, la condition suspensive stipulée dans un contrat a pour effet de suspendre la naissance d’une obligation à la réalisation d’un événement futur et incertain.

Lorsque cette obligation porte sur la délivrance d’une chose, la question se pose de la date du transfert de propriété.

Est-ce le jour de conclusion du contrat ou est-ce au jour de réalisation de la condition ?

Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 1179 du Code civil prévoyait que « la condition accomplie a un effet rétroactif au jour auquel l’engagement a été contracté ».

La réalisation de la condition produisait de la sorte un effet rétroactif.

Cette règle a été abandonnée par le législateur lors de la réforme des obligations.

Le nouvel article 1304-5, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « l’obligation devient pure et simple à compter de l’accomplissement de la condition suspensive. »

Ainsi, l’obligation sous condition suspensive produit ses effets, non plus au jour de la conclusion du contrat, mais au jour de la réalisation de la condition.

Il en résulte que c’est cette seconde date qui sert de référence pour déterminer si le transfert de propriété du bien objet de la condition intervient avant ou après la célébration du mariage.

Dès lors, si la condition se réalise après la célébration du mariage ce bien tombera en communauté, alors même que le contrat définitif a été conclu avant que les époux ne soient mariés. Si en revanche, elle se réalise avant, le bien restera propre à l’époux contractant.

==> La stipulation d’une clause différant le transfert de propriété

L’article 1196, al. 2e du Code civil prévoit que le transfert de propriété « peut être différé par la volonté des parties, la nature des choses ou par l’effet de la loi. »

Ainsi, est-il des cas où le transfert de propriété ne sera pas concomitant à la formation du contrat, il sera différé dans le temps.

Ce sont là autant d’exceptions au principe de transfert solo consensu.

En pareil cas, c’est donc la date à laquelle a été différé le transfert de propriété qui permettra de déterminer si le bien est propre ou commun.

Le bien sera propre si le transfert de propriété intervient avant la célébration du mariage et commun s’il se produit après.

Trois hypothèses sont envisagées par l’article 1196 du Code civil :

B) Les biens acquis à titre gratuit au cours du mariage

1. Les biens issus d’une succession, d’une donation ou d’un legs

Si, par principe, les biens acquis au cours du mariage ont vocation à tomber en communauté, c’est à la condition que l’acquisition soit intervenue à titre onéreux. Les biens acquis à titre gratuit échappent à la communauté.

L’article 1405, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que « restent propres les biens que [les époux] acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs. »

Il ressort de cette disposition que la nature du bien acquis est indifférente. Il peut s’agir un meuble ou d’un immeuble.

Ce qui importe pour endosser la qualification de bien propre c’est qu’il ait été acquis à titre gratuit, ce qui renvoie à deux hypothèses :

==> L’acquisition du bien par voie de succession

Dans cette hypothèse, le bien est attribué à un époux selon les règles de dévolution successorale.

Son également visés les biens acquis dans le cadre de l’exercice du droit de retour.

Ce droit de retour institué au profit des frères et sœurs, lesquels viennent concurrencer le conjoint, pour les biens du défunt reçus de ses parents, en cas d’absence de descendants.

L’article 757-3 du Code civil prévoit en ce sens que « en cas de prédécès des père et mère, les biens que le défunt avait reçus de ses ascendants par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession sont, en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission. »

==> L’acquisition du bien par voie de donation ou de legs

2. Les biens issus d’un arrangement de famille

L’article 1405, al. 3e du Code civil prévoit que « les biens abandonnés ou cédés par père, mère ou autre ascendant à l’un des époux, soit pour le remplir de ce qu’il lui doit, soit à la charge de payer les dettes du donateur à des étrangers, restent propres, sauf récompense. »

À l’analyse, cette disposition envisage l’hypothèse où un ascendant conclue un arrangement avec son enfant aux fins de régler une dette qu’il lui doit ou dont il est redevable envers un tiers.

Aussi, les arrangements visés par l’article 1405, al. 3e du Code civil correspondent à deux situations :

Ainsi que l’observent les auteurs, ces arrangements se situent « à la frontière entre le gratuit et l’onéreux »[1].

Techniquement, les opérations sont, en effet, conclues à titre onéreux dans la mesure où la remise du bien par l’ascendant à son héritier présomptif est assortie d’une contrepartie : le règlement de la dette qu’il lui doit où dont il est tenu envers un tiers.

Reste que ces arrangements sont assimilés par l’article 1405 à des libéralités. La raison en est qu’ils visent à anticiper le règlement de la succession de l’ascendant.

En somme, comme souligné par Jean Boulanger, la règle a été instituée pour « réaliser du vivant de l’ascendant, ce qui autrement, se serait passé à sa mort ».

D’où la qualification de bien propre du bien acquis dans le cadre de l’un des arrangements envisagés par l’article 1405, al. 3e.

Une récompense sera néanmoins due à la communauté, précise le texte, lorsque la dette du tiers aura été payée au moyen de fonds communs.

II) Les biens propres par nature

Sous l’empire du droit antérieur à la loi du 13 juillet 1965 où c’est le régime de la communauté de meubles et d’acquêts qui tenait lieu de régime légal, un vif débat s’est installé en doctrine sur le sort de certains meubles qui, pour plusieurs auteurs, devaient échapper au pouvoir d’attraction de la communauté en raison du lien étroit qu’ils entretiennent avec la personne d’un époux.

Pour les partisans de cette thèse il existerait donc une catégorie de biens dont le caractère propre tiendrait, non pas à leur origine, mais à leur nature.

D’aucuns ont opposé que la création d’une telle catégorie était inenvisageable en raison, notamment, de la difficulté qu’il y aurait à en tracer les contours.

À partir de quelle intensité doit-on considérer que le lien qui existe entre un époux et le bien qu’il a acquis au cours du mariage serait de nature à exclure ce bien de la communauté ?

Voilà une question épineuse qui suppose que l’on détermine à quel niveau le curseur doit être situé.

S’il est mis trop haut, il est un risque, selon Jean Derruppé, que l’existence de la catégorie des biens propres par nature ait pour effet de vider la communauté « de son contenu normal », ce qui dès lors remettrait en cause la nature communautaire du régime légal.

Si, en revanche, le curseur est positionné trop bas, la création d’une catégorie de biens propres par nature serait privée de son intérêt.

Finalement, le législateur a décidé d’opter pour la voie médiane, en instituant une catégorie de biens propres par nature dont le contenu est déterminé par :

En parallèle, le législateur a reconnu, en dehors du Code civil, la qualification de biens propres à certains droits patrimoniaux étroitement liés à la personne d’un époux.

A) Les biens propres par nature résultant de l’énumération réalisée par l’article 1404

À l’analyse, deux sortes de biens figurent sur la liste des propres par nature dressée par l’article 1404 du Code civil :

1. Les biens propres par nature qui présente un caractère personnel

L’article 1404, al. 1er du Code civil prévoit que « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage, les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles ».

Tout d’abord, il peut être observé que, en précisant que les biens qui figurent sur cette liste « forment des propres par leur nature, quand même ils auraient été acquis pendant le mariage », cette disposition rappelle qu’il y a là une dérogation au principe général posé à l’article 1401, al. 1er du Code civil aux termes duquel tous les biens acquis à titre onéreux au cours du mariage ont vocation à tomber en communauté.

Ainsi, la catégorie des propres par nature présente cette particularité de comprendre en son sein des acquêts que la loi a expressément exclu de la masse commune.

Ensuite, s’agissant des biens énumérés au premier alinéa de l’article 1404 du Code civil, il apparaît que sont exclusivement visés des meubles : les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux, d’une part, et les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles, d’autre part.

==> Les vêtements et linges à l’usage personnel de l’un des époux

Tous les vêtements acquis par un époux pour se vêtir, au cours du mariage, endossent la qualité de biens propres.

Le texte n’opérant aucune distinction entre les vêtements, ils sont exclus de la masse commune quand bien même ils auraient une grande valeur.

Pour constituer des biens propres, ils doivent néanmoins être affectés à l’usage strictement personnel d’un époux. S’ils sont utilisés comme des marchandises dans le cadre de l’exercice d’une activité commerciale, ils tomberont en communauté.

En effet, ne sont visés par l’article 1404, al. 4e du Code civil que les vêtements qui sont portés par les époux.

Lorsque cette condition est remplie, il est indifférent que les fonds employés pour leur acquisition soient des biens communs. La communauté n’aura pas droit à récompense. La raison en est que cette catégorie de dépenses relève des charges du mariage.

Aussi, leur répartition est-elle réglée, non pas par le régime légal, mais par le régime primaire impératif et plus précisément par l’article 214 du Code civil qui, pour mémoire, prévoit que « si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à proportion de leurs facultés respectives. »

==> Les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles

L’article 1404, al. 1er du Code civil prévoit expressément que « forment des propres par leur nature […] les actions en réparation d’un dommage corporel ou moral, les créances et pensions incessibles »

Envisageons une à une ces deux catégories de biens incorporels qui sont exclues de la communauté.

2. Les biens propres par nature qui présente un caractère professionnel

Parce que les instruments de travail entretiennent, par hypothèse, un lien particulièrement étroit avec l’époux qui en a l’usage, l’article 1404, al. 2 du Code civil leur reconnaît un caractère propre.

Le principe ainsi posé n’est toutefois pas sans limite. Le texte prévoit une exception lorsque les instruments de travail sont l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation inscrits à l’actif de la communauté.

==> Principe

L’article 1404, al. 2e du Code civil prévoit que « forment aussi des propres par leur nature, mais sauf récompense s’il y a lieu, les instruments de travail nécessaires à la profession de l’un des époux »

Il ressort de cette disposition que tous les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle des époux constituent des biens propres.

Il s’agira notamment des outils et des machines de l’artisan ou encore de l’équipement et des appareils de mesure d’un géomètre, d’un architecte.

Il s’agit, autrement dit, de tout bien dont l’utilisation est indispensable à l’exercice de l’activité professionnelle d’un époux.

Cette exclusion de la masse commune des instruments de travail se justifie par la volonté du législateur d’assurer l’indépendance professionnelle des époux.

Il ne faudrait pas qu’un époux soit empêché de jouir de cette indépendance qui lui est expressément reconnue par l’article 223 du Code civil en raison du véto posé par son conjoint quant à l’accomplissement d’actes de disposition ou d’administration sur ses instruments de travail.

Pour cette raison, les instruments de travail sont des biens propres, ce qui confère à l’époux qui les a acquis un pouvoir de gestion exclusive de ces derniers.

Lorsque toutefois les biens affectés à l’exercice de l’activité professionnelle sont acquis avec des fonds communs, la communauté aura droit à récompense.

C’est là une différence majeure avec les biens propres par nature qui présentent un caractère personnel, leur acquisition ne donnant jamais lieu à récompense quand bien même le coût de cette acquisition est supporté par la communauté.

==> Exception

L’article 1404, al. 2e du Code civil pose une exception au principe d’exclusion des instruments de travail de la masse commune.

Il prévoit en ce sens que ces derniers forment des propres par nature « à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté. »

Lorsque, dès lors, un bien est affecté à l’activité professionnelle d’un époux et que, surtout, il entretient un lien économique avec un fonds de commerce ou une exploitation artisanale, libérale ou agricole, il tombe en communauté.

Aussi, le législateur fait-il primer ici le principe de l’accessoire sur l’existence d’un lien personnel existant entre l’instrument de travail et l’époux qui en a l’usage.

La raison en est que le fonds de commerce est une universalité de fait. Aussi, ne peut-il être appréhendé que comme un tout et non comme un ensemble de biens pris séparément. D’où l’attribution à la communauté des instruments de travail affecté à l’exploitation d’un fonds de commerce.

B) Les biens propres par nature résultant de l’application du principe général institué par l’article 1404

L’article 1404 du Code civil ne se limite pas à établir une liste de biens propres par nature, il pose un principe général qui confère la qualification de propres à « tous les biens qui ont un caractère personnel et tous les droits exclusivement attachés à la personne. »

Aussi, dès lors qu’un bien entretient un lien particulièrement étroit avec la personne d’un époux il est exclu de la masse commune.

Il est indifférent que le bien ait été acquis au cours du mariage et que son acquisition ait été financée par des deniers communs. Ce qui importe c’est que soit établie l’existence d’un lien personnel avec l’époux qui en revendique la propriété.

1. Les biens dont la qualification ne soulève aucune difficulté

À l’analyse, plusieurs biens sont susceptibles de répondre à cette exigence, dont notamment :

2. Les biens dont la qualification soulève une difficulté

Si pour les biens envisagés ci-dessus la qualification de propres ne soulèvera généralement pas de difficulté, il est des cas où la question se posera.

==> Les rentes viagères

Parmi les créances dont sont susceptibles d’être titulaires les époux, il y a les rentes viagères.

Ces créances se distinguent de celles expressément visées par l’article 1404 al. 1er du Code civil en ce que, d’une part, elles sont le plus souvent d’origine conventionnelle et, d’autre part, elles sont cessibles.

Pour cette raison, elles sont exclues du domaine d’application du texte, à tout le moins pris dans sa première partie.

Est-ce à dire qu’elles tombent en communauté ?

C’est la question qui s’est posée en jurisprudence et qui a agité la doctrine avant l’adoption de la loi du 13 juillet 1965.

Lorsqu’une rente viagère est contractée pour le bénéfice d’un époux elle présente indéniablement un caractère personnel.

Pour cette raison, il a très tôt été admis par les juridictions qu’il y avait lieu de faire application de l’article 1404, al. 1er in fine et donc de conférer aux rentes viagères la qualification de biens propres par nature.

Si cette solution se justifie pleinement lorsque la constitution de la rente est intervenue avant la célébration du mariage ou lorsqu’elle a été financée par des deniers propres, une difficulté survient lorsque ce sont des fonds communs qui ont été affectés à la souscription de la rente viagère.

Plus précisément en pareille circonstance la question se pose de savoir si la communauté n’aurait-elle pas droit à récompense ?

Plusieurs situations doivent être distinguées :

==> Le droit au bail

Lorsqu’un époux acquiert au cours du mariage un droit au bail d’aucuns se sont demandé si ce droit ne devait pas être exclu de la masse commune, dans la mesure où il s’agit là d’un droit de créance consenti en considération de la personne de son titulaire.

C’est là une caractéristique du contrat de bail : l’intuitus personae y est particulièrement marqué.

Pour cette raison, il est admis qu’il y avait lieu, par principe, de reconnaître au droit au bail la qualification de bien propre.

Reste que selon que ce droit au bail porte sur un local à usage d’habitation ou sur un local à usage professionnel le statut du locataire diffère.

Le régime applicable n’est pas le même selon qu’il s’agit d’un bail d’habitation, un bail commercial, un bail professionnel ou encore un bail rural.

La question qui alors se pose est de savoir s’il est des statuts de baux qui n’auraient pas une incidence sur le sort du droit au bail acquis par un époux au cours du mariage.

Pour le déterminer, envisageons les baux les plus couramment conclus :

C) Les biens propres par nature résultant d’une disposition spécifique

1. L’assurance vie

Lorsqu’un époux perçoit le capital versé au titre de la souscription d’un contrat d’assurance-vie, la question se pose de la qualification de ce capital : est-ce un bien propre ou un bien commun ?

Pour le déterminer, il convient de distinguer deux situations :

a. Le contrat d’assurance vie a été souscrit par un époux au profit de son conjoint

Un époux peut souscrire un contrat d’assurance vie aux termes duquel il désigne son conjoint comme bénéficiaire d’un capital déterminé en cas de survenance de l’événement prévu au contrat.

Trois formules sont envisageables :

Tandis que les deux premières formules ne soulèvent pas de difficultés dans la mesure où, en cas de réalisation de l’événement prévu au contrat, le capital versé par l’assureur endossera toujours la même qualification, tel n’est pas le cas de la troisième formule qui fait l’objet d’une appréhension particulière.

==> La qualification du capital versé par l’assureur en cas de souscription d’un contrat d’assurance en cas de vie ou en cas de décès

Avant de déterminer quelle qualification endosse le capital versé au conjoint par l’assureur au titre d’un contrat d’assurance en cas de vie ou en cas de décès, arrêtons-nous un instant sur les spécificités de ces deux types de contrat d’assurance vie.

Selon que l’époux souscripteur opte pour l’une ou l’autre formule d’assurance vie, il peut donc désigner son conjoint comme bénéficiaire.

La question qui alors se pose est de savoir, en cas de survenance de l’événement prévu au contrat, quelle qualification endosse par le capital versé par l’assureur au conjoint ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 132-16 du Code des assurances.

Cette disposition prévoit que « le bénéfice de l’assurance contractée par un époux commun en biens en faveur de son conjoint, constitue un propre pour celui-ci. »

Le capital versé par l’assureur au conjoint de l’époux souscripteur est donc exclu de la masse commune.

Qu’en est -il du droit à récompense de la communauté lorsque les primes d’assurance ont été réglées au moyen de deniers communs ?

Le second alinéa de l’article L. 132-16 évacue cette difficulté en disposant que, aucune récompense n’est due à la communauté, en raison des primes payées par elle, sauf dans le cas énoncé à l’article L. 132-13, soit lorsque les sommes versées par le contractant à titre de primes ont été manifestement exagérées eu égard à ses facultés.

Abstraction faite de cette exception, il est donc indifférent que le coût des primes ait été supporté par la communauté : elle n’aura jamais droit à récompense.

==> La qualification du capital versé par l’assureur en cas de souscription d’un contrat d’assurance mixte

Le développement des assurances vie, a conduit les assureurs à élaborer de nouveaux produits d’assurance et notamment à combiner entre elles les assurances en cas de vie et les assurances en cas de décès.

On parle alors de contrats d’assurance mixte. Ce type de contrat présente la particularité de prévoir le versement d’un capital :

Manifestement, le contrat d’assurance mixte présente la particularité de combiner prévoyance et investissement :

Afin de déterminer la qualification à attribuer au capital versé par l’assureur au conjoint selon que l’un ou l’autre événement se réalise, il ressort de la jurisprudence qu’il y a lieu de distinguer deux situations :

b. Le contrat d’assurance vie a été souscrit au profit de l’époux souscripteur lui-même

Lorsqu’un époux souscrit un contrat d’assurance vie, il lui est loisible de se désigner comme bénéficiaire. Il s’agira le plus souvent pour lui de se constituer un pécule qu’il percevra à la retraite.

Quid en pareille hypothèse de la qualification du capital qui lui sera versé par l’assureur en cas de survenance de l’événement prévu au contrat ?

Ainsi qu’il l’a été dit ci-dessus, l’article L. 132-16 du Code des assurances ne s’applique que pour les cas où c’est le conjoint du souscripteur qui a été désigné comme bénéficiaire.

Est-ce à dire que lorsqu’un époux souscrit un contrat d’assurance vie pour son profit personnel, le capital susceptible de lui être versé par l’assureur tombe en communauté ?

Pour répondre à cette question, une étude de la jurisprudence révèle qu’il y a lieu de distinguer selon que le contrat comporte ou non en aléa.

==> Le contrat comporte un aléa

Le contrat comportera un aléa lorsque le souscripteur optera :

Si on laisse de côté les contrats d’assurance mixte dont on a étudié les spécificités précédemment, reste à déterminer la qualification du capital versé à l’époux souscripteur en cas de conclusion d’un contrat d’assurance en cas de vie ou en cas de décès.

Bien que l’article L. 132-16 du Code des assurances ne soit ici pas applicable dans la mesure où le bénéficiaire du contrat n’est pas le conjoint mais le souscripteur lui-même, il est majoritairement admis que le capital versé en cas de réalisation de l’événement prévu au contrat constitue un bien propre par nature.

Pour les tenants de cette thèse, dans la mesure où le droit portant sur le capital du contrat d’assurance vie demeure exclusivement attaché à la personne du souscripteur, il y aurait lieu de faire application de l’article 1404 du Code civil.

Pour la doctrine, il est indifférent que le coût des primes d’assurance ait été supporté par la communauté, cette disposition s’applique en tout état de cause.

Reste la question du droit à récompense au profit de la communauté. Les auteurs sont partagés sur cette question.

Si l’on raisonne toutefois par analogie avec la constitution par un époux d’une rente viagère à son profit personnel, un droit à récompense devrait être reconnu à la communauté.

==> Le contrat ne comporte pas d’aléa

Dans le Code des assurances, les contrats d’assurance vie sont logés sous un même chapitre que les contrats de capitalisation (V. en ce sens les articles L. 132-1 à L. 132-27-2)

Pour autant, ces deux variétés de contrats portent sur des opérations très différentes :

La distinction entre les contrats d’assurance vie et les contrats de capitalisation est déterminante s’agissant du sort du capital versé au bénéficiaire du contrat.

La jurisprudence considère, en effet, que lorsque le contrat souscrit par un époux relève des opérations de capitalisation, le capital versé à l’échéance ou par anticipation tombe en communauté (Cass. 1ère civ. 26 mai 1982).

La raison en est que, faute de comporter un aléa, les contrats de capitalisation sont insusceptibles de se voir appliquer l’article L. 132-16 du Code des assurances.

Le domaine d’application de cette disposition est circonscrit aux seuls contrats d’assurance vie, soit ceux dont l’exécution dépend de la survenance d’un événement incertain.

Quant à l’application de l’article 1404 du Code civil, elle est également exclue dans la mesure où les contrats de capitalisation s’analysent en des opérations d’investissements. Or les produits de telles opérations s’apparentent à des économies

Aussi, à l’instar des gains et salaires déposés sur un compte d’épargne, les fonds perçus au titre d’un contrat de capitalisation tombent-ils sous le coup de la qualification d’acquêts au sens de l’article 1401 du Code civil

2. La créance de salaire différé

Lorsque des époux collaborent dans le cadre d’une exploitation agricole, le conjoint du chef d’entreprise peut se voir appliquer plusieurs statuts.

Parmi les statuts prévus par la loi, le conjoint peut notamment opter pour celui de collaborateur.

Ce statut présente l’avantage de conférer une protection sociale au conjoint de l’agriculteur.

Ainsi, bénéficie-t-il de droits personnels à la retraite (régime de base et complémentaire) et a vocation à percevoir une pension en cas d’invalidité ainsi que certaines prestations en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.

Autre avantage du statut de collaborateur : lors du décès de l’exploitant, le conjoint collaborateur a droit au versement d’une créance, dite de salaire différé, prélevée sur la succession lorsqu’il aura participé « directement et effectivement », pendant au moins 10 ans, à l’activité de l’exploitation.

L’article L. 321-21-1 du Code rural prévoit en ce sens que le conjoint survivant du chef d’une exploitation agricole ou de l’associé exploitant une société dont l’objet est l’exploitation agricole qui justifie par tous moyens avoir participé directement et effectivement à l’activité de l’exploitation pendant au moins dix années, sans recevoir de salaire ni être associé aux bénéfices et aux pertes de celle-ci, bénéficie d’un droit de créance d’un montant égal à trois fois le salaire minimum de croissance annuel en vigueur au jour du décès dans la limite de 25 % de l’actif successoral.

À l’examen, ce n’est pas tant le statut de collaborateur qui confère au conjoint survivant ce droit de créance de salaire différé, mais la situation de fait consistant à avoir participé directement et effectivement à l’activité de l’exploitation sans avoir perçu de salaire, ni de part de bénéfice.

Quant à la qualification de cette créance de salaire différé, se pose inévitablement la question de savoir si elle est constitutive d’un bien propre ou si elle a vocation à tomber en communauté ?

Pour le déterminer, il convient de se reporter à l’article L. 321-14 du Code rural. Cette disposition prévoit que « le bénéfice du contrat de travail à salaire différé constitue pour le descendant de l’exploitant agricole un bien propre dont la dévolution, par dérogation aux règles du droit civil et nonobstant toutes conventions matrimoniales, est exclusivement réservée à ses enfants vivants ou représentés. »

Aussi, la créance de salaire différé est purement et simplement exclue de la masse commune.

Pourquoi une telle différence de traitement entre le salaire différé octroyé aux ayants droit de l’exploitant agricole et les gains et salaires perçus par un époux au titre de l’exercice d’une activité professionnelle ordinaire ?

Pour la doctrine, la justification de ce traitement différencié réside dans la date d’exigibilité de la créance.

Tandis que la créance de gains et salaires est exigible à mesure que la prestation de travail est exécutée, la créance de salaire différé devient, quant à elle, exigible au décès de l’exploitant agricole.

Aussi s’apparente-t-il moins en la contrepartie d’un travail qu’en une part successorale complémentaire.

Or conformément à l’article 1405 du Code civil, « restent propres les biens que [les époux] acquièrent, pendant le mariage, par succession, donation ou legs. »

Il est donc parfaitement cohérent, au regard du principe général posé par cette disposition, que la créance de salaire différé ne soit pas inscrite à l’actif de la communauté.

3. Les œuvres de l’esprit

Les créations protégées par le droit de la propriété littéraire et artistique sont celles qui répondent au critère d’originalité.

Par originalité, il faut entendre, selon la définition désormais consacrée, « l’empreinte de la personnalité de l’auteur sur son œuvre » (CA Paris, 1re ch., 1er avril 1957).

À cet égard, originalité ne signifie pas nécessairement esthétisme, contrairement à ce qui a pu être soutenu par certaines auteurs[3].

L’article L 112-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit en ce sens que le droit de la propriété littéraire et artistique protège « les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination ».

Il est ainsi admis que les logiciels bénéficient de la protection du droit d’auteur. Ils figurent d’ailleurs dans la liste des œuvres de l’esprit dressée par l’article L. 112-2 du CPI).

Quoi qu’il en soit, dès lors que la condition d’originalité est remplie, l’œuvre est constitutive d’un bien susceptible d’exploitation économique.

À cet égard, l’œuvre est source de valeur en ce que :

==> L’œuvre comme objet de droits moraux et patrimoniaux

Le Code de la propriété intellectuelle confère à l’auteur sur son œuvre deux catégories de droits :

Tandis que les premiers sont librement cessibles et peuvent donc faire l’objet d’une exploitation commerciale, les seconds sont inaliénables à telle enseigne qu’ils sont regardés comme des droits personnels.

En raison de la nature hybride de l’œuvre de l’esprit qui, tout à la fois, est un bien économique et une chose hors du commerce, la question s’est rapidement posée de savoir si elle tombait en communauté ou si elle était constitutive d’un bien propre.

Pour le déterminer, il y a lieu d’envisager successivement la qualification des droits moraux et des droits patrimoniaux.

Si donc les droits patrimoniaux et moraux dont est titulaire l’auteur sur son œuvre sont des biens propres, tel n’est, en revanche, pas le cas pour revenus générés par l’exploitation de l’œuvre.

==> L’œuvre comme source de revenus d’exploitation

L’article L. 121-9, al. 2e du CPI prévoit que « les produits pécuniaires provenant de l’exploitation d’une œuvre de l’esprit ou de la cession totale ou partielle du droit d’exploitation sont soumis au droit commun des régimes matrimoniaux »

Il ressort de cette disposition que les gains perçus par l’auteur au titre de l’exploitation de son œuvre ont vocation à tomber en communauté.

Cette solution se justifie en ce que ces gains s’apparentent à des acquêts au sens de l’article 1401 du Code civil.

Le principe général posé par ce texte est que toute rémunération perçue par un époux au titre de l’exercice de son activité professionnelle au cours du mariage, peu importe que cette activité soit subordonnée ou indépendante, est constitutive d’un bien commun.

Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de réserver un traitement particulier pour les redevances versées à un auteur en contrepartie du travail de création intellectuelle fourni.

Reste que deux questions se posent : quid de la qualification des revenus perçus par l’auteur lorsque l’œuvre a été créée avant la célébration du mariage et quid lorsque les revenus sont versés à l’auteur postérieurement à la dissolution du mariage.

==> L’œuvre comme chose corporelle susceptible d’exploitation

L’œuvre n’est pas seulement un objet de droits patrimoniaux et moraux pour son auteur, elle lui procure également les utilités d’une chose corporelle.

La jouissance d’un tableau, d’une sculpture ou encore d’un vase est un privilège est un attribut du droit de propriété dont on s’est demandé si, à l’instar des droits intellectuels, appartenait en propre à l’auteur ou s’il avait vocation à tomber en communauté.

Dans le silence des textes et notamment de la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique dont est issu l’article L. 121-9 du Code de la propriété intellectuelle, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de se prononcer.

À l’examen, il y a lieu de distinguer selon que l’œuvre a ou non été divulguée, étant précisé que la divulgation.

Si l’on s’en tient aux solutions retenues dans les arrêts Bonnard et Picabia, il serait donc indifférent que l’œuvre, en tant que chose corporelle, ait été divulguée : dans tous les cas elle constituerait un bien commun composant la masse partageable.

Reste que ces décisions ont été rendues dans le cadre d’affaires jugées sous l’empire du droit antérieur à la loi n°57-298 du 11 mars 1957 sur la propriété littéraire et artistique et à la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux ce qui avait conduit une frange de la doctrine à minimiser leur portée.

Dans un arrêt du 12 mai 2011, la Cour de cassation a refroidi les ardeurs de certains auteurs en reconduisant la solution qu’elle avait adoptée près d’un quart de siècle plus tôt.

Dans cette décision elle considère que la cour d’appel qui a constaté que par son testament olographe, le défunt avait légué à sa fille le droit moral et le droit pécuniaire qui lui avaient été transmis par son père dont il était l’unique héritier, en déduit à bon droit, « conformément à la règle selon laquelle la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel, que le support matériel des œuvres de ce dernier, qui lui était échu pendant son mariage à titre de succession, était entré en communauté, de sorte que les tableaux litigieux devaient, en tant que biens corporels, être portés à l’actif de la communauté, peu important qu’ils n’aient pas été divulgués » (Cass. 1ère civ. 12 mai 2011, n°10-15667).

Deux enseignements peuvent être retirés de cette décision :

III) Les biens propres par rattachement

Il est certains biens qui, alors même qu’ils ont été acquis à titre onéreux au cours du mariage, sont malgré tout susceptibles de recevoir la qualification de bien propre.

Cette dérogation au principe d’inscription des acquêts à l’actif de la communauté se justifie par l’existence d’un lien matériel, économique ou juridique entre le bien que l’on soustrait à la masse commune et un bien qui appartient personnellement à l’un des époux.

Pour assurer la cohérence de la propriété de ces deux biens, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de prévoir une unité de régime à la faveur de la qualification de bien propre.

À cet égard, l’intégration du bien acquis à titre onéreux au cours du mariage dans le patrimoine personnel d’un époux par rattachement à un bien propre se rencontrera dans trois situations :

A) Les biens acquis à titre accessoire d’un propre

L’article 1406, al. 1er du Code civil prévoit que « forment des propres, sauf récompense s’il y a lieu, les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre ».

Cette disposition issue de la loi du 13 juillet 1965, ne fait que reprendre les solutions jurisprudentielles antérieures.

En ne précisant pas néanmoins si le lien de rattachement existant entre le bien acquis à titre onéreux et un bien propre devait être matériel, économique ou juridique, le législateur a entendu pourvoir la règle d’un domaine d’application pour le moins étendu.

Dès lors, en effet, qu’un bien entretient un rapport d’accessoire à principal avec un propre, il est susceptible d’intégrer le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.

À l’analyse, ce rapport d’accessoire à principal est susceptible de se retrouver dans trois situations :

==> L’acquisition d’un bien par voie d’accession

L’accession est envisagée à l’article 712 du Code civil comme un mode d’acquisition originaire de la propriété, tant mobilière, qu’immobilière.

Plus précisément elle est l’expression du principe aux termes duquel « l’accessoire suit le principal » (accessorium sequitur principale).

Les règles qui régissent l’accession visent, en effet, à étendre l’assiette du droit de propriété aux accessoires de la chose qui en est l’objet.

L’article 546 du Code civil dispose en ce sens « la propriété d’une chose soit mobilière, soit immobilière, donne droit sur tout ce qu’elle produit, et sur ce qui s’y unit accessoirement soit naturellement, soit artificiellement. »

La particularité du « droit d’accession » dont est investi le propriétaire est qu’il lui confère un droit de propriété sur les accessoires de la chose, sans qu’il lui soit besoin accomplir un acte de volonté ou une prise de possession du bien à l’instar de l’occupation.

Pour exemple, le propriétaire d’un fonds acquiert automatiquement la propriété de toutes les constructions élevées sur ce fonds, tout autant que lui reviennent les fruits produits par les arbres qui y sont plantés.

S’agissant d’un bien qualifié de propre sous le régime légal, l’article 1406, al. 1er du Code civil autorise donc à faire jouer la règle de l’accession.

L’application de cette règle conduit à étendre la propriété à tout ce qui s’unit et s’incorpore au bien propre. La conséquence en est que le nouveau bien – augmenté – intégrera le patrimoine personnel de l’époux propriétaire.

À cet égard, l’accession peut prendre deux formes différentes :

S’agissant de cette seconde forme d’accession, il peut être observé que les règles applicables diffèrent selon que l’incorporation intéresse des immeubles ou des meubles.

==> L’acquisition d’un bien à titre de simple accessoire

Comme vu précédemment, la seule exigence posée à l’article 1406, al. 1er du Code civil pour qu’un bien acquis à titre onéreux au cours du mariage rejoigne le patrimoine personnel de l’époux acquéreur est qu’il entretienne un rapport d’accessoire à principal avec un propre.

Il n’est donc pas nécessaire d’établir que les deux biens sont unis par un lien matériel et notamment que l’un s’est incorporé à l’autre. Il est admis que l’existence d’un simple lien d’affectation économique entre eux suffit à faire jouer la règle énoncée à l’article 1406 du Code civil.

Aussi, en application de cette règle, reçoit la qualification de propre par accessoire le bien qui est affecté au service d’un bien propre.

Concrètement, cette affectation pourra consister à acquérir un bien aux fins de développer une exploitation commerciale, artisanale, libérale ou agricole appartenant en propre à l’un des époux.

Pour que le bien affecté à l’exploitation soit qualifié de bien propre, encore faut-il que deux éléments cumulatifs soient réunis :

Il a été fait application de ces critères notamment dans un arrêt du 23 janvier 1979 aux termes duquel la Cour de cassation a reconnu la qualification de biens propres à des marchandises qui avaient été acquises en vue de reconstituer le stock d’un fonds de commerce appartenant à titre personnel à un époux (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 janv. 1979, n°77-12898).

Dans un arrêt du 8 novembre juin 1989 la première chambre civile est venue préciser qu’il était indifférent que l’acquisition du bien affecté au service d’un propre ait été financée avec des deniers communs.

Pour la Cour de cassation dès lors que ce bien a été acquis à titre accessoire d’un propre, il endosse la qualification de bien propre (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°87-12698).

Cette solution a été reconduite à plusieurs reprises, notamment dans une décision rendue le 4 janvier 1995 (Cass. 1ère civ. 4 janv. 1995, n°92-20013).

Dans un arrêt remarqué du 17 décembre 1996 la Cour de cassation a néanmoins apporté un tempérament à la règle énoncée à l’article 1406, al. 1er du Code civil.

La première chambre civile a en effet jugé que lorsque les biens sont affectés à une exploitation nouvelle se distinguant de celle appartenant en propre à l’un des époux, ils tombent en communauté.

Dans cette décision, où il était question du développement d’une exploitation viticole, la Cour de cassation a décidé que « cette activité était différente de celle exercée par le mari avant le mariage et s’adressait à une nouvelle clientèle de sorte que les biens acquis par les époux ne constituaient pas les accessoires de l’exploitation appartenant en propre au mari » (Cass. 1ère civ. 17 déc. 1996, n°94-21989). L’application de l’article 1406, al. 1er du Code civil est ainsi écarté.

==> La réalisation d’une plus-value sur un bien propre

Autre accessoire susceptible de donner lieu à la qualification de bien propre par rattachement, les plus-values réalisées par un époux sur un bien lui appartenant à titre personnel.

S’il a toujours été admis que les plus-values qui ont pour cause le contexte économique et notamment la dépréciation monétaire devaient être exclues de la masse commune (V. en ce sens Cass. civ. 3 nov. 1954), un débat s’est ouvert sur celles résultant du travail fourni par un époux.

Deux approches sont envisageables :

Non sans avoir hésité, la jurisprudence a finalement opté pour la seconde approche, considérant, au surplus, que la communauté n’avait pas droit à récompense.

Dans un arrêt du 5 avril 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « la plus-value procurée par l’activité d’un époux ayant réalisé lui-même certains travaux sur un bien qui lui est propre, ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté » (Cass. 1ère civ. 5 avr. 1993, n°91-15139).

Elle a réaffirmé sa position plus récemment sa position dans une décision rendue le 26 octobre 2011 (Cass. 1ère civ. 26 oct. 2011, n°10-23994).

B) Les accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres

L’article 1406 du Code civil ne se limite pas à conférer la qualification de biens propres aux biens acquis à titre accessoire d’un propre, il attribue également cette qualification aux « valeurs nouvelles et autres accroissements se rattachant à des valeurs mobilières propres. »

L’article L. 228-1 du Code de commerce définit les valeurs mobilières comme constituant des titres financiers, lesquels, en application de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier, se subdivisent en trois catégories :

Les valeurs mobilières présentent la particularité d’être librement négociables et d’être transmissibles par simple virement de compte à compte, échappant ainsi au formalisme de la cession de créance.

Surtout, les valeurs mobilières confèrent des droits pécuniaires à leur propriétaire.

Au nombre de ces droits, certains consistent à octroyer au porteur la faculté d’acquérir de nouvelles valeurs mobilières. Tel est le cas du droit de préférentiel de souscription.

Ce droit confère la possibilité à un actionnaire de souscrire de nouvelles actions en priorité en cas d’augmentation du capital social de la société émettrice.

Lorsque la valeur mobilière qui est assortie d’un droit préférentiel de souscription appartient en propre à un époux, l’application de l’article 1406, al. 1er in fine du Code civil conduit à qualifier les nouvelles actions acquises au titre de l’exercice du droit préférentiel de biens propres.

La raison en est que ces actions constituent un accroissement se rattachant à la valeur mobilière détenue en propre. Elles suivent donc le même sort.

Il a été admis que la règle trouvait également à s’appliquer en cas d’attribution gratuite d’actions aux actionnaires dans le cadre d’une augmentation de capital par incorporation des réserves.

La solution n’était pour autant pas acquise. D’aucuns se sont, en effet, demandé si les parts sociales émises dans le cadre d’une incorporation de réserves ne devaient pas être appréhendés comme des revenus de biens propres.

Or conformément à la position prise par la Cour de cassation dans l’arrêt « Authier » rendu en date du 31 mars 1992, les revenus de propres tombent en communauté (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-17212).

Dans un arrêt du 12 décembre 2006, si la Cour de cassation a répondu par la négative à cette question en jugeant que « les bénéfices réalisés par une société ne deviennent des fruits ou des revenus de biens propres, susceptibles de constituer des acquêts de communauté, que lorsqu’ils sont attribués sous forme de dividende », ce qui n’est pas le cas en cas d’attribution de parts nouvelles.

Aussi, la Première chambre civile opère-t-elle ici une distinction entre l’emploi des réserves aux fins de distribution de dividendes et l’emploi des réserves aux fins d’attribution d’actions nouvelles.

Dans sa décision du 12 décembre 2006, la Cour de cassation a pris le soin de préciser que « la communauté, qui n’a pas financé l’acquisition des […] parts nouvelles attribuées gratuitement à [l’époux actionnaire] en conséquence de l’incorporation de réserves, qui ne sont pas des biens de la communauté, ne peut prétendre à récompense du fait de l’augmentation du capital social, aucun prélèvement sur des fonds communs n’ayant été opéré à cette occasion » (Cass. 1ère civ. 12 déc. 2006, n°04-20663).

Ainsi, pour la Cour de cassation, dans la mesure où l’incorporation des réserves dans le capital social n’opère aucun transfert de valeur entre le patrimoine de l’époux actionnaire et la masse commune, il n’y a pas lieu d’octroyer un droit à récompense à la communauté en contrepartie de la réservation en propre des actions attribuées dans le cadre de l’opération d’augmentation du capital social.

C) L’acquisition de parts indivises par un époux indivisaire

L’article 1408 du Code civil prévoit que « l’acquisition faite, à titre de licitation ou autrement, de portion d’un bien dont l’un des époux était propriétaire par indivis, ne forme point un acquêt, sauf la récompense due à la communauté pour la somme qu’elle a pu fournir. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un époux est propriétaire de parts indivises sur un bien, en cas de rachat des parts d’un ou plusieurs coindivisaires, les parts acquises lui appartiennent en propre.

Cette règle se justifie par la nécessité d’éviter de créer une situation d’indivision dans l’indivision.

En effet, tandis que la part originaire serait un bien propre, les parts indivises nouvellement acquises seraient communes.

Animé par une volonté d’assurer l’unité de la propriété, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de déroger au principe d’inscription à l’actif de la communauté des biens acquis à titre onéreux au cours du mariage.

À cet égard, dans un arrêt du 13 octobre 1993, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « les dispositions de l’article 1408 du Code civil tendant à mettre fin à l’indivision sont impératives, de telle sorte qu’il n’est pas permis aux époux d’y déroger » (Cass. 1ère .civ. 13 oct. 1993, n°91-21132).

==> Domaine

Par ailleurs, il peut être observé que le domaine d’application de la règle est pour le moins étendu.

Il est indifférent que le bien faisant l’objet d’une indivision soit un meuble ou un immeuble. L’article 1408 vise tous les biens sans distinguer.

Cette disposition ne distingue pas non plus selon que la situation d’indivision procède d’une succession, d’une libéralité ou encore d’une acquisition commune.

La seule exigence posée par le texte est que l’acquisition de la part indivise nouvelle soit intervenue à titre onéreux.

Si, en effet, il s’agit d’une acquisition à titre gratuit, c’est l’article 1405 du Code civil qui a vocation à s’appliquer. Le résultat obtenu n’en sera pas moins le même. Que l’on mobilise l’article 1408 ou que l’on fasse jouer l’article 1405, dans les deux cas la part indivise acquise endossera la qualification de bien propre.

Lorsque néanmoins c’est l’article 1408 qui s’applique et que l’acquisition a été réalisée au moyen de deniers communs, le texte prévoit expressément que la communauté aura droit à récompense.

==> Cas particulier du conjoint acquéreur

Si l’application de l’article 1408 du Code civil ne soulève pas vraiment de difficulté lorsque les parts indivises sont acquises par l’époux qui est déjà indivisaire, la question est plus délicate lorsque c’est le conjoint de ce dernier qui se porte acquéreur.

En effet, le texte ne précise pas si, pour être applicable, c’est l’époux indivisaire qui doit être l’auteur de l’acquisition. Quid dans l’hypothèse où c’est le conjoint ?

Faire application systématique de l’article 1408 en cas d’acquisition des parts indivises par le conjoint est susceptible de conduire à imposer à l’époux indivisaire d’acquérir ces parts en propre alors même qu’il ne le souhaite peut-être pas.

Il y a là, manifestement, un risque que la règle impérative énoncée par l’article 1408 porte une atteinte excessive à la liberté individuelle. Reste que cette disposition est silencieuse sur ce point.

Afin de surmonter cette difficulté, les auteurs suggèrent de distinguer plusieurs situations :

IV) Les biens propres par subrogation

==> Ratio legis

Au cours du mariage les époux sont conduits à accomplir des actes de gestion et de disposition sur leurs biens propres. Ces actes pourront notamment consister à remplacer un bien propre par un autre bien.

Il en sera ainsi lorsqu’un époux emploiera des fonds personnels pour financer une acquisition ou encore lorsqu’il aliénera un bien propre et affectera le produit de la vente au rachat d’un autre bien.

Parce qu’il s’agit d’acquisitions réalisées à titre onéreux au cours du mariage, en application du principe posé à l’article 1401 du Code civil, les biens acquis devraient, en toute rigueur, tomber en communauté.

Reste qu’une application trop rigide de ce principe aux opérations envisagées ici serait de nature à priver, de fait, les époux de la faculté de gérer librement leurs biens propres.

Si en effet, tout acte visant à remplacer un propre par un autre bien est susceptible de faire tomber le bien acquis en communauté, les époux y renonceront par souci de préservation de la consistance de leur patrimoine personnel.

La communauté instituée sous le régime légal a certes été pensée comme ayant vocation à capter toutes les valeurs économiques qui pénètrent la sphère patrimoniale des époux.

Il a néanmoins toujours été admis que son pouvoir d’attraction devait être cantonné pour que puisent subsister, voire se développer les patrimoines propres, faute de quoi le système mis en place aurait un effet repoussoir.

Aussi, afin d’éviter que les prétendants au mariage ne se détournent du régime légal à la faveur d’un autre régime matrimonial, fallait-il leur permettre de conserver leur patrimoine propre nonobstant les changements susceptibles d’affecter sa consistance.

Pour ce faire, le législateur a estimé qu’il y avait lieu de déroger au principe d’inscription à l’actif commun des biens acquis à titre onéreux au cours du mariage s’agissant des actes accomplis par les époux visant à remplacer un bien propre par un autre.

L’article 1406, al. 2e du Code civil prévoit en ce sens que « forment aussi des propres, par l’effet de la subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des propres, ainsi que les biens acquis en emploi ou remploi, conformément aux articles 1434 et 1435. »

L’article 1407, al. 1er ajoute que « le bien acquis en échange d’un bien qui appartenait en propre à l’un des époux est lui-même propre, sauf la récompense due à la communauté ou par elle, s’il y a soulte. »

Il ressort de ces dispositions que, en cas de subrogation réelle portant sur un bien propre, le bien nouvellement acquis reste propre.

==> La subrogation réelle

Pour mémoire, la subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

Lorsque, dès lors, la subrogation porte sur un bien propre, les droits de l’époux propriétaire de ce bien sont inchangés : le nouveau bien reste propre.

L’article 1406 distingue néanmoins selon que la subrogation opère de plein droit ou selon que ses effets sont subordonnés à une manifestation de volonté.

A) La subrogation de plein droit

Il s’infère des articles 1406 et 1407 du Code civil que la subrogation réelle produira de plein droit ses effets, soit sans qu’il soit besoin aux époux d’accomplir un acte, dans deux hypothèses :

À ces deux hypothèses, la jurisprudence en a envisagé une troisième qui s’intercale entre les deux : les parts sociales et valeurs mobilières acquises en contrepartie de l’apport d’un bien propre.

1. Les créances et indemnités qui remplacent un propre

L’article 1406, al. 2e du Code civil prévoit donc que forment des propres par l’effet de la subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des propres.

La question qui immédiatement se pose est de savoir quelles sont les créances et indemnités visées par ce texte.

Qu’il s’agisse d’une indemnité ou d’une créance de prix venant en remplacement d’un bien propre, dans les deux cas elles emprunteront à ce dernier sa nature, de sorte qu’elles constitueront elles aussi des biens propres.

À cet égard, il importe d’observer que la somme d’argent perçue en règlement de la créance d’indemnité ou de prix sera également qualifiée de bien propre.

Aussi, en application des articles 225 et 1428 du Code civil l’époux auquel elle appartient en aura la libre disposition.

Si néanmoins cet époux emploie la somme d’argent encaissée aux fins d’acquisition d’un nouveau bien, il lui appartiendra d’accomplir des formalités d’emploi ou de remploi, faute de quoi le bien acquis tombera en communauté.

2. L’acquisition d’un bien en échange d’un propre

En application de l’article 1407 du Code civil, lorsqu’un bien est acquis en échange d’un propre il reste propre, sauf à ce que la soulte réglée par la communauté soit supérieure à la valeur du bien échangé.

==> Principe

L’article 1407, al. 1er du Code civil prévoit que « le bien acquis en échange d’un bien qui appartenait en propre à l’un des époux est lui-même propre, sauf la récompense due à la communauté ou par elle, s’il y a soulte. »

Il ressort de cette disposition que, en cas d’échange d’un bien propre contre un autre bien, par l’effet de la subrogation réelle, le bien acquis reste propre.

Comme pour les créances et indemnités perçues en remplacement d’un propre, la subrogation réelle opère ici de plein droit. Il n’est donc pas besoin pour l’époux qui échange un bien propre, qu’il accomplisse une quelconque formalité aux fins de conserver dans son patrimoine le bien qui lui a été délivré.

Reste qu’il est rare que les deux biens échangés aient la même valeur. Aussi, l’échange est-il susceptible de donner lieu au paiement d’une soulte.

Par soulte, il faut entendre la somme d’argent qui vise à compenser la différence de valeur des biens échangés.

En cas de soulte due par l’époux partie à l’opération d’échange, l’article 1407, al. 1er in fine prévoit qu’une récompense sera due à la communauté dans l’hypothèse où cette soulte serait réglée au moyen de deniers communs.

Le bien acquis n’en conservera pas moins sa nature propre, sauf à ce que le montant de la soulte soit supérieur à la valeur du bien échangé.

==> Exception

L’article 1407, al.2e du Code civil prévoit que « si la soulte mise à la charge de la communauté est supérieure à la valeur du bien cédé, le bien acquis en échange tombe dans la masse commune, sauf récompense au profit du cédant. »

Ainsi, par exception au principe posé à l’alinéa 1er, cette disposition fait-elle tomber en communauté le bien acquis en échange d’un bien propre lorsque deux conditions cumulatives sont réunies :

C’est là une application de la règle Major pars trahit ad se minorem, qui signifie littéralement « la plus grande partie attire à elle la moindre ».

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où le montant de la soulte réglée par la communauté était supérieur à la valeur du bien échangé, l’opération s’analysait moins comme un échange, que comme une acquisition.

Bien qu’assortie d’une dation en paiement, puisqu’incluant la délivrance d’un bien en guise de paiement d’une fraction du prix, cette acquisition transforme le bien échangé en acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a aliénée, l’article 1407, al. 2e prévoit que le cédant a droit à récompense.

S’agissant des frais susceptibles d’être exposés dans le cadre de l’opération d’échange, les auteurs suggèrent d’en tenir compte afin de déterminer la part réelle de la contribution de la communauté quant au règlement de la soulte.

Pour illustrer cette règle, prenons l’exemple d’un bien propre valant 1000 euros qui serait échangé contre un bien valant 1900 euros, les frais de l’opération s’élevant quant à eux à 200 euros.

À supposer que la communauté assure la prise en charge de la soulte à hauteur 900 euros. Les frais d’acquisition sont également réglés par des deniers communs.

Dans cette hypothèse, selon la méthode de calcul adoptée, le bien nouvellement acquis est susceptible d’être propre ou commun.

Pour la doctrine, c’est cette seconde méthode de calcul qui doit présider à l’application de la règle Major pars trahit ad se minorem, la première méthode préjudiciant aux intérêts de la communauté.

Quant à la jurisprudence, elle ne s’est pas encore prononcée sur cette question, de sorte que la règle n’est pas encore fixée.

Quoi qu’il en soit, les règles énoncées à l’article 1407 du Code civil sont d’ordre public. Il en résulte qu’il est fait interdiction aux époux de déroger à la loi de la majorité. Ils ne peuvent donc pas qualifier, par voie de convention, le bien acquis de propre alors qu’il a vocation à tomber en communauté et inversement.

3. L’acquisition de parts sociales ou valeurs mobilières en contrepartie de l’apport d’un bien propre

À la croisée de l’échange et du remplacement d’un bien par une créance, il est une opération pour laquelle on s’est demandé si la subrogation réelle opérant de plein droit ne pouvait pas jouer.

Il s’agit de l’hypothèse, où des parts sociales ou des valeurs mobilières sont attribuées à un époux en contrepartie de l’apport d’un bien propre.

Par un arrêt du 21 novembre 1978, la Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette question.

Dans cette décision, la Première chambre civile a jugé que « l’opération par laquelle l’apporteur et la société se donnent respectivement un bien détermine et des valeurs contre ce bien a pour effet de faire entrer les valeurs dans le patrimoine de l’apporteur »

Elle en déduit « qu’il est donc indifférent qu’au moment de l’opération l’apporteur n’ait pas fait la déclaration prévue par l’article 1434 du code civil » (Cass. 1ère civ. 21 nov. 1978, n°76-13275).

Les parts d’intérêts et autres valeurs mobilières représentant un apport de biens propres ont donc vocation à rester dans le giron du patrimoine personnel de l’époux apporteur.

Cette solution a été étendue par la Cour de cassation à l’hypothèse d’une substitution de valeurs mobilières acquises par un époux au cours du mariage en contrepartie de celles qui lui appartenaient en propre (Cass. 1ère civ. 19 nov. 2008, n°07-17435).

Pour que la subrogation réelle puisse opérer de plein droit, encore faut-il, précise la première chambre civile, que la substitution de valeurs mobilières présente un caractère direct et immédiat.

Tel sera le cas lorsque cette substitution interviendra dans le cadre de la gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières.

Lorsque, en revanche, la substitution s’étirera dans le temps, la subrogation réelle ne pourra pas opérer de plein droit.

Dans un arrêt du 5 mars 1991, la Cour de cassation a ainsi décidé que lorsque qu’un époux acquiert des parts sociales au moyen du produit de la vente d’un bien propre cédé préalablement à la société, pour conserver ces parts dans son patrimoine personnel, il doit accomplir une déclaration de remploi.

À défaut, les parts d’intérêts acquises tombent en communauté (Cass. 1ère civ. 5 mars 1991, n°87-18298).

B) La subrogation subordonnée à une manifestation de volonté

Alors que la subrogation réelle opère de plein droit en cas de remplacement d’un propre par une créance ou une indemnité ainsi qu’en cas d’acquisition d’un bien en échange d’un propre, il est des cas où, pour produire ses effets, la subrogation supposera une manifestation de volonté, faute de quoi le bien acquis tombera en communauté.

Ce cas de figure est envisagé à l’article 1406, al. 2e in fine du Code civil qui prévoit que « forment aussi des propres, par l’effet de la subrogation réelle […] les biens acquis en emploi ou remploi, conformément aux articles 1434 et 1435. »

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par emploi et remploi.

Le point commun entre les opérations d’emploi et de remploi réside donc dans l’existence d’une phase monétaire dans le processus d’acquisition du bien[5].

Autrement dit, tant en cas d’emploi, qu’en cas de remploi, l’acquisition du bien a pour contrepartie le règlement d’un prix au moyen de deniers. Tantôt ces deniers sont propres, tantôt ils sont issus de la vente d’un bien propre.

À l’analyse, la substitution de biens réalisée par la subrogation subordonnée à une manifestation de volonté s’opère dans le sens inverse de celle envisagée dans les cas où la subrogation produit ses effets de plein droit.

Il ne s’agit pas ici de remplacer un propre aux fins d’octroi d’une somme d’argent ou d’un bien en nature, mais d’employer une somme d’argent en vue d’acquérir un bien.

Lorsque dès lors c’est une opération d’emploi ou de remploi qui est à l’œuvre, la subrogation réelle est impuissante à produire ses effets, soit à maintenir le bien acquis dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur.

Pour que cette subrogation puisse jouer, ce dernier devra satisfaire les conditions énoncées aux articles 1434 et 1435 du Code civil.

1. Les conditions de l’emploi et du remploi

1.1 Les éléments de l’emploi et du remploi

==> Des deniers propres

L’opération d’emploi ou de remploi sera caractérisée lorsque les deniers employés sont propres.

La provenance de ces deniers est indifférente, pourvu qu’ils appartiennent personnellement à l’époux acquéreur. Aussi, leur caractère propre peut tenir, tant à leur nature, qu’à leur origine.

À cet égard, c’est parce qu’ils peuvent également provenir de la vente d’un bien propre que les opérations d’emploi et de remploi sont assujetties au même régime juridique.

Dans un arrêt du 5 janvier 1999, la Cour de cassation est venue préciser qu’il n’était pas nécessaire que les deniers propres affectés à l’acquisition d’un nouveau bien soient ceux-là même qui ont figuré dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur au jour du mariage ou au moment de leur perception

Dans cette affaire, où les deniers provenaient de la vente d’un propre, la Première chambre civile a estimé en ce sens qu’« il suffit que ces deniers représentent le prix ou la valeur de l’aliénation d’un bien propre de l’époux, sans qu’il soit nécessaire que ces deniers soient exactement ceux provenant de cette aliénation » (Cass. 1ère civ. 5 janv. 1999, n°96-11512).

La solution s’explique par la fongibilité de la monnaie. Il importe donc peu que les deniers propres aient été mélangés avec des fonds communs. Un tel mélange est insusceptible de les faire tomber en communauté.

Pour que le bien acquis ne rejoigne pas le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, le conjoint devra démontrer, soit que les fonds employés ne lui ont jamais appartenu en propre, soit qu’ils ont déjà fait l’objet d’un emploi ou d’un remploi, de sorte que son droit de les affecter à l’acquisition d’un bien propre est épuisé.

==> Des deniers affectés à l’acquisition d’un bien

Pour opérer, l’emploi ou le remploi doivent avoir pour effet l’acquisition d’un bien nouveau.

Dans le silence des textes, ce bien peut tout autant être un meuble, qu’un immeuble. La provenance de ce bien est également indifférente. Il importe peu, notamment, que ce bien ait été acquis par un époux auprès de son conjoint.

Cette solution était déjà admise sous l’empire du droit antérieur à la loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985 où la vente entre époux était prohibée sauf le cas où la cession faite par le mari à sa femme avait « une cause légitime, telle que le remploi […] ».

1.2 La déclaration d’emploi et de remploi

L’article 1434 du Code civil prévoit que « l’emploi ou le remploi est censé fait à l’égard d’un époux toutes les fois que, lors d’une acquisition, il a déclaré qu’elle était faite de deniers propres ou provenus de l’aliénation d’un propre, et pour lui tenir lieu d’emploi ou de remploi. »

Il ressort de cette disposition que pour produire ses effets, l’opération d’emploi ou de remploi est subordonnée à l’accomplissement d’une formalité par l’époux acquéreur consistant en double déclaration.

a. L’auteur de la double déclaration

La double déclaration d’emploi ou de remploi ne peut émaner que de l’époux au profit duquel l’emploi ou le remploi est effectué.

La raison en est qu’il s’agit, comme affirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 mai 1998, d’un acte unilatéral.

Aussi, l’emploi ou le remploi précise-t-elle « n’est pas subordonné au consentement du conjoint » (Cass. 1ère civ. 19 mai 1998, n°95-22083). L’intervention du tiers contractant n’est pas plus exigée, puisque tout autant étranger à l’opération.

À l’analyse, le caractère unilatéral de l’acte d’emploi ou de remploi se justifie par l’indépendance patrimoniale conférée aux époux par l’article 225 du Code civil.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « chacun des époux administre, oblige et aliène seul ses biens personnels. »

L’emploi ou le remploi de deniers propres n’échappe pas à la règle. Cette opération ne requiert pas le consentement du conjoint, raison pour laquelle la double déclaration d’emploi ou de remploi ne peut émaner que du seul époux acquéreur.

b. Le contenu de la double déclaration

L’article 1434 du Code civil prévoit donc que pour produire ses effets, l’opération d’emploi ou de remploi doit être assortie de l’accomplissement d’un acte consistant en double déclaration :

c. La forme de la double déclaration

La double déclaration d’emploi ou de remploi ne requiert l’observation d’aucune forme particulière, ni la mention d’aucune formule sacramentelle.

La seule exigence qui s’infère de l’article 1434 du Code civil tient à l’existence d’une manifestation de volonté expresse et non équivoque émanant de l’époux acquéreur.

Il en résulte que la double déclaration ne saurait être implicite, ni incomplète. Une déclaration portant uniquement sur la provenance des fonds ou sur la volonté d’affecter lesdits fonds à l’affectation d’un bien propre est insuffisante.

En cas de déclaration implicite ou incomplète, l’article 1434 du Code civil prévoit que l’emploi ou le remploi ne peut produire ses effets qu’à la condition que le conjoint ait donné son accord.

d. Le moment de la double déclaration

i. Principe

Il ressort de l’article 1434 du Code civil que la double déclaration d’emploi ou de remploi doit figurer dans l’acte d’acquisition.

Il en résulte que c’est à la date d’établissement de cet acte que l’époux acquéreur doit manifester sa volonté d’affecter des fonds propres à l’acquisition d’un bien qu’il entend conserver dans son patrimoine personnel.

En toute rigueur, une déclaration d’emploi ou de remploi tardive devrait être dépourvue de tout effet. Le bien acquis devrait, par voie de conséquence, tomber en communauté, quand bien même son acquisition a été financée par des deniers propres.

Il est néanmoins admis, sous certaines conditions, que l’emploi ou le remploi puisse être régularisé a posteriori, tout autant que la loi reconnaît qu’il puisse, à l’inverse, être réalisée par anticipation.

ii. Exceptions

==> L’emploi ou le remploi par anticipation

==> L’emploi ou le remploi a posteriori

e. La force probante de la double déclaration

Comme vu précédemment, la double déclaration figurant dans l’acte d’acquisition d’un bien financé au moyen de deniers propres suffit, à elle seule, à faire produire ses effets à l’opération d’emploi ou de remploi.

Est-ce à dire que, une fois cette condition remplie, le caractère propre du bien acquis ne peut plus être remis en cause ?

Il n’en est rien. La déclaration d’emploi ou de remploi ne fait que présumer l’appartenance du bien au patrimoine personnel de l’époux acquéreur. Cette présomption est simple de sorte qu’elle peut être combattue par la preuve contraire.

Il appartiendra donc au conjoint qui souhaite la contester de démontrer qu’elle est mensongère et notamment d’établir que les fonds utilisés n’étaient pas propres ou qu’ils avaient déjà été affectés à l’acquisition d’un autre bien propre acquis antérieurement.

f. La sanction de l’absence de double déclaration

Pour répondre à la question de savoir quelle est la sanction applicable en cas d’absence de déclaration d’emploi ou de remploi, deux approches peuvent être envisagées :

Ces deux approches interrogent ainsi sur la nature de l’exigence posée par l’article 1434. La double déclaration d’emploi ou de remploi est-elle exigée ad probationem ou ad validitatem ?

Il ressort de la jurisprudence, que la Cour de cassation a opté pour la seconde approche. Dans un arrêt du 20 septembre 2006, la Première chambre civile a affirmé en ce sens que « la règle du remploi […] a le caractère d’une règle de fond » (Cass. 1ère civ. 20 sept. 2006, n°04-18384).

Dans un arrêt du 25 février 2009, elle a encore plus explicitement jugé, au visa de l’article 1434 du Code civil, « qu’il résulte de ce texte qu’à défaut de la double déclaration d’origine et d’intention, lors d’une acquisition réalisée avec des deniers propres à un époux marié sous le régime de la communauté, les biens acquis ne prennent, par subrogation, la qualité de propres, dans les rapports entre époux, que si ceux-ci sont d’accord pour qu’il en soit ainsi ; que cette règle a le caractère d’une règle de fond » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2009, n°08-12137).

Ainsi, en l’absence de formalisation de la déclaration d’emploi ou de remploi, le bien acquis tombe définitivement en communauté, quand bien même l’époux acquéreur parviendrait à rapporter la preuve du caractère propre des deniers employés.

Tout au plus, il pourra régulariser le défaut de déclaration en se repliant sur le remploi a posteriori. Il lui faudra néanmoins obtenir l’accord de son conjoint, faute de quoi cette forme de remploi est privée de tout effet.

2. Les effets de l’emploi et du remploi

Si l’opération d’emploi ou de remploi a, par l’effet de la subrogation réelle, pour conséquence de maintenir le bien acquis avec des deniers propres dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, il est un cas où il tombera malgré tout en communauté.

a. Principe

==> Le jeu de la subrogation réelle

Lorsque les conditions énoncées aux articles 1434 et 1435 du Code civil sont réunies, l’emploi ou le remploi produit les mêmes effets que la subrogation réelle de plein droit. Et pour cause, l’emploi et le remploi sont une forme de subrogation réelle.

Aussi, ont-ils pour effet de transmettre au bien qui se substitue aux fonds utilisés le caractère propre de ces derniers.

==> Le moment de la subrogation réelle

La subrogation produit ses effets à des dates qui diffèrent selon que l’emploi ou le remploi intervient au moment d’établissement de l’acte d’acquisition ou selon qu’il intervient par anticipation ou a posteriori.

b. Tempérament

L’article 1436 du Code civil prévoit que « quand le prix et les frais de l’acquisition excèdent la somme dont il a été fait emploi ou remploi, la communauté a droit à récompense pour l’excédent. Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »

Il ressort de cette disposition que selon que lorsque la communauté a contribué au financement du bien acquis au moyen de deniers propres, le maintien de ce bien dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dépend de la proportion dans laquelle cette contribution est intervenue.

Le texte distingue deux situations :

Ainsi, la contribution de la communauté dans le financement du bien acquis par emploi ou remploi a une véritable incidence sur la qualification de ce bien.

La question qui subsidiairement se pose est alors de savoir quels sont les éléments de calcul qui doivent être pris en compte pour déterminer la part contributive de la communauté.

i. Les incidences de la contribution de la communauté à l’acquisition du bien

==> Le montant de la contribution de la communauté est inférieur ou égal à la valeur du bien acquis

L’article 1436 du Code civil prévoit donc que lorsque la part contributive de la communauté dans l’acquisition du bien acquis par un époux avec ses deniers propres est minoritaire, ce bien reste dans son patrimoine personnel.

La communauté aura néanmoins droit à récompense dont l’assiette correspond à la fraction du prix qu’elle a financé.

==> Le montant de la contribution de la communauté est supérieur à la valeur du bien acquis

L’article 1436 du Code civil prévoit que « Si, toutefois, la contribution de la communauté est supérieure à celle de l’époux acquéreur, le bien acquis tombe en communauté, sauf la récompense due à l’époux. »

Ainsi, par exception au principe de maintien des biens acquis par emploi ou remploi dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur, cette disposition fait-elle tomber en communauté le bien dont l’acquisition a majoritairement été financée par la communauté.

C’est là une application de la règle Major pars trahit ad se minorem, qui signifie littéralement « la plus grande partie attire à elle la moindre ».

Le législateur a, en effet, considéré que dans l’hypothèse où la part contributive de la communauté était supérieure à la valeur du bien acquis par emploi ou remploi, l’opération devait lui profiter.

La raison en est que l’opération s’analyse ici moins comme une substitution de biens dans le patrimoine propre de l’époux acquéreur, que comme l’acquisition d’une valeur nouvelle justifiant qu’on lui attribue la qualification d’acquêt.

En contrepartie de la perte de la propriété du bien qu’il a acquis au moyen de deniers propres, l’époux a droit à récompense.

ii. La détermination de la part contributive de la communauté

Tandis que certains frais, en sus du prix d’acquisition du bien, doivent être inclus dans le calcul de la part contributive de la communauté, d’autres doivent en être exclus.

==> Les éléments de calcul qui doivent être inclus dans le calcul de la part contributive

Pour déterminer la part contributive de la communauté, il y a lieu de se reporter à l’article 1436 du Code civil qui intègre dans son calcul deux éléments :

Par frais d’acquisition, il faut entendre ceux immédiatement exposés lors de l’acquisition du bien, tels que les commissions et autres émoluments perçus par les intermédiaires et les officiers ministériels ou encore les taxes et redevances.

Aussi, un bien dont le prix est fixé à 100 euros et dont les frais d’acquisition s’élèvent à 10 euros restera dans le patrimoine personnel de l’époux acquéreur dès lors que la part contributive de la communauté n’excède pas 55 euros, soit (100+10) / 2.

Si en revanche, cette part contributive dépasse ce seuil, alors le bien acquis tombera en communauté, quand bien même il aura été financé, pour partie, au moyen de deniers propres.

==> Les éléments de calcul qui doivent être exclus du calcul de la part contributive

Deux éléments doivent être exclus du calcul de la part contributive de la communauté :

[1] G. Yildirim, Communauté légale : actif des patrimoines, Rép. Dr. Civ. Dalloz, n°20.

[2] A. Colomer, Droit civil – Régimes matrimoniaux, éd. Litec, 2004, n°82, p. 42.

[3] R.Plaisant, « la protection du logiciel par le droit d’auteur », Gaz.Pal, 25 septembre 1983, doctr. P2 à 4.

[4] J. Flour et F. Champenois, Les régimes matrimoniaux, éd. Armand Colin, éd. 2001, n°286, p. 280.

[5] V. en ce sens F. Terré et Ph. Simler, Droit civil – Les régimes matrimoniaux, éd. Dalloz, 2011, n°353, p. 282.

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