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La répartition de l’actif sous le régime légal: les gains et salaires ou la qualification de biens communs

Au premier rang des biens qui alimentent la communauté, l’article 1401 du Code civil vise ceux qui proviennent de « l’industrie personnelle » des époux.

Par industrie, il faut entendre le travail fourni par les époux qui donne lieu à une création de valeur.

Il s’agit là, pour la plupart des couples mariés, de la principale source d’acquêts, d’où l’enjeu de leur identification.

À l’analyse, l’industrie des époux peut engendrer deux sortes de biens :

Nous nous focaliserons ici sur les gains et salaires.

I) La nature des gains et salaires

Parce que l’article 1401 du Code civil vise expressément l’industrie des époux comme source d’acquêts, la nature des différentes rémunérations en argent susceptibles d’être perçues par les époux relevait, sous l’empire du droit antérieur, de l’évidence : il s’agit de biens communs.

La raison en est que la rémunération, sous la forme de gains et salaires, n’est autre que la contrepartie financière à la fourniture d’un travail.

Or dans l’esprit du législateur en 1804, s’il est des biens qui devaient nécessairement tomber en communauté, ce sont les produits du travail, quelle que soit leur forme, car constituant la principale, sinon l’unique, source de subsistance et de richesse du foyer conjugal.

Pour cette raison, leur nature d’acquêt n’a jamais été discutée, ni par la doctrine, ni par la jurisprudence, à tout le moins jusqu’à l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En effet, animé par la volonté d’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux, le législateur a, par ce texte, conféré à chaque époux – pratiquement à la femme mariée – le droit de percevoir et disposer librement de ses gains et salaires.

C’était autrement dit leur reconnaître un pouvoir de gestion exclusive sur la rémunération de leur travail.

D’aucuns en ont tiré la conséquence que, tant que les gains et salaires n’étaient pas investis, ils appartiennent en propre à l’époux qui les perçoit, puisque échappant au principe de gestion conjointe des biens communs.

Cette thèse défendue par une frange de la doctrine a provoqué un débat doctrinal qui s’est, par suite, déporté sur le terrain judiciaire. Dans le silence des textes, c’est à la jurisprudence qu’est revenue la tâche de trancher.

A) Enjeux de la qualification

L’enjeu de la qualification des gains et salaires n’est pas que théorique ; il présente un réel intérêt pratique.

L’enjeu est ici de déterminer si, au moment de la liquidation du régime matrimonial, les gains et salaires ont vocation à être partagés par moitié entre les époux et, le cas échéant, si leur utilisation par un époux à des fins exclusivement personnels (financement de l’acquisition ou de l’amélioration d’un bien propre), ouvre droit à récompense au profit de la communauté.

L’enjeu ne doit toutefois pas être surestimé. Il peut, en effet, être observé que si l’on se place sur le terrain des pouvoirs dont sont investis les époux mariés sous le régime légal, il est indifférent que les gains et salaires soient regardés comme des biens communs ou des biens propres.

Dans les deux cas, ils sont soumis au principe de gestion exclusive :

De la même manière, la qualification des gains et salaires est sans incidence sur leur exclusion du gage des créanciers en cas de dette commune née du chef d’un seul époux.

Quel que soit l’objet de la dette contractée par l’époux débiteur, dès lors qu’elle présente un caractère commun, elle ne sera jamais exécutoire sur les gains et salaires de son conjoint.

Cette exclusion est expressément prévue par l’article 1414 du Code civil pour les dettes communes et par l’article 1415 pour les dettes d’emprunt et de cautionnement.

À l’analyse, l’enjeu ne sera pas ici de savoir si les gains et salaires tombent en communauté, mais de déterminer si, une fois perçus, ils conservent leur statut particulier ou si, lorsqu’ils sont inscrits sur un compte bancaire ils se transforment en acquêts ordinaires.

Tandis que dans le premier cas ils pourront être saisis au titre d’une dette d’emprunt ou de cautionnement, dans le second cas ils échapperont au droit de poursuite du créancier saisissant.

Au bilan, la qualification des gains et salaires présente un enjeu au seul stade de la dissolution du régime.

L’intérêt du débat n’en est pas moins considérable. Ainsi que le relève Isabelle Dauriac « c’est la réalisation même de l’objectif communautaire du régime légal qui en dépend » [1].

B) Controverse doctrinale

La question de la nature des gains et salaires s’est posée après l’adoption de la loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux.

En substance, deux thèses se sont affrontées : d’un côté la thèse faisant des gains et salaires des biens propres et d’un autre côté la thèse défendant leur caractère commun.

Au bilan, les arguments avancés par les auteurs défendant le caractère propre des gains et salaires n’emportent pas la conviction.

Au fond, l’argument décisif est, selon nous, que le législateur a, en 1965, élevé le régime de la communauté réduite aux acquêts au rang de régime légal sans en modifier l’élément central : la notion d’acquêt.

C’est là la preuve que le législateur a entendu maintenir ce régime tel que façonné et pensé en 1804.

Au surplus, instituer en régime légal un régime communautaire n’est pas neutre. La démarche témoigne d’une volonté de faire de la mise en commun des biens le modèle s’appliquant au plus grand nombre.

Or pour que cette démarche ait un sens, cela suppose que la masse commune soit alimentée par le plus petit dénominateur commun des richesses captées par les époux au cours du mariage : les produits de leur travail sous toutes leurs formes, dont les rémunérations en argent que sont les gains et salaires.

C) Position de la jurisprudence

Peu de temps après l’adoption de la loi du 13 juillet 1965, la question de la qualification des gains et salaires n’a pas manqué d’être soulevée dans les prétoires.

Par un jugement rendu en date du 17 juin 1969, le Tribunal de grande de Bordeaux s’est prononcé en faveur de la qualification de biens communs (TGI Bordeaux, 17 juin 1969).

Cette décision a été confirmée dans un arrêt rendu le 5 janvier 1971 par la Cour d’appel de Bordeaux qui, après avoir rappelé que sous l’empire de l’article 1498 reproduit par l’article 1401 nouveau, les produits du travail étaient communs dès l’origine, a jugé que « l’article 224, al. 2er [devenu 223] ne permet pas d’inférer la faculté offerte aux époux de disposer librement de ses gains et salaires après s’être acquitté des charges du mariage, le caractère propre de ceux-ci » (CA Bordeaux, 5 janv. 1971).

Bien que cette affaire n’ait pas été déférée devant la Cour de cassation elle a, par suite, eu l’occasion d’exprimer sa position.

Dans un arrêt du 8 février 1978, elle la Première chambre civile a notamment affirmé, au visa de l’article 1401 du Code civil que « les produits de l’industrie personnelle des époux font partie de la communauté » (Cass. 1ère civ. 8 févr. 1978, n°75-15731).

Ainsi, pour la Cour de cassation, les gains et salaires perçus par les époux constituent des biens communs.

Cette solution a été reconduite ultérieurement à plusieurs reprises, notamment dans un arrêt rendu le 31 mars 1992 aux termes duquel elle valide la décision de la Cour d’appel qui avait retenu le caractère de biens communs des salaires perçus par un époux (Cass. 1ère civ. 31 mars 1992, n°90-16343).

Désormais, la nature des gains et salaires ne soulève plus aucune difficulté. Il est unanimement admis qu’ils tombent en communauté, y compris avant même qu’ils ne soient perçus (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 27 mai 2010, n°09-11894).

Cette position adoptée par la jurisprudence au début des années 1970 a été renforcée par la loi du 23 décembre 1985 relative à l’égalité des époux et ses conséquences en matière de sociétés.

L’article 1411, al. 1er du Code civil dispose par exemple, dans sa nouvelle rédaction, que les créanciers de l’un ou de l’autre époux au titre de ses dettes personnelles « ne peuvent poursuivre leur paiement que sur les biens propres et les revenus de leur débiteur. »

Si le législateur avait voulu faire des gains et salaires des biens propres, pourquoi les viser séparément dans le texte.

L’adjonction ne se justifie que si l’on appréhende les revenus des époux comme des biens communs, ce qui a été fait par le législateur.

Un autre exemple peut être tiré de la lettre de l’article 1414 du Code civil qui prévoit que « les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l’obligation a été contractée pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants, conformément à l’article 220. »

Là encore l’énoncé de cette règle eut été parfaitement inutile si les revenus perçus par les époux étaient des biens propres, l’article 1418 prévoyant déjà que « lorsqu’une dette est entrée en communauté du chef d’un seul des époux, elle ne peut être poursuivie sur les biens propres de l’autre ».

II) Le domaine des gains et salaires

Une fois la nature des gains et salaires identifiée, qui donc sont endossent la qualification de biens communs, encore faut-il déterminer ce que l’on doit entendre par gains et salaires.

Que recouvre cette notion énoncée à l’article 223 du civil ? Toutes les rémunérations perçues par les époux sont-elles visées ?

À l’analyse, si l’on se reporte à l’article 1401 du Code civil, seules celles qui proviennent de l’industrie personnelle des époux, relèvent du domaine des gains et salaires.

Autrement dit, la rémunération perçue doit nécessairement avoir pour cause la fourniture d’un travail et plus généralement l’exercice d’une activité professionnelle.

Classiquement on distingue deux catégories de rémunérations qui sont comprises dans le périmètre des gains et salaires :

A) Les rémunérations du travail

Pour qu’une rémunération relève de la catégorie des gains et salaires, elle doit provenir de la fourniture d’un travail. Quant à sa forme, elle est indifférente.

==> La provenance de la rémunération

Dès lors qu’une rémunération provient de l’industrie personnelle d’un époux, elle a vocation à tomber en communauté.

À cet égard, le choix de la formule « gains et salaires » n’est pas neutre. En visant spécifiquement les gains et les salaires, le législateur a entendu couvrir les rémunérations perçues au titre, tant de l’exercice d’une activité subordonnée, que d’une activité indépendante.

S’agissant du travail donnant lieu à la perception d’un salaire ou d’un gain, il est indifférent qu’il soit fourni à titre occasionnel (travail saisonnier) ou à titre habituel (travail salarié).

La Cour de cassation a été jusqu’à admettre dans un arrêt du 30 juin 1992 que le travail pouvait avoir été fourni à titre exceptionnel (Cass. 1ère 30 juin 1992, n°90-18407). Au cas particulier, il s’agissait d’une gratification exceptionnelle versée par un employeur à son salarié.

Ce qui importe, nous dit la Première chambre civile, c’est que la rémunération soit perçue dans le cadre de l’exercice d’une activité professionnelle.

==> La forme de la rémunération

Dès lors qu’il est établi que la rémunération perçue par un époux provient de son industrie personnelle, la forme de cette rémunération est indifférente.

Il peut s’agir, tant d’une rémunération en argent, ce qui est la situation la plus courante, que d’une rémunération en nature, telle que l’octroi d’un véhicule de fonction ou la mise à disposition d’un logement.

Si ces situations ne soulèvent aucune difficulté de qualification, il est des cas où le doute existe en raison de la spécificité de la rémunération.

B) Les substituts de rémunération du travail

La catégorie des gains et salaires ne se limite pas aux rémunérations perçues au titre de la fourniture d’un travail, elle comprend plus largement toutes les rémunérations qui ont pour cause l’exercice d’une activité professionnelle.

Aussi, sont assimilés aux gains et salaires ce que l’on appelle les substituts de rémunération du travail. Il s’agit de toutes les indemnités qui visent à remplacer la rémunération du travail.

Ces indemnités sont de deux ordres : Elles sont susceptibles d’être versées au titre de l’interruption de l’activité professionnelle ou au titre de sa cessation.

[1] I. Dauriac, Les régimes matrimoniaux et le pacs, éd. LGDJ, 2010, n°353 ; pp. 210-211.

[2] V. notamment H. Mazeaud, La communauté réduite au bon vouloir de chacun des époux, DS 1965, chron. p. 91 ; R. Savatier, La finance ou la gloire, DS 1965, chron. p. 135, A. Précigout, La réforme des régimes matrimoniaux, JCP N 1966. I. 1978, n°89.

[3] A. Colin et H. Capitant, Traité élémentaire de droit civil français, par M. Julliot de la Morandière, Dalloz, 1936, n°143.

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