Ch. mixte, 09 janv. 2015, n° 13-310 : Perte de droits à la retraite, rente et revirement

Le donné. Le législateur a décidé que l’indemnisation des accidents de travail-maladies professionnelles (AT-MP) serait forfaitaire. Dont acte. Le juge, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement, veille. Rue Montpensier : « le plafonnement de l’indemnité destinée à compenser la perte de salaire résultant de l’incapacité n’institue pas une restriction disproportionnée aux droits des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle »[1]. Quai de l’Horloge : le seul fait pour la victime d’un risque professionnel de ne pas être éligible, en principe, à une réparation intégrale n’engendre pas de discrimination prohibée par la Convention européenne des droits de l’Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales[2]. L’affaire était décidément mal engagée.

En l’espèce, un salarié fait une chute de plusieurs mètres sur son lieu de travail. Le caractère professionnel de l’accident est reconnu par la caisse d’assurance-maladie. Six mois plus tard, le salarié victime est licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement. Saisie, la Cour d’appel de Rennes retient la faute inexcusable de l’employeur, majore la rente allouée au taux maximum, mais déboute la victime de sa demande au titre de la perte de droits à la retraite.

Contrairement à l’analyse qui est faite par les juges du fond, l’auteur du pourvoi soutient en substance que ladite perte n’est pas un chef de dommage couvert par le livre IV du Code de la sécurité sociale, qu’elle peut donc faire l’objet d’une demande d’indemnisation complémentaire.

La question posée par le pourvoi est simple en apparence. Elle consiste à se demander ce que compense précisément la rente majorée à raison de la faute inexcusable de l’employeur. La réponse, qui est débattue en doctrine, est acquise en jurisprudence : la perte des droits à la retraite est nécessairement indemnisée par application du livre IV du Code de la sécurité sociale (principe) ; la perte subie ne saurait donner lieu, par voie de conséquence, à une réparation distincte (effet).

Le construit. Le principe de l’indemnisation est réaffirmé en l’espèce : « la perte de droits à la retraite est couverte par la rente majorée ». Et la Cour de cassation de préciser que ladite rente répare « notamment les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle résultant de l’incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation ». Cette solution est acquise en jurisprudence depuis près de cinq ans[3].

Ceci étant rappelé, le sens de l’arrêt ne s’impose pas d’emblée au lecteur. C’est qu’on n’y trouve pas affirmé que la rente majorée indemnise la perte des droits à la retraite. La solution ne surprend pourtant pas. On la doit à la nomenclature des préjudices corporels[4] à laquelle la chambre mixte renvoie par prétérition. La définition de l’incidence professionnelle doit retenir l’attention. Ce chef de préjudice patrimonial à caractère définitif a pour objet d’indemniser non la perte de revenus liée à l’invalidité permanente de la victime, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle, en l’occurrence la perte de retraite. Ceci posé, la Cour de cassation aurait été bien imprudente de s’aventurer à retenir une définition originale de la rente.

L’indemnisation de tous les retentissements de l’accident du travail imputables à la faute inexcusable de l’employeur a été rendue possible par une décision du Conseil constitutionnel. Il faut bien voir que jusqu’à la décision précitée du 18 juin 2010, cette faute qualifiée autorisait certes le salarié victime à demander la majoration de sa rente et la compensation de quelques autres postes de préjudice, mais c’était tout. On doit au Conseil d’avoir écarté le caractère limitatif de la liste des chefs de dommage réparables (cons. 18). La Cour de cassation s’est appliquée à le redire[5]. Il restait encore à s’entendre sur ce que sont « des dommages non couverts » par le droit des risques professionnels et, par voie de conséquence, à déterminer l’étendue de la réparation.

Par faveur pour le salarié victime, il aurait pu être considéré que tous les dommages non totalement couverts pouvaient être compensés. Cette interprétation aurait fondé la victime à échapper, par la bande en quelque sorte, à l’indemnisation forfaitaire. Saisie de la question, la deuxième Chambre civile avait refusé de franchir le Rubicon[6]. Elle est à présent confortée dans son analyse par l’arrêt rendu en chambre mixte : l’indemnisation ne saurait jamais être intégrale, à tout le moins pas à l’initiative du juge. La perte des droits à la retraite subie par le salarié victime étant indemnisée à raison de l’allocation d’une rente, elle ne saurait donner lieu à une réparation distincte. En disant cela, la Cour de cassation se conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et à la volonté du législateur.

Les effets d’une pareille indemnisation sont notables. Le licenciement pour inaptitude et l’impossibilité de reclassement sont relégués au second plan en l’espèce. Il n’en a pas toujours été ainsi.

La Chambre sociale de la Cour de cassation décide, dans un arrêt du 26 octobre 2011, que le salarié a le droit de demander à la juridiction prud’homale une indemnité réparant la perte des droits à la retraite[7], et ce toutes les fois que le licenciement est prononcé en raison d’une inaptitude consécutive à un accident du travail jugé imputable à une faute inexcusable de l’employeur. Le renvoi devant une chambre mixte s’imposait.

Désireuse manifestement de conjurer le mauvais sort que le droit des risques professionnels continue de réserver au salarié victime, la Chambre sociale offrait à cette dernière la possibilité de demander la compensation de chefs de préjudice singuliers jugés alors (en opportunité) irréductibles à la perte des gains professionnels ou à l’incidence professionnelle. En se prononçant de la sorte, le juge était sur sa ligne. Pour mémoire, il décidait, dans le courant de l’année 2006 : « lorsqu’un salarié a été licencié en raison d’une inaptitude consécutive à une maladie professionnelle qui a été jugée imputable à une faute inexcusable de l’employeur, il a droit à une indemnité réparant la perte de son emploi due à cette faute de l’employeur ». Et d’ajouter « que les juges du fond apprécient souverainement les éléments à prendre en compte pour fixer le montant de cette indemnisation à laquelle ne fait pas obstacle la réparation spécifique afférente à la maladie professionnelle ayant pour origine la faute inexcusable de l’employeur »[8].

L’arrêt sous étude met un terme à cette jurisprudence. Alors que le pourvoi ne l’y invitait pas, la chambre mixte de la Cour de cassation décide que la perte des droits à la retraite est couverte de manière forfaitaire par la rente majorée, quand bien même serait-elle consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude. Autant dire que la jurisprudence indemnisant la perte d’emploi consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle risque, par voie de conséquence, de vaciller. L’attention est de mise.


  1. Cons. const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC, consid. 17. ?
  2. Cass. 2e civ., 11 juill. 2013, n° 12-15402. ?
  3. Cass. 2e civ., 11 juin 2009, n° 07-21768 – Cass. 2e civ., 28 févr. 2013, n° 11-21015. ?
  4. Colloque, « Autour de la nomenclature des préjudices corporels. Hommage au président Dintilhac », et not. notre article « Les préjudices professionnels » : Gaz. Pal. 27 déc. 2014, p. 32, n° 203f0. ?
  5. Cass. 2e civ., 30 juin 2011, n° 10-19475. Contra : Cass. soc., 16 nov. 1988, n° 87-12800. ?
  6. Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, nos 11-18014, 11-15393, 11-14311, 11-12299. ?
  7. Cass. soc., 26 oct. 2011, n° 10-20991. ?
  8. Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-47455. V. égal. en ce sens, Cass. soc., 26 janv. 2011, n° 09-41342, inédit – Cass. soc., 23 sept. 2014, n° 13-17212. ?

(Article publié in Gazette du palais, 5-7 juill. 2015)

RGPD: le principe de proportionnalité

§1 : Les textes

La LIL prévoit en son article 6, 3° que les données à caractère personnel « sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs ».

Quant au RGPD, l’article 5, c) dispose que « les données à caractère personnel doivent être adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) ».

Il ressort de ces deux disposions que tout traitement de données à caractère personnel doit être guidé par l’observance du principe de proportionnalité.

Ce principe est issu de la directive du 24 octobre 1995 qui avait posé cette exigence. Le RGPD le qualifie encore de principe de minimisation des données.

§2 : Exposé du principe

Au fond, la règle véhiculée par le principe de proportionnalité est que seules les données à caractères personnel qui sont indispensables à l’opération envisagée ne peuvent faire l’objet d’un traitement. A défaut, le traitement est illicite.

La question qui alors se pose est de savoir à partir de quand peut-on considérer que le traitement d’une donnée à caractère personnel est indispensable.

Pour le déterminer il convient de se reporter à deux considérations que sont :

  • La finalité du traitement
  • La nature des données collectées

==> S’agissant de la finalité du traitement

Il convient de se reporter à la finalité déclarée par le responsable du traitement afin de déterminé si celui-ci est proportionné.

Exemples :

  • Décision n° 2010-113 du 22 av. 2010 (ACADOMIA)
    • Les faits
      • La société ACADOMIA a pour activité principal de sélectionner des enseignants puis de proposer leurs services de soutien scolaire à ses clients, majoritairement des parents d’élèves.
      • Les enseignants ne sont pas recrutés par la société, mais par les familles l’ayant mandatée à ces fins.
      • En sa qualité de mandataire, la société gère ainsi pour le compte de ses clients tous les aspects commerciaux et de gestion de cette relation parent-enseignant, y compris l’accomplissement des formalités requises par l’URSSAF et les organismes de sécurité sociale lorsque ses clients souhaitent en être déchargés.
      • Sur son site web, la société enregistrait des commentaires sur les enseignants et les clients.
        • Ont ainsi été relevés la présence de mentions telles que :
          • Hyper hyper hyper stressée
          • Sa bouche tremble quand elle me parle
          • Le problème c’est qu’elle sent très mauvais (renfermé, sueur, tabac) malgré tout jeune femme très jolie et qui a un passé difficile (a eu une leucémie) , négligé, pas sain, sent le tabac et la cave, a l’air à l’ouest… , petit détail annexe : sent mauvais de la bouche
          • ATTENTION : présente mal /sent l’alcool / parle bizarrement , sent la transpiration (ne connait pas le déo) ;
          • GROS CON!! BEAUCOUP TROP SUR DE LUI NE SURTOUT PAS CONVOQUE .
    • La décision
      • La CNIL a considéré qu’il était parfaitement légitime de procéder à la collecte d’informations concernant les élèves et leurs parents, en vue d’adapter les prestations fournies par la société aux situations individuelles et de faciliter la relation commerciale avec la clientèle.
      • Elle a encore estimé légitime de collecter des informations concernant les enseignants qui seront amenés à travailler au contact d’enfants, dès lors que cette collecte a pour objet de permettre à la société d’évaluer leurs compétences professionnelles et leur aptitude à dispenser des cours.
      • En revanche, elle a jugé qu’on ne saurait admettre que soient enregistrés des commentaires excessifs et inappropriés sur ces personnes, qui seraient susceptibles de porter gravement atteinte à leur vie privée.
      • Ainsi, pour la CNIL, le traitement des données n’était pas proportionné à la finalité poursuivie.
  • Décision n°2010-112 du 22 octobre 2010
    • Les faits
      • La CNIL a été saisie le 24 juin 2009 d’une plainte d’un salarié de la société, relative à la mise en œuvre en 2006 d’un dispositif de vidéosurveillance sur le lieu de travail
      • Le plaignant reprochait notamment à la société de n’avoir pas effectué de formalités préalables auprès de la CNIL concernant ce dispositif, de n’avoir pas informé les institutions représentatives du personnel et de n’avoir mis en place aucun support d’information sur la vidéosurveillance.
      • A la demande du comité d’entreprise de la société, celle-ci a effectivement mis en place un système de vidéosurveillance sur l’un de ses sites.
      • L’installation de ce dispositif répondait à des actes de dégradation et de vols commis sur ce site.
      • Le dispositif installé visait le local de repos des salariés (concernés par les dégradations et le vol précités), ainsi que le parking et un bureau de travail.
      • La société n’avait procédé à aucune formalité préalable concernant ce dispositif installé en 2006.
    • La décision
      • Dans cette affaire, la CNIL a jugé le traitement de données à caractère personnel effectué par la société illicite, en conséquence de quoi elle a ordonné l’interruption dudit traitement.
      • Pour la Commission
        • D’une part, le dispositif mis en place n’est pas justifié au regard de la nature des tâches accomplies par les salariés et disproportionné par rapport à l’objectif de sécurité, dès lors qu’il apparaît que ce dispositif place les salariés sous la surveillance constante de leur employeur
        • D’autre part, il a été relevé que la console du poste de gardiennage permettait d’accéder à des enregistrements vidéo conservés depuis plus de deux mois au jour du contrôle sur place. Or il s’agit là d’une durée a priori excessive au regard de la finalité du traitement, et en tout état de cause contraire aux engagements pris par la société dans sa déclaration effectuée auprès de la CNIL qui prévoyait une durée de conservation d’un mois.
  • Décisions du 17 décembre 2009 n°5335/06 B.B. c. France (n°5335/06) et n°22115/06 Gardel c. France et M.B. c. France
    • Les requérants dans ces affaires, qui avaient été condamnés à des peines de réclusion criminelle de viol sur mineurs de 15 ans par personne ayant autorité, se plaignaient en particulier de leur inscription au Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (« FIJAIS »).
    • Dans les trois affaires, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention, jugeant que l’inscription au FIJAIS, telle qu’elle avait été appliquée aux requérants, avait ménagé un juste équilibre entre les intérêts privés et publics concurrents en jeu.
    • La Cour a réaffirmé en l’espèce que la protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental dans le respect de la vie privée et familiale, d’autant plus quand il s’agit de données personnelles soumises à un traitement automatique, en particulier lorsque ces données sont utilisées à des fins policières.
    • Cela étant, la Cour ne saurait mettre en doute les objectifs de prévention du fichier en question. En outre, les requérants ayant la possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données, la Cour a estimé que la durée de conservation des données – de 30 maximum – n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi par la mémorisation des informations.
    • Enfin, la consultation de telles données par les autorités judiciaires, de police et administratives était régie par une obligation de confidentialité et des circonstances précisément déterminées

==> S’agissant de la nature des données

Le caractère proportionné du traitement s’apprécie, non seulement au regard de la finalité poursuivie, mais encore au regard de la nature des données à caractère personnel collectées.

Exemples :

  • CEDH 4 déc. 2008, S. et Marper c. Royaume-Uni
    • Cette affaire concernait la rétention indéfinie dans une base de donnée des empreintes digitales et données ADN (échantillons cellulaires et profil ADN6) des requérants après que les procédures pénales dirigées contre eux se furent soldées par un acquittement pour l’un et un classement sans suite pour l’autre.
    • La Cour a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention, jugeant que la conservation en cause s’analysait en une atteinte disproportionnée au droit des requérants au respect de leur vie privée et ne pouvait passer pour nécessaire dans une société démocratique.
    • La Cour a considéré en particulier que l’usage des techniques scientifiques modernes dans le système de la justice pénale ne pouvait être autorisé à n’importe quel prix et sans une mise en balance attentive des avantages pouvant résulter d’un large recours à ces techniques, d’une part, et des intérêts essentiels s’attachant à la protection de la vie privée, d’autre part, et que tout État revendiquant un rôle de pionnier dans l’évolution de nouvelles technologies portait la responsabilité particulière de « trouver le juste équilibre» en la matière.
    • Elle a conclu que le caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN des personnes soupçonnées d’avoir commis des infractions mais non condamnées, tel qu’il avait été appliqué aux requérants en l’espèce, ne traduisait pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.
  • CE, 28 mars 2014, n° 361042, SNES
    • Par requête enregistrée le 13 juillet 2012, un syndicat avait demandé au Conseil d’État d’annuler le décret n° 2012-342 du 8 mars 2012 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « SIRHEN » (système d’information des ressources humaines de l’éducation nationale) relatif à la gestion des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative et du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.
    • La création de SIRHEN a été autorisée par le décret du 8 mars 2012 précité, publié au J.O. du 10 mars 2012, après avis motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), en application du I de l’article 27 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
    • Ce traitement, qui réunit les différentes bases de gestion des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche en une seule application, a pour finalités la gestion administrative et financière des personnels, la gestion des moyens et le pilotage national et académique, par la production d’indicateurs statistiques.
    • En l’espèce, le Conseil d’État a rejeté la requête, à l’exception des seules dispositions des troisième et sixième alinéas du 1° du B du I de l’annexe du décret du 8 mars 2012 en tant qu’elles prévoient la collecte d’informations relatives au sexe et à la nationalité des conjoints des agents figurant dans SIRHEN.
    • Le Conseil d’État a ensuite estimé « que la liste des données à caractère personnel et des informations ainsi collectées (…) sont relatives à l’identification des agents, à leur situation familiale, à leur vie professionnelle, auxquelles s’ajoutent des éléments économiques et financiers ; que la collecte de ces catégories de données est nécessaire à la finalité légitime du traitement ; que la collecte et le traitement de données telles que le nom, le prénom, la date et le lieu de naissance, ainsi que le NIR [numéro d’inscription au répertoire] des membres de la famille des agents, nécessaires pour permettre à ces derniers de bénéficier des avantages liés à leur situation de famille, sont proportionnés au regard des finalités du traitement»
    • Le Conseil relève, en revanche, que « l’administration ne fait état, dans ses écritures, d’aucune nécessité ou utilité quant au recueil des informations relatives au sexe et à la nationalité des conjoints ou partenaires des agents ; qu’en l’absence de toute justification sur ce point, la collecte de ces informations ne peut, en l’espèce, qu’être regardée comme excessive au regard des dispositions précitées du 3° de l’article 6 de la loi du 6 janvier 1978 ».
  • CE., 26 octobre 2011, Association pour la promotion de l’image et autres
    • Par requête enregistrée le 30 juin 2008 L’association pour la promotion de l’image a saisi le Conseil d’État aux fins d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2008-426 du 30 avril 2008 modifiant le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports électroniques, ainsi que la circulaire n° INT/1/08/00105/C du 7 mai 2008 relative au choix des deux mille communes appelées à recevoir des stations d’enregistrement des données personnelles pour le nouveau passeport
    • La requérante contestait ce décret en ce qu’il autorisait, lors de l’établissement ou du renouvellement de passeports la collecte de huit empreintes digitales au lieu de deux prévues initialement par les dispositions européenne.
    • En l’espèce, le Conseil d’État a considéré que si le ministre soutient que la conservation dans le traitement automatisé des empreintes digitales de huit doigts, alors que le composant électronique du passeport n’en contient que deux, permettrait de réduire significativement les risques d’erreurs d’identification, cette assertion générale n’a été ni justifiée par une description précise des modalités d’utilisation du traitement dans les productions du ministre, ni explicitée lors de l’audience d’instruction à laquelle il a été procédé
    • Il estime, en outre, que « l’utilité du recueil des empreintes de huit doigts et non des deux seuls figurant sur le passeport n’étant pas établie, la collecte et la conservation d’un plus grand nombre d’empreintes digitales que celles figurant dans le composant électronique ne sont ni adéquates, ni pertinentes et apparaissent excessives au regard des finalités du traitement informatisé»

Cons. const. 19 sept. 2014, n° 2014-417 QPC : Fiscalité comportementale et protection sociale (RedBull)

L’article 1613 bis A du code général des impôts institue une contribution perçue sur les boissons dites énergisantes (BDE) fortement dosées en caféines destinées à la consommation humaine. Le produit de la contribution est affecté à la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CGI, art. 1613 bis 1, VI). Pour cause, dans sa plus récente évaluation des risques liés à la consommation de pareilles boissons, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, et de l’environnement et du travail donne à penser que le mal est à venir et le service de prestations sociales à craindre (ANSES, avis, 6 sept. 2013, saisine n° 2012-SA-0212).

Red Bull, qui domine le marché des BDE, contre les tentatives répétées du législateur de soumettre l’entreprise à la fiscalité comportementale qui à cours en droit de l’assurance maladie (v. par ex. C. sécu. soc., art. L. 245-7). C’est en effet la deuxième fois que le Conseil constitutionnel est saisi de la conformité de cette contribution de santé publique aux droits et libertés que la Constitution garantit. La firme, qui a su échapper au premier assaut législatif (1), n’est pas parvenue à repousser complétement le législateur (2).

1.- Red bull 1 – Parlement 0

Saisi a priori de la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013, le Conseil constitutionnel considère que l’imposition, qui est censée limiter la consommation d’alcool des jeunes associée aux BDE en taxant des boissons ne contenant précisément pas d’alcool, n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objectif poursuivi par la loi (décision DC n° 2012-659 du 13 déc. 2012, cons. 26). Le législateur remet aussitôt l’ouvrage sur le métier. La taxe dite Red bull sera. La loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014 est ainsi grossie d’une contribution dont l’objet est cette fois-ci de prévenir autant que faire se peut les effets pathogènes de la caféine consommée à outrance (art. 18). La manœuvre ne trompe pas.

Par voie d’exception, le requérant excipe le moyen tiré de la méconnaissance par le législateur de l’autorité de la chose jugée attachée aux décisions du Conseil constitutionnel. Red bull soutient ensuite que la disposition critiquée méconnaît le principe d’égalité devant l’impôt et les charges publiques, enfin qu’elle porte atteinte à la liberté d’entreprendre.

La saisine du Conseil constitutionnel est couronnée d’un relatif succès. Si l’article 1613 bis A CGI est censuré, ce n’est que partiellement. Le Conseil constitutionnel considère que les mots « dites énergisantes », qui figurent au premier alinéa du paragraphe I dudit article, sont contraires à la Constitution (cons. 14). Pour le surplus, le texte est conforme.

2.- Red bull 1 – Parlement 1

En l’espèce, le Conseil constitutionnel considère que le législateur n’a pas méconnu l’autorité qui s’attache à ses décisions. L’objet de la disposition contestée par voie d’exception – lutte contre la caféine – serait différent de celui de la disposition critiquée par voie d’action et censurée – lutte contre l’alcool – (cons. 8). Formellement, il faut bien en convenir. Matériellement, il importait de le dire pour échapper au grief du requérant. La réponse du Conseil à la question posée convainc peu malgré tout.

Le Conseil constitutionnel assimile l’autorité de ses décisions à l’autorité de la chose jugée au sens de l’article 1351 C. civ. Aussi bien, la triple identité d’objet, de cause et de partie est exigée pour que la chose jugée s’impose (M. Guillaume, L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel : vers de nouveaux équilibres ? in L’autorité des décisions du Conseil constitutionnel, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 30, L.G.D.J., 2011). Le procès constitutionnel cadre pourtant mal avec les éléments objectifs de l’instance engagée devant le juge a quo. La détermination de la matière litigieuse est en l’occurrence source de bien des hésitations. Pour preuve, le Conseil ne fait pas grand cas de la cause du litige. Bien qu’on accorde volontiers que la notion soit aussi complexe en droit processuel qu’elle l’est en droit substantiel, le législateur entendait pourtant, dans l’une et l’autre lois de financement de la sécurité sociale critiquées, augmenter le prix de vente des BDE, et spécialement celles commercialisées par Red bull, pour en rendre l’achat plus difficile pour les jeunes consommateurs (cause proche)…qui les associent avec de l’alcool (cause lointaine).

Ceci étant dit, le requérant avait plus de chances d’emporter la conviction du juge constitutionnel en excipant la rupture d’égalité devant l’impôt et les charges publiques.

Il sera fait remarquer toutefois que le moyen tiré de la discrimination relativement au principe de la contribution ne pouvait utilement prospérer (seuil d’imposition retenu par la loi : 220 mg de caféine pour 1000 ml). Le Conseil constitutionnel admet en effet que l’instauration d’un seuil dans la composition d’un produit puisse déclencher l’entrée dans le champ d’application d’un impôt en matière de contribution de santé publique. Il en est ainsi des boissons à haute teneur en alcool en raison des risques que comporte l’usage immodéré de ces produits pour la santé, en particulier pour les jeunes consommateurs (Décision n° 2002-463 DC du 12 décembre 2002, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, cons. 13.). Et le Conseil constitutionnel de considérer au reste que le critère tiré de la teneur en alcool n’introduit aucune distorsion entre les divers redevables puisque tout consommateur achetant le même produit est taxé dans les mêmes conditions (Décision n° 82-152 DC du 14 janvier 1983, Loi portant diverses mesures relatives à la sécurité sociale, cons. 10).

En revanche, l’assiette de la contribution est discriminante parce que seules les BDE sont taxées alors que de nombreuses autres boissons présentent des taux de caféine tout aussi élevés. Le Conseil constitutionnel censure une seconde fois le législateur. C’est que « la différence ainsi instituée entre les boissons destinées à la vente au détail et contenant une teneur en caféine identique selon qu’elles sont ou non qualifiées de boissons « dites énergisantes » entraîne une différence de traitement qui est sans rapport avec l’objet de l’imposition et, par suite, contraire au principe d’égalité devant l’impôt » (cons. 12).

Il ressort de cette décision que l’opiniâtreté du législateur conjuguée à la constance du juge aura eu pour effet d’étendre, dans des proportions vraisemblablement impensables au jour de son invention, l’assiette de cette nouvelle contribution de santé publique (v. Sénat, rapp. inf. n° 399, Fiscalité et santé publique : état des lieux des taxes comportementales, févr. 2014). C’est précisément pour cette dernière raison, et parce que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement, que les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité ont été reportés au 1er janvier 2015 (cons. 16). Invitation à la réécriture du texte que le législateur n’a manifestement pas jugée utile d’accepter au vu du projet de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, qui est taisant.

Les « communicants » ont décidément toujours raison : « Red bull donne des ailes »…ou l’art et la manière de taxer.

(Article publié in Gazelle du palais, 11-13 janv. 2014)