Civ. 2, 27 févr. 2025, n° 22-21.800 et n° 22-17.970 : Protection universelle maladie, cotisations subsidiaires et contrôle de constitutionnalité/conventionnalité

Résumé.

La protection universelle maladie a déconnecté le rapport fondamental qui a été fait en 1945 entre le paiement de cotisations et le droit à prestations. Dit autrement : l’usager du système de santé a droit depuis le 1er janvier 2016 aux prestations en nature quand bien même aucune cotisation de sécurité sociale n’a été payée : solidarité nationale oblige. Quant à ceux qui n’ont certes aucun revenu du travail mais qui touchent des revenus du patrimoine, il leur est demandé de fournir un effort notable. La Cour de cassation est précisément saisie de la conformité de ce dernier aux droits et libertés que la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme garantissent.

Commentaire.

En l’espèce (pourvoi n° 22-21.800), une Urssaf adresse à un cotisant un appel à cotisations subsidiaires au titre de la protection universelle maladie. Une demande en annulation de l’appel de cotisations et de restitution de l’indu est formulée. Le cotisant conteste devant le juge de la sécurité sociale les modalités de fixation de ladite cotisation en ce que les textes appliqués dans le cas particulier ne seraient pas conforment aux droits et libertés que la Constitution et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme garantissent.

Successivement saisies, la cour d’appel d’Orléans et la Cour de cassation ne suivent pas le requérant dans ses conclusions.

Depuis que la protection universelle maladie a été inventée (loi n° 2015-1702 du 21 déc. 2015), toutes les personnes résidant sur le territoire de manière stable et régulière (notion définie à l’article D. 160-2 css), et peu important qu’elles travaillent ou non, ont droit à la prise en charge des frais de santé (art. L. 160-1, al. 1 css ensemble L. 111-1, al. 2 css). Qu’on comprenne bien : l’usager du système de santé est titulaire de droits à prestations en nature (tandis qu’il n’est pas ayants droit du tout) quand bien même aucune cotisation de sécurité sociale n’aura été payée faute d’emploi ou bien faute de rémunérations significatives. C’est là une illustration parmi les plus remarquables du principe de solidarité nationale, qui est proclamé à la toute première ligne du Code de la sécurité sociale (art. L. 111-1, al. 1er).

Cela étant, et pour palier tout effet d’aubaine, le législateur dispose que les personnes éligibles à la protection universelle maladie sont néanmoins redevables d’une cotisation annuelle pour le cas où, nonobstant l’absence de rémunération, l’usager tire des revenus du patrimoine au sens de l’article L. 380-2 du code de la sécurité sociale (revenus fonciers, de capitaux mobiliers, de plus-values et bénéfices divers et éléments de train de vie). De ce point de vue, et la Cour de cassation le dit franchement (point n° 25), la cotisation constitue, pour les personnes qui en sont redevables, des versements obligatoires constituant la contrepartie légale du bénéfice des prestations en nature qui leur sont servies conformément à l’article L. 160-1 du code de la sécurité sociale.

Le requérant reproche aux pouvoirs publics de ne pas avoir plafonné le montant de la cotisation, qui est assise sur les revenus du patrimoine et, partant, d’avoir porté une atteinte disproportionnée à sa situation financière. Au soutien de thèse, sont convoqués le droit constitutionnel et le droit conventionnel…en vain. La critique méritait pourtant bien d’être formulée tant est bien floue la définition du rapport raisonnable de proportionnalité entre les droits et obligations respectifs des usagers du systèmes de santé concernés par le paiement de la cotisation subsidiaire.

Aux termes des textes applicables à la cause, en l’occurrence les articles L. 380-2 et D. 380-1 du code de la sécurité sociale, les personnes qui sont dépourvues de tout revenu du travail ou bien qui ont un revenu d’activité inférieur au seuil fixé règlementairement sont redevables d’une cotisation qui est assise sur l’ensemble de leurs revenus du patrimoine, laquelle n’a été plafonnée que bien après l’invention de la protection universelle maladie et la cotisation subsidiaire (1er janvier 2019) tandis que les cotisations de sécurité sociale prélevées aux fins de financement de la branche maladie de tous les autres cotisants sont nécessairement limitées par le montant des revenus professionnels. Où l’on constate que l’assiette de la cotisation subsidiaire (c’est-à-dire les valeurs qui sont prises en compte pour réaliser le calcul) des premiers était autrement plus large que celle de droit commun des seconds. Il y avait donc bien une différence de traitement ou pour le dire autrement une discrimination (la problématique est semblable dans le second arrêt recensé – pourvoi n° 22-17.970, 6ème moyen de cassation, points nos 26 et s.).

Le Conseil constitutionnel, auquel a été déféré l’article L. 380-1 du code de la sécurité sociale, a déclaré conforme la disposition litigieuse aux droits et libertés que la Constitution garantit sous réserve que les taux et modalités fixés par voie réglementaire ne soient pas constitutifs d’une rupture caractérisée d’égalité mais sans plus ample précision (décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, cons. n° 19). En bref : aussi fâcheuse que puisse être la rupture d’égalité, il faut encore qu’elle soit caractérisée pour espérer que le dispositif critiqué soit mis à l’écart. Dans ces conditions, le contentieux devant un juge a quo était inévitable.

La thèse du requérant est intéressante, qui soutient que dans la mesure où il aura fallu plusieurs mois aux pouvoirs publics pour se conformer à la décision du Conseil constitutionnel, plafonner la cotisation subsidiaire et contenir par voie de conséquence la rupture d’égalité, il n’est dès lors redevable d’aucune cotisation entre la date de l’entrée en vigueur de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 et celle de l’article D. 380-1 du code de la sécurité sociale, à savoir le 1er janvier 2019 (en application de la loi n° 2018-1203 du 22 déc. 2018).

L’argument ne convainc pourtant pas. La Cour de cassation et le Conseil d’Etat considèrent (avec la Cour d’appel d’Orléans et l’Urssaf Centre val de Loire) qu’il était suffisant pour le pouvoir réglementaire de définir les modalités de calcul de la cotisation dans des conditions qui n’entrainent pas de rupture caractérisée d’égalité devant les charges publiques (CE, 10 juill. 2019, n° 417919 – 29 juill. 2020, n° 430326) ; que c’est précisément l’objet des mécanismes d’abattement d’assiette et de limitation de l’assiette aux revenus du patrimoine dépassant un plafond fixé à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale qui atténuent la différence de traitement entre les assurés sociaux.

Dans le cas particulier, la Cour de cassation considère que la discrimination qui subsiste poursuit un but légitime et qu’au vu de ce dernier les moyens employés sont raisonnables (au sens du droit conventionnel – not. en ce sens : CEDH, 13 nov. 2007, Dh et autres c. République tchèque, n° 57325/00, § 175). Et la deuxième chambre civile dans un second arrêt rendu le même jour de considérer à propos de la cotisation subsidiaire que si elle prive le cotisant d’un élément de sa propriété, à savoir les sommes qui doivent être versées et qui sont recouvrées par les Urssaf, l’ingérence est pleinement justifiée au regard du second alinéa de l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (qui garantit le droit à la propriété) en ce que l’Etat est fondé à réglementer l’usage des biens pour assurer le paiement des impôts et d’autres contributions (pourvoi n° 22-17.907, points nos 17 et 18. A noter que cette dernière décision doit encore retenir l’attention en raison du doute du requérant quant à la légalité de la transmission par l’administration fiscale de données à caractère personnel aux organismes chargés du recouvrement. V. les points nos 5 et s. spécialement analysés par Vincent Roulet).

Qu’on soit convaincu ou non par les décisions rendues en l’espèce, c’est égal ; il faut bien voir que le débat sur la signification de la réserve du Conseil constitutionnel peut se poursuivre à l’infini (M. Troper, Dictionnaire de la culture juridique, v° Interprétation ; J. Bourdoiseau, L’interprétation, https://aurelienbamde.com/2019/05/06/linterpretation). La Cour de cassation en a d’ailleurs pleinement conscience, qui s’applique à justifier le rejet du pourvoi tout en laissant subsister deux régimes juridiques distincts (2016-2019 / 2019-…). A-t-elle réussi à convaincre, rien n’est moins certain. On reconnaîtra toutefois qu’il aurait été bien décevant qu’elle se contentât de viser l’article L. 111-2-1, I, al. 2 du code de la sécurité sociale qui dispose en substance que si chacun profite selon ses besoins, chacun contribue aussi selon ses moyens au financement de la protection contre le risque maladie.

(Article publié in Dalloz actualité mars 2025)

La compensation des dommages corporels de masse où la concurrence des services publics

1. Dommages de masse et arc procédural. Aussi loin qu’on puisse remonter dans le temps, la victime s’est toujours vue reconnaître la possibilité d’être lotie à l’amiable ou bien aux termes d’un procès en responsabilité. Et l’intéressée d’exciper alors le préjudice subi individuellement dans sa chair. Le schéma est élémentaire : un fait générateur dommageable, un demandeur, un avocat conseil (assez souvent), une personne mise en cause, une expertise, un régleur et une importante consommation de temps pour peu que les parties n’aient pas réussi à transiger et qu’il ait fallu en fin de compte recourir au juge. À chaque victime d’un préjudice corporel son chemin de croix et ses vicissitudes. Rien de très original en fin de compte : que le demandeur à l’action en réparation soit atteint dans son intégrité corporelle ou non, c’est égal.

Les victimes se sont longtemps contentées de la réponse offerte à tout un chacun par le service public de la justice. Puis vint un temps, pour paraphraser un éminent auteur[1], où la souffrance a été isolée du magma des sensations comme un phénomène susceptible d’observation scientifique ; la victime a crié de plus en plus fort ; l’attention portée par le droit à la réparation du dommage corporel a cru.

Pour le dire autrement, la foule a fini par s’émouvoir de plus en plus énergiquement du sort des victimes empêchées pour beaucoup d’être certes replacées dans la situation qui aurait été la leur si le dommage ne s’était pas réalisé, plus encore interdites d’être rétablies dans leur dignité de femmes et d’hommes. Tout le temps que le sujet a été borné par des considérations techniques (et le droit des petits jours en quelque sorte), l’affaire n’a pas fait grand bruit. Et puis lorsqu’il a été posé que le droit au secours n’était pas une élucubration, que le droit pouvait conduire à faire le bien d’autrui, que la réparation du dommage corporel était de principe[2] (une fois le droit des grands jours convoqué pour l’occasion), une nouvelle ère s’est alors ouverte et quelques nouvelles flèches sont venues compléter l’arc procédural des victimes. De proche en proche, un service public concurrent s’est offert à ces dernières.

On accordera certes que des mécanismes de correction et de sauvegarde ont toujours été à l’œuvre quelle que soit la forme qu’ils ont pris (et sans exclusive du reste) telles les solidarités familiales et paroissiales ou bien encore les sociétés de secours mutuel. Il reste que le compte n’a pas été jugé suffisant. Les victimes et l’opinion publique ont demandé qu’un effort plus grand soit fait. Et il faut bien dire que le contexte de la demande, à savoir la multiplication des scandales sanitaires, a rendu entendable cette exhortation.

2. Scandales et exhortation. Ces scandales ont donné à voir qu’une même catégorie de victimes, à savoir les consommateurs de biens médicaux et usagers du système de santé – qui ont subi en masse des dommages corporels et auxquels l’attention sera réservée –, ont été blessés par une même catégorie d’agents économiques, à savoir : les producteurs desdits biens. Ils ont donné aussi à contempler la carence de l’appareil d’État – qu’on croyait providence[3] – à raison des fautes commises par les autorités chargées de la police sanitaire relative aux médicaments. Les juges administratifs ne n’y sont pas trompés, qui sont très justement entrés en voie de condamnation[4]. Rien de très surprenant donc à ce que l’opinion publique ait réclamé à la force gouvernante une couverture spécifique du risque sanitaire de type assistancielle ou bien à base de solidarité[5].

3. Risque sanitaire et assistance. L’assistance, qui a été déployée tous azimuts, a pris des formes des plus originales. L’émoi suscité dans la société civile par le contentieux du sang contaminé, la crise de l’amiante, le scandale du Médiator ou encore l’affaire de la Dépakine a été tel (tandis que l’on déplorait des milliers de victime de semblables faits générateurs) que le législateur a été sommé d’inventer sur le champ de nouveaux dispositifs spéciaux de compensation : sortie de la crise sanitaire et rétablissement de la paix sociale obligeaient manifestement. Le symbolisme de la codification fut même convoqué pour l’occasion pour faciliter la réception par tout un chacun de ces inventions[6].

L’un d’entre eux a consisté à autoriser le juge civil à connaître de l’action en réparation formée par un groupe de personnes victimes en masse d’un semblable accident[7]. Intéressante action qui rationalise l’utilisation des moyens de l’institution judiciaire par le regroupement des victimes d’un même dommage corporel dans un même procès. Hélas pour les personnes concernées, l’introduction en droit interne de l’action de groupe en santé[8] n’a pas apporté grand-chose à la demande d’indemnisation formulée par une cohorte de personnes. C’est que les personnes qui ont consommé des médicaments défectueux valvulotoxiques (cas du Médiator) ou bien encore tératogènes (cas de la Dépakine), qui forment matériellement un groupe de victimes d’un semblable produit de santé, ne sont en vérité qu’une somme d’intérêts individuels…qui ne sauraient jamais être reconnus dans leurs droits respectifs à réparation aussi facilement que le législateur l’avait imaginé. Une fois l’action jugée recevable et le défendeur à l’action reconnu responsable des dommages causés[9], il ne reste certes aux victimes qu’à adhérer au groupe des usagers du système de santé à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagée pour obtenir réparation de leurs préjudices corporels[10]. Mais c’est sans compter l’exercice par le défendeur de son droit légitime de contester le jugement et d’interjeter appel. Dans de telles conditions, qui ne souffrent pas la discussion sur un plan strictement juridictionnel et à hauteur de principe, comment, dans un délai raisonnable, qui est une nécessité impérieuse en général mais plus grande peut-être dans le cas particulier de la restitution des intéressées dans leur dignité, redonner à chacun ce qui lui revient de droit ?

Alors, comment faire ? Eh bien, en changeant de braquet et en empruntant une autre voie procédurale (à tout le moins), qui consiste à préférer au service public de la justice le service public de la réparation du dommage corporel. Ou bien, pour le dire autrement, en remplaçant des juges par des administrateurs.

3. Juges et substitution. On ne saurait réduire cette substitution à un bien commode remplacement car elle est porteuse à l’analyse d’un changement de paradigme, peut-être même figure-t-elle une révolution. Tandis que, dans un État qui a une Constitution, il n’appartient formellement s’entend qu’aux seuls juges de concilier des intérêts concurrents ou contradictoires dans les conditions prévues par la loi (sans préjudice bien entendu de la liberté laissée aux parties de transiger), il échoit désormais à des administrateurs de procéder. Pour quelle raison ? Parce que le juge et sa procédure sont perçus comme inadaptés, lents et inefficaces (coûteux peut-être bien aussi, les administrateurs étant payés avec quelques maigres indemnités[11]). L’expérience de l’action de groupe en santé est typique de ce point de vue.

C’est très vraisemblablement au nom de cette efficacité supposée de l’Administration que le législateur a progressivement investi cette dernière de dire le droit et de départager les mérites et les torts. Car c’est ce que font très concrètement lesdits administrateurs-experts qui siègent dans les collèges Médiator et Dépakine[12] placés auprès de l’ONIAM : constater l’imputabilité du dommage corporel renseigné par les victimes ainsi que les préjudices causés par la défectuosité du médicament incriminé et, chose faite, émettre un avis sur les responsabilités de toutes les personnes mises en cause (État, laboratoire, médecin spécialiste et médecin généraliste traitants, pharmacien)[13]. Charge ensuite pour les payeurs désignés de formuler une offre d’indemnisation ou pas. Dans ce second cas de figure, dans l’hypothèse où la personne désignée responsable refuse purement et simplement de formuler une offre ou bien si cette dernière est jugée manifestement insuffisante, l’Office est substitué de plein droit, qui doit couvrir le sinistre et demander ensuite le remboursement de ces diligences[14]. Voilà un système administratif assistanciel des plus intéressants pour les victimes, dont le paiement d’un quantum de dommages et intérêts est garanti. Elles ne s’y sont pas trompées, qui en font grand usage (sans préjudice de la saisine en parallèle du juge de la responsabilité, qui n’est pas sans poser des difficultés d’articulation des actions que le législateur n’avait manifestement pas envisagées)[15].

4. Gratuité et biais. Depuis que l’Oniam a été créé[16], ce sont plus de 90.000 dossiers de demandes d’indemnisation qui ont été adressés à ses services toutes missions confondues[17] sans que jamais l’usager du service public sous étude n’ait personnellement déboursé un euro (sauf bien entendu les honoraires éventuellement réglés à un avocat conseil et les frais médicaux restés à charge). Dans le cas particulier, ce sont les assurés sociaux (loi de financement de la sécurité sociale, dotation de l’assurance maladie : 150 Md€) et les contribuables (loi de finances, dotation de l’État : 40,6 Md€) qui paient le prix de l’instruction, de la rédaction de l’avis d’indemnisation (ou de rejet), voire les dommages et intérêts compensatoires. Voilà une première raison suffisante à l’intérêt témoigné par les victimes à ces dispositifs spéciaux. Voilà aussi un premier biais.

Bien que la dotation générale de fonctionnement de l’établissement public soit loin d’être anecdotique, elle est un tout qui ne peut être dépassé à la discrétion de la direction générale. Il y a là une différence notable entre le service public de la réparation du dommage corporel et le service public de la justice, qui ne se donne pas à voir tout de suite. Si l’accès à l’un et l’autre service est gratuit[18], et répondent aux mêmes lois fondamentales, il subsiste une différence majeure. Aucune juridiction ne saurait jamais payer quoi que ce soit à la victime sur son budget de fonctionnement à la différence de l’administration dans le cas particulier. Ordonnateur de la dépense (en simplifiant un peu les choses), l’Oniam peut être amené à verser à la victime un contingent de dommages et intérêts. C’est typiquement le cas du contentieux Dépakine. En pratique, et il a été donné au directeur général de l’Oniam de témoigner devant la représentation nationale[19] et d’attester le refus catégorique d’un laboratoire mis en cause de formuler une offre d’indemnisation à l’aune de l’avis rendu par le collège d’experts. C’est donc l’établissement public qui fait l’avance des fonds et qui se retrouve à devoir gérer un stock de créances subrogatoires de plusieurs millions d’euros. Il est par voie de conséquence entendable que l’office, dont la gestion des deniers publics est contrôlée par le conseil d’administration, scrutée par le juge financier[20] et sanctionnée par le corps d’inspection, soit très regardant à l’heure de liquider les chefs de préjudice. Ce qui fait dire que le compte des victimes n’y est pas (à tout le moins pas complétement) en comparaison avec les indemnités susceptibles d’être accordées par un juge. En bref, que l’établissement public administratif (ou pour être tout à fait exact les tutelles) serait chiche.

5. Liquidation des chefs de préjudice et contingentement. Cette différence de traitement doit retenir l’attention. En équité, et intuitivement, l’existant à quelque chose de critiquable. Voilà que des milliers de personnes dans les affaires précitées ont été très gravement blessées par le fabriquant d’un produit de santé peu ou pas regardant du tout qui ont, de fait, plus à espérer à court terme du service public de la réparation du dommage corporel que du service public de la justice mais qui doivent alors et invariablement abandonner tout espoir d’être mieux lotis, ce qui aurait été raisonnable d’espérer à raison de la saisine d’un juge, qui n’est pas comptable des deniers du défendeur ni de ceux de son assureur de responsabilité.

L’exemple de l’indemnisation des tiers aidants spécialisés est typique de ce point de vue. Tandis que la barémisation indicative de l’Oniam cape l’heure de tierce personne spécialisée à 18 euros[21], des décisions de justice renseignent une pratique bien différente et mieux disante. Il sera répondu que ce ne sont là que les suites du choix fait par les victimes, qui sont priées à l’amiable de consentir des concessions réciproques (art. 2044 c.civ.). Qu’il soit toutefois permis de poser la question de savoir si cette différence de régime ne serait pas constitutive d’une rupture d’égalité de traitement des victimes d’un même dommage corporel collectivement subi avec ça.

En résumé, il y aurait d’un côté, une première catégorie de victimes, celles qui ont les moyens d’attendre le prononcé d’un jugement passé en force de chose jugée (nonobstant le référé provision) ; de l’autre, une seconde catégorie n’en n’ayant pas les moyens du tout et devant alors se contenter d’une indemnisation plus fruste.

Cette présentation volontairement simplifiée à l’extrême choque les cœurs. Elle interroge la pertinence de l’existant et la concurrence organisée entre les deux services publics sous étude. Mais de la simplification à l’extrême au simplisme, il n’y a qu’un pas. Cherchons à mesurer plus finement la pertinence de la substitution opérée.

6. Administrativisation et doutes. Confier l’instruction d’une demande d’indemnisation au service public de la réparation du dommage corporel est gage de facilités tout à fait remarquables. Non seulement le coût des expertises médicales est supporté par l’Office[22] mais une assistance des victimes aux fins de formulation de leur demande respective est offerte. Ce sans compter la pratique bienveillante des collèges d’experts, qui ne se contentent pas d’instruire au regard des seules pièces fournies au dossier mais qui réclament spontanément les documents idoines manquants (soit par la formulation d’une requête adressée au demandeur soit par l’interpellation des professionnels de santé concernés via l’exercice d’une prérogative de puissance publique[23]). Il est bien su que l’expertise médicolégale est la clef de voûte de toute contestation en la matière. Eh bien voilà un autre avantage, probablement l’un des plus remarquables en vérité tant en droit qu’en médecine, du traitement des dommages corporels de masse par un service public idoine. Il réside, d’une part, dans l’hyper spécialisation des médecins et chirurgiens sollicités et, d’autre part, dans l’hyper collaboration de tous les administrateurs appelés à siéger dans les collèges d’experts : professionnels de santé et professionnels du droit[24]. Fait intéressant : la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de fonder un arrêt dans le contentieux évoqué ici à la lumière des expertises faites par les médecins et juristes siégeant dans le collège d’indemnisation Médiator en reprenant à son compte l’expertise amiable proposée[25] dans le cadre de la mission éponyme de l’Oniam.

Demande d’indemnisation après demande, la recherche de l’imputabilité, qui est un exercice des plus difficiles particulièrement lorsque la victime est le siège de quelques prédispositions pathologiques intriquées, est améliorée. Quant à l’imputation et ses suites, c’est un travail, qui est certes réalisé par les experts juristes au vu des règles de droit positif qui gouvernent la réparation du dommage corporel mais possiblement, et autant que de besoin, au vu de chefs de préjudices découverts pour les besoins de la cause (ce qui n’est pas un problème en soi, la nomenclature étant indicative) et principes de la réparation corrigés (ce qui prête plus volontiers à discussion).

7. Invention de règles nouvelles et procès en légitimité. Au regard du strict droit positif, l’hypothèse de travail qui vient d’être décrite constituerait les experts en infraction avec la jurisprudence des cours régulatrices. Pure vue de l’esprit sera-t-on tenté de rétorquer sur le champ : la chose (qui n’est certes pas inimaginable en théorie) ne peut pratiquement pas survenir au risque de brider tout le dispositif en ce sens qu’en pareil cas de figure le défendeur refusera très probablement de formuler une offre d’indemnisation. Seulement voilà, l’Oniam (pris en qualité d’assureur pour compte) est alors substitué de plein droit. N’étant pas autorisé par le législateur à s’opposer à l’avis d’indemnisation, l’office est transformé en débiteur final de la réparation. Quant à l’action subrogatoire, qui est ouverte à l’Office aux fins de remboursement, elle semble bien vaine dans le cas particulier sauf à soutenir que l’invention du collège s’impose à l’évidence pour espérer la condamnation du défendeur. Dans un environnement aussi incertain, et au vu des coûts environnés d’un procès, il se pourrait que l’Office en reste là.

Où l’on voit en fin de compte que les dispositifs sous étude donnent le pouvoir aux experts-administrateurs de se faire juges, déférence gardée alors pour l’exhortation prescrite à l’article 4 du code civil qui ne les concerne pourtant pas, (formellement s’entend). Il y a plus (ou pire, c’est selon) : ces avis d’indemnisation, à raison du caractère amiable du dispositif, sont frappés du secret. Qui les réceptionnera pour en commenter les tenants et les aboutissants ? Qui en dénoncera la défectuosité éventuelle (une défectuosité, l’autre – médicament vs avis) ?

Aucun contrôle de légalité n’a été organisé[26] pas plus qu’aucune analyse doctrinale ne saurait être produite à raison du secret gardé. Un procès d’intention pour acte de pure autorité pourrait-il être fait en conséquence à celles et ceux qui participent à la rédaction des avis d’indemnisation ? Une réponse négative semble devoir s’imposer en ce sens que le défendeur n’est pas obligé de formuler une offre à l’aune de l’avis rendu (encore que l’assureur ou bien la personne responsable encourt une majoration significative des dommages et intérêts dus en cas de résistance mal inspirée)[27] ni la victime contrainte de l’accepter (encore que la perspective d’un procès en responsabilité, des années de procédure, d’attente et le risque pris alors réduisent à peau de chagrin ladite liberté).

En bref, l’appréhension des dommages corporels de masse par un service public idoine n’a pas simplement modifié l’affectation d’un stock de litiges. Elle a donné à voir des cohortes de sujets malades pour les médecins et des séries de questions inédites pour les juristes en un trait de temps de nature à recommander une correction du droit positif. La chose a quelque chose d’assez extraordinaire en ce sens que cela ne se rencontre jamais en pratique. En comparaison avec le nombre de décisions rendues par les juridictions du second degré, le nombre de pourvoi en cassation est faible. La réformation de la jurisprudence prend donc inévitablement de très nombreuses années. Où l’on constate que l’invention de ce service public, qui ne dit pas son nom, interroge à maints égards.

8. Interrogations tous azimuts et pouvoir. Entre autres questionnements nés de l’administrativisation de la couverture des sinistres sériels, il est question de pouvoir, non pas des juges, qui est bien balisé par le Code de procédure civile, qui dispose que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, mais de l’office des administrateurs chargés de dire qui est tenu au paiement de la dette de dommages et intérêts ; office à propos duquel rien n’a été prescrit. Comprenez qu’il n’est écrit nulle part que le collège d’experts rédige l’avis d’indemnisation conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Si la chose allait de soi, et tandis qu’il est de bonne méthode d’être sobre en matière de législation, pour quelle raison le législateur aurait-il alors pris grand soin de rédiger le fameux article 12 du Code de procédure civile et de le ranger dans les principes directeurs du procès ? Le parallélisme des formes n’aurait-il pas commandé qu’on écrivît plus précisément l’office des experts, à tout le moins celui de ceux qui sont compétents en réparation du dommage corporel et en responsabilité médicale (pour reprendre les mots de la loi)[28] ? D’aucuns rétorqueront que des juristes composant nécessairement ces aréopages, la prescription se serait révélée surabondante. Il pourrait être répliqué, d’une part, que ce serait faire peu de cas de la propension des juristes à se jouer des empêchements à agir de tout genre et, d’autre part, qu’il n’est jamais vain de rappeler chacun à quelques résolutions. La présidence de ces collèges d’experts par un magistrat renseigne peut-être l’intention du législateur[29]… Ceci étant dit, le ministère de la santé aurait été bien en peine si l’office des juristes experts avait été déterminé par la loi. C’est que le collège d’experts Médiator a fonctionné plus de quatre années sans aucun juriste autour de la table mais en présence des seuls professionnels de santé (exception faite du président, premier avocat général honoraire près la Cour de cassation, qui ne comptait que pour une voix). Aussi savants que soient les médecins et les chirurgiens, plus particulièrement ceux qui sont experts judiciaires[30], le droit de la réparation du dommage corporel n’est pourtant l’affaire que des seuls professionnels du droit, qui renseignent une formation idoine. On accordera que la défectuosité du médicament ayant été démontrée dans le dossier Médiator et la responsabilité du laboratoire incriminé étant acquise, il ne restait plus qu’à caractériser l’imputabilité du déficit fonctionnel allégué au médicament. Seulement voilà, la science des médecins est l’art des juristes sont faits de notions et concepts irréductibles dont la causalité est très probablement la manifestation la plus éclatante. Tandis que les premiers ont l’expertise rivée sur l’étude des causes qui ont participé de la maladie et concluent (par tropisme) à un partage aussitôt que l’étiologie renseigne une prédisposition de la victime[31], les seconds portent un jugement de valeur sur l’enchaînement causal des faits qui ont concouru à l’entier dommage. Ce dernier jugement s’accommodant mal d’un morcellement du préjudice, l’approche uniciste peut-être préférée. Où l’on constat que la volonté d’aller vite en besogne en la matière a pu ici et là se révéler piégeuse pour les victimes.

9. Intention et déraison ? Il aura fallu plus de quatre années de pratique de l’expertise collégiale et d’exhortations des associations de victimes pour que le ministère de la santé ne se décide à nommer un juriste expert indépendant[32] (à savoir un spécialiste des règles qui organisent la réparation du dommage corporel) non plus seulement des médecins ou des chirurgiens. A l’expérience, la présence de professeurs et praticiens du droit a changé l’économie générale du dispositif et celle de tous ceux qui suivront. Pour preuve, une place bien plus grande sera faite aux juristes à l’occasion de la création du dispositif d’indemnisation des victimes du valproate de sodium (Dépakine)[33].

Avant que le ministère ne modifie la composition du collège benfluorex (Médiator)[34], il y avait bien un juriste dans l’affaire (au côté du président, qui est un magistrat), à savoir : le responsable administratif de la mission Médiator, salarié par l’Oniam. La composition du collège d’experts variant au gré des disponibilités respectivement de chacun de ses membres[35], la présence du responsable de service à chacune des séances d’expertise, qui est prescrite par le Code de la santé publique[36], est de nature à donner un tour inattendu au fonctionnement de l’institution. Deux dispositions d’esprit semblent pouvoir être adoptées (sans qu’elles ne soient totalement exclusives l’une de l’autre) : soit ce dernier se limite à rappeler à chacun des membres présents la jurisprudence initiée au fil des demandes d’indemnisation (possiblement en l’absence de l’un des experts) ; soit l’intéressé mentionne lesdits précédents dans le dessein de caper l’indemnisation en standardisant les avis rendus. Il y aurait beaucoup à écrire sur chacune de ces modalités d’assistance dans un contexte qui ne transparait pas facilement des dispositions applicables à la cause, à savoir que c’est cette dernière personne qui a la responsabilité de formuler concrètement une offre d’indemnisation à chaque fois que l’Oniam se retrouve dans l’obligation d’indemniser la victime. Voilà une très intéressante pratique, qui a été abandonnée en cours de route par l’Office (sans qu’on n’ait pu mesurer sa pertinence), que la présence de l’assureur public au stade de l’instruction de la demande d’indemnisation.

Mais il y a très certainement plus à dire encore d’une autre invention. Après avoir constaté une nouvelle fois que le dispositif Médiator ne donnait pas entière satisfaction aux dires des associations de victimes[37], le législateur a autorisé le collège d’experts à rouvrir de son propre chef l’instruction des demandes d’indemnisation ayant pourtant fait l’objet d’un premier avis de rejet[38]. Et d’étendre cette faculté aux membres du collège d’experts Dépakine[39]. L’intention est louable, qui offre aux personnes concernées un réexamen de la demande « en cas d’éléments nouveaux ou bien d’évolution des connaissances scientifiques ». Seulement voilà : les bons sentiments n’inspirent pas nécessairement les plus heureux commandements. Dans le cas particulier, et sans même disserter plus avant sur la constitutionnalité douteuse de cette saisine proprio moutu[40], aucune condition n’a été prescrite qui garantit l’égalité de traitement, le respect du principe du contradictoire (qui est pourtant censé guider l’instruction au sens de l’article L. 1142-24-4 du Code de la santé publique et des principes directeurs du procès[41]) et prévient l’appréciation discrétionnaire des experts. Sans douter de l’indépendance et l’impartialité des administrateurs concernés, il reste que ces derniers, qui sont investis de l’analyse ex post des avis de rejet, ont donc tout pouvoir sur le dispositif (qu’il s’agisse du principe de la réouverture comme de ses modalités) sans même n’avoir jamais reçu mandat des victimes.

10. En guise de conclusion intermédiaire, car cette contribution ne saurait épuiser le sujet, l’administrativisation de la réparation des dommages corporels de masse ne devrait pas être continuée sans, au préalable, qu’une évaluation critique et systématique n’ait été faite, sans qu’aient été appréciés les tenants et les aboutissants de ces dispositifs sui generis inventés dans la précipitation pour répondre au plus pressé à la demande des nombreuses victimes concernées et faire cesser une première crise sanitaire puis une autre. De lege ferenda, et en parallèle, un groupe de travail pourrait être constitué qui aurait pour tâche d’évaluer pour le compte de l’inspection générale des affaires sociales la pertinence de quelques systèmes substitutifs d’inégales ampleur et ambition.

11. Substitution et prospective. Une approche radicale teintée de conservatisme consisterait à faire machine arrière en réaffectant la compensation des dommages corporels de masse au service public de la justice, au prix de quelques aménagements toutefois.

Une juridiction spéciale et unique pourrait être désignée à cet effet auprès de laquelle les demandes formulées en nombre par des justiciables d’un même fait dommageable seraient concentrées. Ce mode de traitement d’un contentieux technique et important en volume n’est pas nouveau[42]. La Cour d’appel de Paris est par exemple spécialement désignée pour connaître des actions engagées en matière d’indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine contre l’Oniam[43]. Une autre cour connaît du contentieux de la tarification des risques professionnels traité[44]. La juridiction pourrait être échevinale (à la manière des anciens tribunaux de la sécurité sociale), et composée de juristes experts dans la réparation du dommage corporel, dont la décision pourrait être éclairée par un collège de professionnels de santé idoine chargé de l’expertise médico-légale.

La compensation pourrait tout aussi bien être la responsabilité d’une commission spécialement constituée à cet effet. Le droit de l’indemnisation des victimes d’infractions pourrait à cet égard se révéler des plus inspirants, qui dispose que les commissions ont le caractère de juridictions qui se prononcent en premier ressort au sens de l’article 706-9 du Code de procédure pénale. La « rejudiciarisation » du contentieux d’offrir alors une série de garanties et de facilités faisant défaut à ce jour (mise en état, expertise en présence de la victime, obligation in solidum des codébiteurs entre autres) mais interdisant aux victimes d’être indemnisées dans des délais raisonnables sauf à défendre que la décision aurait vocation à être rendue en dernier ressort, ce qui ne semble pas pouvoir être envisagé en droit processuel.

Plus en phase avec les choix de politique juridique qui ont été récemment exprimés, mais sans faire l’économie de quelques innovations, la compensation pourrait tout aussi bien rester dans le giron du service public de la réparation du dommage corporel réformé autant que de besoin. Un fonds d’indemnisation pourrait alors être créé ou bien l’Oniam autrement doté. Financé par une taxation des producteurs de médicaments à la manière du mode de financement du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (en bref et en fin de compte par les consommateurs de produit[45]), il offrirait à chacune des victimes, qui rapporterait la preuve de la prise d’un médicament incriminé, un contingent de dommages et intérêt compensatoires. Une réparation forfaitaire[46] pourrait être imaginée qui serait alors calculée par un système d’information régulé[47]. Charge serait alors faite à la victime de rechercher autant que de besoin un complément d’indemnisation devant le juge de la réparation et la juridiction ad hoc renforcée dans ses démarches par l’expertise médico-légale réalisée (v. supra).

Ceci pour suggérer en fin de compte que si l’on souhaite donner à l’administrativisation de la réparation des dommages corporels subis par une foule de victimes un tour plus ambitieux pour mieux la démarquer de la judiciarisation du contentieux (pour autant que l’on soit convaincu de la pertinence de la distinction des actions naturellement) alors un pas vers la standardisation de la réparation ne devrait pas manquer d’être fait, qui serait gage d’une égalité de traitement, d’une amélioration de la productivité du service public et de l’accélération du paiement de la créance de dommages et intérêts compensatoires[48].

C’est une thèse qui a été esquissée il y a déjà une quinzaine d’années[49] qui trouve ici une nouvelle expression, fruit de l’encouragement constant de l’auteur de ces quelques lignes par le dédicataire à la libre recherche scientifique (du maître à penser…), le tout avec une exigence qui n’a d’égale que la bienveillance dont le professeur Fabrice Leduc a toujours su faire preuve. Puissions-nous être dignes de la formation reçue et de la confiance témoignée sur tous les plans de la carrière (au maître à passer).


  1. J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, Les personnes, La famille, l’enfant, le couple, 27e éd., PUF, 2004, n° 199, p. 388 (philosophie). ?
  2. V. not. en ce sens notre thèse, L’influence perturbatrice du dommage corporel en droit des obligations, préf. F. Leduc, bibl. dr. pr., t. LGDJ, 2008, nos 249 et s. ?
  3. J. Bourdoiseau, Le service public de la réparation du dommage corporel, Resp. civ. et assur. avr. 2023, dossier n° 7. ?
  4. L’affaire du Médiator (benfluorex) est typique : CE, 1 et 6e ch. Réunies, 09 nov. 2016, n° 393108, n° 393902, n° 393904, publiés au recueil. Celle de la Dépakine (valproate de sodium) tout autant : TA Montreuil, 8e ch., 23 juin 2020, n° 1704275, n° 1704392, n° 1704394. Voir notamment sur le sujet : S. Brimo, La responsabilité administrative, dernière victime du Médiator, Ajda 2014. 2490. J. Petit, L’affaire Médiator : la responsabilité de l’Etat, Rfda 2014.1193. ?
  5. V. également S. Porchy-Simon, L’incidence en droit français du caractère collectif de l’événement sur le préjudice réparable et son évaluation in Les dommages de masse, recueil des travaux du Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l’assurance, 2022, Bruylant, p. 271 s. ?
  6. Indemnisation des victimes en masse de risques sanitaires : art. L. 1143-1 c. santé publ. Indemnisation des victimes du benfluorex (Médiator notamment) : art. L. 1142-24-1 et s. C. santé publ.. Indemnisation des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés (Dépakine notamment) : art. L. 1142-24-9 C. santé publ. V. encore pour l’indemnisation des victimes de pesticides, les articles L. 491-1 et s. C. sécu. soc. ensemble les articles L. 723-13-3 C. rur. ?
  7. Pour aller plus loin, A. Guégan, Dommages de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, Bibl. dr. pr., t. 472, LGDJ, 2006. ?
  8. Loi n° 2016-21 du 26 janv. 2016, art. 184 – n° 18 nov. 2016, art. 90. ?
  9. Tj Paris, 05 janv. 2022, n° 17-07.001. ?
  10. Art. L. 1143-3 C. santé publ. ?
  11. R. 1142-63-4, al. 2 c. santé publ. ?
  12. C’est également la mission confiée aux experts chargés de l’indemnisation des victimes de pesticides (art. L. 491-1 et s. c. sécu. soc. ensemble art. L. 723-13-3 c. rur.). ?
  13.  Le singulier est employé ici. Il n’est pas rare du tout que plusieurs laboratoires soient concernés ainsi que plusieurs médecins spécialistes ou généralistes traitants (notamment ceux qui renouvellent les ordonnances lorsque la permanence des soins est suspendue). Il en va de même concernant les pharmaciens. Occasion de faire remarquer que l’administrativisation de ce contentieux interdit de lier le sort des personnes désignées responsables aux termes de l’expertise médico-légale. Où l’on déplore que la victime (qui n’est pas nécessairement assistée par un avocat) ne profitant pas du régime juridique favorable de l’obligation in solidum se voit adresser autant d’offres d’indemnisation que de personnes désignées responsables par le collège d’experts concerné. ?
  14. Art. L. 1142-24-7 et L. 1142-24-17 c. santé publ. ?
  15. 1ère difficulté : l’articulation entre la procédure amiable et la procédure contentieuse. Question : le collège d’experts doit-il sursoir à statuer ? Réponse : certainement pour toute une série de raisons que le cadre limité de cette contribution ne permet pas de développer. 2nde difficulté : l’articulation entre la décision rendue par le juge administratif (en capacité de produire un jugement plus rapidement que son homologue judiciaire) et celle rendue par le juge civil. Difficultés d’articulation nées de l’ingénierie remarquable des avocats conseils qui n’ont jamais tenus pour exclusifs (à juste raison) les dispositifs spéciaux d’indemnisation insérés dans le Code de la santé publique. Où l’on constate que le contentieux de la réparation du dommage corporel gagnerait très possiblement à être unifié. Ce sans compter que le juge administratif n’est toujours pas disposé à condamner solidairement l’Etat (v. not. en ce sens, J. Bourdoiseau et B. Lavergne, La contribution à la dette de réparation in N. Albert, F. Leduc et O. Robin-Sabard, Droits privé et public de la responsabilité extracontractuelle, étude comparée, LexisNexis, 2017, pp. 270 et s.), pas plus que les collèges d’experts ne sont autorisés à procéder de la sorte, ce qui complique sacrément la parcours de la victime aux fins d’indemnisation et renchérit (sur un plan plus macroéconomique) bigrement le prix de la réparation intégrale (ce qu’une analyse économique permettrait de renseigner plus finement). ?
  16. Loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 rel. aux droits des malades et à la qualité du système de santé. ?
  17. Oniam, rapport d’activité pour 2022, https://www.oniam.fr/indemnisation-accidents-medicaux/rapport-d-activite. ?
  18. F. Douet, E. le Noan et R. Pellet, La fable de la gratuité des services publics, tribune, Les échos, 09 mars 2024. V. toutefois la parenthèse de la contribution pour l’aide juridique de la loi n°2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, art. 54 (création d’un article 1635 Q CGI supprimé par la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, art. 128). ?
  19. Assemblée nationale, commission des affaires sociales, audition, 11 oct. 2023. ?
  20. Pour mémoire, les anciens directeur, directeur juridique et secrétaire général de l’Oniam ont été condamnés par la Cour de discipline budgétaire et financière à raison de fautes de gestion (arrêt du 10 déc. 2020, n° 245-801). ?
  21. Office, Référentiel indicatif d’indemnisation, avr. 2022, p. 9. Contra, CE, 5e et 6e ch. réun., 27 mai 2021, n° 433863. Décision du Conseil d’Etat qui rappelle l’obligation faite au juge administratif de déterminer le montant de l’indemnité réparant le préjudice corporel en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir et sanctionne l’application (mécanique ou standardisée pourrait-on dire) d’un taux de 13 euros de l’heure (qui est le prix de la tierce personne non spécialisée offert par l’Oniam). ?
  22. Voir not. art. L. 1142-24-4 et L. 1142-24-11 C. santé publ.. ?
  23. Art. par exemple art. l. 1142-24-11 C. santé publ.. ?
  24. Collaboration tout à fait remarquable en comparaison avec ce qui se pratique en judiciaire où l’expert et l’avocat ne sont pas du tout placés sur le même plan au sens de l’article 276 du code de procédure civile. ?
  25. CA Paris, ch. corr., 20 déc. 2023, n° 21/04654. V. infra. ?
  26. Sauf bien entendu la possibilité laissée aux personnes intéressées de contester l’avis à l’occasion d’une action en indemnisation introduite devant une juridiction (art. L. 1142-24-5, al. 3 et L. 1142-24-12, al. 5 c. santé publ.). ?
  27. V. par ex. art. L. 1142-24-7, al. 4 C. santé publ. ?
  28. V. par ex. art. R. 1142-63-1, 2° C. santé publ.. Cmp art. R. 1142-63-18, 3° C. santé publ.. ?
  29. A noter que les ministères concernés ont nommé des années durant à la présidence des collèges sous étude des magistrats à la retraite (sans faire aucune offense à leurs compétences attestées en la matière) (Médiator – président Alain Legoux : décret 14 mai 2011, JO n° 0115 du 18 mai 2011 ensemble arr. 19 juin 2023, JO n° 0144 du 23 juin 2013. Présidente Magali Bouvier : arr. 15 janv. 2015, JO n° 0022 du 27 janv. 2015 ensemble arr. 1er juin 2016, JO n° 0129 du 4 juin 2016. Dépakine – président Jean Mazars : décret 08 juin 2011, JO n° 0134 du 10 juin 2011 ensemble arr. 05 juill. 2017, J0 n° 0159 du 08 juill. 2017). Ces derniers de changer d’approche en 2020. C’est désormais un magistrat en activité qui préside le collège Valproate de sodium – Dépakine (président Christophe le Gallo : arr. 20 août 2020, J0 n° 0205 du 20 août 2020 ensemble arr. 12 juin 2020, JO n° 0148 du 17 juin 2020). Ce qui est assez significatif en raison de l’augmentation par voie de conséquence des coûts de fonctionnement de l’instance. ?
  30. Comprenez que ce n’est donc pas le cas de tous les experts qui siègent dans ces collèges. ?
  31. A l’aide de la savante formule ou du score dit de Balthazar, qui peut donner au profane le sentiment d’une évaluation scientifiquement imparable du déficit fonctionnel renseigné. ?
  32. Arr. du 5 novembre 2014 portant nomination des membres du collège d’experts placé auprès de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Pour mémoire, la mission Benfluorex a été confiée à l’Oniam en 2019 (loi n° 2011-900 du 29 juill. 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 57 (V). Arr. 30 sept. 2015, JO n° 0238 du 14 oct. 2015. Arr. 19 nov. 2020, JO n° 0284 du 24 nov. 2020. ?
  33. Arr. 26 juin 2017, JO 0159 du 08 juill. 2017. Arr. 24 juill. 2020, JO n° 0192 du 06 août 2020. ?
  34. Prétexte pris de la lettre du texte, qui impose la désignation d’une personne compétente en réparation du dommage corporel (art. R. 1142-63-1, 2° C. santé publ.), le collège a accueilli à son démarrage et des années durant sur ce poste un professionnel de la médecine légale. Les travaux préparatoires ne laissaient pourtant aucun doute sur l’intention du législateur qui entendait qu’un juriste soit désigné. ?
  35. Raison pour laquelle le ministère nomme par arrêté des titulaires et des suppléants. ?
  36. Art. R. 1142-63-5 : « Le secrétariat du collège est assuré par l’office (al. 1). A ce titre, le directeur de l’office assiste aux réunions du collège, sans voix délibérative. Il peut se faire représenter ou assister par toute personne de son choix (…) » (al. 2). V. également en ce sens, l’article R. 1143-63-22 C. santé publ. (Dépakine). ?
  37. Michel-Dominique Courtois, La colère du président de l’Association des victimes de l’Isoméride et du Médiator, édito, le Parisien, 03 oct. 2013, https://www.victimes-isomeride.asso.fr/ ?
  38. Art. L. 1142-24-5, al. 4 C. santé publ. (issu de la loi n° 2016-41 du 26 janv. 2016 de modernisation du système de santé, art. 187). Pour mémoire, le Gouvernement avait introduit ce dispositif dans un projet de loi de finances rectificative pour 2014 (art. 109 de la loi n° 2014-1655 du 29 déc. 2014) qui a été censuré comme cavalier budgétaire par le Conseil constitutionnel (décision n° 2014-708 DC du 29 déc. 2014, cons. 42-44).
  39. Saisine proprio moutu accordée également au collège d’experts en charge de la mission Dépakine aussitôt que le dispositif a été créé (art. L. 1142- 24-12, al. 6 C. santé publ. ?
  40. Cons. const., décision n° 2013-352 QPC du 15 nov 2013 : LPA, 16 mai 2014 (inconstitutionnalité de la saisine d’office du tribunal de commerce et abrogation de l’article L. 621-2, al. 2 c. com.). ?
  41. Article 14-16 C. proc. civ. in « La contradiction » et article L. 5 C. justice admin. in « Titre préliminaire ». ?
  42. Encore que pour être tout à fait exact ces systèmes de résolution des litiges articulent une phase administrative de première intention et une phase juridictionnelle en seconde détente. ?
  43. Art. L. 311-12 et R. 311-10 C. organisation jud. ?
  44. Art. D. 311-12 C. org. jud. : « La cour d’appel d’Amiens est compétente pour connaître des litiges mentionnés au 7° de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale ». ?
  45. Consommateurs qui ont inévitablement pris un risque (que toutes les parties intéressées cherchent à réduire au maximum naturellement). Pour mémoire, et la chose est loin d’être anodine, un médicament est une substance ou composition administrée en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier les fonctions physiologiques du patient (art. L. 5111-1 C. santé publ.). A titre d’illustration, la Haute autorité de santé attire régulièrement l’attention des professionnels de santé sur le surdosage en antivitamines K, qui est la première cause des accidents iatrogènes en France (v. la notice renseignée ci-dessous). AVK qui augmentent le risque hémorragique mais qui sont des médicaments indispensables dans la prévention des thromboses (voir par exemple la notice de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé : https://ansm.sante.fr/dossiers-thematiques/les-questions-reponses-des-anti-vitamine-k-avk). Cela étant, et c’est affaire d’économie de la santé, la taxation des médicaments étant élevée (voir par ex. : https://www.leem.org/prix-resultats-et-fiscalite-des-entreprises), il faut avoir à l’esprit que le surcroît de charges serait très vraisemblablement supporté par le patient et, par voie de conséquence, les complémentaires santé (contraintes alors de majorer les primes ou cotisations d’assurance). En bref, la consommation de médicament comptant pour beaucoup dans la consommation annuelle de soins et de biens médicaux (3ème poste de dépenses. Voir par ex. : https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666887?sommaire=7666953), des oppositions tous azimuts ne manqueraient pas de s’exprimer. Aussi faudrait-il imaginer une articulation plus fine des impôts et taxes affectées au financement de la sécurité sociale. ?
  46. Comme c’est précisément le cas de l’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques au sens de l’article L. 491-1, al. 6 C. sécu. soc. ?

  47. J. Bourdoiseau, L’intelligence artificielle et la réparation des dommages in Responsabilité civile et intelligence artificielle, Recueil des travaux du Groupe européen de recherche sur la responsabilité et l’assurance, Bruylant 2022. ?
  48. V. sur les prétendus dysfonctionnements de l’Oniam, qui ne redistribuerait qu’en partie les crédits alloués aux fins d’indemnisation des victimes de la Dépakine et de façon trop tardive (30 mois après qu’un avis d’indemnisation aurait été rédigé), la question orale posée par le sénateur Klinger au ministre délégué auprès du ministre du travail, de la santé et des solidarités (JO Sénat du 28 mars 2024, p. 1244). ?
  49. J. Bourdoiseau, thèse préc. V. encore du même auteur : La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?, Resp. civ. et assur. mai 2021, étude n° 7 – L’intelligence artificielle et la réparation des dommages, op. cit. – L’intelligence artificielle, la réparation du dommage corporel et l’assurance : quel apport de l’IA à la réparation du dommage corporel, Dalloz IP/IT, sept. 2023, pp. 11 et s. ?

(Article publié dans les mélanges F. Leduc, LexisNexis, févr. 2025)

Le mythe de la responsabilisation des assurés sociaux et le risque de renoncement aux soins

Il est courant de défendre que le déficit des comptes sociaux est causé, entre autres raisons, par des assurés sociaux qui se comporteraient comme des consommateurs de biens et de produits de santé insatiables, passagers insouciants du bateau assurance maladie qui à la manière du tristement célèbre Titanic finiront par faire naufrage. Et pour préserver le navire, tandis qu’on sauvegarderait par la même occasion le système de protection sociale dans son ensemble, il a été convenu de les responsabiliser.

La responsabilisation a plein de visages : ticket modérateur, participation forfaitaire, délai de carence, taxe « lapin »… Les lois de financement de la sécurité sociale, qui se suivent et se ressemblent assez à cet égard, renferment nombre de dispositifs de cet acabit. Le ministère de la santé et de l’accès aux soins n’est pas en reste, qui est désireux de baisser le taux de remboursement des consultations médicales par les organismes de sécurité sociale.

A l’analyse, ces techniques ne servent pas à refréner la consommation de soins et de biens médicaux mais bien plus sûrement à externaliser une fraction des dépenses de santé en les faisant supporter par l’assurance maladie complémentaire aux lieu et place de l’assurance maladie obligatoire (dont le déficit compte significativement dans la dette publique) en faisant croire au patient-cotisant-consommateur qu’il ne s’agirait que d’un banal jeu d’écritures comptables sans aucune conséquence sur son pouvoir d’achat. Quant à laisser penser que les complémentaires santé ne sauraient répercuter les effets des politiques de réduction des coûts, c’est faire peu de cas de l’impérieuse nécessité pour les organismes d’assurance de procéder ni de l’intelligence fine de nos concitoyens pour autant qu’ils soient couverts…ce qui n’est pas vrai pour une frange croissante de la population qui n’est pas éligible à la complémentaire santé solidaire.

Il n’est pas de bonne méthode de continuer sur cette pente de la responsabilisation tous azimuts. Et il y a une bonne raison à cela : les usagers du système de santé ne sont pas les ordonnateurs de la dépense. La responsabilisation est donc douteuse.

Il y a pire. La mesure est indifférente pour les plus riches, qui ne souffrent pas ou bien peu les conséquences du reste à charge, mais handicapante pour les plus pauvres qui vont devoir reporter le recours aux soins (pourtant rendus plus nécessaires encore en raison de leur état de santé plus fragile que pour les classes aisées de la population), aggraver possiblement leurs pathologies et ordonner des dépenses de santé plus onéreuses le moment venu.

Tandis donc qu’il existe un droit fondamental à la sécurité sociale et à la santé, que l’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale, que près d’un quart de la rémunération brute d’un travailleur est affecté au financement de la branche maladie, la discrimination des plus pauvres de nos concitoyens et bientôt des classes moyennes ferait office de soupape de sécurité du système ?

Si responsabilisation il doit y avoir, c’est plus sûrement du côté des professionnels de santé qu’il faut se tourner dont les modalités d’exercice d’un certain nombre renchérissent les coûts pour la collectivité et les organismes d’assurance. C’est aussi encore du côté des femmes et des hommes en responsabilité politique qui sont manifestement mal informés de tous les tenants et aboutissants des réformes paramétriques qu’ils commandent.

La pratique du stop and go observée ces 15 dernières années par les ministères sociaux en termes de ressources humaines a interdit de penser la baisse de la démographie des professionnels de santé. Un rapport sénatorial publié en novembre 2022 renseigne que la France a perdu 5 000 médecins généralistes entre 2010 et 2021, quand parallèlement elle gagnait 2,5 millions d’habitants. Au résultat, l’accès à la santé en 2024 est devenu désormais une source de très grande préoccupation. Un rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie est en ce sens. On accordera certes que le renfort des médecins venus de l’étranger est appréciable mais c’est alors et inévitablement priver de leurs professionnels de santé les populations délaissées.

Les déserts médicaux sont un concept que l’expression ne renseigne pas bien. Aussi contre-intuitif que ce soit, il est un fait (et il n’est pas isolé) : Paris, ses arrondissements et sa grande banlieue sont concernés. Dire qu’il y a une désertification de l’offre, c’est indiquer qu’il n’y a plus assez de médecins (1er problème) mais davantage qui exercent en secteur 2 à honoraires libres (2nd problème). Non seulement, le nombre de professionnels de santé qui proposent leurs services en secteur 2 croit tous les mois mais certains médecins se déconventionnent purement et simplement. Au final, l’offre est raréfiée en raison des prix pratiqués – ce qui est bien su – mais également en raison de la diminution du temps de travail de certains professionnels de santé qui en ont désormais les moyens – ce qui est moins vu -. Au résultat, de plus en plus de d’usagers sont contraints de traverser (à leurs frais) plusieurs départements pour obtenir une consultation.

Pratiquer en secteur 2 est tentant. La complémentaire santé étant à présent bien distribuée, les dépassements d’honoraires sont solvabilisés. Ils ne le sont certes que dans la mesure où les contrats d’assurance le prévoient et pour les montants convenus. Seulement voilà cette digue, qui a été construite par le législateur et qui retient le flot des dépassements tous azimuts, se fragilise dans le contexte. C’est que la pénurie de professionnels, que le plein emploi et la difficulté de recrutement des collaborateurs pourraient changer la donne.

La loi n’interdit pas formellement aux organismes d’assurance de commercialiser des produits offrant une bien meilleure couverture des dépassements d’honoraires et un bien meilleur rendement que les contrats collectifs frais de soins de santé à adhésion obligatoire. Et s’il se trouve des employeurs disposés à compenser la majoration du prix de la mutuelle d’entreprise pour fidéliser et attirer à eux les talents, on aura alors fini par renouer avec la solvabilisation renforcée des dépassements d’honoraires et une dispensation facilitée des soins en secteur à honoraires libres.

Comment ne pas s’étonner que la trajectoire, qui affecte incontestablement les plus pauvres de nos concitoyens, et qui aggravera inévitablement les inégalités devant la maladie et l’accès aux soins, ne soit pas vue par celles et ceux en responsabilité ?

Article écrit avec le Dr. Pierre-Vladimir Enneza (Dalloz actualité, 18 déc. 2024)

 

Civ. 1, 21 avr. 2022, n° 20-17.185 : Transaction et sanction du défaut de participation de la caisse de sécurité sociale

Solution.

Si la victime transige avec le tiers responsable sans avoir invité la caisse de sécurité sociale à participer à l’accord, le règlement amiable ne peut lui être opposé pas plus que la prescription de son action en remboursement. La Cour de cassation d’ajouter qu’il incombe aux juges du fond saisis du recours subrogatoire de la caisse d’enjoindre aux parties de produire la transaction pour s’assurer de son contenu et déterminer les sommes dues au tiers payeur.

Impact.

Précisant les modalités de l’action en paiement de la créance subrogatoire de la caisse et l’office du juge, la Cour de cassation dit, par prétérition, qu’il n’appartient pas au tiers payeur de rapporter la preuve des conditions de la responsabilité du tiers responsable, ce qu’avaient pourtant considéré à tort les juges du fond successivement saisis (CA Versailles 30 avr. 2020, n° 19/00574).

Note.

Cet arrêt s’inscrit dans la liste des décisions rendues en droit du recours des tiers payeurs. Formellement, le lecteur est accompagné dans la compréhension des règles renfermées aux articles L. 376-1, L. 376-3 et L. 376-4 du code la sécurité sociale par le nouveau mode de rédaction des décisions de la Cour de cassation et la motivation en forme développée. C’est à tout le moins l’intention.

Tandis que les faits sont des plus simples à comprendre, le problème de droit a été compliqué à l’envie. Au résultat, l’accès au droit n’est pas plus précis ni informé que par le passé. Mais il était sûrement bien peu aisé de motiver une telle décision en raison de l’enchevêtrement dans le cas particulier de règles techniques. Quant aux moyens annexés, dans la mesure où la cassation (partielle) n’est prononcée qu’au vu du seul second moyen, le lecteur peine spontanément à comprendre pour quelle raison le premier moyen de cassation de la caisse, qui conclut à la responsabilité du tiers responsable, dont rien n’est dit franchement dans la décision, est reproduit in extenso.

Reprenons. En l’espèce, un laboratoire est assigné en responsabilité civile à raison de la valvulotoxicité du principe actif du médicament mis en circulation ; la caisse de sécurité sociale est appelée en déclaration de jugement commun. Une transaction est conclue entre la victime et le tiers responsable. La caisse n’ayant pas été invitée à y participer et le règlement amiable lui étant inopposable par voie de conséquence (art. L. 376-3 css), l’instance se poursuit.

La caisse demande le remboursement des prestations versées (art. L. 371-1 css) et le paiement d’une indemnité forfaitaire en raison des frais qu’elle a dû engager pour être remplie de ses droits (art. L. 376-1, al. 9 css). Le tribunal et la cour d’appel la déboutent de ses prétentions faute d’avoir démontré que les conditions de la responsabilité du laboratoire étaient réunies.

La solution a quelque chose de singulier. C’est que la caisse n’intente pas une action en responsabilité mais une action en paiement. Elle ne réclame pas des dommages et intérêts compensatoires. La caisse demande au tiers responsable le remboursement des prestations sociales servies à titre conservatoire (1er motif de remboursement : compensation de l’appauvrissement non justifié de la solidarité nationale) qui auront du reste et nécessairement été soustraites de l’indemnisation accordée à la victime (2nd motif de remboursement : prévention d’un enrichissement injustifié du tiers responsable) (voy. déjà en ce sens, Civ.2, 07 juill. 2011, n° 09-16.616, publié au bulletin, Resp. civ. et assur. nov. 2011, comm. 355 par H. Groutel). Le tout sur autorisation de la loi. Libre alors au débiteur putatif d’opposer les exceptions de nature à paralyser en toute ou partie l’action en paiement. Comment cela ? Eh bien par le truchement de l’opposabilité à la caisse du règlement amiable. C’est que la caisse subrogée n’a pas plus de droits que la victime subrogeante (art. 1346-4 du code civil). En bref, les juges du fond nous paraissent avoir inversé l’ordre des facteurs.

Le redressement par la Cour de cassation s’imposait. Le modus operandi se veut pédagogique tant le sujet est des moins évidents en pratique. L’occasion est du reste saisie par la deuxième Chambre civile de rappeler les modalités de détermination de l’assiette du recours, à savoir qu’« il incombe aux juges du fond, saisis d’un recours subrogatoire de la caisse qui n’a pas été invitée à participer à la transaction, d’enjoindre aux parties de la produire ». Charge ensuite au tribunal de « s’assurer du contenu et, le cas échéant, déterminer les sommes dues à la caisse, en évaluant les préjudices de la victime, en précisant quels postes de préjudice ont été pris en charge par les prestations servies et en procédant aux imputations correspondantes » (voy. déjà en ce sens, Civ.2, 11 juin 2009, n° 08-11.510 publié au bulletin, JCP S. 24 nov. 2009, D. Asquinazi-Bailleux).

Une hésitation perdure toutefois au vu d’un arrêt (certes inédit) rendu il y a quelques mois aux termes duquel la Cour de cassation semblait dire que les juges du fond n’avaient pas à tenir compte du règlement amiable intervenu dans un cas approchant (Civ.2, 26 nov. 2020, n° 19-19.950, inédit, Dr. rural n° 491, mars 2021, comm. 64 par Th. Tauran). En l’espèce, la Cour semblait recommander au juge de ne tenir aucun compte de la transaction, la caisse pouvant alors recouvrer l’intégralité des sommes versées à son assuré social dans la limite naturellement de la dette de responsabilité du tiers responsable et de la part du préjudice soumise à recours (Civ. 2, 14 mars 1989, n° 88-81.210 publié au bulletin – 07 juill. 2011, n° 09-16.616, publié au bulletin). Solution plus sévère s’il en est. C’est que, en transigeant, et ce sans que la caisse n’ait été invitée à y participer, la victime a possiblement réduit les droits au remboursement de la solidarité nationale (comp. art. L. 124-2 du code des assurances).

Dans l’arrêt sous étude, les juges du fond sont invités à s’assurer du contenu de la transaction. Il semble bien qu’il faille par voie de conséquence tenir compte de la transaction sans que l’on sache très bien si l’intérêt manifeste pour la caisse a été complétement écarté.

(Article publié in Responsabilité civile et assurance juin 2022)