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Autonomie professionnelle des époux: la liberté de perception et de disposition des gains et salaires (art. 223 C. civ.)

==> Vue générale

Le XXe siècle est la période de l’Histoire au cours de laquelle on a progressivement vu s’instaurer une égalité dans les rapports conjugaux et plus précisément à une émancipation de la femme mariée de la tutelle de son mari.

Cette émancipation est intervenue dans tous les aspects de la vie du couple. Parmi ces aspects, l’autonomie professionnelle de la femme mariée qui a conquis :

L’autonomie dont jouit désormais la femme mariée en matière professionnelle est le produit d’une lente évolution qui, schématiquement, se décompose en plusieurs étapes :

Au bilan, la volonté du législateur d’instaurer une véritable égalité dans les rapports conjugaux, mouvement qui s’est amorcé dès le début du XXe siècle, l’a conduit à octroyer à la femme mariée une sphère d’autonomie, non seulement s’agissant du choix de sa profession, mais encore pour ce qui concerne la perception et la disposition de ses gains et salaires.

Cette indépendance professionnelle dont jouissent les époux, qui sont désormais placés sur un pied d’égalité, est consacrée à l’article 223 du Code civil qui prévoit que chaque époux peut librement :

Nous nous focaliserons ici sur la libre perception et disposition des gains et salaires.

==> Les gains et salaires

Etonnement, la liberté pour la femme mariée de percevoir et de disposer de ses gains et salaires a été consacrée avant que ne lui soit reconnue la liberté d’exercer la profession de son choix.

La reconnaissance de cette liberté est le fruit de la loi du 13 juillet 1907 qui a donc admis que la femme mariée puisse :

Par biens réservés, il faut entendre les biens acquis par la femme mariée avec ses revenus et dont la gestion lui était impérativement « réservée », alors même que, en régime communautaire, les gains et salaires endossaient la qualification de biens communs.

Ainsi, dès 1907 la femme mariée est investie du pouvoir de percevoir et d’administrer librement ses gains et salaires.

Reste qu’il a fallu attendre la loi 23 décembre 1985 pour que le système des biens réservés soit aboli à la faveur de l’instauration d’une véritable égalité dans les rapports conjugaux.

Sous l’empire du droit antérieur, l’article 223 du Code civil prévoyait, en effet, que « la femme a le droit d’exercer une profession sans le consentement de son mari, et elle peut toujours, pour les besoins de cette profession, aliéner et obliger seule ses biens personnels en pleine propriété. »

Introduite par la loi du 13 juillet 1965, cette disposition portait manifestement la marque de l’inégalité entre le mari et la femme mariée qui avait cours jadis.

Si, à l’analyse, la loi du 23 décembre 1985 n’a apporté aucune modification sur le fond du dispositif, sur la forme elle a « bilatéralisé » la règle.

Désormais, l’article 223 du Code civil prévoit que « chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et salaires et en disposer après s’être acquitté des charges du mariage. ».

Afin de bien cerner le sens et la portée de cette règle il y a lieu, dans un premier temps, de s’interroger sur la notion de gains et salaires puis, dans un second temps, d’envisager les pouvoirs des époux sur ces derniers.

I) La notion de gains et salaires

Classiquement, les auteurs définissent les gains et salaires comme les revenus provenant de l’activité professionnelle des époux.

Tans les revenus principaux (salaires, traitements, honoraires, commissions, droits d’auteur etc.) que les revenus accessoires (primes, indemnités de fonction, gratifications, pourboires etc.) sont visés par l’article 223 du Code civil.

Il est par ailleurs, indifférent que ces revenus proviennent d’une activité commerciale, libérale, agricole ou encore publique, pourvu qu’il procède d’une activité exercée à titre professionnelle.

S’il s’agit d’un gain issu d’une activité qui relève d’un loisir, telle que la gratification reçue dans le cadre d’un concours, d’une loterie ou encore d’une contrepartie perçue au titre d’un service rendu à un tiers, l’article 223 ne sera pas applicable.

Quant aux revenus issus de l’exploitation d’un fonds commercial, agricole ou artisanale, les auteurs se sont interrogés sur leur qualification.

Ces revenus consistent tout à la fois en des produits du travail (industrie fournie par l’époux) qu’en des fruits du capital (bien exploité par l’époux).

Aussi, présentent-ils un caractère mixte, ce qui n’est pas sans interroger sur leur qualification. Doit-on opérer une distinction entre les produits du travail et les fruits générés par le bien comme envisagé par certains ?

De l’avis de la majorité des auteurs, une telle distinction ne serait pas heureuse, car pouvant difficilement être mise en œuvre. Comment distinguer les revenus issus du travail de ceux s’apparentant à des fruits ? Dans les deux cas, ils proviennent de l’exploitation du bien de sorte que, en réalité, ils se confondent.

Pour cette raison, les auteurs s’accordent à qualifier les bénéfices tirés d’une exploitation commerciale, agricole ou artisanale de gains et salaire, de sorte qu’ils donneraient lieu à l’application de l’article 223 du Code civil.

II) Les pouvoirs des époux sur les gains et salaires

==> Principe

L’article 223 du Code civil reconnaît aux époux le droit percevoir leurs gains et salaires et d’en disposer librement.

Cela signifie que le consentement du conjoint n’est jamais requis s’agissant de l’emploi des revenus professionnels qui peuvent être affectés par l’époux qui les perçoit à la destination qui lui sied.

Cette règle qui est d’ordre public s’impose quel que soit le régime matrimonial applicable, de sorte qu’il ne peut pas y être dérogé par convention contraire.

Un contrat de mariage ne saurait, dans ces conditions, prévoir par le biais d’une clause d’administration conjointe qu’un époux renonce à son droit de percevoir et de disposer librement de ses gains et salaires. Une telle clause matrimoniale serait réputée non écrite.

D’évidence, cette liberté reconnue aux époux d’avoir la maîtrise de leurs revenus professionnels présente un intérêt tout particulier en régime de communauté.

Lorsque, en effet, les époux sont mariés sous le régime légal, les gains et salaires sont des biens communs. Or en application de l’article 1421 du Code civil les biens communs font l’objet d’une gestion concurrente.

L’article 223 pose donc une exception de cette règle en posant un principe de gestion exclusive des gains et salaires, soit une gestion qui relève du monopole de l’époux qui les perçoit.

Là ne s’arrête pas le caractère dérogatoire de cette disposition. L’article 1422 du Code civil prévoit que « les époux ne peuvent, l’un sans l’autre, disposer entre vifs, à titre gratuit, des biens de la communauté ».

Est-ce dire que les époux ne peuvent pas disposer de leurs gains et salaires à titre gratuit ? Telle n’est pas la position défendue par les auteurs qui considèrent que l’article 223 du Code civil prime l’article 1422.

À cet égard dans un arrêt du 29 février 1984, la Cour de cassation a statué en ce sens, en affirmant que « chaque époux a le pouvoir de disposer de ses gains et salaires, à titre gratuit ou onéreux, après s’être acquitté de la part lui incombant dans les charges du mariage » (Cass. 1ère civ. 29 févr. 1984, n°82-15.712).

La donation de gains et salaires relève ainsi de la gestion exclusive de l’époux qui les perçoit, nonobstant la règle contraire énoncée par l’article 1422.

==> Limites

Les limites au principe de libre perception et disposition des gains et salaires sont au nombre de deux :

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