Crim., 16 janv. 2025, n° 23-84.994 : Dépenses périodiques futures et capitalisation des arrérages à échoir – méthodologie

Solution.

La Cour de cassation abandonne aux juges de fond le soin de choisir à quelle date il importe de prendre l’âge du crédirentier pour capitaliser les arrérages à échoir. Le jour de la décision vaut bien le jour du premier renouvellement des matériels pour autant que le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit soit observé. Elle rappelle en outre que la capitalisation ne peut se faire que pour l’avenir.

Impact.

La Chambre criminelle, qui confirme une jurisprudence qu’elle a en partage avec la 2ème Chambre civile, complète en l’espèce un régime complexe qui a été abandonné par le législateur à l’appréciation souveraine des juges du fond.

En l’espèce, après qu’un accident de la circulation est survenu, le passager d’un véhicule est très gravement blessé. Le conducteur est déclaré responsable de l’entier dommage. Sur intérêts civils, le prévenu est condamné à payer près de 3 millions d’euros. Au nombre des chefs de préjudices indemnisés, certains postes, qui ont trait à des dépenses futures (aide technique, assistance par tierce personne, pertes de gains professionnels futurs), font débat. Dans le cas particulier, il doit être procédé au calcul des arrérages à échoir en vue d’une capitalisation en se fondant sur le prix de l’euro de rente viagère. L’appréciation de l’âge du crédirentier est donc au cœur de l’affaire. Cette décision s’inscrit dans une série d’arrêts qui fixent les règles applicables à la liquidation des dépenses futures de la victime. La Cour de cassation ne varie à proprement parler : la capitalisation ne peut se faire dans le passé (2) (v. not. Crim. 13 nov. 2013, n° 12-84.838 – 3 mai 2016, n° 14-84.246 ; Civ. 2, Civ. 2e, 4 avr. 2024, n° 22-19.307, Resp. civ. et assur. 2024, comm. 148, S. Hocquet-Berg. V. égal. A. Coviaux, De l’âge de la victime crédirentière de ses dépenses de santé futures, D. actualité 28 janv. 2025). Elle donne néanmoins une indication intéressante relativement à la capitalisation des dépenses périodiques futures : le juge est libre de capitaliser au premier renouvellement ou non (1).

1.- La première question posée dans le cas particulier est de savoir, aux fins de capitalisation des arrérages à échoir, à quelle date prendre en compte l’âge de la victime. En l’espèce deux possibilités s’offraient aux juges du fond : l’âge du crédirentier au jour de la décision ou bien l’âge de l’intéressé au jour du premier renouvellement périodique de divers matériaux médicaux. Saisie, la Cour d’appel de Nîmes opte pour la première branche de l’option relativement à l’indemnisation des dépenses de santé futures. Elle est suivie par la Cour de cassation, qui ne recommande pas à proprement parler l’une ou l’autre méthode, et limite son office à un contrôle de motivation. La cour de considérer que les modalités de capitalisation les mieux à même d’assurer une réparation intégrale du dommage sans perte ni profit relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (points nos 12 et 14). La solution peut se recommander d’une simplification de l’existant, dont on ne saurait franchement dire toutefois si la victime en sort bien lotie. L’observance du principe sous étude, qui est posé en jurisprudence depuis 1942 (Cass. req., 24 mars 1942 : RTD civ. 1942, p. 289 , n° 12, obs. H. et L. Mazeaud) car c’est la date la plus proche de la réparation effective (V. F. Leduc, Fasc. 201, Régime de la réparation, Modalités de la réparation, § 59), présente un avantage : la victime est indemnisée une fois pour toute sans que le régleur ait matière à redire ex post (sans préjudice naturellement d’une action en indemnisation des chefs de préjudices nés de l’aggravation du dommage). La solution présente toutefois un inconvénient : les dommages-intérêts accordés en regard risquent de ne pas être suffisants le moment venu pour renouveler des aides techniques qui se sont améliorées entre temps et qui sont devenues très possiblement et par voie de conséquence plus onéreuses. Où l’on voit l’intérêt qu’il y aurait eu de retenir la date du renouvellement (v. not. F. Bibal et A. Guégan, L’évaluation du préjudice corporel, 22ème éd., LexisNexis, 2022, n° 234). A noter qu’une cassation aurait été encourue s’il avait été jugé que les frais futurs d’appareillage seraient remboursés au fur et à mesure de leur engagement (Civ. 1, 15 oct. 2014, n° 13-20.851 (2nd moyen), Resp. civ. et assur. janv. 2015, obs. S. Hocquet-Berg).

2.- La seconde question concerne l’âge de la victime proprement dit afin que l’argent soit placé à un certain taux pour que le crédirentier puisse en retirer à échéance une rente. A nouveau, une option à deux branches s’offre au régleur en cas de transaction et au juge dans le cas contraire pour calculer les droits à assistance par tierce personne : l’âge du crédirentier au jour de la liquidation du préjudice ou bien l’âge de l’intéressé au jour du prononcé de l’arrêt. La Cour d’appel de Nîmes opte pour la première branche. Son arrêt est cassé au visa du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. Il y a deux raisons à cela. D’une part, tandis que la victime au jour de la liquidation des chefs de préjudice avait 39 ans, les juges ont retenu, en application du barème publié en 2020 par la Gazette du palais, un prix de l’euro de rente viagère correspondant au taux retenu pour un homme âgé de 38 ans (prix retenu en première instance) : une possible erreur matérielle fait remarquer la Cour de cassation (point n° 18), qui est constitutive d’un écart de plusieurs milliers euros (en ce sens Ch. Quézel-Ambrunaz, Lexbase, 28 janv. 2025). D’autre part, et surtout, la victime avait atteint l’âge de 40 ans au jour de la décision : le prix de l’euro de rente viagère retenu était par voie de conséquence en infraction avec le principe directeur de l’article 1240 du Code civil. Il est rappelé en l’espèce que la capitalisation ne peut se faire que pour l’avenir. D’un point de vue conceptuel, il ne peut pas en être autrement : la capitalisation (à la différence de l’actualisation) suit un mouvement nécessairement prospectif (v. par ex. F. Bibal et A. Guégan, ouvrage précité, nos 223 et s. ; Ch. Quézel-Ambrunaz, Le droit du dommage corporel, 2ème éd., LGDJ 2023, n° 464). Il est à noter qu’une cassation aurait été également encourue si les juges du fond avaient retenu le jour de l’accident ou bien encore celui de la consolidation pour procéder aux opérations.

(Article publié in Responsabilité civile et assurance févr. 2025)