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La collaboration des époux à une exploitation agricole: régime juridique

==> Vue générale

Bien que la loi du 13 juillet 1965 ait levé les dernières entraves au libre exercice par la femme mariée de la profession de son choix en consacrant le principe d’indépendance professionnelle des époux, elle est demeurée silencieuse sur la situation du conjoint de l’exploitant agricole.

L’épouse du chef d’exploitation a longtemps été considérée comme « sans profession ». Son travail dans la ferme (généralement celle de la belle-famille) prolongeait le travail accompli dans la maison sans qu’il soit besoin de lui associer la moindre reconnaissance d’ordre professionnel.

À l’instar du conjoint du chef d’une entreprise commerciale ou artisanale, la femme mariée de l’exploitant agricole assurait, en pratique, de nombreuses tâches dans la gestion de l’exploitation à telle enseigne qu’elle coexploitait avec ce dernier l’entreprise familiale.

Cette collaboration s’effectuait toutefois en dehors de tout cadre juridique, si bien que non seulement la femme mariée ne percevait aucune rémunération au titre de travail fourni au profit de l’exploitation agricole, mais encore elle ne bénéficiait d’aucun droit propre à la protection sociale.

Aussi, les agricultrices ont longtemps été des travailleuses « invisibles », dont le travail n’était pas salarié ni reconnu.

Cette absence de statut du conjoint de l’exploitant agricole le plaçait dans une situation de dépendance économique ce qui avait pour conséquence de maintenir, de fait, la femme mariée sous la tutelle de son mari.

Il a fallu attendre les années 1980 pour que les conjointes d’exploitants agricoles obtiennent des droits dans la gestion de l’exploitation.

Cette évolution, par ailleurs très lente, a été rendue possible grâce au travail accompli, dans les organisations syndicales, par les pionnières qui se sont mobilisées dès les années 1920 pour faire reconnaître leurs droits.

Le point de départ de la mobilisation des pionnières de l’engagement syndical féminin dans l’agriculture a été la reconnaissance, en 1920, du droit des femmes à adhérer à un syndicat sans l’autorisation de leur mari. Puis en 1933, la création de la branche féminine de la Jeunesse agricole catholique (JAC) a donné un cadre à la « revendication d’une autre place que celle d’aide familiale et de travailleuse invisible ».

Le tournant décisif qui a marqué l’accès de la femme d’exploitant agricole à un véritable statut a été l’adoption de la loi n° 80-502 du 4 juillet 1980 d’orientation agricole.

==> Évolution législative

Plusieurs textes ont contribué à l’évolution progressive du statut des femmes d’exploitants agricoles, ce qui leur a permis de sortir de l’invisibilité professionnelle dans laquelle elles ont pendant longtemps été confinées, alors même que leur contribution au fonctionnement des exploitations était décisive.

Au bilan,  les réformes successives opérées depuis le début des années 80 ont conduit le législateur à octroyer aux conjoints des exploitants agricoles:

§1: Le statut du conjoint de l’exploitant agricole

I) Le choix d’un statut par le conjoint de l’exploitant agricole

À l’instar du conjoint du chef d’une entreprise commerciale ou artisanale, le conjoint d’un exploitant agricole peut opter pour différents statuts, lesquels lui procureront des droits professionnels et une protection sociale qui diffèrent d’un régime applicable à l’autre.

C’est la loi du 5 juillet 2006 d’orientation agricole qui a rendu obligatoire l’exercice de cette option par le conjoint du chef d’exploitation exerçant sur l’exploitation ou au sein de l’entreprise une activité professionnelle régulière.

L’article L. 321-5, al. 7e du Code rural dispose en ce sens que, à compter du 1er janvier 2006, le conjoint du chef d’exploitation ou d’entreprise agricole exerçant sur l’exploitation ou au sein de l’entreprise une activité professionnelle régulière opte, selon des modalités précisées par décret, pour l’une des qualités suivantes :

À cet égard, le chef d’exploitation ou d’entreprise agricole est tenu de déclarer l’activité professionnelle régulière de son conjoint au sein de l’exploitation ou de l’entreprise agricole et le statut choisi par ce dernier auprès des organismes habilités à enregistrer l’immatriculation de l’exploitation ou de l’entreprise agricole.

À défaut de déclaration d’activité professionnelle, le conjoint ayant exercé une activité professionnelle de manière régulière au sein de l’exploitation ou de l’entreprise agricole est réputé l’avoir fait sous le statut de salarié de l’exploitation ou de l’entreprise agricole.

II) Typologie des statuts du conjoint de l’exploitant agricole

A) Le statut de salarié

Parce que la conclusion d’un contrat de travail entre époux est licite, rien n’interdit a priori le conjoint (V. en ce sens Cass. civ. 8 nov. 1937), rien n’interdit le conjoint de l’exploitant agricole d’opter pour le statut de salarié.

Une incertitude est néanmoins née quant à l’exigence de lien de subordination entre le chef de l’exploitation et son conjoint, condition devant être remplie pour bénéficier du statut de salarié.

D’aucuns ont considéré, notamment les ASSEDIC (devenues Pôle emploi), que cette condition ne pouvait pas être satisfaite lorsque le contrat de travail était conclu entre des époux.

Cette position prise par les ASSEDIC pour justifier le refus de verser une allocation de chômage aux conjoints de chef d’entreprise, a conduit a conduit le législateur à intervenir une nouvelle fois.

Son intervention a donné lui à l’insertion d’un article L. 784-1 dans le Code du travail (ancienne numérotation) qui prévoyait que « les dispositions du présent code sont applicables au conjoint du chef d’entreprise salarié par lui et sous l’autorité duquel il est réputé exercer son activité dès lors qu’il participe effectivement à l’entreprise ou à l’activité de son époux à titre professionnel et habituel et qu’il perçoit une rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance ».

Cette disposition posait ainsi une présomption de lien de subordination lorsque le conjoint d’un artisan ou d’un commerçant optait pour le statut de salarié.

À la surprise générale, cette présomption n’a pas été reconduite par la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 si bien que l’incertitude tenant à l’exigence d’un lien de subordination refait surface.

Dans un arrêt du 6 novembre 2001, la Cour de cassation a néanmoins affirmé que l’accès au statut de conjoint salarié n’était pas subordonné à l’existence d’un lien de subordination entre les époux, dès lors qu’elle « n’est pas une condition d’application des dispositions de l’article L. 784-1 du Code du travail » (Cass. soc. 6 nov. 2001, n°99-40.756).

La Chambre sociale reconduira-t-elle sa jurisprudence, alors même que l’article L. 784-1 a été abrogé par la loi du 21 janvier 2008 ?

Aucune décision n’a, pour l’heure, été rendue dans un sens ou dans l’autre. Le débat sur l’exigence d’un lien de subordination lorsque le conjoint du chef d’entreprise opte pour le statut de salarié reste donc ouvert.

À supposer cette condition remplie, une déclaration du statut de salarié devra, en tout état de cause, être effectué par l’exploitant agricole.

L’article R. 321-1, II, 2° du Code rural dispose en ce sens que « l’option pour la qualité de salarié résulte des mentions de la déclaration préalable à l’embauche souscrite par le chef d’exploitation ou d’entreprise agricole en application de l’article L. 1221-10 du code du travail. »

Le texte précise que cette déclaration prend effet à la date d’effet du contrat de travail mentionnée sur cette déclaration.

B) Le statut de chef d’exploitation

Le statut de chef d’exploitation peut prendre deux formes différentes selon que l’activité est ou non exercée par l’entremise d’un groupement doté de la personne morale.

Dans le premier cas, le conjoint pourra opter pour le statut d’associé, tandis que dans le second il endossera le statut de coexploitant.

==> Le statut d’associé

L’exercice de l’activité agricole sous forme de société présente indéniablement l’avantage de permettre aux époux de dissocier leur patrimoine personnel de celui de l’entreprise (protection des biens privés) et de regrouper les moyens humains, matériels et financiers.

==> Le statut de coexploitant

Le statut de coexploitant, envisagé par l’article L. 321-1 du Code rural, peut être choisi par les époux qui exploitent ensemble sur un pied d’égalité une même exploitation agricole.

Autrement dit, le mari et la femme participent ensemble et de façon effective aux travaux et à la direction de l’exploitation en se partageant les tâches et les rôles.

Comme souligné par le Professeur Grimonprez, « il s’agit, au sens strict, de la situation dans laquelle plusieurs personnes partagent la direction d’une même entreprise individuelle. »

La particularité de la coexploitation, c’est que cette forme d’exercice de l’activité agricole exclut le recours à la forme sociétaire et à la fiction de la personnalité morale.

Par coexploitation, on entend donc pour cet auteur « une forme relativement inorganisée de collaboration où brillent les seules personnes physiques ».

Bien que la création de groupements tels que le GAEC ou l’EARL ait connu un franc succès, la coexploitation conserve un poids important dans le monde agricole.

Cette forme d’exploitation en dehors de la forme sociétaire est rendue possible par la présomption de mandat réciproque instituée par l’article L. 321-1 du Code rural.

Aux termes de ce texte, les époux coexploitants sont réputés s’être donné réciproquement mandat d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation.

L’un ou l’autre des époux est donc habilité à réaliser l’ensemble des actes que requiert le fonctionnement normal de l’exploitation (commande de matériel, vente des produits…).

Pratiquement, le statut de coexploitant concerne toute personne qui met en valeur une exploitation à la superficie égale à une surface minimale d’assujettissement (SMA) variant suivant les départements et les natures de cultures et d’élevages, consacre au moins 1 200 heures par an ou dégage de cette exploitation un revenu professionnel de 800 SMIC annuel.

Sur le plan social, l’option du conjoint pour le statut de coexploitant doit être expressément formulée auprès de la caisse de Mutualité sociale agricole (MSA).

Le conjoint est alors affilié en qualité de chef d’exploitation au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles. À ce titre, tout comme son époux, il cotise à ce régime sur ses revenus professionnels et bénéficie de l’ensemble des prestations sociales qui y sont attachées.

C) Le statut de collaborateur

§2: Les pouvoirs des époux participant ensemble à une exploitation agricole

I) Le pouvoir du conjoint de l’agriculteur sur la gestion de l’exploitation

L’article L. 321-1 du Code rural institue une présomption de mandat en cas de participation des époux à une même exploitation agricole.

Cette présomption, qui a pour effet d’étendre les pouvoirs conférés par me régime matrimonial, notamment au conjoint de l’exploitant agricole, est strictement encadrée, tant s’agissant de son domaine, que s’agissant de ses conditions de mise en œuvre.

Le législateur a, par ailleurs, entendu régler son extinction qui, pour opérer, répond à des exigences posées à l’article L. 321-6 du Code rural.

A) Domaine de la présomption de mandat

==> Le domaine de la présomption quant aux personnes

L’article L. 321-1 du Code rural institue une présomption de mandat à la faveur du conjoint de l’exploitant agricole.

Deux situations doivent néanmoins être distinguées :

==> Le domaine de la présomption quant aux actes

Que la présomption confère un pouvoir aux deux époux ou au seul conjoint collaborateur, il ressort de l’article L. 321-1 du Code rural, qu’elle ne joue, en tout état de cause, que pour un certain nombre d’actes qui doivent répondre à deux conditions cumulatives :

B) Effets de la présomption de mandat

L’article L. 321-1 du Code de commerce prévoit que le mandataire est réputé avoir reçu le pouvoir « d’accomplir les actes d’administration concernant les besoins de l’exploitation. »

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition quant aux effets produits par la présomption qu’elle institue :

C) Extinction de la présomption de mandat

Il ressort des articles L. 321-2 et L. 321-3 du Code rural que la présomption de mandat instituée à l’article L. 321-1 peut cesser de produire ses effets :

==> L’extinction volontaire de la présomption de mandat

==> L’extinction de plein droit de la présomption de mandat

L’article L. 321-2 du Code rural prévoit que la présomption de mandat cesse de plein droit :

À la différence de l’extinction volontaire de la présomption de mandat, l’extinction de plein droit a pour effet, a priori, de dispenser les époux d’accomplir quelque démarche particulière que ce soit, et notamment de faire mention de cet événement en marge de l’acte de mariage des époux.

Reste que, en l’absence de modification de cette mention, les époux donneront l’apparence à l’égard des tiers de poursuivre leur collaboration.

Aussi, par souci de parallélisme des formes, la cessation des effets de la présomption de mandat doit donner lieu à une mention rectificative en marge de l’acte de mariage.

Pour être opposable aux tiers, l’extinction, de plein droit, de la présomption de mandat devra, en tout état de cause être portée à leur connaissance, faute de quoi ils seraient, a minima, fondés à engager la responsabilité des époux.

II) Le pouvoir du conjoint de l’agriculteur sur le bail de l’exploitation

Parce que l’exploitation est l’outil procurant aux exploitants agricoles leurs revenus de subsistance, le législateur a entendu conférer une protection spécifique au bail sur lequel elle est susceptible d’être assise.

À l’instar du logement familial dont les époux ne peuvent disposer l’un sans l’autre en application de l’article 215 du Code civil, l’article L. 411-68 du Code rural institue la même protection pour le bail de l’exploitation agricole, quand bien même le conjoint ne serait pas cotitulaire de ce bail.

Contrairement au bail d’habitation qui assure la jouissance de la résidence de famille, le bail rural ne donne pas lieu à l’extension de sa titularité au conjoint sous l’effet du mariage.

Reste que lorsqu’il est détenu par un seul époux, il demeure soumis à cogestion, le législateur ayant souhaité renforcer les prérogatives du conjoint de l’exploitant agricole quant à la gestion de l’exploitation agricole.

Aussi, l’article L. 411-68 du Code rural prévoit que « lorsque les époux participent ensemble et de façon habituelle à une exploitation agricole, l’époux titulaire du bail sur cette exploitation ne peut, sans le consentement exprès de son conjoint, accepter la résiliation, céder le bail ou s’obliger à ne pas en demander le renouvellement, sans préjudice de l’application de l’article 217 du code civil. »

Afin d’appréhender l’étendue de la protection conférée par cette disposition au bail sur lequel est assise l’exploitation agricole, il convient d’envisager son domaine puis ses effets.

==> Le domaine de la protection

==> Les effets de la protection

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