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La cession de créances professionnelles par bordereau Dailly

I) La spécificité de la cession Dailly

De par la sécurité juridique qu’ils procurent à leurs utilisateurs, les effets de commerce constituent, indéniablement, un formidable moyen pour une entreprise de se procurer des financements à court terme.

Est-ce à dire qu’ils sont les seuls instruments qui remplissent cette fonction ? Certainement pas.

Les entreprises peuvent, en effet, recourir à d’autres techniques juridiques pour obtenir du crédit, notamment auprès d’un banquier escompteur.

Au fond, qu’est-ce qu’un effet de commerce sinon un titre dont la transmission opère, par l’effet de l’endossement, un transfert de créance ?

Or le transfert de créance est une opération pour le moins ordinaire dont la réalisation est susceptible d’être assurée par d’autres techniques, au premier rang desquelles on trouve la cession de créance.

Cette technique juridique présente, néanmoins, pour une entreprise deux inconvénients majeurs :

Prenant conscience du besoin impérieux pour une entreprise de se procurer des financements à court terme afin de ne jamais manquer de trésorerie et d’être en mesure de surmonter les difficultés liées au recouvrement de ses créances, c’est dans ce contexte que le législateur a, par la loi du 2 janvier 1981, instauré une forme simplifiée de cession de créances : la cession par bordereau Dailly, dite, plus simplement, « cession Dailly ».

L’objectif des pouvoirs publics était clair : faciliter la mobilisation des créances détenues par les entreprises sur leurs clients, tout en assurant au cessionnaire une sécurité comparable à celle de l’escompte.

Si le mécanisme retenu par la loi Dailly ressemble, pour l’essentiel, au droit commun de la cession de créance, il s’en affranchit néanmoins pour ce qui est des formalités d’opposabilité.

Ainsi, cette loi offre-t-elle la possibilité aux entreprises de céder, en une seule fois, une multitude de créances détenues sur plusieurs débiteurs par la simple remise d’un bordereau à un établissement de crédit cessionnaire.

L’article L. 313-23 du Code monétaire et financier dispose en ce sens que:

« Tout crédit qu’un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d’un  bordereau , à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l’exercice par celle-ci de son activité professionnelle »

Schéma 1

II) Les conditions de la cession Dailly

La validité de la cession Dailly est subordonnée au respect de conditions de fond et de forme.

A) Les conditions de fond

  1. Les conditions tenant aux parties à la cession

Quelles sont les parties à la cession?

2. Les conditions tenant aux créances transmissibles

Quid de la nature des créances susceptible de faire l’objet d’une cession par bordereau Dailly ?

B) Les conditions de forme

Le bordereau qui opère la cession Dailly doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires.

Il s’agit des énonciations suivantes :

En cas de non-respect de ces exigences formelles, le bordereau ne vaudra pas comme acte de cession de créances professionnelles.

Il pourra éventuellement valoir comme simple cession de droit de commun. Cependant, ladite cession ne produira ses effets qu’entre les parties. Elle sera inopposable aux tiers en raison du défaut d’accomplissement des formalités prescrites à l’article 1690 du Code civil.

III) Les effets de la cession Dailly

A) Les effets à l’égard des parties : la transmission de la créance

S’agissant des effets de la cession Dailly entre les parties, trois points doivent retenir l’attention :

B) Les effets à l’égard des tiers : l’opposabilité de la cession

À titre de remarque de liminaire, il peut être observé que dès lors que les mentions obligatoires figurent sur le bordereau Dailly, la cession est valable.

Ainsi, la notification de la cession au débiteur cédée n’est, en aucun cas, une condition de validité de la cession Dailly.

La notification de la cession au débiteur cédée n’est pas plus une condition de son opposabilité, car elle devient opposable aux tiers, dès l’apposition de la date sur le bordereau.

À la vérité, tout l’enjeu de la notification de la cession réside dans le caractère libératoire ou non du paiement effectué par le débiteur cédé entre les mains du cédant.

Dans cette perspective, trois hypothèses doivent être distinguées

  1. La cession Dailly n’a pas été notifiée au débiteur cédé

2. La cession Dailly a été notifiée au débiteur cédé

FICHE D’ARRÊT

Com. 14 déc. 1993, Bull. civ. IV, no 469

Faits :

  • Cession de créance par voie de bordereau Dailly
  • Lorsque le débiteur cédé est actionné en paiement par le cessionnaire après que la cession lui a été notifiée, il refuse de payer en opposant à l’établissement bancaire l’existence de créances dont il serait titulaire à l’encontre du cédant
  • En d’autres termes, le débiteur cédé se prévaut de l’exception de compensation

Demande :

Assignation du débiteur cédé en paiement par le cessionnaire

Procédure :

Dispositif de la décision rendue au fond:

  • Par un arrêt du 23 octobre 1991, la Cour d’appel de Riom accueille la demande de la banque en rejetant l’exception de compensation soulevée par le débiteur cédé

Motivation des juges du fond:

  • Pour les juges du fond, les conditions de la compensation légale n’étaient pas réunies en l’espèce

Moyens des parties :

  • L’auteur du pourvoi reproche à la Cour d’appel de n’avoir pas pris en compte l’existence d’une compensation entre la dette due par le débiteur cédé au cessionnaire et la créance dont était titulaire ce même débiteur envers le cédant

Problème de droit :

La question se posait en l’espèce de savoir si le débiteur d’une créance cédée par voie de bordereau Dailly pouvait opposer au cessionnaire l’exception de compensation en vertu d’une créance qu’il détenait contre le cédant

Solution de la Cour de cassation :

  • Dispositif de l’arrêt:

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le débiteur cédé

  • Sens de l’arrêt:

Pour la Cour de cassation, il n’est pas établi que les créances invoquées par le débiteur cédé au titre de la compensation remplissent les conditions légales de la compensation.

Pour mémoire, le Code civil régit la compensation légale aux articles 1289 à 1299.

Quatre conditions doivent être réunies pour que la compensation légale produise son effet extinctif :

  • Réciprocité des obligations
    • Il faut que les deux personnes en présence soient simultanément et personnellement créancières et débitrices l’une de l’autre
  • Fongibilité de leur objet
    • Aucune compensation n’est possible, au sens des articles 1289 et suivants du Code civil, entre
      • des corps certains
      • des choses fongibles de nature différente
      • une obligation en nature et une créance en espèces
  • Liquidité
    • Seules des créances liquides, c’est-à-dire déterminées dans leur montant et non contestées, peuvent se compenser
  • Exigibilité
    • Les créances qui font l’objet de la compensation doivent être échues

La Cour de cassation évoque, en l’espèce, une cinquième condition :

Les créances invoquées au titre de la compensation doivent être antérieures à la notification de la cession.

Est-ce la même règle que celle posée en matière de cession de créance civile ?

Pour rappel, l’article 1295 du Code civil prévoit que le débiteur cédé peut opposer au cessionnaire la compensation dès lors que les créances compensables sont antérieures à la signification.

De toute évidence, la règle posée à l’article 1295 du Code civil n’est pas la même que celle édictée par la Cour de cassation

En matière de cession Dailly, la notification, à la différence de la signification exigée en matière de cession de créance de droit commun, n’est pas une formalité d’opposabilité.

En effet, en matière de cession de créance civile, c’est la signification qui réalise l’opposabilité de l’opération aux tiers.

Tel n’est pas le cas en matière de cession Dailly !

L’article L. 313-27 du Code monétaire et financier pose le principe selon lequel la cession est opposable aux tiers dès l’apposition de la date sur le bordereau.

Pour bien comprendre la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce, revenons un instant sur l’article 1295 du code civil.

Pourquoi cette disposition prévoit-elle que la compensation légale ne peut plus intervenir une fois que la cession de créance est opposable aux tiers, soit après sa signification ?

Cette règle se justifie aisément.

Techniquement, la compensation ne peut pas intervenir après que la créance a quitté le patrimoine du cédant.

En effet, dès lors que la créance sort du patrimoine du cédant, à tout le moins qu’elle est réputée l’avoir quitté, on ne peut plus considérer que le cédant et le débiteur cédé détiennent des créances réciproques l’un contre l’autre.

Or la réciprocité des créances est l’une des conditions de validité de la compensation légale !

D’où la règle posée par le Code civil !

La compensation légale ne peut donc plus être invoquée par le débiteur cédé après que la cession lui a été signifiée.

Par analogie avec l’article 1295 du Code civil, en matière de cession Dailly, la compensation légale ne devrait donc plus pouvoir intervenir à compter de la datte apposée sur le bordereau, soit à compter de la date à partir de laquelle la créance cédée est réputée sortir du patrimoine du cédant

Tel n’est pourtant pas la solution retenue par la Cour de cassation en l’espèce.

Pour la haute juridiction, c’est la date de notification de la cession qui doit être prise en compte. Or en matière de cession Dailly, la notification ne produit pas le même effet que la signification de l’article 1690 du Code civil.

Comment justifier cette solution retenue par la Cour de cassation ?

La compensation s’analyse comme un double paiement.

Or, le paiement opéré par le débiteur cédé dans le cadre de la cession Dailly est libératoire dès lors qu’il intervient avant la réception de la notification.

En effet, l’article L. 313-28 du CMF dispose que « l’établissement de crédit ou la société de financement peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. À compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d’Etat prévu à l’article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu’auprès de l’établissement de crédit ou de la société de financement »

A CONTRARIO, cela signifie donc que jusqu’à la notification le paiement par le débiteur cédé est possible entre les mains du cédant.

Ce paiement par le débiteur cédé entre les mains du cédant possède un caractère LIBERATIOIRE selon cette disposition jusqu’à la NOTIFICATION !

Or comme la compensation est une forme de paiement, elle est possible jusqu’à la notification de la cession Dailly et non jusqu’à l’apposition de la date de cession sur le Bordereau !

Quid de la compensation de dettes connexes ?

Traditionnellement, la connexité permet d’étendre le jeu de la compensation et de renforcer la fonction de garantie de cette dernière.

La cession Dailly constitue une parfaite illustration de ce rôle considérable conféré à la connexité.

En effet, par exception, la compensation demeure admissible postérieurement à la notification lorsque les créances invoquées ont un caractère connexe

La jurisprudence retient une conception large de la connexité, en l’admettant dans trois hypothèses :

3. La cession Dailly a été acceptée par le débiteur cédé

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