Le créancier du devoir de conseil en assurance

L’identification des acteurs soumis au devoir de conseil en assurance révèle l’ampleur de la transformation opérée par l’ordonnance du 16 mai 2018. Cette réforme, transcrivant fidèlement la directive européenne du 20 janvier 2016, a considérablement élargi le cercle des débiteurs de l’obligation tout en précisant les contours de sa mise en œuvre. Au-delà des intermédiaires traditionnels, ce sont désormais l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution qui se trouvent potentiellement assujettis à cette exigence, témoignant d’une volonté résolue d’harmoniser la protection offerte aux consommateurs d’assurance.

Cet élargissement soulève des interrogations inédites quant à sa délimitation pratique. Comment articuler les obligations respectives des multiples intervenants dans les circuits de distribution contemporains ? Dans quelle mesure les nouveaux acteurs issus de la révolution numérique peuvent-ils échapper à cette qualification ? Symétriquement, l’identification des créanciers de l’obligation révèle une complexité particulière dans les montages contractuels modernes, notamment en matière d’assurance collective ou pour compte d’autrui.

Cette analyse des débiteurs et créanciers du devoir de conseil invite à repenser les catégories traditionnelles de la distribution d’assurance, révélant les tensions entre innovation technologique et impératifs de protection, entre spécialisation et responsabilité solidaire des acteurs du marché.

Nous nous focaliserons ici sur le créancier du devoir de conseil.

I. Règles générales

Le créancier du devoir de conseil est, par principe, le « souscripteur éventuel » ou « l’adhérent éventuel », selon la terminologie constante des articles L. 521-4 et L. 522-5 du Code des assurances. Cette formulation met l’accent sur le caractère précontractuel de l’obligation, conformément à l’économie générale de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.

L’emploi du terme « éventuel » traduit la finalité préventive du dispositif : il s’agit d’éclairer la décision contractuelle avant qu’elle ne soit définitivement arrêtée. Cette approche s’inscrit dans la logique consumériste qui sous-tend la réglementation européenne, visant à permettre au consommateur de « prendre une décision en connaissance de cause ».

La distinction opérée par le législateur entre « souscripteur » et « adhérent » reflète la diversité des schémas contractuels en assurance. Le souscripteur désigne celui qui contracte directement avec l’assureur dans le cadre d’une assurance individuelle, tandis que l’adhérent vise celui qui rejoint un contrat de groupe préalablement souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise, conformément à la définition de l’article L. 141-1 du Code des assurances³.

II. Les situations particulières

==>L’assurance de groupe

  • Le souscripteur du contrat groupe
    • En matière d’assurance de groupe, l’analyse du devoir de conseil se heurte à une complexité supplémentaire, liée à la structure duale du mécanisme contractuel. En effet, ce type d’assurance repose sur deux niveaux de relation juridique distincts mais articulés :
      • d’une part, un contrat d’assurance collectif conclu entre un souscripteur (généralement une personne morale, une entreprise ou une association) et l’assureur ;
      • d’autre part, des adhésions individuelles au contrat-cadre de la part des membres du groupe concerné (salariés, adhérents, emprunteurs, etc.), qui bénéficient des garanties prévues par le contrat collectif.
    • Cette dualité contractuelle engendre une dissociation entre celui qui négocie et souscrit le contrat (le souscripteur) et ceux qui en bénéficient (les adhérents), ce qui redéfinit en profondeur le périmètre et les modalités du devoir de conseil.
    • Dans ce contexte, le souscripteur – personne morale ou employeur – est seul en relation directe avec le distributeur, et peut légitimement exiger de ce dernier les informations et recommandations nécessaires avant la conclusion du contrat collectif.
    • Il lui revient en effet d’apprécier l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe qu’il entend couvrir, ce qui suppose une analyse approfondie des risques collectifs, du profil des adhérents potentiels, ainsi que des garanties et exclusions contenues dans le contrat proposé.
    • Le souscripteur occupe ainsi une position particulière : intermédiaire entre l’assureur et les bénéficiaires potentiels, il porte la responsabilité de choisir une offre adaptée aux intérêts de la collectivité.
    • Cette responsabilité implique, en contrepartie, que le distributeur lui délivre un conseil éclairé et personnalisé, portant non pas sur des besoins individuels, mais sur les caractéristiques générales du groupe à assurer.
  • Les adhérents individuels : créanciers de second rang
    • Les adhérents au contrat collectif ne sont pas parties à la négociation initiale, mais ils deviennent bénéficiaires des garanties dès leur adhésion individuelle au dispositif.
    • À ce titre, ils peuvent également être considérés comme créanciers du devoir de conseil, mais dans une mesure différente de celle du souscripteur initial. Cette qualité de créancier de second rang découle de leur besoin légitime d’être informés et conseillés sur les conditions de leur adhésion :
      • pour en comprendre la portée,
      • pour évaluer son intérêt au regard de leur situation personnelle,
      • et pour pouvoir prendre une décision éclairée, notamment lorsque l’adhésion est facultative, comme en matière d’assurance emprunteur ou de prévoyance individuelle.
    • Contrairement à la tendance générale en matière de contrats d’assurance individuels, la reconnaissance d’un devoir de conseil au profit des adhérents d’un contrat d’assurance de groupe ne constitue pas un principe général.
    • Elle demeure strictement circonscrite à certaines hypothèses, dans lesquelles un professionnel assume expressément un rôle de distributeur vis-à-vis des adhérents individuels.
    • A cet égard, La jurisprudence de la Cour de cassation a reconnu de manière nette la qualité de créancier du conseil à certains adhérents, notamment les emprunteurs adhérant à une assurance de groupe souscrite par leur banque.
    • L’arrêt de principe rendu par la chambre commerciale le 18 avril 2019 affirme que « l‘obligation d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur […] incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance »[47].
    • Cette solution ne repose pas sur une reconnaissance abstraite et générale de la qualité de créancier des adhérents, mais sur une qualification fonctionnelle du souscripteur-emprunteur comme distributeur effectif de l’assurance.
    • C’est en raison de ce rôle actif dans la commercialisation du produit que la banque est tenue d’un devoir de conseil à l’égard de l’adhérent.
    • L’article L. 141-4 du Code des assurances impose au souscripteur de remettre à chaque adhérent une notice d’information, décrivant notamment les garanties offertes et les modalités de mise en œuvre du contrat.
    • Cette obligation traduit un droit à l’information à la charge du souscripteur, mais ne fonde pas à elle seule un véritable devoir de conseil au sens de l’article L. 521-4.
    • Le devoir de conseil suppose en effet :
      • une relation directe entre un professionnel et l’adhérent ;
      • un recueil d’informations personnelles ;
      • une recommandation individualisée.
    • Or, dans la plupart des régimes collectifs, l’adhésion se fait sans contact personnalisé avec un distributeur, par simple acceptation des conditions du contrat-cadre.
    • En l’absence de ce lien personnel, l’adhérent n’est pas considéré comme créancier du conseil, sauf circonstances particulières.
    • La reconnaissance de la qualité de créancier du conseil pour l’adhérent dépend donc étroitement des modalités de son adhésion :
      • En cas d’adhésion facultative (assurance emprunteur, prévoyance complémentaire), l’adhérent dispose d’un pouvoir de choix. Il doit être en mesure de comparer les options disponibles et d’évaluer l’intérêt de son adhésion au regard de sa situation personnelle. Dans ce cas, si un professionnel agit comme distributeur à son égard, un devoir de conseil peut s’appliquer.
      • En cas d’adhésion obligatoire (ex. : assurance collective d’entreprise à caractère obligatoire), le besoin de conseil est atténué : l’adhérent n’a pas à choisir, il subit une affiliation imposée. Le droit à l’information subsiste, mais le devoir de conseil n’a pas lieu de s’exercer de la même manière.
    • Lorsque les conditions sont réunies, la situation conduit à une configuration à créanciers multiples du devoir de conseil :
      • Le souscripteur reste créancier du conseil vis-à-vis du distributeur pour ce qui concerne l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe ;
      • L’adhérent, quant à lui, peut devenir créancier d’un conseil individualisé dans la seule mesure où un professionnel assume un rôle actif de distribution à son égard.
    • C’est cette condition – l’existence d’un acte de distribution au profit de l’adhérent – qui fonde ou exclut l’application du devoir de conseil.
    • À défaut, aucun distributeur ne peut être tenu d’une obligation qu’il n’a pas eu l’occasion d’exercer.
    • La prudence de la jurisprudence et de la doctrine s’explique ainsi : la qualité de créancier du devoir de conseil n’est jamais présumée en matière d’assurance de groupe, mais doit être analysée au cas par cas, selon les circonstances concrètes de l’adhésion et l’identité du professionnel impliqué.

==>L’assurance pour compte

L’assurance pour compte constitue un mécanisme particulier où une personne souscrit une assurance non pas pour elle-même, mais pour le compte d’autrui, qu’il soit déterminé ou déterminable au moment du sinistre. Cette configuration soulève des questions spécifiques quant à l’identification des créanciers du devoir de conseil.

  • Principe
    • La jurisprudence admet désormais que le bénéficiaire de l’assurance pour compte peut se prévaloir d’un défaut de conseil, même en l’absence de lien contractuel direct avec l’assureur ou le distributeur. Cette solution s’écarte du principe traditionnel de l’effet relatif des contrats pour privilégier une approche fonctionnelle centrée sur la finalité protectrice de l’assurance.
    • Un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2018 illustre cette évolution (Cass. 1re civ., 18 janv. 2018, n°16-29.062 et 17-10.189).
    • En l’espèce, une SCI, propriétaire de murs loués à un exploitant de discothèque, se trouvait dans une situation d’assurance pour compte particulièrement révélatrice.
    • La SCI, représentée par son gérant, louait des murs à un exploitant qui y exploitait une discothèque.
    • Par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en assurances, l’exploitant avait conclu « tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d’assurance », sur la base d’un questionnaire « renseigné et signé par lui ainsi que par [le gérant de la SCI] ».
    • Lors de la destruction de la discothèque par incendie, l’assureur a pu opposer à la SCI la faute intentionnelle de l’exploitant-souscripteur et refuser sa garantie.
    • La SCI et son gérant ont alors assigné l’assureur du courtier, estimant que ce dernier « avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l’étendue de la police d’assurance souscrite pour le compte de la SCI ».
    • La cour d’appel avait initialement adopté une position restrictive, considérant que « le contrat d’assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l’assurance par l’intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d’information ».
    • Elle avait également retenu que « le seul fait que [le gérant de la SCI] ait pu suivre de près la négociation du contrat d’assurance en présence du préposé [du courtier] n’est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d’obligations à son égard ou à l’égard de la société qu’il représentait ».
    • La Cour de cassation censure cette analyse au visa de l’article L. 520-1, II, du Code des assurances (devenu L. 521-4).
    • Elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu des « motifs impropres à établir» l’absence d’obligation du courtier.
    • La Haute juridiction considère qu’en l’espèce, lorsque le gérant de la SCI avait « conjointement avec [l’exploitant], consulté [le courtier], remplissant et signant avec lui le questionnaire qu’elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie », la SCI avait acquis « la qualité de souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification emporte des conséquences importantes : le courtier était dès lors « tenu d’une obligation d’information sur les conséquences, pour l’assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d’une obligation de conseil relative à l’adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir ».
  • Fondement
    • Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence développée en matière d’action directe.
    • Comme l’a établi l’arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006, un tiers peut reprocher à un contractant l’inexécution de ses obligations contractuelles si cette inexécution lui cause un préjudice.
    • L’arrêt “Boot Shop” ou “Myr’ho” (Cass. Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255) pose le principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
    • Cette solution, initialement développée en matière de responsabilité délictuelle, trouve ici une application particulière.
    • L’assurance pour compte a précisément pour objet de protéger des personnes qui ne sont pas parties au contrat initial.
    • Il serait paradoxal que ces bénéficiaires, pour la protection desquels l’assurance a été souscrite, ne puissent invoquer les manquements du distributeur qui les privent d’une couverture adéquate.
    • Certains auteurs analysent cette situation à travers le prisme de la stipulation pour autrui.
    • Le souscripteur stipulerait le bénéfice du conseil au profit du bénéficiaire final, créant ainsi un lien juridique direct entre ce dernier et le distributeur.
  • Modalités d’application
    • Les conditions de mise en œuvre
      • Pour que le bénéficiaire puisse invoquer un défaut de conseil, plusieurs conditions doivent être réunies :
        • L’existence d’une assurance pour compte : Il faut établir que l’assurance a bien été souscrite dans l’intérêt d’autrui
        • Un préjudice direct : Le bénéficiaire doit démontrer qu’il subit personnellement un préjudice du fait du défaut de conseil
        • Un lien de causalité : Le préjudice doit résulter directement du manquement aux obligations de conseil
    • L’étendue du conseil dû
      • Le conseil dû au bénéficiaire porte principalement sur :
        • L’existence même de l’assurance et son périmètre de couverture
        • L’adéquation des garanties aux risques effectivement encourus par le bénéficiaire
        • Les modalités de mise en œuvre des garanties
        • Les exclusions susceptibles d’affecter la couverture
  • Portée
    • L’arrêt du 18 janvier 2018 introduit une notion nouvelle : celle de «souscripteur éventuel » en matière d’assurance pour compte.
    • Cette qualification ne procède pas d’un lien contractuel direct, mais de la participation effective du bénéficiaire au processus de souscription.
    • L’arrêt dégage plusieurs critères pour reconnaître cette qualité :
      • La consultation conjointe du distributeur par le souscripteur formel et le bénéficiaire
      • La participation active au processus d’évaluation du risque (remplissage et signature du questionnaire)
      • La manifestation de volonté de voir le bien assuré contre les risques identifiés
    • Une fois cette qualité reconnue, le distributeur assume deux obligations spécifiques vis-à-vis du bénéficiaire :
      • Une obligation d’information sur les conséquences des causes de non-garantie opposables au souscripteur formel
      • Une obligation de conseil sur l’adaptation du contrat aux risques que le bénéficiaire entend voir garantir
    • Aussi, la portée exacte de cette jurisprudence reste à préciser.
    • Tous les bénéficiaires d’assurance pour compte n’acquièrent pas automatiquement la qualité de « souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification semble subordonnée à une participation effective au processus de souscription.

III. La modulation du conseil selon les compétences du créancier

==>Le principe de proportionnalité

  • L’adaptation du devoir aux capacités du créancier
    • Le devoir de conseil n’est pas figé : il s’adapte au profil du destinataire.
    • L’un de ses traits essentiels est sa modulation en fonction des compétences du créancier, selon une logique de proportionnalité qui irrigue aussi bien le droit de la consommation que celui des relations professionnelles.
    • La jurisprudence consacre expressément ce principe.
    • Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les capacités du créancier » (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°17-31.408).
    • En l’espèce, une société exploitant un domaine viticole avait, avec l’aide d’un courtier, remplacé un contrat multirisque agricole par un contrat multirisque industriel. À la suite d’un sinistre, elle reprochait au courtier un défaut de conseil, en invoquant des lacunes de couverture par rapport à l’ancien contrat.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la responsabilité du courtier. Elle relève que le dirigeant :
      • s’était personnellement chargé de définir les montants à garantir ;
      • avait souscrit le contrat en connaissance de cause ;
      • et que les clauses litigieuses étaient suffisamment claires pour qu’un professionnel averti comprenne les différences de couverture.
    • En particulier, les juges avaient noté que les limitations de garantie étaient expressément stipulées, telles que la couverture des pertes plafonnée à 150 000 € ou l’indemnisation calculée sur la base du prix de revient.
    • Cet arrêt illustre parfaitement que l’implication du client dans la définition des garanties, jointe à la clarté des stipulations contractuelles, peut exonérer le courtier de sa responsabilité pour défaut de conseil lorsque le client est un professionnel expérimenté.
    • Cette solution jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes structurants :
      • L’évaluation concrète des compétences : Le juge doit apprécier, au cas par cas, si le souscripteur avait les capacités techniques ou juridiques de comprendre la portée du contrat.
      • La valorisation de l’implication personnelle : Lorsque le client s’implique directement dans la définition du contrat, son autonomie réduit d’autant le devoir d’assistance du professionnel.
      • La clarté des stipulations contractuelles : Un professionnel averti ne saurait invoquer un défaut de conseil sur des clauses claires, compréhensibles et librement négociées.
    • L’obligation de conseil demeure une obligation de moyens renforcée, exigeant une démarche proactive du professionnel.
    • Toutefois, cette obligation n’implique pas un devoir de vigilance uniforme et maximal dans tous les cas.
    • Le droit impose une juste proportion entre l’intensité du devoir et le degré de compétence du cocontractant.
    • Cette modulation permet de concilier deux exigences :
      • la protection des souscripteurs profanes, en leur garantissant un accompagnement adapté à leur niveau de compréhension ;
      • et la responsabilisation des professionnels avertis, qui ne peuvent se défausser de leur autonomie décisionnelle en invoquant systématiquement un défaut de conseil.
  • Les critères d’appréciation de la compétence
    • La détermination du niveau de compétence du créancier s’effectue selon plusieurs paramètres.
    • L’expérience professionnelle constitue un critère déterminant, comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 1991 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, n° 90-15.029).
    • En l’espèce, un artisan-couvreur reprochait à son assureur et à l’agent général un manquement au devoir de conseil, soutenant qu’ils auraient dû «l’éclairer sur l’érosion de sa garantie au fil de dix années d’assurances» et lui «conseiller une révision du taux de garantie».
    • L’artisan estimait que l’agent général avait « manqué à son devoir de renseignement et de conseil » en ne l’alertant pas sur l’insuffisance progressive de sa couverture due à l’inflation.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé qu’« en sa qualité d’artisan [l’assuré] était à même d’apprécier l’évolution des prix consécutive à l’érosion monétaire et de veiller à faire modifier, en conséquence, ses polices d’assurance ».
    • La Haute juridiction valide la déduction selon laquelle « en l’espèce l’agent n’était pas tenu à un devoir de renseignement et de conseil particulier sur ce point ».
    • Cette solution illustre parfaitement la prise en compte de l’expérience professionnelle dans l’appréciation des compétences du créancier.
    • L’artisan, par sa pratique quotidienne et sa connaissance du marché de la construction, était présumé capable d’appréhender les effets de l’inflation sur la valeur de ses biens et activités.
    • Cette expertise professionnelle justifie l’allègement correspondant du devoir de conseil de l’intermédiaire.
    • La formation et le parcours professionnel sont également pris en considération dans l’évaluation des compétences du créancier.
    • Ainsi, une cour d’appel a pu débouter un souscripteur « diplômé de l’École normale, de l’institut d’études politiques et de l’ENA » de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de conseil, considérant que son niveau de formation lui permettait d’appréhender les enjeux du contrat d’assurance-vie litigieux[48].
    • Cette approche différenciée témoigne de la volonté jurisprudentielle d’adapter l’intensité du devoir de conseil aux capacités réelles du créancier, évitant ainsi une infantilisation excessive des professionnels et des personnes disposant d’une formation ou d’une expérience particulière.

==>La typologie des créanciers selon leurs compétences

  • Les consommateurs profanes
    • Les particuliers dépourvus d’expérience en matière d’assurance constituent la catégorie de créanciers bénéficiant de la protection la plus étendue.
    • Cette situation s’enracine dans le déséquilibre informationnel caractérisant la relation entre le professionnel de l’assurance et le consommateur.
    • L’arrêt fondateur de la première chambre civile du 10 novembre 1964 impose au courtier d’être « un guide sûr et expérimenté », formule qui a irrigué l’ensemble de la jurisprudence ultérieure (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411).
    • Cette exigence traduit la mission éducatrice dévolue aux professionnels de l’assurance vis-à-vis de leur clientèle non avertie.
  • Les consommateurs avertis
    • La pratique judiciaire a fait émerger une catégorie intermédiaire de consommateurs avertis, qui, sans être des professionnels de l’assurance, disposent d’une expérience ou de compétences particulières justifiant un allègement du devoir de conseil.
    • Un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 janvier 2004 qualifie ainsi un souscripteur de contrat d’assurance-vie chef d’entreprise, par ailleurs gestionnaire avisé d’un compte d’épargne en actions (PEA) ayant choisi dans un but spéculatif d’investir ses actifs sur des unités de compte (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).
    • L’évaluation du caractère averti du consommateur s’effectue de manière casuistique.
    • La jurisprudence examine les circonstances concrètes révélatrices de l’expérience du souscripteur, notamment ses investissements antérieurs et sa familiarité avec les produits financiers.
  • Les professionnels avertis
    • Le devoir de conseil, s’il constitue en principe une obligation de vigilance renforcée à la charge du distributeur, n’est pas exercé avec la même intensité envers tous les souscripteurs.
    • La jurisprudence admet une modulation de son contenu en fonction des compétences professionnelles ou de l’expérience technique du créancier de l’obligation.
    • Cette modulation repose sur l’idée que certains professionnels disposent d’un niveau de connaissance suffisant pour appréhender les enjeux juridiques et économiques d’un contrat d’assurance, de sorte qu’un conseil personnalisé ou insistant serait redondant, voire inutile.
    • Deux arrêts de la deuxième chambre civile illustrent cette approche.
      • Le cas du mandataire judiciaire (Cass. 2e civ., 16 mai 2013, n° 12-19.119)
        • Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un professionnel qui reprochait à l’assureur de ne pas l’avoir informé de la brièveté du délai de prescription applicable à son action.
        • La Haute juridiction valide l’appréciation des juges du fond ayant retenu que le demandeur, en sa qualité de mandataire judiciaire, était présumé connaître la règle de droit invoquée.
        • Cette décision marque une ligne claire : lorsque le créancier est un professionnel du droit ou de la procédure, la jurisprudence ne fait pas peser sur l’assureur ou son intermédiaire une obligation d’alerte sur des éléments juridiques accessibles au professionnel concerné, dès lors qu’ils relèvent de sa sphère de compétence habituelle.
      • Le cas du professionnel de l’immobilier (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-19.454)
        • Dans cette seconde espèce, un professionnel de l’immobilier, qui avait procédé de lui-même à une renégociation de ses garanties, reprochait à l’assureur de ne pas avoir proposé une couverture sur un bien spécifique ultérieurement sinistré.
        • La Cour de cassation rejette sa demande, en considérant qu’il avait sciemment exclu ledit bien du périmètre d’assurance et qu’en sa qualité de professionnel, il devait être en mesure d’apprécier les conséquences de ses propres choix contractuels.
        • Il en ressort que la responsabilité du professionnel averti est pleinement engagée lorsqu’il prend seul l’initiative de définir le périmètre des garanties, sans solliciter d’éclaircissements ou sans faire état d’une incertitude particulière.
    • Ces deux décisions permettent de dégager une grille d’analyse de l’intensité du devoir de conseil envers les professionnels avertis :
      • L’expérience technique ou juridique du souscripteur justifie une atténuation du devoir de conseil, en particulier lorsqu’il dispose, de par sa profession, d’une connaissance suffisante du domaine considéré.
      • L’autonomie décisionnelle du professionnel est prise en compte : lorsqu’il élabore seul le projet de couverture ou renégocie les garanties sans demande d’assistance, il est tenu pour pleinement informé.
      • La clarté des stipulations contractuelles joue un rôle déterminant : un professionnel ne peut invoquer un manquement au devoir de conseil s’il était à même de comprendre les termes du contrat, à défaut d’ambiguïté ou de complexité manifeste.
    • L’obligation de conseil n’est pas purement évincée à l’égard des professionnels avertis. Elle demeure, mais son contenu s’adapte à la qualité du souscripteur.
    • Ainsi, le distributeur n’est pas dispensé de toute vigilance, mais il n’est tenu de faire porter son conseil que sur les points objectivement ambigus ou manifestement omis, sans devoir alerter sur des évidences juridiques ou des conséquences manifestes pour un professionnel expérimenté.
    • Cette solution assure un équilibre entre protection du client et reconnaissance de sa compétence, en évitant une infantilisation du souscripteur averti tout en préservant l’exigence de rigueur à l’égard du distributeur.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Le débiteur du devoir de conseil en assurance

L’identification des acteurs soumis au devoir de conseil en assurance révèle l’ampleur de la transformation opérée par l’ordonnance du 16 mai 2018. Cette réforme, transcrivant fidèlement la directive européenne du 20 janvier 2016, a considérablement élargi le cercle des débiteurs de l’obligation tout en précisant les contours de sa mise en œuvre. Au-delà des intermédiaires traditionnels, ce sont désormais l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution qui se trouvent potentiellement assujettis à cette exigence, témoignant d’une volonté résolue d’harmoniser la protection offerte aux consommateurs d’assurance.

Cet élargissement soulève des interrogations inédites quant à sa délimitation pratique. Comment articuler les obligations respectives des multiples intervenants dans les circuits de distribution contemporains ? Dans quelle mesure les nouveaux acteurs issus de la révolution numérique peuvent-ils échapper à cette qualification ? Symétriquement, l’identification des créanciers de l’obligation révèle une complexité particulière dans les montages contractuels modernes, notamment en matière d’assurance collective ou pour compte d’autrui.

Cette analyse des débiteurs et créanciers du devoir de conseil invite à repenser les catégories traditionnelles de la distribution d’assurance, révélant les tensions entre innovation technologique et impératifs de protection, entre spécialisation et responsabilité solidaire des acteurs du marché.

Nous nous focaliserons ici sur les débiteurs du devoir de conseil.

L’identification des débiteurs du devoir de conseil en assurance révèle une architecture complexe où se mêlent obligations légales et constructions prétoriennes. Comme le souligne Jean Bigot, « l’obligation de conseil des intermédiaires d’assurances [est devenue] l’une des caractéristiques de leur activité »[32]. Cette obligation, initialement d’origine jurisprudentielle, a connu une consécration légale progressive qui en a étendu le champ d’application à de nouveaux débiteurs.

i. Les personnes assujetties au devoir de conseil

==>Les entreprises d’assurance

  • Les assureurs stricto sensu
    • La directive sur la distribution d’assurance de 2016, transposée par l’ordonnance du 16 mai 2018, a marqué un tournant décisif en soumettant expressément les entreprises d’assurance pratiquant la vente directe aux mêmes obligations de conseil que les intermédiaires.
    • Comme l’observe Luc Mayaux, cette évolution répond à un impératif d’égalité de traitement : « la clientèle doit disposer des mêmes protections quel que soit le canal de distribution ».
    • L’article L. 521-4 du Code des assurances impose désormais à tout distributeur, y compris l’entreprise d’assurance en vente directe, de « préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et de lui «fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé ».
    • Cette obligation se double d’un véritable devoir de conseil consistant à conseiller « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ».
    • La jurisprudence avait d’ailleurs anticipé cette évolution législative en sanctionnant régulièrement les manquements de l’assureur à son devoir de conseil[33].
    • Ainsi, dans l’affaire de l’exposition « Our Body », la Cour de cassation a retenu la responsabilité contractuelle de l’assureur qui n’avait pas « attiré l’attention de la société organisatrice de l’exposition sur le risque d’annulation de l’exposition » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-19.729).
  • Les mutuelles et institutions de prévoyance
    • L’ordonnance de 2018 a étendu le champ d’application du devoir de conseil aux organismes relevant du Code de la mutualité et du Code de la sécurité sociale.
    • L’article L. 116-6 du Code de la mutualité dispose que « les dispositions du Code des assurances relatives aux distributeurs d’assurance sont applicables aux mutuelles et unions régies par le livre III du présent code, sous réserve des règles propres à ces mutuelles ou unions ».
    • Cette extension répond à une logique de cohérence du système juridique, comme le relève Hubert Groutel : « il serait paradoxal que les assurés bénéficient d’une protection différente selon qu’ils s’adressent à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance »[34].

==>Les distributeurs d’assurance

  • Les courtiers d’assurance
    • Les courtiers constituent historiquement les premiers débiteurs du devoir de conseil. La jurisprudence les a très tôt qualifiés de « guide sûr et conseiller expérimenté »[35], imposant à leur charge une obligation particulièrement étendue en raison de leur indépendance supposée vis-à-vis des assureurs.
    • Cette obligation revêt une intensité particulière pour les courtiers, comme le souligne Pierre-Grégoire Marly : « le courtier doit être en mesure de proposer à son client un contrat qui, non seulement correspondrait au mieux à ses exigences et ses besoins de garantie, mais offrirait les meilleures conditions tarifaires »[36].
  • Les agents généraux d’assurance et autres mandataires d’assurance
    • Bien que mandataires des compagnies d’assurance, les agents généraux sont également tenus du devoir de conseil envers leur clientèle. Cette situation peut créer un conflit d’intérêts potentiel, comme le note un auteur: «l’agent général se trouve dans la situation délicate de devoir servir à la fois les intérêts de son mandant assureur et ceux de sa clientèle »[37].
    • La Cour de cassation a tranché cette difficulté en affirmant que « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public, l’agent général est tenu d’une obligation de conseil »[38].
    • Cette solution s’impose désormais avec force compte tenu des termes de l’article L. 521-1 du Code des assurances qui impose aux distributeurs d’agir « au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».

==>Les souscripteurs de contrats collectifs

  • Les employeurs
    • Dans le cadre des assurances collectives, l’employeur souscripteur endosse une double casquette.
    • Bénéficiaire du conseil en tant que souscripteur, il devient également débiteur d’une obligation de conseil envers ses salariés adhérents, comme le précise l’article L. 141-4 du Code des assurances.
    • Cette situation particulière a été analysée par Laurent Mayaux qui observe que « le souscripteur de l’assurance de groupe proposée à l’adhésion devient comme distributeur d’assurance, véritable Janus bifrons »[39].
    • L’employeur concentre aujourd’hui l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par les contrats de groupe proposés à l’adhésion des salariés.
  • Les établissements de crédit
    • Les banques prêteuses qui souscrivent des assurances de groupe en garantie des prêts qu’elles accordent sont soumises à un devoir de conseil particulièrement strict.
    • La Cour de cassation a solennellement affirmé que l’obligation « d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts » à sa situation personnelle «incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance», ajoutant même qu’«aucun devoir de conseil ou de mise en garde n’incombait à l’assureur de groupe» (Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11.108).
    • L’établissement de crédit concentre ainsi l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par le contrat de groupe souscrit au profit des emprunteurs.
    • Cette jurisprudence, construite avant l’inscription dans la loi de l’obligation d’information et de conseil à la charge de tout distributeur d’assurance, n’en prend que plus de force aujourd’hui.
  • Les associations et personnes morales
    • Les associations d’épargnants et autres personnes morales qui souscrivent des contrats de groupe sont également tenues d’un devoir de conseil envers leurs adhérents.
    • Cette obligation découle de leur qualité de distributeur au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.
    • Il convient de noter que lorsque le distributeur à titre accessoire, souscripteur du contrat de groupe dont il propose une adhésion à ses clients, est un professionnel d’une autre spécialité, le distributeur qui a placé le contrat de groupe a obligation « de conseiller utilement le souscripteur, distributeur à titre accessoire sur l’étendue des garanties », et d’attirer plus spécialement son attention sur « les exclusions et limites » qu’elles comportent (Cass. 2? civ., 29 mars 2018, n° 17-14.975).
  • Les prestataires de services numériques
    • La révolution numérique a profondément bouleversé l’écosystème de la distribution d’assurance, faisant émerger de nouveaux acteurs dont le statut juridique soulève des interrogations inédites.
    • Les plateformes et comparateurs en ligne incarnent cette mutation technologique qui questionne les frontières traditionnelles de l’intermédiation d’assurance et, par voie de conséquence, l’application du devoir de conseil.
    • Contrairement à une idée répandue, les comparateurs d’assurance en ligne n’ont jamais bénéficié d’un statut dérogatoire en droit français.
    • La multiplication des plateformes de comparaison n’a pas donné lieu à une catégorie juridique autonome.
    • Comme l’a rappelé l’ACPR dès 2015, « le statut de comparateur n’est ni défini, ni reconnu spécifiquement par la réglementation française ».
    • Cette lacune juridique a longtemps créé une zone d’incertitude quant au régime applicable à ces nouveaux acteurs, nombreux étant ceux qui arguaient de la spécificité de leur activité pour échapper aux obligations traditionnelles de l’intermédiation d’assurance.
    • La directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA) a permis de clarifier cette question en adoptant une approche fonctionnelle plutôt que statutaire.
    • Elle considère comme constitutive de distribution d’assurance : « la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. »
    • Cette définition a été fidèlement transposée en droit français à l’article L. 511-1, I, alinéa 2 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018.
    • Le texte français reprend substantiellement la formulation européenne en précisant : « est également considérée comme de la distribution d’assurances la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le souscripteur ou l’adhérent peut conclure le contrat directement ou indirectement au moyen du site internet ou par d’autres moyens de communication. »
    • A l’analyse, la qualification d’activité de distribution repose sur plusieurs critères cumulatifs définis par l’article L. 511-1 :
      • La fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par l’utilisateur
      • L’établissement d’un classement de produits comprenant une comparaison des prix et des produits
      • La possibilité pour l’utilisateur de conclure un contrat directement ou indirectement par le biais de la plateforme
    • Cette approche téléologique privilégie la substance économique de l’activité sur sa forme juridique, conformément à l’esprit de la directive européenne visant à éviter les contournements réglementaires.
    • Cette qualification n’est pas neutre sur le plan juridique.
    • Elle implique que les comparateurs d’assurance relèvent intégralement du champ de la réglementation applicable aux distributeurs et sont donc soumis à l’ensemble des obligations professionnelles prévues par le Code des assurances, notamment :
      • L’obligation d’immatriculation à l’ORIAS (article L. 512-1)
      • L’obligation de capacité professionnelle (articles L. 512-7 et suivants)
      • Les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts (article L. 521-1)
      • Le respect des règles de conduite (articles L. 521-1 à L. 521-6)
      • Et surtout, le devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4
    • Sur ce dernier point, la position de l’ACPR est explicite et sans ambiguïté : «dans ce contexte, le comparateur d’assurance sur Internet est avant tout un courtier d’assurance ».
    • Cette qualification entraîne l’application intégrale du régime de responsabilité prévu pour les intermédiaires d’assurance.
    • Il en résulte que, dès lors qu’un comparateur permet au souscripteur de conclure un contrat, directement ou par redirection vers un partenaire, il doit être regardé comme participant à l’acte de distribution et, à ce titre, tenu d’un devoir de conseil à l’égard de l’utilisateur.
    • Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le comparateur doit :
      • Préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel
      • Fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse
      • Conseiller un contrat cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur
      • Préciser les raisons qui motivent ce conseil
    • L’application de ces obligations aux comparateurs soulève des difficultés pratiques particulières :
      • La limitation du périmètre de comparaison : aucun comparateur ne peut avoir accès à l’ensemble du marché, ce qui questionne la pertinence du conseil fourni
      • L’automatisation du processus : la dimension largement automatisée de la comparaison peut entrer en tension avec l’exigence de personnalisation du conseil
      • La transparence sur les partenariats : l’obligation d’information sur les conflits d’intérêts impose de révéler les accords commerciaux avec les assureurs référencés
    • Comme le souligne l’ACPR, « les comparateurs ont développé une approche marketing qui s’appuie sur le sentiment qu’ont les internautes d’avoir accès à une base d’informations sans limite ».
    • Cette communication peut créer une confusion préjudiciable aux consommateurs qui croient bénéficier d’une vision exhaustive du marché.
    • À ce jour, l’autorité de régulation constate que « la majorité des comparaisons se fait sur le seul critère tarifaire, sans que le consommateur soit averti des limites du conseil fourni ou que la fiabilité des offres présentées soit garantie».
    • Cette approche essentiellement tarifaire entre en contradiction avec l’obligation de conseil qui impose de prendre en compte l’ensemble des besoins du souscripteur et non le seul critère économique.

ii. Les personnes non assujetties au devoir de conseil

L’identification des personnes exclues du devoir de conseil répond à une logique de proportionnalité et d’efficience économique. Comme le souligne Daniel Langé, « ces exclusions visent à éviter l’application d’obligations inadaptées à certaines situations où le déséquilibre informationnel justifiant le devoir de conseil n’existe pas »[40].

==>Les exclusions liées à la nature des risques

  • Les grands risques
    • L’article L. 521-5 du Code des assurances exclut expressément de l’obligation de conseil « la présentation d’un contrat couvrant les risques mentionnés à l’article L. 111-6 ».
    • Cette exclusion concerne deux catégories de risques distincts.
      • Les grands risques par nature
        • Certains risques relèvent de la catégorie des grands risques en raison de leur objet même.
        • Il s’agit notamment des véhicules ferroviaires, aériens, maritimes, lacustres et fluviaux ainsi que la responsabilité civile afférente à ces véhicules, les marchandises transportées, les installations d’énergies marines renouvelables définies par décret en Conseil d’État, et les assurances crédit et caution lorsque le souscripteur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale en rapport avec le risque couvert.
      • Les grands risques par la taille
        • Dans les autres branches d’assurance de dommages, la qualification de grand risque dépend de la taille de l’entreprise souscriptrice.
        • Le risque n’est « grand » que si l’entreprise dépasse les limites d’au moins deux des trois critères chiffrés visés à l’article R. 111-1 du Code des assurances : total du bilan supérieur à 6,2 millions d’euros, chiffre d’affaires supérieur à 12,8 millions d’euros, ou plus de 250 salariés en moyenne.
    • Cette exclusion des grands risques du champ d’application du devoir de conseil se justifie par la présomption de compétence des souscripteurs de cette catégorie de risques.
    • Comme l’explique Jérôme Kullmann : « Le législateur considère que la personne qui cherche à assurer des grands risques détient les connaissances et l’expertise nécessaires pour décider, de son propre chef, de souscrire tel ou tel contrat d’assurance »[41].
    • Laurent Mayaux nuance cette approche en observant qu’« autant peut-on comprendre la dispense d’assistance du distributeur auprès de la grande entreprise, dans la mesure où elle dispose en interne des moyens de mobiliser à travers une direction des risques et assurances les compétences nécessaires »[42].Toutefois, il souligne que même ces entreprises « ne peuvent se mettre à la place de l’assureur dans l’appréciation du risque et du règlement de l’éventuel sinistre ».
    • Cette exclusion des grands risques peut donc paraître discutable s’agissant des entreprises qui, bien que dépassant les seuils quantitatifs, ne disposent pas nécessairement en interne des compétences techniques spécialisées pour apprécier tous les aspects de l’assurance, notamment les exclusions complexes ou les mécanismes de franchise sophistiqués.
  • Les traités de réassurance
    • Les traités de réassurance sont également exclus du champ du devoir de conseil.
    • Cette exclusion trouve sa justification dans la nature même de ces opérations, comme l’explique Daniel Langé : la réassurance est négociée «entre deux parties professionnelles de l’assurance entre lesquelles on postule l’égalité de compétence pour aborder la négociation du traité ».
    • Hubert Groutel précise que «cette exclusion se comprend aisément dans la mesure où la réassurance met en relation des professionnels de l’assurance disposant, par hypothèse, des mêmes compétences techniques»[43].
    • L’asymétrie informationnelle qui justifie le devoir de conseil dans les relations entre professionnels et consommateurs disparaît dans ce contexte.

==>Les exclusions liées au statut de l’intermédiaire

  • Les intermédiaires à titre accessoire
    • L’article L. 513-1 du Code des assurances prévoit un régime dérogatoire pour certains intermédiaires à titre accessoire.
    • Ces intermédiaires, « qui, comme l’indique leur dénomination, bénéficient de dérogations aux exigences s’imposant aux autres intermédiaires à raison de la simplicité des produits d’assurance qu’ils distribuent »[44], échappent partiellement aux obligations de conseil.
    • Cette dérogation concerne notamment la distribution d’assurances dites «affinitaires», caractérisées par leur simplicité et leur standardisation.
    • Comme le note Philippe Maystadt, « ces produits, souvent liés à l’achat d’un bien ou d’un service principal, présentent des caractéristiques suffisamment simples pour ne pas justifier un conseil approfondi »[45].
    • Toutefois, cette dérogation ne doit pas compromettre la protection des consommateurs.
    • L’article L. 513-2 du Code des assurances prévoit que c’est à l’entreprise ou à l’intermédiaire d’assurance qui distribuent via l’intermédiaire à titre accessoire de faire en sorte que des “dispositions appropriées et proportionnées” soient prises pour assurer le respect des dispositions relatives aux règles de conduite.
  • Les courtiers grossistes
    • Les courtiers grossistes occupent une position singulière dans l’organisation du marché de l’assurance.
    • Contrairement aux courtiers dits traditionnels ou « détaillants », ils interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits, en négociant les conditions de couverture avec les assureurs, ou encore en structurant l’offre assurantielle destinée à être diffusée par un réseau d’apporteurs ou de courtiers distributeurs.
    • Comme l’explique Jean Bigot, « les courtiers grossistes interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits ou en négociant des conditions avec les assureurs, mais sans contact avec l’assuré final »[46].
    • Leur rôle est ainsi souvent double : ils peuvent être distributeurs de produits d’assurance, tout en exerçant, dans certains cas, une fonction de délégataire de gestion pour le compte d’un assureur.
      • La fonction de distributeur auprès d’un réseau d’intermédiaires
        • Lorsqu’ils interviennent en qualité de distributeurs, les courtiers grossistes conçoivent des produits qu’ils mettent à disposition de courtiers détaillants, chargés de les proposer aux clients finaux.
        • Dans ce schéma, le courtier grossiste ne contracte pas avec le candidat à l’assurance et ne participe pas à l’acte de distribution final.
        • C’est le courtier détaillant – titulaire d’un mandat de placement de risques conféré par l’assuré – qui exerce l’intermédiation de proximité et recueille les besoins du client.
        • Il en découle que le devoir de conseil repose exclusivement sur ce dernier, seul en mesure d’évaluer les attentes du souscripteur, de l’interroger, de le mettre en garde, et de lui recommander un contrat adéquat.
        • Le courtier grossiste, en revanche, n’entretient aucun lien contractuel ni relation commerciale avec le preneur d’assurance.
        • Mieux encore, il n’est pas autorisé à en avoir, car le client appartient exclusivement au courtier distributeur.
        • Toute ingérence du courtier grossiste dans cette relation pourrait être qualifiée de détournement de clientèle, et engager sa responsabilité délictuelle.
        • Dans ces conditions, il serait juridiquement incohérent de lui imposer un devoir de conseil qu’il n’a ni les moyens ni le droit d’exercer.
      • La fonction de délégataire de gestion pour le compte de l’assureur
        • Par ailleurs, certains courtiers grossistes assument, en parallèle de leur activité de distribution, une mission de gestion administrative pour le compte de l’assureur, dans le cadre d’une délégation de gestion.
        • Ils interviennent alors en exécution du contrat d’assurance, souvent après la souscription, et accomplissent des actes tels que l’émission des pièces contractuelles, la gestion des sinistres ou le recouvrement des primes.
        • Dans ce cadre, le courtier grossiste agit au nom et pour le compte de l’assureur.
        • Il n’est plus un distributeur, mais un gestionnaire délégué, placé sous l’autorité juridique du porteur de risque.
        • Même lorsque cette mission de gestion implique un contact direct avec l’assuré (par exemple lors du traitement d’un sinistre ou de l’émission d’un certificat), aucun devoir de conseil autonome ne peut naître à sa charge, car il n’accomplit pas d’acte de distribution.
        • Le cas échéant, s’il devait exister une obligation de conseil dans le cadre de la gestion, celle-ci ne pourrait être imputée qu’à l’assureur, débiteur naturel du devoir, et non au délégataire, qui n’intervient que par représentation.
    • La question de savoir si un courtier grossiste peut être tenu au devoir de conseil à l’égard de l’assuré final a été expressément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.090).
    • En l’espèce, une assurée reprochait à la société April, intervenant en qualité de courtier grossiste, un manquement à son devoir de conseil lors de l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe emprunteur, souscrit par l’intermédiaire d’une association.
    • La société April agissait exclusivement dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur, la société Axeria Prévoyance.
    • Elle n’avait ni commercialisé le contrat, ni participé à son élaboration.
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que « la société April, intervenue dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance, de sorte qu’elle n’était débitrice à l’égard de l’assurée d’aucune obligation d’information et de conseil. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction délimite avec précision le périmètre d’application du devoir de conseil, en opérant une distinction fonctionnelle entre deux types d’activités exercées par les courtiers grossistes : d’une part, les fonctions de distribution, qui impliquent un devoir de conseil, et d’autre part, les fonctions de gestion administrative, qui en sont exclues.
    • Elle affirme ainsi que le courtier grossiste n’engage pas sa responsabilité à ce titre lorsqu’il cumule les trois caractéristiques suivantes :
      • Absence d’intervention dans la conception ou la présentation du contrat d’assurance
        • Le devoir de conseil trouve son fondement dans l’acte de distribution au sens propre : il suppose que l’intermédiaire participe, directement ou indirectement, à la présentation, à la recommandation, ou à la mise en place d’un contrat d’assurance à destination d’un client déterminé.
        • Or, dans l’affaire jugée, la Cour de cassation relève que la société April n’a ni proposé le contrat, ni participé à l’élaboration de la proposition : le produit avait été conçu et présenté au client par un autre intermédiaire (le cabinet Michel Astre), seul en lien avec le souscripteur.
        • Ce premier critère exclut donc la qualification d’activité de distribution.
        • En l’absence d’une implication dans le processus de placement du risque, le courtier grossiste ne saurait être regardé comme débiteur d’un devoir de conseil.
      • Exercice d’une mission de gestion par délégation de l’assureur
        • La société April agissait dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur.
        • Elle se bornait à exécuter des tâches telles que la tenue des dossiers, la production des certificats d’adhésion ou la gestion des flux contractuels, sans initiative commerciale ou responsabilité dans la construction de l’offre.
        • Dans ce contexte, le courtier grossiste agit en représentation de l’assureur, dans un cadre strictement déterminé.
        • Il n’endosse pas le rôle de distributeur, mais celui de gestionnaire de prestations au nom du porteur de risque.
        • Toute obligation d’information ou de conseil qui pourrait être invoquée dans ce contexte relèverait de la seule responsabilité de l’assureur, le gestionnaire n’étant qu’un relais technique.
        • La Haute juridiction se fonde donc sur une analyse fonctionnelle du rôle du courtier : elle retient que l’absence d’autonomie dans la présentation du produit, jointe à la qualité de mandataire du gestionnaire, suffit à écarter toute obligation personnelle de conseil.
      • Absence de relation contractuelle directe avec le souscripteur
        • Enfin, la Cour de cassation insiste sur un troisième élément fondamental : l’inexistence de tout lien contractuel direct entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance.
        • Elle écarte expressément l’argument fondé sur l’existence d’échanges de courriers ou la remise de documents : ces simples démarches administratives ne suffisent pas à caractériser une relation juridique autonome de nature à faire naître des obligations propres au gestionnaire.
        • Cette précision est essentielle. Elle souligne que le devoir de conseil suppose une relation d’intermédiation individualisée : il implique que l’intermédiaire soit investi d’un mandat – explicite ou implicite – par le client, qu’il soit en situation de dialogue et de recueil d’informations, et qu’il puisse formuler une recommandation adaptée.
        • En l’absence de tout lien de droit entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance, aucune de ces conditions n’est remplie.
  • Les indicateurs
    • En droit de la distribution d’assurance, les indicateurs constituent une catégorie à part, expressément exclue du champ d’application du régime de l’intermédiation.
    • À la différence des courtiers, agents généraux ou mandataires, ces acteurs ne sont pas considérés comme des distributeurs au sens du Code des assurances, et n’assument donc aucune des obligations professionnelles attachées à cette qualité.
    • L’article R. 511-3, III du Code des assurances définit leur rôle restrictif : ils sont des « indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre ».
    • Autrement dit, l’indicateur se limite à une mise en relation ou à une simple recommandation de contact, sans participer à la présentation, à la proposition, ni à la conclusion d’un contrat d’assurance.
    • Il n’exerce aucun acte de distribution au sens de l’article L. 511-1, et ne réalise pas de travaux préparatoires à la souscription.
    • Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures : n’étant pas un distributeur, l’indicateur est exclu du champ d’application de l’article L. 521-4, et ne peut être tenu au devoir de conseil à l’égard du candidat à l’assurance.
      • Fondement de l’exclusion: la nature restrictive de l’activité d’indication
        • Le Code des assurance distingue expressément certaines activités accessoires qui, bien qu’elles puissent participer indirectement à la mise en place de contrats, échappent à la qualification d’intermédiation.
        • Tel est le cas des indicateurs d’affaires, qui bénéficient d’un statut dérogatoire précisément défini par les textes.
        • L’article L. 511-1, II du Code des assurances, dans la liste de ses exclusions, précise que « ne sont pas considérées comme de la distribution d’assurances des activités s’apparentant à de l’indication d’affaires ».
        • Cette disposition est éclairée par l’article R. 511-3, III, qui encadre strictement les contours de cette fonction : « La présente section ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre. »
        • Trois éléments caractérisent donc le périmètre limité de l’activité d’indication :
          • une simple mise en relation entre un assuré potentiel et un professionnel habilité (assureur ou intermédiaire),
          • un signalement passif ne s’accompagnant d’aucune présentation des garanties,
          • et, éventuellement, la perception d’une commission d’apport, à condition qu’elle ne rémunère pas une prestation assimilable à un acte de distribution.
        • L’utilisation du verbe « se borne » dans le texte réglementaire souligne le caractère strictement délimité de cette activité : l’indicateur ne participe ni à l’élaboration ni à la présentation de l’offre, et n’intervient pas dans la conclusion du contrat.
        • Il n’a, en réalité, aucune légitimité à influencer le consentement du souscripteur, ce qui justifie son exclusion du régime de la distribution d’assurance.
        • Les textes vont plus loin en énonçant négativement les actes interdits à l’indicateur. Il lui est notamment interdit :
          • de présenter les garanties d’un contrat d’assurance ;
          • de recueillir les informations nécessaires à l’établissement d’un devis ;
          • ou encore d’exposer oralement ou par écrit les conditions de garantie, telles que définies à l’article R. 511-1, alinéa 1er.
        • Dès lors que l’indicateur franchit l’une de ces limites, il cesse de bénéficier de l’exclusion et devient un intermédiaire au sens plein, devant satisfaire aux obligations afférentes: immatriculation à l’ORIAS, conditions de capacité, assurance RC professionnelle, devoir de conseil, etc.
        • La doctrine a souligné avec justesse que cette frontière est historiquement liée à l’évolution du droit de l’intermédiation.
        • Comme l’ont observé certains auteurs, « le problème vient de l’évolution de la définition de l’intermédiaire lui-même », qui, depuis la réforme de 2005, repose sur la qualité de professionnel impliqué dans le processus contractuel, et non plus uniquement sur l’acte de présentation formelle du contrat.
      • Les conséquences de l’exclusion sur le devoir de conseil
        • L’exclusion des indicateurs d’affaires du champ de l’article L. 511-1 du Code des assurances implique, par cohérence, leur exonération du devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4.
        • Cette exemption n’est pas circonstancielle mais structurelle : l’indicateur n’est pas un distributeur, et ne peut donc être assujetti à des obligations qui ne concernent que les acteurs de la distribution.
        • Elle se justifie également par l’impossibilité matérielle pour l’indicateur d’exercer un conseil pertinent.
        • En effet, il ne peut :
          • ni présenter les garanties du contrat ;
          • ni interroger l’assuré sur ses besoins ou objectifs ;
          • ni analyser la situation assurantielle ou proposer des solutions adaptées.
        • Or, le devoir de conseil suppose précisément ces facultés : recueillir les exigences et besoins, formuler une recommandation motivée, éclairer la décision du souscripteur.
        • L’indicateur, par définition, n’en a ni la compétence ni le droit, ce qui rend toute obligation de conseil juridiquement inopérante à son égard.
        • Pour autant, la frontière entre l’indication d’affaires et la distribution peut s’avérer difficile à respecter en pratique.
        • Comme le relève pertinemment la doctrine, « pour signaler un assuré à un assureur, et pour en retirer une commission d’apport au sens de l’article R. 511-3, encore faut-il au minimum que l’indicateur d’assurance se soit renseigné préalablement sur la possibilité pour l’assureur signalé de répondre aux besoins du futur assuré ».
        • Cette observation met en lumière une tension structurelle : l’efficacité commerciale de l’indication suppose un minimum d’information sur les profils des clients et les offres disponibles, mais ce recueil d’informations, dès lors qu’il devient substantiel ou oriente une décision, peut franchir le seuil de l’intermédiation.
        • Dès que l’indicateur commence à adapter ses signalements en fonction des besoins du client ou à orienter celui-ci vers un contrat particulier, il bascule dans une activité de conseil, qui requiert un statut d’intermédiaire et l’assujettissement aux règles professionnelles de la distribution.
        • A cet égard, un défaut d’habilitation d’un intermédiaire est assorti de sanctions pénales au sens de l’article L. 514-1 (deux ans d’emprisonnement et/ou une amende de 6 000 €).
        • Sans compter les risques relatifs à la déclaration mensongère au sens de l’article L. 310-28 du Code des assurances.
        • Au civil, les conséquences sont tout aussi lourdes : si l’apporteur est requalifié en intermédiaire, il supportera pleinement le devoir de conseil dû à l’assuré, et les risques de responsabilité afférents, sans assurance pour le protéger.
        • Cette perspective explique l’importance cruciale du respect strict des limites de l’activité d’indication.
    • L’une des clés de distinction entre l’intermédiaire d’assurance et l’indicateur réside dans l’absence totale d’assistance.
    • Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1996 qui considérait qu’un franchisé n’était pas un intermédiaire dès lors qu’il n’avait pas « assisté les clients dans la recherche et la prise de garantie ».
    • Le critère opérant semble donc résider dans l’abstention de toute forme d’assistance dans la conclusion du contrat, l’indicateur devant se cantonner «strictement à la seule mise en relation, sans fournir, d’une quelconque façon, une assistance à la mise en place de la police ».

==>Les exclusions liées aux circonstances

Le devoir de conseil, bien qu’étant une obligation du distributeur d’assurance, connaît certains aménagements dans ses modalités d’exécution ou peut être suspendu dans des circonstances particulières. Ces situations, loin de remettre en cause le principe même de l’obligation de conseil, témoignent de la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques de la distribution d’assurance.

  • La commercialisation à distance d’urgence
    • Dans certaines situations d’urgence, notamment lors de la commercialisation à distance, les informations précontractuelles peuvent être fournies après la conclusion du contrat.
    • L’article R. 521-2, II du Code des assurances prévoit expressément que «lorsque le contrat a été conclu à la demande du souscripteur utilisant un moyen technique à distance ne permettant pas la transmission des informations sur support papier ou sur un autre support durable, le distributeur met les informations à disposition immédiatement après la conclusion du contrat ».
    • Cette dérogation ne supprime nullement l’obligation mais en aménage les modalités d’exécution pour tenir compte des contraintes techniques inhérentes aux nouveaux modes de communication.
    • Elle s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît que l’urgence d’une couverture d’assurance peut justifier une inversion de l’ordre chronologique habituel entre information et souscription.
    • Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette dérogation trouve à s’appliquer :
      • La souscription doit résulter d’une demande expresse du souscripteur, excluant ainsi toute initiative du distributeur
      • L’utilisation d’un moyen technique à distance doit être établie
      • Cette technique doit ne pas permettre la transmission des informations sur support papier ou durable au moment de la souscription
      • Les informations doivent être mises à disposition immédiatement après la conclusion du contrat
    • Cette exception ne concerne que les modalités de transmission des informations et non leur contenu.
    • Le distributeur demeure tenu de fournir l’intégralité des informations précontractuelles requises, y compris le conseil adapté aux besoins du souscripteur.
    • Comme le précise le document joint, “l’intermédiaire n’est pas exonéré de ses obligations d’information, lesquelles sont simplement décalées dans le temps“.
  • Le refus du souscripteur
    • Depuis la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023, qui a instauré un devoir de conseil dans la durée, le législateur a dû prendre en compte la possibilité pour le souscripteur de refuser l’actualisation de son conseil. L’article A. 522-2, I, 3° du Code des assurances prévoit désormais que «l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’est pas tenu de procéder à l’actualisation des informations du souscripteur ou de l’adhérent comme mentionné au 2° du III de l’article L. 522-5 si le souscripteur ou l’adhérent oppose un refus ou n’a pas donné suite à la demande d’actualisation adressée sur tout support durable par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation, après une relance effectuée sur tout support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code».
    • Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de réactualisation du conseil prévue à l’article L. 522-5, III du Code des assurances.
    • Le distributeur doit procéder à une actualisation des informations lorsque :
      • Il est informé d’un changement dans la situation du souscripteur
      • Le contrat n’a fait l’objet d’aucune opération pendant 4 ans (ou 2 ans en cas de service de recommandation personnalisée)
      • Une opération susceptible d’affecter significativement le contrat est envisagée
    • Cependant, cette obligation cède devant la volonté expresse du souscripteur.
    • Le texte prévoit même une procédure : le distributeur doit adresser une demande d’actualisation “sur tout support durable” et, en cas de silence du souscripteur, effectuer une relance avant de pouvoir considérer que l’obligation ne s’applique plus.
    • Cette disposition reconnaît l’autonomie du souscripteur tout en préservant les intérêts légitimes du distributeur.
    • Elle évite que ce dernier ne soit indéfiniment tenu d’une obligation de conseil actualisé face à un souscripteur qui refuse de coopérer ou qui, en toute connaissance de cause, souhaite maintenir son contrat en l’état.
    • Le législateur a ainsi trouvé un équilibre délicat entre deux impératifs : d’une part, la protection du souscripteur par un conseil adapté et actualisé ; d’autre part, le respect de sa liberté contractuelle et de son droit à refuser cette protection s’il l’estime superflue.
    • Lorsque le souscripteur oppose un refus ou ne donne pas suite à la demande d’actualisation, “la durée de 4 ans ou de 2 ans mentionnée ci-avant est appliquée de nouveau à compter de ce refus ou de la relance”.
    • Cette solution assure une forme de “remise à zéro” du compteur, permettant au distributeur de reproposer ultérieurement une actualisation sans être indéfiniment lié par un refus ancien.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Les parties intéressées au devoir de conseil en assurance

L’identification des acteurs soumis au devoir de conseil en assurance révèle l’ampleur de la transformation opérée par l’ordonnance du 16 mai 2018. Cette réforme, transcrivant fidèlement la directive européenne du 20 janvier 2016, a considérablement élargi le cercle des débiteurs de l’obligation tout en précisant les contours de sa mise en œuvre. Au-delà des intermédiaires traditionnels, ce sont désormais l’ensemble des acteurs de la chaîne de distribution qui se trouvent potentiellement assujettis à cette exigence, témoignant d’une volonté résolue d’harmoniser la protection offerte aux consommateurs d’assurance.

Cet élargissement soulève des interrogations inédites quant à sa délimitation pratique. Comment articuler les obligations respectives des multiples intervenants dans les circuits de distribution contemporains ? Dans quelle mesure les nouveaux acteurs issus de la révolution numérique peuvent-ils échapper à cette qualification ? Symétriquement, l’identification des créanciers de l’obligation révèle une complexité particulière dans les montages contractuels modernes, notamment en matière d’assurance collective ou pour compte d’autrui.

Cette analyse des débiteurs et créanciers du devoir de conseil invite à repenser les catégories traditionnelles de la distribution d’assurance, révélant les tensions entre innovation technologique et impératifs de protection, entre spécialisation et responsabilité solidaire des acteurs du marché.

1. Le débiteur du devoir de conseil

L’identification des débiteurs du devoir de conseil en assurance révèle une architecture complexe où se mêlent obligations légales et constructions prétoriennes. Comme le souligne Jean Bigot, « l’obligation de conseil des intermédiaires d’assurances [est devenue] l’une des caractéristiques de leur activité »[32]. Cette obligation, initialement d’origine jurisprudentielle, a connu une consécration légale progressive qui en a étendu le champ d’application à de nouveaux débiteurs.

i. Les personnes assujetties au devoir de conseil

==>Les entreprises d’assurance

  • Les assureurs stricto sensu
    • La directive sur la distribution d’assurance de 2016, transposée par l’ordonnance du 16 mai 2018, a marqué un tournant décisif en soumettant expressément les entreprises d’assurance pratiquant la vente directe aux mêmes obligations de conseil que les intermédiaires.
    • Comme l’observe Luc Mayaux, cette évolution répond à un impératif d’égalité de traitement : « la clientèle doit disposer des mêmes protections quel que soit le canal de distribution ».
    • L’article L. 521-4 du Code des assurances impose désormais à tout distributeur, y compris l’entreprise d’assurance en vente directe, de « préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et de lui «fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé ».
    • Cette obligation se double d’un véritable devoir de conseil consistant à conseiller « un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ».
    • La jurisprudence avait d’ailleurs anticipé cette évolution législative en sanctionnant régulièrement les manquements de l’assureur à son devoir de conseil[33].
    • Ainsi, dans l’affaire de l’exposition « Our Body », la Cour de cassation a retenu la responsabilité contractuelle de l’assureur qui n’avait pas « attiré l’attention de la société organisatrice de l’exposition sur le risque d’annulation de l’exposition » (Cass. 1ère civ. 29 oct. 2014, n°13-19.729).
  • Les mutuelles et institutions de prévoyance
    • L’ordonnance de 2018 a étendu le champ d’application du devoir de conseil aux organismes relevant du Code de la mutualité et du Code de la sécurité sociale.
    • L’article L. 116-6 du Code de la mutualité dispose que « les dispositions du Code des assurances relatives aux distributeurs d’assurance sont applicables aux mutuelles et unions régies par le livre III du présent code, sous réserve des règles propres à ces mutuelles ou unions ».
    • Cette extension répond à une logique de cohérence du système juridique, comme le relève Hubert Groutel : « il serait paradoxal que les assurés bénéficient d’une protection différente selon qu’ils s’adressent à une société d’assurance, une mutuelle ou une institution de prévoyance »[34].

==>Les distributeurs d’assurance

  • Les courtiers d’assurance
    • Les courtiers constituent historiquement les premiers débiteurs du devoir de conseil. La jurisprudence les a très tôt qualifiés de « guide sûr et conseiller expérimenté »[35], imposant à leur charge une obligation particulièrement étendue en raison de leur indépendance supposée vis-à-vis des assureurs.
    • Cette obligation revêt une intensité particulière pour les courtiers, comme le souligne Pierre-Grégoire Marly : « le courtier doit être en mesure de proposer à son client un contrat qui, non seulement correspondrait au mieux à ses exigences et ses besoins de garantie, mais offrirait les meilleures conditions tarifaires »[36].
  • Les agents généraux d’assurance et autres mandataires d’assurance
    • Bien que mandataires des compagnies d’assurance, les agents généraux sont également tenus du devoir de conseil envers leur clientèle. Cette situation peut créer un conflit d’intérêts potentiel, comme le note un auteur: «l’agent général se trouve dans la situation délicate de devoir servir à la fois les intérêts de son mandant assureur et ceux de sa clientèle »[37].
    • La Cour de cassation a tranché cette difficulté en affirmant que « en sa qualité de professionnel de l’assurance mettant sa compétence à la disposition du public, l’agent général est tenu d’une obligation de conseil »[38].
    • Cette solution s’impose désormais avec force compte tenu des termes de l’article L. 521-1 du Code des assurances qui impose aux distributeurs d’agir « au mieux des intérêts du souscripteur ou de l’adhérent ».

==>Les souscripteurs de contrats collectifs

  • Les employeurs
    • Dans le cadre des assurances collectives, l’employeur souscripteur endosse une double casquette.
    • Bénéficiaire du conseil en tant que souscripteur, il devient également débiteur d’une obligation de conseil envers ses salariés adhérents, comme le précise l’article L. 141-4 du Code des assurances.
    • Cette situation particulière a été analysée par Laurent Mayaux qui observe que « le souscripteur de l’assurance de groupe proposée à l’adhésion devient comme distributeur d’assurance, véritable Janus bifrons »[39].
    • L’employeur concentre aujourd’hui l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par les contrats de groupe proposés à l’adhésion des salariés.
  • Les établissements de crédit
    • Les banques prêteuses qui souscrivent des assurances de groupe en garantie des prêts qu’elles accordent sont soumises à un devoir de conseil particulièrement strict.
    • La Cour de cassation a solennellement affirmé que l’obligation « d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts » à sa situation personnelle «incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance», ajoutant même qu’«aucun devoir de conseil ou de mise en garde n’incombait à l’assureur de groupe» (Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11.108).
    • L’établissement de crédit concentre ainsi l’essentiel de l’obligation d’information et de conseil sur les garanties promises par le contrat de groupe souscrit au profit des emprunteurs.
    • Cette jurisprudence, construite avant l’inscription dans la loi de l’obligation d’information et de conseil à la charge de tout distributeur d’assurance, n’en prend que plus de force aujourd’hui.
  • Les associations et personnes morales
    • Les associations d’épargnants et autres personnes morales qui souscrivent des contrats de groupe sont également tenues d’un devoir de conseil envers leurs adhérents.
    • Cette obligation découle de leur qualité de distributeur au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.
    • Il convient de noter que lorsque le distributeur à titre accessoire, souscripteur du contrat de groupe dont il propose une adhésion à ses clients, est un professionnel d’une autre spécialité, le distributeur qui a placé le contrat de groupe a obligation « de conseiller utilement le souscripteur, distributeur à titre accessoire sur l’étendue des garanties », et d’attirer plus spécialement son attention sur « les exclusions et limites » qu’elles comportent (Cass. 2? civ., 29 mars 2018, n° 17-14.975).
  • Les prestataires de services numériques
    • La révolution numérique a profondément bouleversé l’écosystème de la distribution d’assurance, faisant émerger de nouveaux acteurs dont le statut juridique soulève des interrogations inédites.
    • Les plateformes et comparateurs en ligne incarnent cette mutation technologique qui questionne les frontières traditionnelles de l’intermédiation d’assurance et, par voie de conséquence, l’application du devoir de conseil.
    • Contrairement à une idée répandue, les comparateurs d’assurance en ligne n’ont jamais bénéficié d’un statut dérogatoire en droit français.
    • La multiplication des plateformes de comparaison n’a pas donné lieu à une catégorie juridique autonome.
    • Comme l’a rappelé l’ACPR dès 2015, « le statut de comparateur n’est ni défini, ni reconnu spécifiquement par la réglementation française ».
    • Cette lacune juridique a longtemps créé une zone d’incertitude quant au régime applicable à ces nouveaux acteurs, nombreux étant ceux qui arguaient de la spécificité de leur activité pour échapper aux obligations traditionnelles de l’intermédiation d’assurance.
    • La directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances (DDA) a permis de clarifier cette question en adoptant une approche fonctionnelle plutôt que statutaire.
    • Elle considère comme constitutive de distribution d’assurance : « la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le client sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le client peut conclure un contrat directement ou indirectement au moyen d’un site internet ou d’autres moyens de communication. »
    • Cette définition a été fidèlement transposée en droit français à l’article L. 511-1, I, alinéa 2 du Code des assurances, dans sa version issue de l’ordonnance n° 2018-361 du 16 mai 2018.
    • Le texte français reprend substantiellement la formulation européenne en précisant : « est également considérée comme de la distribution d’assurances la fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par le souscripteur ou l’adhérent sur un site internet ou par d’autres moyens de communication et l’établissement d’un classement de produits d’assurance comprenant une comparaison des prix et des produits, ou une remise de prime, lorsque le souscripteur ou l’adhérent peut conclure le contrat directement ou indirectement au moyen du site internet ou par d’autres moyens de communication. »
    • A l’analyse, la qualification d’activité de distribution repose sur plusieurs critères cumulatifs définis par l’article L. 511-1 :
      • La fourniture d’informations sur un ou plusieurs contrats d’assurance selon des critères choisis par l’utilisateur
      • L’établissement d’un classement de produits comprenant une comparaison des prix et des produits
      • La possibilité pour l’utilisateur de conclure un contrat directement ou indirectement par le biais de la plateforme
    • Cette approche téléologique privilégie la substance économique de l’activité sur sa forme juridique, conformément à l’esprit de la directive européenne visant à éviter les contournements réglementaires.
    • Cette qualification n’est pas neutre sur le plan juridique.
    • Elle implique que les comparateurs d’assurance relèvent intégralement du champ de la réglementation applicable aux distributeurs et sont donc soumis à l’ensemble des obligations professionnelles prévues par le Code des assurances, notamment :
      • L’obligation d’immatriculation à l’ORIAS (article L. 512-1)
      • L’obligation de capacité professionnelle (articles L. 512-7 et suivants)
      • Les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts (article L. 521-1)
      • Le respect des règles de conduite (articles L. 521-1 à L. 521-6)
      • Et surtout, le devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4
    • Sur ce dernier point, la position de l’ACPR est explicite et sans ambiguïté : «dans ce contexte, le comparateur d’assurance sur Internet est avant tout un courtier d’assurance ».
    • Cette qualification entraîne l’application intégrale du régime de responsabilité prévu pour les intermédiaires d’assurance.
    • Il en résulte que, dès lors qu’un comparateur permet au souscripteur de conclure un contrat, directement ou par redirection vers un partenaire, il doit être regardé comme participant à l’acte de distribution et, à ce titre, tenu d’un devoir de conseil à l’égard de l’utilisateur.
    • Conformément à l’article L. 521-4 du Code des assurances, le comparateur doit :
      • Préciser par écrit les exigences et les besoins du souscripteur éventuel
      • Fournir des informations objectives sur le produit d’assurance proposé sous une forme compréhensible, exacte et non trompeuse
      • Conseiller un contrat cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur
      • Préciser les raisons qui motivent ce conseil
    • L’application de ces obligations aux comparateurs soulève des difficultés pratiques particulières :
      • La limitation du périmètre de comparaison : aucun comparateur ne peut avoir accès à l’ensemble du marché, ce qui questionne la pertinence du conseil fourni
      • L’automatisation du processus : la dimension largement automatisée de la comparaison peut entrer en tension avec l’exigence de personnalisation du conseil
      • La transparence sur les partenariats : l’obligation d’information sur les conflits d’intérêts impose de révéler les accords commerciaux avec les assureurs référencés
    • Comme le souligne l’ACPR, « les comparateurs ont développé une approche marketing qui s’appuie sur le sentiment qu’ont les internautes d’avoir accès à une base d’informations sans limite ».
    • Cette communication peut créer une confusion préjudiciable aux consommateurs qui croient bénéficier d’une vision exhaustive du marché.
    • À ce jour, l’autorité de régulation constate que « la majorité des comparaisons se fait sur le seul critère tarifaire, sans que le consommateur soit averti des limites du conseil fourni ou que la fiabilité des offres présentées soit garantie».
    • Cette approche essentiellement tarifaire entre en contradiction avec l’obligation de conseil qui impose de prendre en compte l’ensemble des besoins du souscripteur et non le seul critère économique.

ii. Les personnes non assujetties au devoir de conseil

L’identification des personnes exclues du devoir de conseil répond à une logique de proportionnalité et d’efficience économique. Comme le souligne Daniel Langé, « ces exclusions visent à éviter l’application d’obligations inadaptées à certaines situations où le déséquilibre informationnel justifiant le devoir de conseil n’existe pas »[40].

==>Les exclusions liées à la nature des risques

  • Les grands risques
    • L’article L. 521-5 du Code des assurances exclut expressément de l’obligation de conseil « la présentation d’un contrat couvrant les risques mentionnés à l’article L. 111-6 ».
    • Cette exclusion concerne deux catégories de risques distincts.
      • Les grands risques par nature
        • Certains risques relèvent de la catégorie des grands risques en raison de leur objet même.
        • Il s’agit notamment des véhicules ferroviaires, aériens, maritimes, lacustres et fluviaux ainsi que la responsabilité civile afférente à ces véhicules, les marchandises transportées, les installations d’énergies marines renouvelables définies par décret en Conseil d’État, et les assurances crédit et caution lorsque le souscripteur exerce à titre professionnel une activité industrielle, commerciale ou libérale en rapport avec le risque couvert.
      • Les grands risques par la taille
        • Dans les autres branches d’assurance de dommages, la qualification de grand risque dépend de la taille de l’entreprise souscriptrice.
        • Le risque n’est « grand » que si l’entreprise dépasse les limites d’au moins deux des trois critères chiffrés visés à l’article R. 111-1 du Code des assurances : total du bilan supérieur à 6,2 millions d’euros, chiffre d’affaires supérieur à 12,8 millions d’euros, ou plus de 250 salariés en moyenne.
    • Cette exclusion des grands risques du champ d’application du devoir de conseil se justifie par la présomption de compétence des souscripteurs de cette catégorie de risques.
    • Comme l’explique Jérôme Kullmann : « Le législateur considère que la personne qui cherche à assurer des grands risques détient les connaissances et l’expertise nécessaires pour décider, de son propre chef, de souscrire tel ou tel contrat d’assurance »[41].
    • Laurent Mayaux nuance cette approche en observant qu’« autant peut-on comprendre la dispense d’assistance du distributeur auprès de la grande entreprise, dans la mesure où elle dispose en interne des moyens de mobiliser à travers une direction des risques et assurances les compétences nécessaires »[42].Toutefois, il souligne que même ces entreprises « ne peuvent se mettre à la place de l’assureur dans l’appréciation du risque et du règlement de l’éventuel sinistre ».
    • Cette exclusion des grands risques peut donc paraître discutable s’agissant des entreprises qui, bien que dépassant les seuils quantitatifs, ne disposent pas nécessairement en interne des compétences techniques spécialisées pour apprécier tous les aspects de l’assurance, notamment les exclusions complexes ou les mécanismes de franchise sophistiqués.
  • Les traités de réassurance
    • Les traités de réassurance sont également exclus du champ du devoir de conseil.
    • Cette exclusion trouve sa justification dans la nature même de ces opérations, comme l’explique Daniel Langé : la réassurance est négociée «entre deux parties professionnelles de l’assurance entre lesquelles on postule l’égalité de compétence pour aborder la négociation du traité ».
    • Hubert Groutel précise que «cette exclusion se comprend aisément dans la mesure où la réassurance met en relation des professionnels de l’assurance disposant, par hypothèse, des mêmes compétences techniques»[43].
    • L’asymétrie informationnelle qui justifie le devoir de conseil dans les relations entre professionnels et consommateurs disparaît dans ce contexte.

==>Les exclusions liées au statut de l’intermédiaire

  • Les intermédiaires à titre accessoire
    • L’article L. 513-1 du Code des assurances prévoit un régime dérogatoire pour certains intermédiaires à titre accessoire.
    • Ces intermédiaires, « qui, comme l’indique leur dénomination, bénéficient de dérogations aux exigences s’imposant aux autres intermédiaires à raison de la simplicité des produits d’assurance qu’ils distribuent »[44], échappent partiellement aux obligations de conseil.
    • Cette dérogation concerne notamment la distribution d’assurances dites «affinitaires», caractérisées par leur simplicité et leur standardisation.
    • Comme le note Philippe Maystadt, « ces produits, souvent liés à l’achat d’un bien ou d’un service principal, présentent des caractéristiques suffisamment simples pour ne pas justifier un conseil approfondi »[45].
    • Toutefois, cette dérogation ne doit pas compromettre la protection des consommateurs.
    • L’article L. 513-2 du Code des assurances prévoit que c’est à l’entreprise ou à l’intermédiaire d’assurance qui distribuent via l’intermédiaire à titre accessoire de faire en sorte que des “dispositions appropriées et proportionnées” soient prises pour assurer le respect des dispositions relatives aux règles de conduite.
  • Les courtiers grossistes
    • Les courtiers grossistes occupent une position singulière dans l’organisation du marché de l’assurance.
    • Contrairement aux courtiers dits traditionnels ou « détaillants », ils interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits, en négociant les conditions de couverture avec les assureurs, ou encore en structurant l’offre assurantielle destinée à être diffusée par un réseau d’apporteurs ou de courtiers distributeurs.
    • Comme l’explique Jean Bigot, « les courtiers grossistes interviennent en amont de la chaîne de distribution, en concevant des produits ou en négociant des conditions avec les assureurs, mais sans contact avec l’assuré final »[46].
    • Leur rôle est ainsi souvent double : ils peuvent être distributeurs de produits d’assurance, tout en exerçant, dans certains cas, une fonction de délégataire de gestion pour le compte d’un assureur.
      • La fonction de distributeur auprès d’un réseau d’intermédiaires
        • Lorsqu’ils interviennent en qualité de distributeurs, les courtiers grossistes conçoivent des produits qu’ils mettent à disposition de courtiers détaillants, chargés de les proposer aux clients finaux.
        • Dans ce schéma, le courtier grossiste ne contracte pas avec le candidat à l’assurance et ne participe pas à l’acte de distribution final.
        • C’est le courtier détaillant – titulaire d’un mandat de placement de risques conféré par l’assuré – qui exerce l’intermédiation de proximité et recueille les besoins du client.
        • Il en découle que le devoir de conseil repose exclusivement sur ce dernier, seul en mesure d’évaluer les attentes du souscripteur, de l’interroger, de le mettre en garde, et de lui recommander un contrat adéquat.
        • Le courtier grossiste, en revanche, n’entretient aucun lien contractuel ni relation commerciale avec le preneur d’assurance.
        • Mieux encore, il n’est pas autorisé à en avoir, car le client appartient exclusivement au courtier distributeur.
        • Toute ingérence du courtier grossiste dans cette relation pourrait être qualifiée de détournement de clientèle, et engager sa responsabilité délictuelle.
        • Dans ces conditions, il serait juridiquement incohérent de lui imposer un devoir de conseil qu’il n’a ni les moyens ni le droit d’exercer.
      • La fonction de délégataire de gestion pour le compte de l’assureur
        • Par ailleurs, certains courtiers grossistes assument, en parallèle de leur activité de distribution, une mission de gestion administrative pour le compte de l’assureur, dans le cadre d’une délégation de gestion.
        • Ils interviennent alors en exécution du contrat d’assurance, souvent après la souscription, et accomplissent des actes tels que l’émission des pièces contractuelles, la gestion des sinistres ou le recouvrement des primes.
        • Dans ce cadre, le courtier grossiste agit au nom et pour le compte de l’assureur.
        • Il n’est plus un distributeur, mais un gestionnaire délégué, placé sous l’autorité juridique du porteur de risque.
        • Même lorsque cette mission de gestion implique un contact direct avec l’assuré (par exemple lors du traitement d’un sinistre ou de l’émission d’un certificat), aucun devoir de conseil autonome ne peut naître à sa charge, car il n’accomplit pas d’acte de distribution.
        • Le cas échéant, s’il devait exister une obligation de conseil dans le cadre de la gestion, celle-ci ne pourrait être imputée qu’à l’assureur, débiteur naturel du devoir, et non au délégataire, qui n’intervient que par représentation.
    • La question de savoir si un courtier grossiste peut être tenu au devoir de conseil à l’égard de l’assuré final a été expressément tranchée par la Cour de cassation dans un arrêt du 23 mars 2017 (Cass. 2e civ., 23 mars 2017, n° 16-15.090).
    • En l’espèce, une assurée reprochait à la société April, intervenant en qualité de courtier grossiste, un manquement à son devoir de conseil lors de l’adhésion à un contrat d’assurance de groupe emprunteur, souscrit par l’intermédiaire d’une association.
    • La société April agissait exclusivement dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur, la société Axeria Prévoyance.
    • Elle n’avait ni commercialisé le contrat, ni participé à son élaboration.
    • La Cour de cassation rejette le pourvoi et affirme que « la société April, intervenue dans la seule gestion administrative du contrat d’assurance sur délégation de l’assureur, n’avait ni proposé le contrat d’assurance ni participé à l’élaboration de la proposition d’assurance, de sorte qu’elle n’était débitrice à l’égard de l’assurée d’aucune obligation d’information et de conseil. »
    • Par cette décision, la Haute juridiction délimite avec précision le périmètre d’application du devoir de conseil, en opérant une distinction fonctionnelle entre deux types d’activités exercées par les courtiers grossistes : d’une part, les fonctions de distribution, qui impliquent un devoir de conseil, et d’autre part, les fonctions de gestion administrative, qui en sont exclues.
    • Elle affirme ainsi que le courtier grossiste n’engage pas sa responsabilité à ce titre lorsqu’il cumule les trois caractéristiques suivantes :
      • Absence d’intervention dans la conception ou la présentation du contrat d’assurance
        • Le devoir de conseil trouve son fondement dans l’acte de distribution au sens propre : il suppose que l’intermédiaire participe, directement ou indirectement, à la présentation, à la recommandation, ou à la mise en place d’un contrat d’assurance à destination d’un client déterminé.
        • Or, dans l’affaire jugée, la Cour de cassation relève que la société April n’a ni proposé le contrat, ni participé à l’élaboration de la proposition : le produit avait été conçu et présenté au client par un autre intermédiaire (le cabinet Michel Astre), seul en lien avec le souscripteur.
        • Ce premier critère exclut donc la qualification d’activité de distribution.
        • En l’absence d’une implication dans le processus de placement du risque, le courtier grossiste ne saurait être regardé comme débiteur d’un devoir de conseil.
      • Exercice d’une mission de gestion par délégation de l’assureur
        • La société April agissait dans le cadre d’une délégation de gestion consentie par l’assureur.
        • Elle se bornait à exécuter des tâches telles que la tenue des dossiers, la production des certificats d’adhésion ou la gestion des flux contractuels, sans initiative commerciale ou responsabilité dans la construction de l’offre.
        • Dans ce contexte, le courtier grossiste agit en représentation de l’assureur, dans un cadre strictement déterminé.
        • Il n’endosse pas le rôle de distributeur, mais celui de gestionnaire de prestations au nom du porteur de risque.
        • Toute obligation d’information ou de conseil qui pourrait être invoquée dans ce contexte relèverait de la seule responsabilité de l’assureur, le gestionnaire n’étant qu’un relais technique.
        • La Haute juridiction se fonde donc sur une analyse fonctionnelle du rôle du courtier : elle retient que l’absence d’autonomie dans la présentation du produit, jointe à la qualité de mandataire du gestionnaire, suffit à écarter toute obligation personnelle de conseil.
      • Absence de relation contractuelle directe avec le souscripteur
        • Enfin, la Cour de cassation insiste sur un troisième élément fondamental : l’inexistence de tout lien contractuel direct entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance.
        • Elle écarte expressément l’argument fondé sur l’existence d’échanges de courriers ou la remise de documents : ces simples démarches administratives ne suffisent pas à caractériser une relation juridique autonome de nature à faire naître des obligations propres au gestionnaire.
        • Cette précision est essentielle. Elle souligne que le devoir de conseil suppose une relation d’intermédiation individualisée : il implique que l’intermédiaire soit investi d’un mandat – explicite ou implicite – par le client, qu’il soit en situation de dialogue et de recueil d’informations, et qu’il puisse formuler une recommandation adaptée.
        • En l’absence de tout lien de droit entre le courtier grossiste et le preneur d’assurance, aucune de ces conditions n’est remplie.
  • Les indicateurs
    • En droit de la distribution d’assurance, les indicateurs constituent une catégorie à part, expressément exclue du champ d’application du régime de l’intermédiation.
    • À la différence des courtiers, agents généraux ou mandataires, ces acteurs ne sont pas considérés comme des distributeurs au sens du Code des assurances, et n’assument donc aucune des obligations professionnelles attachées à cette qualité.
    • L’article R. 511-3, III du Code des assurances définit leur rôle restrictif : ils sont des « indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre ».
    • Autrement dit, l’indicateur se limite à une mise en relation ou à une simple recommandation de contact, sans participer à la présentation, à la proposition, ni à la conclusion d’un contrat d’assurance.
    • Il n’exerce aucun acte de distribution au sens de l’article L. 511-1, et ne réalise pas de travaux préparatoires à la souscription.
    • Cette qualification emporte des conséquences juridiques majeures : n’étant pas un distributeur, l’indicateur est exclu du champ d’application de l’article L. 521-4, et ne peut être tenu au devoir de conseil à l’égard du candidat à l’assurance.
      • Fondement de l’exclusion: la nature restrictive de l’activité d’indication
        • Le Code des assurance distingue expressément certaines activités accessoires qui, bien qu’elles puissent participer indirectement à la mise en place de contrats, échappent à la qualification d’intermédiation.
        • Tel est le cas des indicateurs d’affaires, qui bénéficient d’un statut dérogatoire précisément défini par les textes.
        • L’article L. 511-1, II du Code des assurances, dans la liste de ses exclusions, précise que « ne sont pas considérées comme de la distribution d’assurances des activités s’apparentant à de l’indication d’affaires ».
        • Cette disposition est éclairée par l’article R. 511-3, III, qui encadre strictement les contours de cette fonction : « La présente section ne fait pas obstacle à la rétrocession d’une commission d’apport aux indicateurs dont le rôle se borne à mettre en relation l’assuré et l’assureur, ou l’assuré et l’un des intermédiaires mentionnés à l’article R. 511-2, ou à signaler l’un à l’autre. »
        • Trois éléments caractérisent donc le périmètre limité de l’activité d’indication :
          • une simple mise en relation entre un assuré potentiel et un professionnel habilité (assureur ou intermédiaire),
          • un signalement passif ne s’accompagnant d’aucune présentation des garanties,
          • et, éventuellement, la perception d’une commission d’apport, à condition qu’elle ne rémunère pas une prestation assimilable à un acte de distribution.
        • L’utilisation du verbe « se borne » dans le texte réglementaire souligne le caractère strictement délimité de cette activité : l’indicateur ne participe ni à l’élaboration ni à la présentation de l’offre, et n’intervient pas dans la conclusion du contrat.
        • Il n’a, en réalité, aucune légitimité à influencer le consentement du souscripteur, ce qui justifie son exclusion du régime de la distribution d’assurance.
        • Les textes vont plus loin en énonçant négativement les actes interdits à l’indicateur. Il lui est notamment interdit :
          • de présenter les garanties d’un contrat d’assurance ;
          • de recueillir les informations nécessaires à l’établissement d’un devis ;
          • ou encore d’exposer oralement ou par écrit les conditions de garantie, telles que définies à l’article R. 511-1, alinéa 1er.
        • Dès lors que l’indicateur franchit l’une de ces limites, il cesse de bénéficier de l’exclusion et devient un intermédiaire au sens plein, devant satisfaire aux obligations afférentes: immatriculation à l’ORIAS, conditions de capacité, assurance RC professionnelle, devoir de conseil, etc.
        • La doctrine a souligné avec justesse que cette frontière est historiquement liée à l’évolution du droit de l’intermédiation.
        • Comme l’ont observé certains auteurs, « le problème vient de l’évolution de la définition de l’intermédiaire lui-même », qui, depuis la réforme de 2005, repose sur la qualité de professionnel impliqué dans le processus contractuel, et non plus uniquement sur l’acte de présentation formelle du contrat.
      • Les conséquences de l’exclusion sur le devoir de conseil
        • L’exclusion des indicateurs d’affaires du champ de l’article L. 511-1 du Code des assurances implique, par cohérence, leur exonération du devoir de conseil prévu à l’article L. 521-4.
        • Cette exemption n’est pas circonstancielle mais structurelle : l’indicateur n’est pas un distributeur, et ne peut donc être assujetti à des obligations qui ne concernent que les acteurs de la distribution.
        • Elle se justifie également par l’impossibilité matérielle pour l’indicateur d’exercer un conseil pertinent.
        • En effet, il ne peut :
          • ni présenter les garanties du contrat ;
          • ni interroger l’assuré sur ses besoins ou objectifs ;
          • ni analyser la situation assurantielle ou proposer des solutions adaptées.
        • Or, le devoir de conseil suppose précisément ces facultés : recueillir les exigences et besoins, formuler une recommandation motivée, éclairer la décision du souscripteur.
        • L’indicateur, par définition, n’en a ni la compétence ni le droit, ce qui rend toute obligation de conseil juridiquement inopérante à son égard.
        • Pour autant, la frontière entre l’indication d’affaires et la distribution peut s’avérer difficile à respecter en pratique.
        • Comme le relève pertinemment la doctrine, « pour signaler un assuré à un assureur, et pour en retirer une commission d’apport au sens de l’article R. 511-3, encore faut-il au minimum que l’indicateur d’assurance se soit renseigné préalablement sur la possibilité pour l’assureur signalé de répondre aux besoins du futur assuré ».
        • Cette observation met en lumière une tension structurelle : l’efficacité commerciale de l’indication suppose un minimum d’information sur les profils des clients et les offres disponibles, mais ce recueil d’informations, dès lors qu’il devient substantiel ou oriente une décision, peut franchir le seuil de l’intermédiation.
        • Dès que l’indicateur commence à adapter ses signalements en fonction des besoins du client ou à orienter celui-ci vers un contrat particulier, il bascule dans une activité de conseil, qui requiert un statut d’intermédiaire et l’assujettissement aux règles professionnelles de la distribution.
        • A cet égard, un défaut d’habilitation d’un intermédiaire est assorti de sanctions pénales au sens de l’article L. 514-1 (deux ans d’emprisonnement et/ou une amende de 6 000 €).
        • Sans compter les risques relatifs à la déclaration mensongère au sens de l’article L. 310-28 du Code des assurances.
        • Au civil, les conséquences sont tout aussi lourdes : si l’apporteur est requalifié en intermédiaire, il supportera pleinement le devoir de conseil dû à l’assuré, et les risques de responsabilité afférents, sans assurance pour le protéger.
        • Cette perspective explique l’importance cruciale du respect strict des limites de l’activité d’indication.
    • L’une des clés de distinction entre l’intermédiaire d’assurance et l’indicateur réside dans l’absence totale d’assistance.
    • Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 8 mars 1996 qui considérait qu’un franchisé n’était pas un intermédiaire dès lors qu’il n’avait pas « assisté les clients dans la recherche et la prise de garantie ».
    • Le critère opérant semble donc résider dans l’abstention de toute forme d’assistance dans la conclusion du contrat, l’indicateur devant se cantonner «strictement à la seule mise en relation, sans fournir, d’une quelconque façon, une assistance à la mise en place de la police ».

==>Les exclusions liées aux circonstances

Le devoir de conseil, bien qu’étant une obligation du distributeur d’assurance, connaît certains aménagements dans ses modalités d’exécution ou peut être suspendu dans des circonstances particulières. Ces situations, loin de remettre en cause le principe même de l’obligation de conseil, témoignent de la nécessaire adaptation du droit aux réalités pratiques de la distribution d’assurance.

  • La commercialisation à distance d’urgence
    • Dans certaines situations d’urgence, notamment lors de la commercialisation à distance, les informations précontractuelles peuvent être fournies après la conclusion du contrat.
    • L’article R. 521-2, II du Code des assurances prévoit expressément que «lorsque le contrat a été conclu à la demande du souscripteur utilisant un moyen technique à distance ne permettant pas la transmission des informations sur support papier ou sur un autre support durable, le distributeur met les informations à disposition immédiatement après la conclusion du contrat ».
    • Cette dérogation ne supprime nullement l’obligation mais en aménage les modalités d’exécution pour tenir compte des contraintes techniques inhérentes aux nouveaux modes de communication.
    • Elle s’inscrit dans une logique pragmatique qui reconnaît que l’urgence d’une couverture d’assurance peut justifier une inversion de l’ordre chronologique habituel entre information et souscription.
    • Plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies pour que cette dérogation trouve à s’appliquer :
      • La souscription doit résulter d’une demande expresse du souscripteur, excluant ainsi toute initiative du distributeur
      • L’utilisation d’un moyen technique à distance doit être établie
      • Cette technique doit ne pas permettre la transmission des informations sur support papier ou durable au moment de la souscription
      • Les informations doivent être mises à disposition immédiatement après la conclusion du contrat
    • Cette exception ne concerne que les modalités de transmission des informations et non leur contenu.
    • Le distributeur demeure tenu de fournir l’intégralité des informations précontractuelles requises, y compris le conseil adapté aux besoins du souscripteur.
    • Comme le précise le document joint, “l’intermédiaire n’est pas exonéré de ses obligations d’information, lesquelles sont simplement décalées dans le temps“.
  • Le refus du souscripteur
    • Depuis la loi relative à l’industrie verte du 23 octobre 2023, qui a instauré un devoir de conseil dans la durée, le législateur a dû prendre en compte la possibilité pour le souscripteur de refuser l’actualisation de son conseil. L’article A. 522-2, I, 3° du Code des assurances prévoit désormais que «l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation n’est pas tenu de procéder à l’actualisation des informations du souscripteur ou de l’adhérent comme mentionné au 2° du III de l’article L. 522-5 si le souscripteur ou l’adhérent oppose un refus ou n’a pas donné suite à la demande d’actualisation adressée sur tout support durable par l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance ou de capitalisation, après une relance effectuée sur tout support durable au sens de l’article L. 111-9 du présent code».
    • Cette disposition s’inscrit dans le cadre plus large de l’obligation de réactualisation du conseil prévue à l’article L. 522-5, III du Code des assurances.
    • Le distributeur doit procéder à une actualisation des informations lorsque :
      • Il est informé d’un changement dans la situation du souscripteur
      • Le contrat n’a fait l’objet d’aucune opération pendant 4 ans (ou 2 ans en cas de service de recommandation personnalisée)
      • Une opération susceptible d’affecter significativement le contrat est envisagée
    • Cependant, cette obligation cède devant la volonté expresse du souscripteur.
    • Le texte prévoit même une procédure : le distributeur doit adresser une demande d’actualisation “sur tout support durable” et, en cas de silence du souscripteur, effectuer une relance avant de pouvoir considérer que l’obligation ne s’applique plus.
    • Cette disposition reconnaît l’autonomie du souscripteur tout en préservant les intérêts légitimes du distributeur.
    • Elle évite que ce dernier ne soit indéfiniment tenu d’une obligation de conseil actualisé face à un souscripteur qui refuse de coopérer ou qui, en toute connaissance de cause, souhaite maintenir son contrat en l’état.
    • Le législateur a ainsi trouvé un équilibre délicat entre deux impératifs : d’une part, la protection du souscripteur par un conseil adapté et actualisé ; d’autre part, le respect de sa liberté contractuelle et de son droit à refuser cette protection s’il l’estime superflue.
    • Lorsque le souscripteur oppose un refus ou ne donne pas suite à la demande d’actualisation, “la durée de 4 ans ou de 2 ans mentionnée ci-avant est appliquée de nouveau à compter de ce refus ou de la relance”.
    • Cette solution assure une forme de “remise à zéro” du compteur, permettant au distributeur de reproposer ultérieurement une actualisation sans être indéfiniment lié par un refus ancien.

2. Le créancier du devoir de conseil

i. Règles générales

Le créancier du devoir de conseil est, par principe, le « souscripteur éventuel » ou « l’adhérent éventuel », selon la terminologie constante des articles L. 521-4 et L. 522-5 du Code des assurances. Cette formulation met l’accent sur le caractère précontractuel de l’obligation, conformément à l’économie générale de la directive du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances.

L’emploi du terme « éventuel » traduit la finalité préventive du dispositif : il s’agit d’éclairer la décision contractuelle avant qu’elle ne soit définitivement arrêtée. Cette approche s’inscrit dans la logique consumériste qui sous-tend la réglementation européenne, visant à permettre au consommateur de « prendre une décision en connaissance de cause ».

La distinction opérée par le législateur entre « souscripteur » et « adhérent » reflète la diversité des schémas contractuels en assurance. Le souscripteur désigne celui qui contracte directement avec l’assureur dans le cadre d’une assurance individuelle, tandis que l’adhérent vise celui qui rejoint un contrat de groupe préalablement souscrit par une personne morale ou un chef d’entreprise, conformément à la définition de l’article L. 141-1 du Code des assurances³.

ii. Les situations particulières

==>L’assurance de groupe

  • Le souscripteur du contrat groupe
    • En matière d’assurance de groupe, l’analyse du devoir de conseil se heurte à une complexité supplémentaire, liée à la structure duale du mécanisme contractuel. En effet, ce type d’assurance repose sur deux niveaux de relation juridique distincts mais articulés :
      • d’une part, un contrat d’assurance collectif conclu entre un souscripteur (généralement une personne morale, une entreprise ou une association) et l’assureur ;
      • d’autre part, des adhésions individuelles au contrat-cadre de la part des membres du groupe concerné (salariés, adhérents, emprunteurs, etc.), qui bénéficient des garanties prévues par le contrat collectif.
    • Cette dualité contractuelle engendre une dissociation entre celui qui négocie et souscrit le contrat (le souscripteur) et ceux qui en bénéficient (les adhérents), ce qui redéfinit en profondeur le périmètre et les modalités du devoir de conseil.
    • Dans ce contexte, le souscripteur – personne morale ou employeur – est seul en relation directe avec le distributeur, et peut légitimement exiger de ce dernier les informations et recommandations nécessaires avant la conclusion du contrat collectif.
    • Il lui revient en effet d’apprécier l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe qu’il entend couvrir, ce qui suppose une analyse approfondie des risques collectifs, du profil des adhérents potentiels, ainsi que des garanties et exclusions contenues dans le contrat proposé.
    • Le souscripteur occupe ainsi une position particulière : intermédiaire entre l’assureur et les bénéficiaires potentiels, il porte la responsabilité de choisir une offre adaptée aux intérêts de la collectivité.
    • Cette responsabilité implique, en contrepartie, que le distributeur lui délivre un conseil éclairé et personnalisé, portant non pas sur des besoins individuels, mais sur les caractéristiques générales du groupe à assurer.
  • Les adhérents individuels : créanciers de second rang
    • Les adhérents au contrat collectif ne sont pas parties à la négociation initiale, mais ils deviennent bénéficiaires des garanties dès leur adhésion individuelle au dispositif.
    • À ce titre, ils peuvent également être considérés comme créanciers du devoir de conseil, mais dans une mesure différente de celle du souscripteur initial. Cette qualité de créancier de second rang découle de leur besoin légitime d’être informés et conseillés sur les conditions de leur adhésion :
      • pour en comprendre la portée,
      • pour évaluer son intérêt au regard de leur situation personnelle,
      • et pour pouvoir prendre une décision éclairée, notamment lorsque l’adhésion est facultative, comme en matière d’assurance emprunteur ou de prévoyance individuelle.
    • Contrairement à la tendance générale en matière de contrats d’assurance individuels, la reconnaissance d’un devoir de conseil au profit des adhérents d’un contrat d’assurance de groupe ne constitue pas un principe général.
    • Elle demeure strictement circonscrite à certaines hypothèses, dans lesquelles un professionnel assume expressément un rôle de distributeur vis-à-vis des adhérents individuels.
    • A cet égard, La jurisprudence de la Cour de cassation a reconnu de manière nette la qualité de créancier du conseil à certains adhérents, notamment les emprunteurs adhérant à une assurance de groupe souscrite par leur banque.
    • L’arrêt de principe rendu par la chambre commerciale le 18 avril 2019 affirme que « l‘obligation d’éclairer l’adhérent sur l’adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d’emprunteur […] incombe au seul établissement de crédit souscripteur du contrat d’assurance »[47].
    • Cette solution ne repose pas sur une reconnaissance abstraite et générale de la qualité de créancier des adhérents, mais sur une qualification fonctionnelle du souscripteur-emprunteur comme distributeur effectif de l’assurance.
    • C’est en raison de ce rôle actif dans la commercialisation du produit que la banque est tenue d’un devoir de conseil à l’égard de l’adhérent.
    • L’article L. 141-4 du Code des assurances impose au souscripteur de remettre à chaque adhérent une notice d’information, décrivant notamment les garanties offertes et les modalités de mise en œuvre du contrat.
    • Cette obligation traduit un droit à l’information à la charge du souscripteur, mais ne fonde pas à elle seule un véritable devoir de conseil au sens de l’article L. 521-4.
    • Le devoir de conseil suppose en effet :
      • une relation directe entre un professionnel et l’adhérent ;
      • un recueil d’informations personnelles ;
      • une recommandation individualisée.
    • Or, dans la plupart des régimes collectifs, l’adhésion se fait sans contact personnalisé avec un distributeur, par simple acceptation des conditions du contrat-cadre.
    • En l’absence de ce lien personnel, l’adhérent n’est pas considéré comme créancier du conseil, sauf circonstances particulières.
    • La reconnaissance de la qualité de créancier du conseil pour l’adhérent dépend donc étroitement des modalités de son adhésion :
      • En cas d’adhésion facultative (assurance emprunteur, prévoyance complémentaire), l’adhérent dispose d’un pouvoir de choix. Il doit être en mesure de comparer les options disponibles et d’évaluer l’intérêt de son adhésion au regard de sa situation personnelle. Dans ce cas, si un professionnel agit comme distributeur à son égard, un devoir de conseil peut s’appliquer.
      • En cas d’adhésion obligatoire (ex. : assurance collective d’entreprise à caractère obligatoire), le besoin de conseil est atténué : l’adhérent n’a pas à choisir, il subit une affiliation imposée. Le droit à l’information subsiste, mais le devoir de conseil n’a pas lieu de s’exercer de la même manière.
    • Lorsque les conditions sont réunies, la situation conduit à une configuration à créanciers multiples du devoir de conseil :
      • Le souscripteur reste créancier du conseil vis-à-vis du distributeur pour ce qui concerne l’adéquation du contrat-cadre aux besoins du groupe ;
      • L’adhérent, quant à lui, peut devenir créancier d’un conseil individualisé dans la seule mesure où un professionnel assume un rôle actif de distribution à son égard.
    • C’est cette condition – l’existence d’un acte de distribution au profit de l’adhérent – qui fonde ou exclut l’application du devoir de conseil.
    • À défaut, aucun distributeur ne peut être tenu d’une obligation qu’il n’a pas eu l’occasion d’exercer.
    • La prudence de la jurisprudence et de la doctrine s’explique ainsi : la qualité de créancier du devoir de conseil n’est jamais présumée en matière d’assurance de groupe, mais doit être analysée au cas par cas, selon les circonstances concrètes de l’adhésion et l’identité du professionnel impliqué.

==>L’assurance pour compte

L’assurance pour compte constitue un mécanisme particulier où une personne souscrit une assurance non pas pour elle-même, mais pour le compte d’autrui, qu’il soit déterminé ou déterminable au moment du sinistre. Cette configuration soulève des questions spécifiques quant à l’identification des créanciers du devoir de conseil.

  • Principe
    • La jurisprudence admet désormais que le bénéficiaire de l’assurance pour compte peut se prévaloir d’un défaut de conseil, même en l’absence de lien contractuel direct avec l’assureur ou le distributeur. Cette solution s’écarte du principe traditionnel de l’effet relatif des contrats pour privilégier une approche fonctionnelle centrée sur la finalité protectrice de l’assurance.
    • Un arrêt de la première chambre civile du 18 janvier 2018 illustre cette évolution (Cass. 1re civ., 18 janv. 2018, n°16-29.062 et 17-10.189).
    • En l’espèce, une SCI, propriétaire de murs loués à un exploitant de discothèque, se trouvait dans une situation d’assurance pour compte particulièrement révélatrice.
    • La SCI, représentée par son gérant, louait des murs à un exploitant qui y exploitait une discothèque.
    • Par l’intermédiaire d’un cabinet de courtage en assurances, l’exploitant avait conclu « tant pour son propre compte que pour celui de la SCI, un contrat d’assurance », sur la base d’un questionnaire « renseigné et signé par lui ainsi que par [le gérant de la SCI] ».
    • Lors de la destruction de la discothèque par incendie, l’assureur a pu opposer à la SCI la faute intentionnelle de l’exploitant-souscripteur et refuser sa garantie.
    • La SCI et son gérant ont alors assigné l’assureur du courtier, estimant que ce dernier « avait engagé sa responsabilité pour ne pas les avoir utilement conseillés, ni correctement informés sur la nature, les spécificités et l’étendue de la police d’assurance souscrite pour le compte de la SCI ».
    • La cour d’appel avait initialement adopté une position restrictive, considérant que « le contrat d’assurance pour compte est une stipulation pour autrui et que, dès lors, seul le souscripteur, qui a contracté l’assurance par l’intermédiaire de son courtier, peut revendiquer de celui-ci le respect de son obligation de loyauté et d’information ».
    • Elle avait également retenu que « le seul fait que [le gérant de la SCI] ait pu suivre de près la négociation du contrat d’assurance en présence du préposé [du courtier] n’est pas de nature à lui conférer la qualité de futur souscripteur et de rendre le courtier débiteur d’obligations à son égard ou à l’égard de la société qu’il représentait ».
    • La Cour de cassation censure cette analyse au visa de l’article L. 520-1, II, du Code des assurances (devenu L. 521-4).
    • Elle reproche à la cour d’appel d’avoir retenu des « motifs impropres à établir» l’absence d’obligation du courtier.
    • La Haute juridiction considère qu’en l’espèce, lorsque le gérant de la SCI avait « conjointement avec [l’exploitant], consulté [le courtier], remplissant et signant avec lui le questionnaire qu’elle leur avait remis pour pouvoir évaluer le risque à assurer, et manifesté ainsi sa volonté de voir la SCI assurée en toute circonstance contre le risque incendie », la SCI avait acquis « la qualité de souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification emporte des conséquences importantes : le courtier était dès lors « tenu d’une obligation d’information sur les conséquences, pour l’assuré pour compte, des causes de non garantie opposables au souscripteur et d’une obligation de conseil relative à l’adaptation du contrat aux risques que la SCI entendait voir garantir ».
  • Fondement
    • Cette solution s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence développée en matière d’action directe.
    • Comme l’a établi l’arrêt d’assemblée plénière du 6 octobre 2006, un tiers peut reprocher à un contractant l’inexécution de ses obligations contractuelles si cette inexécution lui cause un préjudice.
    • L’arrêt “Boot Shop” ou “Myr’ho” (Cass. Ass. plén., 6 octobre 2006, n° 05-13.255) pose le principe que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.
    • Cette solution, initialement développée en matière de responsabilité délictuelle, trouve ici une application particulière.
    • L’assurance pour compte a précisément pour objet de protéger des personnes qui ne sont pas parties au contrat initial.
    • Il serait paradoxal que ces bénéficiaires, pour la protection desquels l’assurance a été souscrite, ne puissent invoquer les manquements du distributeur qui les privent d’une couverture adéquate.
    • Certains auteurs analysent cette situation à travers le prisme de la stipulation pour autrui.
    • Le souscripteur stipulerait le bénéfice du conseil au profit du bénéficiaire final, créant ainsi un lien juridique direct entre ce dernier et le distributeur.
  • Modalités d’application
    • Les conditions de mise en œuvre
      • Pour que le bénéficiaire puisse invoquer un défaut de conseil, plusieurs conditions doivent être réunies :
        • L’existence d’une assurance pour compte : Il faut établir que l’assurance a bien été souscrite dans l’intérêt d’autrui
        • Un préjudice direct : Le bénéficiaire doit démontrer qu’il subit personnellement un préjudice du fait du défaut de conseil
        • Un lien de causalité : Le préjudice doit résulter directement du manquement aux obligations de conseil
    • L’étendue du conseil dû
      • Le conseil dû au bénéficiaire porte principalement sur :
        • L’existence même de l’assurance et son périmètre de couverture
        • L’adéquation des garanties aux risques effectivement encourus par le bénéficiaire
        • Les modalités de mise en œuvre des garanties
        • Les exclusions susceptibles d’affecter la couverture
  • Portée
    • L’arrêt du 18 janvier 2018 introduit une notion nouvelle : celle de «souscripteur éventuel » en matière d’assurance pour compte.
    • Cette qualification ne procède pas d’un lien contractuel direct, mais de la participation effective du bénéficiaire au processus de souscription.
    • L’arrêt dégage plusieurs critères pour reconnaître cette qualité :
      • La consultation conjointe du distributeur par le souscripteur formel et le bénéficiaire
      • La participation active au processus d’évaluation du risque (remplissage et signature du questionnaire)
      • La manifestation de volonté de voir le bien assuré contre les risques identifiés
    • Une fois cette qualité reconnue, le distributeur assume deux obligations spécifiques vis-à-vis du bénéficiaire :
      • Une obligation d’information sur les conséquences des causes de non-garantie opposables au souscripteur formel
      • Une obligation de conseil sur l’adaptation du contrat aux risques que le bénéficiaire entend voir garantir
    • Aussi, la portée exacte de cette jurisprudence reste à préciser.
    • Tous les bénéficiaires d’assurance pour compte n’acquièrent pas automatiquement la qualité de « souscripteur éventuel ».
    • Cette qualification semble subordonnée à une participation effective au processus de souscription.

iii. La modulation du conseil selon les compétences du créancier

==>Le principe de proportionnalité

  • L’adaptation du devoir aux capacités du créancier
    • Le devoir de conseil n’est pas figé : il s’adapte au profil du destinataire.
    • L’un de ses traits essentiels est sa modulation en fonction des compétences du créancier, selon une logique de proportionnalité qui irrigue aussi bien le droit de la consommation que celui des relations professionnelles.
    • La jurisprudence consacre expressément ce principe.
    • Dans un arrêt du 17 janvier 2019, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l’étendue de l’obligation d’information et de conseil du courtier, dont la preuve du respect incombe à celui-ci, est ajustée selon les connaissances et les capacités du créancier » (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°17-31.408).
    • En l’espèce, une société exploitant un domaine viticole avait, avec l’aide d’un courtier, remplacé un contrat multirisque agricole par un contrat multirisque industriel. À la suite d’un sinistre, elle reprochait au courtier un défaut de conseil, en invoquant des lacunes de couverture par rapport à l’ancien contrat.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir écarté la responsabilité du courtier. Elle relève que le dirigeant :
      • s’était personnellement chargé de définir les montants à garantir ;
      • avait souscrit le contrat en connaissance de cause ;
      • et que les clauses litigieuses étaient suffisamment claires pour qu’un professionnel averti comprenne les différences de couverture.
    • En particulier, les juges avaient noté que les limitations de garantie étaient expressément stipulées, telles que la couverture des pertes plafonnée à 150 000 € ou l’indemnisation calculée sur la base du prix de revient.
    • Cet arrêt illustre parfaitement que l’implication du client dans la définition des garanties, jointe à la clarté des stipulations contractuelles, peut exonérer le courtier de sa responsabilité pour défaut de conseil lorsque le client est un professionnel expérimenté.
    • Cette solution jurisprudentielle permet de dégager plusieurs principes structurants :
      • L’évaluation concrète des compétences : Le juge doit apprécier, au cas par cas, si le souscripteur avait les capacités techniques ou juridiques de comprendre la portée du contrat.
      • La valorisation de l’implication personnelle : Lorsque le client s’implique directement dans la définition du contrat, son autonomie réduit d’autant le devoir d’assistance du professionnel.
      • La clarté des stipulations contractuelles : Un professionnel averti ne saurait invoquer un défaut de conseil sur des clauses claires, compréhensibles et librement négociées.
    • L’obligation de conseil demeure une obligation de moyens renforcée, exigeant une démarche proactive du professionnel.
    • Toutefois, cette obligation n’implique pas un devoir de vigilance uniforme et maximal dans tous les cas.
    • Le droit impose une juste proportion entre l’intensité du devoir et le degré de compétence du cocontractant.
    • Cette modulation permet de concilier deux exigences :
      • la protection des souscripteurs profanes, en leur garantissant un accompagnement adapté à leur niveau de compréhension ;
      • et la responsabilisation des professionnels avertis, qui ne peuvent se défausser de leur autonomie décisionnelle en invoquant systématiquement un défaut de conseil.
  • Les critères d’appréciation de la compétence
    • La détermination du niveau de compétence du créancier s’effectue selon plusieurs paramètres.
    • L’expérience professionnelle constitue un critère déterminant, comme l’illustre un arrêt de la première chambre civile du 9 juillet 1991 (Cass. 1re civ., 28 oct. 1991, n° 90-15.029).
    • En l’espèce, un artisan-couvreur reprochait à son assureur et à l’agent général un manquement au devoir de conseil, soutenant qu’ils auraient dû «l’éclairer sur l’érosion de sa garantie au fil de dix années d’assurances» et lui «conseiller une révision du taux de garantie».
    • L’artisan estimait que l’agent général avait « manqué à son devoir de renseignement et de conseil » en ne l’alertant pas sur l’insuffisance progressive de sa couverture due à l’inflation.
    • La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir relevé qu’« en sa qualité d’artisan [l’assuré] était à même d’apprécier l’évolution des prix consécutive à l’érosion monétaire et de veiller à faire modifier, en conséquence, ses polices d’assurance ».
    • La Haute juridiction valide la déduction selon laquelle « en l’espèce l’agent n’était pas tenu à un devoir de renseignement et de conseil particulier sur ce point ».
    • Cette solution illustre parfaitement la prise en compte de l’expérience professionnelle dans l’appréciation des compétences du créancier.
    • L’artisan, par sa pratique quotidienne et sa connaissance du marché de la construction, était présumé capable d’appréhender les effets de l’inflation sur la valeur de ses biens et activités.
    • Cette expertise professionnelle justifie l’allègement correspondant du devoir de conseil de l’intermédiaire.
    • La formation et le parcours professionnel sont également pris en considération dans l’évaluation des compétences du créancier.
    • Ainsi, une cour d’appel a pu débouter un souscripteur « diplômé de l’École normale, de l’institut d’études politiques et de l’ENA » de sa demande de dommages-intérêts pour défaut de conseil, considérant que son niveau de formation lui permettait d’appréhender les enjeux du contrat d’assurance-vie litigieux[48].
    • Cette approche différenciée témoigne de la volonté jurisprudentielle d’adapter l’intensité du devoir de conseil aux capacités réelles du créancier, évitant ainsi une infantilisation excessive des professionnels et des personnes disposant d’une formation ou d’une expérience particulière.

==>La typologie des créanciers selon leurs compétences

  • Les consommateurs profanes
    • Les particuliers dépourvus d’expérience en matière d’assurance constituent la catégorie de créanciers bénéficiant de la protection la plus étendue.
    • Cette situation s’enracine dans le déséquilibre informationnel caractérisant la relation entre le professionnel de l’assurance et le consommateur.
    • L’arrêt fondateur de la première chambre civile du 10 novembre 1964 impose au courtier d’être « un guide sûr et expérimenté », formule qui a irrigué l’ensemble de la jurisprudence ultérieure (Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, n°62-13.411).
    • Cette exigence traduit la mission éducatrice dévolue aux professionnels de l’assurance vis-à-vis de leur clientèle non avertie.
  • Les consommateurs avertis
    • La pratique judiciaire a fait émerger une catégorie intermédiaire de consommateurs avertis, qui, sans être des professionnels de l’assurance, disposent d’une expérience ou de compétences particulières justifiant un allègement du devoir de conseil.
    • Un arrêt de la deuxième chambre civile du 22 janvier 2004 qualifie ainsi un souscripteur de contrat d’assurance-vie chef d’entreprise, par ailleurs gestionnaire avisé d’un compte d’épargne en actions (PEA) ayant choisi dans un but spéculatif d’investir ses actifs sur des unités de compte (Cass. 2e civ., 22 janv. 2004).
    • L’évaluation du caractère averti du consommateur s’effectue de manière casuistique.
    • La jurisprudence examine les circonstances concrètes révélatrices de l’expérience du souscripteur, notamment ses investissements antérieurs et sa familiarité avec les produits financiers.
  • Les professionnels avertis
    • Le devoir de conseil, s’il constitue en principe une obligation de vigilance renforcée à la charge du distributeur, n’est pas exercé avec la même intensité envers tous les souscripteurs.
    • La jurisprudence admet une modulation de son contenu en fonction des compétences professionnelles ou de l’expérience technique du créancier de l’obligation.
    • Cette modulation repose sur l’idée que certains professionnels disposent d’un niveau de connaissance suffisant pour appréhender les enjeux juridiques et économiques d’un contrat d’assurance, de sorte qu’un conseil personnalisé ou insistant serait redondant, voire inutile.
    • Deux arrêts de la deuxième chambre civile illustrent cette approche.
      • Le cas du mandataire judiciaire (Cass. 2e civ., 16 mai 2013, n° 12-19.119)
        • Dans cette affaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi d’un professionnel qui reprochait à l’assureur de ne pas l’avoir informé de la brièveté du délai de prescription applicable à son action.
        • La Haute juridiction valide l’appréciation des juges du fond ayant retenu que le demandeur, en sa qualité de mandataire judiciaire, était présumé connaître la règle de droit invoquée.
        • Cette décision marque une ligne claire : lorsque le créancier est un professionnel du droit ou de la procédure, la jurisprudence ne fait pas peser sur l’assureur ou son intermédiaire une obligation d’alerte sur des éléments juridiques accessibles au professionnel concerné, dès lors qu’ils relèvent de sa sphère de compétence habituelle.
      • Le cas du professionnel de l’immobilier (Cass. 2e civ., 22 nov. 2018, n° 17-19.454)
        • Dans cette seconde espèce, un professionnel de l’immobilier, qui avait procédé de lui-même à une renégociation de ses garanties, reprochait à l’assureur de ne pas avoir proposé une couverture sur un bien spécifique ultérieurement sinistré.
        • La Cour de cassation rejette sa demande, en considérant qu’il avait sciemment exclu ledit bien du périmètre d’assurance et qu’en sa qualité de professionnel, il devait être en mesure d’apprécier les conséquences de ses propres choix contractuels.
        • Il en ressort que la responsabilité du professionnel averti est pleinement engagée lorsqu’il prend seul l’initiative de définir le périmètre des garanties, sans solliciter d’éclaircissements ou sans faire état d’une incertitude particulière.
    • Ces deux décisions permettent de dégager une grille d’analyse de l’intensité du devoir de conseil envers les professionnels avertis :
      • L’expérience technique ou juridique du souscripteur justifie une atténuation du devoir de conseil, en particulier lorsqu’il dispose, de par sa profession, d’une connaissance suffisante du domaine considéré.
      • L’autonomie décisionnelle du professionnel est prise en compte : lorsqu’il élabore seul le projet de couverture ou renégocie les garanties sans demande d’assistance, il est tenu pour pleinement informé.
      • La clarté des stipulations contractuelles joue un rôle déterminant : un professionnel ne peut invoquer un manquement au devoir de conseil s’il était à même de comprendre les termes du contrat, à défaut d’ambiguïté ou de complexité manifeste.
    • L’obligation de conseil n’est pas purement évincée à l’égard des professionnels avertis. Elle demeure, mais son contenu s’adapte à la qualité du souscripteur.
    • Ainsi, le distributeur n’est pas dispensé de toute vigilance, mais il n’est tenu de faire porter son conseil que sur les points objectivement ambigus ou manifestement omis, sans devoir alerter sur des évidences juridiques ou des conséquences manifestes pour un professionnel expérimenté.
    • Cette solution assure un équilibre entre protection du client et reconnaissance de sa compétence, en évitant une infantilisation du souscripteur averti tout en préservant l’exigence de rigueur à l’égard du distributeur.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Le moment de la délivrance du conseil en assurance

L’évolution contemporaine du droit de l’assurance témoigne d’une préoccupation croissante pour l’équilibrage de la relation contractuelle entre distributeurs et souscripteurs. Cette démarche trouve une expression particulièrement significative dans le renforcement du devoir de conseil, dont l’ordonnance du 16 mai 2018 a précisé les modalités d’exécution.

La dimension temporelle de cette obligation soulève des interrogations d’une complexité particulière. À quel moment le distributeur doit-il délivrer son conseil ? Comment articuler cette exigence avec les contraintes pratiques de la distribution d’assurance ? Le renouvellement du contrat fait-il renaître cette obligation ?

Ces questions invitent à examiner les moments critiques où s’actualise le devoir de conseil, révélant les tensions entre impératifs de protection du consommateur et exigences de sécurité juridique.

I. La délivrance du conseil avant la conclusion du contrat

Le caractère précontractuel du devoir de conseil est consacré par l’article L. 521-4 du Code des assurances qui dispose que « avant la conclusion de tout contrat d’assurance, le distributeur […] précise par écrit […] les exigences et les besoins » du souscripteur éventuel. Cette exigence revêt une portée particulière dans la mesure où elle impose une intervention active du distributeur en amont de tout engagement contractuel.

Le principe signifie concrètement que le conseil ne peut intervenir efficacement qu’avant que le consentement du souscripteur ne soit définitivement formé. Une fois le contrat conclu, l’objectif du conseil – éclairer le choix du contractant – ne peut plus être atteint. Cette logique transparaît dans la finalité même assignée par le législateur à cette intervention : permettre au souscripteur de « prendre une décision en toute connaissance de cause ». Cette expression révèle que le conseil vise à parfaire le consentement avant qu’il ne se cristallise dans l’acte contractuel.

La lettre de l’article L. 521-4 du Code des assurances confirme cette approche. L’obligation faite au distributeur de « conseiller un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » utilise à dessein la référence au « souscripteur éventuel », marquant ainsi que l’intervention doit nécessairement précéder l’engagement définitif. Cette conception s’inscrit dans une vision dynamique de la formation du contrat d’assurance. Comme le relève Jean Bigot, « le conseil est dû avant la conclusion de tout contrat d’assurance » car « la conclusion du contrat d’assurance vient au terme d’un processus de formation qui commence par la « proposition d’assurance » émanant d’un candidat à l’assurance mais qui va devoir mûrir sous les informations et les conseils du distributeur jusqu’à la signature de la police ».

Hubert Groutel souligne à cet égard que « le devoir de conseil en assurance » doit s’exercer « dès lors que s’engage le processus de formation du contrat », car c’est précisément à ce moment que le futur assuré a besoin d’être éclairé sur l’adéquation entre ses besoins et l’offre qui lui est présentée. L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs renforcé cette logique en imposant que le distributeur « précise par écrit les exigences et les besoins » du client « sur la base des informations obtenues auprès du souscripteur éventuel », marquant ainsi l’importance de la phase précontractuelle de dialogue et d’analyse.

Cette exigence de délivrance du conseil antérieurement à la conclusion du contrat répond à une finalité préventive clairement identifiée par la doctrine. Luc Mayaux observe que « l’objectif de la directive et des textes qui l’ont transposée est de combler ce déficit de compétence en chargeant l’une des parties, le distributeur, de renseigner le consommateur d’assurance ». Cette mission ne peut s’accomplir qu’en amont de l’engagement contractuel. Daniel Langé relève également que cette obligation précontractuelle vise à « éviter que l’assuré soit privé de la garantie » par une inadéquation entre ses besoins réels et le contrat souscrit.

La jurisprudence a d’ailleurs sanctionné les manquements à cette obligation précontractuelle. Dans un arrêt du 7 mars 1989, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité d’un courtier qui avait « omis de conseiller à l’assuré de résilier la garantie des dommages immatériels » inadaptée à sa situation, soulignant que cette obligation s’exerçait « dès avant la conclusion du contrat » (Cass. 1re civ., 7 mars 1989).

L’exigence de fourniture du conseil avant la conclusion du contrat s’articule étroitement avec les autres obligations précontractuelles, notamment l’obligation d’information consacrée aux articles L. 521-2 et L. 521-3 du Code des assurances. Comme le souligne Hubert Groutel, «si tout conseil suppose une information préalable, toute information n’aboutit pas nécessairement à un conseil»[30]. Cette distinction est essentielle car elle permet de comprendre que le conseil ne se limite pas à la transmission d’informations brutes, mais implique une véritable démarche d’analyse et de recommandation. L’article L. 521-4 du Code des assurances traduit cette exigence en imposant que le distributeur « conseille un contrat qui est cohérent avec les exigences et les besoins du souscripteur éventuel » et «précise les raisons qui motivent ce conseil ».

La Cour de cassation a d’ailleurs précisé, dans un arrêt du 13 décembre 2012, que la clarté du contrat peut dispenser de l’exécution de l’obligation d’informer, mais ne dispense jamais de l’exécution de l’obligation de conseil dont l’objet est différent, confirmant ainsi la spécificité et l’autonomie de l’obligation de conseil précontractuel (Cass. 1re civ., 13 déc. 2012, n° 11-27.631).

Cette conception du conseil emporte des conséquences pratiques déterminantes. Elle impose d’abord au distributeur de structurer sa démarche commerciale de manière à ménager un temps spécifique dédié au conseil, distinct de la phase de conclusion proprement dite. Cette exigence se matérialise par l’obligation de formalisation écrite qui impose de « préciser par écrit » les exigences et besoins du client ainsi que « les raisons qui motivent ce conseil ». Cette formalisation vise précisément à matérialiser l’antériorité du conseil par rapport à la conclusion du contrat.

Le principe implique enfin que le distributeur doit disposer, avant toute conclusion, de l’ensemble des éléments nécessaires à la délivrance d’un conseil éclairé, ce qui suppose un recueil préalable et approfondi des informations relatives à la situation du souscripteur potentiel. Cette intervention précontractuelle constitue donc le socle temporel sur lequel repose l’ensemble du dispositif de protection du consommateur d’assurance, justifiant l’attention particulière que lui porte le législateur contemporain.

II. La délivrance du conseil lors du renouvellement du contrat

Une interrogation spécifique mérite d’être examinée s’agissant de l’application du devoir de conseil lors du renouvellement du contrat d’assurance. Cette problématique révèle les tensions entre l’automatisme de la tacite reconduction et l’exigence d’un conseil actualisé.

La jurisprudence a établi de longue date que la tacite reconduction n’entraîne pas une simple prorogation du contrat existant, mais donne naissance à un nouveau contrat. Cette analyse, confirmée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 18 janvier 1983 pourrait théoriquement imposer la délivrance d’un nouveau conseil à chaque échéance contractuelle (Cass. 1re civ., 18 janv. 1983, n° 81-14.860).

Cette exigence trouve sa justification dans l’évolution naturelle de la situation du souscripteur. Comme le souligne Jean Bigot « les besoins du client ont pu changer, de même que les opportunités à saisir sur le marché ». Cette observation revêt une acuité particulière dans un environnement économique et réglementaire en constante mutation, où les produits d’assurance évoluent rapidement pour s’adapter aux nouveaux risques et aux attentes changeantes de la clientèle.

Jean Bigot relève à cet égard que « la finalité du conseil pourrait le justifier », dans la mesure où celui-ci vise « la recommandation d’un contrat qui serait adapté aux besoins du souscripteur » éventuel, appréciés à un moment donné. À l’instant du renouvellement, cette adéquation mérite d’être réévaluée, les circonstances ayant pu évoluer depuis la souscription initiale.

L’ordonnance du 16 mai 2018 a d’ailleurs anticipé cette problématique en précisant, à l’article L. 521-2, III du Code des assurances, que « le souscripteur ou l’adhérent est informé des changements affectant l’une des informations » relatives au distributeur « s’il effectue, au titre du contrat d’assurance après sa conclusion, des paiements autres que les primes en cours et les versements prévus ». Cette disposition témoigne de la volonté du législateur de maintenir une information actualisée tout au long de la relation contractuelle.

La doctrine civiliste a d’ailleurs souligné l’importance de cette actualisation dans le contexte plus large du droit des contrats. Philippe Malaurie observe que « l’évolution des circonstances peut remettre en cause l’équilibre contractuel initial », justifiant une vigilance particulière lors des renouvellements successifs[31].

Néanmoins, la mise en œuvre pratique de cette exigence soulève des difficultés considérables. L’automatisme de la tacite reconduction, prévu à l’article L. 113-3 du Code des assurances, vise précisément à éviter les interruptions de garantie et à simplifier la gestion contractuelle. Imposer un conseil systématique à chaque renouvellement pourrait contrarier cette logique de continuité.

La solution semble résider dans une approche nuancée, fondée sur l’évolution significative de la situation du souscripteur ou du marché de l’assurance. Luc Mayaux suggère ainsi que « l’obligation de conseil ne devrait s’imposer au renouvellement qu’en cas de modification substantielle des besoins du souscripteur ou de l’offre disponible ». Cette approche permettrait de concilier l’exigence de protection du consommateur avec les impératifs de sécurité juridique et d’efficacité commerciale.

Cette problématique illustre plus largement les défis posés par l’adaptation du droit traditionnel de l’assurance aux exigences contemporaines de protection du consommateur, révélant la nécessité d’un équilibre délicat entre formalisme juridique et pragmatisme commercial.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

Les caractères du contrat d’assurance

Le contrat d’assurance, bien qu’il relève d’un droit spécial codifié dans le Code des assurances, n’échappe pas pour autant aux grandes classifications du droit commun des contrats. Son régime particulier ne l’isole pas du droit général des obligations, dont il partage plusieurs traits caractéristiques. À cet égard, il est possible de l’analyser à la lumière des catégories traditionnelles du droit des contrats, afin d’en faire ressortir les principaux éléments constitutifs. Cette approche permet de mieux cerner sa nature juridique en identifiant les qualifications qui en structurent l’architecture.

I. Un contrat synallagmatique

Le contrat d’assurance se présente, à l’analyse, comme un contrat essentiellement synallagmatique. Il se forme par l’échange de consentements entre deux parties, chacune s’obligeant envers l’autre. Cette qualification, issue de l’article 1106 du Code civil (ancien art. 1102), suppose une interdépendance entre des obligations réciproques. Or, tel est bien le cas en matière d’assurance : d’une part, le souscripteur s’engage à verser la prime et à faire les déclarations exactes du risque ; d’autre part, l’assureur s’oblige, en contrepartie, à garantir l’exécution d’une prestation en cas de réalisation du sinistre.

Certes, une partie de la doctrine a pu interroger cette qualification au regard du caractère purement conditionnel — voire suspendu — de l’obligation de l’assureur. Celui-ci n’est en effet tenu à garantie qu’en cas de sinistre effectif, si bien que son engagement pourrait apparaître comme aléatoire et contingent. Toutefois, une telle objection méconnaît la logique même du contrat d’assurance, dont l’objet est précisément de couvrir un événement incertain. Comme l’ont souligné les auteurs classiques, et notamment Maurice Picard et André Besson, « l’aléa du contrat ne supprime pas la réciprocité des promesses ». En d’autres termes, le fait que l’assureur n’intervienne qu’en cas de sinistre — c’est-à-dire si un événement incertain survient — ne remet pas en cause le fait qu’il existe un véritable engagement réciproque entre les parties. Le souscripteur paie une prime, et l’assureur, en contrepartie, prend l’engagement juridique de garantir un risque. Cet engagement existe dès la conclusion du contrat, même si la prestation de l’assureur (le versement d’une indemnité) dépend d’un aléa. Ainsi, le caractère incertain de l’exécution ne supprime pas la structure d’échange propre à tout contrat synallagmatique : chacun des cocontractants s’oblige en fonction de l’obligation de l’autre.

La jurisprudence n’a d’ailleurs jamais remis en cause cette qualification. De son côté, la doctrine contemporaine, à l’instar de Luc Mayaux, insiste sur le fait que l’assureur contracte une obligation ferme de couverture du risque, dès lors que celui-ci entre dans le champ de la garantie convenue. Cette obligation, bien que soumise à la réalisation du sinistre, n’en reste pas moins certaine dans son principe, et se distingue d’une simple promesse potestative. Comme le rappelle l’auteur, l’assurance est la contrepartie du paiement de la prime, et l’obligation de garantie s’impose à l’assureur dès la conclusion du contrat.

Le caractère synallagmatique se révèle également dans les conséquences juridiques de l’inexécution. Ainsi, l’assureur peut se prévaloir du manquement de l’assuré à ses obligations déclaratives pour opposer la nullité (en cas de fausse déclaration intentionnelle), la déchéance (déclaration tardive du sinistre), ou encore suspendre la garantie en cas de non-paiement de la prime. Symétriquement, l’assuré peut rechercher la responsabilité de l’assureur en cas de refus abusif de garantie ou d’exécution tardive de la prestation convenue. Cette réciprocité des engagements est, à tous égards, la marque des contrats synallagmatiques.

En définitive, l’analyse juridique du contrat d’assurance ne saurait faire abstraction de cette logique d’échange structurant le rapport entre l’assureur et l’assuré. Elle permet de distinguer l’assurance d’autres opérations juridiques unilatérales (comme la libéralité) et justifie l’assujettissement du contrat d’assurance aux règles du droit commun relatives aux contrats synallagmatiques, notamment en matière de résiliation, d’exception d’inexécution ou encore de résolution pour inexécution.

Enfin, il convient de souligner que cette qualification n’est pas remise en cause par l’existence de bénéficiaires tiers, comme dans les assurances-vie, où le contrat peut produire ses effets au profit d’une personne étrangère à sa formation. Le mécanisme est alors celui d’un contrat à effet translatif au profit d’un tiers, mais la structure fondamentale du contrat entre le souscripteur et l’assureur demeure fondée sur la réciprocité des obligations.

II. Un contrat à titre onéreux

Le contrat d’assurance est, par essence, un contrat à titre onéreux. Conformément à la définition énoncée par l’article 1107 du Code civil, un contrat est conclu à titre onéreux lorsqu’il repose sur la fourniture réciproque d’avantages : chacune des parties procure à l’autre un bénéfice en contrepartie de celui qu’elle reçoit. Tel est bien le mécanisme à l’œuvre en matière d’assurance : le souscripteur s’engage à verser une prime ou une cotisation, et, en retour, l’assureur s’oblige à couvrir un risque, selon les termes prévus au contrat. Chacun agit dans la perspective d’obtenir un avantage économique : la sécurité contre un aléa pour l’un, une rémunération pour l’autre.

Il s’agit donc d’un contrat fondé sur une contrepartie réciproque, ce qui le distingue fondamentalement des actes à titre gratuit, dans lesquels l’une des parties procure un avantage à l’autre sans attendre ni recevoir de prestation en retour. Autrement dit, l’assureur n’assume jamais un risque gratuitement. Même dans les cas où une couverture semble offerte « sans frais » — par exemple, lorsqu’elle est présentée comme une garantie « incluse » dans un service ou un produit — cette gratuité est purement apparente. Comme l’a très bien démontré Pierre Bichot dans sa thèse consacrée à l’assurance gratuite, toute prétendue gratuité repose en réalité sur un financement indirect, notamment par l’effet d’une mutualisation des primes ou par l’intégration du coût dans le prix d’un autre produit ou service. Il existe donc toujours, d’une manière ou d’une autre, une contrepartie économique à la prise en charge du risque par l’assureur.

Le caractère onéreux du contrat d’assurance s’impose, en pratique, quel que soit le statut juridique de l’organisme assureur. Dans les sociétés commerciales d’assurance, on parle de « prime », tandis que dans les mutuelles ou les institutions de prévoyance, il est question de « cotisation ». Mais dans tous les cas, l’assuré s’acquitte d’une somme d’argent pour bénéficier de la garantie, et ce paiement constitue une condition essentielle de la validité et de l’efficacité du contrat. À défaut de paiement, l’assureur peut légalement suspendre la garantie, puis procéder à la résiliation du contrat, conformément aux dispositions de l’article L. 113-3 du Code des assurances.

Ce caractère onéreux ne fait cependant pas obstacle à ce que le contrat d’assurance puisse, dans certaines hypothèses, produire des effets à titre gratuit au profit d’un tiers. Il en va ainsi lorsque le souscripteur désigne une autre personne comme bénéficiaire du contrat, sans que cette dernière n’ait fourni la moindre contrepartie. C’est le cas typique de l’assurance-vie souscrite au profit d’un membre de la famille, d’un conjoint ou d’un tiers. Dans cette configuration, le contrat conserve sa nature onéreuse dans le rapport entre le souscripteur et l’assureur, mais il emporte des effets libéraux dans les rapports entre le souscripteur et le bénéficiaire.

La jurisprudence reconnaît depuis longtemps que ce type d’assurance peut dissimuler une donation indirecte, ou être assimilé, dans certains cas, à une stipulation pour autrui à titre gratuit, susceptible d’être requalifiée en libéralité. Cette requalification a des incidences pratiques, notamment en matière successorale, dès lors que l’assurance est utilisée comme un moyen de gratifier un bénéficiaire hors part successorale. Elle peut ainsi donner lieu à des actions en réduction pour atteinte à la réserve héréditaire.

En revanche, il ne saurait être déduit de la désignation d’un tiers bénéficiaire, notamment dans le cadre d’un contrat d’assurance-vie, que le contrat d’assurance perdrait sa nature onéreuse. Lorsque le souscripteur choisit d’attribuer le bénéfice de la garantie à une personne étrangère au contrat, cette stipulation peut certes conduire à l’octroi d’un avantage sans contrepartie dans les rapports entre le souscripteur et le bénéficiaire. Toutefois, cela ne modifie en rien la nature juridique du lien contractuel entre le souscripteur et l’assureur, lequel demeure fondé sur une logique de contrepartie : la couverture du risque n’est consentie qu’en contrepartie du paiement d’une prime.

Le fait que le bénéficiaire n’ait personnellement fourni aucun effort financier ni pris aucun engagement ne transforme pas le contrat en acte de libéralité. Le contrat reste, dans son économie propre, un contrat à titre onéreux. Il n’est que le support d’un effet gratuit dans une relation tierce, distincte de la relation contractuelle principale. Cette dissociation est essentielle : le contrat d’assurance ne devient pas gratuit du seul fait qu’un tiers en perçoit les fruits sans avoir contribué à son financement. Il ne s’agit pas d’un acte à titre gratuit au sens de l’article 1107, alinéa 2, du Code civil, mais d’un contrat onéreux susceptible d’être utilisé comme instrument de transmission patrimoniale, ce qui, dans certains cas, peut justifier une requalification en donation indirecte, notamment lorsqu’il en résulte une atteinte à la réserve héréditaire.

Ainsi précisé, le contrat d’assurance se distingue fondamentalement des engagements unilatéraux ou des actes à titre gratuit. La prestation de l’assureur n’est jamais fournie gratuitement : elle repose sur un mécanisme économique qui combine le versement préalable d’une prime par l’assuré, l’évaluation du risque couvert au moyen de données probabilistes, et l’affectation de ce risque à une masse d’assurés, selon le principe de mutualisation. Ce système permet à l’assureur d’anticiper les charges futures et d’y faire face collectivement, en répartissant le coût des sinistres entre tous les adhérents à un même portefeuille de contrats.

III. Un contrat consensuel

Le contrat d’assurance appartient à la catégorie des contrats consensuels, au sens classique du terme : il se forme par le seul échange des consentements entre le souscripteur et l’assureur, sans qu’un écrit ne soit requis pour sa validité. Il suffit que les parties soient d’accord sur les éléments essentiels du contrat — la nature du risque, l’étendue des garanties, le montant de la prime — pour que naissent les engagements des parties. Aucune disposition du Code des assurances ne subordonne la validité du contrat à la rédaction d’un acte écrit, sauf cas particuliers. L’assurance se rattache ainsi, par principe, au modèle libéral des contrats fondés sur la seule volonté.

Toutefois, ce consensualisme est encadré par des exigences probatoires spécifiques. Si l’écrit n’est pas requis ad validitatem, il l’est ad probationem. L’article L. 112-3 du Code des assurances impose que le contrat soit constaté par écrit, au moyen d’une police ou d’un document en tenant lieu, destiné à établir la réalité et le contenu de l’accord. L’écrit sert ici à prouver l’existence du contrat et la portée des engagements souscrits, non à les faire naître. Il s’agit d’une exigence de preuve, non de validité.

La jurisprudence est constante sur ce point : le contrat d’assurance est valablement formé dès lors que les volontés des parties se sont rencontrées, même en l’absence de signature de la police. La remise d’un bulletin d’adhésion, d’une note de couverture, ou même d’un simple échange de correspondances peut suffire à constater l’accord intervenu, dès lors que les éléments essentiels du contrat sont déterminés. Ce principe se vérifie tout particulièrement dans les pratiques professionnelles, où la formalisation du contrat peut intervenir postérieurement à sa prise d’effet, sans remettre en cause sa validité.

En outre, certains contrats d’assurance, du fait de leur nature particulière ou des circonstances de leur souscription, obéissent à des régimes dérogatoires. Il en va ainsi, par exemple, des contrats d’assurance-vie ou des assurances conclues à distance, qui donnent lieu à des obligations spécifiques d’information préalable, de remise de documents normalisés, voire de respect de délais de rétractation. Ces exigences ne procèdent pas d’une remise en cause du consensualisme, mais traduisent la volonté du législateur de renforcer la protection du souscripteur dans des contextes perçus comme déséquilibrés.

IV. Un contrat à exécution successive

Le contrat d’assurance s’exécute dans le temps : il ne donne pas lieu à une prestation unique, mais à une série d’obligations qui se déploient de manière continue. L’assureur perçoit des primes à intervalles réguliers, tandis qu’il maintient la couverture du risque pendant toute la durée convenue. Cette modalité d’exécution échelonnée permet de qualifier le contrat d’assurance de contrat à exécution successive, au sens de l’article 1211 du Code civil.

Dans la majorité des cas, le contrat est souscrit pour une durée déterminée — généralement annuelle — avec possibilité de reconduction tacite. Ce mode d’exécution conditionne l’application de règles spécifiques, notamment en matière de résiliation. L’article L. 113-12 du Code des assurances permet à l’assuré de résilier son contrat à l’issue de chaque période annuelle, sous réserve du respect d’un préavis. La loi Hamon du 17 mars 2014 est venue assouplir ce régime, en autorisant la résiliation à tout moment après un an de souscription, pour les contrats à tacite reconduction.

Le paiement de la prime est également lié à cette logique de durée. Il peut être fractionné ou versé en une seule fois pour la période assurée. En cas de résiliation anticipée — par exemple, en cas de disparition du risque (art. L. 113-16 C. assur.) — la prime est calculée au prorata temporis, c’est-à-dire en fonction de la période durant laquelle la garantie a effectivement couru.

Par ailleurs, l’exécution successive du contrat renforce son caractère aléatoire : le risque ne se réalise, s’il se réalise, que dans un avenir incertain. C’est dans la durée du contrat que l’aléa prend corps, en ce qu’elle constitue le cadre temporel dans lequel le sinistre peut survenir.

Cette exécution successive dans le temps structure aussi les obligations respectives des parties. L’assureur est tenu de maintenir la garantie, tant que les primes sont réglées. L’assuré, quant à lui, doit éviter toute aggravation du risque, informer l’assureur des circonstances nouvelles, et déclarer les sinistres dans les formes prévues.

Enfin, pour les assurances de longue durée — prévoyance ou assurance-vie — cette exécution successive s’accompagne d’une gestion évolutive du contrat : rachats, avenants, transformation, nécessitant un encadrement juridique précis et un devoir d’information constant.

V. Un contrat d’adhésion

Le contrat d’assurance relève, dans sa forme la plus courante, de la catégorie des contrats d’adhésion. Cette qualification a été consacrée à l’article 1110, alinéa 2, du Code civil, tel qu’issu de l’ordonnance du 10 février 2016, selon lequel « le contrat d’adhésion est celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l’avance par l’une des parties ». Cette définition reflète la pratique assurantielle, dans laquelle les conditions générales du contrat sont élaborées unilatéralement par l’assureur, puis proposées au souscripteur sous la forme d’un contrat standardisé.

L’assuré, en pratique, ne dispose d’aucune marge de négociation sur le contenu des stipulations contractuelles. Il lui est simplement offert de compléter un bulletin de souscription ou de remplir certaines données individualisées, sans pouvoir modifier les clauses essentielles relatives à la garantie, aux exclusions ou aux modalités d’indemnisation. Le contrat s’apparente ainsi à une offre à prendre ou à laisser, dans laquelle le consentement de l’assuré se limite à l’acceptation d’un cadre contractuel préétabli.

Cette absence de véritable négociation emporte des conséquences juridiques substantielles, destinées à rétablir un certain équilibre contractuel. En premier lieu, l’article 1190 du Code civil prévoit que, dans le doute, le contrat d’adhésion s’interprète contre celui qui l’a proposé, en l’occurrence l’assureur, et en faveur de l’adhérent, c’est-à-dire de l’assuré. Cette règle d’interprétation in favorem repose sur la présomption que l’auteur des clauses standardisées en maîtrise parfaitement le contenu et la portée, tandis que l’adhérent en subit l’éventuel déséquilibre.

En second lieu, les clauses non négociables insérées dans le contrat d’assurance peuvent faire l’objet d’un contrôle en tant que clauses abusives, au sens de l’article 1171 du Code civil. Ce texte, issu de l’ordonnance du 10 février 2016, prévoit que dans les contrats d’adhésion, « toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».

Initialement, le contrôle des clauses abusives n’était ouvert qu’en matière de relations entre professionnels et consommateurs, dans le cadre du droit de la consommation. L’ordonnance de 2016 en a généralisé le principe, en l’intégrant au Code civil, et en l’appliquant désormais à l’ensemble des contrats d’adhésion, quel que soit la qualité du cocontractant. Dès lors, même un assuré professionnel peut se prévaloir de l’article 1171, dès lors qu’il n’a pas eu la possibilité de négocier les stipulations du contrat.

Cette évolution consacre une approche plus réaliste des rapports contractuels, fondée non plus uniquement sur la qualité juridique des parties, mais sur l’effectivité du consentement et la capacité de négociation réelle. Le juge est ainsi invité à apprécier concrètement si la clause en cause rompt l’équilibre contractuel au détriment de la partie qui y a adhéré, en tenant compte notamment de sa portée économique, de son accessibilité, et de l’exécution qu’elle implique.

L’opération d’assurance: définitions

L’assurance constitue sans doute l’une des constructions juridiques les plus originales du droit privé. Derrière la simplicité apparente du contrat d’assurance se dissimule une réalité autrement plus complexe, qui tient à sa nature double : à la fois engagement contractuel individuel et mécanisme technique collectif de traitement du risque. Cette dichotomie structurelle, déjà signalée par de nombreux auteurs, exige que l’on distingue soigneusement la définition juridique du contrat d’assurance de celle, plus englobante, de l’opération d’assurance. Loin d’être antinomiques, ces deux approches se complètent, et leur combinaison seule permet de saisir ce qu’est véritablement l’assurance dans sa fonction et dans sa portée.

I) L’assurance, en tant que contrat

D’un point de vue juridique, l’assurance prend d’abord la forme d’un contrat, c’est-à-dire d’un accord de volontés destiné à produire des effets de droit. Elle relève ainsi des principes généraux du droit des obligations, tout en étant régie par des règles spéciales, codifiées au sein du Code des assurances. Ce contrat présente une singularité structurelle : il se situe à la frontière du droit commun et d’un droit fortement technicisé, dont les sources sont à la fois civiles, commerciales, et administratives.

La doctrine s’accorde, depuis les travaux fondateurs de Pothier, à définir l’assurance comme « un contrat par lequel l’un des contractants se charge du risque des cas fortuits auxquels une chose est exposée, et s’oblige envers l’autre à l’indemniser de la perte que ces cas fortuits pourraient causer, s’ils arrivent, moyennant une somme d’argent »[1]. Cette définition, élaborée à propos de l’assurance de choses, demeure d’une étonnante modernité : elle met en lumière les trois éléments constitutifs du contrat d’assurance — le risque, la prime, et la prestation de garantie — tout en soulignant la nature synallagmatique et onéreuse de l’engagement.

Reprise et précisée par la doctrine moderne, cette définition juridique reste le point d’entrée nécessaire à toute réflexion sur l’assurance. Elle permet de situer cette institution dans l’univers des contrats aléatoires, où l’exécution dépend de la survenance d’un événement incertain. Elle confère également à l’assurance une coloration particulière : le contrat est conclu intuitu pecuniae, l’assureur étant tenu de disposer des fonds nécessaires à l’exécution de sa garantie.

Mais cette approche strictement bilatérale souffre d’un inévitable rétrécissement. Car, si l’on s’en tenait à cette seule définition, l’assurance pourrait n’apparaître que comme un pari sophistiqué entre deux individus, dont les mises respectives seraient le paiement de la prime, d’une part, et l’éventualité d’une indemnisation, d’autre part. Cette assimilation à une forme licite de jeu d’argent n’est pas purement théorique : Domat, déjà, observait dans ses Lois civiles dans leur ordre naturel (t. 1, liv. I, tit. 1, sect. 2), que « tout contrat qui dépend du hasard contient une part de jeu, même s’il sert un dessein utile »[2].

Or, réduire l’assurance à un simple jeu de hasard serait méconnaître sa nature profonde. Le contrat n’est pas un instrument de spéculation sur l’avenir : il est, au contraire, un outil de prévoyance rationnelle. Cette tension a été signalée de longue date par Toullier, qui distinguait, dans son Droit civil français, les contrats d’assurance des jeux et paris, en insistant sur l’intérêt social de la couverture assurantielle. Dans le même esprit, Aubry et Rau soulignaient que l’assurance, si elle repose sur un aléa, vise à « procurer une sécurité par l’organisation d’une prévoyance collective »[3].

La doctrine contemporaine a prolongé cette analyse. Yvonne Lambert-Faivre, suivie par Jean Bigot, insiste sur le fait que le contrat d’assurance, en tant qu’acte juridique isolé, n’est que l’une des pièces d’un édifice plus vaste : celui de la mutualité. Il ne prend sens que replacé dans l’économie générale d’une opération collective, où les primes de tous servent à indemniser les sinistres de quelques-uns. Il faut donc, selon leurs termes, dépasser l’apparence contractuelle pour considérer l’architecture technique qui la soutient.

En d’autres termes, si le contrat d’assurance est juridiquement une convention, il est fonctionnellement un rouage dans une organisation solidaire et mathématiquement structurée. Hubert Groutel rappelle que l’assurance est certes « un contrat », mais qu’elle constitue aussi et surtout « un mode de traitement du risque, dont la substance excède la forme ». Cette critique d’une approche purement juridique, qualifiée parfois de « positivisme appauvri », invite à réintégrer l’assurance dans une logique systémique : le contrat n’est que le vecteur normatif d’une technique économique, au service de la prévoyance.

Aussi est-il indispensable, pour comprendre la véritable fonction de l’assurance, de ne pas s’arrêter à la seule analyse des rapports entre l’assureur et l’assuré. Car cette relation, bien qu’essentielle à la formation du contrat, ne constitue que la manifestation ponctuelle d’un système plus vaste de gestion mutualisée des aléas. L’assurance ne saurait être comprise sans référence à cette opération, que le contrat ne fait que refléter et encadrer.

II) L’assurance, en tant qu’opération

Si le contrat constitue l’instrument juridique de l’assurance, il ne saurait à lui seul en révéler l’essence. Car l’assurance n’est pas uniquement un lien de droit unissant deux volontés ; elle est, fondamentalement, une opération de couverture collective, fondée sur un mécanisme de mutualisation des risques. Ainsi que le rappellent Hubert Groutel et Luc Mayaux, « l’assurance n’est pas seulement une convention : c’est d’abord une technique », une structure économico-statistique visant à organiser la prévoyance à grande échelle. Il importe donc, au-delà de l’analyse contractuelle, de saisir la logique opératoire dans laquelle s’inscrit tout contrat d’assurance.

Dans une formule devenue classique, Yvonne Lambert-Faivre et Laurent Leveneur définissent l’assurance, non plus en tant que contrat, mais comme « l’opération par laquelle un assureur organise en une mutualité une multitude d’assurés exposés à certains risques, et indemnise ceux d’entre eux qui subissent un sinistre, grâce à la masse commune des primes collectées »[4]. Cette définition technique, désormais consacrée par la doctrine dominante, repose sur quatre éléments indissociables : le risque, la prime, le sinistre, et surtout, la mutualité.

C’est par l’organisation de cette mutualité que l’assurance prend sa véritable dimension. En agrégeant une pluralité d’individus exposés à un aléa commun, elle transforme une incertitude individuelle en une probabilité collective. L’aléa, imprévisible à l’échelle d’un seul assuré, devient maîtrisable à celle du groupe. Ce processus de dilution du risque, décrit avec précision par François Ewald comme une « logique de redistribution assurantielle », repose sur la loi des grands nombres, qui permet d’anticiper statistiquement la fréquence et l’intensité des sinistres futurs à partir de l’observation des sinistres passés.

La prime constitue le vecteur financier de cette organisation : elle n’est pas seulement le prix d’un contrat, mais la contribution à une caisse commune, alimentée par tous, au profit de ceux qui seront atteints par le sinistre. Elle est calculée selon des règles actuarielles exigeantes, tenant compte des données statistiques disponibles, mais aussi des impératifs de rentabilité et de solvabilité de l’organisme assureur. Comme le souligne Jérôme Kullmann, cette spécificité justifie le particularisme juridique de la prime, dont le caractère divisible a été consacré en jurisprudence (v. par ex. Cass. 1re civ., 18 nov. 2003, n° 00-16.889), notamment lorsque le risque vient à disparaître en cours de contrat.

Loin d’un simple transfert, le risque est absorbé par la collectivité, via le truchement de l’assureur. Celui-ci ne se contente pas d’accompagner l’assuré : il est l’architecte d’un système d’anticipation, qui vise à convertir l’aléa en certitude financière. Il ne supprime pas le péril, mais en assure la couverture. À cet égard, l’assurance s’oppose radicalement à d’autres techniques de gestion du risque telles que l’auto-assurance, qui repose sur la seule épargne individuelle, ou encore les clauses d’exonération de responsabilité, qui neutralisent le risque juridique sans en prendre matériellement la charge.

Ce rôle de l’assureur, pivot de la mutualité, trouve sa pleine justification dans la technique actuarielle qu’il maîtrise, mais aussi dans la réglementation prudentielle à laquelle il est soumis. Car la viabilité de l’opération d’assurance dépend de l’équilibre permanent entre les engagements pris (prestations garanties) et les ressources disponibles (primes perçues). C’est dans cette optique que se développent les techniques de coassurance et de réassurance, qui étendent la logique de mutualisation au-delà d’un seul opérateur, afin de mieux répartir la charge des sinistres majeurs ou systémiques.

L’analyse technique de l’assurance impose ainsi de repenser la hiérarchie des concepts juridiques en cause : le contrat n’est plus la fin, mais le moyen, le véhicule normatif qui permet à l’opération de s’inscrire dans l’ordre juridique. Denis Mazeaud notait déjà que le droit des contrats ne pouvait tout expliquer du phénomène assurantiel, car celui-ci obéit à des logiques propres, empruntées à l’économie et aux probabilités.

Cela ne signifie pas que le contrat soit relégué à un rôle accessoire. Il demeure l’acte fondateur de l’engagement de l’assureur, et la condition de la licéité de l’opération. Sans lui, la mutualité serait dépourvue de force obligatoire. Mais, à l’inverse, le contrat sans mutualité ne serait qu’une promesse vide, incapable d’assurer une couverture réelle. Cette interdépendance explique pourquoi Jean Bigot peut affirmer que « l’assurance est le lieu d’un dialogue constant entre le droit et la technique ; et c’est de cette tension féconde que naît sa cohérence ».

En définitive, l’assurance ne peut se penser ni exclusivement en termes juridiques, ni uniquement en termes techniques. Elle est l’alliance des deux : une institution mixte, dans laquelle la convention individuelle participe d’une organisation collective, et où le droit civil rejoint l’économie pour conjurer l’incertitude.

 

 

  1. R.-J. Pothier, Traité du contrat d’assurance, 1761 ?
  2. J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, t. 1, liv. I, tit. 1, sect. 2. ?
  3. Ch. Aubry et Ch. Rau, Cours de droit civil, § 408. ?
  4. Y. Lambert-Faivre et L. Leveneur, Droit des assurances, éd. Dalloz, 2017, n°33. ?