Le mandat : les obligations du mandataire

Le propre du contrat de mandat est de créer une relation triangulaire entre le mandant, le mandataire et les tiers. Dans cette relation tripartite, le mandataire est débiteur d’obligations à l’égard du mandant (section 1) et des tiers (section 2).

Section 1.- Les obligations du mandataire à l’égard du mandant

Le Code civil comporte un chapitre consacré entièrement aux obligations du mandataire. Cependant, les articles 1991 à 1997 du Code civil ne suffisent pas à couvrir l’ensemble des obligations mises à sa charge. Les juges ont dû se livrer à une interprétation évolutive de textes inchangés depuis 1804. La jurisprudence a ainsi fait évoluer les obligations du mandataire en tirant les conséquences du caractère souvent onéreux du contrat de mandat.

L’existence d’une rémunération alourdit, logiquement, ses obligations et sa responsabilité subséquente. Il convient de préciser le contenu des obligations du mandataire (A) qui conditionnent sa responsabilité (B).

A.- Le contenu des obligations du mandataire

Le mandataire doit assumer à l’égard du mandant, d’une part, une obligation principale qui consiste dans l’exécution de la mission qui lui a été confiée (1) et, d’autre part, une série d’obligations périphériques (2).

1.- Obligation principale : exécuter la mission

Selon l’article 1991 c.civ. « Le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ». L’alinéa 2 ajoute : « il est tenu de même d’achever la chose commencée au décès du mandant, s’il y a péril en la demeure ». Cette disposition doit être mise en lumière avec l’article 1989 c.civ. qui en fixe les limites en ce sens : « le mandataire ne peut rien faire au delà de ce qui est porté dans son mandat (…) ». L’objet de la mission du mandataire doit être déterminé de manière précise, l’étendue de ses obligations et de ses pouvoirs en dépend. Les missions confiées au mandataire reposent sur une obligation essentielle : “accomplir le mandat”.

Accomplir le mandat.- « Accomplir le mandat » est une formule relativement large qui recouvre principalement deux sens. 1° Il s’agit “de faire ce qui est demandé, ordonné, proposé”. 2° Il s’agit de faire quelque chose jusqu’au bout, de le mener à son terme”. Ces deux sens communs renvoient aux deux alinéas de l’article 1991 c.civ.

Faire ce qui est demandé.- Le mandataire dispose d’une certaine marge de manœuvre pour accomplir sa mission. Rien n’oblige, dans les textes, à réduire les rapports entre mandataire et mandant à un lien de préposition et encore moins à un lien de subordination. Cette liberté laissée au mandataire dans l’accomplissement du mandat dépend de la précision des stipulations contractuelles. À défaut de précision, il est souvent admis que le mandataire est présumé disposer de la liberté de choisir les moyens d’accomplir sa mission.

La liberté du mandataire l’oblige à protéger au mieux les intérêts du mandant et, le cas échéant, à faire preuve d’initiative. Pour tout dire, le manque d’initiative est de nature à engager sa responsabilité.

Cette liberté autorise également le mandataire à choisir librement son cocontractant. Le mandataire doit néanmoins veiller à la solvabilité du tiers contractant. Cette obligation est plus ou moins intense selon la nature du mandat. Le mandataire assume en conséquence la responsabilité de ce choix. Pour finir, l’accomplissement de la mission du mandataire doit se faire dans le respect de certains principes. Les articles 1988 et 1989 c.civ. limitent les prérogatives du mandataire qui doit agir dans les limites des pouvoirs qui lui ont été conférés. Le mandataire dispose, à ce titre, d’une marge de manœuvre qui dépend du caractère indicatif ou impératif du mandat.

En outre, le mandataire est censé faire preuve de diligence. Cette obligation découle moins de la lettre de l’article 1991 c.civ. Il doit en ce sens exécuter son mandat au mieux des intérêts du mandant et doit veiller à l’efficacité des actes qu’il est censé accomplir. C’est tout particulièrement vrai du notaire, par exemple.

Ensuite, et plus largement, un mandataire doit exécuter son mandat avec loyauté. Il doit ainsi agir dans le meilleur intérêt du mandant. La nature même du mandat, qui repose sur la technique de la représentation, fait naître un lien de confiance très fort entre les parties. Ce faisant, le mandataire doit répondre d’un manquement à ce devoir de loyauté même après la cessation de son mandat, car le mandant s’en remet au mandataire qui peut l’engager par ses actes et peut l’exposer ainsi à de nombreux risques. Ce devoir de loyauté est d’une intensité variable selon la qualité du mandataire

« Accomplir le mandat » signifie également continuer et achever sa mission. L’alinéa 1er de l’article 1991 c.civ. précise qu’il est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé. L’alinéa 2 prévoit en ce sens que le mandataire doit poursuivre sa mission même après le décès du mandant. Souvent, en effet, les héritiers ignorent les modalités de gestion des affaires du défunt. L’utilité du mandat postule une telle persistance du contrat de mandat au-delà de la personne du mandant. L’article 1991, al. 2, c.civ. exige toutefois qu’il y ait “péril en la demeure”. Cette règle est destinée à protéger le mandant, ou plutôt ses héritiers. Il ne faudrait pas que le mandataire profite de la disparition du mandant pour abuser de ses pouvoirs.

2.- Les obligations périphériques

Afin de mener à bien sa mission, le mandataire est tenu de diverses obligations périphériques ou satellitaires. Il s’agit principalement des obligations de renseignement et de conseil (a) et de l’obligation de rendre compte (b). La première de ces obligations périphériques ne pose pas de difficulté de compréhension à la différence des secondes. Pour cette raison, elles seules seront abordées.

L’obligation de rendre compte est légalement consacrée et détaillée dans d’autres types de contrats et certains mandats spéciaux. V. par ex. art. 437, al. 3 c.civ., en cas de sauvegarde de justice avec désignation en justice d’un mandataire spécial : « le mandataire spécial est tenu de rendre compte de l’exécution de son mandat à la personne protégée et au juge dans les conditions prévues aux articles 510 à 515 ».

Tantôt perçue comme une obligation principale, certains arrêts la considèrent comme « inhérente au mandat » (voy. par ex. Cass. 1re civ., 8 févr. 2000, n° 95-14.330, Bull civ. I, n° 36) ; tantôt perçue comme une obligation accessoire, elle est régie par l’article 1993 c.civ. qui dispose que « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu’il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu’il aurait reçu n’eût point été dû au mandant ». Selon le Vocabulaire juridique, la reddition de compte est « l’opération consistant de la part d’un mandataire, d’un administrateur du patrimoine d’autrui, d’un comptable, à présenter à l’amiable ou en justice son compte de gestion (sommes dépensées, sommes encaissées, indemnités etc.) afin que celui-ci soit vérifié, réglé et arrêté ». Le mandant est en droit d’exiger, sauf stipulation contraire – l’article précité n’est pas d’ordre public – cette reddition de compte même si aucune circonstance ne laisse penser que les mandataires ont dépassé les limites de la procuration donnée.

B.- La sanction des obligations du mandataire

La responsabilité du mandataire est régie par les articles 1991 et 1992 c.civ. L’article 1991 c.civ dispose que « Le mandataire est tenu d’accomplir le mandat tant qu’il en demeure chargé, et répond des dommages-intérêts qui pourraient résulter de son inexécution ». L’article 1992 c.civ énonce que « le mandataire répond non seulement du dol, mais encore des fautes qu’il commet dans sa gestion ». Le principe semble clairement posé d’une responsabilité subjective du mandataire mais son application l’est beaucoup moins.

À cette responsabilité de son fait personnel, il convient d’ajouter la responsabilité de celui-ci en présence d’un mandataire substitué ou sous-mandataire. En effet, l’article 1994 c.civ prévoit que « Le mandataire de celui qu’il s’est substitué dans la gestion ».

Mandat à titre gratuit et mandat rémunéré.- L’alinéa 2 de l’article 1992 c.civ précise que « néanmoins la responsabilité relative aux fautes est appliquée moins rigoureusement à celui dont le mandat est gratuit qu’à celui qui reçoit un salaire ». Cette disposition est amenée à trouver une place plus importante en raison de la professionnalisation du mandat et elle justifie de traiter séparément la responsabilité du mandataire en cas de mandat à titre gratuit (a) et la responsabilité du mandataire en cas de mandat salarié (b), même si les tribunaux ne distinguent pas toujours très nettement ces deux catégories de mandat.

Le mandataire n’est pas censé garantir l’exécution du contrat conclu avec le tiers, mais seulement de répondre de la bonne réalisation de son contrat de mandat. En revanche, une clause contractuelle peut mettre à sa charge une telle garantie (sur l’hypothèse originale d’une responsabilité en cas de conclusion d’un contrat déséquilibré, V. G. Chantepie, La responsabilité des tiers impliqués dans la conclusion d’un contrat déséquilibré, in Études offertes à G. Viney : LGDJ, 2008, p. 259). Il en est ainsi de la clause ducroire. Il doit, en vertu de cette clause, veiller à la bonne exécution du contrat conclu avec le tiers. Il ne doit pas se contenter de répondre de l’insolvabilité du tiers acquéreur à l’égard du mandant mais doit également garantir le paiement effectif. Cette clause de ducroire, qui doit être expresse, existe souvent dans certains types de mandats tels que le contrat de commission (V. F. Goré, Le commissionnaire ducroire, in Le contrat de commission, ss dir. J. Hamel : Dalloz, 1949, p. 281). Elle est parfois prévue par le législateur lui-même comme en matière de promotion immobilière. L’article 1831-1 c.civ, qui qualifie le promoteur de “mandataire”, précise qu’il est le garant à l’égard de ses clients des entrepreneurs.

Section 2.- Les obligations du mandataire à l’égard des tiers

Effet de la représentation.- Aux termes de l’article 1997 c.civ, « le mandataire qui a donné à la partie avec laquelle il contracte, en cette qualité, une suffisante connaissance de ses pouvoirs, n’est tenu d’aucune garantie pour ce qui a été fait au-delà, s’il ne s’y est personnellement soumis ». L’absence de lien contractuel qui caractérise en principe les rapports entre mandataire et tiers n’exclut pas pour autant que le mandataire puisse engager sa responsabilité vis-à-vis de ces mêmes tiers. La représentation présuppose que l’acte réalisé est réputé produire directement ses effets sur le patrimoine du représenté.

Le représentant ne sert que de média mais n’est pas partie. « Il disparaît de la scène juridique ». Aussi le principe posé par l’article 1997 c.civ veut-il que l’acte ainsi conclu ne produise aucun effet à son égard. Non seulement, l’opération ne peut lui profiter mais elle ne peut non plus lui nuire.

Représentation et codification savante.- La même règle est prévue par les principes du droit européen du contrat. L’article 3 : 202 dispose que « Lorsque le représentant agit dans la limite de ses pouvoirs tels qu’ils sont définis par l’article 3 : 201, ses actes lient directement le représenté et le tiers. Le représentant n’est pas engagé envers le tiers ». Les Principes Unidroit sont également en ce sens puisque l’article 2.2.3 énonce que « 1) Les actes accomplis par le représentant dans la limite de ses pouvoirs, alors que le tiers savait ou aurait dû savoir qu’il agissait en cette qualité, engagent directement le représenté et le tiers. Aucun rapport juridique n’est créé entre le représentant et le tiers. 2) Toutefois, si le représentant, en contractant avec le tiers pour le compte d’une entreprise, se présente comme étant le propriétaire, le tiers qui découvre le véritable propriétaire peut aussi exercer, à l’encontre de ce dernier, les droits qu’il détient à l’encontre du représentant ». La même règle figure au sein de l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription dont l’article 1119-1, alinéa 1 prévoit que « Le représenté est seul engagé par les actes accomplis par le représentant dans la limite de ses pouvoirs ». Les Principes Unidroit ajoutent une condition qui est la connaissance par le tiers du rapport de représentation. Le projet de cadre commun de référence établi par le groupe d’études sur le Code civil européen et le groupe acquis communautaire reprend les termes des principes du droit européen du contrat mais ajoute que le représentant doit agir d’une manière qui indique son intention de modifier la condition juridique du représenté. Dans le cas contraire, il répond personnellement des actes accomplis (art. 6 : 105 et art. 6 : 106).

Tempéraments.- Le principe ainsi posé doit désormais être tempéré. En effet, lorsque le mandat est sans représentation, le mandataire agit pour le compte du mandant mais pas en son nom (ex. du commissionnaire). Dit autrement, le mandataire agit en son nom propre. Son partenaire ne sait pas (ou bien la personne du mandant lui est inconnue) que son cocontractant s’oblige en vérité pour le compte de quelqu’un d’autre. Dans ce cas de figure, le mandataire répond personnellement des actes accomplis auprès du tiers contractant et ce, même si le tiers connaît l’existence de ce mandat sans représentation. En outre, lorsque le mandataire conclut un engagement personnel à l’égard d’un tiers, il s’oblige à son égard même s’il dépasse les limites de son mandat.

La responsabilité extracontractuelle du mandataire.- Le mandataire répond sur un fondement extracontractuel des fautes dont il se rend coupable envers les tiers. Si le mandataire dépasse les limites de ses pouvoirs, l’acte est nul ce qui n’empêche pas le tiers de demander au mandataire réparation du préjudice causé par l’anéantissement de l’acte (Cass. 3e civ., 3 mai 1955 : Bull. civ. 1955, I, n° 171). En principe, le tiers ne pourra obtenir du mandataire qui dépasse les limites de ses pouvoirs que de simples dommages et intérêts et non l’exécution en nature à moins qu’on ne soit dans le cadre d’une exception légale ou bien « que la théorie de l’apparence ne soit valablement opposée (voy. l’article « L’apparence : notion et fonctions »).

Le mandataire n’engage pas sa responsabilité lorsque le tiers a contracté avec le mandataire tout en sachant que celui-ci dépassait les limites de sa mission. Le seul espoir du tiers serait une ratification de l’acte par le mandant. La doctrine majoritaire précise qu’en principe il appartient au tiers d’établir qu’il n’a pas été informé de l’étendue des pouvoirs du mandataire. Il s’agit, en effet, d’une faute. Les règles classiques de la charge de la preuve justifient que cette faute soit établie par la victime (contra, Ch. Aubry et Ch. Rau, op. cit., § 415, n° 187, note 25, p. 273 pour qui il s’agit d’une question de fait devant être réglée par les juges du fond en fonction des circonstances. Il ne servirait à rien d’attribuer à l’un ou à l’autre la charge de la preuve !).