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Le patrimoine: notion, composantes et caractères

==> Notion

L’étymologie du mot patrimoine nous révèle que sa signification première est « héritage du père ».

C’est la raison pour laquelle de nombreux dictionnaires le définissent comme un « ensemble des biens hérités des ascendants ou réunis et conservés pour être transmis aux descendants. »

En réalité, le terme patrimoine recouvre plusieurs sens qui, pour certains, sont très éloignés de sa définition usuelle. On distinguera ainsi :

Nonobstant la polysémie de la notion de patrimoine, les différentes significations qui lui sont attribuées présentent au moins un point en commun : le patrimoine est toujours envisagé comme un contenant, un réceptacle.

La définition civiliste de la notion de patrimoine ne déroge pas à la règle. Selon la théorie classique d’Aubry et Rau, « le patrimoine l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit, c’est-à-dire une masse de biens qui, de nature et d’origine diverses, et matériellement séparés, ne sont réunis par la pensée qu’en considération du fait qu’ils appartiennent à une même personne »[1].

Ainsi, selon ces deux universitaires strasbourgeois du milieu du XIXe siècle, lesquels se sont inspirés de du juriste allemand Karl Salomo Zachariä, le patrimoine s’entendrait comme un tout qui ferait office de réceptacle pour recueillir les biens et les dettes d’une personne.

Si les textes sont relativement taiseux sur le concept de patrimoine, la notion y fait quelques apparitions ponctuelles (V. en ce sens l’article L. 123-14 du Code de commerce, l’article L. 101-1 du Code de l’urbanisme, l’article 1 du Code du patrimoine ou encore l’article L. 313-64 du Code de la consommation ou encore l’article ).

En tout état de cause, ainsi que s’accordent à le dire les auteurs, le patrimoine doit moins être envisagé comme un contenu, que comme un contenant.

Le premier enjeu de la théorie du patrimoine est alors de déterminer ce qu’il comprend : quelle est sa consistance ? Puis se pose la question de savoir quels sont ses caractères, d’où il s’infère sa spécificité et plus précisément les incidences juridiques sur la personne de son titulaire.

I) La consistance du patrimoine

Le patrimoine dont est titulaire une personne comprend un actif et un passif, lesquels réunis forment ce que l’on appelle une universalité de droit.

A) La conjugaison d’un actif et d’un passif

Le patrimoine comprend donc un actif, composé de biens et de créances et un passif composé de dettes.

  1. L’actif

L’actif d’une personne est composé de tous les droits patrimoniaux dont elle est titulaire, de sorte qu’il convient d’exclure de cet ensemble tous les droits que l’on qualifie d’extrapatrimoniaux.

a) L’exclusion des droits extrapatrimoniaux

==> Notion

Les droits extrapatrimoniaux sont ceux qui n’ont pas de valeur pécuniaire. Autrement dit, ils sont hors du commerce juridique. Ils ne peuvent pas faire l’objet d’échanges.

Les droits extrapatrimoniaux sont strictement attachés à la personne de leur titulaire. Ils relèvent en somme de l’être et non de l’avoir, contrairement aux droits patrimoniaux qui sont attachés, non pas à la personne de leur titulaire, mais à son patrimoine.

==> Identification

Classiquement, on distingue trois sortes de droits extrapatrimoniaux :

==> Caractères

Les droits extrapatrimoniaux sont :

b) L’inclusion des droits patrimoniaux

==> Notion

Les droits patrimoniaux sont les droits subjectifs appréciables en argent. Ils possèdent une valeur pécuniaire. Ils sont, en conséquence, disponibles, ce qui signifie qu’ils peuvent faire notamment l’objet d’opérations translatives.

==> Identification

Les droits patrimoniaux se scindent en deux catégories

Ainsi, les droits réels et les droits personnels ont pour point commun d’être des droits patrimoniaux et donc d’être appréciables en argent.

==> Caractères

Les droits patrimoniaux se distinguent fondamentalement des droits extrapatrimoniaux en ce qu’ils sont :

==> Distinction entre les droits réels et les droits personnels

Au bilan, si tous les droits réels relèvent de l’actif d’une personne, seuls le droit de créance en fait partie, la dette constituant la deuxième composante du patrimoine : le passif.

2. Le passif

Le passif se compose de l’ensemble des dettes qui pèsent sur le titulaire du patrimoine, la dette s’apparentant en la face passive du droit personnel.

À cet égard, la constitution d’une dette procède toujours de la création d’un rapport d’obligation entre un débiteur (celui qui est obligé) et un créancier (celui qui oblige).

Classiquement on dénombre cinq sources d’obligations – et donc de dettes – auxquelles il faut en ajouter une sixième depuis la réforme du droit des obligations, l’engagement unilatéral de volonté  :

B) Une universalité de droit

Le patrimoine n’est pas seulement la somme d’un actif et d’un passif : il forme un ensemble abstrait que l’on qualifie d’universalité de droit.

L’universalité de droit se distingue de l’université de fait, laquelle désigne une masse circonstanciée de biens unis par une même finalité économique et qui ne sont affectés à aucun un passif déterminé (ex : un fonds de commerce, un cheptel de vaches etc.).

L’universalité de droit, quant à elle, désigne un ensemble pécuniaire permanent qui comprend, un actif et un passif réuni autour d’une même personne et dont l’un répond de l’autre.

Le projet de réforme du livre II du Code civil sur lequel avait travaillé l’association Henri Capitant définit en ce sens le patrimoine d’une personne comme « l’universalité de droit comprenant l’ensemble de ses biens et obligations, présents et à venir, l’actif répondant du passif. »

La conceptualisation de la notion de patrimoine par Aubry et Rau puise sa source dans l’article 2284 du Code civil qui prévoit que « quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. »

Il s’infère de cette disposition que les dettes qui pèsent sur une personne sont toujours exécutoires sur ses biens.

Aubry et Rau en ont déduit que s’il existait une corrélation entre l’actif et le passif d’une personne, c’est parce que ces deux éléments formaient un même ensemble : le patrimoine.

À cet égard, le patrimoine présente cette particularité d’être distinct des éléments qui le composent. Tandis que le solde entre l’actif et le passif est en constante évolution au cours de la vie de la personne, le patrimoine, quant à lui, est immuable en ce sens qu’il existe indépendamment de ce solde.

Planiol écrivait, dans le droit fil de cette idée, que « le patrimoine constitue une unité abstraite, distincte des biens et charges qui le composent. Ceux-ci peuvent changer, diminuer, disparaître entièrement, et non le patrimoine, qui reste toujours le même, pendant toute la vie de la personne »[1].

Au bilan, il apparaît que c’est parce que dans l’ensemble que constitue le patrimoine, un passif est adjoint à un actif que l’on peut parler d’universalité de droit et pas seulement d’une masse de biens qui, seule, s’apparente à une universalité de fait.

Aussi, recueillir un patrimoine, ce n’est pas seulement acquérir un actif, c’est également prendre en charge les dettes qui grèvent cet actif.

II) Les caractères du patrimoine

À partir des articles 2284 et 2285 du Code civil Aubry et Rau ont attribué plusieurs caractères au patrimoine.

A) Seules les personnes peuvent avoir un patrimoine

Selon la thèse développée par Aubry et Rau « l’idée de patrimoine est le corollaire de l’idée de personnalité ».

Si, dès lors, le patrimoine est une émanation de la personnalité, on peut en déduire que seules les personnes disposent de l’aptitude d’être titulaires de droits et d’obligations. Au nombre de ces personnes figurent, tant les personnes physiques, que les personnes morales.

Pour disposer d’un patrimoine il faut donc justifier de la personnalité juridique laquelle s’acquiert à la naissance pour les personnes physiques et au moment de l’accomplissement de formalités pour les personnes morales (immatriculation pour les sociétés et déclaration pour les associations).

S’agissant des personnes morales, il convient d’observer que leur patrimoine est distinct du patrimoine personnel de leurs membres. C’est la raison pour laquelle il ne saurait y avoir aucune confusion entre le patrimoine d’une société et celui de ses associés. À défaut, ces derniers s’exposent à des poursuites pénales, notamment au titre de l’abus bien social.

Quant aux animaux, bien que l’article 515-14 du Code civil leur confère un statut spécifique en prévoyant qu’ils « sont des êtres vivants doués de sensibilité », ils ne jouissent pas de la personnalité juridique.

La conséquence en est qu’ils sont insusceptibles d’être titulaire d’un patrimoine, à l’instar des personnes physiques et morales. Ils ne peuvent donc pas hériter des biens de leur maître.

Aujourd’hui, le patrimoine demeure exclusivement lié à la personne qui donc dispose seule de la capacité juridique à le recevoir, à en assurer la gestion, et à le transmettre.

B) Toutes les personnes ont nécessairement un patrimoine

L’une des particularités du patrimoine est que les opérations accomplies sur les biens et les dettes qu’il recueille sont sans incidence sur son existence.

Aussi, une personne qui ne détiendrait aucun bien et sur laquelle ne pèseraient que des dettes est malgré tout titulaire d’un patrimoine.

La raison en est que « le patrimoine est la représentation pécuniaire de la personne »[2]. Autrement dit, si le patrimoine exprime la situation financière de son titulaire, il traduit surtout son aptitude à être titulaires de droits et d’obligations. Or cette aptitude perdure aussi longtemps que la personne est en vie.

Cette caractéristique du patrimoine emporte plusieurs conséquences :

C) Toute personne n’a qu’un patrimoine

Si, en principe, toute personne ne dispose que d’un seul patrimoine, certaines lois récentes ont assorti ce principe d’exceptions.

  1. Principe

Parce que la personnalité juridique est indivisible et que le patrimoine est une émanation de cette personnalité, une même personne ne peut, par principe, être titulaire que d’un seul patrimoine. Aussi, parle-t-on, d’unicité ou d’indivisibilité du patrimoine.

Ainsi, une personne qui affecterait certains biens à l’exercice d’une activité professionnelle n’aurait, par principe, pas pour effet de créer un ensemble de biens et de dettes séparé de son patrimoine personnel, sauf à créer une personne morale ou à accomplir les formalités aux fins de constituer un patrimoine professionnel.

2. Exceptions

Le principe d’unicité du patrimoine est assorti de plusieurs exceptions qui tiennent :

2.1 La fiducie

À l’examen, la fiducie est la première entorse qui a été faite par législateur au principe d’unicité du patrimoine.

==> Notion

Instituée par la loi, n° 2007-211 du 19 février 2007 elle est définie à l’article 2011 du Code civil comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires. »

D’origine romaine, la fiducie est l’un des plus anciens contrats réels visant soit à la gestion d’un patrimoine (fiducie cum amico), soit à la garantie d’une créance (fiducie cum creditore).

Si elle a évolué dans sa forme, ses principes sont fondamentalement restés inchangés : il s’agit toujours, pour le titulaire de droits sur un patrimoine (le « constituant »), de consentir un transfert de tout ou partie de ses droits vers le patrimoine d’un tiers (le « fiduciaire »), à charge pour celui-ci d’agir dans un but déterminé au profit d’un ou de plusieurs bénéficiaires.

==> Économie de l’opération

La fiducie, qui repose sur la conclusion d’un contrat synallagmatique, comporte deux grandes obligations :

Quant au bénéficiaire, il n’est pas partie au contrat ; il se trouve dans une situation semblable au tiers bénéficiaire d’une stipulation pour autrui.

Par la conclusion du contrat fiduciaire, le constituant transfère les droits et les choses mobilières ou immobilières au fiduciaire, qui en acquiert la pleine titularité.

S’il transmet ces mêmes droits à un tiers, même à titre gratuit, ce dernier devient alors à son tour propriétaire. Par voie de conséquence, le constituant et le bénéficiaire ne peuvent exciper que de droits de nature personnelle, sous forme d’une créance de restitution.

Le fiduciaire ne peut néanmoins agir que dans la limite des conditions fixées par le contrat. Dès lors, ses actes sont susceptibles d’engager sa responsabilité en cas d’irrespect des objectifs fixés lors de la constitution de la fiducie.

==> Création d’un patrimoine d’affectation

Les biens mis en fiducie sont en principe administrés dans un intérêt distinct de celui de la personne à qui ils se trouvent transmis.

Aussi relèvent-ils d’un statut patrimonial un peu particulier, dans la mesure où ils constituent un patrimoine d’affectation séparé du patrimoine personnel du fiduciaire.

L’article 2025 du Code civil dispose en ce sens que « Sans préjudice des droits des créanciers du constituant titulaires d’un droit de suite attaché à une sûreté publiée antérieurement au contrat de fiducie et hors les cas de fraude aux droits des créanciers du constituant, le patrimoine fiduciaire ne peut être saisi que par les titulaires de créances nées de la conservation ou de la gestion de ce patrimoine. »

Le fiduciaire est donc, en réalité, titulaire d’au moins deux patrimoines :

Il peut même être en pratique titulaire de plusieurs patrimoines fiduciaires s’il est désigné fiduciaire par plusieurs actes juridiques distincts.

Le patrimoine propre du fiduciaire et le patrimoine fiduciaire sont donc juridiquement distincts et les opérations effectuées au titre de la fiducie doivent l’être à partir des biens figurant dans le patrimoine fiduciaire.

Par voie de conséquence, les créanciers personnels du fiduciaire ne peuvent exiger le paiement de leur dette en saisissant des biens formant le patrimoine d’affectation.

Par exception, l’article 2025 du Code civil prévoit que « en cas d’insuffisance du patrimoine fiduciaire, le patrimoine du constituant constitue le gage commun de ces créanciers, sauf stipulation contraire du contrat de fiducie mettant tout ou partie du passif à la charge du fiduciaire. »

Par ailleurs, le contrat de fiducie peut également limiter l’obligation au passif fiduciaire au seul patrimoine fiduciaire. Une telle clause n’est toutefois opposable qu’aux créanciers qui l’ont expressément acceptée.

==> Conditions

Plusieurs conditions doivent être satisfaites pour conclure un contrat de fiducie.

2.2 L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée

==> Ratio legis

Lorsqu’un entrepreneur individuel exerce, en nom propre, son activité professionnelle, il s’expose à ce que la totalité de son patrimoine – professionnel et personnel – soit saisie en cas de difficultés financières.

Jusque récemment, le seul moyen pour un entrepreneur de préserver son patrimoine personnel en limitant le gage des créanciers aux biens exploitées à titre professionnel était de créer une société.

En effet, le recours à la forme sociétale répond parfaitement au souci de distinguer patrimoine professionnel et patrimoine personnel, dettes professionnelles et dettes personnelles.

Une société, personne morale distincte de l’entrepreneur, dispose d’un patrimoine propre et répond des dettes résultant de son activité. Quant au patrimoine personnel de l’entrepreneur, il demeure extérieur à l’activité professionnelle et, par conséquent, est protégé de ses aléas.

La création d’une personne morale se révèle néanmoins parfois inadaptée à l’exercice d’une activité professionnelle à titre individuel en raison de la lourdeur du formalisme et des obligations qui pèsent sur le chef d’entreprise.

Par ailleurs, des études ont révélé que la vulnérabilité de leur statut ou plutôt de leur absence de statut, ne suffisait pas à inciter les entrepreneurs individuels à faire le choix systématique de la forme sociétale. Ils sont en proie à des « freins psychologiques », que l’on peut résumer en une réticence de l’entrepreneur à constituer une personne morale distincte.

==> De l’EURL à l’EIRL

Fort de ce constat, le législateur a cherché à encourager les entrepreneurs à se tourner vers la forme sociale en simplifiant les règles de création et de fonctionnement des sociétés :

Nonobstant ces réformes successives qui visaient à encourager l’exercice de l’entreprenariat individuel au moyen d’une forme sociale, ni l’EURL ni l’insaisissabilité n’ont attiré les entrepreneurs.

Le législateur en a tiré la conséquence, qu’il convenait de changer de paradigme et d’ouvrir une brèche dans le sacro-saint principe de l’unicité du patrimoine.

Par souci de justice social et de protection de la famille des entrepreneurs exerçant en nom propre, la loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 a créé le statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL).

La particularité de ce statut, et c’est la révolution opérée par ce texte, est qu’il permet à l’entrepreneur individuel qui exerce en nom propre de créer un patrimoine d’affectation.

==> Notion de patrimoine d’affectation

L’article L. 526-6 du Code de commerce dispose que « pour l’exercice de son activité en tant qu’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, l’entrepreneur individuel affecte à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale, dans les conditions prévues à l’article L. 526-7. »

Ce texte autorise ainsi l’entrepreneur individuel, qui adopte le statut d’EIRL, à affecter un patrimoine à l’exercice de son activité professionnelle de façon à protéger son patrimoine personnel et familial, sans créer de personne morale distincte de sa personne.

La création d’un patrimoine d’affectation déroge manifestement aux règles posées aux articles 2284 et 2285 du Code civil, en établissant que les créances personnelles de l’entrepreneur ne sont gagées que sur le patrimoine non affecté, et les créances professionnelles sur le patrimoine affecté.

L’admission de la constitution d’un patrimoine d’affectation opère une rupture profonde avec le dogme de l’unicité du patrimoine organisé jusqu’alors par le droit civil français.

==> Conditions de création d’un patrimoine d’affectation

En application de l’article L. 526-6 du Code de commerce, la création d’un patrimoine d’affectation est subordonnée à la réunion de deux conditions cumulatives :

==> Effets de la création d’un patrimoine d’affectation

La constitution d’un patrimoine d’affectation a pour effet la création d’un patrimoine professionnel séparé et distinct du patrimoine personnel de l’entrepreneur.

Ce patrimoine professionnel comportera alors un actif et un passif dont la délimitation sera déterminée par la déclaration d’affectation de l’entrepreneur individuel.

Si, la création d’un patrimoine d’affectation permet à l’entrepreneur de circonscrire le gage général de ses créanciers professionnels, les textes n’interdisent nullement que des sûretés soient constituées sur son patrimoine personnel, et en particulier des établissements de crédit que l’entrepreneur solliciterait en vue du financement ou de la trésorerie de son activité.

Ainsi, une banque peut toujours exiger, par exemple, une sûreté réelle sur la résidence principale ou la caution personnelle du conjoint de l’entrepreneur. Ce type de garanties ne s’exerce pas à la demande des fournisseurs.

Dans ces conditions, l’étanchéité des patrimoines ne peut pas être complète et les patrimoines sont distincts et non étanches l’un pour l’autre, sauf à ce que l’entrepreneur n’ait pas besoin de crédit ou bien soit en mesure de présenter des garanties suffisantes au sein de son patrimoine affecté.

Aussi, cette circonstance plaide-t-elle en faveur de la possibilité d’affecter plus que les seuls biens nécessaires, de façon à offrir aux créanciers le gage le plus étendu possible, de sorte que celui-ci puisse se suffire à lui-même.

2.3 L’insaisissabilité de la résidence principale et des biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel

a) Principe de l’insaisissabilité

Autre entorse faite par le législateur au principe d’unicité du patrimoine : l’adoption de textes qui visent à rendre insaisissable de la résidence principale et plus généralement les biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel.

Les biens couverts par cette insaisissabilité sont, en effet, exclus du gage général des créanciers, ce qui revient à créer une masse de biens protégée au sein même du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

Cette protection patrimoniale dont jouit ce dernier a été organisée par une succession de lois qui, au fil des réformes, ont non seulement assoupli les conditions de l’insaisissabilité de la résidence principale, mais encore ont étendu son assiette aux autres biens immobiliers non affectés à l’activité professionnelle.

Ainsi, cette dernière loi a-t-elle renforcé la protection de ce dernier qui n’est plus obligé d’accomplir une déclaration pour bénéficier du dispositif d’insaisissabilité.

Reste que cette insaisissabilité, de droit, ne vaut que pour la résidence principale. S’agissant, en effet, des autres biens immobiliers détenus par l’entrepreneur et non affectés à son activité professionnelle, leur insaisissabilité est subordonnée à l’accomplissement d’un acte de déclaration.

b) Domaine

En application de l’article L. 526-1 du Code de commerce le dispositif ne bénéficie qu’aux seuls entrepreneurs immatriculés à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante.

Il convient ainsi d’opérer une distinction entre les entrepreneurs individuels pour lesquels le texte exige qu’ils soient immatriculés et ceux qui ne sont pas assujettis à cette obligation

 Au total, le dispositif d’insaisissabilité bénéficie aux entrepreneurs individuels, au régime réel comme au régime des microentreprises, aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée propriétaires de biens immobiliers exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, ainsi qu’aux entrepreneurs au régime de la microentreprise et aux entrepreneurs individuels à responsabilité limitée (EIRL).

c) Régime

Désormais, le régime de l’insaisissabilité des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel diffère, selon qu’il s’agit de sa résidence principale ou de ses autres biens immobiliers.

==> L’insaisissabilité de la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 1er du Code de commerce dispose désormais en ce sens que « les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité de la résidence principale est de droit, de sorte qu’elle n’est pas subordonnée à l’accomplissement d’une déclaration.

Le texte précise que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

==> L’insaisissabilité des biens immobiliers autres que la résidence principale

L’article L. 526-1, al. 2e du Code de commerce prévoit que « une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante peut déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’elle n’a pas affecté à son usage professionnel. »

Ainsi, si les biens immobiliers autres que la résidence principale peuvent bénéficier du dispositif de l’insaisissabilité, c’est à la double condition que l’entrepreneur individuel accomplisse, outre les formalités d’immatriculation le cas échéant requises, qu’il accomplisse une déclaration d’insaisissabilité et qu’il procède aux formalités de publication.

Enfin, il convient d’observer que la déclaration d’insaisissabilité ne peut porter que sur les biens immobiliers non affectés à l’usage professionnel.

Aussi, elle se distingue de la déclaration d’affection du patrimoine du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée, laquelle porte obligatoirement sur les biens, droits, obligations ou sûretés nécessaires à l’exercice de l’activité professionnelle et facultativement sur les biens, droits, obligations ou sûretés utilisés dans ce cadre (cette dernière, permet d’exclure du patrimoine professionnel tous les biens mobiliers et les droits qui ne peuvent être protégés par la déclaration d’insaisissabilité).

Il en résulte que, l’entrepreneur d’une EIRL peut limiter l’étendue de la responsabilité en constituant un patrimoine d’affectation, destiné à l’activité professionnelle, sans constituer de société, étant précisé que les deux déclarations peuvent être cumulées.

d) Effets

S’agissant de la résidence principale de l’entrepreneur individuel, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que l’insaisissabilité, qui est ici de droit, ne produit ses effets qu’à l’encontre des créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Dès lors que la dette est contractée dans le cadre de l’activité professionnelle de l’entrepreneur individuel, il bénéficie du dispositif d’insaisissabilité de sa résidence principale. La date de la créance est ici indifférente.

 S’agissant des biens immobiliers autres que la résidence principale, l’article L. 526-1 du Code de commerce prévoit que la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, après sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il en résulte que les dettes à caractère professionnel contractées antérieurement à la publication de la déclaration d’insaisissabilité, elles demeurent exécutoires sur l’ensemble des biens immobiliers détenus par l’entrepreneur individuel, y compris sur sa résidence principale.

En toute hypothèse, seules les dettes contractées dans le cadre d’une activité professionnelle autorisent l’entrepreneur individuel à se prévaloir de l’insaisissabilité de ses biens  immobiliers.

En outre, en application de l’article L. 526-1, al. 3 du Code de commerce, l’insaisissabilité n’est jamais opposable à l’administration fiscale lorsque celle-ci relève, à l’encontre de la personne, soit des manœuvres frauduleuses, soit l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales, au sens de l’article 1729 du code général des impôts.

Par ailleurs, les effets de l’insaisissabilité et ceux de la déclaration subsistent après la dissolution du régime matrimonial lorsque l’entrepreneur est attributaire du bien. Ils subsistent également en cas de décès jusqu’à la liquidation de la succession.

Enfin, en cas de cession des droits immobiliers sur la résidence principale, le prix obtenu demeure insaisissable, sous la condition du remploi dans le délai d’un an des sommes à l’acquisition par l’entrepreneur individuel d’un immeuble où est fixée sa résidence principale.

e) La renonciation

À l’analyse le dispositif d’insaisissabilité mis en place par le législateur peut avoir un impact sur l’accès au crédit, dans la mesure où la résidence principale ne fait plus d’emblée partie du gage de l’ensemble des créanciers.

C’est la raison pour laquelle le législateur a prévu que l’entrepreneur individuel puisse, afin de ne pas limiter ses capacités de financement, d’y renoncer.

==> Principe

L’article L. 526-3 du Code de commerce prévoit que « l’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux conditions de validité et d’opposabilité prévues à l’article L. 526-2 ».

Il ressort de cette disposition que l’insaisissabilité qui protège les biens immobiliers de l’entrepreneur individuel peut, sur sa décision, être levée à la faveur de créanciers avec lesquels il aurait contracté dans le cadre de son activité professionnelle.

Cette faculté de renonciation dont jouit l’entrepreneur individuel peut porter sur tout ou partie des biens.

Elle peut également être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers désignés par l’acte authentique de renonciation.

Afin d’obtenir un prêt, il est donc possible à l’entrepreneur individuel de renoncer au profit d’une banque à l’insaisissabilité de sa résidence principale.

==> Conditions

Tout d’abord, la renonciation au dispositif d’insaisissabilité doit être effectuée au moyen d’un acte notarié à l’instar de la déclaration d’insaisissabilité.

Ensuite, l’article R. 526-2 du Code de commerce prévoir que cette renonciation doit dans un délai d’un mois, faire l’objet d’une demande d’inscription modificative au registre du commerce et des sociétés.

Enfin, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci.

==> Révocation

La renonciation peut néanmoins, à tout moment, être révoquée dans les mêmes conditions de validité et d’opposabilité que celles prévues pour la déclaration d’insaisissabilité.

Il s’agit là d’une faculté qui peut être exercée discrétionnairement par l’entrepreneur individuel, sans que les créanciers puissent former opposition.

Cette révocation n’aura toutefois d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication.

2.4 L’agent des sûretés

==> Contexte de crédit syndiqué

Certaines opérations financières importantes ne peuvent être financées que par un crédit syndiqué, c’est-à-dire un crédit consenti par plusieurs prêteurs réunis au sein d’un groupement ou « syndicat bancaire », chaque banque prêtant une partie de la somme.

Les sûretés garantissant le prêt doivent alors pouvoir être gérées de façon homogène et unitaire par une seule personne au profit de l’ensemble des créanciers.

Il en va de même lorsqu’une société émet des obligations et que des sûretés viennent garantir cette émission au profit des obligataires, ou lorsqu’un même débiteur consent des sûretés à plusieurs groupes de créanciers.

Les usages bancaires internationaux consistent à confier à une entité spécifique -« l’agent des sûretés »- le soin de prendre, de gérer le cas échéant et de réaliser les sûretés au profit de l’ensemble des créanciers.

==> Carences du droit français

Jusqu’il y a peu, le droit français n’offrait pas de mécanisme juridique véritablement satisfaisant pour régir cette institution.

La théorie du mandat permet certes d’effectuer une telle opération. Dans ce cadre, l’agent des sûretés est mandaté par chaque créancier pour prendre, gérer et réaliser les sûretés. Toutefois, cette solution soulève plusieurs difficultés.

Les praticiens du droit ont entendu résoudre ces difficultés en instituant, le cas échéant, une solidarité active entre les créanciers. Par ce biais, chacun des créanciers étant investi de la totalité de la créance, celui d’entre eux qui aura été désigné pourra prendre, gérer et réaliser les sûretés en son propre nom, puis transmettra le produit de cette réalisation aux autres créanciers.

Cependant, dans un tel cadre, l’emprunteur peut rembourser la totalité du prêt entre les mains du prêteur de son choix, et se libérer ainsi à l’égard des autres, ce qui est problématique dans l’hypothèse où l’agent qui a reçu les fonds est insolvable.

En outre, il existe un risque que les juridictions considèrent que la chose jugée à l’égard d’un des créanciers solidaires s’impose à tous les autres. Chacun des prêteurs prend donc le risque que les mesures intentées par l’un d’entre eux s’imposent à tous.

Le recours à la solidarité active ne peut donc fonctionner que dans des crédits où le nombre de prêteurs est limité et où la solvabilité de la banque chargée des sûretés n’est pas contestable. Il n’est donc pas adapté à des opérations internationales de plus grande envergure.

==> Droit étranger

La pratique recourt également parfois à la technique de la « parallel debt », usitée en Allemagne et aux Pays-Bas, qui permet de demander au constituant de la sûreté, déjà débiteur d’une dette auprès de l’ensemble des créanciers, de se reconnaître débiteur envers l’agent des sûretés d’une seconde dette ayant les mêmes caractéristiques que la première.

L’agent des sûretés devient ainsi titulaire, à l’encontre du constituant de la sûreté, d’une obligation distincte de l’obligation initiale et qui lui est propre. Il peut dès lors prendre à la garantie de cette « parallel debt » des sûretés en son nom et pour son compte, et non en qualité de simple mandataire des créanciers.

Cependant, l’absence de jurisprudence française sur ce mécanisme juridique rend son application difficile. De surcroît, cette technique apparaît, en pratique, fort coûteuse.

Aussi, faute d’instruments juridiques français réellement adéquats, les acteurs économiques sont-ils contraints de soumettre leurs contrats de financement à des droits étrangers reconnaissant le trust anglo-saxon.

Face aux insuffisances des instruments juridiques existant en droit français (mandat ou solidarité active entre créanciers) et à la concurrence des droits étrangers connaissant des techniques, le législateur est intervenu en 2007, en 2008 puis en 2017 aux fins d’instituer un agent des sûretés.

==> Consécration en France

Introduit dans le Code civil par l’ordonnance n° 2017-748 du 4 mai 2017, l’article 2488-6, qui reprend l’ancien article 2328-1, dispose que « toute sûreté ou garantie peut être prise, inscrite, gérée et réalisée par un agent des sûretés, qui agit en son nom propre au profit des créanciers de l’obligation garantie. »

Il ressort de ce texte que l’agent des sûretés peut  gérer les sûretés personnelles mais également les promesses de sûretés ou encore les sûretés de droit étranger, sans être limité aux sûretés énumérées dans le code civil, le code de commerce et le code monétaire et financier.

Dans ce cadre, l’agent agit en son propre nom de sorte que les changements de créanciers membres du « pool » bancaire sont donc sans incidence puisque l’agent n’agit pas au nom de chaque créancier, à la différence du mandat.

==> Création d’un patrimoine d’affectation

Surtout, et c’est là le principal intérêt de la désignation d’un agent des sûretés, il se voit reconnaître les pouvoirs d’un fiduciaire puisqu’il devient titulaire des sûretés et garanties, qui sont transférées dans un patrimoine d’affectation distinct de son patrimoine propre, qu’il gérera dans l’intérêt des créanciers bénéficiaires.

Entreront dans ce patrimoine tant les sûretés et garanties elles-mêmes que les actifs perçus dans le cadre de leur gestion et de leur réalisation.

Aussi, la logique fiduciaire et le fait que l’agent agisse en son propre nom lui permettent, contrairement au mandataire, d’intervenir non seulement pour les créanciers originaires mais également au profit des créanciers qui seront entrés dans la composition du « pool » postérieurement à sa désignation, sans avoir à renouveler les formalités effectuées notamment pour l’inscription des sûretés, à chaque transfert de créance.

L’agent de sûretés est toutefois un fiduciaire spécial, soumis à des dispositions spécifiques prévues dans les articles qui suivent. Il n’y a donc pas lieu à application des formalités de la fiducie de droit commun des articles 2011 et suivants du code civil, qui s’avéreraient excessivement lourdes pour la seule gestion de sûretés.

Il n’est pas davantage posé d’exigence concernant les personnes pouvant agir en qualité d’agent des sûretés : il peut s’agir de l’un des établissements prêteurs ou d’un tiers, personne physique ou personne morale.

==> Effets

La création d’un patrimoine d’affectation distinct du patrimoine personnel de l’agent des sûretés emporte deux conséquences juridiques énoncées à l’article 2488-10 du Code civil :

Au total, il apparaît que l’institution d’un agent des sûretés qui devient titulaire d’un patrimoine affecté distinct de son patrimoine personnel est une nouvelle entorse au principe d’unicité du patrimoine.

[1] Planiol, Droit civil, LGDJ, 1908, t. 1, p. 682.

[2] Ch. Atias, Droit civil – les bliens, Litec, 2009.

[3] Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil français, LGDJ, t. VI, p. 229)

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