Rapport des dettes dans le cadre des opérations de partage: mise en oeuvre

Le rapport des dettes constitue un dispositif incontournable dans le cadre des opérations de partage, assurant une répartition équitable des charges entre les copartageants et préservant l’équilibre patrimonial de l’indivision. Consacré par le Code civil, ce dispositif impose à l’indivisaire débiteur d’une créance au profit de l’indivision d’en supporter la charge au moment du partage, par le biais d’une imputation sur ses droits dans la masse partageable. Il prévient ainsi toute dissymétrie entre les copartageants et garantit l’intégrité du patrimoine à répartir.

Toutefois, la mise en œuvre du rapport des dettes obéit à des règles qui distinguent la période antérieure au partage de celle où l’indivision prend fin. Tant que l’indivision perdure, le copartageant débiteur demeure libre de différer l’extinction de son obligation, le rapport des dettes ne revêtant alors qu’un caractère facultatif. En revanche, dès que le partage devient effectif, cette faculté se transforme en une obligation impérative, s’imposant de plein droit et se réalisant selon des modalités précises définies tant par la loi que par la jurisprudence.

La question du moment d’exécution du rapport des dettes revêt ainsi une importance décisive, tant pour la gestion patrimoniale des indivisaires que pour la liquidation de l’indivision. Il importe dès lors d’en préciser les règles, en distinguant les options ouvertes au copartageant débiteur avant le partage et les obligations qui lui incombent une fois la liquidation engagée.

A) Le moment d’exécution du rapport des dettes

Le rapport des dettes, qui constitue un mécanisme essentiel à l’équilibre des opérations de partage, se distingue par une exécution qui varie selon le moment où intervient son règlement. Tant que l’indivision subsiste, le rapport demeure une simple faculté, laissée à la discrétion du copartageant débiteur. Mais dès lors que le partage devient effectif, il se transforme en une obligation impérative, s’imposant à lui de plein droit.

1. Avant le partage : un règlement facultatif

Durant l’indivision, le copartageant débiteur n’est nullement contraint de procéder immédiatement au rapport de sa dette. Il jouit de la faculté d’en différer l’exécution, repoussant ainsi son règlement au moment du partage. Cette prérogative, désormais érigée en principe par l’article 865, alinéa 1??, du Code civil, trouve son fondement dans une jurisprudence bien établie, qui avait déjà consacré l’impossibilité, pour les créanciers de l’indivision, d’exiger un paiement anticipé des dettes rapportables (Cass. 1?? civ., 31 janv. 1989, n° 87-11.829).

Toutefois, ce principe ne saurait revêtir un caractère absolu, certaines dettes échappant au report d’exigibilité. Tel est le cas des créances relatives aux biens indivis, qui doivent être acquittées sans délai. Ainsi, lorsqu’un indivisaire est redevable d’une indemnité d’occupation en raison d’une jouissance privative (art. 815-9, al. 2 C. civ.), du produit net de la gestion d’un bien indivis (art. 815-12 C. civ.) ou encore des fruits et revenus indivis qu’il aurait perçus sans y être fondé (art. 815-10 C. civ.), ces dettes ne sauraient faire l’objet d’un sursis. L’article 865 du Code civil opère ainsi un cantonnement du principe général, en soumettant ces créances au régime de l’exigibilité immédiate (Cass. 1?? civ., 14 avr. 2021, n°19-21.313).

D’un point de vue pratique, cette dualité de régime influe directement sur la gestion patrimoniale des indivisaires. Tant que l’indivision perdure, le copartageant débiteur dispose d’une marge de manœuvre : il peut soit s’acquitter immédiatement de sa dette, soit en différer le règlement jusqu’au partage. Cette latitude lui permet d’adapter son choix en fonction de sa situation financière, des contraintes économiques et des perspectives patrimoniales qui s’offrent à lui.

2. Au moment du partage : un règlement obligatoire

Si le copartageant débiteur a pu repousser l’exécution de sa dette tant que durait l’indivision, ce choix n’est plus envisageable une fois venu le temps du partage. L’article 864 du Code civil prévoit en effet que, lorsque le partage intervient, la dette doit impérativement être rapportée et intégrée aux opérations de liquidation. Dès lors, l’imputation devient automatique et aucun refus n’est possible.

Cette exécution forcée du rapport peut s’opérer sous trois formes distinctes :

  • Le rapport en moins prenant, qui constitue la règle de principe : la dette est imputée directement sur la part du copartageant débiteur, réduisant ainsi l’actif qui lui revient.
  • Le prélèvement sur la masse partageable, notamment lorsque l’imputation directe est impossible ou insuffisante.
  • L’allotissement spécifique, qui consiste à attribuer au copartageant débiteur un lot correspondant à sa dette, lorsque l’équilibre du partage l’exige.

La jurisprudence a rappelé que cette obligation s’impose même lorsque la dette excède la part successorale du copartageant débiteur (Cass. 1?? civ., 14 déc. 1983, n°82-14.725). Dans ce cas, le solde restant dû demeure à la charge du débiteur, qui devra s’en acquitter selon les modalités prévues initialement par l’obligation.

B) Les modalités d’exécution du rapport des dettes

Le rapport des dettes répond à un régime spécifique visant à assurer l’équilibre entre les héritiers lors du partage successoral. Consacré par l’article 864 du Code civil, il repose sur le mécanisme du rapport en moins prenant, permettant à l’héritier débiteur d’être alloti de la créance dont il est redevable à due concurrence de ses droits dans la succession. Cette technique favorise un règlement simplifié des dettes successorales tout en évitant la nécessité d’un remboursement immédiat. Toutefois, plusieurs ajustements peuvent être nécessaires en fonction de la situation des copartageants et de la composition de la masse successorale.

1. Le principe du rapport en moins prenant

Lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, la créance existant contre lui est intégrée dans la masse partageable et lui est allouée lors du partage. Ce mécanisme, qualifié de rapport en moins prenant, obéit à une logique comptable permettant au copartageant débiteur d’être rempli de ses droits à hauteur de sa dette tout en évitant un paiement immédiat (art. 864, al. 1er C. civ.).

a. Imputation de la dette dans la masse successorale

L’article 864, alinéa 1??, du Code civil prévoit que lorsque la masse partageable comprend une créance à l’encontre d’un copartageant, celui-ci en est alloti dans le partage à concurrence de ses droits dans la masse. Ce mécanisme repose sur une opération purement comptable, dans laquelle la dette du copartageant vient diminuer sa part successorale, sans nécessiter de transfert de fonds.

Ce mode de règlement présente plusieurs avantages :

  • Il évite d’exiger un paiement immédiat du copartageant débiteur, ce qui pourrait parfois s’avérer difficile.
  • Il simplifie le partage en intégrant la créance à la masse successorale, assurant une répartition équilibrée entre les héritiers.
  • Il permet l’extinction automatique de la dette par confusion, évitant ainsi toute contestation ultérieure.

L’application de ce mécanisme peut être aisément comprise à travers un exemple chiffré.

Supposons une succession dans laquelle :

  • L’actif successoral net s’élève à 400 000 €.
  • Deux héritiers, A et B, héritent à parts égales, soit 200 000 € chacun.
  • A est débiteur de la succession à hauteur de 50 000 € (par exemple, en raison d’un prêt que lui avait consenti le défunt).

Afin d’intégrer la dette dans la succession, on ajoute la créance de 50 000 € à l’actif successoral pour obtenir la masse partageable :

Masse partageable = 400 000 € + 50 000 € = 450 000 €

Ainsi, la masse à partager entre les deux héritiers est portée à 450 000 €, soit 225 000 € chacun.

Allotissement de l’héritier débiteur A

  • A reçoit en priorité la créance dont il est débiteur : 50 000 € sont ainsi imputés sur ses droits successoraux.
  • Ce montant s’éteint par confusion, conformément à l’article 864, alinéa 1??, du Code civil.
  • Son droit successoral s’élevant à 225 000 €, il lui reste encore 175 000 € à recevoir en biens ou en liquidités.

Attribution de l’héritier B

  • L’héritier B, non débiteur, se voit attribuer 225 000 € en biens ou en liquidités, correspondant intégralement à sa part successorale.

A l’analyse, l’imputation de la dette dans la masse partageable repose sur une opération équilibrée qui ne crée aucun enrichissement injustifié au profit des héritiers.

En effet, l’effet immédiat de cette technique est l’extinction de la dette de l’héritier débiteur. L’article 864, alinéa 1??, du Code civil précise expressément que la dette s’éteint par confusion dès lors qu’elle est allouée à l’héritier débiteur. Il s’agit d’un mécanisme proche de la confusion des qualités de créancier et de débiteur (Cass. 1ère civ., 26 déc. 1960).

Ainsi, A ne devra plus rien à la succession, et aucun paiement effectif n’est exigé. La dette est purement et simplement absorbée par l’imputation.

L’un des principaux intérêts de l’imputation de la dette est qu’elle évite toute liquidation forcée des biens successoraux.

  • Si l’héritier débiteur était tenu de rembourser immédiatement sa dette en numéraire, il pourrait être contraint de vendre des actifs (notamment un bien immobilier familial).
  • En procédant par imputation, on maintient la stabilité de l’actif successoral et on préserve l’unité des biens indivis.

Dans notre exemple, A ne subit aucun appauvrissement immédiat, et B n’a pas à attendre un remboursement qui pourrait s’avérer incertain.

En imputant la dette sur la part successorale de A, la répartition demeure strictement équitable :

  • A perçoit bien 225 000 € en valeur, mais cette somme inclut les 50 000 € de dette dont il était redevable.
  • B ne subit aucune perte et reçoit sa part intégrale de 225 000 €.

b. Limite de l’imputation : l’obligation de paiement du solde

==>L’insuffisance de la créance détenue contre l’indivision pour éteindre la dette du copartageant

Si la dette du copartageant excède ses droits dans l’indivision, l’imputation ne suffit plus à assurer son extinction intégrale. L’article 864, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi que le copartageant reste tenu du paiement du solde, selon les conditions initiales de l’obligation.

Prenons une hypothèse où l’héritier A est redevable d’une somme plus importante :

  • L’actif successoral est toujours de 400 000 €.
  • A est débiteur de 250 000 € envers la succession.
  • La masse partageable, incluant cette créance, est de 650 000 €, soit 325 000 € de droits pour chaque héritier.

Conséquence du dépassement de la part successorale :

  • A reçoit en priorité la créance existant contre lui à hauteur de 325 000 €.
  • Cependant, sa dette s’élève à 250 000 €, ce qui dépasse ses droits successoraux (225 000 €).
  • L’imputation opère à hauteur de 225 000 €, mais il reste un solde de 25 000 € à payer.

L’héritier débiteur devra donc s’acquitter du reliquat auprès des cohéritiers, dans les conditions et délais initialement attachés à l’obligation.

==>L’incidence de l’insuffisance de la créance détenue contre l’indivision sur le droit au partage

Pour mémoire, l’article 815 du Code civil énonce le principe selon lequel « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision », consacrant ainsi le droit pour tout indivisaire de provoquer le partage à tout moment. Toutefois, lorsque l’un des héritiers se trouve débiteur à l’égard de la succession et que l’allotissement de sa dette épuise intégralement ses droits dans la masse successorale, se pose la question de savoir s’il demeure en mesure d’exercer ce droit.

Dans un arrêt du 14 décembre 1983, la Cour de cassation a semblé exclure cette faculté pour un héritier dont la dette excédait sa part successorale (Cass. 1ère civ. 14 déc. 1983, n°82-14.725). En l’espèce, un défunt laissait à sa succession plusieurs enfants et une veuve usufruitière. L’un des héritiers, ayant été placé en règlement judiciaire, voyait son syndic solliciter le partage de la succession ainsi que la licitation des immeubles indivis. Or, il apparaissait que d’importantes sommes avaient été versées par le défunt et son épouse pour acquitter certaines dettes de cet héritier, créant ainsi une dette rapportable excédant largement ses droits successoraux.

La cour d’appel, statuant sur cette demande de partage, avait relevé que la dette rapportable dépassait très largement la part successorale de l’héritier débiteur. Dès lors, elle avait rejeté la demande en partage et en licitation, en estimant que cet héritier, n’ayant plus de droits résiduels dans la succession après imputation de sa dette, ne pouvait plus prétendre à une quelconque attribution et, partant, ne disposait plus du droit d’agir en partage.

La Cour de cassation valide cette solution et affirme que, lorsqu’un héritier est débiteur envers la succession d’une somme supérieure à sa part successorale, il ne peut lui être fait dans le partage aucune attribution. Dans ces conditions, ses créanciers personnels, agissant par voie oblique, ne sauraient avoir plus de droits que lui. En d’autres termes, non seulement l’héritier ne peut plus prétendre au partage, mais ses créanciers, qui n’ont vocation qu’à exercer par subrogation les droits de leur débiteur, ne peuvent davantage provoquer ce partage pour tenter d’en tirer profit.

La portée de cet arrêt ne saurait cependant être interprétée de manière absolue. Il convient en effet de distinguer l’existence du droit au partage et l’intérêt à agir dans un tel cadre.

D’un point de vue strictement juridique, l’héritier demeure indivisaire tant que le partage n’a pas été réalisé. Il conserve donc, en principe, son droit de provoquer le partage, indépendamment de sa situation patrimoniale. De surcroît, le rapport des dettes est lui-même une opération de partage, et lui refuser ce droit reviendrait à priver l’héritier débiteur d’un mode de règlement favorable de son obligation.

Cependant, l’arrêt du 14 décembre 1983 met en lumière une limite tenant à l’absence d’intérêt à agir en partage. Dès lors que l’héritier débiteur ne dispose plus d’aucun droit réel dans la masse successorale, le partage devient, pour lui, une opération dénuée d’effet : il ne saurait obtenir une attribution en biens ou en valeur, et ses créanciers ne pourraient espérer recouvrer une quelconque somme via cette voie. En ce sens, l’arrêt ne nie pas tant un droit abstrait au partage qu’il ne sanctionne une situation où l’héritier n’a rien à revendiquer dans l’indivision.

Ainsi, l’héritier débiteur peut en principe provoquer le partage, mais lorsque sa dette excède intégralement ses droits successoraux, cette faculté devient théorique et privée d’objet. Son intérêt à agir disparaît dès lors que son allotissement par imputation épuise la totalité de ses droits dans la succession.

L’autre enseignement majeur de cette décision réside dans l’impossibilité, pour les créanciers personnels de l’héritier débiteur, d’exercer l’action en partage par voie oblique (art. 1341-1 C. civ.).

L’action oblique, qui permet aux créanciers d’un débiteur inactif d’exercer ses droits afin de préserver leur gage, suppose que ce dernier dispose encore d’un droit effectif à faire valoir. Or, en l’absence de tout droit résiduel dans la succession après imputation de sa dette, le partage ne saurait produire pour l’héritier débiteur aucun effet utile. Dès lors, ses créanciers personnels ne sauraient obtenir, par l’exercice d’une action oblique, plus de droits que leur débiteur.

Dans l’arrêt du 14 décembre 1983, la Cour de cassation a expressément refusé aux créanciers d’un héritier débiteur la possibilité de provoquer le partage, au motif que ce dernier ne disposait plus d’aucun droit patrimonial dans la succession.

Il ne s’agit donc pas d’une interdiction de principe d’agir en partage pour un créancier oblique, mais d’une conséquence logique de l’absorption totale des droits successoraux par l’imputation de la dette. Le partage, dans une telle configuration, est dépourvu de substance, puisqu’aucune attribution ne peut être réalisée au profit du débiteur, et, par voie de conséquence, au bénéfice de ses créanciers.

L’équilibre successoral repose ainsi sur un double constat :

  • Le partage suppose une répartition effective de l’actif indivis entre les héritiers, ce qui implique que chacun conserve des droits dans la masse successorale.
  • Lorsqu’un héritier voit ses droits totalement absorbés par l’imputation de sa dette, il ne peut prétendre à aucune attribution et ne peut, en conséquence, procurer à ses créanciers aucune valeur issue de la succession.

Dans ce contexte, la Cour de cassation veille à éviter toute instrumentalisation de l’action en partage à des fins purement opportunistes. Le partage ne saurait être imposé aux cohéritiers dans un but purement artificiel, dès lors qu’il ne produirait aucun effet utile pour l’héritier débiteur et, par ricochet, pour ses créanciers.

Imaginons une succession comprenant :

  • Un actif net de 500 000 €.
  • Une dette rapportable de 300 000 €, dont l’héritier A est redevable.
  • Une masse partageable portée à 800 000 € après intégration de cette créance (500 000 € + 300 000 €).
  • Deux héritiers, A et B, disposant chacun, en théorie, de 400 000 € de droits successoraux.

Dans cette configuration :

  • L’imputation en moins prenant absorbe les 400 000 € de droits de A, qui se trouve donc totalement privé de toute attribution effective dans la succession.
  • Ses créanciers personnels tentent alors d’exercer son droit au partage par voie oblique, espérant recouvrer des fonds sur la masse successorale.
  • Toutefois, comme A n’a plus aucun droit résiduel dans l’indivision, le partage ne leur apporterait rien.

Dès lors, en application de l’arrêt du 14 décembre 1983, ces créanciers ne peuvent obtenir le partage, car ils ne sauraient revendiquer plus de droits que leur débiteur. L’action oblique, qui vise normalement à pallier l’inertie du débiteur, se heurte ici à l’absence même de droit à faire valoir.

En refusant aux créanciers personnels de l’héritier débiteur la possibilité d’agir en partage, la Cour de cassation préserve la stabilité des opérations successorales. Une solution inverse aurait conduit à une immixtion excessive des créanciers dans le règlement des successions, au mépris des droits des autres cohéritiers.

Ce mécanisme permet ainsi d’éviter deux écueils majeurs :

  • L’exploitation opportuniste du droit au partage par des créanciers extérieurs à la succession, qui chercheraient à imposer un partage sans que leur débiteur puisse en tirer le moindre bénéfice.
  • L’instabilité successorale, qui pourrait résulter d’actions répétées des créanciers tentant de forcer un partage alors même qu’aucune valeur n’est recouvrable pour eux.

La portée de cet arrêt est donc claire : le droit au partage est un droit successoral attaché à la qualité d’héritier, et non un outil à la disposition des créanciers pour forcer un partage dénué d’objet. Dès lors que l’imputation de la dette épuise totalement les droits successoraux de l’héritier concerné, le partage perd toute finalité économique et ne peut être sollicité ni par lui, ni par ses créanciers.

c. Cas particulier des créances croisées entre copartageants

L’article 867 du Code civil prévoit que le mécanisme de la compensation joue lorsque le copartageant débiteur dispose lui-même d’une créance à faire valoir contre la succession. Avant toute imputation, un solde est établi, permettant d’opérer une neutralisation partielle des dettes et créances respectives.

Imaginons que A soit à la fois débiteur et créancier de la succession :

  • A doit 50 000 € à la succession.
  • A détient aussi une créance de 20 000 € contre la succession (par exemple, une somme qu’il avait avancée pour payer les frais funéraires).

Mise en œuvre de la compensation :

  • La créance de 20 000 € est déduite de la dette de 50 000 €.
  • Après compensation, A ne doit plus que 30 000 € à la succession.
  • Cette somme sera alors intégrée dans la masse partageable et imputée sur ses droits successoraux.

Grâce à cette compensation préalable, A évite une double imputation, ce qui garantit une neutralité économique et une répartition fidèle à la réalité des obligations respectives.

2. L’alternative au rapport en moins prenant : les prélèvements

Si le rapport en moins prenant demeure la méthode privilégiée pour assurer l’exécution du rapport des dettes, il n’est pas toujours réalisable. En particulier, dans le cadre d’un partage judiciaire impliquant un tirage au sort des lots, l’attribution de la créance au copartageant débiteur devient impossible (art. 826 C. civ.). Dans une telle configuration, il est alors nécessaire d’avoir recours à une méthode alternative, celle des prélèvements, qui permet de rétablir l’égalité entre les copartageants tout en assurant la répartition des biens successoraux.

Contrairement au rapport en moins prenant, qui repose sur une imputation directe de la dette au sein du lot du débiteur, la technique des prélèvements repose sur une logique inverse : ce sont les autres héritiers qui prélèvent, sur la masse successorale, une valeur équivalente au montant de la dette rapportable avant toute répartition.

En d’autres termes, au lieu d’attribuer la créance au copartageant débiteur et de réduire son lot en conséquence, les cohéritiers non débiteurs effectuent un prélèvement compensatoire, ce qui diminue d’autant l’actif successoral disponible pour être partagé. Ce mécanisme permet ainsi d’intégrer la dette au processus de partage sans avoir à l’allouer directement au débiteur.

Imaginons une succession comprenant les éléments suivants :

  • Un immeuble évalué à 300 000 € ;
  • Des liquidités s’élevant à 60 000 € ;
  • Une dette rapportable de 40 000 €, dont l’héritier A est débiteur.

En raison d’un désaccord entre les cohéritiers, le partage ne peut être réalisé à l’amiable et doit être effectué judiciairement par tirage au sort des lots. Or, dans ce cadre, l’imputation directe de la dette au sein du lot de A devient impossible, car un tel mécanisme supposerait que A puisse être alloti précisément du lot contenant la créance, ce qui n’est pas garanti lors d’un tirage au sort.

Solution retenue : le prélèvement compensatoire

  • Masse successorale initiale : 360 000 € (300 000 € + 60 000 €).
  • Prélèvement compensatoire réalisé par B : 40 000 €.
  • Masse résiduelle à partager : 320 000 € (360 000 € – 40 000 €).
  • Droits de chaque héritier après prélèvement : 160 000 € chacun.
  • Constitution de deux lots équivalents à 160 000 € chacun, permettant ainsi le tirage au sort, conformément aux règles du partage judiciaire.

Ainsi, la dette de A a bien été neutralisée au sein de la succession, sans qu’il soit nécessaire de lui en allouer directement la charge. L’équilibre successoral est maintenu, chaque cohéritier recevant sa juste part, tandis que l’incertitude liée au tirage au sort est évitée.

Si le prélèvement constitue une solution technique efficace, il demeure rarement mis en œuvre en raison des nombreux inconvénients qu’il présente.

Le premier écueil de cette méthode tient à son effet réducteur sur l’actif successoral. En effet, en permettant aux cohéritiers non débiteurs d’opérer un prélèvement compensatoire, la technique diminue la masse des biens à partager, ce qui peut engendrer des difficultés de répartition.

Exemple :

Si la succession comprend un bien immobilier d’une valeur de 300 000 € et des liquidités de 60 000 €, un prélèvement de 40 000 € sur la masse successorale réduit la part disponible, risquant ainsi d’entraîner la vente forcée du bien pour assurer une égalité entre les héritiers.

En comparaison, le rapport en moins prenant évite cette difficulté en maintenant l’intégralité de la masse successorale intacte, puisque la dette est imputée directement sur le lot du débiteur.

Le prélèvement suppose nécessairement :

  • Une évaluation précise des biens successoraux afin de déterminer la valeur exacte du prélèvement compensatoire.
  • Un accord entre les héritiers sur la méthode de compensation.

Or, en pratique, la valorisation des biens peut être contestée, notamment lorsque la succession comporte des actifs immobiliers, dont la valeur fluctue selon les conditions du marché. L’absence de consensus sur le bien sur lequel doit porter le prélèvement risque alors de prolonger inutilement le règlement successoral.

Illustration :

Si la succession comprend deux immeubles d’une valeur estimée à 150 000 € chacun, un héritier pourrait contester l’attribution d’un immeuble entier en compensation du prélèvement, au motif que sa valeur réelle excède le montant de la dette rapportable.

Le prélèvement modifie l’équilibre initialement prévu par les règles successorales, en créant un déséquilibre dans la répartition des biens.

Ainsi, un héritier bénéficiant du prélèvement pourrait recevoir des biens de moindre valeur ou se voir contraint d’accepter un bien qu’il ne souhaitait pas initialement.

De plus, cette méthode introduit un risque de contentieux, les héritiers pouvant contester le bien-fondé du prélèvement ou la modalité de répartition des biens résiduels.

C) L’effet de l’exécution du rapport des dettes

1. L’impact sur la masse partageable

L’exécution du rapport des dettes entraîne une modification immédiate de la composition de la masse partageable. Conformément à l’article 864, alinéa 1??, du Code civil, lorsque la succession comprend une créance à l’encontre de l’un des héritiers, cette créance est réintégrée dans la masse successorale et attribuée au débiteur à concurrence de ses droits. Cette réintégration a une incidence purement comptable : elle majore artificiellement l’actif successoral sans pour autant entraîner un apport effectif de fonds.

L’objectif du mécanisme est double :

  • Préserver l’égalité entre les cohéritiers en évitant qu’un héritier débiteur bénéficie d’un avantage indu en ne rapportant pas les sommes dont il a profité.
  • Empêcher un appauvrissement de la succession qui résulterait d’un remboursement immédiat, lequel pourrait imposer une cession forcée de biens successoraux.

Cependant, il convient de noter que cette intégration comptable ne modifie pas la consistance des biens à partager. Elle se traduit par une augmentation arithmétique de la masse successorale, sans affecter la composition physique du patrimoine, sauf lorsque le solde de la dette excède les droits de l’héritier débiteur, auquel cas celui-ci demeure redevable du reliquat envers la succession.

2. L’application du principe du nominalisme monétaire

Le rapport des dettes est soumis au principe du nominalisme monétaire, consacré à l’article 1895 du Code civil, selon lequel « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ».

Ainsi, lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, il ne doit rapporter que le montant nominal de sa dette, sans réévaluation en fonction de l’évolution monétaire ou de la valeur du bien acquis grâce aux fonds empruntés. Ce principe, consacré par la jurisprudence, a été renforcé par la loi du 23 juin 2006, qui a clairement distingué le rapport des dettes du rapport des libéralités.

==>L’application du nominalisme monétaire dans le rapport des dettes entre copartageants

Bien que le nominalisme monétaire soit une règle de droit commun en matière d’obligations pécuniaires, il revêt une importance particulière dans le cadre de l’indivision. Lorsqu’un copartageant a une dette envers l’indivision, celle-ci doit être intégrée dans la masse partageable pour son montant nominal, sans que sa valeur puisse être réajustée en fonction d’événements postérieurs.

La réforme du 23 juin 2006 a permis de clarifier cette règle. Sous l’ancien régime, l’article 869 du Code civil prévoyait que le rapport d’une somme d’argent devait s’effectuer pour son montant nominal, sauf si cette somme avait servi à l’acquisition d’un bien. Dans ce cas, le rapport devait être effectué pour la valeur du bien acquis au jour du partage. Ce mécanisme, qui s’appliquait au rapport des libéralités, avait un temps été étendu au rapport des dettes, générant une confusion entre ces deux notions (Cass. 1?? civ. 18 janv. 1989).

Désormais, avec la suppression de l’ancien article 869 et son remplacement par l’article 860-1 du Code civil, seul le rapport des libéralités est susceptible de faire l’objet d’une revalorisation en fonction de la valeur du bien acquis grâce à la somme rapportable. Le rapport des dettes, quant à lui, demeure exclusivement régi par le nominalisme monétaire. Ainsi, même si les fonds empruntés ont permis d’acquérir un bien dont la valeur a fortement évolué, le copartageant débiteur n’est tenu de rapporter que la somme nominale de la dette initiale.

La jurisprudence a confirmé l’application stricte du nominalisme monétaire au rapport des dettes à l’occasion d’un arrêt de principe rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 29 juin 1994 (Cass. 1ère civ., 29 juin 1994, n°92-15.253). Cet arrêt a définitivement écarté l’application de l’ancien article 869 du Code civil, qui régissait le rapport des libéralités, au rapport des dettes entre copartageants. Désormais, aucune revalorisation des dettes rapportables n’est admise, quelle que soit la destination des fonds empruntés.

L’affaire soumise à la Haute juridiction illustre parfaitement cette nouvelle règle. Il s’agissait d’un prêt d’un million de francs consenti par un père à son fils pour l’acquisition d’un immeuble. Après le décès du prêteur, l’indivision successorale se retrouvait créancière de cette somme. Un litige s’éleva entre les cohéritiers quant aux modalités de rapport de cette dette : fallait-il l’imputer pour son montant nominal, ou devait-on, par analogie avec le rapport des libéralités d’argent, tenir compte de la valeur actuelle du bien acquis grâce aux fonds prêtés ?

La cour d’appel avait retenu que l’indivision était créancière de la somme nominale d’un million de francs, correspondant au montant initial du prêt, sans revalorisation. La Cour de cassation a censuré cette décision en affirmant que « si le rapport des dettes prévu par l’article 829 du Code civil n’est qu’une technique de règlement qui n’obéit pas aux règles de l’article 869 du même Code, lequel concerne exclusivement le rapport des libéralités, le cohéritier débiteur n’en doit pas moins réaliser le rapport de sa dette en moins prenant, par imputation sur sa part, et non en effectuer le paiement ».

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision :

  • Premier enseignement
    • Contrairement aux libéralités, dont le rapport peut être effectué en valeur, le rapport des dettes se fait uniquement pour son montant nominal.
    • L’ancien article 869 du Code civil, qui prévoyait une exception pour les libéralités ayant servi à financer l’acquisition d’un bien, ne saurait s’appliquer aux dettes.
  • Second enseignement
    • L’héritier ou le copartageant débiteur ne doit pas effectuer un paiement, mais uniquement une imputation sur sa part dans l’indivision, à hauteur de la dette existante.

En d’autres termes, quelle que soit la finalité du prêt, celui-ci demeure soumis au principe du nominalisme monétaire. Ainsi, quand bien même l’immeuble acquis grâce aux fonds empruntés aurait vu sa valeur évoluer entre le moment du prêt et celui du partage, cette fluctuation ne saurait être prise en compte. La dette demeure rapportable pour son montant nominal, et non pour la valeur du bien acquis.

Par cette décision, la Cour de cassation a ainsi confirmé une jurisprudence constante, refusant toute assimilation entre prêt et libéralité, et affirmant que le rapport des dettes constitue une opération purement comptable, déconnectée de la variation de valeur des biens acquis grâce aux sommes prêtées.

==>L’exclusion de l’application du valorisme monétaire dans le rapport des dettes entre copartageants

L’indépendance du rapport des dettes à l’égard du rapport des libéralités s’explique par leur nature fondamentalement distincte. Tandis que le rapport des libéralités tend à rétablir l’égalité entre les copartageants en tenant compte de la valeur réelle des biens transmis, le rapport des dettes repose exclusivement sur une logique comptable. Il ne poursuit d’autre finalité que l’intégration des créances existantes contre l’un des copartageants dans la masse partageable, sans altérer la consistance des biens à répartir.

L’application du nominalisme monétaire à cette opération se justifie par plusieurs considérations. Tout d’abord, une dette ne saurait être assimilée à un avantage consenti à titre gratuit. Alors qu’une libéralité modifie de manière définitive la structure patrimoniale du gratifié, en augmentant son patrimoine sans contrepartie, une dette crée une obligation de remboursement, qui empêche de la considérer comme une libéralité. Il serait donc incohérent de soumettre ces deux mécanismes à une même règle d’évaluation, d’autant que le rapport des libéralités répond à une finalité d’équité entre les copartageants, tandis que le rapport des dettes vise simplement à organiser la répartition des droits successoraux ou indivis.

Le principe du nominalisme monétaire trouve également sa justification dans le fait que le copartageant débiteur conserve toujours la possibilité de s’exécuter par un paiement volontaire avant le partage. Tant que l’indivision subsiste, il peut solder sa dette en numéraire, ce qui lui permet de ne pas être alloti de sa créance dans le partage. Dès lors, il serait illogique que le montant de la dette rapportable varie selon qu’elle est réglée par paiement ou par imputation. Cette analyse a d’ailleurs été confirmée par la jurisprudence, qui a rappelé que la dette rapportable ne peut être réévaluée et qu’elle doit être imputée à son montant nominal, conformément au principe du nominalisme monétaire (Cass. 1?? civ. 13 janv. 1998, n°96-11.688).

Enfin, l’application stricte de ce principe implique que, même si les fonds empruntés ont été utilisés pour acquérir un bien dont la valeur a fortement évolué depuis l’octroi du prêt, le copartageant débiteur ne saurait être tenu de rapporter une somme supérieure à celle qu’il a initialement reçue. Peu importe l’appréciation ou la dépréciation éventuelle de l’actif financé, la dette demeure évaluée à sa valeur nominale, sans prise en compte de la destination des fonds. C’est ainsi que le rapport des dettes s’affirme comme une opération purement comptable, déconnectée de toute logique de réajustement patrimonial entre les copartageants.

==>L’exception des dettes de valeur

Si le principe du nominalisme monétaire constitue la règle générale en matière de rapport des dettes, certaines créances échappent par nature à cette logique et doivent être évaluées selon d’autres critères. Il s’agit de dettes dont l’objet présente une variabilité intrinsèque, qu’il s’agisse de leur libellé en monnaie étrangère, de leur indexation sur un indice ou encore de leur exécution en nature. Ces situations dérogatoires illustrent les limites du nominalisme monétaire et la nécessité d’adopter une approche plus souple pour garantir une évaluation conforme à la réalité économique du partage.

  • Les dettes libellées en devises étrangères
    • Lorsqu’une dette rapportable est contractée en monnaie étrangère, son évaluation ne saurait s’opérer en appliquant rigoureusement le nominalisme monétaire, sous peine d’introduire un décalage significatif entre la valeur initiale de l’obligation et son montant actualisé au moment du partage.
    • Il est en effet admis que le règlement d’une telle dette doit tenir compte du taux de change en vigueur au jour du partage, et non de celui applicable au jour de la naissance de l’obligation.
    • Cette solution a été consacrée par la jurisprudence, notamment par un arrêt du 10 juin 1976 aux termes duquel la Cour de cassation a jugé qu’une dette libellée en dollars devait être évaluée à la date de son règlement et non à sa valeur en francs français au moment de son octroi (Cass. 1ère civ. 10 juin 1976, n°75-10.798).
    • Ainsi, un copartageant débiteur d’une somme en monnaie étrangère ne rapportera pas nécessairement l’équivalent en euros de ce qu’il devait lors de la naissance de l’obligation, mais la somme convertie sur la base du taux de change applicable au jour du partage.
    • Cette exception se justifie par la nature fluctuante des devises, dont la valeur est susceptible d’évoluer de manière significative entre la date de contraction de la dette et celle de son règlement.
    • En fixant l’évaluation au jour du partage, la jurisprudence entend assurer une équivalence économique entre les parties, en prenant en compte la réalité monétaire du moment où la dette est effectivement apurée.
  • Les dettes indexées
    • Certaines dettes rapportables sont assorties d’une clause d’indexation, prévoyant une revalorisation automatique en fonction d’un indice de référence, tel que l’inflation, le coût de la construction ou un indice sectoriel spécifique.
    • Dans ces cas, l’application stricte du nominalisme monétaire serait contraire à la volonté des parties et à la nature même de l’obligation, qui a vocation à évoluer dans le temps afin de refléter une valeur actualisée.
    • Ainsi, lorsqu’un copartageant est tenu de rapporter une dette indexée, son montant sera nécessairement ajusté en fonction de l’indice applicable au jour du partage.
    • Loin d’être une remise en cause du principe du nominalisme monétaire, cette exception trouve son fondement dans la nature même de l’engagement souscrit, qui implique une réévaluation systématique et contractuellement prévue.
    • L’application de cette règle se rencontre fréquemment dans les dettes résultant de contrats de prêt assortis d’une clause de révision du taux d’intérêt ou d’obligations financières indexées sur des indices économiques.
    • Dans ces hypothèses, le copartageant débiteur ne pourra rapporter sa dette qu’à hauteur de son montant réévalué, conformément aux conditions initiales de l’obligation.
  • Les obligations de restitution en nature
    • Enfin, certaines dettes rapportables ne peuvent être réduites à une simple somme d’argent et impliquent une restitution en nature.
    • Il en va ainsi lorsque l’obligation porte sur un bien déterminé, tel qu’un objet d’art, des titres financiers ou un actif dont la valeur intrinsèque est fluctuante.
    • Dans ces cas, le principe du nominalisme monétaire cède nécessairement le pas au valorisme, l’évaluation devant tenir compte de la valeur réelle du bien au jour du partage.
    • Prenons l’exemple d’un copartageant ayant reçu en prêt une collection de tableaux, dont il est tenu de restituer l’équivalent patrimonial lors du partage.
    • Si ces œuvres ont vu leur valeur s’accroître de manière significative au fil des années, la dette ne pourra être évaluée à hauteur de la somme nominale initialement convenue.
    • L’évaluation devra s’opérer en fonction de la valeur vénale des œuvres au jour du partage, afin d’assurer un règlement conforme à la consistance réelle de la masse successorale.
    • De même, lorsqu’un copartageant est tenu de restituer des titres financiers ou des actifs soumis à une fluctuation de valeur, l’évaluation doit nécessairement tenir compte de la cotation en vigueur au moment du partage.
    • L’application stricte du nominalisme monétaire conduirait à des distorsions manifestes, en obligeant le débiteur à rapporter une somme sans lien avec la valeur actuelle du bien concerné.

Ces exceptions, bien que résultant de cas très spécifiques, révèlent que le nominalisme monétaire n’est pas une règle absolue et qu’il peut céder dans certaines situations où l’évaluation monétaire stricte ne reflète pas la réalité patrimoniale du partage. Toutefois, ces tempéraments concernent uniquement des dettes dont l’objet présente une variabilité intrinsèque, et ne remettent aucunement en cause l’application du principe du nominalisme monétaire aux dettes de sommes d’argent.

En définitive, si les dettes libellées en devises étrangères, les obligations indexées et les restitutions en nature échappent au nominalisme monétaire, ce principe joue pour toutes les dettes strictement pécuniaires, qui restent soumises aux dispositions de l’article 1895 du Code civil. C’est ainsi que le droit positif maintient une distinction nette entre les dettes de sommes d’argent, qui restent évaluées à leur valeur nominale, et les dettes de valeur, dont l’évaluation doit tenir compte des fluctuations affectant leur objet.

3. La production d’intérêts sur les dettes rapportables

L’article 866 du Code civil instaure un régime autonome régissant la production d’intérêts sur les dettes rapportables. Il s’agit d’une évolution notable, car, sous l’empire du droit antérieur, la jurisprudence appliquait de manière indifférenciée aux dettes et aux libéralités rapportables les règles de l’article 856 du Code civil, lequel prévoit que les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter de l’ouverture de la succession. Désormais, les dettes rapportables obéissent à des règles propres, qui tiennent compte de leur origine et de leur nature.

==>Une production d’intérêts de plein droit, au taux légal ou conventionnel

L’alinéa premier de l’article 866 du Code civil dispose que les dettes rapportables produisent intérêt au taux légal, sauf stipulation contraire. Il en résulte que, même si l’obligation initiale n’était pas productrice d’intérêts avant l’ouverture de la succession, elle le devient de plein droit dès lors qu’elle est soumise au mécanisme du rapport.

Cette solution, appliquée de façon constante par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 15 mai 2001, n°99-10.286), a été expressément consacrée par le législateur. Les intérêts sont dus sans qu’une mise en demeure soit nécessaire, ce qui distingue ces obligations des dettes civiles ordinaires.

Toutefois, les coïndivisaires conservent la faculté de convenir d’un taux distinct du taux légal, sous réserve du respect des limites fixées par les règles relatives au taux d’usure. Ainsi, si le de cujus avait prévu contractuellement un taux d’intérêt supérieur ou inférieur au taux légal pour la dette concernée, cette stipulation demeure applicable, conformément au principe de la force obligatoire du contrat.

==>Le point de départ des intérêts

L’article 866 du Code civil distingue selon que la dette rapportable est née avant la constitution de l’indivision ou qu’elle est survenue en cours d’indivision.

  • Les dettes préexistantes à l’indivision
    • Lorsque la dette existait avant l’ouverture de l’indivision – que celle-ci résulte d’un décès, d’un divorce, d’une dissolution de PACS ou de la cessation d’une indivision conventionnelle – les intérêts commencent à courir dès la constitution de l’indivision.
    • Cette règle assure la continuité du régime juridique des créances détenues contre un copartageant et s’inscrit dans la lignée des solutions jurisprudentielles antérieures, qui admettaient déjà que les créances préexistantes à l’indivision produisent intérêts dès le jour de la naissance de celle-ci (Cass. 1ère civ, 8 juin 2004, n°01-15.044).
    • Ainsi, un indivisaire débiteur d’une somme envers l’indivision au jour de sa constitution ne peut différer le cours des intérêts : la dette est réputée immédiatement exigible à l’égard des autres copartageants, ce qui justifie l’application du taux légal dès la naissance de l’indivision.
  • Les dettes nées en cours d’indivision
    • Lorsque la dette naît après la constitution de l’indivision, les intérêts ne courent qu’à compter du jour où elle devient exigible.
    • Cette solution, désormais consacrée par l’article 866 du Code civil, rompt avec la jurisprudence antérieure, qui, dans certains cas, admettait que les intérêts puissent courir dès la constitution de l’indivision, même lorsque la dette lui était postérieure (Cass. 1ère civ., 5 avr. 2005, n°01-12.810 et 01-15.367).
    • Désormais, le texte met fin à cette incertitude en retenant une règle claire et sécurisante : tant qu’une dette contractée par un indivisaire dans le cadre de l’indivision n’est pas exigible, elle ne produit pas d’intérêts.
    • Ce principe permet d’éviter qu’un copartageant se voie imposer des intérêts moratoires alors même qu’il n’a pas encore été mis en demeure d’exécuter son obligation.

Il peut être observé que lorsque le montant de la dette n’est pas déterminé au jour de la constitution de l’indivision, les intérêts ne peuvent courir qu’à compter de la fixation de son montant. Ce principe, dégagé par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 27 janv. 1987, n°85-15.336), repose sur une considération de bon sens : il serait manifestement inéquitable d’exiger des intérêts sur une obligation dont l’assiette demeure indéterminée.

Cette règle trouve notamment à s’appliquer dans les situations où le montant de la dette fait l’objet d’une contestation entre copartageants ou lorsque son évaluation nécessite un processus préalable (par exemple, lorsqu’il s’agit d’une dette de valeur liée à un actif dont la valorisation est fluctuante). Dans ces hypothèses, les intérêts ne commencent à courir qu’à compter du moment où la dette est définitivement liquidée, en cohérence avec la nature indemnitaire des intérêts moratoires.

==>L’anatocisme

Le mécanisme de l’anatocisme – c’est-à-dire la capitalisation des intérêts pour produire eux-mêmes des intérêts – est admis dans le cadre du rapport des dettes. Cette solution trouve son fondement dans l’ancien article 1154 du Code civil (devenu l’article 1343-2), ainsi que dans une jurisprudence bien établie (Cass. 1ère civ., 19 oct. 1983, n° 82-11.982).

Toutefois, l’anatocisme ne saurait s’appliquer automatiquement. Il suppose :

  • Que les intérêts soient dus pendant au moins une année entière avant de pouvoir être capitalisés.
  • Qu’une demande expresse soit formulée par l’un des copartageants pour obtenir la capitalisation des intérêts (Civ. 1??, 23 mars 1994, n° 92-13.345).

Ainsi, bien que le rapport des dettes puisse donner lieu à une production d’intérêts capitalisables, leur accumulation reste strictement encadrée et soumise à des conditions précises.

==>L’assiette des intérêts

Enfin, l’assiette des intérêts doit être précisément définie. Toutes les dettes rapportables ne produisent pas nécessairement intérêts sur l’intégralité de leur montant. Seules les sommes excédant les droits du copartageant débiteur dans la masse indivise génèrent des intérêts.

La jurisprudence a confirmé cette solution en jugeant que seules les dettes restant exigibles après imputation sur les droits dans l’indivision sont productives d’intérêts (CA Paris, 23 oct. 1986).

Autrement dit, lorsqu’un copartageant est débiteur envers l’indivision, la compensation entre sa dette et ses droits indivis s’opère en priorité. Ce n’est qu’à hauteur du solde demeurant exigible après compensation que des intérêts seront dus. Cette règle vise à éviter qu’un copartageant, bien que débiteur, ne soit excessivement pénalisé par une accumulation d’intérêts sur une dette qui, pour partie, s’impute naturellement sur ses droits dans l’indivision.

Rapport des dettes dans le cadre des opérations de partage: conditions

Le rapport des dettes, en tant qu’opération de partage, repose sur un ensemble de conditions précises qui en définissent le domaine d’application. Deux éléments fondamentaux doivent être réunis : l’existence d’un copartageant débiteur et la présence d’une créance inscrite à l’actif de la masse partageable.

A) Conditions relatives au débiteur

==>Qualités de copartageant et débiteur

En premier lieu, seuls les indivisaires appelés à concourir au partage peuvent être assujettis au rapport des dettes. Cette exigence, qui puise sa source dans l’article 864 du Code civil, implique que l’intéressé soit doté d’une vocation à se voir attribuer une fraction d’une masse indivise. Aussi, dès lors qu’un indivisaire prend part au partage, ses droits sur la masse doivent être ajustés à due concurrence des obligations qu’il a contractées envers celle-ci.

L’application du rapport des dettes ne se limite pas aux seules successions. Elle s’étend aux partages de communauté, notamment lorsque la dissolution du régime matrimonial impose un règlement des créances entre les époux (Cass. 1?? civ., 2 oct. 2001, n°99-11.375). Elle concerne également les indivisions conventionnelles, lorsque plusieurs indivisaires mettent fin à leur indivision et procèdent au partage des biens. De même, elle intervient dans le cadre du partage consécutif à la dissolution d’une société, lorsque les associés doivent se répartir les actifs indivis subsistants (Cass. civ., 8 févr. 1882). Dans chacune de ces hypothèses, la qualité de copartageant implique l’intégration au mécanisme d’allotissement des dettes, indépendamment de l’origine de la masse à partager.

En matière successorale, cette règle signifie que le titre en vertu duquel un successeur vient au partage est indifférent. Qu’il soit héritier ab intestat, légataire universel ou institué contractuel, il est soumis au rapport des dettes, dès lors qu’il participe à la répartition de la succession. En revanche, le légataire à titre particulier échappe à cette obligation, puisqu’il n’a pas vocation à prendre part à l’indivision successorale (Cass. 1?? civ., 6 déc. 2005, n°01-12.038). Cette règle illustre la distinction fondamentale entre le rapport des dettes et le rapport des libéralités. Contrairement à ce dernier, qui ne concerne que les héritiers présomptifs gratifiés, le rapport des dettes vise l’ensemble des copartageants dès lors qu’ils remplissent les conditions requises.

En second lieu, au-delà de la condition de copartageant, le rapport des dettes suppose également que l’indivisaire concerné soit débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable. Cette dette peut avoir une origine diverse. Elle peut résulter d’une obligation contractée à l’égard du de cujus de son vivant, auquel cas elle est transmise à la succession et doit être réglée lors du partage. Elle peut également être née postérieurement à l’ouverture de la succession, lorsque l’indivisaire est tenu envers l’indivision en raison d’une obligation née durant la gestion des biens indivis.

L’indivisaire peut ainsi être débiteur de la masse successorale lorsqu’il a bénéficié d’un prêt consenti par le de cujus et demeuré impayé au jour du décès. Il peut aussi avoir perçu des fonds en vertu d’une procuration sur les comptes du défunt, dont il reste comptable envers la succession. De même, il peut être tenu au paiement d’une indemnité d’occupation lorsqu’il a joui privativement d’un bien indivis sans indemniser ses cohéritiers. Enfin, il peut être redevable envers la masse indivise s’il a perçu des revenus générés par un bien indivis sans les reverser à l’indivision ou si, en sa qualité d’administrateur des biens indivis, il a commis des fautes de gestion ayant causé un préjudice au patrimoine partagé.

Le rapport des dettes impose donc une stricte corrélation entre la qualité d’indivisaire appelé au partage et l’existence d’une dette à l’égard de la masse. Il vise à garantir que les créances détenues par la masse sur un copartageant ne puissent être éludées au moment de la répartition des biens. Dès lors que l’indivisaire concerné remplit ces deux conditions, il ne peut se soustraire à cette obligation et voit ses dettes imputées sur sa part.

==>L’exclusion des héritiers renonçants et indignes

L’héritier qui renonce à la succession est réputé n’avoir jamais été héritier (art. 805 C. civ.). Cette fiction juridique le soustrait de plein droit aux opérations de partage et, par voie de conséquence, au mécanisme du rapport des dettes. Néanmoins, cette exclusion ne saurait anéantir l’obligation qui lui incombe : sa dette demeure et doit être exécutée selon les principes du droit commun (Cass. civ., 8 août 1895).

Il en va de même pour l’héritier déclaré indigne, dont la déchéance des droits successoraux entraîne l’éviction pure et simple du partage. Dès lors qu’il ne revêt pas la qualité de copartageant, il échappe au rapport des dettes. Toutefois, l’indignité ne purge en rien l’obligation préexistante : la créance qui pèse sur lui conserve son plein effet et demeure exigible selon les voies de droit ordinaires.

Ces exclusions s’inscrivent dans la logique inhérente au rapport des dettes, lequel est intrinsèquement lié à la participation au partage. Le renonçant et l’indigne, étrangers à l’indivision successorale, ne sauraient être astreints aux ajustements opérés lors de la répartition. Ils demeurent tenus de s’acquitter de leurs obligations, mais hors du cadre liquidatif, selon les règles de droit commun.

==>La représentation successorale

La représentation successorale soulève une interrogation quant à l’application du rapport des dettes. Ce mécanisme, en vertu des articles 752 et 753 du Code civil, permet à un héritier de venir au partage en représentation d’un prédécédé, d’un indigne ou d’un renonçant. Dès lors, une question se pose : le représentant doit-il être tenu d’alloter, dans le partage, les dettes contractées par celui qu’il remplace ?

Deux positions doctrinales s’affrontent :

D’un côté, une lecture rigoureuse du principe du partage par souche pourrait conduire à imposer au représentant les obligations du représenté, en ce compris celles relevant du rapport des dettes. Cette approche repose sur l’idée que la représentation est une fiction juridique assurant la continuité des souches successorales. En venant au partage à la place de son auteur, le représentant se substituerait à lui non seulement dans ses droits, mais également dans ses charges, de sorte qu’il devrait se voir alloti des créances existant contre le représenté.

D’un autre côté, une analyse plus nuancée conduit à rejeter cette automaticité. Le représentant n’est pas personnellement débiteur des créances contractées par le représenté ; il ne s’est jamais directement engagé à leur paiement et ne saurait en répondre à titre propre. Or, le rapport des dettes trouve son fondement dans le principe de la confusion des qualités de créancier et de débiteur, laquelle suppose que ces deux qualités soient réunies en une seule et même personne. Cette condition fait défaut dans l’hypothèse du représentant, qui n’a jamais contracté la dette initiale. Dès lors, celle-ci ne saurait s’éteindre par l’effet du rapport et devrait être traitée selon les mécanismes de droit commun.

L’adoption de cette seconde solution a pour corollaire de concentrer le risque d’insolvabilité sur la souche successorale du représenté. Le représentant, bien que juridiquement étranger à la dette initiale, pourrait se voir grevé d’une obligation dont il n’est pas l’auteur, ce qui poserait un problème d’équité entre les copartageants. Une telle situation pourrait s’avérer particulièrement délicate dans l’hypothèse où la dette du représenté serait significative et excéderait les droits successoraux du représentant.

En l’état du droit positif, aucune disposition ne tranche expressément cette question. Contrairement au rapport des libéralités, où l’article 843 du Code civil impose au représentant d’alloter, dans le partage, les donations reçues par le représenté, aucune règle équivalente n’a été consacrée pour le rapport des dettes.

Dès lors, par prudence, il semble opportun de considérer que le successeur venant par représentation ne saurait, en principe, être tenu au rapport des dettes contractées par le représenté, sauf à ce qu’il en devienne lui-même débiteur par transmission du passif. Une clarification législative s’avérerait bienvenue afin de garantir une application homogène de ce mécanisme et d’écarter toute divergence d’interprétation susceptible d’engendrer des iniquités successorales.

B) Conditions relatives aux dettes

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, vise à assurer l’équité entre les copartageants en imposant à celui d’entre eux qui est débiteur d’une créance comprise dans la masse partageable d’en être alloti à due concurrence de ses droits. Cette règle, qui relève de la technique liquidative des successions et des indivisions, repose sur l’idée que les dettes d’un indivisaire à l’égard de la masse successorale doivent être régularisées au moment du partage, afin d’éviter que certains copartageants ne soient avantagés ou que l’actif partageable ne se trouve minoré au détriment des autres.

Toutefois, pour que le rapport des dettes puisse être mis en œuvre, certaines conditions doivent être réunies, tant en ce qui concerne l’origine de la dette que ses caractéristiques intrinsèques. Si le Code civil ne dresse pas une liste exhaustive des dettes concernées, la jurisprudence et la doctrine ont progressivement dégagé les principes directeurs qui en gouvernent l’application.

1. L’origine des dettes rapportables

L’article 864 du Code civil ne distingue pas selon l’origine ou la nature de la dette. Ainsi, le rapport des dettes peut indifféremment concerner des obligations d’origine contractuelle, légale, quasi-contractuelle, délictuelle ou quasi-délictuelle (Cass. 1ère civ., 11 juin 1981, n°80-11.177). La jurisprudence a admis que cette règle s’applique aux dettes résultant de l’annulation d’un acte juridique consacrant ainsi l’idée que le rapport des dettes constitue un mécanisme de régularisation des obligations entre copartageants, indépendamment du fait générateur de la créance.

L’essentiel est que la dette trouve sa source dans les relations entre le débiteur et la masse partageable. Ainsi, toute obligation née entre le de cujus et un héritier peut être rapportée, de même que celles contractées entre un indivisaire et l’indivision successorale.

Les dettes les plus fréquemment concernées par le rapport sont celles que l’héritier a contractées envers le défunt de son vivant. Il en va ainsi des prêts consentis par le de cujus et non remboursés à son décès, des avances sur héritage, ou encore des créances résultant d’une convention conclue avec le défunt. Ces créances figurent à l’actif de la succession et, en raison de l’absence d’effet extinctif du décès du créancier, elles doivent être réglées par le débiteur avant la répartition du patrimoine.

Un exemple marquant est celui des retraits effectués par un héritier grâce à une procuration sur les comptes du défunt. Si ces fonds ont été utilisés à titre personnel, l’héritier devra les rapporter à la succession (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Toutefois, si les sommes prélevées l’ont été dans l’intérêt du de cujus, la dette ne sera pas soumise au rapport, la charge de la preuve incombant alors au mandataire (Cass. 1ère civ., 21 nov. 1995, n°93-21.162).

Le rapport des dettes s’applique également aux obligations nées après l’ouverture de la succession, dès lors qu’elles résultent des relations entre l’indivisaire et la masse successorale. Ainsi, les sommes ou fruits encaissés par un indivisaire pour le compte de l’indivision doivent être restitués lors du partage (Cass. req. 23 avr. 1898). Il en va de même des indemnités d’occupation dues par l’indivisaire jouissant privativement d’un bien indivis (CA Angers, 2 sept. 1991) ou des sommes correspondant à des détériorations du bien indivis causées par un cohéritier (Cass. req. 17 nov. 1885).

Dans le même sens, il a été jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 19 octobre 1983 que l’indivisaire qui administre un bien dépendant de la succession sans en rendre compte peut être contraint de rétablir dans la masse partageable la valeur du bien ainsi appréhendé (Cass. 1?? civ., 19 oct. 1983, n°82-13.329).

En l’espèce, un héritier avait été désigné pour assurer l’administration provisoire d’un cabinet de conseil juridique et d’administrateur de biens dépendant de la succession. Or, il est apparu que cet indivisaire, exerçant lui-même une activité similaire, avait confondu ses propres opérations avec celles du cabinet hérité, sans tenir de comptabilité distincte ni produire de comptes de gestion. Cette confusion a conduit les juges du fond à constater l’impossibilité d’établir la consistance exacte des éléments du cabinet subsistant au jour du partage.

Se fondant sur les conclusions d’un expert, la cour d’appel a estimé que la seule manière de préserver l’égalité du partage était de retenir la valeur du cabinet au jour du décès, soit 120 000 francs, et de mettre cette somme à la charge de l’indivisaire en cause, avec intérêts au taux légal courant depuis l’ouverture de la succession.

La Cour de cassation a validé cette décision en considérant que l’héritier avait appréhendé cet élément d’actif dans sa consistance au jour du décès et que, faute de justification sur son usage et son état au moment du partage, il devait en restituer la valeur à l’indivision. Elle a ainsi confirmé la condamnation de l’intéressé à rétablir dans la masse successorale l’équivalent de la valeur du cabinet litigieux.

Cet arrêt illustre de manière particulièrement rigoureuse l’exigence de transparence et de reddition de comptes incombant à tout indivisaire ayant assumé la gestion d’un bien commun. Il consacre la règle selon laquelle l’indivisaire qui fait sien, sans autorisation ni justification, un élément du patrimoine successoral doit en restituer la valeur à la masse, afin de garantir le principe d’égalité entre copartageants.

Enfin, le rapport des dettes trouve également à s’appliquer lorsque la succession a payé à un tiers une dette incombant normalement à un cohéritier. Tel est l’enseignement qui peut être retiré d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 26 mars 1974 (Cass. 1ère civ. 26 mars 1974, n°72-13.132).

En l’espèce, un professionnel libéral était décédé en laissant pour héritiers sa veuve et ses trois enfants. L’un d’eux, ultérieurement placé en règlement judiciaire, était débiteur envers un tiers d’une somme correspondant à des détournements de fonds. Afin d’éviter des poursuites, le défunt s’était porté caution de cette dette. Après le décès, le créancier avait exercé un recours contre les héritiers, ce qui avait conduit la succession à s’acquitter de la dette et à se subroger dans les droits du créancier initial.

Les juges du fond avaient estimé que cette créance devait être rapportée à la masse successorale, dans la mesure où la succession s’était substituée au créancier initial. Confirmant cette solution, la Cour de cassation a jugé que, dès lors qu’une dette contractée par un héritier envers un tiers avait été acquittée par l’indivision, elle constituait une créance de cette dernière contre le débiteur initial et devait être réglée selon le mécanisme du rapport des dettes. L’arrêt relevait également que l’héritier débiteur avait bénéficié des éléments essentiels de la succession, ce qui justifiait encore davantage l’imputation de cette dette sur ses droits dans le partage.

Toutefois, la Cour de cassation a opéré une distinction essentielle en censurant partiellement la décision d’appel. Elle a rappelé que, conformément aux articles 829 et 830 du Code civil, seules les dettes ayant un lien direct avec l’indivision successorale peuvent être rapportées à la masse. Dès lors, elle a annulé l’arrêt en ce qu’il avait également inclus dans le rapport des dettes une somme avancée à l’héritier débiteur par son frère, ainsi que d’autres paiements effectués en sa faveur. Selon la Haute juridiction, ces créances résultaient de relations purement personnelles entre copartageants et ne pouvaient dès lors être soumises au mécanisme du rapport des dettes.

Cet arrêt illustre ainsi une double exigence : d’une part, le rapport des dettes s’applique lorsque l’indivision s’est substituée au créancier initial en s’acquittant d’une dette due par un cohéritier ; d’autre part, seules les dettes directement liées à l’indivision successorale peuvent être prises en compte, à l’exclusion de celles nées de rapports strictement personnels entre copartageants et dépourvues de tout lien avec l’indivision successorale.

2. Les caractères des dettes rapportables

Le rapport des dettes répond à une logique de justice distributive qui impose que les obligations pesant sur un copartageant soient traitées dans le cadre du partage, indépendamment de leur échéance. C’est en ce sens que l’article 864 du Code civil prévoit expressément que la dette n’a pas besoin d’être exigible au jour de l’ouverture de la succession pour être soumise au rapport. Ce principe, consacré de longue date par la jurisprudence (V. par ex. Cass. civ. 28 févr. 1866), vise à neutraliser l’effet des délais de paiement et à empêcher qu’un indivisaire ne bénéficie d’un avantage indu du seul fait d’un report d’exigibilité. Dès lors qu’une dette est juridiquement constituée, sa prise en compte dans le partage s’impose afin d’éviter que la répartition du patrimoine successoral ne soit faussée par des échéances différées.

Cette règle repose sur l’idée que le rapport des dettes ne saurait être conditionné par des facteurs contingents tenant à la structure de l’obligation. Une créance à terme, dès lors qu’elle est certaine et que son montant est déterminé, peut ainsi être allotie au copartageant débiteur sans qu’il soit nécessaire d’attendre son exigibilité. À défaut, on introduirait une iniquité entre les indivisaires, certains étant artificiellement exonérés de leur obligation simplement en raison d’un décalage temporel. Cette approche trouve une confirmation dans la jurisprudence, qui s’attache davantage à la certitude et à la liquidité de la dette qu’à son exigibilité immédiate.

Toutefois, pour être rapportable, la dette doit nécessairement présenter un caractère certain et liquide. À défaut, son allotissement au copartageant débiteur compromettrait l’égalité du partage et introduirait une source d’insécurité juridique. La Cour de cassation l’a rappelé dès 1885 (Cass. req. 17 nov. 1885), en posant comme condition que l’obligation soit clairement établie, tant dans son principe que dans son montant. Une dette dont l’existence serait litigieuse, ou dont l’évaluation resterait à faire, ne saurait faire l’objet d’un rapport, sous peine de grever un indivisaire d’une charge indéterminée, ce qui heurterait frontalement l’exigence de prévisibilité inhérente au partage successoral.

Néanmoins, cette exigence n’est pas absolue et connaît certains tempéraments. Ainsi, les dettes affectées d’une condition suspensive peuvent être rapportées dès lors que la créance existe en germe et que l’éventualité de son exigibilité future est suffisamment caractérisée. La cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 mars 2003, a admis cette possibilité, reconnaissant que la prise en compte anticipée d’une dette conditionnelle pouvait se justifier lorsque les circonstances permettaient d’en prévoir raisonnablement l’issue. Une telle solution s’inscrit dans la logique du rapport des dettes, qui tend à assurer une répartition équilibrée des charges entre les copartageants et à éviter qu’un indivisaire ne soit favorisé en raison d’une contingence juridique.

3. Compensation des dettes rapportables avec les créances contre la masse partageable

Le mécanisme du rapport des dettes, consacré par l’article 864 du Code civil, s’inscrit dans une logique d’équité en imposant à tout copartageant débiteur d’une obligation envers la masse partageable d’en supporter l’imputation lors du partage. Toutefois, ce principe ne saurait aboutir à ce qu’un copartageant débiteur soit contraint d’allotir l’intégralité de sa dette sans prise en compte des créances qu’il détient sur l’indivision. L’article 867 du Code civil prévoit ainsi que, dans une telle hypothèse, la dette ne sera rapportée qu’à concurrence du solde restant dû après compensation. Dès lors, seules les dettes excédant les créances réciproques du copartageant sur la masse partageable donnent lieu à un allotissement, évitant ainsi qu’un indivisaire se voie artificiellement grevé d’une obligation sans prise en compte des flux financiers inverses.

Ce mécanisme repose sur le principe de la compensation légale, défini aux articles 1347 et suivants du Code civil, qui permet l’extinction réciproque de dettes connexes entre deux parties lorsque plusieurs conditions sont réunies. L’application de ce dispositif dans le cadre du rapport des dettes implique ainsi de s’assurer de l’existence de créances réciproques entre le copartageant et la masse indivise.

D’abord, les obligations en présence doivent être certaines, liquides et exigibles. La compensation ne saurait se concevoir sur la base d’une créance incertaine, contestée ou encore en cours de liquidation, sous peine de rompre l’équilibre du partage et d’introduire un facteur d’instabilité dans la détermination des droits des copartageants. Seules les créances dont la consistance est juridiquement établie et dont l’échéance est acquise peuvent ainsi donner lieu à une imputation compensatoire.

Ensuite, l’identité des parties doit être caractérisée. La dette dont le copartageant est tenu envers l’indivision doit trouver son pendant dans une créance qu’il détient à l’encontre de cette même masse. Il ne saurait être question d’opérer une compensation entre des obligations relevant de rapports strictement personnels entre indivisaires, sans lien direct avec la masse partageable.

Enfin, la compensation doit s’exercer exclusivement sur des créances et dettes attachées à l’indivision, et non sur des obligations étrangères au partage. La jurisprudence veille à préserver cette stricte imputation, excluant notamment les créances personnelles des indivisaires de l’assiette du mécanisme compensatoire (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104).

Lorsque ces conditions sont réunies, la compensation s’opère automatiquement et préalablement à l’allotissement du copartageant. Dès lors, seul le solde restant dû après imputation réciproque est pris en compte dans le partage, assurant ainsi une répartition plus juste des charges successorales.

L’article 867 du Code civil trouve à s’appliquer dans diverses situations où un copartageant, tout en étant débiteur envers l’indivision, dispose également d’une créance sur cette dernière.

  • Le règlement des charges indivises : lorsqu’un indivisaire a avancé des fonds pour acquitter des dépenses grevant l’indivision, telles que la taxe foncière, les charges de copropriété ou encore les frais d’entretien du bien indivis, il bénéficie d’une créance en retour. Si, parallèlement, il est tenu de rapporter une dette à l’indivision, la compensation s’opérera entre ces flux financiers, et seul l’éventuel solde restant dû après imputation donnera lieu à allotissement.
  • Les améliorations apportées au bien indivis : l’indivisaire qui a financé des travaux d’amélioration d’un bien indivis peut prétendre à une créance compensatoire en raison de la plus-value générée. Si, en parallèle, il est redevable d’une indemnité d’occupation en raison d’un usage privatif du bien, la compensation interviendra avant toute répartition, prévenant ainsi un double prélèvement qui altérerait l’équilibre du partage.
  • Les avances consenties entre copartageants : lorsque l’un des indivisaires a avancé des sommes aux autres copartageants afin de faciliter la gestion de l’indivision, ces créances croisées peuvent également faire l’objet d’une compensation, dès lors qu’elles relèvent directement du compte d’indivision.

En pratique, les notaires procèdent souvent à l’établissement de comptes d’indivision permettant d’enregistrer ces créances et dettes et d’aboutir à un solde net avant le partage. Toutefois, contrairement au compte de récompenses en matière de régimes matrimoniaux (art. 1468 et 1470 C. civ.), ce compte demeure une simple faculté et ne constitue pas une exigence impérative.

Si le mécanisme de la compensation permet un partage de la masse indivise plus équitable, elle ne saurait s’appliquer sans restriction.

D’une part, les règles de prescription propres à chaque créance ou dette demeurent indépendantes du processus compensatoire. Contrairement à ce qu’avait jugé à tort une cour d’appel, la prescription d’une créance du copartageant ne peut être suspendue jusqu’au partage, ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 28 mars 2018 (Cass. 1?? civ., 28 mars 2018, n° 17-14.104). L’application de l’article 2224 du Code civil impose ainsi de veiller à ce que les droits des indivisaires ne se trouvent pas indûment prorogés par l’effet de la compensation.

D’autre part, la compensation ne s’impose que si ses conditions sont réunies, et ne peut être invoquée sur des créances incertaines ou encore soumises à des conditions suspensives non réalisées. Ainsi, la seule perspective d’une créance future ne saurait justifier une imputation immédiate, la jurisprudence ayant exclu une telle anticipation en matière de partage successoral.

Enfin, la compensation ne modifie pas l’ordre des allotissements et ne confère aucun droit préférentiel à l’indivisaire qui l’invoque. Elle permet seulement de garantir que son obligation nette, après imputation réciproque, soit équitablement répartie dans l’opération de partage.

4. Preuve des dettes rapportables

Le rapport des dettes, en ce qu’il constitue une modalité d’allotissement spécifique lors du partage, suppose que la dette invoquée contre un copartageant soit préalablement établie dans son principe et dans son montant. Cette exigence découle de la nécessité d’assurer une parfaite égalité entre les indivisaires et de prévenir toute imputation arbitraire d’une obligation sur l’un d’entre eux. Dès lors, la charge de la preuve repose naturellement sur celui qui sollicite le rapport de la dette.

La jurisprudence a admis que cette preuve peut être apportée par tous moyens (Cass. civ. 24 juill. 1918). Ce principe se justifie par la diversité des origines des dettes rapportables, qui peuvent découler d’actes contractuels, de quasi-contrats, d’obligations légales ou encore d’engagements informels entre le défunt et l’héritier concerné. Ainsi, la preuve d’une dette susceptible d’être alloti dans le partage peut résulter de documents écrits, d’attestations, d’éléments comptables ou encore d’un faisceau d’indices suffisamment précis et concordants permettant d’établir l’existence de l’obligation.

Toutefois, lorsque la dette provient de mouvements financiers opérés sur les comptes du défunt, la charge de la preuve connaît un aménagement. En présence de retraits effectués par un héritier mandataire disposant d’une procuration bancaire, il incombe à ce dernier de justifier l’usage des fonds prélevés. La Cour de cassation a fermement consacré cette règle dans un arrêt du 2 février 1999, précisant que le mandataire, tenu de rendre compte de sa gestion, doit démontrer que les sommes perçues ont été employées conformément aux intérêts du défunt et qu’elles ne constituent pas une dette susceptible d’être rapportée (Cass. 1ère civ., 2 févr. 1999, n°96-21.460). Ce renversement de la charge de la preuve s’explique par le devoir de transparence qui pèse sur le mandataire, lequel ne peut se contenter d’un simple silence ou d’un défaut de justification de la part des autres héritiers pour éluder ses responsabilités.

En outre, les juges du fond exercent un contrôle strict sur ces prélèvements, notamment lorsque leur montant excède les besoins habituels du défunt ou qu’ils ont été effectués dans des circonstances suspectes, en particulier à l’approche du décès. À défaut d’explication convaincante du mandataire, ces retraits peuvent être assimilés à des dettes rapportables, et leur imputation s’effectue alors sur sa part successorale.

5. Prescription des dettes rapportables

Le jeu du rapport des dettes trouve une limite dans l’effet de la prescription extinctive. Une dette qui s’est éteinte par l’effet de la prescription au jour du décès du défunt ne peut plus être imputée sur la part successorale de l’héritier débiteur, faute d’existence juridique. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 12 février 2020, précisant que le rapport ne peut porter que sur des obligations encore valides au moment du partage (Cass. 1?? civ. 12 févr. 2020, n°18-23.573).

L’extinction de la dette par prescription obéit aux règles de droit commun et s’apprécie selon la nature de l’obligation concernée. Depuis la réforme opérée par la loi du 17 juin 2008, le délai de prescription de droit commun est fixé à cinq ans (art. 2224 C. civ.), ce qui peut conduire à une extinction rapide des créances lorsque celles-ci n’ont pas fait l’objet de réclamations régulières. Dans la pratique successorale, cette brièveté du délai peut entraîner la perte du recours contre un copartageant débiteur si aucune reconnaissance de dette ou interruption de la prescription n’est intervenue avant le décès du créancier.

Toutefois, la prescription n’opère pas toujours une extinction pure et simple de la dette. Lorsque le créancier successoral – en l’occurrence, le défunt – s’est abstenu de réclamer le paiement, cette inaction peut être interprétée comme une volonté implicite de renoncer à son droit. En pareille hypothèse, la remise de dette constitue une libéralité indirecte, soumise aux règles du rapport des libéralités. L’article 843 du Code civil impose en effet aux héritiers gratifiés de rapporter à la succession les avantages qu’ils ont reçus du défunt pour assurer l’égalité entre les copartageants. Ainsi, si la remise de dette est jugée intentionnelle et gratuite, elle ne relève plus du rapport des dettes, mais de celui des libéralités, modifiant en conséquence le mode de règlement de l’indivision.

Enfin, la charge de la preuve de la prescription repose sur le copartageant débiteur. Celui qui entend se prévaloir de l’extinction de sa dette doit démontrer que le délai applicable était écoulé à la date du décès du défunt. En cas de contestation, la prescription ne sera opposable que si l’héritier débiteur parvient à établir qu’aucun acte interruptif ou suspensif n’a été accompli dans l’intervalle. À défaut, la dette reste due et peut faire l’objet d’un allotissement dans le partage.

Le rapport des dettes dans le cadre des opérations de partage: vue générale

==>Définition

Le rapport des dettes s’analyse en un mécanisme d’attribution propre aux opérations de partage, offrant un mode simplifié de règlement des dettes d’un indivisaire envers l’indivision. Son fonctionnement repose sur un principe simple : lorsqu’un copartageant est débiteur d’une créance à l’égard de la masse partageable, cette créance lui est allouée au moment du partage. L’extinction de la dette s’opère alors par confusion, sans qu’aucun paiement effectif ne soit requis.

Derrière cette mécanique se dessine une quête d’efficacité et d’équilibre. Le rapport des dettes permet d’assurer l’équilibre du partage en intégrant les créances des copartageants dans la répartition des lots. Ce faisant, il évite que la dette demeure impayée en raison d’une insolvabilité ultérieure du débiteur et protège ainsi les intérêts des autres indivisaires. Son champ d’application excède de loin les seules indivisions successorales : il s’étend à toute opération de partage, qu’elle soit d’origine successorale, post-communautaire ou conventionnelle, affirmant ainsi sa vocation à garantir l’harmonie des répartitions patrimoniales.

==>Terminologie

Le Code civil ne fait plus expressément mention du « rapport des dettes », bien qu’il en organise le régime. L’article 825 du Code civil distingue désormais « les valeurs soumises à rapport ou réduction » et « les dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision », attestant ainsi du maintien du mécanisme sans en reprendre la qualification d’origine.

Historiquement, la notion de « rapport des dettes » trouve son origine dans celle du rapport des libéralités. Sous l’Ancien droit, ces deux mécanismes étaient confondus : l’héritier gratifié en avancement de part devait être comptable des biens reçus, tout comme l’héritier débiteur d’une somme prêtée par le défunt devait en répondre à l’égard de ses copartageants. Cette parenté conceptuelle explique pourquoi l’ancien article 829 du Code civil réunissait, dans un même énoncé, le rapport des libéralités et le rapport des dettes.

Toutefois, cette assimilation était juridiquement discutable. Alors que le rapport des libéralités vise à réintégrer des avantages consentis à un successible pour rétablir l’égalité des vocations successorales, le rapport des dettes repose sur une autre logique : il permet d’assurer l’égalité effective du partage en prévenant les risques d’impayés. Les fonds empruntés ne sont pas « rapportés » à proprement parler à la masse partageable, mais leur non-remboursement est compensé par une allocation spécifique dans la répartition des biens. Le rapport des dettes, contrairement au rapport des libéralités, n’a donc jamais vocation à reconstituer la masse partageable.

==>Evolution

Le rapport des dettes puise ses racines dans l’Ancien droit coutumier, qui, par une association fondée davantage sur une intuition que sur une distinction rigoureuse des concepts, l’avait rapproché du rapport des libéralités. La doctrine classique illustre cette confusion, Pothier affirmant avec emphase que « le rapport est dû des sommes prêtées également comme des sommes données ».

Cette assimilation s’explique par la nature des prêts familiaux, souvent consentis sans formalisation rigoureuse, rendant délicate la distinction entre une véritable intention libérale et une créance exigible. La jurisprudence des Parlements, dès 1564, attestait déjà de l’existence de ce mécanisme destiné à intégrer les dettes des héritiers dans l’égalisation du partage.

Dès cette époque, l’idée selon laquelle l’acquittement de la dette pouvait être différé jusqu’au partage s’imposa. Le créancier successoral n’était plus contraint de réclamer immédiatement le remboursement du prêt, mais bénéficiait d’un mécanisme d’imputation permettant d’intégrer la créance dans l’opération de partage, assurant ainsi la continuité du patrimoine et évitant les aléas du recouvrement.

La codification napoléonienne hérita de cette conception et traduisit cette approche dans son article 829, aujourd’hui abrogé, qui énonçait que « chaque cohéritier fait rapport à la masse […] des dons qui lui sont faits, et des sommes dont il est débiteur ».

En consacrant ainsi une même terminologie pour des obligations pourtant distinctes, le Code civil de 1804 perpétua une confusion déjà manifeste sous l’Ancien droit. Cette assimilation fut rapidement source d’incertitudes quant à la qualification juridique du rapport des dettes. Assimiler un prêt impayé à une libéralité revenait à occulter la différence essentielle entre une transmission patrimoniale consentie à titre gratuit et une dette issue d’un engagement contractuel.

La doctrine releva rapidement la faiblesse de cette approche, certains auteurs s’interrogeant sur l’opportunité d’un tel rapprochement, tandis que la jurisprudence s’attacha à rétablir une distinction plus rigoureuse. Il ne s’agissait pas d’assurer une restitution à la masse successorale, comme c’est le cas pour le rapport des libéralités, mais bien d’intégrer la dette dans la répartition des lots. L’objectif n’était donc pas tant de reconstituer la masse partageable que de garantir l’égalité concrète du partage en neutralisant les effets de la dette sur les attributions respectives des copartageants.

Il fallut attendre la réforme des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1?? janvier 2007, pour que le rapport des dettes fût enfin doté d’un régime juridique propre, dissocié du rapport des libéralités.

Désormais intégré aux articles 864 à 867 du Code civil, il relève de la section III du chapitre VIII consacré au partage, au sein des dispositions relatives au paiement des dettes. Cette réforme ne se contente pas de formaliser des pratiques antérieures ; elle consacre le rapport des dettes comme un mécanisme autonome, clairement distingué des autres formes de rapport, en particulier du rapport des libéralités.

Si la réforme n’a pas expressément nommé cette institution, elle en a néanmoins consacré l’essence en le dotant d’un régime spécifique, fondé sur l’allotissement du copartageant débiteur et l’extinction de sa dette par confusion (C. civ., art. 864, al. 2). Loin d’être une modalité du rapport des libéralités, il constitue désormais un mode simplifié de règlement des dettes d’un indivisaire envers l’indivision, évitant tout versement monétaire et garantissant aux copartageants la préservation de leurs droits sans craindre l’insolvabilité de l’un d’entre eux.

Dès lors, la distinction entre le rapport des dettes et le rapport des libéralités est pleinement consacrée. Tandis que le rapport des libéralités vise à rétablir l’égalité des vocations successorales en réintégrant fictivement à la masse les avantages consentis par le défunt, le rapport des dettes relève d’une logique d’imputation et d’extinction par allotissement. La confusion originelle entre ces deux mécanismes a cédé la place à une approche plus rigoureuse, permettant d’appréhender le rapport des dettes comme une véritable technique de partage, indépendante de toute notion de donation ou de restitution patrimoniale.

==>Nature juridique

Le rapport des dettes s’analyse avant tout en une opération de partage, qualification affirmée de longue date par la jurisprudence et désormais consacrée par l’article 864, alinéa 1?? du Code civil (Cass. 1?? civ., 30 juin 1998, n° 96-13.313). Il ne s’agit ni d’un paiement au sens strict, ni d’une compensation, mais d’un mécanisme spécifique d’attribution destiné à neutraliser les créances détenues par la masse partageable sur l’un des copartageants.

Loin de se réduire à un simple règlement de créance, le rapport des dettes repose sur une logique d’imputation patrimoniale. Lorsqu’un copartageant est débiteur d’une somme envers l’indivision, la créance est intégrée dans son lot lors du partage. Ainsi, à due concurrence de ses droits dans la masse, le débiteur est alloti de la créance dont il est redevable. Ce mécanisme présente une double fonction : il évite à l’indivision d’être exposée au risque d’une insolvabilité future et assure une répartition des biens plus équitable entre les copartageants. En effet, plutôt que de contraindre le débiteur à procéder à un paiement effectif, la dette est absorbée dans l’attribution des lots, préservant ainsi l’équilibre du partage.

Loin d’un paiement stricto sensu, qui supposerait une extinction de la dette par l’exécution d’une obligation monétaire (art. 1342 C. civ.), le rapport des dettes se réalise en moins prenant, c’est-à-dire par imputation sur la part revenant au copartageant débiteur (Cass. 1?? civ., 29 juin 1994, n° 92-15.253). La dette ne disparaît donc pas par règlement, mais par confusion, le copartageant étant simultanément débiteur et créancier. Ce phénomène évite tout flux financier et simplifie les opérations de liquidation. Il ne peut d’ailleurs y avoir confusion qu’à hauteur des droits du débiteur dans la masse : si le montant de la dette excède la part successorale du copartageant, celui-ci demeure tenu au paiement du solde (art. 864, al. C. civ.).

Le rapport des dettes présente une vertu cardinale : la garantie de l’égalité des copartageants. En attribuant au débiteur la créance existant contre lui, ce mécanisme préserve les autres copartageants d’un éventuel défaut de paiement. Sans lui, ces derniers pourraient se retrouver créanciers d’une dette non honorée, exposés aux aléas d’une éventuelle insolvabilité et à la concurrence des créanciers personnels du débiteur. Le rapport des dettes pallie ce risque en procédant à une affectation immédiate de la créance, la convertissant en une simple réduction des droits du débiteur dans la masse partageable.

En ce sens, il constitue une alternative bien plus protectrice qu’un règlement classique, qui exigerait une action en recouvrement potentiellement infructueuse. Il permet ainsi d’assurer une égalité concrète des lots, chaque copartageant recevant une valeur équivalente, sans qu’aucun d’entre eux n’ait à supporter la charge d’une créance douteuse.

L’analyse juridique du rapport des dettes montre qu’il s’agit bien d’un mode d’allotissement propre aux opérations de partage, et non d’une modalité de paiement des obligations du copartageant. Contrairement à la compensation, qui suppose l’extinction réciproque de créances entre deux parties (art. 1347 C. civ.), le rapport des dettes intervient dans le cadre de l’indivision, où les droits des copartageants ne s’analysent pas en créances, mais en quotes-parts indivises d’un patrimoine commun (Cass. civ., 11 janv. 1937). Dès lors, il n’y a pas extinction de la dette par voie de compensation, mais absorption de celle-ci par l’affectation du bien au sein du partage.

Cette spécificité explique son autonomie par rapport aux autres mécanismes de règlement. Il ne s’agit ni d’un paiement au sens du droit des obligations, ni d’une compensation entre droits personnels, mais d’une technique d’équilibrage des lots, visant à assurer l’égalité des attributions en tenant compte des dettes existant au sein de la masse.

==>Distinctions

Le rapport des dettes constitue une opération de partage autonome, qui se distingue à la fois du paiement et de la compensation. Il ne repose pas sur une remise de fonds, mais sur une extinction par confusion, laquelle résulte de l’allotissement du débiteur lors du partage. Il protège ainsi les copartageants en évitant qu’ils ne deviennent créanciers personnels du débiteur et en les mettant à l’abri du risque d’insolvabilité. Ce mécanisme garantit également un partage équilibré, sans nécessiter de mobilisation de liquidités ou d’exécution forcée d’une créance.

  • Rapport des dettes et paiement
    • L’une des particularités du rapport des dettes réside dans son effet extinctif.
    • Contrairement au paiement, qui suppose l’exécution d’une obligation par le transfert d’une somme d’argent ou d’un bien, le rapport des dettes entraîne l’extinction de l’obligation par l’effet de la confusion.
    • Cette extinction intervient lorsque le copartageant débiteur est alloti de la créance existant contre lui. Dès lors, il cumule les qualités de créancier et de débiteur sur une même tête, ce qui provoque automatiquement l’extinction de la dette, sans qu’aucun règlement effectif ne soit nécessaire.
    • Il ne s’agit donc pas d’un paiement au sens des articles 1342 et suivants du Code civil, mais d’une technique de liquidation propre au partage.
    • L’intérêt pratique de cette distinction est essentiel.
    • Le copartageant débiteur n’a pas à mobiliser de liquidités pour s’acquitter de sa dette, ce qui lui évite de fragiliser son patrimoine ou de vendre des actifs prématurément.
    • Cette neutralisation de la dette par le jeu des attributions permet également de préserver l’égalité entre copartageants.
    • Chacun reçoit un lot d’une valeur nette équivalente, sans qu’aucun d’eux ne se retrouve créancier personnel d’un autre, situation qui pourrait engendrer des difficultés en cas d’insolvabilité.
    • Le rapport des dettes évite ainsi aux copartageants de se soumettre à la loi du concours, qui leur serait défavorable face aux autres créanciers du débiteur.
    • Toutefois, la confusion n’opère qu’à due concurrence des droits du débiteur dans l’indivision.
    • Lorsque la dette excède la valeur des biens qui lui sont attribués, le surplus demeure exigible et doit être réglé selon les règles classiques du paiement.
    • L’article 864, alinéa 2 du Code civil précise en ce sens que l’extinction de l’obligation ne joue qu’à hauteur des droits du copartageant dans la masse partageable.
    • Un exemple permet d’illustrer l’efficacité du mécanisme :
    • Imaginons une indivision dans laquelle trois héritiers, A, B et C, se partagent un patrimoine composé d’un immeuble d’une valeur de 300 000 euros et d’une créance de 90 000 euros contre A, résultant d’un prêt consenti par le défunt.
    • Si le partage se faisait sans rapport des dettes, la masse partageable serait de 390 000 euros, chaque héritier ayant vocation à recevoir 130 000 euros.
    • A recevrait 100 000 euros en biens et resterait redevable d’une somme de 30 000 euros envers ses cohéritiers.
    • B et C recevraient 100 000 euros en biens et deviendraient chacun créanciers de A à hauteur de 15 000 euros.
    • Or, si A est insolvable, B et C pourraient ne jamais récupérer leur créance, ce qui compromettrait l’égalité du partage.
    • Avec le rapport des dettes, la créance de 90 000 euros est réintégrée dans la masse partageable, portant l’actif successoral à 390 000 euros. A est alloti de l’immeuble pour 210 000 euros ainsi que de la créance de 90 000 euros contre lui-même. B et C reçoivent chacun 90 000 euros en biens et 15 000 euros en numéraire.
    • La créance est ainsi éteinte par confusion, sans qu’aucun mouvement financier ne soit nécessaire.
    • L’égalité des copartageants est préservée, et B et C ne courent aucun risque lié à l’insolvabilité de A.
  • Rapport des dettes et compensation
    • Il serait tentant de rapprocher le rapport des dettes d’une compensation, en considérant que la dette du copartageant pourrait s’éteindre par l’effet d’une compensation avec ses droits dans la succession.
    • Cette analyse a cependant été rejetée par la jurisprudence (Cass. 1?? civ., 14 déc. 1983, n°82-14.725).
    • La compensation suppose l’existence de créances réciproques, chacune des parties devant être simultanément créancière et débitrice de l’autre.
    • Or, cette condition fait défaut dans le rapport des dettes.
    • Le droit du copartageant sur l’indivision est un droit réel, tandis que la dette qu’il doit à l’indivision est une obligation personnelle.
    • La différence de nature entre ces droits interdit toute extinction par compensation.
    • Contrairement à la compensation, qui opère de plein droit dès que les créances deviennent exigibles, le rapport des dettes n’intervient qu’au stade du partage et par le biais de l’allotissement.
    • L’extinction de la dette ne découle donc pas d’un simple jeu d’écritures, mais d’une réorganisation patrimoniale propre aux opérations liquidatives.
    • Si le rapport des dettes était assimilé à une compensation, l’extinction de l’obligation interviendrait automatiquement au jour de l’ouverture de la succession.
    • Une telle analyse viendrait perturber l’équilibre du partage, en faisant disparaître la dette avant même la composition des lots.
    • Or, l’article 864 du Code civil prévoit expressément que l’extinction ne se produit que lors du partage, et seulement dans la limite des droits du copartageant dans la masse.
    • Cette approche garantit que la dette est bien prise en compte dans les attributions finales et qu’elle ne fausse pas la répartition entre héritiers.
    • Toutefois, si le rapport des dettes ne peut être assimilé à une compensation, il n’exclut pas pour autant qu’une compensation puisse intervenir en amont, dans le cadre du compte d’indivision (art. 867 C. civ.).
    • Lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur et créancier de l’indivision, il peut obtenir une compensation partielle entre ses créances et dettes avant la liquidation finale.
    • Cette opération demeure cependant distincte du rapport des dettes proprement dit, qui relève d’un mécanisme de liquidation et non d’une extinction par jeu de créances réciproques.
    • La réforme du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, a consacré cette autonomie en intégrant le rapport des dettes dans les règles propres au partage.
    • Il s’agit désormais du mode de règlement de droit commun des dettes entre copartageants, garantissant un équilibre liquidatif sans interférence avec les règles du droit des obligations.

Opérations de partage: la procédure d’attribution des lots par tirage au sort

Dans le cadre du partage judiciaire, l’allotissement des copartageants repose, en principe, sur le tirage au sort. Ce mécanisme, consacré par l’article 1363 du Code de procédure civile, incarne l’idéal d’impartialité et d’équité dans la répartition des biens indivis. Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur l’attribution des lots, le recours au sort s’impose comme la solution la plus juste, car il écarte toute possibilité de favoritisme ou d’influence subjective. En laissant le hasard déterminer l’attribution, la procédure garantit une neutralité absolue, préservant ainsi l’égalité des droits entre les parties.

I) La procédure simplifiée

La procédure simplifiée, régie par les articles 1359 à 1363 du Code de procédure civile, s’applique dans les situations où le partage des biens ne présente aucune complexité particulière. Elle est réservée aux hypothèses où la masse successorale est clairement définie, exempte de biens complexes, et où les indivisaires ne sont pas en désaccord sur les modalités de répartition.

Dans ce cadre, le tribunal judiciaire joue un rôle central. Il se charge de la constitution des lots et de leur évaluation, sans qu’il soit nécessaire de recourir à l’intervention d’un notaire. Lorsque le tirage au sort est requis, il est supervisé par le président du tribunal judiciaire ou son délégué, garantissant ainsi la transparence et l’équité des opérations.

Tous les indivisaires sont convoqués afin d’assister aux opérations, leur présence étant essentielle pour la régularité de la procédure. Toutefois, si l’un d’eux fait défaut, le président du tribunal peut désigner un représentant chargé de préserver ses droits, en vertu des dispositions de l’article 1363 du Code de procédure civile.

Une fois le tirage au sort réalisé, le tribunal dresse un procès-verbal constatant les résultats des opérations. Ce document revêt une importance capitale, car il officialise l’attribution des lots et sert de fondement à l’acte de partage. Le jugement qui en résulte tient lieu d’acte de partage, scellant ainsi la répartition des biens de manière rapide et sécurisée.

Bien que cette procédure offre une simplicité procédurale et une certaine célérité, elle demeure peu utilisée en pratique. Cela s’explique par la préférence des parties pour des solutions amiables ou pour des partages supervisés par un notaire, jugés plus adaptés à la gestion de situations patrimoniales souvent complexes. En outre, la procédure simplifiée se limite aux cas où les biens à partager ne requièrent ni expertise particulière ni négociations, ce qui restreint son champ d’application.

II) La procédure sous supervision d’un notaire

Dans les hypothèses où les indivisaires s’accordent sur la composition des lots mais ne parviennent pas à s’entendre sur leur attribution, l’article 1363 du Code de procédure civile institue le recours à un tirage au sort, placé sous la supervision d’un notaire.

Le tribunal judiciaire intervient en amont pour désigner le notaire commis, chargé de superviser les opérations. Si la situation le requiert, le tribunal peut également ordonner une expertise préalable afin de procéder à l’évaluation des biens indivis, garantissant ainsi une répartition conforme aux droits de chaque copartageant. Une fois cette étape achevée, les lots constitués sont transmis au notaire, qui prend en charge l’organisation et la réalisation du tirage au sort.

Le tirage au sort est effectué lors d’une séance formelle convoquée par le notaire, en présence de tous les copartageants ou de leurs représentants. Le notaire veille au strict respect des principes de transparence et d’équité tout au long de l’opération. Le procédé peut revêtir différentes formes, qu’il s’agisse d’un tirage manuel, par exemple via des bulletins, ou d’un recours à des moyens électroniques modernes, pourvu que ces derniers garantissent une impartialité absolue et la sécurité juridique requise.

Une fois les lots attribués, le notaire dresse un procès-verbal constatant les résultats du tirage au sort. Celui-ci est alors intégré à l’acte authentique de partage que le notaire établit ensuite. Cet acte, qui met fin à l’indivision, est soumis aux formalités de publicité foncière si les biens attribués le requièrent, conformément aux exigences de l’article 835 du Code civil.

Bien que le notaire joue un rôle déterminant dans la phase finale de cette procédure, son intervention se limite à la supervision du tirage au sort et à la formalisation du partage. Il ne participe pas, sauf mission spécifique confiée par le tribunal ou les parties, à l’évaluation des biens ni à la constitution des lots.

III) La procédure longue sous supervision d’un juge commis

La procédure longue, régie par les articles 1364 à 1376 du Code de procédure civile, constitue le cadre procédural applicable lorsque les opérations de partage sont marquées par une certaine complexité ou par des désaccords persistants entre les indivisaires. Cette procédure donne lieu à la désignation d’un juge commis chargé de superviser les opérations de partage dont la réalisation est confiée à un notaire.

En effet, le notaire liquidateur, désigné par le tribunal, est chargé des principales opérations techniques et préparatoires. Sa mission inclut l’évaluation des biens indivis, la liquidation des comptes entre les indivisaires et la constitution des lots en tenant compte des droits de chacun. Il établit ensuite un projet d’état liquidatif, qui détaille la composition et la valeur des lots.

Une fois le projet finalisé, le notaire le transmet au juge commis, accompagné d’un éventuel procès-verbal de difficultés si des désaccords subsistent. Le juge commis, en tant que garant du bon déroulement de la procédure, a la faculté de tenter une conciliation entre les parties. En cas d’échec, il peut soumettre les points litigieux au tribunal judiciaire, qui tranchera définitivement.

En application de l’article 1375 du CPC, le tirage au sort, lorsqu’une attribution aléatoire des lots s’impose, est ordonné par le tribunal dans le jugement d’homologation. Cette opération, essentielle pour garantir l’impartialité de la répartition des lots peut être réalisée selon deux modalités :

  • Par le notaire liquidateur : si les différends entre les indivisaires ont été résolus ou s’ils n’entravent pas la régularité des opérations, le notaire procède au tirage au sort en présence des indivisaires ou de leurs représentants.
  • Par le juge commis ou son délégué : lorsque les désaccords persistent ou que la situation nécessite une intervention judiciaire, le tirage au sort est réalisé sous l’autorité directe du juge commis. Ce dernier supervise l’attribution des lots pour garantir la transparence et le respect des droits de chaque indivisaire.

Dans tous les cas, la présence des indivisaires ou de leurs représentants est requise pour garantir la régularité et la validité des opérations de tirage au sort, conformément aux dispositions des articles 1376 et 1363 du Code de procédure civile.

Lorsque le tirage au sort des lots est ordonné, l’article 1376 prévoit que, si un copartageant fait défaut, le juge commis dispose des pouvoirs conférés au président du tribunal judiciaire par l’article 1363, alinéa 2. En application de ce dernier texte, le président du tribunal judiciaire, ou son délégué, peut désigner un représentant pour l’indivisaire défaillant. Cette désignation peut intervenir d’office, si le tirage au sort a lieu devant le président lui-même, ou sur la base du procès-verbal transmis par le notaire en cas de carence.

Cette mesure vise à éviter que l’absence injustifiée d’un indivisaire ne paralyse le déroulement des opérations de partage. Le représentant désigné agit alors au nom et pour le compte du copartageant défaillant, garantissant ainsi que les droits de ce dernier soient respectés tout au long de la procédure. Par ailleurs, le représentant s’assure que les opérations se déroulent conformément aux principes d’impartialité et de transparence qui gouvernent le tirage au sort des lots.

En tout état de cause, à l’issue du tirage au sort, un procès-verbal est établi, consignant les résultats et les modalités de l’attribution. Ce document, validé par le tribunal, sert de fondement à l’acte authentique de partage que le notaire formalise. Si des biens immobiliers sont concernés, cet acte est soumis aux formalités de publicité foncière, en vertu de l’article 835 du Code civil. Ces formalités marquent l’extinction de l’indivision et assurent l’opposabilité du partage aux tiers.

Opérations de partage: le tirage au sort comme modalité d’attribution des lots

Dans le cadre du partage judiciaire, l’allotissement des copartageants repose, en principe, sur le tirage au sort. Ce mécanisme, consacré par l’article 1363 du Code de procédure civile, incarne l’idéal d’impartialité et d’équité dans la répartition des biens indivis. Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’accorder sur l’attribution des lots, le recours au sort s’impose comme la solution la plus juste, car il écarte toute possibilité de favoritisme ou d’influence subjective. En laissant le hasard déterminer l’attribution, la procédure garantit une neutralité absolue, préservant ainsi l’égalité des droits entre les parties. 

I) Principe

Le tirage au sort constitue le mode d’attribution des lots de principe dans le cadre d’un partage judiciaire. Consacré par l’article 1363 du Code de procédure civile, il vise à garantir l’impartialité et l’égalité entre les copartageants, en évitant que les attributions ne fassent l’objet de contestations liées à des considérations subjectives.

L’opération de tirage au sort intervient après que les biens indivis ont été évalués et regroupés en lots de valeurs égales ou compensées par des soultes (art. 826 C. civ.). Il convient de rappeler que cette procédure ne porte que sur l’attribution des lots, et non sur leur composition, laquelle relève d’une étape distincte préalable.

Dans un arrêt du 11 mars 1986, la Cour de cassation a jugé en ce sens que le tirage au sort ne peut être utilisé pour résoudre des désaccords relatifs à la composition des lots, mais uniquement pour leur attribution, conformément aux dispositions des articles 834 du Code civil et 12, alinéa 1er, du Code de procédure civile (Cass. 1ère civ., 11 mars 1986, n°84-16.596).

En l’espèce, deux indivisaires possédaient en indivision un jardin d’une superficie de 220 mètres carrés. Afin de mettre fin à cette indivision, un expert judiciaire avait proposé deux solutions de partage, consistant en deux tracés différents d’une ligne séparative entre les parcelles. Les parties ne s’étant pas accordées sur l’un des tracés, la Cour d’appel avait ordonné un tirage au sort pour déterminer laquelle des deux propositions serait retenue.

La Haute juridiction a censuré cette décision, estimant qu’il incombait aux juges du fond, dès lors que le différend portait sur la composition des lots, de se prononcer en usant de leur pouvoir souverain d’appréciation. En optant pour un tirage au sort, ces derniers ont abdiqué la mission essentielle qui leur revient : apprécier, au regard des intérêts en présence, les avantages et inconvénients des tracés proposés par l’expert. La Cour de cassation a rappelé avec fermeté que le tirage au sort ne saurait être employé pour décider de la composition des lots, la loi réservant cette procédure à leur seule attribution.

Aussi, ressort-il de cette décision une distinction essentielle entre la composition des lots, qui relève exclusivement du pouvoir souverain du juge ou de l’accord des parties, et leur attribution, laquelle peut, en vertu des dispositions légales, être effectuée par tirage au sort. Ce dernier, conçu comme une modalité impartiale, est strictement réservé à la répartition des lots déjà constitués, excluant tout recours à celui-ci au stade de la composition des lots.

II) Tempéraments

Bien que le tirage au sort constitue le principe, cette modalité d’attribution des lots n’est pas sans limites. Le recours à ce procédé peut être écarté dans certaines hypothèses spécifiques, justifiées par la nature des biens, les circonstances particulières de l’affaire ou la volonté des parties.

==>La nature des biens partagés

Le tirage au sort est particulièrement pertinent lorsqu’il s’agit de répartir des biens corporels indivis en plusieurs lots de valeurs équivalentes. Cependant, lorsque la masse à partager se compose de biens aisément divisibles, tels que des sommes d’argent ou des créances, le recours à ce mécanisme devient inutile, voire superflu.

En effet, les sommes d’argent, en raison de leur nature fongible, peuvent être réparties en parts égales ou proportionnelles sans qu’il soit nécessaire d’en constituer des lots préalablement. Dans un arrêt rendu le 9 janvier 1996, la Cour de cassation a ainsi validé un partage portant uniquement sur des fonds indivis, effectué par simple répartition sans recours au tirage au sort (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1996, n° 93-20.720). Il en est de même pour des créances, dont la valeur peut être attribuée proportionnellement aux droits des copartageants, dans le respect des règles de la liquidation.

==>L’inadéquation du tirage au sort

Le tirage au sort, bien que visant à garantir l’impartialité, peut être écarté dans certaines situations où son application stricte produirait des résultats inappropriés ou contraires à l’intérêt des parties. Dans un tel cas, il appartient au juge d’intervenir et de procéder lui-même à l’attribution des lots aux fins de préserver une répartition équitable et conforme aux droits des indivisaires.

C’est ce qui a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt de la première chambre civile rendu le 28 novembre 2007 (Cass. 1ère civ., 28 nov. 2007, n° 06-18.490).

Dans cette affaire, une parcelle indivise cadastrée était située devant les propriétés respectives de deux branches familiales. Le tribunal avait ordonné le partage de la parcelle en deux lots de valeur égale, mais avait attribué chaque lot de façon à ce qu’il soit contigu à la propriété appartenant à la branche familiale concernée. Cette décision visait à éviter une attribution aléatoire qui aurait pu attribuer à chaque branche une parcelle située devant la propriété de l’autre, créant ainsi une situation potentiellement conflictuelle.

La Cour d’appel avait justifié cette dérogation au principe du tirage au sort en estimant que son application stricte risquait de produire des conséquences incohérentes et contraires à l’intérêt des indivisaires.

Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a validé cette solution en affirmant que « la règle du tirage au sort prescrite par l’article 834 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, doit être écartée lorsque l’application qui en est demandée est constitutive d’un abus de droit ». La Haute juridiction a ainsi considéré qu’un tirage au sort, dans les circonstances de l’espèce, aurait conduit à « la dévolution, à chacune des deux branches, du lot situé devant la propriété de l’autre », donnant lieu à une situation inadéquate et, surtout source de conflits.

En validant la décision de la Cour d’appel, la Cour de cassation a ainsi rappelé que le recours au tirage au sort, bien que consacré par la loi, n’est pas absolu. Lorsqu’il est susceptible de produire des effets manifestement inéquitables ou contraires à l’intérêt des parties, les juges du fond doivent faire usage de leur pouvoir d’appréciation pour garantir une répartition équitable et adaptée aux circonstances de l’espèce.

Ce tempérament au principe du tirage est susceptible de s’appliquer à d’autres situations où cette modalité d’attribution peut conduire à un résultat inapproprié.

Supposons qu’un terrain agricole indivis doive être partagé entre deux indivisaires, chacun exploitant une partie distincte du terrain depuis plusieurs années. Si le tirage au sort attribuait à l’un des indivisaires la parcelle habituellement cultivée par l’autre, cela pourrait compromettre les investissements réalisés sur le terrain ou la viabilité de l’exploitation. Dans ce cas, le juge pourrait décider d’écarter le tirage au sort pour attribuer les parcelles en fonction de leur usage préexistant.

De la même manière, imaginons que deux maisons, situées sur des lots adjacents, soient liées par une servitude de passage. Si le tirage au sort attribue à l’un des indivisaires le lot comportant la maison principale, tandis que l’autre reçoit un lot ne permettant pas un accès aisé à la voie publique, cette répartition pourrait créer une situation déséquilibrée ou source de litiges. Le juge pourrait ici intervenir pour répartir les lots de manière à préserver l’accès et l’usage équilibré des biens.

Enfin, dans une indivision successorale, si un bien indivis, tel qu’une résidence familiale ou un objet à forte valeur sentimentale, est l’objet de préférences marquées de la part d’un héritier, un tirage au sort risquerait de susciter des tensions inutiles. Un juge pourrait privilégier une attribution spécifique, compensée par une soulte, pour éviter des conflits familiaux prolongés.

==>Les accords amiables entre les parties

Même dans le cadre d’un partage judiciaire, les copartageants conservent la faculté de s’accorder sur une répartition amiable des lots, conformément aux articles 835 et 842 du Code civil, ainsi qu’à l’article 1372 du Code de procédure civile. Cette faculté, qui reflète le primat de l’autonomie des volontés, permet d’éviter le recours au tirage au sort dès lors que les parties parviennent à un consensus respectant leurs droits respectifs.

Pour être valable, l’accord amiable doit toutefois respecter plusieurs conditions :

  • D’une part, tous les copartageants doivent tous consentir à la répartition des lots telle qu’elle est proposée.
  • D’autre part, l’accord doit respecter les droits de chaque indivisaire, en garantissant notamment une égalité de valeur entre les lots attribué.
  • Enfin, l’accord doit être formalisé par écrit. Lorsqu’il concerne des biens soumis à publicité foncière, l’article 835 du Code civil impose qu’un acte authentique soit établi par un notaire.

L’accord amiable présente plusieurs avantages, notamment sa souplesse. Il permet aux parties de tenir compte de leurs préférences personnelles et de la nature spécifique des biens indivis. Ce mécanisme est particulièrement utile lorsque les biens en indivision possèdent une valeur d’usage particulière pour l’un des copartageants, comme une résidence principale ou un bien familial d’importance symbolique. De plus, il permet de prévenir des conflits et d’éviter une procédure contentieuse, souvent coûteuse et émotionnellement éprouvante.

Dans un arrêt rendu le 15 mai 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’un indivisaire n’ayant pas contesté les attributions proposées dans le cadre d’un projet de partage, mais uniquement les évaluations des biens, ne pouvait exiger le recours au tirage au sort (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n° 07-16.226).

En l’espèce, les biens issus de la succession comprenaient des liquidités et deux immeubles situés à Lyon. Ces biens avaient été répartis par le notaire chargé du partage : les liquidités avaient été attribuées intégralement entre les copartageants, tandis que les immeubles avaient fait l’objet d’une répartition distincte, l’un étant attribué en totalité à une indivisaire, et l’autre étant partagé entre plusieurs indivisaires en nue-propriété et en usufruit. L’une des indivisaires avait alors contesté le projet de partage, non pas sur le principe des attributions, mais sur les évaluations des biens immobiliers, estimant que leur valeur, non réévaluée depuis le rapport d’expertise, n’était plus représentative au jour du partage. Elle soutenait en conséquence que les lots auraient dû être tirés au sort.

La Cour de cassation a rejeté cette argumentation, considérant que « l’attribution des lots proposée, dès lors qu’elle n’a pas été contestée dans son principe, dispense de procéder à un tirage au sort ». Selon la Haute juridiction, le litige portant uniquement sur les évaluations, et non sur le principe même des attributions, le tirage au sort des lots n’était pas requis.

Cet arrêt illustre que le recours au tirage au sort, bien qu’il soit la règle de principe en matière de partage judiciaire, devient superflu dès lors que les copartageants ne contestent pas les attributions proposées.

Cependant, l’accord amiable reste rare dans la pratique, en raison des fréquentes dissensions entre indivisaires. Lorsque l’unanimité fait défaut, le partage amiable devient impossible, et le recours au tirage au sort s’impose. De plus, dans certaines situations, notamment lorsque l’un des copartageants est, soit frappé d’une incapacité, soit présumé absent, le tirage au sort redevient obligatoire aux fins de préservation des intérêts de tous. Il est toutefois possible, dans ces hypothèses, de soumettre uniquement le lot de l’incapable au tirage au sort, les autres copartageants s’accordant sur la répartition du reste des biens.

Enfin, il convient de noter qu’en présence de désaccords sérieux, les parties peuvent également recourir à une transaction pour résoudre leurs différends. Encadrée par les articles 2044 et suivants du Code civil, la transaction permet de trouver un compromis tout en respectant les droits des parties protégées. Par exemple, une transaction homologuée par le conseil de famille ou le juge des tutelles peut permettre d’éviter le recours au tirage au sort dans les situations complexes impliquant des incapables.

Ainsi, bien qu’elle repose sur une unanimité souvent difficile à obtenir, la conclusion d’un accord amiable constitue une solution efficace et adaptée pour organiser un partage équitable, tout en évitant les aléas et les rigueurs d’un tirage au sort.

Opérations de partage: le partage en présence de parts inégales

La détermination du nombre de lots à composer se pose avec la même acuité, qu’il s’agisse d’un partage successoral ou d’un partage issu d’une autre situation d’indivision, telle que la dissolution d’une indivision post-communautaire, la répartition d’un bien acquis conjointement par des tiers, ou encore la liquidation d’une indivision conventionnelle.

Si les règles applicables trouvent leur socle dans les principes généraux du droit des successions, elles s’adaptent aux spécificités de chaque situation afin de garantir une répartition équilibrée des droits indivis. 

La détermination du nombre de lots obéit à deux principes importants : d’une part, le partage par tête ou par souche, visant à garantir une stricte égalité arithmétique entre les copartageants, et, d’autre part, le partage en présence de parts inégales, qui exige une réduction des droits au plus petit dénominateur commun afin de garantir l’équité dans l’attribution des lots.

Nous nous focaliserons ici sur le partage en présence de parts inégales.

Dans certaines situations d’indivision, les indivisaires ne détiennent pas des droits égaux sur les biens indivis. Cela peut être le cas dans une succession lorsque les héritiers ont des droits de quotités différentes, mais également dans une indivision conventionnelle résultant d’un apport initial inégal. Il devient alors nécessaire de composer un nombre de lots correspondant aux droits proportionnels de chaque indivisaire.

==>La réduction au plus petit dénominateur commun : une méthode de répartition proportionnelle

Lorsque le partage doit être réalisé entre des indivisaires détenant des droits inégaux sur les biens indivis, la méthode de réduction au plus petit dénominateur commun s’impose pour garantir une répartition proportionnelle des biens et éviter les déséquilibres susceptibles de naître d’une division inadaptée. Ce mécanisme permet d’ajuster le nombre de lots de manière à ce que chaque indivisaire reçoive une part conforme à ses droits, quelle que soit leur quotité. Il s’agit là d’une exigence essentielle dans les partages complexes, où une stricte division arithmétique prévient les litiges et assure une répartition juste.

Prenons l’exemple d’une indivision post-communautaire entre un conjoint survivant et les enfants du couple. Supposons que le conjoint survivant dispose d’un quart des droits sur la masse commune et que les deux enfants partagent les trois quarts restants. Dans cette hypothèse, la réduction au plus petit dénominateur commun conduit à diviser la masse en huit lots. Deux de ces lots seront attribués au conjoint survivant, correspondant à son quart des droits, tandis que les six lots restants seront répartis à parts égales entre les deux enfants, chacun recevant trois lots. Cette répartition garantit que chaque indivisaire soit rempli de ses droits de manière proportionnelle à sa quote-part dans la masse partageable.

Ce principe trouve également une application pertinente dans le cadre des successions comportant des biens indivis difficiles à répartir en nature. Imaginons une situation où trois héritiers doivent se partager une masse composée d’une propriété agricole indivisible, évaluée à 250 000 euros, et de 50 000 euros en liquidités. Les droits des héritiers s’élèvent respectivement à 50 %, 30 % et 20 %. La réduction au plus petit dénominateur commun conduit alors à diviser la masse en dix lots : cinq pour le premier héritier, trois pour le second et deux pour le troisième. Cette division garantit que les parts attribuées reflètent précisément les droits de chacun, tout en minimisant le risque d’inégalités dans le partage.

Dans les indivisions conventionnelles, la réduction au plus petit dénominateur commun se révèle tout aussi utile, notamment lorsque les apports des indivisaires à l’acquisition d’un bien sont inégaux. Imaginons trois coacquéreurs ayant acheté ensemble un immeuble, chacun ayant contribué à hauteur de 50 %, 30 % et 20 % du prix d’achat. Plutôt que de composer trois lots arbitraires, la réduction au plus petit dénominateur commun impose de créer dix lots : cinq pour le premier coacquéreur, trois pour le second et deux pour le troisième. Cette méthode permet d’assurer une répartition fidèle des biens, conforme aux contributions initiales des indivisaires, et d’éviter une multiplication désordonnée des lots, qui pourrait rendre le partage impraticable.

En pratique, ce mécanisme se révèle particulièrement efficace pour prévenir les conflits entre indivisaires. En ajustant le nombre de lots à la proportion exacte des droits détenus, la réduction au plus petit dénominateur commun garantit une stricte correspondance entre les lots attribués et les parts réelles de chacun. Cette exigence de précision arithmétique est indispensable pour préserver l’équilibre patrimonial entre les indivisaires, notamment lorsque les biens indivis sont difficiles à partager équitablement en nature.

Comme le rappelle la doctrine, notamment sous la plume de Michel Grimaldi, « le partage proportionnel, fondé sur la réduction au plus petit dénominateur commun, assure une répartition juste et prévient les risques de litiges liés à une division déséquilibrée ». En adaptant le nombre de lots à la réalité des droits indivis, cette méthode constitue un rempart efficace contre les éventuelles contestations des indivisaires, tout en garantissant la sécurité juridique du partage.

Cependant, lorsque les biens indivis ne peuvent être divisés sans altérer leur valeur — par exemple, un immeuble d’habitation ou un fonds agricole —, la réduction au plus petit dénominateur commun peut atteindre ses limites. Il devient alors nécessaire d’envisager des ajustements complémentaires pour rétablir l’équilibre entre les lots. 

==>Le recours aux soultes : un correctif à l’inégalité en nature

Lorsque la répartition des biens indivis ne permet pas d’établir des lots de valeur strictement équivalente en nature, le recours aux soultes apparaît comme une solution indispensable pour préserver l’équilibre patrimonial entre les indivisaires. Ce mécanisme consiste à attribuer des lots inégaux en nature, compensés par une somme d’argent destiné à rétablir la proportionnalité des droits de chacun. Cette technique, bien que nécessitant une certaine souplesse dans l’appréhension de l’égalité, s’inscrit pleinement dans les exigences de justice distributive qui président aux opérations de partage.

Imaginons une succession comportant une propriété agricole indivisible d’une valeur estimée à 250 000 euros, ainsi que 50 000 euros en liquidités. Trois héritiers doivent se partager cette masse, leurs droits étant respectivement de 50 %, 30 % et 20 %. La méthode de réduction au plus petit dénominateur commun impose ici de diviser la masse en dix lots : cinq pour le premier héritier, trois pour le second et deux pour le troisième. Cependant, la propriété agricole ne pouvant être fractionnée sans altérer sa valeur, il conviendra de l’attribuer en totalité au premier héritier, lequel devra verser une soulte de 50 000 euros aux deux autres indivisaires. Cette soulte permettra de compenser l’écart entre la valeur des lots en nature et les droits respectifs des deux autres héritiers sur la masse partageable.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 28 juin 1972, a validé le recours aux soultes pour garantir une répartition équitable lorsque le partage en nature s’avère impraticable en raison de la nature indivisible des biens (Cass. 1re civ., 28 juin 1972, n°71-12.571). Il ressort de cette décision que, dans certaines situations, il est préférable de compenser les disparités entre les lots par des versements financiers plutôt que d’imposer un morcellement excessif des biens, qui pourrait nuire à leur valeur ou à leur exploitation.

L’affaire concernait une indivision issue du décès d’un copropriétaire, laissant pour lui succéder son conjoint survivant et leurs enfants. Après plusieurs cessions de droits au sein de la famille, l’indivision se composait de trois coïndivisaires, détenant respectivement 19/48, 16/48 et 13/48 des droits indivis sur une vaste exploitation agricole située à la Martinique, comprenant des terres agricoles, des bâtiments et une distillerie. Deux coïndivisaires avaient sollicité la licitation du domaine en un seul lot, tandis que le troisième avait demandé que le partage fût réalisé en nature.

La cour d’appel, se fondant sur un rapport d’expertise, avait décidé que le partage pouvait s’opérer en trois lots de valeur inégale, à condition que les déséquilibres soient corrigés par des soultes en argent. Elle avait relevé que l’exploitation agricole ne pouvait être divisée en parts égales sans perdre une part importante de sa valeur. En procédant à une attribution par tirage au sort des trois lots, avec versement de soultes pour compenser les écarts, la cour d’appel avait estimé préserver les droits de chaque indivisaire tout en assurant la continuité de l’exploitation.

La Cour de cassation a validé cette solution, en rejetant le pourvoi formé par l’un des coïndivisaires. La Haute juridiction a rappelé que, selon l’article 832 du Code civil, « la règle de l’égalité en nature dans la formation et la composition des lots ne doit être strictement observée que dans la mesure où le morcellement des héritages et la division des exploitations peuvent être évités ». En l’espèce, les juges d’appel avaient souverainement apprécié que la création de trois lots inégaux, avec correction par soultes, permettait de maintenir la propriété dans la famille et de garantir à chaque indivisaire une part proportionnelle à ses droits.

La Cour de cassation a également souligné que le partage en nature est toujours préférable à la licitation, surtout lorsqu’il permet de préserver l’intégrité d’un bien familial. En attribuant l’exploitation agricole à l’un des coïndivisaires et en compensant les autres par des soultes, la cour d’appel a évité une division excessive du domaine, qui aurait pu nuire à sa gestion et à sa rentabilité.

Prenons un exemple illustratif similaire. Imaginons une succession comprenant une propriété viticole estimée à 500 000 euros et des liquidités de 50 000 euros. Deux héritiers détiennent respectivement 60 % et 40 % des droits. Si la propriété ne peut être divisée en nature sans perdre sa valeur, il serait logique d’attribuer le domaine au premier héritier, à charge pour lui de verser une soulte de 50 000 euros au second, correspondant à l’écart entre la valeur de la propriété et les droits du coïndivisaire. Ce mécanisme permettrait de maintenir l’exploitation viticole intacte tout en assurant une répartition équitable.

Cette solution trouve également une application pratique dans les indivisions conventionnelles. Prenons l’exemple de trois coacquéreurs ayant acquis ensemble un immeuble d’une valeur de 300 000 euros, chacun ayant contribué à hauteur de 50 %, 30 % et 20 % du prix d’achat. Supposons que cet immeuble constitue le seul bien indivis. Plutôt que de procéder à une licitation, qui pourrait engendrer des pertes financières et des conflits, il serait préférable d’attribuer l’immeuble au coacquéreur ayant la plus grande participation, à condition qu’il verse une soulte aux deux autres, correspondant à la différence entre la valeur de l’immeuble et leurs droits respectifs. Ainsi, le premier coacquéreur pourrait recevoir le bien en totalité et compenser les deux autres par des versements financiers proportionnels à leurs parts.

Cette technique présente l’avantage d’éviter une division physique des biens qui, dans certains cas, pourrait réduire considérablement leur valeur. Elle permet également d’éviter les licitations forcées, qui peuvent engendrer des tensions entre les indivisaires et porter atteinte à l’intégrité du patrimoine à partager. En attribuant les biens les plus difficiles à fractionner à un seul indivisaire et en ajustant la répartition par des soultes, le partage peut s’opérer de manière plus harmonieuse et conforme aux intérêts de chacun.

Prenons un autre exemple dans le cadre d’une indivision postcommunautaire. Supposons qu’un couple, lors de la dissolution de la communauté, détienne un immeuble indivisible et peu de liquidités. Le conjoint survivant, ayant droit à un quart de la masse, pourrait se voir attribuer la totalité de l’immeuble, tandis qu’il verserait une soulte aux enfants pour compenser leur part dans la masse partageable. Ce mécanisme permettrait d’éviter la vente forcée du bien, tout en garantissant aux enfants une compensation monétaire équivalente à leurs droits.

Le recours aux soultes s’avère ainsi une méthode pragmatique et efficace pour préserver l’intégrité des biens indivis, tout en assurant une répartition conforme aux droits de chacun. Aussi, l’égalité dans le partage ne s’entend pas nécessairement d’une division en nature, mais d’une recherche d’équilibre patrimonial, garantissant à chaque copartageant la juste valeur de ses droits. Cette approche permet d’adapter les modalités de partage aux spécificités des biens à répartir, tout en respectant les principes fondamentaux du droit des successions et des indivisions.

==>La fente successorale : un mécanisme particulier de division par branches

Dans le cadre d’un partage successoral, l’application du mécanisme de la fente se présente comme une technique particulière de répartition, distincte des modalités classiques de partage par tête ou par souche, visant à préserver un équilibre patrimonial entre les deux branches familiales du défunt. Instituée par les articles 744 et suivants du Code civil, la fente trouve à s’appliquer lorsqu’une personne décède sans laisser ni descendants, ni conjoint survivant. Dans cette situation, la succession se divise par moitié entre la branche maternelle et la branche paternelle, indépendamment du nombre d’héritiers dans chacune d’elles. Ce mécanisme correcteur vise à prévenir les déséquilibres pouvant résulter d’une stricte application des règles de dévolution légale, qui, en l’absence de fente, pourraient aboutir à concentrer l’ensemble des biens dans une seule branche familiale.

La fente successorale ne repose pas sur les mêmes principes que le partage par souche. Tandis que le partage par souche repose sur le mécanisme de représentation, permettant à des héritiers de venir à la succession en lieu et place de leur auteur prédécédé, la fente obéit à une logique purement arithmétique de division de la masse successorale entre deux branches parentales, indépendamment du nombre d’héritiers au sein de chacune d’elles. Selon que la dévolution successorale mobilise l’un ou l’autre de ces mécanismes, les modalités de répartition des biens diffèrent substantiellement, influant directement sur la composition des lots attribués aux héritiers. En effet, contrairement au partage par souche, la fente successorale ne permet pas de constituer un lot unique regroupant tous les héritiers d’une même branche. Chaque héritier conserve un droit individuel à sa part, qu’il peut exiger en nature ou, à défaut, par la licitation des biens indivis.

La jurisprudence a eu l’occasion d’affirmer avec fermeté ce principe. Dans un arrêt du 26 novembre 1883, la Cour de cassation a rappelé que le mécanisme de la fente ne saurait altérer les droits patrimoniaux individuels des héritiers (Cass. civ., 26 nov. 1883). Dans cette affaire, la succession d’un défunt devait être partagée à parité entre les héritiers des branches paternelle et maternelle. La cour d’appel avait envisagé de constituer deux lots distincts — un pour chaque branche —, qui auraient ensuite été répartis entre les héritiers de chaque lignée. La Haute juridiction a censuré cette approche, considérant qu’elle méconnaissait la portée de la fente successorale. La division entre branches n’a pas pour effet de priver les héritiers de leur faculté de réclamer un lot en nature ou, à défaut, de provoquer la vente des biens indivis. La Haute juridiction a ainsi souligné que l’on ne peut assimiler la branche familiale à une souche, car le mécanisme de la fente ne repose pas sur le principe de représentation.

Cette solution jurisprudentielle met en lumière la finalité première de la fente : assurer une stricte égalité patrimoniale entre les deux branches du défunt, sans affecter les droits individuels des héritiers au sein de chaque branche. Chaque cohéritier, qu’il appartienne à la branche paternelle ou maternelle, doit pouvoir faire valoir son droit à une part distincte, sans se voir imposer un lot indivis partagé avec d’autres membres de sa lignée. Ainsi, la fente successorale garantit une équité entre les branches, mais laisse intacts les droits de chacun à l’intérieur de ces divisions.

Pour mieux illustrer le fonctionnement de ce mécanisme, prenons un exemple concret. Supposons un défunt qui ne laisse ni descendants, ni conjoint survivant, mais qui a pour héritiers un cousin du côté paternel et deux cousins du côté maternel. En application de la fente successorale, la masse successorale sera divisée en deux parts égales : 50 % pour la branche paternelle, attribuée au cousin paternel, et 50 % pour la branche maternelle, à partager entre les deux cousins maternels. Contrairement à ce que l’on pourrait observer dans un partage par souche, il ne sera pas possible d’imposer un lot unique aux cousins maternels. Chacun d’eux conserve le droit d’exiger un lot distinct correspondant à sa part ou de demander la licitation des biens indivis, afin de percevoir sa part en valeur.

Un second exemple permet d’éclairer davantage la distinction entre fente et partage par souche. Imaginons un défunt laissant deux oncles du côté paternel et un cousin germain du côté maternel. La fente successorale implique que la moitié de la masse successorale sera attribuée à la branche paternelle, partagée entre les deux oncles, et l’autre moitié à la branche maternelle, revenant au cousin germain. Cette répartition ne saurait toutefois conduire à la constitution d’un lot indivis regroupant les deux oncles. Chacun d’eux conserve le droit d’exiger sa part individuelle, que ce soit en nature ou par une compensation monétaire.

Cette jurisprudence constante met en exergue une règle fondamentale du droit des successions : la fente ne modifie pas la nature et l’étendue des droits des héritiers. Comme le souligne Michel Grimaldi, la division en branches n’a pas pour vocation de créer des entités indivises assimilables à des souches. Chaque héritier, au sein de sa branche, conserve un droit autonome à sa part de succession, qu’il peut faire valoir selon les règles habituelles du partage.

La fente successorale, bien qu’elle soit un mécanisme correcteur des inégalités entre branches, ne saurait non plus conduire à imposer une division arbitraire des lots. La Cour de cassation l’a rappelé à maintes reprises : le partage doit respecter les droits individuels des héritiers, et chaque cohéritier doit pouvoir réclamer sa part en nature ou, à défaut, provoquer la vente des biens indivis pour obtenir sa part en valeur.

Prenons un dernier exemple pour bien comprendre les subtilités de la fente successorale dans le cadre d’un partage. Un défunt laisse un frère du côté paternel et cinq cousins germains du côté maternel. Si la succession était partagée par tête, chaque héritier recevrait 1/6e de la masse successorale. Toutefois, la fente successorale divise d’abord la masse en deux parts égales : la moitié pour la branche paternelle, revenant au frère, et la moitié pour la branche maternelle, à partager entre les cinq cousins germains. En conséquence, chaque cousin maternel recevra 1/10e de la succession, tandis que le frère recevra 50 %. Il reste cependant possible pour chaque héritier de demander un lot distinct correspondant à sa part ou, si le partage en nature s’avère impraticable, de solliciter la licitation des biens.

Ainsi, la fente successorale garantit une stricte égalité entre les branches parentales, mais elle n’altère en rien les droits des héritiers au sein de chaque branche. Ce mécanisme constitue un garde-fou contre les inégalités susceptibles de naître d’une stricte application des règles de dévolution légale, en veillant à ce que chaque lignée soit traitée de manière équitable. Cependant, il ne saurait être interprété comme une obligation de constituer des lots indivis pour chaque branche, car cela reviendrait à méconnaître les principes fondamentaux du droit des successions, qui assurent à chaque héritier le droit d’exiger sa part individuelle.

Opérations de partage: le partage par tête ou par souche

La détermination du nombre de lots à composer se pose avec la même acuité, qu’il s’agisse d’un partage successoral ou d’un partage issu d’une autre situation d’indivision, telle que la dissolution d’une indivision post-communautaire, la répartition d’un bien acquis conjointement par des tiers, ou encore la liquidation d’une indivision conventionnelle.

Si les règles applicables trouvent leur socle dans les principes généraux du droit des successions, elles s’adaptent aux spécificités de chaque situation afin de garantir une répartition équilibrée des droits indivis. 

La détermination du nombre de lots obéit à deux principes importants : d’une part, le partage par tête ou par souche, visant à garantir une stricte égalité arithmétique entre les copartageants, et, d’autre part, le partage en présence de parts inégales, qui exige une réduction des droits au plus petit dénominateur commun afin de garantir l’équité dans l’attribution des lots.

Nous nous focaliserons ici sur le partage par tête ou par souche.

==>Le partage par tête : une division à parts égales entre les indivisaires

Le partage par tête intervient lorsque chaque indivisaire est titulaire de droits égaux sur les biens indivis et accède à l’indivision de son propre chef, sans qu’il y ait lieu de recourir à la représentation. Ce mode de répartition, qui a pour fondement l’article 827 du Code civil, impose que le partage de la masse indivise s’effectue à parts égales entre les copartageants, chacun recevant un lot correspondant à sa part de droits indivis. La règle énoncée par l’article 827 signifie qu’il doit être constitué autant de lots que d’indivisaires, chaque lot devant refléter de manière identique la valeur d’une fraction de la masse partageable.

L’exigence d’égalité qui sous-tend le partage par tête trouve à s’appliquer dans toutes les formes d’indivision, qu’elle soit d’origine successorale, communautaire ou conventionnelle. Prenons l’exemple d’une indivision issue de l’acquisition commune d’un bien immobilier par trois coacquéreurs ayant financé à parts égales l’achat. Si ces indivisaires souhaitent procéder au partage du bien, trois lots de valeur équivalente devront être constitués afin que chacun reçoive une portion correspondant à sa quote-part initiale. Ce mécanisme, qui est d’une grande simplicité, garantit une répartition équitable, prévenant ainsi tout litige sur la répartition des biens.

Dans le cadre d’une succession, le même principe s’applique. Si un défunt laisse trois enfants comme héritiers, la masse successorale sera divisée en trois parts égales, chacun des enfants recevant un lot d’égale valeur. Cette approche assure une répartition équilibrée des biens entre les héritiers, conformément à l’idée selon laquelle chaque copartageant doit pouvoir jouir d’une part identique du patrimoine à partager. Comme l’affirment Aubry et Rau, « le partage par tête tend à maintenir l’équilibre initial entre les indivisaires, sans distinction autre que celle de leurs droits respectifs ».

Le partage par tête trouve également à s’appliquer dans des indivisions post-communautaires. Lorsqu’un couple marié sous le régime de la communauté se sépare et que le partage doit intervenir entre les deux ex-époux, la division en deux lots de valeur équivalente s’impose si les contributions aux biens communs ont été égales. Ce principe assure une continuité logique avec l’égalité patrimoniale ayant prévalu durant le mariage.

Toutefois, certaines particularités doivent être prises en compte dans des situations spécifiques. Si un indivisaire décède avant que le partage ne soit réalisé, ses droits indivis sont transmis à ses héritiers, mais un seul lot devra être constitué pour l’ensemble des successeurs venant à la même part. Cette unité du lot, qui vise à préserver l’homogénéité du partage, permet d’éviter une multiplication des lots inutiles et une complexité excessive des opérations. Planiol et Ripert rappellent à cet égard que « le lot doit être conçu comme une unité indivisible destinée à satisfaire les droits d’un même indivisaire, qu’il s’agisse d’une personne ou d’un groupe venant en représentation ».

Enfin, la question du partage par tête peut soulever des difficultés lorsque le partage est retardé en raison de circonstances particulières. Tel est le cas lorsqu’un enfant est seulement conçu au jour de l’ouverture de la succession. Conformément à l’article 725 du Code civil, cet enfant a vocation à recueillir la succession s’il naît viable. Dans une telle hypothèse, si le partage doit être organisé avant la naissance, il est raisonnable de constituer les lots en tenant compte de cette naissance probable. Un ajustement pourra alors intervenir ultérieurement pour corriger la répartition initiale en fonction du nombre d’enfants effectivement nés. Cette solution pragmatique permet d’anticiper les éventualités tout en garantissant une répartition conforme aux droits successoraux effectifs.

==>Le partage par souche : préserver l’unité des droits transmis par représentation

Le partage par souche intervient dans les situations où certains indivisaires accèdent à la masse indivise par le mécanisme de la représentation, c’est-à-dire en qualité de continuateurs des droits d’un auteur décédé avant le partage. Cette règle, consacrée par l’article 827 du Code civil, vise à préserver l’unité des droits transmis au sein d’une même branche familiale. En effet, le texte précise que « le partage de la masse s’opère par tête. Toutefois, il se fait par souche quand il y a lieu à représentation », ajoutant que, dans un tel cas, une répartition distincte doit être opérée entre les héritiers de chaque souche. Ce principe trouve son application naturelle dans le cadre des successions, mais il peut également s’étendre à d’autres formes d’indivision, telles que les indivisions conventionnelles ou post-communautaires.

Le mécanisme du partage par souche repose sur une division initiale de la masse partageable entre les différentes souches représentées, chaque souche formant une unité indivisible dans la répartition des lots. À titre d’illustration, prenons l’exemple d’une indivision successorale dans laquelle le défunt laisse deux enfants, l’un des deux étant décédé avant le partage, laissant à son tour deux descendants. Conformément à la règle du partage par souche, deux lots seront d’abord constitués pour les enfants du défunt, puis un second partage sera opéré au sein de la souche représentée, afin que les petits-enfants se partagent équitablement le lot attribué à leur parent décédé. Ce mécanisme garantit que chaque branche familiale conserve une part intacte des droits hérités, tout en assurant une répartition juste au sein de chaque souche.

La doctrine s’accorde sur l’importance de ce principe pour éviter une multiplication excessive des lots, laquelle pourrait conduire à des complications lors du tirage au sort ou à la nécessité de recourir à une licitation. Comme le rappellent Aubry et Rau, « la règle du partage par souche tend à maintenir l’équilibre entre les branches familiales, en limitant les risques de fragmentation excessive de la masse partageable ».

Dans la pratique, le partage par souche permet également de prendre en compte les situations où les droits transmis ne sont pas directement issus de la dévolution successorale. Par exemple, dans une société civile immobilière (SCI), si un associé décédé avait deux enfants, mais que l’un d’eux est également décédé avant le partage, ses propres descendants recueilleront ensemble le lot attribué à leur auteur. Cette méthode garantit que la transmission des droits reste cohérente avec la structure familiale initiale et permet d’éviter un morcellement disproportionné du capital social de la SCI.

Toutefois, le partage par souche ne s’applique pas uniquement aux successions. Il peut également trouver à s’appliquer dans les indivisions conventionnelles, notamment lorsque plusieurs indivisaires représentent les ayants droit d’un titulaire initial de droits indivis. 

Prenons un exemple concret. Imaginons une indivision conventionnelle issue de l’acquisition d’un bien immobilier par deux frères. L’un d’eux cède ses droits indivis à ses trois enfants, tandis que l’autre conserve l’intégralité de ses parts. Dans une telle situation, au moment du partage, les trois enfants du premier frère ne recevront pas chacun un lot distinct. Conformément au principe du partage par souche, ils seront considérés comme une souche unique, représentant les droits transmis par leur père. Il conviendra alors de constituer deux lots : l’un pour le frère ayant conservé ses parts, l’autre pour les trois enfants, pris collectivement. Ce mécanisme garantit que les droits transmis par le frère cédant ne soient pas artificiellement fragmentés, assurant ainsi une cohérence dans la répartition des biens indivis.

Ce principe trouve un écho important dans la jurisprudence. Dans un arrêt du 29 juin 2011, la Cour de cassation a rappelé que le partage par souche vise à préserver l’unité des droits transmis par représentation et ne doit pas être confondu avec le partage par tête (Cass. 1ère civ., 29 juin 2011, n°10-17.925). Dans cette affaire, la succession concernait l’épouse d’un copartageant survivant, lequel partageait les droits successoraux avec ses trois petites-filles, venues par représentation de leur père prédécédé.

L’époux survivant, usufruitier de la moitié des biens successoraux et donataire de la plus large quotité disponible, avait sollicité le partage de la succession et la licitation préalable de deux biens immobiliers. La cour d’appel avait ordonné cette licitation, estimant que les biens étaient de valeur inégale et que les copartageantes n’étaient pas en mesure de proposer une répartition en nature. Toutefois, la Cour de cassation a censuré cette décision, en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché si le partage pouvait être commodément réalisé en deux lots distincts : l’un devant être attribué à l’époux survivant et l’autre aux trois petites-filles, prises collectivement en tant que souche unique.

Par cette décision, la Haute juridiction réaffirme que le partage par souche permet d’éviter que les héritiers venant par représentation soient désavantagés en raison de leur nombre. En effet, si le partage s’était opéré par tête, chacune des petites-filles aurait reçu un lot distinct, risquant de fragmenter les droits issus de leur auteur commun. Or, en retenant le mécanisme du partage par souche, un lot unique est attribué à la souche représentée, ce qui permet d’assurer une cohérence dans la transmission des droits et une simplification du partage.

Cette distinction entre partage par tête et partage par souche est cruciale pour garantir une répartition équitable, notamment dans les successions complexes où les héritiers ne se trouvent pas tous au même degré de parenté. Prenons un autre exemple : un défunt laisse un enfant survivant et trois petits-enfants venant par représentation d’un autre enfant prédécédé. Si le partage s’opère par tête, chaque petit-enfant recevra une part distincte, ce qui aura pour effet de réduire la quote-part globale de leur souche par rapport à celle de l’enfant survivant. En revanche, si le partage est réalisé par souche, les trois petits-enfants recevront un lot unique correspondant à la part qui aurait été dévolue à leur parent prédécédé, assurant ainsi une stricte égalité entre les différentes branches familiales.

La distinction entre ces deux mécanismes est particulièrement importante lorsque les biens indivis sont difficiles à partager en nature, comme des immeubles ou des biens indivisibles. La Cour de cassation veille ainsi à ce que le recours au partage par souche permette d’éviter une multiplication excessive des lots, susceptible de conduire à une licitation, souvent source de conflits. Comme le souligne Michel Grimaldi, « le partage par souche permet d’assurer une répartition juste tout en limitant le risque de licitations, qui sont souvent sources de tensions et de pertes financières pour les indivisaires ».

Les formalités attachées aux opérations de partage

Le partage successoral est une opération délicate qui, une fois les lots constitués et attribués, requiert l’accomplissement de formalités matérielles destinées à assurer l’effectivité de la répartition des biens entre les copartageants. Cette phase finale du processus de partage est marquée par la délivrance des biens et des titres, la publicité du partage lorsqu’elle est requise, et la répartition des frais afférents à l’opération.

I) La délivrance des biens

Le partage confère à chaque copartageant la propriété exclusive des biens composant son lot. Cette attribution prend effet dès que les lots sont définitivement constitués et que le partage devient irrévocable, soit par un accord amiable entre les parties, soit par une décision judiciaire ayant acquis force de chose jugée. Dès lors, chaque copartageant devient propriétaire de son lot de manière immédiate et définitive, sans qu’il soit nécessaire d’accomplir d’autres formalités pour que ce droit de propriété soit pleinement reconnu.

Cette remise, qui doit donc intervenir immédiatement après l’attribution, repose sur le principe ancien posé par l’article 982 du Code de procédure civile, aujourd’hui abrogé mais toujours pertinent dans son esprit.

La remise des biens ne saurait donc être purement théorique : elle doit être à la fois matérielle et effective. L’attributaire est ainsi en droit d’obtenir non seulement la possession du bien lui-même, mais également les accessoires indispensables à son exploitation ou à sa jouissance.

A cet égard, la nature du bien attribué conditionne les modalités de sa délivrance :

  • Pour les biens immobiliers, la remise s’opère généralement par la transmission des clés et, surtout, par l’accomplissement des formalités de publicité foncière.
  • S’agissant des biens meubles corporels, la délivrance se concrétise par la remise matérielle du bien à l’attributaire.
  • Quant aux biens incorporels (parts sociales, créances, droits d’auteur, etc.), la remise nécessite la transmission des documents justificatifs appropriés et, lorsque la loi l’exige, l’accomplissement des formalités d’opposabilité telles que la notification aux débiteurs ou l’inscription sur les registres compétents.

II) La remise des titres

A) La remise des titres privatifs

Les documents et titres relatifs aux biens attribués lors du partage doivent être transmis au copartageant à qui ces biens ont été alloués. En effet, ces titres, considérés comme des accessoires du bien, suivent le sort de la propriété et reviennent donc de plein droit à l’attributaire du lot concerné.

Lorsque le partage conduit à la division d’un bien initialement indivis, la question du sort des titres se pose avec davantage d’acuité. La pratique, bien que l’ancien article 842 du Code civil ait été abrogé, conserve la solution qu’il préconisait : les titres relatifs à un bien divisé doivent être remis au copartageant à qui a été attribuée la portion la plus importante de ce bien. Ce dernier est tenu de les conserver et de les représenter aux autres héritiers sur simple demande. Cette règle, toujours jugée équitable et pratique, vise à éviter la dispersion des titres tout en garantissant leur disponibilité pour l’ensemble des copartageants concernés.

Il est toutefois essentiel de distinguer les remises opérées dans le cadre de l’inventaire préalable au partage. Lors de cet inventaire, certains titres peuvent être provisoirement confiés à un copartageant à des fins conservatoires. Toutefois, une telle remise ne produit aucun effet juridique sur l’attribution définitive des biens concernés. La jurisprudence a d’ailleurs précisé que cette remise provisoire ne confère aucun droit particulier sur le bien en question et ne saurait influencer la répartition finale .

B) Le sort des titres communs

Certains documents, en raison de leur nature ou de leur fonction, ne peuvent être attribués à un seul copartageant lors du partage. Il s’agit principalement des titres présentant un caractère familial ou un intérêt commun pour l’ensemble des héritiers — tels que les livrets de famille, les actes d’état civil, les archives familiales ou encore certains documents fiscaux ou administratifs relatifs à l’ensemble du patrimoine indivis.

Exclus du partage en raison de leur caractère indivisible, ces titres doivent être conservés dans un lieu sûr, au bénéfice de tous les copartageants. Le choix du dépositaire peut être fait selon deux modalités :

  • Le dépôt entre les mains d’un copartageant : les héritiers peuvent, d’un commun accord, désigner l’un d’entre eux pour assurer la conservation des titres communs. Ce copartageant agit alors en qualité de dépositaire, avec l’obligation de conserver les documents dans l’intérêt collectif et de les tenir à disposition des autres héritiers lorsqu’ils en font la demande.
  • Le dépôt auprès d’un tiers : lorsque les héritiers ne parviennent pas à s’entendre sur le choix d’un dépositaire ou souhaitent confier cette responsabilité à un professionnel neutre, les titres peuvent être déposés entre les mains d’un notaire, d’un avocat ou tout autre tiers de confiance. Cette solution offre l’avantage de garantir une conservation impartiale et sécurisée.

Afin d’assurer la transparence et de prévenir tout litige ultérieur, il est d’usage de dresser un inventaire précis des titres communs à la fin de l’acte de partage. Cet inventaire mentionne la nature, la date et le contenu des documents concernés. Le copartageant désigné comme dépositaire — ou le tiers choisi — signe alors un reçu qui atteste de la remise des titres et formalise son engagement à les conserver dans des conditions adéquates.

Cette précaution vise à garantir l’intégrité des documents et à maintenir l’accès aux informations qu’ils contiennent pour tous les héritiers. En cas de besoin, chacun des copartageants peut solliciter la communication ou la reproduction de ces titres, notamment dans le cadre de démarches administratives ou juridiques.

III) Copies et extraits de l’acte de partage

L’acte de partage est un document juridique de première importance dont la conservation et la délivrance sont strictement encadrées par la loi. Afin de garantir la transparence des opérations et de permettre aux parties d’exercer pleinement leurs droits, le Code de procédure civile, en son article 1435, prévoit que les personnes concernées peuvent obtenir, sur demande, des copies ou extraits de l’acte de partage.

Cette faculté est reconnue aux copartageants eux-mêmes, mais également à leurs héritiers ou ayants droit, qui peuvent justifier d’un intérêt légitime à se voir remettre ces documents, que ce soit dans le cadre d’une opération patrimoniale ou pour accomplir diverses formalités administratives.

La délivrance de ces copies est assurée par deux officiers publics distincts, selon la nature de l’acte :

  • Le notaire, lorsqu’il est intervenu dans le cadre d’un partage amiable, conserve l’acte authentique parmi ses minutes. En cette qualité, il est tenu de fournir aux parties qui en font la demande des copies certifiées conformes ou des extraits de l’acte, garantissant ainsi la valeur probante des documents remis. Ces copies peuvent être utilisées notamment pour des formalités de publicité foncière ou pour toute opération nécessitant la preuve de la propriété des biens attribués.
  • Le greffier du tribunal judiciaire, lorsque le partage a été effectué dans le cadre d’une procédure judiciaire et a donné lieu à une homologation, conserve l’expédition homologuée de l’acte de partage. Il est également compétent pour délivrer des copies ou extraits aux parties intéressées, dans le respect des règles de confidentialité et des formalités en vigueur.

La délivrance des copies ou extraits ne peut être refusée aux héritiers ou ayants droit qui en justifient la nécessité. Toutefois, pour préserver la confidentialité des informations patrimoniales et protéger les droits des copartageants, les tiers étrangers au partage ne peuvent obtenir ces documents qu’en vertu d’une autorisation judiciaire ou lorsqu’ils justifient d’un intérêt légitime et direct.

Les copies délivrées, qu’elles proviennent du notaire ou du greffe, possèdent une valeur juridique identique à l’acte original et peuvent être utilisées pour toute démarche nécessitant la preuve du partage. En cas de perte ou de destruction de l’original, ces copies jouent un rôle fondamental en permettant la reconstitution des droits des copartageants et en garantissant la continuité des opérations juridiques.

Enfin, lorsque le partage porte sur des biens immobiliers, les extraits nécessaires aux formalités de publicité foncière sont souvent requis pour assurer l’opposabilité du partage aux tiers. Ces extraits permettent notamment de régulariser la situation cadastrale des biens et d’assurer la pleine effectivité des droits attribués à chaque copartageant.

IV) La publicité du partage

La publicité du partage constitue une formalité essentielle lorsqu’il porte sur des biens immobiliers ou plus généralement sur des droits réels immobiliers, conformément aux règles applicables en matière de publicité foncière. Cette exigence vise à garantir l’opposabilité du partage aux tiers et à assurer la sécurité juridique des attributions réalisées.

En effet, le partage, bien qu’il ait un effet déclaratif des droits entre les copartageants, ne produit pleinement ses effets à l’égard des tiers qu’après avoir été publié au fichier immobilier. Cette publicité permet de rendre les attributions opposables aux créanciers, aux acquéreurs potentiels ainsi qu’à toute personne souhaitant vérifier la situation juridique des biens concernés.

A) Domaine

Pour être éligible à la publicité foncière, l’acte de partage doit être établi sous forme authentique, c’est-à-dire dressé par un notaire. Cette exigence découle du fait que seul un acte authentique peut être inscrit au fichier immobilier, garantissant ainsi sa force probante et sa date certaine.

Le notaire, en qualité d’officier public, est alors tenu d’accomplir les formalités de publicité auprès du service de la publicité foncière compétent. Cette formalité est primordiale pour que le transfert de propriété opéré par le partage devienne opposable aux tiers.

B) Les délais applicables à la publicité du partage

Les règles applicables en matière de publicité foncière prévoient des délais spécifiques selon les circonstances entourant le partage :

  • Lorsque le partage porte sur la totalité des biens immobiliers d’une succession, il peut être publié directement dans les dix mois suivant le décès, sans qu’il soit nécessaire de procéder préalablement à une attestation notariée de transmission (Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 29, al. 4). Cette règle facilite la transmission du patrimoine en évitant des formalités successives et allège la procédure.
  • Si ce délai de dix mois est dépassé, et que l’acte de partage n’a pas été dressé et publié, il devient impératif de procéder à la publication dans les deux mois suivant la signature de l’acte de partage (Décret de 1955, art. 33, C, al. 2). Ce second délai garantit que la situation juridique des biens immobiliers soit rapidement actualisée dans les registres fonciers.
  • Lorsque des attestations notariées de propriété ont déjà été publiées, la publication de l’acte de partage reste nécessaire afin de préciser les attributions immobilières entre les copartageants et d’assurer leur opposabilité.

C) Les effets de la publicité

La publication de l’acte de partage emporte plusieurs conséquences juridiques:

  • Elle rend le partage opposable aux tiers, permettant notamment aux créanciers de connaître la répartition des biens entre les copartageants et d’exercer leurs recours en conséquence.
  • Elle assure la sécurité des transactions immobilières ultérieures. En effet, tout acte de cession, hypothèque ou nantissement portant sur un bien issu du partage ne pourra être régularisé que si le transfert de propriété est préalablement inscrit.
  • Elle permet de clarifier la situation foncière en rectifiant les registres pour refléter les nouvelles attributions issues du partage. Cela prévient les litiges liés à la propriété des biens et garantit aux acquéreurs et créanciers une information fiable sur les droits existants.

L’omission de la publicité du partage peut entraîner des conséquences préjudiciables pour les copartageants. En l’absence d’inscription au fichier immobilier, les attributions immobilières ne sont pas opposables aux tiers, exposant ainsi les copartageants à des risques juridiques et financiers. Par exemple, un créancier pourrait valablement poursuivre la vente d’un immeuble indivis s’il n’est pas informé du transfert de propriété issu du partage.

De plus, en matière fiscale, la publication permet d’actualiser les informations relatives aux propriétaires et d’assurer une correcte imposition des biens transmis.

V) Les frais du partage

Les opérations de partage engendrent inévitablement des frais dont la nature et la répartition sont strictement encadrées.

A) Nature et répartition des frais

Les frais du partage recouvrent l’ensemble des dépenses engagées pour permettre la réalisation effective du partage et constituent une charge grevant la masse successorale. Ils incluent notamment :

  • La rémunération des experts sollicités pour estimer les biens (experts immobiliers, commissaires-priseurs, etc.).
  • Les émoluments des officiers ministériels, au premier rang desquels figurent les honoraires du notaire commis pour dresser l’acte de partage.
  • Les frais liés aux formalités de licitation, dans les cas où la vente aux enchères est nécessaire pour procéder à la répartition.
  • Les dépenses accessoires indispensables au bon déroulement du partage (frais d’inventaire, de déplacement des experts, droits d’enregistrement, etc.).

Ces frais s’inscrivent dans le cadre des charges de l’indivision et doivent, selon le principe d’égalité entre copartageants, être supportés par l’ensemble de ces derniers proportionnellement à leurs droits dans l’indivision.

B) Modes de règlement des frais

Le règlement des frais du partage suit un principe simple : ils sont, en priorité, prélevés sur la masse partageable avant la répartition des biens entre les copartageants. Cette règle évite que les copartageants aient à avancer personnellement les fonds nécessaires à la réalisation des opérations.

Toutefois, des situations plus complexes peuvent nécessiter des ajustements. Par exemple, lorsque la succession est liquidée en même temps qu’une communauté conjugale, les frais communs aux deux régimes patrimoniaux doivent être répartis entre la masse successorale et la masse communautaire au prorata de leur valeur respective.

Si un copartageant avance personnellement les frais pour accélérer les opérations, il bénéficie d’un droit de recours contre les autres pour en obtenir remboursement, proportionnellement à leurs parts respectives. En parallèle, le créancier des frais (notaire, expert, etc.) conserve la possibilité d’exiger directement le paiement de la part due par le copartageant ayant engagé la dépense.

C) Les frais causés par la faute d’un copartageant

Le principe d’égalité dans la répartition des frais connaît toutefois des limites lorsque le comportement fautif d’un copartageant entraîne des coûts supplémentaires injustifiés. En vertu des règles de responsabilité civile, un héritier qui, par sa conduite, occasionne des frais inutiles en assume seul la charge.

Cette solution s’applique notamment lorsque :

  • Un copartageant soulève des contestations infondées ou multiplie les recours dilatoires (Cass. 1ère civ., 27 avr. 1963, Bull. civ. I, n° 226).
  • Il provoque des frais supplémentaires par sa négligence ou son refus injustifié de collaborer aux opérations de partage.

Les juridictions appliquent ici les principes généraux du droit de la responsabilité pour garantir que les autres héritiers ne soient pas pénalisés par le comportement d’un seul.

Toutefois, les juges disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation leur permettant, dans certaines hypothèses, de répartir les frais entre les copartageants lorsque les fautes sont partagées ou que les prétentions de chacun ont été partiellement accueillies.

D) Le privilège des frais du partage

Les frais du partage bénéficient, sous certaines conditions, du statut de frais privilégiés, leur conférant une priorité de paiement similaire à celle des frais de justice. Ce privilège est reconnu lorsqu’il est démontré que ces frais ont été utiles aux créanciers ou nécessaires à la préservation des droits des parties.

Cependant, ce privilège connaît des limites importantes. Il ne peut être invoqué contre :

  • Les créanciers de la masse successorale qui ne sont pas directement intéressés par les opérations de partage (Civ. 5 avr. 1865, S. 1865. 1. 375).
  • Les créanciers personnels des copartageants qui n’ont pas été appelés à l’instance et n’en ont donc tiré aucun bénéfice (Civ. 24 juin 1867, DP 1867. 1. 374).

En revanche, lorsque les frais ont permis d’assurer la conservation ou la valorisation du patrimoine indivis, ils conservent leur caractère de frais privilégiés et peuvent être réglés par prélèvement sur la masse successorale avant tout paiement aux créanciers ordinaires.

Effet déclaratif du partage: le sort des actes accomplis pendant l’indivision

L’effet déclaratif du partage entraîne une rétroactivité qui confère à chaque copartageant la propriété exclusive des biens qui lui sont attribués, comme s’il en avait toujours été propriétaire. En conséquence, les actes accomplis sur ces biens au cours de l’indivision peuvent soit être consolidés, soit être anéantis, selon qu’ils ont été passés dans le respect des règles de gestion de l’indivision ou non.

Il convient ainsi de distinguer, d’une part, les actes accomplis unilatéralement par un indivisaire, dont le sort dépend des résultats du partage, et, d’autre part, les actes régulièrement conclus au nom de l’indivision, qui conservent leur pleine efficacité après la répartition des biens entre les copartageants.

1. La consolidation ou l’anéantissement des actes accomplis unilatéralement par un indivisaire

L’effet déclaratif du partage signifie que chaque indivisaire est réputé n’avoir jamais été propriétaire des biens qui, lors du partage, sont attribués à ses cohéritiers. Cette fiction juridique a des conséquences majeures sur les actes qu’un indivisaire a pu accomplir seul avant le partage. En effet, ces actes n’ont pas tous la même portée et leur validité dépend du lot qui sera finalement attribué à l’indivisaire concerné.

Si, à l’issue du partage, le bien qui fait l’objet de l’acte revient à l’indivisaire qui l’a conclu, cet acte est validé rétroactivement. Il est alors considéré comme ayant toujours été valable. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, l’acte est anéanti de manière rétroactive : il est juridiquement réputé n’avoir jamais existé, car son auteur n’était pas censé en être propriétaire.

Ce mécanisme s’applique à tous les actes passés par un indivisaire seul, qu’il s’agisse de la vente d’un bien indivis, de la conclusion d’un bail, de la constitution d’une hypothèque ou encore de l’octroi d’un droit réel tel qu’une servitude. Tant que le partage n’est pas intervenu, ces actes sont juridiquement incertains : ils peuvent soit être confirmés si l’indivisaire concerné reçoit le bien dans son lot, soit être anéantis si ce bien revient à un autre. Cette insécurité juridique constitue un risque majeur pour les tiers qui contractent avec un indivisaire sans s’assurer que tous les coïndivisaires donnent leur accord.

a. La vente d’un bien indivis par un seul indivisaire

Lorsqu’un indivisaire vend un bien indivis sans le consentement de ses coïndivisaires, cette vente est juridiquement incertaine et suspendue aux résultats du partage. En effet, l’effet déclaratif du partage implique que chaque indivisaire est censé n’avoir jamais eu de droits sur les biens attribués à ses cohéritiers. Ainsi, la validité d’une vente réalisée par un seul indivisaire dépend du lot qui lui sera attribué lors du partage.

Si le bien vendu est finalement placé dans son lot, la vente est consolidée avec un effet rétroactif: elle est alors considérée comme ayant toujours été valable, et l’acquéreur devient pleinement propriétaire. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, la vente est anéantie rétroactivement. Il en résulte que l’acheteur ne peut faire valoir aucun droit sur le bien et se retrouve privé de l’acquisition qu’il croyait avoir réalisée. La Cour de cassation a confirmé cette règle de manière constante, jugeant que la vente d’un bien indivis par un seul indivisaire est inopposable aux autres copartageants tant que le partage n’a pas attribué définitivement le bien au vendeur (Cass. 1re civ., 7 juill. 1987, n° 85-16.968).

L’acquéreur d’un bien indivis dans une telle situation se trouve donc dans une position précaire. Il ne peut exiger l’attribution du bien au vendeur initial et doit se contenter, dans le meilleur des cas, d’intervenir dans la procédure de partage pour tenter d’orienter la répartition des lots en sa faveur (Cass. 1re civ., 9 févr. 2022, n°20-22.159). Toutefois, cette démarche demeure aléatoire et ne garantit en rien la préservation de ses droits. Le risque pour l’acquéreur est donc considérable, car il dépend entièrement de la manière dont les biens indivis seront répartis entre les copartageants.

b. L’hypothèque consentie sur un bien indivis

L’effet déclaratif du partage influence également la validité des sûretés constituées sur un bien indivis, notamment les hypothèques consenties par un indivisaire seul. En raison du principe de rétroactivité du partage, ces garanties ne sont véritablement consolidées que si le bien grevé est attribué à l’indivisaire qui a constitué l’hypothèque. Dans ce cas, la sûreté conserve toute son efficacité, et l’attributaire du bien hypothéqué reste tenu par cette charge, qui grève son lot à titre définitif (Cass. 3e civ., 7 mai 1986, n°87-13.947). Le créancier hypothécaire peut alors exercer son droit de suite sur l’immeuble et bénéficier de la garantie qui lui avait été consentie.

En revanche, si le bien grevé est attribué à un autre copartageant, l’hypothèque est anéantie rétroactivement. L’immeuble se retrouve ainsi libéré de toute sûreté constituée par un indivisaire qui, en définitive, n’a jamais été censé en être propriétaire. Ce mécanisme protège l’attributaire du bien, qui ne saurait voir sa propriété entachée par un acte accompli par un autre indivisaire sans son consentement. La règle a été expressément consacrée par l’article 2412 du Code civil, qui prévoit que l’hypothèque consentie par un indivisaire ne subsiste que si l’immeuble hypothéqué lui est finalement attribué. Cette disposition a remplacé l’ancien article 2414 du Code civil, issu de l’ordonnance du 23 mars 2006, qui énonçait déjà ce principe.

Ainsi, les créanciers hypothécaires qui acceptent une sûreté sur un bien indivis prennent un risque important, leur droit de suite étant conditionné aux résultats du partage. S’ils souhaitent garantir efficacement leur créance, ils doivent s’assurer que l’indivisaire constituant l’hypothèque dispose d’une probabilité élevée d’obtenir l’attribution du bien lors du partage. À défaut, ils s’exposent à la disparition pure et simple de leur garantie, sans aucun recours contre l’attributaire du bien.

c. Le bail consenti par un seul indivisaire

Lorsqu’un indivisaire conclut seul un bail sur un bien indivis sans l’accord des autres coïndivisaires, la validité du contrat reste suspendue aux résultats du partage. Si le bien loué est finalement attribué à l’indivisaire bailleur, le bail est consolidé rétroactivement, produisant ses effets comme s’il avait été valablement conclu dès l’origine. Le preneur peut alors poursuivre l’exécution du contrat sans que sa situation ne soit remise en cause (Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n°90-21.173).

En revanche, si le bien est placé dans le lot d’un autre copartageant, le bail se trouve anéanti de manière rétroactive. Le nouvel attributaire du bien n’est pas tenu par le contrat, et le preneur perd tout droit sur les lieux loués (Cass. 1re civ., 9 nov. 2004, n°03-13.481). Cette solution découle du principe selon lequel seul le véritable propriétaire d’un bien peut valablement en consentir la jouissance. Ainsi, le locataire qui contracte avec un seul indivisaire agit à ses risques et périls : il ne peut exiger ni la poursuite du bail ni une indemnisation en cas de disparition de son droit par l’effet du partage.

d. La constitution de droits réels sur un bien indivis

L’effet déclaratif du partage s’applique également aux droits réels que peut tenter de constituer un indivisaire seul sur un bien indivis. Lorsqu’un indivisaire établit une servitude sans le consentement de ses coïndivisaires, la validité de cette charge est conditionnée aux résultats du partage. Si le bien grevé est attribué à l’indivisaire qui a constitué la servitude, celle-ci est consolidée rétroactivement et produit pleinement ses effets. En revanche, si le bien est placé dans le lot d’un autre copartageant, la servitude est anéantie de plein droit, car elle est réputée n’avoir jamais existé.

Cette règle s’étend à l’ensemble des droits réels susceptibles d’être créés par un indivisaire seul, qu’il s’agisse d’un usufruit, d’un droit d’usage ou encore d’une charge affectant le bien indivis. Tant que le partage n’est pas intervenu, ces actes demeurent précaires et soumis à l’incertitude quant à l’attribution définitive du bien concerné. Si le bien revient au constituant du droit réel, l’acte est validé rétroactivement, conférant aux tiers le bénéfice de la situation créée. En revanche, si le bien est attribué à un autre copartageant, ces droits s’éteignent automatiquement, privant les bénéficiaires de toute prétention sur le bien.

Ainsi, toute constitution de droit réel sur un bien indivis réalisée sans l’accord des coïndivisaires demeure incertaine jusqu’au partage. Cette situation expose les tiers à un risque non négligeable, notamment lorsqu’ils acquièrent un droit grevant le bien sans s’assurer de l’identité du futur attributaire. Il en résulte une nécessité pour les parties prenantes de prendre en compte cette instabilité juridique avant de contracter.

2. Le maintien des actes régulièrement accomplis au nom de l’indivision

Contrairement aux actes passés unilatéralement par un indivisaire, ceux qui ont été régulièrement accomplis conformément aux règles de gestion de l’indivision conservent toute leur efficacité après le partage. L’effet déclaratif du partage, qui emporte rétroactivité quant aux droits des copartageants, n’a pas vocation à remettre en cause les actes qui ont été passés avec l’accord de l’ensemble des indivisaires ou qui ont été autorisés selon les règles légales en vigueur.

a. Le maintien des actes passés avec l’accord unanime des indivisaires

Lorsqu’un acte a été conclu avec le consentement de tous les indivisaires, il demeure pleinement valable après le partage, indépendamment du lot dans lequel le bien concerné est finalement attribué. Cela signifie que l’attributaire du bien ne peut remettre en cause l’acte ou s’y soustraire.

Un exemple typique est celui du bail. Si tous les indivisaires ont donné leur accord pour louer un bien indivis, le locataire bénéficie d’un contrat stable, qui continue de produire ses effets après le partage. L’indivisaire qui reçoit le bien dans son lot est tenu de respecter ce bail et ne peut en contester la validité. La Cour de cassation a confirmé cette règle en jugeant qu’un bail signé avec l’accord de tous les indivisaires obligeait l’attributaire du bien à le respecter, même après la fin de l’indivision (Cass. 1re civ., 3 juin 1986).

Ce principe vise à sécuriser les engagements contractuels pris dans le cadre de l’indivision. Sans lui, les tiers contractants – comme les locataires – risqueraient de voir leurs droits remis en question en raison d’un simple changement d’attributaire après le partage. Grâce à cette règle, un locataire qui a contracté en toute bonne foi avec l’ensemble des indivisaires conserve ses droits, et le partage ne vient pas perturber les obligations nées d’un engagement collectif.

Ainsi, lorsqu’un acte est approuvé par tous les indivisaires, il est protégé contre les effets du partage et continue de s’imposer à celui qui reçoit le bien. Cette stabilité garantit la sécurité des transactions et protège les intérêts des tiers ayant contracté avec l’indivision.

b. Le maintien des garanties consenties collectivement

Lorsqu’une hypothèque est constituée avec l’accord unanime de tous les indivisaires, elle conserve sa pleine efficacité après le partage et continue de grever le bien attribué, sans que l’attributaire puisse en contester la validité. Cette solution, qui vise à garantir la sécurité des créanciers, est expressément consacrée par l’article 2414 du Code civil.

Ainsi, à la différence des hypothèques constituées par un seul indivisaire – qui peuvent être anéanties si le bien concerné est attribué à un autre copartageant –, celles qui ont été consenties collectivement restent en vigueur quelle que soit l’issue du partage. La Cour de cassation a d’ailleurs affirmé à plusieurs reprises que l’effet déclaratif du partage ne pouvait remettre en cause une hypothèque valablement consentie par l’ensemble des coïndivisaires (Cass. 3e civ., 7 mai 1986, n°87-13.947).

Ce principe garantit la stabilité des garanties constituées sur les biens indivis et préserve les intérêts des créanciers hypothécaires. Ces derniers ne peuvent voir leurs sûretés disparaître en raison de la répartition des biens entre copartageants. Une fois l’hypothèque consentie par tous les indivisaires, elle s’impose à celui qui reçoit le bien dans son lot et continue de le grever, évitant ainsi tout risque d’insécurité juridique pour les prêteurs.

Ainsi, le partage ne modifie en rien l’opposabilité des garanties collectivement consenties, assurant ainsi la continuité des engagements financiers liés aux biens indivis et protégeant les créanciers contre une remise en cause postérieure de leurs droits.

c. La préservation des actes passés en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire

Au-delà des actes passés avec l’accord unanime des indivisaires, ceux réalisés en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire conservent également toute leur efficacité après le partage. Lorsqu’un indivisaire a été mandaté par ses coïndivisaires pour accomplir un acte déterminé – qu’il s’agisse, par exemple, de vendre un bien, d’administrer un immeuble ou de contracter un bail – cet acte s’impose à l’ensemble des indivisaires et demeure pleinement valide après la répartition des biens. L’attributaire du bien concerné ne peut en remettre en cause la validité ni contester ses effets.

Il en va de même pour les actes réalisés sous autorisation judiciaire. Lorsqu’un juge a expressément autorisé un indivisaire à accomplir un acte sur un bien indivis – par exemple, céder un bien, consentir une hypothèque ou conclure un bail – cette autorisation s’impose à tous les coïndivisaires et ne saurait être remise en question après le partage. La Cour de cassation a ainsi jugé que l’attributaire d’un bien indivis ne pouvait contester un acte qui avait été valablement accompli en vertu d’une décision judiciaire (Cass. 1re civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).

Ce régime vise à assurer la sécurité juridique des actes accomplis dans l’intérêt de l’indivision. Il empêche qu’un indivisaire, une fois devenu seul propriétaire d’un bien, remette en cause des décisions prises antérieurement dans le respect des règles légales. Cette règle protège non seulement les indivisaires eux-mêmes, mais aussi les tiers qui ont contracté avec l’indivision, en leur garantissant que les engagements pris en vertu d’un mandat ou d’une autorisation judiciaire ne seront pas remis en question par l’effet du partage.

d. Le maintien des actes d’administration pris à la majorité qualifiée

Depuis la réforme du 23 juin 2006, les règles de gestion de l’indivision ont été assouplies afin de permettre aux indivisaires de prendre certaines décisions sans nécessiter l’unanimité. Désormais, les actes d’administration et de gestion courante peuvent être décidés à la majorité des deux tiers des droits indivis. Cette faculté concerne notamment la conclusion de baux d’habitation de courte durée, l’entretien courant des biens indivis ou encore la réalisation de travaux nécessaires à leur conservation.

Lorsqu’un tel acte a été régulièrement adopté selon ces règles de majorité, il conserve toute son efficacité après le partage. L’attributaire du bien concerné est tenu de respecter les engagements qui ont été pris à la majorité qualifiée et ne peut s’y soustraire. Ainsi, si un bail d’habitation a été conclu par une décision prise aux deux tiers des droits indivis, le partage n’a pas pour effet d’en remettre en cause la validité, et le preneur peut continuer à occuper le bien aux conditions initialement convenues.

Ce principe vise à garantir la stabilité des décisions de gestion prises dans l’intérêt commun des indivisaires. Il empêche qu’un indivisaire, devenu seul propriétaire du bien après le partage, puisse remettre en question des engagements pris collectivement et validés par la majorité requise. Cette règle assure également une meilleure sécurité pour les tiers ayant contracté avec l’indivision, en leur garantissant que les décisions prises conformément aux dispositions légales continueront de produire leurs effets indépendamment du changement d’attributaire du bien concerné.

e. La protection des actes régulièrement conclus en indivision

L’article 883 du Code civil établit de manière explicite que les actes accomplis en vertu d’un mandat des coïndivisaires ou d’une autorisation judiciaire conservent leur pleine efficacité après le partage, indépendamment de l’attribution des biens concernés. Cette disposition vise à sécuriser les engagements pris dans le cadre de l’indivision et à éviter que la répartition des biens ne vienne remettre en cause des décisions prises dans un cadre collectif ou judiciaire.

En effet, l’objectif fondamental de cette règle est de garantir la stabilité des transactions et d’assurer la continuité des actes passés régulièrement au nom de l’indivision. Ainsi, un contrat conclu sous mandat exprès des coïndivisaires ou une vente autorisée par le juge ne peuvent être contestés par l’attributaire du bien après le partage. Cette règle permet de prévenir toute remise en cause des décisions prises dans l’intérêt commun des indivisaires et d’éviter des situations d’incertitude juridique pour les tiers ayant contracté avec l’indivision.

Ainsi, l’effet déclaratif du partage ne s’applique qu’aux actes unilatéraux, qui demeurent soumis à l’aléa de l’attribution des biens. En revanche, les actes accomplis conformément aux règles de gestion de l’indivision sont préservés, assurant ainsi une continuité juridique et protégeant les intérêts des indivisaires comme ceux des tiers contractants. Cette distinction, qui repose sur un équilibre entre la liberté des indivisaires et la nécessité de sécuriser les engagements pris collectivement, participe à la cohérence du régime de l’indivision et à la stabilité des relations juridiques qui en découlent.

Effet déclaratif du partage: l’exclusion des règles applicables aux actes translatifs

Le partage se distingue fondamentalement des actes translatifs de propriété en ce qu’il ne réalise pas un transfert de droits entre copartageants, mais se limite à constater l’attribution des biens à chacun d’eux, en fonction de leurs droits préexistants. Il ne s’apparente donc ni à une vente ni à un échange, puisqu’il ne repose pas sur un mécanisme de transmission de propriété d’un copartageant à un autre. C’est précisément cette nature déclarative qui justifie l’inapplicabilité de nombreuses règles propres aux actes translatifs, notamment :

  • L’action résolutoire, qui permet d’anéantir une vente en cas d’inexécution, mais qui ne peut s’appliquer au partage, faute de véritable transmission de droits ;
  • La prescription abrégée, qui repose sur la nécessité d’un juste titre translatif, ce que le partage ne constitue pas ;
  • Le privilège du vendeur, inapplicable au partage où seule une garantie spécifique entre copartageants peut être invoquée ;
  • Le droit de préemption, qui ne peut être exercé lors d’une attribution en partage, faute d’aliénation à titre onéreux.

Ainsi, l’effet déclaratif du partage le soustrait à ces règles, confirmant qu’il ne s’agit pas d’un acte de translatif, mais d’une simple répartition des droits préexistants entre les copartageants.

I) L’exclusion des sanctions attachées à l’inexécution des obligations nées du partage

L’effet déclaratif du partage a pour conséquence majeure d’exclure l’application des mécanismes de sanction propres aux actes translatifs, en particulier l’action résolutoire. Contrairement à une vente, où l’inexécution d’une obligation essentielle – telle que le paiement du prix – peut entraîner la résolution du contrat, le partage, en raison de son caractère non translatis, ne saurait être anéanti pour cause de non-paiement d’une soulte ou d’un prix d’adjudication.

A) L’impossibilité d’une résolution du partage pour inexécution

Dès le XIX? siècle, la Cour de cassation a consacré cette impossibilité en affirmant que le non-paiement d’une soulte ne saurait justifier l’anéantissement du partage (Cass. Req. 29 déc. 1829). Cette solution repose sur l’idée que la soulte ne constitue pas un élément essentiel du partage, mais une simple dette personnelle du copartageant concerné. Dès lors, l’indivisaire créancier d’une soulte dispose uniquement des moyens de droit commun pour en obtenir le recouvrement (saisie immobilière, inscription d’hypothèque, etc.), sans pouvoir prétendre à une remise en cause du partage lui-même.

Cette règle trouve une application particulière lorsque le partage prend la forme d’une licitation. L’adjudication d’un bien indivis à un copartageant vaut partage, si bien que l’inexécution des obligations mises à la charge de l’adjudicataire ne peut justifier l’anéantissement de la licitation (Cass. 1ère, 26 févr. 1975, n°73-10.146). Il en résulte que la licitation ne peut être résolue pour défaut de paiement du prix ou inexécution des conditions de l’adjudication.

L’effet déclaratif interdit ainsi d’assimiler les copartageants à des contractants ayant réciproquement opéré un transfert de droits. Chacun devient propriétaire des biens qui lui sont attribués comme s’il l’avait toujours été, et non par un effet de transmission intervenu au moment du partage. Dès lors, le non-paiement d’une soulte ne peut en aucun cas être assimilé au non-paiement d’un prix dans une vente.

B) L’inapplicabilité de la revente sur folle enchère en l’absence de stipulation expresse

L’exclusion de l’action résolutoire s’étend également à la procédure de revente sur folle enchère – désormais appelée réitération des enchères depuis l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 sur la saisie immobilière. Cette procédure, qui permet de remettre en vente un bien en cas de défaut de paiement du prix par l’adjudicataire, est normalement inapplicable aux licitations effectuées dans le cadre d’un partage. La jurisprudence a en effet confirmé que, faute d’effet translatif, la licitation ne peut être assimilée à une vente, et que les règles applicables aux adjudications classiques ne trouvent donc pas à s’appliquer.

Toutefois, si le principe demeure, la pratique notariale a cherché à pallier cette rigidité en introduisant des clauses spécifiques dans le cahier des charges des licitations. La Cour de cassation a ainsi admis que les copartageants peuvent convenir contractuellement de soumettre la licitation à une procédure de folle enchère en cas de non-paiement du prix (Cass. 1ère civ., 7 oct. 1981, n°80-12.799).

C) L’admission de clauses résolutoires par convention expresse

Dans le même esprit, la jurisprudence a validé la stipulation de clauses résolutoires dans l’acte de partage, afin de pallier l’absence de sanctions légales en cas d’inexécution. Si l’effet déclaratif empêche toute résolution de plein droit, les copartageants peuvent néanmoins stipuler contractuellement qu’un défaut de paiement de la soulte entraînera la remise en cause de l’attribution du bien concerné (Cass. civ. 6 janv. 1846).

Toutefois, la jurisprudence distingue nettement entre les stipulations expressément formulées et celles qui pourraient être déduites implicitement. Si une clause spécifique prévoyant la résolution est insérée dans l’acte de partage ou le cahier des charges d’une licitation, elle sera jugée valide. En revanche, il n’est pas possible de déduire une telle clause du seul fait que les parties ont prévu le paiement d’une soulte. La volonté des copartageants doit être clairement exprimée, sans quoi la résolution demeure impossible.

D) Une protection limitée du créancier de la soulte

En l’absence de clause spécifique, le copartageant créancier dispose uniquement de garanties limitées pour assurer le recouvrement de sa créance. Il bénéficie certes du privilège du copartageant (ancien article 2374, 3° du Code civil, devenu article 2402, 4°), qui lui permet d’inscrire une hypothèque légale sur les immeubles attribués au débiteur. Toutefois, cette sûreté, exclusivement immobilière, ne couvre pas nécessairement l’ensemble des biens du copartageant débiteur, et elle ne constitue pas une garantie aussi solide que le privilège du vendeur. En cas de défaillance du débiteur, le créancier devra ainsi engager une procédure de saisie immobilière ou d’exécution forcée, ce qui peut s’avérer long et complexe.

II) L’impossibilité d’invoquer le partage comme juste titre pour la prescription abrégée

L’effet déclaratif du partage exclut également l’application des règles propres aux actes translatifs en matière de prescription acquisitive abrégée. En effet, l’article 2272, alinéa 2, du Code civil prévoit que la prescription abrégée, permettant l’acquisition d’un bien par un possesseur de bonne foi après un délai réduit de dix ans (ou vingt ans selon les cas), suppose l’existence d’un juste titre. Ce dernier se définit comme un acte translatif de propriété émanant d’une personne qui n’était pas véritablement propriétaire. Or, le partage, qui ne réalise aucun transfert de propriété entre copartageants, ne peut jamais constituer un tel juste titre.

A) L’inaptitude du partage à fonder une usucapion abrégée

Le partage a pour seul effet de déterminer la consistance des droits des copartageants en attribuant à chacun des biens qu’il est censé avoir possédés depuis l’origine. En ce sens, il ne crée aucun droit nouveau, ne procède à aucun transfert, mais se borne à reconnaître des droits préexistants. Dès lors, il ne peut servir de fondement à une prescription acquisitive abrégée, laquelle exige un acte juridiquement apte à transmettre la propriété.

La Cour de cassation a consacré ce principe qu’elle appliqué de manière constante. Elle a ainsi jugé que lorsqu’un bien appartenant à un tiers est inclus par erreur dans une masse successorale et attribué à un copartageant, ce dernier ne pourra se prévaloir de la prescription abrégée contre le véritable propriétaire, faute de disposer d’un juste titre (Cass. 3e civ., 30 oct. 1972, n° 71-11.541).

Dans cette affaire, une action en partage avait été engagée entre plusieurs indivisaires, donnant lieu à une décision judiciaire déterminant les droits respectifs de chacun. En exécution de cette décision, des lots avaient été constitués et attribués aux copartageants, cette attribution ayant été entérinée par une autorité administrative. Cependant, un tiers a formé tierce opposition, faisant valoir qu’une portion des biens attribués dans le cadre du partage lui appartenait en indivision.

Face à cette contestation, les copartageants ont tenté d’opposer la prescription abrégée, soutenant que la décision de partage et l’acte administratif entérinant la répartition des lots constituaient un juste titre au sens de l’article 2265 du Code civil. La Cour de cassation a rejeté cette argumentation, rappelant que la prescription acquisitive abrégée repose sur l’existence d’un juste titre, lequel suppose un transfert de propriété consenti par celui qui n’est pas le véritable propriétaire. Or, en l’espèce, l’acte de partage ne réalisait qu’une répartition des biens indivis sans opérer un transfert de propriété. La Haute juridiction a expressément souligné que les décisions de justice et actes administratifs ayant mis fin à l’indivision étaient exclusivement déclaratifs de droits et ne pouvaient donc servir de juste titre permettant l’usucapion abrégée.

Par ailleurs, la Cour de cassation a également écarté la possibilité pour les copartageants d’invoquer la prescription acquisitive de droit commun, en constatant que plusieurs personnes avaient exercé des actes de possession concurrents sur les biens litigieux. Dès lors, aucun des indivisaires ne pouvait prétendre à une possession exclusive et non équivoque de nature à fonder une prescription acquisitive.

Cette décision illustre ainsi, avec une particulière clarté, l’impossibilité pour un copartageant d’invoquer la prescription abrégée sur un bien inclus à tort dans le partage, faute de disposer d’un acte translatif de propriété. Elle rappelle également que la prescription acquisitive de droit commun ne saurait prospérer lorsque la possession est exercée concurremment par plusieurs indivisaires, ce qui empêche toute appropriation unilatérale du bien concerné.

B) L’absence de transmission de droits nouveaux

L’inaptitude du partage à constituer un juste titre s’explique par le fait que, contrairement à une vente ou une donation, il ne comporte aucune manifestation de volonté de transmettre un droit. Le copartageant attributaire n’est pas l’ayant cause de ses cohéritiers : il est réputé avoir toujours été propriétaire des biens qui lui sont attribués. Dès lors, il ne saurait bénéficier de la prescription abrégée, laquelle repose sur l’idée que l’acquéreur a reçu son droit d’un tiers qui n’était pas le véritable propriétaire.

Cette distinction a une conséquence pratique essentielle : si un bien indivis a été occupé pendant plusieurs années par l’un des copartageants avant le partage, celui-ci ne pourra pas invoquer la prescription abrégée pour revendiquer la pleine propriété du bien, faute d’un juste titre distinct du partage. Ce dernier ne fait que constater la situation existante, sans créer un nouvel état de droit.

C) La possibilité de joindre les possessions pour compléter une prescription

Toutefois, si le partage est inapte à servir de juste titre pour la prescription abrégée, il ne fait pas obstacle à la jonction des possessions successives. En vertu de l’article 2265 du Code civil, l’attributaire d’un bien indivis peut joindre à sa propre possession celle exercée antérieurement par la masse indivise. Ainsi, s’il démontre une possession paisible, publique et continue antérieure au partage, il pourra faire valoir son droit à la prescription en ajoutant la durée de possession de ses coindivisaires à la sienne.

Cette règle trouve notamment à s’appliquer dans l’hypothèse où un bien litigieux était déjà possédé par la famille du copartageant bien avant le partage. Dans ce cas, la prescription de trente ans pourrait être acquise, non en raison du partage lui-même, mais par l’addition des périodes de possession successives.

III) L’inapplicabilité du privilège du vendeur et des garanties propres aux ventes

L’effet déclaratif du partage a pour corollaire l’inapplicabilité des règles protectrices propres aux actes translatifs de propriété, parmi lesquelles figurent notamment le privilège du vendeur ainsi que les garanties relatives aux vices cachés et à l’éviction. En matière de paiement des soultes ou du prix d’une licitation, c’est un régime spécifique, distinct de celui applicable aux ventes, qui trouve à s’appliquer.

A) Le privilège du copartageant

Lorsque l’un des copartageants se voit attribuer un bien indivis moyennant le paiement d’une soulte à ses cohéritiers ou qu’un bien indivis est vendu par voie de licitation à l’un d’eux, la créance née de cette opération n’est pas assortie du privilège du vendeur (prévu à l’article 2402, 1° du Code civil), mais du privilège du copartageant. Ce dernier, bien que présentant des similitudes fonctionnelles avec le privilège du vendeur, s’en distingue par son assiette et son régime de priorité.

L’article 2402, 4° du Code civil (anciennement article 2374, 3°) confère au copartageant une sûreté qui ne grève que les immeubles attribués au débiteur de la soulte, contrairement au privilège du vendeur, qui porte plus largement sur l’ensemble des biens du débiteur. Cette limitation peut donc s’avérer préjudiciable lorsque l’immeuble en question se révèle insuffisant pour garantir le paiement. Toutefois, une compensation existe : l’inscription du privilège du copartageant dans le délai légal lui confère un effet rétroactif à la date de l’ouverture de la succession, ce qui lui permet de primer sur certaines hypothèques constituées postérieurement à cette date (Cass. 1ère civ., 13 juill. 2004, n° 02-10.073). Cette antériorité protège les créanciers issus du partage contre les sûretés prises par des tiers au cours de l’indivision ou après le partage.

Néanmoins, cette protection demeure imparfaite : à défaut d’inscription dans le délai prévu, le privilège est inopposable aux tiers inscrits, ce qui peut affaiblir la position du copartageant créancier.

B) L’exclusion des garanties propres à la vente : absence de garantie des vices cachés et d’éviction

En matière de vente, le droit commun confère à l’acquéreur deux protections : la garantie des vices cachés et la garantie d’éviction. Ces garanties sont expressément prévues aux articles 1625 et suivants du Code civil et permettent à l’acheteur de se retourner contre le vendeur si le bien acquis est atteint d’un vice affectant son usage ou si son droit de propriété est contesté par un tiers.

Or, ces mécanismes sont inapplicables au partage, précisément parce que les copartageants ne sont pas les ayants cause les uns des autres. En d’autres termes, le partage n’opère pas un transfert de propriété d’un copartageant à l’autre, mais une simple individualisation des droits préexistants sur les biens issus de l’indivision.

En conséquence, un copartageant qui découvre après coup que le bien qui lui a été attribué est affecté d’un vice grave ou qu’un tiers en revendique la propriété ne pourra pas se prévaloir des garanties protectrices de l’acheteur. Il ne pourra ni demander la restitution d’une partie de la soulte versée, ni exiger la résolution du partage, sauf à démontrer une lésion de plus du quart, hypothèse très encadrée par l’article 889 du Code civil.

C) La seule garantie applicable : la garantie des vices de lotissement

Si les garanties protectrices du droit de la vente sont inapplicables au partage, une garantie spécifique demeure néanmoins prévue : la garantie des vices de lotissement. Elle découle de l’obligation d’assurer une répartition équitable des biens entre copartageants. L’article 889 du Code civil prévoit en effet que chaque copartageant est tenu de garantir ses coïndivisaires contre tout trouble ou éviction qui aurait pour effet de rompre l’équilibre du partage.

Toutefois, cette garantie ne joue pas dans les mêmes conditions que la garantie d’éviction propre à la vente. Elle ne protège pas contre toute éviction, mais uniquement contre celle qui remettrait en cause l’égalité entre les lots. Ainsi, si un copartageant perd un bien qui lui a été attribué du fait d’un tiers revendiquant un droit antérieur, la garantie ne pourra être invoquée que s’il en résulte une rupture manifeste de l’équilibre du partage.

En revanche, si la perte du bien ou la revendication du tiers ne modifie pas significativement la proportion des droits de chaque copartageant, aucune garantie ne pourra être mise en œuvre. Cette limitation renforce l’importance pour chaque copartageant de procéder à des vérifications approfondies avant d’accepter un lot.

IV) L’exclusion des règles de publicité foncière attachées aux actes translatifs

A) La publication foncière sans incidence sur l’opposabilité du partage

La publicité foncière vise, en principe, à assurer l’opposabilité des mutations immobilières aux tiers. Ainsi, dans le cadre d’une vente, le défaut de publication entraîne l’inopposabilité de l’acte aux tiers (Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 28). Cette règle protège notamment les acquéreurs successifs en garantissant la traçabilité des droits de propriété.

Toutefois, le partage n’étant pas un acte translatif, la sanction de l’inopposabilité ne saurait lui être appliquée. La Cour de cassation a clairement affirmé ce principe, jugeant qu’un partage non publié reste pleinement opposable aux tiers, en raison de son effet déclaratif (Cass. 1?? civ., 14 janv. 1981, n°79-14.687). Cette solution s’explique par le fait que le partage ne crée pas un droit nouveau, mais se borne à constater la répartition de droits déjà existants dans la masse indivise.

Dès lors, un héritier attributaire d’un bien immobilier par voie de partage n’a pas besoin d’avoir publié son acte pour opposer son droit aux tiers. L’absence de publication n’entraîne pas de difficulté tant que l’attributaire conserve le bien en question.

B) Publication des opérations de partage aux fins d’assurer la continuité des mutations immobilières

Si l’effet déclaratif du partage protège l’héritier attributaire contre l’inopposabilité, la logique de la publicité foncière impose néanmoins une certaine rigueur dans la transmission ultérieure du bien. En effet, l’article 3 du décret du 4 janvier 1955 pose le principe de l’effet relatif de la publicité foncière :

Un ayant cause ne peut publier son droit que si celui de son auteur a été publié au préalable.

En conséquence, un copartageant qui souhaite revendre un bien issu du partage doit nécessairement procéder à la publication de celui-ci. À défaut, son acquéreur ne pourra lui-même publier son titre et, par conséquent, ne pourra opposer son droit aux tiers.

Ainsi, la publication du partage ne vise pas tant à protéger l’héritier que son futur acquéreur. L’absence de publication empêche en effet toute chaîne de mutations ultérieures et entrave ainsi la circulation du bien sur le marché immobilier.

C) Responsabilité civile en cas de défaut de publication

Bien que le partage non publié demeure opposable aux tiers, l’inobservation des formalités de publicité foncière peut néanmoins engager la responsabilité civile de celui qui était tenu de les accomplir. L’article 30 du décret du 4 janvier 1955 prévoit en effet que l’omission ou l’irrégularité d’une publication foncière peut donner lieu à des dommages-intérêts au profit de ceux qui subissent un préjudice du fait de ce défaut.

Ainsi, si un héritier attributaire revend un bien issu d’un partage non publié et que son acquéreur se trouve dans l’impossibilité d’opposer son droit, ce dernier pourra se retourner contre le vendeur pour obtenir réparation. Cette responsabilité constitue un incitatif fort à la publication du partage, même si celle-ci n’est pas requise pour l’opposabilité du droit de l’attributaire initial.

V) L’inapplicabilité des droits de préemption et des formalités propres aux cessions de créance

L’effet déclaratif du partage a pour conséquence d’exclure l’application de diverses règles attachées aux actes translatifs, notamment en matière de droit de préemption et de cession de créance. Puisque le partage ne constitue pas une aliénation à titre onéreux, il ne peut donner prise aux prérogatives reconnues à certains titulaires de droits de préemption, ni être assimilé à une cession impliquant des formalités spécifiques.

A) L’exclusion du droit de préemption en raison de l’absence d’aliénation à titre onéreux

Le droit de préemption permet à certaines personnes – preneurs à bail rural, locataires d’habitation, l’État en matière d’œuvres d’art, etc. – de se substituer à un acquéreur dans le cadre d’une vente ou d’une cession à titre onéreux. Or, le partage ne réalise pas une transmission de propriété entre copartageants, mais se borne à constater l’attribution de biens préexistants. Dès lors, il échappe aux mécanismes de préemption qui reposent sur l’existence d’un transfert à titre onéreux.

C’est ainsi que le fermier ne peut exercer son droit de préemption lorsque le bien loué lui est attribué dans le cadre d’un partage successoral. La Cour de cassation l’a affirmé avec constance, rappelant que l’attribution d’un bien dans le cadre d’un partage ne constitue pas une aliénation ouvrant droit à préemption (Cass. 3e civ., 16 avr. 1970, n°67-13.666).

De la même manière, le locataire d’un logement soumis au droit de préemption prévu par l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975 ne peut se prévaloir de sa prérogative à l’occasion d’un partage, même si l’attribution porte sur l’appartement qu’il occupe. Son droit ne pourra s’exercer que si le bien est ultérieurement revendu. Il en va de même pour le droit de préemption de l’État sur les œuvres d’art mises en vente publique (C. patr., art. L. 123-1), qui ne s’applique pas si une œuvre est attribuée à un copartageant lors d’un partage.

Cette exclusion repose sur un principe clair : seuls les actes translatifs à titre onéreux peuvent donner lieu à l’exercice d’un droit de préemption. Or, le partage, par son effet déclaratif, n’implique aucun transfert de propriété d’un copartageant à l’autre, ce qui justifie l’inapplicabilité des règles de préemption.

B) L’absence d’assimilation du partage à une cession de créance

L’attribution d’une créance dans le cadre d’un partage successoral soulève une question essentielle : celle de son assimilation, ou non, à une cession de créance régie par les dispositions du Code civil. L’effet déclaratif du partage conduit à exclure cette assimilation, avec des conséquences notables en matière d’opposabilité et de formalités.

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, réformant le droit des obligations, a modifié le régime de la cession de créance, notamment en assouplissant les formalités d’opposabilité. Désormais, l’article 1324 du Code civil dispose que « la cession n’est opposable au débiteur, s’il n’y a déjà consenti, que si elle lui a été notifiée ou s’il en a pris acte. »

Ainsi, sous le régime actuel du droit des obligations, la cession de créance devient opposable au débiteur dès lors qu’il a été informé de la cession, sauf s’il y avait déjà consenti lors de l’acte initial. Tant que la cession ne lui a pas été notifiée ou acceptée, il peut se libérer valablement entre les mains du cédant, sans être inquiété par le cessionnaire.

Toutefois, ce régime ne trouve pas à s’appliquer aux attributions de créances par voie de partage, précisément en raison de l’effet déclaratif de cette opération. Contrairement à une cession, le partage ne réalise pas un transfert de propriété :

  • Dans une cession de créance, le cédant transmet son droit de créance à un cessionnaire, ce qui justifie la nécessité d’une notification au débiteur afin de clarifier son nouvel interlocuteur.
  • Dans un partage, l’attributaire d’une créance est réputé en être titulaire depuis l’origine, ce qui exclut toute nécessité de notification : il n’y a pas de changement de titulaire, mais une simple individualisation des droits déjà existants.

C’est pourquoi l’attribution d’une créance dans un partage successoral échappe aux exigences de notification imposées par l’article 1324 du Code civil.

La Cour de cassation a consacré cette solution en jugeant que l’attribution d’une créance dans un partage n’implique ni signification, ni acceptation par le débiteur. Dans un arrêt du 13 octobre 2004, elle a affirmé que les formalités de signification prévues pour la cession de créance ne s’appliquent pas au partage (Cass. 3e civ., 13 oct. 2004, n°03-12.968).

En conséquence :

  • Le débiteur n’a pas besoin d’être informé de l’attribution de la créance dans le partage : il est censé avoir toujours eu le même créancier.
  • L’attributaire de la créance peut agir directement en paiement, sans formalité préalable.
  • Le débiteur ne peut se prévaloir de la non-notification de l’attribution pour refuser de payer, contrairement à ce qui est prévu en matière de cession.

Ainsi, à la différence d’un cessionnaire, l’attributaire d’une créance dans un partage successoral ne risque pas de voir sa créance lui échapper en raison d’une absence de notification.

Le régime de la cession de créance prévoit également des règles spécifiques en matière d’exceptions opposables par le débiteur au cessionnaire.

L’article 1324, alinéa 2, du Code civil prévoit ainsi que « le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette », notamment la nullité, l’exception d’inexécution ou encore la compensation de dettes connexes.

Toutefois, en matière de partage, ce mécanisme ne trouve pas à s’appliquer. L’attributaire d’une créance est censé en être titulaire depuis l’origine, ce qui signifie que :

  • Le débiteur ne peut lui opposer que les exceptions nées avant l’ouverture de la succession ou de l’indivision.
  • Les exceptions personnelles nées du rapport entre le débiteur et le copartageant initial ne sont pas transmissibles, sauf si elles existaient avant l’indivision.

Cette distinction est fondamentale car elle garantit à l’attributaire une meilleure protection que celle accordée à un cessionnaire de droit commun, qui, lui, reste soumis aux exceptions personnelles opposables au cédant avant la notification de la cession.

Enfin, la réforme de 2016 a introduit des règles en cas de concurrence entre plusieurs cessionnaires successifs d’une même créance.

L’article 1325 du Code civil prévoit que « le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date ».

Toutefois, cette problématique est totalement étrangère au partage successoral, dès lors que :

  • Il ne peut y avoir de pluralité d’attributaires successifs d’une même créance dans un partage, chaque créance étant attribuée définitivement à un copartageant.
  • L’attribution opérée par le partage s’impose à tous sans qu’il soit possible de revendiquer une créance attribuée à un autre copartageant.

Ainsi, le partage successoral échappe aux règles de conflits entre cessionnaires successifs, qui ne concernent que les véritables cessions de créance.

VI) L’exclusion du partage en tant que mutation de référence en matière d’expropriation et de fiscalité

L’effet déclaratif du partage le distingue des actes translatifs de propriété, ce qui a des implications directes en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique et de fiscalité.

En droit de l’expropriation, la fixation de l’indemnité d’expropriation repose notamment sur une référence aux mutations intervenues dans le secteur concerné. Or, le partage, n’étant pas un acte translatif, ne peut être pris en compte comme mutation de référence aux fins de détermination de l’indemnisation du bien exproprié.

La Cour de cassation a consacré ce principe dans un arrêt du 17 janvier 1973, affirmant que le partage, ayant un effet purement déclaratif, ne peut être assimilé à une mutation et ne saurait servir de référence dans le cadre d’une procédure d’expropriation (Cass. 3e civ., 17 janv. 1973).

Cette solution repose sur la distinction entre :

  • Une mutation à titre onéreux, qui suppose un transfert de propriété entre deux parties et qui peut donc être prise en compte pour évaluer le prix du bien exproprié.
  • Le partage, qui ne transfère pas de propriété mais attribue à chaque copartageant la fraction du bien dont il était déjà propriétaire en indivision.

Dès lors, une autorité expropriante ne peut se prévaloir du prix d’un bien attribué dans un partage pour fixer l’indemnité due aux expropriés, puisqu’il ne s’agit pas d’une véritable transaction reflétant la valeur vénale du bien.

L’effet déclaratif du partage a également des conséquences fiscales notables. En principe, les actes translatifs de propriété sont soumis aux droits de mutation à titre onéreux. Toutefois, le partage, n’opérant pas de transmission de propriété entre les copartageants, échappe à cette taxation.

L’article 746 du Code général des impôts (CGI) consacre cette exonération en disposant que les partages ne sont assujettis qu’à une taxe spécifique de 2,5 % et non aux droits de mutation applicables aux ventes.

Cependant, le régime fiscal du partage a connu des aménagements, notamment concernant :

  • Les licitations entre copartageants : Lorsqu’un bien indivis est attribué à un seul héritier moyennant le paiement d’une soulte à ses cohéritiers, l’administration fiscale peut considérer cette opération comme une vente partielle, soumise aux droits de mutation (CGI, art. 750).
  • Les partages impliquant des tiers : Lorsque le partage ne se limite pas aux seuls membres de l’indivision d’origine (par exemple, lorsqu’un tiers entre dans le partage), l’administration fiscale peut également requalifier l’opération en cession taxable.

La jurisprudence a cependant rappelé que ces exceptions ne doivent pas conduire à dénaturer l’effet déclaratif du partage, qui demeure un principe fondamental du droit civil.

Quid des conséquences pratiques?

  • En matière d’expropriation, l’exproprié ne peut se voir imposer une indemnité fixée sur la base d’une attribution en partage, car il ne s’agit pas d’une vente permettant d’évaluer la valeur vénale du bien.
  • En matière fiscale, le partage reste en principe soumis à une taxation réduite, sauf exceptions concernant certaines licitations ou opérations impliquant des tiers.