Attribution préférentielle: effets

L’attribution préférentielle constitue une modalité d’allotissement. Elle ne confère pas immédiatement la propriété du bien à l’attributaire, mais lui assure qu’il lui sera dévolu lors de la division définitive des actifs indivis. Cette intégration dans son lot s’effectue sous réserve du respect de l’équilibre du partage, ce qui peut impliquer le versement d’une soulte destinée à compenser les droits des autres indivisaires.

A) L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire

L’attribution préférentielle constitue une modalité particulière d’allotissement permettant à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, sous réserve du respect de certaines conditions. Elle ne confère cependant pas immédiatement à son bénéficiaire la pleine propriété du bien en cause. Tant que le partage n’a pas été définitivement consommé, l’attributaire demeure soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences qui en découlent.

Ce régime transitoire implique notamment que l’attributaire ne puisse exercer sur le bien l’ensemble des prérogatives du propriétaire exclusif, qu’il s’agisse de l’administration, de la disposition ou encore de l’exploitation du bien. Toutefois, une fois le partage clôturé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif qui consolide rétroactivement les droits de l’attributaire, lui reconnaissant une pleine propriété réputée acquise dès l’ouverture de l’indivision.

1. L’acquisition des droits attachés au bien

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement dans le cadre du partage successoral ou de l’indivision. Son bénéficiaire ne devient pas immédiatement propriétaire du bien qui lui est attribué, mais acquiert un droit à en recevoir la pleine propriété lors de la division définitive des actifs. Tant que le partage n’est pas consommé, le bien demeure juridiquement soumis au régime de l’indivision, avec toutes les conséquences que cela implique.

Ainsi, jusqu’à la clôture des opérations de partage:

  • L’attributaire ne détient qu’un droit provisoire sur le bien, sans pour autant pouvoir se comporter comme un propriétaire exclusif ;
  • Il ne peut en disposer seul, notamment par voie de cession ou d’hypothèque, sauf à recueillir le consentement des autres indivisaires ou à obtenir une homologation judiciaire ;
  • Le bien attribué reste régi par les règles de l’indivision, impliquant notamment que les actes de disposition nécessitent l’accord unanime des indivisaires ou une majorité qualifiée (art. 815-3 C. civ.).

Cependant, une fois le partage définitivement consommé, l’attribution préférentielle produit un effet déclaratif et rétroactif. En vertu du principe de l’effet déclaratif du partage, le bien est réputé avoir toujours appartenu à l’attributaire depuis l’ouverture de l’indivision, sans qu’il y ait eu transmission de propriété à proprement parler (art. 883 C. civ.). 

Il s’ensuit que l’attributaire peut exercer sur le bien tous les droits attachés à la pleine propriété, sans avoir à justifier d’un titre de transfert. 

2. L’estimation des biens

L’intégration du bien dans le lot de l’attributaire suppose nécessairement une évaluation rigoureuse, visant à préserver l’égalité entre les indivisaires. L’article 832-4 du Code civil fixe à cet égard une règle fondamentale : la valeur du bien doit être déterminée à la date de la jouissance divise, qui doit être la plus proche possible du jour du partage effectif.

L’évaluation du bien repose sur plusieurs critères:

  • La valeur vénale du bien au jour du partage
    • Il convient de tenir compte des prix du marché et de l’état du bien au moment où l’attributaire en prend possession exclusive.
    • Cette évaluation exclut toute spéculation sur des hausses futures du marché ou sur des facteurs incertains.
  • L’état du bien et les éventuelles modifications survenues durant l’indivision
    • Si le bien s’est détérioré ou a été amélioré au cours de l’indivision, il faut distinguer l’origine de ces changements :
      • Les plus-values résultant d’événements fortuits (ex. : revalorisation du quartier, travaux publics alentour) profitent à l’indivision.
      • Celles issues d’initiatives personnelles de l’attributaire lui reviennent, sous réserve d’une indemnisation éventuelle due aux coindivisaires.
      • À l’inverse, les moins-values imputables à la négligence de l’attributaire devront être prises en compte à son détriment.
  • La prise en compte des charges et impenses engagées par l’attributaire
    • L’attributaire préférentiel, bien que destiné à devenir propriétaire du bien qui lui est attribué, ne peut prétendre à la pleine jouissance privative de celui-ci avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Durant cette période transitoire, le bien demeure indivis et soumis aux règles gouvernant l’indivision (art. 832 et 1476 C. civ.).
    • Cette situation a des conséquences directes sur la prise en charge des dépenses relatives au bien. 
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, lorsqu’un indivisaire a assumé des frais de conservation et de gestion sur un bien indivis, il peut en obtenir remboursement, sous réserve d’une appréciation en équité. 
    • Ce remboursement est évalué au regard :
      • Des dépenses effectivement engagées par l’indivisaire ;
      • De la plus-value conférée au bien, appréciée à la date du partage.
    • Ainsi, si l’attributaire a financé des travaux d’amélioration (rénovation, agrandissement, modernisation du bien), il peut prétendre à une indemnisation équitable dès lors que ces investissements ont contribué à valoriser le bien indivis. 
    • À l’inverse, si le bien a fait l’objet d’une dégradation imputable à l’attributaire, celui-ci devra indemniser la masse indivise pour le préjudice causé.
    • Un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 mars 1990 illustre précisément ces principes. 
    • Dans cette affaire, la Première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait considéré que les travaux financés par l’attributaire préférentiel après un jugement d’attribution de 1979 devaient rester à sa charge, au motif qu’il était devenu propriétaire du bien par le seul effet de ce jugement. 
    • La Haute juridiction rappelle au contraire que le bien demeure indivis jusqu’au partage, et que l’attributaire, à ce titre, doit pouvoir obtenir la prise en compte des dépenses qu’il a engagées pour sa conservation et son amélioration (Cass. 1re civ., 20 mars 1990, n°88-16.847).
    • Ce principe s’articule avec l’exigence d’une évaluation correcte du bien au jour du partage. 
    • Dans le même arrêt, la Cour a cassé une décision qui avait prescrit une simple réactualisation de la valeur du bien sur la base d’un indice du coût de la construction, rappelant que l’estimation du bien doit être réalisée à la date effective du partage, et non sur la base d’une indexation mécanique.
    • Dès lors, toute dépense engagée par l’attributaire sur le bien indivis doit être analysée au regard de ses effets sur la valeur du bien. 
    • Cette appréciation suppose une distinction entre :
      • Les dépenses nécessaires à la conservation du bien, qui doivent être remboursées ;
      • Les dépenses d’amélioration, qui peuvent donner lieu à une indemnisation si elles ont généré une plus-value ;
      • Les détériorations fautives, qui doivent être compensées par l’attributaire au bénéfice de la masse indivise.

Enfin, l’évaluation du bien attribué constitue un enjeu fondamental pour l’équilibre du partage. Si la valeur du bien correspond ou est inférieure aux droits de l’attributaire dans la masse partageable, elle s’impute simplement sur sa part, sans qu’aucune compensation supplémentaire ne soit requise. En revanche, lorsque la valeur du bien excède ses droits, l’attributaire doit verser une soulte aux autres indivisaires afin de rétablir l’équité. Cette compensation s’effectue généralement en numéraire, mais elle peut également prendre la forme d’une dation en paiement, sous réserve de l’accord des parties et des conditions légales applicables.

La rigueur de cette estimation revêt une importance d’autant plus grande que des contestations peuvent surgir ultérieurement. La jurisprudence admet ainsi qu’une réévaluation du bien puisse être sollicitée, notamment lorsque la valeur retenue lors de l’attribution initiale apparaît obsolète au moment du partage effectif (Civ. 1re, 4 janv. 1980, Bull. civ. I, no 9 ; Civ. 1re, 28 avr. 1986, Bull. civ. I, no 105). Toutefois, une telle révision ne saurait être fondée sur des considérations purement spéculatives : elle suppose la démonstration de circonstances objectives ayant substantiellement modifié la valeur du bien depuis son évaluation initiale.

Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a jugé avec rigueur que l’évaluation d’un bien attribué préférentiellement devait être stabilisée et ne pouvait faire l’objet d’une révision qu’en présence de circonstances économiques objectives ayant substantiellement modifié sa valeur depuis la première estimation (Cass. 1re civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596). En l’espèce, une héritière sollicitait la réactualisation de la valeur d’immeubles successoraux, estimant que la fixation opérée en 1975, lors de leur attribution préférentielle, ne correspondait plus à leur valeur réelle au moment du partage. La Cour de cassation rejeta cette demande, rappelant que la valeur des biens attribués doit être déterminée à une date aussi proche que possible du partage et qu’en l’absence de disposition contraire, l’évaluation arrêtée par la décision initiale s’imposait avec l’autorité de la chose jugée.

Cette solution met en évidence une distinction essentielle :

  • Lorsque le partage n’est pas encore définitivement arrêté, une réévaluation peut être envisagée si des circonstances nouvelles et objectives ont modifié substantiellement la valeur du bien ;
  • À l’inverse, si une décision judiciaire a fixé irrévocablement cette valeur, aucune révision ne saurait intervenir, même en cas de fluctuations du marché immobilier.

Ainsi, une revalorisation ne peut être admise sur la seule base d’une évolution économique. Elle doit reposer sur des éléments concrets, tels qu’une évolution réglementaire modifiant la constructibilité du bien ou une altération significative de son état.

Dès lors, il appartient aux parties d’anticiper les risques liés à une fixation inadaptée de la valeur du bien, en veillant, avant la finalisation du partage, à solliciter une expertise actualisée, seule à même d’éviter les litiges ultérieurs.

3. Le paiement de la soulte

L’attribution préférentielle, en ce qu’elle permet à un indivisaire de se voir attribuer un bien spécifique en priorité, ne saurait rompre l’égalité du partage. Dès lors, lorsque la valeur du bien attribué excède les droits de l’attributaire dans la masse à partager, celui-ci se trouve redevable d’une soulte destinée à rétablir cet équilibre. Cette compensation, qui s’effectue généralement en numéraire, peut sous certaines conditions prendre la forme d’une dation en paiement.

Toutefois, les modalités de règlement de cette soulte diffèrent selon que l’attribution préférentielle revêt un caractère facultatif ou résulte d’un droit reconnu par la loi.

a. L’attribution préférentielle facultative

Lorsqu’elle revêt un caractère facultatif, l’attribution préférentielle demeure soumise à l’appréciation du juge, lequel peut, en opportunité, décider de l’accorder ou de la refuser. Conscient du risque d’atteinte à l’égalité entre copartageants, le législateur a posé une règle de principe : le paiement comptant de la soulte (art. 832-4, al. 1er C. civ.).

Cette exigence repose sur l’idée que l’attribution préférentielle ne saurait s’opérer aux dépens des autres indivisaires, lesquels doivent être indemnisés immédiatement de la perte d’un bien qui aurait pu leur revenir. Cette règle emporte plusieurs conséquences qu’il y a lieu d’examiner.

==>L’insolvabilité de l’attributaire comme obstacle à l’attribution préférentielle

L’octroi d’une attribution préférentielle ne peut être accordé sans garantie quant à la solvabilité de l’attributaire. Ainsi, le juge peut légitimement rejeter une demande lorsque le requérant ne dispose pas des ressources nécessaires pour s’acquitter de la soulte due (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).

Ce principe répond à une logique de protection des copartageants, lesquels ne doivent pas se voir imposer un risque d’insolvabilité. En effet, une fois l’attribution préférentielle réalisée, les copartageants ne disposent plus du bien initialement indivis et doivent compter sur la capacité financière de l’attributaire pour percevoir la compensation qui leur est due. Le juge appréciera donc l’opportunité de l’attribution en fonction des moyens du requérant, et pourra l’écarter si le paiement de la soulte apparaît incertain.

==>L’impossibilité d’octroyer des délais judiciaires de paiement

Le caractère immédiat du paiement distingue les attributions préférentielles facultatives des attributions préférentielles de droit. Le juge est dépourvu de tout pouvoir d’accorder des délais de paiement au débiteur de la soulte, ce qui signifie que l’attributaire doit être en mesure de régler immédiatement l’intégralité de la somme due.

Cette règle s’applique avec une rigueur particulière dans le cadre du partage d’une communauté dissoute par divorce ou séparation de biens, où il a été jugé que l’attribution préférentielle, bien qu’admise, ne saurait être accompagnée d’un paiement différé (Cass. 1re civ., 11 juin 2008, n° 07-16.184).

Toutefois, bien que le juge ne puisse accorder de délai, les copartageants ont la possibilité de convenir amiablement d’un paiement différé, sous réserve d’un accord express (art. 832-4, al. 2 C. civ.). En pareil cas, les parties peuvent organiser librement les modalités du paiement et fixer, le cas échéant, un échéancier, un taux d’intérêt conventionnel ou encore des garanties spécifiques destinées à assurer le règlement des sommes dues.

==>Les modalités du paiement de la soulte

  • Principe du paiement en numéraire
    • Le paiement en numéraire constitue le mode normal d’acquittement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle facultative.
    • Conformément à l’article 832-4, alinéa 1er du Code civil, la soulte doit être réglée immédiatement, sauf accord amiable entre les copartageants. 
    • Cette règle vise à préserver l’égalité du partage en garantissant aux copartageants évincés une compensation financière immédiate, leur permettant ainsi de recouvrer leur part dans l’indivision sous une forme directement mobilisable.
    • L’exigence de paiement comptant s’explique par la nature même de l’attribution préférentielle facultative : ne constituant pas un droit en faveur du demandeur, elle est accordée sous réserve qu’il puisse assurer l’équilibre du partage sans léser les autres indivisaires. 
    • Dès lors, le défaut de paiement de la soulte peut justifier un refus de l’attribution préférentielle, le juge pouvant considérer que l’insolvabilité du requérant met en péril les intérêts des copartageants créanciers (Cass. 1re civ., 25 mars 1997, n° 95-15.770).
    • Toutefois, les parties conservent la liberté d’aménager contractuellement les modalités de paiement. 
    • Un accord amiable peut notamment prévoir un échelonnement du règlement, dans des conditions fixées par les copartageants eux-mêmes. En l’absence de convention contraire, les sommes restant dues produisent intérêts au taux légal à compter de la date du partage définitif (art. 834, al. 2 C. civ.).
  • Tempéraments
    • Le paiement par compensation
        • Bien que la règle de principe impose un règlement en numéraire, la soulte peut, dans certains cas, être acquittée par compensation. 
        • Ce mécanisme permet d’éteindre réciproquement des obligations de paiement lorsqu’un indivisaire est à la fois débiteur d’une soulte et créancier d’une somme équivalente due par l’indivision ou par ses copartageants.
        • La compensation est envisageable notamment dans les situations suivantes :
          • Créance de salaire différé : lorsqu’un héritier a travaillé au sein d’une exploitation familiale sans percevoir de rémunération, il peut être titulaire d’une créance de salaire différé à l’encontre de la succession. Cette créance peut être compensée avec la soulte qu’il doit verser à ses cohéritiers (Cass. 1re civ., 22 janv. 1958).
          • Indemnités diverses : lorsqu’un indivisaire a avancé des frais de conservation ou de gestion d’un bien indivis, ou s’il bénéficie d’une indemnité compensatoire allouée dans le cadre d’un divorce, ces sommes peuvent être prises en compte pour neutraliser partiellement ou totalement la soulte due.
          • Dommages et intérêts : dans certaines situations, des sommes allouées à l’un des copartageants à titre de réparation (par exemple, dans le cadre d’un divorce) peuvent être compensées avec la soulte résultant de l’attribution préférentielle (CA Paris, 4 nov. 1969).
        • Si la compensation est possible, elle reste subordonnée à la réunion des conditions prévues par le droit commun (art. 1347 C. civ.). 
        • En particulier, la créance opposée en compensation doit être certaine, liquide et exigible. 
        • À défaut, la compensation ne peut être imposée aux autres copartageants et nécessite leur consentement.
    • La dation en paiement
      • Si le paiement de la soulte est normalement exigible en numéraire, il peut également s’opérer par le biais d’une dation en paiement, c’est-à-dire par la remise d’un bien en contrepartie de la créance de soulte.
      • La dation en paiement repose avant tout sur un accord des copartageants : l’attributaire ne peut l’imposer unilatéralement aux autres indivisaires. 
      • Ceux-ci doivent accepter de recevoir un bien en contrepartie de leur créance, et ce, en considération de sa valeur vénale et de son adéquation avec le montant de la soulte due.
      • Cette solution peut être particulièrement pertinente lorsque :
        • L’attributaire ne dispose pas de liquidités suffisantes pour régler la soulte en numéraire.
        • L’actif indivis comprend des biens dont le partage en nature est difficile ou dont la cession est économiquement inopportune.
        • Les copartageants sont enclins à recevoir un bien plutôt qu’un versement monétaire, notamment pour préserver la continuité d’une exploitation agricole ou d’un ensemble immobilier indivis.
      • Lorsque la dation en paiement est consentie, elle doit être formalisée dans l’acte de partage. En cas de litige sur la valeur du bien remis en dation, une expertise peut être ordonnée afin de garantir l’équivalence avec le montant de la soulte due.
      • La dation en paiement entraîne un transfert immédiat de propriété au profit des copartageants créanciers. 
      • Ces derniers deviennent titulaires du bien remis en contrepartie de la soulte, ce qui éteint corrélativement la dette de l’attributaire.
      • Cette modalité de paiement présente plusieurs avantages :
        • Elle évite la nécessité d’un financement bancaire pour l’attributaire, ce qui peut être un critère déterminant lorsque les montants en jeu sont élevés.
        • Elle permet aux copartageants de se voir attribuer un bien d’une valeur équivalente à leur part successorale, sans attendre le versement d’une soulte en numéraire.
      • Cependant, la dation en paiement doit être encadrée avec précaution. 
      • Son exécution suppose que le bien remis en paiement ne soit grevé d’aucune charge de nature à en diminuer la valeur. 
      • De même, en cas de contestation sur l’équivalence de la dation avec la soulte due, il pourrait être nécessaire d’engager une action judiciaire pour statuer sur la validité de l’opération.
      • Le Code civil prévoit expressément la possibilité d’une dation en paiement dans le cadre de l’attribution préférentielle de biens agricoles destinés à constituer un groupement foncier agricole (art. 832-1, al. 4 C. civ.). 
      • Dans ce cas, les copartageants peuvent être réglés par l’attribution de parts du groupement foncier en contrepartie de leur créance de soulte, sous réserve qu’ils n’aient pas manifesté leur opposition à ce mode de règlement dans un délai d’un mois.
      • D’une manière plus générale, la jurisprudence a admis que le paiement d’une soulte puisse être réalisé par la remise d’un bien immobilier ou de parts sociales lorsque les parties en conviennent librement et que cette solution permet de préserver l’équilibre du partage.

==>La production d’intérêts

Le paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle soulève la question de la production d’intérêts, notamment en cas de report du règlement. En l’absence de convention contraire entre les copartageants, le régime applicable repose sur une distinction entre la période antérieure et la période postérieure au partage définitif.

  • L’absence d’intérêts avant la date du partage définitif
    • Le principe posé par l’article 834, alinéa 2, du Code civil est que la soulte ne produit pas d’intérêts avant la clôture définitive des opérations de partage. 
    • Autrement dit, tant que le partage n’a pas été formellement établi, les créanciers de la soulte ne peuvent exiger aucun intérêt, sauf stipulation expresse des parties.
    • Ce principe repose sur une logique d’équilibre entre les copartageants: tant que l’indivision subsiste juridiquement, l’attributaire du bien reste soumis aux règles de l’indivision et ne bénéficie pas encore pleinement des prérogatives exclusives de propriété. 
    • Dès lors, l’obligation de verser des intérêts sur la soulte ne prend effet qu’à compter du moment où l’attributaire devient juridiquement propriétaire exclusif du bien attribué.
    • Toutefois, les copartageants ont la possibilité de déroger à cette règle en stipulant contractuellement que la soulte portera intérêts avant la date du partage. 
    • Une telle convention peut être pertinente notamment lorsque le paiement de la soulte est différé et que les créanciers souhaitent être indemnisés du préjudice financier résultant de l’attente prolongée.
  • La production d’intérêts après le partage définitif
    • À compter de la date du partage définitif, la soulte devient de plein droit productive d’intérêts au taux légal, sauf si les copartageants ont convenu d’un taux différent. 
    • Cette règle vise à assurer une indemnisation des créanciers de la soulte pour le retard dans le paiement effectif de leur créance, en évitant qu’ils ne subissent une dépréciation monétaire.
    • Le régime applicable s’articule autour de deux principes:
      • Le point de départ des intérêts : les intérêts commencent à courir dès la date du partage définitif, sans qu’une mise en demeure préalable soit nécessaire.
      • Le taux applicable : en l’absence de stipulation contractuelle, les intérêts sont calculés au taux légal. Toutefois, les parties peuvent convenir d’un taux conventionnel, sous réserve qu’il ne soit pas usuraire et qu’il soit fixé de manière expresse dans l’acte de partage.

==>Aménagements conventionnels

Lorsque les copartageants concluent un accord amiable sur les modalités de paiement de la soulte, ils disposent d’une large liberté pour organiser l’exigibilité des intérêts. Ils peuvent notamment :

  • Définir un taux d’intérêt conventionnel, inférieur ou supérieur au taux légal, sous réserve qu’il respecte les limites imposées par la législation sur l’usure.
  • Reporter le point de départ des intérêts à une date postérieure à celle du partage définitif, par exemple en cas d’échelonnement du paiement de la soulte.
  • Fixer des échéances de paiement adaptées aux ressources financières de l’attributaire, tout en préservant les intérêts économiques des copartageants créanciers.

En cas de différend sur l’application des intérêts, le juge peut être amené à trancher, mais il ne peut en principe déroger aux règles posées par la loi, sauf si les parties ont expressément prévu des aménagements dans leur convention de partage.

b. L’attribution préférentielle de droit

Dans certaines hypothèses, le législateur a institué un régime favorable à l’attributaire, considérant que la pérennité de certains biens, tels qu’une exploitation agricole, une entreprise familiale ou le logement du conjoint survivant, justifie un assouplissement des contraintes financières pesant sur le partage. L’objectif est d’éviter que l’obligation de paiement immédiat de la soulte ne compromette la conservation du bien et, partant, ne conduise à sa cession forcée.

L’article 832-4, alinéa 2, du Code civil instaure ainsi un mécanisme spécifique qui permet au bénéficiaire de l’attribution préférentielle d’exiger de ses copartageants des délais de paiement pour une fraction de la soulte, dans une double limite :

  • Durée : le report ne peut excéder dix ans, un délai qui résulte d’un aménagement progressif du dispositif, renforcé notamment par la loi d’orientation agricole du 9 juillet 1980.
  • Montant : la fraction de la soulte dont le paiement est différé ne peut excéder la moitié de la somme due.

Ce mécanisme repose sur plusieurs principes, qui encadrent à la fois la mise en œuvre du paiement différé et les garanties dont bénéficient les créanciers de la soulte.

==>L’aménagement légal du paiement au profit de l’attributaire

L’attribution préférentielle de droit constitue une exception au principe du paiement comptant de la soulte, en permettant à l’attributaire de différer une partie de son règlement. Cette mesure vise à préserver la transmission et la conservation de certains biens essentiels, tels que les exploitations agricoles, les entreprises ou le logement familial, en évitant qu’un endettement immédiat ne compromette leur viabilité.

Ce mécanisme, consacré par l’article 832-4, alinéa 2, du Code civil, impose aux copartageants créanciers une forme de crédit forcé. Dès lors que les conditions légales sont réunies, ils ne peuvent s’opposer à l’octroi d’un délai de paiement. Ce dernier est cependant encadré :

  • Durée maximale : l’échelonnement du paiement ne peut excéder dix ans.
  • Montant différé : seule une fraction de la soulte, limitée à 50 % du total dû, peut faire l’objet d’un report.
  • Intérêts légaux : à défaut d’accord entre les parties, les sommes différées portent intérêts au taux légal à compter du partage définitif (Cass. 1re civ., 20 nov. 1979). Toutefois, les copartageants peuvent convenir d’un taux différent, sous réserve qu’il ne soit ni usuraire ni abusif.

Cet aménagement légal vise ainsi à concilier deux exigences contradictoires : assurer la continuité de certains patrimoines tout en préservant les droits des copartageants créanciers.

==>L’exigibilité immédiate de la soulte en cas de cession du bien

Si le législateur a aménagé un cadre favorable à l’attributaire en lui accordant des facilités de paiement, il a également prévu un garde-fou essentiel : la cessation du bénéfice du paiement différé en cas de cession des biens attribués. Ce mécanisme vise à éviter que l’attributaire ne détourne l’avantage qui lui est consenti en réalisant une opération purement spéculative au détriment des autres copartageants.

L’article 832-4, alinéa 3, du Code civil distingue deux hypothèses :

  • Vente de la totalité des biens attribués : la soulte devient immédiatement exigible dans son intégralité. Cette règle repose sur une logique simple : dès lors que l’attributaire perçoit une contrepartie financière immédiate, il n’a plus de raison de bénéficier d’un délai de paiement.
  • Vente partielle des biens : le produit de la cession est affecté au règlement de la fraction de soulte encore due, selon une imputation proportionnelle. Ce dispositif garantit que les créanciers ne soient pas lésés par la liquidation progressive du patrimoine de l’attributaire.

L’objectif de cette règle est d’assurer l’équilibre du partage et de prévenir tout abus du paiement différé. Elle protège ainsi les copartageants créanciers contre le risque d’un retard prolongé dans la perception des sommes qui leur reviennent, tout en maintenant une certaine souplesse pour l’attributaire dans la gestion de son lot.

==>La revalorisation de la soulte en cas d’évolution de la valeur du bien

Le législateur a également introduit un mécanisme de réévaluation du montant de la soulte en fonction des fluctuations de la valeur du bien attribué. L’article 828 du Code civil prévoit ainsi que si la valeur du bien a varié de plus de 25 % depuis le partage en raison de circonstances économiques objectives, la soulte est ajustée en conséquence.

Ce dispositif répond à une logique d’équité :

  • Si la valeur du bien a augmenté, l’attributaire doit verser un complément de soulte, afin de rétablir l’équilibre initial du partage.
  • Si la valeur du bien a diminué, la soulte est révisée à la baisse, de manière à éviter que l’attributaire ne soit tenu de verser une somme disproportionnée au regard de la valeur actuelle du bien.

Cette revalorisation repose sur une appréciation objective des conditions économiques et exclut les plus-values résultant d’améliorations apportées par l’attributaire ou les moins-values liées à une dégradation fautive de sa part. En revanche, elle peut résulter de facteurs exogènes tels que l’évolution du marché immobilier, des modifications du plan local d’urbanisme ou encore des évolutions réglementaires impactant la valorisation du bien.

==>Aménagements conventionnels

Si la loi fixe les principes directeurs du paiement de la soulte dans le cadre d’une attribution préférentielle de droit, les copartageants disposent d’une marge de manœuvre pour en aménager les modalités. Ils peuvent ainsi :

  • Fixer un taux d’intérêt différent du taux légal, sous réserve du respect des dispositions sur l’usure.
  • Réviser à la baisse ou supprimer la règle de revalorisation prévue par l’article 828 du Code civil, afin de sécuriser le montant de la soulte.
  • Prévoir des échéances de paiement spécifiques, adaptées aux capacités financières de l’attributaire et aux attentes des créanciers.

Ces ajustements conventionnels doivent faire l’objet d’une clause expresse dans l’acte de partage, afin d’éviter toute contestation ultérieure.

B) Le partage des autres biens

L’attribution préférentielle, en concentrant la propriété d’un bien déterminé entre les mains d’un seul indivisaire, modifie nécessairement l’équilibre du partage. Afin de rétablir l’égalité entre les copartageants, la compensation de cette attribution s’effectue selon un ordre de priorité, qui repose d’abord sur l’allotissement en nature, avant de recourir, si nécessaire, au paiement d’une soulte. À défaut de solution satisfaisante, la licitation du bien peut être envisagée en dernier recours.

1. L’allotissement prioritaire des copartageants

L’attribution préférentielle constitue un mode particulier d’allotissement et non un prélèvement effectué avant le partage. Dès lors, sa mise en œuvre modifie nécessairement la répartition des biens indivis et impose un rééquilibrage au bénéfice des autres copartageants. Cette opération repose sur trois principes:

  • L’imputation prioritaire de l’attributaire
    • L’attribution préférentielle n’est pas un droit conférant un avantage supplémentaire à son bénéficiaire, mais une modalité particulière d’allotissement qui doit respecter l’égalité du partage.
    • Ainsi, l’attributaire doit imputer la valeur du bien qu’il reçoit sur ses droits dans l’indivision, ce qui exclut toute possibilité d’un tirage au sort des lots, comme le confirme une jurisprudence constante (Cass. 1re civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).
    • L’application de ce principe intervient notamment en matière de divorce: lorsqu’un époux obtient l’attribution préférentielle d’un bien immobilier, les autres biens communs doivent être alloués en priorité à l’autre conjoint, à due concurrence de ses droits (Cass. 1re civ., 5 mai 1981, n°79-16.444). 
    • Il en va de même dans le cadre du partage d’une succession: un héritier qui a bénéficié de l’attribution préférentielle d’un bien immobilier ne peut prétendre à un supplément de lot sur d’autres biens indivis (Cass. 1re civ., 18 mars 1975).
    • En pratique, le notaire chargé du partage procède donc à l’allotissement des autres biens indivis au profit des copartageants non attributaires, dans la limite de leurs droits respectifs. 
    • Ce n’est qu’en l’absence de biens suffisants que la compensation s’effectuera sous forme de soulte.
  • L’attribution prioritaire des autres biens indivis aux copartageants non attributaires
    • Lorsque l’attributaire reçoit un bien par préférence, les autres biens indivis doivent être attribués, en priorité, aux copartageants non attributaires. 
    • Cette règle permet de limiter le recours au paiement d’une soulte et de préserver l’équilibre du partage en nature.
    • Ainsi, lorsqu’il existe plusieurs biens de valeur équivalente, l’attribution préférentielle de l’un d’eux à un indivisaire commande que le second bien soit attribué à un autre copartageant. 
    • De même, lorsque l’indivision comprend des biens mobiliers et immobiliers, les copartageants non attributaires peuvent se voir attribuer prioritairement des biens mobiliers pour compenser l’attribution d’un immeuble au profit d’un autre héritier.
    • Ce principe s’applique également en cas d’attribution préférentielle en vue de la constitution d’un groupement foncier agricole.
    • L’article 832-1, alinéa 5, du Code civil prévoit que les biens et droits immobiliers qui ne sont pas destinés à être intégrés dans le groupement doivent être attribués en priorité aux indivisaires qui n’ont pas consenti à sa création, dans la limite de leurs droits successoraux respectifs. 
    • Cette disposition illustre la volonté du législateur de garantir un équilibre entre l’intérêt particulier de l’attributaire et les droits des autres indivisaires.
  • Le versement d’une soulte en compensation
    • Lorsque les biens restants dans l’indivision ne suffisent pas à compenser l’attribution préférentielle, la compensation s’opère par le versement d’une soulte. 
    • Celle-ci représente la valeur excédentaire du bien attribué et garantit l’égalité entre les copartageants.
    • La soulte devient ainsi une nécessité dans plusieurs cas :
      • Lorsque l’attributaire reçoit un bien de valeur supérieure à ses droits dans l’indivision: le versement d’une soulte est alors exigé pour rétablir l’équilibre patrimonial.
      • Lorsque les autres biens indivis ne permettent pas un allotissement équivalent: si les biens restants sont insuffisants ou indivisibles, le recours à la soulte devient incontournable pour éviter une rupture d’égalité entre les héritiers.
      • Lorsque l’attributaire souhaite éviter un partage en nature complexe : dans certaines situations, l’attributaire peut préférer s’acquitter d’une soulte plutôt que de procéder à une répartition matérielle des biens restants.
    • L’évaluation de la soulte repose sur la valeur des biens à la date du partage, en tenant compte des éventuelles plus-values ou moins-values survenues durant l’indivision (art. 832-4 C. civ.).

2. La licitation en dernier recours

L’attribution préférentielle constitue un mode de partage privilégié permettant à un indivisaire d’obtenir un bien en compensation de ses droits indivis. Toutefois, lorsque cette attribution bouleverse trop fortement l’équilibre du partage ou que les modalités de compensation ne permettent pas de garantir une répartition équitable, la licitation apparaît comme une solution nécessaire.

La licitation consiste en la mise en vente du bien indivis, dont le produit est ensuite réparti entre les copartageants au prorata de leurs droits. Ce mécanisme, bien que subsidiaire, répond à plusieurs objectifs : assurer l’égalité entre les indivisaires, mettre fin aux situations de blocage et éviter que l’attribution préférentielle ne soit source d’injustice pour les copartageants évincés.

Le recours à la licitation peut revêtir plusieurs formes, en fonction des circonstances et du degré d’accord entre les indivisaires :

  • La vente de gré à gré
    • Lorsque les copartageants s’accordent sur la nécessité de vendre le bien, une vente de gré à gré peut être organisée.
    • Dans ce cas, les indivisaires recherchent eux-mêmes un acquéreur et définissent ensemble les modalités de la cession (prix, conditions de paiement, délais de signature de l’acte).
    • Ce mode de licitation présente plusieurs avantages :
      • Une meilleure valorisation du bien : en évitant la précipitation d’une mise aux enchères, la vente de gré à gré permet de négocier des conditions plus favorables.
      • Une flexibilité accrue : les parties peuvent convenir d’un paiement échelonné ou d’autres aménagements qui optimisent la transmission du bien.
      • Une maîtrise du processus : les indivisaires conservent un certain contrôle sur la transaction, contrairement à une vente judiciaire qui leur échappe totalement.
    • Toutefois, cette solution suppose un accord unanime entre les indivisaires, ce qui, en pratique, n’est pas toujours réalisable.
  • La vente aux enchères judiciaires
    • Lorsque les indivisaires ne parviennent pas à s’entendre sur la cession, ou si la situation l’exige, la vente peut être ordonnée par le juge dans le cadre d’une licitation judiciaire. 
    • Cette procédure assure une impartialité totale et garantit que le bien sera cédé dans des conditions transparentes.
    • Elle repose sur plusieurs étapes :
      • Saisine du tribunal : un ou plusieurs indivisaires demandent au juge d’ordonner la mise en vente du bien.
      • Désignation d’un notaire : le juge peut confier l’organisation de la vente à un notaire ou à un commissaire de justice.
      • Fixation des conditions de vente : le bien est mis aux enchères publiques, avec publication d’un cahier des charges détaillant les modalités de la cession.
      • Adjudication du bien : le bien est vendu au plus offrant et le produit de la vente est réparti entre les copartageants en fonction de leurs droits.
    • Si la licitation judiciaire assure une égalité de traitement entre les indivisaires, elle présente néanmoins certains inconvénients :
      • Un risque de sous-évaluation : la vente aux enchères peut aboutir à une cession à un prix inférieur à la valeur vénale du bien, notamment en cas de faible concurrence entre acquéreurs.
      • Des coûts supplémentaires : frais d’expertise, frais de publicité et émoluments du notaire ou du commissaire de justice viennent grever le produit de la vente.
      • Une absence de maîtrise pour les indivisaires : contrairement à la vente de gré à gré, les copartageants ne contrôlent ni l’acheteur ni le prix final.

La licitation n’est pas une option systématique, mais elle peut s’imposer dans plusieurs situations où l’attribution préférentielle perturbe l’équilibre du partage ou se heurte à des difficultés pratiques.

  • Lorsque la valeur du bien attribué est trop importante
    • Si la valeur du bien attribué excède de manière significative les droits de l’attributaire dans l’indivision et que la compensation par soulte s’avère disproportionnée ou irréalisable, la licitation peut devenir inévitable.
    • À titre d’exemple, si un bien immobilier constitue l’essentiel du patrimoine à partager et qu’aucun autre bien en nature ne peut être attribué aux copartageants évincés, il sera difficile d’assurer un partage équilibré.
    • Dans un tel cas, la vente du bien et la répartition du produit entre les indivisaires s’imposent comme la seule solution garantissant l’équité du partage.
  • Lorsque le maintien en indivision entraîne des blocages
    • L’indivision est souvent source de conflits et d’entraves à la bonne gestion des biens communs.
    • Les divergences d’intérêts entre les indivisaires peuvent empêcher toute prise de décision, rendant le bien improductif ou entraînant une dégradation de sa valeur.
    • Le juge peut alors être saisi pour mettre fin à l’indivision en ordonnant la licitation.
    • Cette solution permet d’éviter les tensions prolongées et d’assurer une répartition définitive du patrimoine.
  • Lorsque l’attributaire est dans l’incapacité de régler la soulte
    • L’attribution préférentielle repose sur un équilibre financier qui suppose que l’attributaire puisse indemniser les autres indivisaires à hauteur de l’excédent de valeur du bien reçu.
    • Or, si l’attributaire ne dispose pas des ressources suffisantes pour régler la soulte et que les copartageants refusent de lui accorder des délais de paiement, la licitation s’impose comme une alternative.
    • Dans ce cas, la vente du bien permettra d’assurer une répartition immédiate des fonds entre les copartageants, sans dépendre des capacités financières de l’attributaire.

Au total, si l’attribution préférentielle constitue une modalité de partage favorisée par le législateur, elle ne peut se faire au détriment des droits des autres indivisaires.

Ainsi, lorsque l’attribution d’un bien en nature est incompatible avec le principe d’égalité entre copartageants, le recours à la licitation apparaît comme la seule issue permettant de garantir un partage juste et équilibré. Cette solution, bien que perçue comme une contrainte, reste une garantie pour l’ensemble des indivisaires et évite que l’un d’eux ne soit lésé par une répartition inéquitable des biens.

Opérations de partage: l’établissement des comptes entre indivisaires

L’établissement des comptes entre indivisaires constitue une étape cruciale dans le processus de liquidation de l’indivision, permettant de rétablir un équilibre financier au sein de la communauté indivise.

En tenant compte des créances et des dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de la masse commune, cette opération vise à corriger les disparités nées de la gestion ou de la jouissance des biens indivis et à garantir une répartition équitable de la masse partageable.

À cet égard, Michel Grimaldi rappelle avec justesse que « l’établissement des comptes entre indivisaires assure une liquidation juste et équilibrée, en prenant en considération tant les contributions apportées que les prélèvements opérés par chacun sur le patrimoine commun »[10].

I) L’obligation de tenir un état des créances et des dettes

En application de l’article 815-8 du Code civil, toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue de tenir un état des créances et des dettes.

Cette obligation s’étend non seulement aux indivisaires eux-mêmes, mais également à toute personne impliquée dans la gestion des biens indivis, qu’il s’agisse d’un mandataire désigné par les indivisaires ou d’une personne nommée par voie judiciaire.

L’état des créances et des dettes, couramment rédigé par un notaire, constitue un document essentiel à la gestion de l’indivision. Il doit être mis à la disposition des indivisaires et contenir un récapitulatif précis des recettes perçues et des dépenses engagées pour le compte de la collectivité indivise.

Ce document ne se limite pas à un simple état descriptif ; il est un véritable compte de gestion, destiné à permettre aux indivisaires de suivre de manière claire l’évolution financière de l’indivision. Il assure également la transparence quant à la répartition équitable des charges et des bénéfices entre les co-indivisaires.

Dans le cadre d’une succession, le rôle du notaire liquidateur devient primordial. Ce dernier est chargé de tenir un compte d’administration de l’indivision, qui centralise toutes les opérations financières effectuées au nom de la masse indivise.

Ce compte inclut non seulement les revenus perçus, tels que les loyers ou les produits de cession d’actifs indivis, mais également les dépenses nécessaires à la gestion des biens indivis, comme le paiement des taxes ou les frais d’entretien.

Bien que distinct du compte d’indivision proprement dit, ce compte d’administration joue un rôle essentiel. Il permet, en effet, d’établir les créances et les dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de l’indivision et d’assurer une liquidation transparente au moment du partage.

II) La finalité des comptes entre indivisaires

L’établissement des comptes entre indivisaires répond à une nécessité impérieuse de régularisation des déséquilibres financiers nés au cours de la gestion de l’indivision. En effet, les relations entre indivisaires, loin d’être figées, évoluent au gré des apports, des dépenses et des bénéfices réalisés par chacun, rendant indispensable une clarification des droits et obligations respectifs avant tout partage définitif.

Les déséquilibres susceptibles de résulter de la gestion de l’indivision revêtent des formes variées. Ils peuvent résulter :

  • De dépenses engagées par certains indivisaires pour le compte de la collectivité indivise, telles que des frais d’entretien, des travaux de conservation ou encore des primes d’assurance. Ces dépenses, nécessaires à la préservation du patrimoine commun, doivent être prises en compte afin d’éviter qu’un seul indivisaire supporte des charges qui bénéficient à l’ensemble.
  • De la jouissance privative d’un bien indivis par un indivisaire, lorsque celui-ci occupe seul un immeuble indivis, privant ainsi les autres indivisaires de leur droit à la jouissance commune. Cette occupation exclusive engendre une dette à l’égard de la masse indivise, sous forme d’une indemnité d’occupation, destinée à rétablir l’équilibre entre les co-indivisaires.
  • De la perception exclusive de fruits ou de revenus issus des biens indivis par un indivisaire, par exemple lorsqu’un indivisaire perçoit seul les loyers d’un immeuble indivis sans en reverser la part revenant aux autres. Cette situation doit être régularisée pour garantir une répartition équitable des fruits entre tous les co-indivisaires.

Ces situations, bien que fréquentes, ne sauraient demeurer sans régularisation au risque de compromettre l’égalité qui doit présider au partage des biens indivis. L’objectif des comptes entre indivisaires est précisément de restaurer cet équilibre en tenant compte des créances et des dettes de chacun vis-à-vis de la masse indivise. Ils permettent d’éviter que certains indivisaires ne se trouvent avantagés au détriment des autres, notamment lorsque des dépenses ont été avancées ou des bénéfices perçus de manière inégale.

Comme le rappelle la doctrine, le compte d’indivision « se situe au carrefour des contributions financières et des droits patrimoniaux des indivisaires, visant à solder les relations économiques nées au cours de la gestion commune, afin d’assurer une liquidation juste et équitable »[11]. Il en résulte que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec rigueur afin de garantir une répartition équitable des charges et des bénéfices.

Cette exigence de rigueur s’explique par le fait que l’établissement des comptes conditionne directement le partage. Un compte mal tenu ou incomplet pourrait fausser la liquidation de l’indivision, au risque d’engendrer de nouvelles contestations entre indivisaires. Dès lors, le rôle du notaire chargé de la liquidation apparaît primordial, ce dernier étant tenu de dresser un état précis des créances et des dettes de chacun, comme le prescrit l’article 1368 du Code de procédure civile.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance seul des travaux de rénovation sur un immeuble indivis afin d’en préserver la valeur. Par ailleurs, un autre indivisaire perçoit les loyers générés par cet immeuble sans en reverser la part revenant aux autres. Ces situations doivent être régularisées lors de l’établissement des comptes, afin que le premier indivisaire puisse obtenir remboursement de sa créance et que le second soit redevable d’une indemnité correspondant aux loyers indûment perçus.

Ainsi, l’établissement des comptes d’indivision permet de dégager un solde global pour chaque indivisaire, qui sera imputé sur sa part dans la masse partageable. Si un indivisaire est créancier de la masse, il pourra prélever ce solde sur les biens indivis avant le partage. À l’inverse, si un indivisaire est débiteur, sa dette sera imputée sur sa part de l’actif net, garantissant ainsi une répartition équitable entre les co-indivisaires.

Aussi, les comptes d’indivision constituent l’ultime étape permettant de solder les relations entre indivisaires avant le partage. Leur rôle est de restaurer un équilibre entre les contributions financières de chacun et les bénéfices tirés de l’indivision, afin d’assurer une liquidation sereine.

III) La nature du compte d’indivision

==>Termes du débat

La nature juridique du compte d’indivision fait l’objet d’une controverse doctrinale importante. Deux courants principaux s’opposent sur cette question.

  • Première thèse
    • Un premier courant doctrinal voit dans le compte d’indivision un véritable compte juridique, comparable à celui des récompenses dans la liquidation d’une communauté.
    • Selon cette conception, le compte d’indivision est bien plus qu’un simple état descriptif des flux financiers entre les indivisaires et l’indivision.
    • Il constitue un mécanisme juridique ce qui entraîne des effets juridiques immédiats dès l’inscription des créances.
    • En effet, dès que les créances et dettes sont inscrites au compte d’indivision, elles perdent leur individualité pour constituer un « bloc indivisible ».
    • Ce bloc est constitué de la totalité des créances et des dettes inscrites, qui se fondent ensemble pour former un solde unique.
    • Ainsi, les créances et les dettes disparaissent dans leur forme originelle et sont absorbées dans ce bloc indivisible, qui devient constitutif du solde du compte.
    • Ce mécanisme présente l’avantage de simplifier considérablement les relations financières au sein de l’indivision.
    • En effet, au lieu de procéder à des règlements individuels de créances ou de dettes pendant la durée de l’indivision, toutes les créances et dettes inscrites dans le compte s’annulent réciproquement, créant ainsi un solde net qui sera établi lors de la clôture du compte.
    • Ce solde est alors soumis à un règlement unitaire, qui n’interviendra qu’au moment du partage définitif.
    • Autrement dit, ce compte ne permet pas aux indivisaires de revendiquer individuellement l’exigibilité de leurs créances avant le partage.
    • Ce n’est qu’à la clôture du compte, c’est-à-dire au moment du partage de l’indivision, que le solde final sera calculé et réglé entre les indivisaires.
    • Cette conception s’inspire en partie de la théorie de la novation, selon laquelle l’inscription des créances dans le compte d’indivision entraîne leur transformation en simples articles de compte.
    • Ces articles perdent leur individualité juridique et sont soumis aux règles propres au compte, incluant notamment des mécanismes de compensation automatique.
    • Ainsi, ce solde unique résultant du compte d’indivision est opposable à tous les indivisaires au moment du partage, créant une liquidation simplifiée et homogène des créances et des dettes.
    • Les créances ne peuvent plus être exigées individuellement avant cette clôture, et elles ne redeviennent exigibles qu’au moment où le solde global est calculé lors du partage.
    • Ce fonctionnement unitaire garantit donc une gestion financière plus fluide, en évitant des contestations sur l’exigibilité des créances en cours d’indivision.
  • Seconde thèse
    • Les partisans du second courant doctrinal, parmi lesquels figure notamment Michel Grimaldi, adoptent une approche plus circonspecte quant à la qualification juridique du compte d’indivision.
    • Selon cette vision, le compte d’indivision s’apparente à un simple instrument de nature arithmétique, ayant pour seul objet de répertorier les mouvements financiers entre les indivisaires et l’indivision elle-même.
    • Il ne s’agit donc pas, selon cette conception, d’un compte juridiquement structuré, mais plutôt d’un registre destiné à faciliter le règlement comptable lors du partage final.
    • Autrement dit, le compte n’a pas pour effet de modifier la nature des créances et dettes qui y sont inscrites.
    • Chaque élément inscrit au compte conserve son individualité et demeure isolé.
    • Contrairement à la thèse opposée, qui envisage la fusion des créances et des dettes dans un « bloc indivisible », les défenseurs de cette approche soutiennent que le compte d’indivision ne joue qu’un rôle descriptif et informatif.
    • Il se contente de répertorier de manière précise et détaillée les créances et dettes de chaque indivisaire, sans entraîner de novation ou de transformation de la nature juridique de ces créances et dettes.
    • Ainsi, la fonction première du compte d’indivision, selon cette thèse, est de fournir un état détaillé des flux financiers, dans le but d’en simplifier le calcul au moment du règlement final.
    • Chaque créance ou dette est inscrite individuellement, avec son montant exact, et sans qu’il y ait fusion ou compensation entre elles avant le partage.

==>Thèse privilégiée

Entre les deux thèses en présence, la doctrine majoritaire tend à privilégier la première, en raison des particularités qui régissent le fonctionnement du compte d’indivision.

Tout d’abord, il convient de souligner que dès l’inscription des créances au sein du compte, celles-ci perdent leur individualité pour être fusionnées dans un « bloc indivisible ».

Ce solde global, regroupant créances et dettes, ne sera liquidé qu’au moment du partage définitif, instant précis où les droits et obligations des indivisaires seront également réglés. Cette fusion des créances démontre que le compte d’indivision dépasse le simple cadre d’un relevé comptable.

De plus, l’entrée des créances et des dettes dans le compte interrompt le cours de la prescription. Ce seul élément confère une portée juridique immédiate au compte, garantissant que les créances, loin de s’éteindre sous l’effet du temps, demeurent exigibles lors du partage.

Par conséquent, le compte ne se limite pas à fournir une information sur la situation financière de l’indivision, mais joue un rôle actif dans la préservation des droits des indivisaires.

Une autre différence majeure entre le compte d’indivision et un simple outil de gestion comptable réside dans l’absence de mécanisme de compensation.

Contrairement à la compensation, qui ne s’applique qu’à des dettes exigibles entre créanciers et débiteurs réciproques, le compte d’indivision prend en compte des créances et dettes qui ne sont pas forcément exigibles avant le partage.

De surcroît, il régit exclusivement les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, sans inclure les créances entre indivisaires eux-mêmes, ce qui souligne encore une fois sa vocation à gérer la relation globale au sein de l’indivision.

Par ailleurs, le but ultime du compte d’indivision est d’établir un solde unique à la clôture de l’indivision. Ce solde, qu’il soit positif ou négatif, est imputé sur les droits de l’indivisaire dans la masse indivise.

Ainsi, si un indivisaire se trouve créancier au moment du partage, il sera réglé par prélèvement sur la masse. À l’inverse, s’il est débiteur, sa dette sera imputée avant l’attribution de ses droits, protégeant ainsi les autres indivisaires contre les risques d’insolvabilité.

Au total, au regard de ces différentes règles et mécanismes, il apparaît que le compte d’indivision s’éloigne du simple outil de gestion comptable pour s’inscrire véritablement dans la catégorie des comptes juridiques.

Par la fusion des créances, la protection des droits, et l’imputation sur la masse indivise, il présente toutes les caractéristiques d’un compte juridique structuré, davantage que d’un simple registre descriptif.

IV) La méthodologie d’établissement des comptes

Comme vu précédemment, l’article 1368 du Code de procédure civile impose au notaire commis à la liquidation de dresser un état liquidatif des comptes entre les indivisaires. Cet état se matérialise par la constitution de comptes individuels au nom de chaque indivisaire, dans lesquels sont inscrites les créances et les dettes de chacun vis-à-vis de l’indivision. L’objectif est de clarifier les droits de chacun sur la masse partageable en prenant en compte les apports financiers, les bénéfices perçus et les dettes contractées pendant la période d’indivision.

A cet égard, chaque compte individuel retrace les flux financiers intervenus au profit ou à la charge de l’indivisaire, qu’il s’agisse :

  • Des créances que l’indivisaire détient sur la masse indivise, par exemple pour des dépenses engagées dans l’intérêt commun ;
  • Des dettes qu’il doit à la masse indivise, notamment en cas de jouissance privative d’un bien indivis ou de perception exclusive de revenus issus de l’indivision.

L’établissement du compte individuel permet de dégager un solde final, qui peut être :

  • Positif : l’indivisaire est créancier de la masse indivise. Il pourra prélever le montant de sa créance sur les biens ou les liquidités disponibles avant le partage.
  • Négatif : l’indivisaire est débiteur envers la masse indivise. Sa dette sera imputée sur la valeur des biens qui lui seront attribués lors du partage, selon le mécanisme du rapport en moins prenant prévu par l’article 864 du Code civil.

Ce solde final conditionne directement les droits de chaque indivisaire lors du partage. En effet, le compte d’indivision permet d’imputer les créances et les dettes sur la masse partageable, garantissant ainsi une répartition équitable des biens indivis entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un indivisaire finance à ses frais la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation majeure. Cette dépense, engagée dans l’intérêt commun, constitue une créance inscrite à l’actif de son compte individuel. À l’inverse, si un autre indivisaire occupe seul cet immeuble sans indemniser les autres indivisaires, il devra une indemnité d’occupation, inscrite au passif de son compte. Au moment du partage, ces créances et dettes seront prises en compte pour déterminer la part nette revenant à chaque indivisaire.

V) Les éléments composant les comptes d’indivision

Le compte d’indivision regroupe les créances et les dettes nées durant la période d’indivision, permettant ainsi de centraliser toutes les opérations financières effectuées au profit ou à la charge de la masse indivise.

Il peut être observé que l’inscription des créances et dettes dans le compte d’indivision présente un caractère essentiellement facultatif, laissant aux indivisaires une marge de manœuvre quant à la gestion de leurs créances et dettes vis-à-vis de la masse indivise.

En effet, chaque indivisaire, qu’il soit créancier ou débiteur, conserve une certaine liberté dans la décision d’inscrire ou non ses créances au compte d’indivision.

Par ailleurs, un indivisaire créancier, en vertu de l’article 815-17 du Code civil, peut, selon son intérêt, soit exiger immédiatement le règlement de sa créance, soit en reporter l’inscription jusqu’au moment du partage.

Cette faculté permet à l’indivisaire de moduler le moment où il souhaite récupérer les fonds investis dans la gestion de l’indivision, tout en évitant une exigibilité immédiate de créances qui pourraient mettre en péril la stabilité financière de l’ensemble indivis.

Cette flexibilité quant à l’inscription en compte n’est toutefois pas sans soulever des interrogations dans la doctrine.

Certains auteurs préconisent de distinguer la faculté d’inscription des créances selon la cause de la créance en question :

  • D’un côté, pour les dépenses strictement nécessaires à la conservation du bien indivis ou celles validées par tous les indivisaires, l’indivisaire créancier aurait le choix entre un paiement immédiat ou l’inscription en compte avec règlement au partage, assurant ainsi une revalorisation de sa créance pour garantir une répartition équitable entre les coïndivisaires.
  • D’un autre côté, pour les créances nées de dépenses non essentielles, la doctrine majoritaire estime que la créance devrait nécessairement être inscrite en compte et être régularisée lors du partage, afin d’éviter tout déséquilibre dans la jouissance et l’administration des biens indivis.

A) La détermination des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

1. Les créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

a. Les créances

Le compte d’indivision regroupe diverses créances nées pendant la période d’indivision.

==>Dépenses de gestion et de conservation des biens indivis

Tout indivisaire qui engage des dépenses nécessaires à la gestion ou à la conservation des biens indivis peut inscrire cette créance dans le compte d’indivision.

Ces frais peuvent inclure des dépenses courantes telles que les réparations urgentes pour préserver la valeur du bien ou la mise en conformité avec les normes de sécurité,

Ces frais sont essentiels au maintien du bien en bon état, et l’indivisaire qui les prend en charge a droit à une créance équivalente sur l’indivision.

==>Amélioration du bien indivis

Les dépenses engagées pour améliorer le bien indivis, par exemple des travaux de rénovation, peuvent également être inscrites comme créances dans le compte d’indivision. Ces améliorations augmentent la valeur du bien et bénéficient à tous les indivisaires.

L’indivisaire qui finance ces améliorations peut demander une compensation au moment du partage en raison de l’augmentation de la valeur du bien (Cass. 1ère civ., 20 février 2001, n°98-13.006). Toutefois, ces créances ne seront liquidées qu’au moment du partage.

==>Prise en charge des impôts et taxes

Les indivisaires sont solidairement responsables du paiement des impôts et taxes relatifs aux biens indivis, tels que la taxe foncière ou les frais d’assurance.

Si un indivisaire avance ces frais pour le compte de l’indivision, il peut inscrire cette somme au compte d’indivision en tant que créance. Cette créance sera prise en compte lors du partage, garantissant à l’indivisaire le remboursement de sa contribution.

==>Rémunération du gérant

Si l’un des indivisaires est désigné gérant de l’indivision, il peut inscrire sa rémunération au compte d’indivision, même si cette créance peut parfois être payée immédiatement (Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, n°04-12.473). Cette rémunération peut être déduite des produits de la gestion avant le partage final, garantissant au gérant une compensation pour son travail de gestion quotidienne.

b. Les dettes

Certaines dettes peuvent également être inscrites dans le compte d’indivision, représentant les obligations financières des indivisaires envers la masse indivise. Voici les principales dettes pouvant être inscrites au compte d’indivision :

==>Indemnité d’occupation privative

Lorsqu’un indivisaire occupe privativement un bien indivis, il doit indemniser l’indivision pour l’usage exclusif qu’il en fait.

Cette indemnité d’occupation est inscrite dans le compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire occupant (C. civ., art. 815-9). Cette dette sera prise en compte lors du partage, l’indivisaire concerné devant compenser les autres indivisaires pour l’usage exclusif du bien.

==>Perception de fruits indivis

Si un indivisaire perçoit des fruits ou des revenus issus du bien indivis (par exemple, des loyers) sans les reverser à la masse indivise, il devient débiteur envers l’indivision (C. civ., art. 815-10).

Ces montants peuvent être inscrits au compte d’indivision en tant que dette et seront pris en compte lors du partage. Ce mécanisme garantit que les bénéfices du bien indivis soient répartis équitablement entre tous les indivisaires.

==>Détérioration ou négligence concernant un bien indivis

Si un indivisaire cause une détérioration au bien indivis par négligence ou non-respect de ses obligations de conservation, il peut être tenu de réparer cette détérioration.

Cette obligation peut être inscrite au compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire fautif. Cette dette sera liquidée lors du partage.

2. Les créances et dettes exclues du compte d’indivision

Certaines créances ou dettes ne peuvent pas être inscrites au compte d’indivision, car elles ne sont pas directement liées à la gestion ou à la conservation du bien indivis, ou elles ne concernent que les relations entre les indivisaires eux-mêmes, et non avec l’indivision.

==>Créances entre indivisaires

Les créances personnelles entre indivisaires, telles que des prêts consentis entre eux, ne peuvent pas être inscrites dans le compte d’indivision.

Le compte d’indivision ne régit que les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, et non les relations personnelles entre indivisaires. Ces créances doivent être réglées séparément des opérations de l’indivision.

==>Avances en capital

Si un indivisaire a effectué une avance en capital dans l’indivision, cette avance n’est pas automatiquement inscrite au compte d’indivision.

Elle peut faire l’objet d’un accord distinct, et il appartient à l’indivisaire créancier de demander le paiement de cette avance avant le partage s’il le souhaite.

B) La preuve des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision

La preuve des éléments inscrits dans le compte d’indivision repose sur les exigences énoncées à l’article 815-8 du Code civil, qui impose aux indivisaires une obligation de tenir un état dans deux situations bien distinctes :

  • L’indivisaire perçoit des revenus pour le compte de l’indivision
  • L’indivisaire expose des frais pour le compte de l’indivision

Dans le premier cas, l’indivisaire qui perçoit des fruits ou revenus provenant des biens indivis – qu’il soit détenteur d’un mandat explicite ou qu’il agisse en qualité de gérant de fait, voire dans le cadre d’une gestion d’affaires – est tenu de consigner ces recettes de manière rigoureuse.

Cette obligation n’est pas simplement une formalité administrative ; elle vise à garantir que chaque somme perçue pour le compte de l’indivision est comptabilisée de façon fidèle et rendue accessible aux autres indivisaires.

Ce relevé des revenus perçus permet ainsi de préserver l’équité entre les indivisaires, en évitant que l’un d’eux ne dispose, à titre individuel, de fonds qui devraient bénéficier à l’ensemble des co-indivisaires.

Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a rappelé l’importance de cette obligation en censurant une décision qui n’avait pas vérifié que les revenus, en l’occurrence des loyers, avaient effectivement été perçus pour le compte de l’indivision (Cass. 1ère civ., 6 déc. 2005, n° 03-11.489).

Il ressort de cette décision que l’état des revenus perçus doit revêtir un caractère concret, appuyé par des preuves sérieuses, et ne saurait se fonder sur de simples évaluations ou conjectures.

Le second cas concerne les frais exposés pour le compte de l’indivision. Dans cette hypothèse, l’indivisaire qui avance des fonds pour des dépenses nécessaires, telles que des frais d’entretien, des mesures conservatoires ou des travaux d’amélioration, peut inscrire ces dépenses en tant que créance sur l’indivision.

Par exemple, un indivisaire qui finance des réparations urgentes sur un bien indivis ou qui règle des impôts fonciers dans l’intérêt de tous les indivisaires est en droit d’inscrire cette somme au compte d’indivision.

Cet enregistrement des dépenses, bien qu’il ne donne pas nécessairement lieu à un remboursement immédiat, assure que l’indivisaire concerné pourra faire valoir sa créance au moment du partage.

En ce sens, il ne s’agit pas uniquement d’une obligation de transparence, mais d’une garantie pour l’indivisaire contributeur d’être remboursé des frais exposés pour le compte de l’indivision.

L’obligation de tenir un « état » des opérations, qu’il s’agisse de revenus perçus ou de dépenses engagées, est volontairement imprécise dans son expression.

L’article 815-8 fait référence à la notion d’« état », sans définir la forme exacte que ce document doit revêtir.

En pratique, cet état prend la forme d’un relevé chronologique et détaillé, rendant compte des sommes perçues ou dépensées et accompagné des justificatifs nécessaires pour attester de la réalité de chaque transaction. Cette flexibilité permet une adaptation aux circonstances propres de chaque indivision, tout en respectant le principe de traçabilité.

A cet égard, dans son arrêt du 6 décembre 2005 cité précédemment, la Cour de cassation, a confirmé que ce document devait refléter des montants précis et effectivement perçus ou déboursés, plutôt que des valeurs hypothétiques ou non vérifiées.

L’état ainsi tenu doit être suffisamment détaillé pour permettre aux co-indivisaires de comprendre les flux financiers intervenus au sein de l’indivision et d’assurer ainsi une transparence totale sur les contributions respectives.

Dans certains cas spécifiques, tels que la gestion d’une activité commerciale ou agricole par un indivisaire pour le compte de l’indivision, les exigences en matière de preuve se renforcent.

La gestion de ces activités nécessite une comptabilité plus élaborée, intégrant des comptes précis et complets pour documenter les entrées et sorties de fonds liés à l’activité.

Ces circonstances imposent ainsi une adaptation du niveau de preuve, en raison des enjeux financiers souvent plus conséquents et de la nécessité d’assurer une équité entre les indivisaires.

VI) Le règlement des comptes d’indivision

==>L’inscription en compte des créances et des dettes

Le fonctionnement du compte d’indivision repose sur un système d’inscription des créances et des dettes, qui sont consignées au fur et à mesure qu’elles se créent.

Ce système vise non seulement à différer l’exigibilité des créances jusqu’au moment du partage, mais aussi à maintenir une transparence absolue sur les flux financiers relatifs aux biens indivis.

Chaque opération est inscrite en compte, ce qui permet tracer les relations financières intervenant entre les indivisaires et la masse indivise.

L’enregistrement des créances et des dettes emporte transformation juridique de ces dernières en articles de compte. Une fois inscrites, elles perdent, en effet, leur individualité pour se fondre dans un ensemble unique d’où il résulte ce que l’on appelle un solde.

Ainsi, les dettes à terme, bien qu’elles ne soient pas immédiatement exigibles, sont intégrées au débit du compte, garantissant qu’un indivisaire ne puisse percevoir l’intégralité de sa part sans avoir honoré ses obligations envers l’indivision.

==>Compte d’indivision et compensation

Le compte d’indivision se distingue fondamentalement du mécanisme de compensation, car l’indivisaire n’est pas obligé directement envers chacun de ses coïndivisaires, mais bien à l’égard de la masse indivise.

Aussi, le compte d’indivision ne peut-il pas donner lieu à une compensation automatique des créances et dettes, laquelle suppose une exigibilité immédiate des obligations entre parties qui se trouvent mutuellement créancières et débitrices.

Dans le cadre de l’indivision, en revanche, le solde est établi en prenant en compte l’ensemble des créances et dettes, qu’elles soient ou non échues.

Par ailleurs, la notion même de compensation est inapplicable dans le contexte de l’indivision, car elle repose sur un principe de réciprocité qui n’existe pas ici : l’indivision n’est pas une personne morale, et les indivisaires n’agissent pas en tant que créanciers et débiteurs directs entre eux dans ce cadre.

De plus, la balance du compte d’indivision peut être réalisée même en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’un indivisaire, préservant ainsi les droits de l’ensemble des coïndivisaires sans porter atteinte aux créanciers personnels de l’indivisaire concerné.

==>L’imputation des créances et des dettes

S’agissant de l’imputation des créances et dettes inscrites dans le compte d’indivision, elle s’opère uniquement lors de l’établissement du solde final au moment du partage.

Si un indivisaire présente un solde créditeur, il pourra prélever la somme correspondante sur la masse indivise.

À l’inverse, si le solde est débiteur, cet indivisaire devra effectuer un rapport de dette.

Cette règle d’imputation protège les autres indivisaires contre l’insolvabilité éventuelle d’un indivisaire débiteur en permettant d’amortir sa dette sur la part qui lui revient au sein de la masse indivise.

Cette méthode d’allocation réduit les risques financiers pour la communauté, notamment dans les cas où les dettes personnelles d’un indivisaire excéderaient sa part dans l’indivision (Cass. civ., 11 janv. 1937).

En tout état de cause, les créances et les dettes inscrites dans le compte d’indivision produisent des intérêts au taux légal dès leur entrée en compte et jusqu’à la date du partage.

Ce mécanisme de valorisation continue assure que les créanciers ne voient pas leurs droits dévalorisés sous l’effet du temps, garantissant ainsi une juste compensation pour les indivisaires ayant avancé des fonds ou supporté des frais pour la préservation des biens indivis.

 

 

  1. Baudry-Lacantinerie et Wahl, Traité théorique et pratique de droit civil, t. 3, n° 2451. ?
  2. Ripert et Boulanger, Droit civil, t. 4, n° 3069. ?
  3. P. Hébraud, L’instabilité monétaire et les règlements d’intérêt familial, Études Ripert, t. 1, p. 499. ?
  4. J. Flour, Plus-values et fruits de biens indivis, JCP 1943.I.336. ?
  5. G. Champenois, Note sous Civ. 11 janv. 1937, DH 1937, p. 101 ?
  6. J. Patarin, RTD civ. 1982, p. 638 ?
  7. P. Catala, Les règlements successoraux depuis les réformes de 1938 et l’instabilité monétaire, thèse, Montpellier, 1954 ?
  8. P. Hébraud, Le partage des successions, p. 502 ?
  9. G. Champenois, obs. RTD civ. 1980, p. 811. ?
  10. M. Grimaldi, Droit des successions, 13e éd., LGDJ, 2023, p. 522 ?
  11. A. Chavanes, L’établissement des comptes d’indivision, Defrénois, 2010, p. 874. ?

Opérations de partage: le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision

L’indivision, par nature, impose une gestion concertée des actifs et passifs qui la composent. La question du règlement des dettes indivises occupe dès lors une place centrale dans l’administration de ce régime, en ce qu’elle conditionne la préservation du patrimoine commun et l’équilibre des intérêts des coindivisaires. Loin d’être une problématique accessoire, la prise en charge des charges et créances pesant sur l’indivision nécessite l’adoption de solutions adaptées, conciliant impératifs financiers et respect des droits de chacun.

Face aux difficultés inhérentes à toute indivision – notamment le risque de blocage en l’absence de consensus unanime –, le législateur a prévu divers mécanismes permettant d’apurer le passif. Avant d’envisager la cession de biens indivis pour faire face aux obligations financières, il est d’usage de mobiliser en priorité les liquidités disponibles. Cette démarche présente un double avantage : d’une part, elle préserve l’intégrité du patrimoine en évitant une aliénation précipitée ; d’autre part, elle permet une gestion plus souple des finances de l’indivision, sans nécessiter de recours systématique au juge.

Toutefois, l’affectation des ressources liquides à l’apurement des dettes indivises n’est pas sans limites. La décision d’utiliser les fonds disponibles pour solder les créances fait l’objet d’un encadrement strict, tant en ce qui concerne les règles de majorité applicables que les modalités d’intervention du gérant de l’indivision. Lorsqu’une insuffisance de trésorerie empêche le règlement du passif par ce biais, la vente de biens indivis devient alors une alternative incontournable, soit à l’initiative des indivisaires, soit sous la contrainte des créanciers.

Dès lors, il convient d’examiner successivement les deux principales voies de règlement des dettes indivises : le paiement au moyen des liquidités disponibles (A) et, en cas d’insuffisance, le recours à la vente de biens indivis (B).

A) Le règlement des dettes au moyen des liquidités disponibles dans l’indivision

Avant d’envisager la vente des biens indivis, les indivisaires peuvent décider d’affecter les liquidités disponibles — qu’il s’agisse des revenus générés par les biens indivis ou des sommes déjà présentes dans la masse — au paiement des dettes et charges.

Cette solution est généralement privilégiée, car elle permet de préserver l’intégrité du patrimoine indivis tout en désintéressant les créanciers.

1. Les règles de majorité applicables pour affecter les liquidités au paiement des dettes

L’article 815-3 du Code civil permet aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions de gestion, notamment celle d’affecter les liquidités disponibles au règlement des dettes pesant sur l’indivision.

Les liquidités peuvent provenir de différentes sources :

  • Les loyers perçus sur les biens indivis loués ;
  • Les dividendes versés par une société dans laquelle l’indivision détient des parts sociales ;
  • Les sommes disponibles sur un compte bancaire détenu au nom de l’indivision ;
  • Les avances de fonds réalisées par un ou plusieurs indivisaires.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est loué et génère des loyers, ou si l’indivision dispose d’un compte bancaire créditeur, les indivisaires majoritaires peuvent décider d’utiliser ces ressources pour payer la taxe foncière, régler les charges de copropriété, ou rembourser un emprunt contracté pour la rénovation du bien.

Cette décision, bien qu’importante, n’exige pas l’unanimité des indivisaires. Toutefois, elle suppose que les indivisaires minoritaires soient préalablement informés de la décision et que cette dernière soit prise dans l’intérêt commun de l’indivision.

Certaines décisions impliquant le paiement de dettes par le biais des liquidités disponibles nécessitent cependant l’accord unanime des indivisaires, notamment lorsqu’il s’agit de dettes contractées conjointement par tous les indivisaires ou de dettes dont le montant dépasse les ressources courantes de l’indivision.

Distinction importante :

  • Les décisions d’administration courante, comme le paiement des charges récurrentes (taxe foncière, primes d’assurance), peuvent être prises à la majorité des deux tiers.
  • Les décisions plus engageantes, telles que le remboursement anticipé d’un emprunt ou la souscription d’un nouvel emprunt, requièrent l’unanimité.

Cette distinction vise à préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires minoritaires et la nécessité de gérer efficacement le patrimoine commun.

2. La gestion des dettes par le gérant de l’indivision

Lorsque les indivisaires désignent un gérant pour administrer les biens indivis, ce dernier est habilité à gérer les ressources financières disponibles dans l’indivision et à les affecter au règlement des dettes. Cette gestion doit toutefois respecter les règles de majorité prévues par l’article 815-3 du Code civil.

Le gérant peut ainsi, sans obtenir l’accord unanime des indivisaires :

  • Utiliser les loyers perçus pour payer les taxes et charges liées aux biens indivis ;
  • Affecter les liquidités présentes sur un compte bancaire indivis au règlement des dettes.

Exemple pratique :

Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble locatif, le gérant désigné peut décider d’affecter les loyers perçus au paiement des charges de copropriété et des travaux d’entretien, sans avoir besoin de l’accord unanime des indivisaires.

Cependant, en cas de désaccord entre les indivisaires sur l’affectation des ressources disponibles ou si le gérant prend des décisions jugées contraires aux intérêts de certains indivisaires, ces derniers peuvent contester la gestion du gérant devant le tribunal judiciaire.

B) Le règlement des dettes au moyen du produit de l’aliénation de biens indivis

Lorsque les liquidités disponibles au sein de l’indivision sont insuffisantes pour apurer le passif, il peut être nécessaire de procéder à la vente de certains biens indivis afin de générer les ressources financières nécessaires au règlement des créanciers.

Cette vente peut être décidée à l’initiative des indivisaires ou imposée par les créanciers, qui disposent d’un droit de gage sur les biens indivis.

1. La vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision

Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue l’un des principaux motifs justifiant la vente de biens indivis. Deux mécanismes permettent d’y procéder : la vente à l’initiative des indivisaires, décidée à la majorité qualifiée, et la vente à l’instigation des créanciers de l’indivision. Ces dispositifs, bien que distincts dans leur mise en œuvre, visent à surmonter les blocages susceptibles d’entraver le paiement des créances, tout en encadrant les droits des indivisaires et des créanciers.

a. La vente décidée par les indivisaires à la majorité qualifiée

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil autorisait la majorité des cohéritiers à décider de la vente publique des meubles, dès lors que celle-ci était jugée nécessaire pour apurer les dettes et charges de la succession. Cette dérogation au principe d’unanimité visait à prévenir les situations de blocage susceptibles d’empêcher le règlement du passif. Elle permettait ainsi d’éviter qu’un indivisaire minoritaire ne fasse obstacle au bon déroulement des opérations successorales, au risque de compromettre la liquidation du patrimoine commun.

Toutefois, cette disposition spécifique n’a pas été réintroduite dans le cadre de la réforme de l’indivision opérée par la loi du 23 juin 2006. À sa place, le législateur a préféré instaurer un dispositif plus souple mais également plus exigeant. Désormais, l’article 815-3, alinéa 1er, 3°, du Code civil confère aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis la faculté de procéder à la vente des meubles indivis en vue de régler les dettes et charges pesant sur l’indivision.

Ce dispositif rompt avec le droit antérieur en substituant au décompte par tête un calcul fondé sur les droits indivis détenus. Il vise ainsi à faciliter les ventes de biens meubles indispensables au règlement des dettes et charges, tout en prévenant les abus susceptibles de léser les indivisaires minoritaires.

==>Domaine

La règle énoncée à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° vise la seule vente de meubles indivis, qu’ils soient corporels (mobilier, équipements, œuvres d’art) ou incorporels (parts sociales, créances).

Cette restriction reflète la volonté du législateur de réserver la majorité qualifiée à des biens facilement aliénables, tout en laissant aux indivisaires la possibilité de contester la pertinence de telles ventes si elles ne respectent pas les critères fixés par la loi.

Ainsi, tout bien meuble indivis peut être vendu dès lors que la finalité de la cession est de régler les dettes ou charges de l’indivision.

Par exemple, des parts sociales représentant une société civile immobilière ou des œuvres d’art indivises pourraient être cédées si les indivisaires majoritaires justifient que cette vente est nécessaire pour couvrir les frais afférents à l’indivision.

==>Conditions

La vente de meubles indivis ne peut être envisagée que pour des raisons spécifiques et impérieuses : le paiement des dettes et charges de l’indivision.

Ces charges comprennent notamment :

  • Les frais d’entretien ou de réparation nécessaires à la préservation du patrimoine indivis, comme des travaux de rénovation ou d’aménagement?;
  • Les taxes et impôts liés au bien indivis, tels que la taxe foncière ou les taxes locales?;
  • Les dépenses courantes liées à l’exploitation du bien, telles que les frais de gestion locative ou les coûts d’assurance.

En revanche, toute vente motivée par des considérations étrangères à ces impératifs, comme la volonté de se débarrasser d’un meuble jugé encombrant ou inutile, excède le cadre légal.

De telles opérations nécessiteraient alors soit l’unanimité des indivisaires, soit le recours à des mesures conservatoires ou à une autorisation judiciaire prévue par l’article 815-5-1 du Code civil.

==>La majorité qualifiée

Pour qu’une vente soit réalisée, les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis doivent se prononcer en faveur de la cession.

Cette majorité, calculée en fonction des parts indivises et non du nombre d’indivisaires, permet d’assurer une certaine flexibilité tout en évitant qu’un indivisaire minoritaire puisse s’opposer de manière systématique à une opération indispensable.

Cependant, les indivisaires minoritaires conservent un droit de contrôle sur ces décisions.

Ils peuvent contester la vente si celle-ci excède le cadre de l’exploitation normale des biens indivis ou si elle ne respecte pas les critères légaux, notamment en termes de nécessité et de proportionnalité.

==>Procédure

La vente de meubles indivis en application de l’article 815-3 ne nécessite pas, en principe, l’intervention du juge.

Elle peut être réalisée à l’amiable, à condition que les indivisaires majoritaires respectent les obligations procédurales, notamment :

  • L’information préalable des indivisaires minoritaires?: selon l’article 815-3, alinéa 2, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les autres indivisaires de la décision de vendre. Cette obligation garantit la transparence et permet aux indivisaires non consultés de contester l’opportunité de la vente si nécessaire.
  • Le respect du critère de proportionnalité : la vente ne doit porter que sur le montant strictement nécessaire au règlement des dettes et charges identifiées. Toute aliénation excédant ce besoin immédiat pourrait être remise en cause par les indivisaires minoritaires.

En permettant la vente de meubles indivis à la majorité qualifiée des deux tiers, l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil introduit une souplesse bienvenue dans la gestion de l’indivision, tout en préservant les droits des indivisaires minoritaires grâce à des garanties procédurales et juridiques. Ce mécanisme, bien qu’exceptionnel, illustre une volonté de concilier efficacité et sécurité juridique dans un domaine marqué par des risques fréquents de blocage.

Cependant, cette faculté doit être exercée avec prudence. Une application abusive ou détournée de cette règle pourrait compromettre l’équilibre fragile entre les droits des indivisaires et la nécessité de gérer l’indivision de manière pragmatique et équitable.

b. La vente à l’initiative des créanciers de l’indivision

L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de saisie et de vente des biens indivis, qu’ils soient meubles ou immeubles, indépendamment des opérations de partage. Cette prérogative, distincte du droit de prélèvement sur l’actif indivis, leur permet de se faire payer sur le produit de la vente des biens indivis, garantissant ainsi l’effectivité de leurs créances, malgré l’absence de partage.

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil, complété par l’article 945 de l’ancien Code de procédure civile, prévoyait la vente publique des meubles successoraux à l’initiative des créanciers saisissants ou d’opposants, ou lorsque la majorité des cohéritiers jugeait la vente nécessaire pour acquitter le passif. La procédure suivait alors les règles des saisies-exécutions fixées par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, offrant ainsi aux créanciers une voie d’exécution sûre et encadrée.

Bien que ces dispositions aient été abrogées par la réforme de 2006, la possibilité pour les créanciers de provoquer la vente des biens indivis demeure. La jurisprudence a clairement confirmé ce droit. La Cour de cassation, notamment dans des arrêts rendus avant et après la réforme, a rappelé que les créanciers peuvent poursuivre la saisie des biens indivis tant que ceux-ci n’ont pas été attribués à un indivisaire dans le cadre d’un partage définitif (Cass. 1re civ., 15 juill. 1999, n° 97-14.361).

Ce droit de saisie des biens indivis constitue ainsi une garantie fondamentale pour les créanciers, en leur permettant d’échapper aux éventuels blocages liés au régime de l’indivision. Il leur offre une faculté d’exécution directe, qui se maintient tant que les biens concernés demeurent dans le périmètre indivis.

==>La prérogative de saisie des biens indivis

Les créanciers de l’indivision, contrairement aux créanciers personnels des indivisaires, bénéficient d’un droit spécifique leur permettant de poursuivre la saisie et la vente judiciaire des biens indivis.

Ces biens incluent non seulement ceux présents au moment de la formation de l’indivision, mais également ceux qui y sont intégrés ultérieurement par subrogation réelle, tels que les fruits et revenus produits par les biens indivis.

Toutefois, la sécurité des créanciers peut être affectée dans certaines situations. Par exemple, un immeuble acquis par un indivisaire en son nom propre avec des fonds indivis pourrait échapper au gage des créanciers de l’indivision, ceux-ci ne pouvant s’opposer aux droits du créancier personnel de cet indivisaire. Cette difficulté souligne l’importance de définir précisément l’assiette des biens indivis soumis au droit de saisie.

==>Modalités de la saisie et de la vente

La saisie des biens indivis doit être dirigée contre chaque indivisaire individuellement en raison de l’absence de personnalité juridique de l’indivision.

Les créanciers ne peuvent donc engager d’action contre « l’indivision » en tant qu’entité autonome.

La saisie peut viser des biens meubles ou immeubles, ainsi que des créances indivises. La vente s’effectue généralement par voie de licitation, sauf accord contraire entre les parties (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n° 93-11.317).

==>La portée et les limites du droit de saisie

Le droit de saisie des créanciers de l’indivision s’applique jusqu’au moment du partage définitif.

Une fois les biens indivis aliénés ou attribués à des indivisaires dans le cadre d’un partage, ils cessent de faire partie du gage des créanciers de l’indivision et deviennent soumis aux droits des créanciers personnels des indivisaires concernés.

Toutefois, l’effet déclaratif du partage n’altère pas les droits acquis par les créanciers de l’indivision avant le partage. Ces derniers conservent leur capacité à poursuivre la réalisation des biens indivis tant que ces biens font partie de la masse indivise.

Il convient également de noter que ce droit de saisie ne confère pas au créancier un droit exclusif sur les biens indivis. Les créanciers doivent partager leur gage avec les autres créanciers de l’indivision et se conformer aux priorités fixées par la loi, notamment lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur le même bien.

==>Extinction du droit de saisie et de vente des biens indivis

Le droit de saisie des créanciers trouve ses limites dans deux circonstances principales : le partage définitif et l’aliénation des biens indivis.

  • Le partage définitif
    • Principe
      • Le partage constitue l’acte par lequel l’indivision prend fin et les biens indivis sont attribués en pleine propriété à chacun des indivisaires, selon leurs droits respectifs.
      • Dès lors qu’un partage définitif intervient, les biens sortent du régime de l’indivision et, par conséquent, des mécanismes spécifiques prévus par l’article 815-17 du Code civil, qui confèrent aux créanciers la possibilité de saisir les biens indivis.
      • Il en résulte que, une fois le partage réalisé, les biens indivis cessent de constituer le gage commun des créanciers de l’indivision.
      • Les créanciers ne peuvent plus exercer leurs droits sur l’ensemble des biens indivis, mais uniquement sur ceux attribués à l’indivisaire débiteur.
      • Par ailleurs, en vertu de l’article 883 du Code civil, le partage est censé rétroagir à la date d’ouverture de l’indivision.
      • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, ce qui peut compliquer la position des créanciers pour les actions intentées avant le partage.
    • Exception
      • Un partage provisionnel, qui organise simplement la jouissance des biens sans en modifier la propriété, ne constitue pas une véritable dissolution de l’indivision.
      • Dans ce cas, les créanciers conservent leur droit de saisie sur les biens indivis.
      • Par exemple, une convention attribuant temporairement la jouissance d’un immeuble indivis à l’un des indivisaires n’empêche pas les créanciers de poursuivre la saisie de ce bien.
  • L’aliénation des biens indivis
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu ou transféré à un tiers, il sort du patrimoine indivis et, par conséquent, du gage commun des créanciers de l’indivision.
    • Les créanciers ne peuvent alors plus exercer leur droit de poursuite sur ce bien, sauf exceptions prévues par le droit commun.
    • La Cour de cassation a confirmé ce principe dans un arrêt du 15 mai 2002 aux termes duquel elle a jugé que les biens indivis transférés à des tiers ne peuvent plus être saisis par les créanciers de l’indivision (Cass. 1ère civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).
    • Ces derniers doivent alors engager leurs poursuites contre les nouveaux propriétaires du bien ou contre le débiteur initial, mais sans bénéficier des mécanismes propres à l’indivision.
    • La conséquence pour les créanciers est alors double
      • Premier effet
        • Une fois le bien vendu, les créanciers doivent se tourner vers le produit de la vente si celui-ci est resté dans le patrimoine indivis, ou exercer leurs droits sur d’autres biens de l’indivision ou sur le patrimoine propre de l’indivisaire débiteur.
      • Second effet
        • Contrairement à certaines hypothèses en droit des sûretés, les créanciers ne disposent pas de mécanismes spécifiques pour revendiquer un bien indivis aliéné à un tiers, sauf si l’aliénation a été réalisée en fraude de leurs droits, auquel cas une action paulienne peut être envisagée (article 1341-2 du Code civil).

==>Cas particuliers

  • Le cas particulier des créanciers hypothécaires
    • Les créanciers hypothécaires jouissent d’un régime particulier lorsqu’ils ont consenti leur hypothèque sur des biens indivis.
    • L’hypothèque, quelle que soit sa nature (conventionnelle, judiciaire ou légale), échappe à l’effet déclaratif du partage.
    • Elle conserve ainsi sa pleine efficacité, même après l’attribution du bien grevé à un indivisaire spécifique ou sa licitation au profit d’un tiers.
    • Cela garantit au créancier hypothécaire une sécurité renforcée, bien que sa situation puisse différer de celle des créanciers de l’indivision selon les modalités de l’hypothèque.
  • Le cas particulier de l’attribution éliminatoire
    • L’attribution éliminatoire, qui permet à un indivisaire de prélever un bien précis en contrepartie d’une indemnité destinée à couvrir les droits des autres indivisaires, n’a pas pour effet de limiter le gage des créanciers sur les biens restant dans l’indivision.
    • La doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer que cette attribution n’affecte pas les droits des créanciers de l’indivision.
    • Aussi, les biens restant dans l’indivision continuent de constituer un gage pour les créanciers, préservant ainsi leurs droits sur l’ensemble des actifs indivis subsistants.

2. La vente des biens indivis par voie d’autorisation judiciaire

Historiquement, la possibilité de vendre des biens indivis sans l’accord unanime des copartageants était étroitement limitée. Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 826 du Code civil n’envisageait que deux hypothèses de vente forcée, strictement encadrées et exclusivement liées au règlement du passif successoral. En dehors de ces cas spécifiques, toute aliénation de biens indivis nécessitait le consentement unanime des indivisaires. Ce principe rigoureux, ancré dans l’idéal de l’égalité en nature dans le partage, empêchait même le juge d’imposer une vente, quelle que soit l’opportunité économique qu’elle pouvait représenter.

Cependant, la jurisprudence a progressivement assoupli cette exigence d’unanimité, notamment pour les biens meubles sujets à dépérissement. Dès 1871, la Cour d’appel de Rouen avait ainsi jugé que la vente de tels biens pouvait être ordonnée à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, malgré l’opposition des autres (CA Rouen, 16 mars 1871). Cette solution, dictée par des considérations pratiques et économiques, visait à éviter une perte irrémédiable de valeur ou des charges de conservation disproportionnées qui auraient compromis l’intérêt commun.

Cette jurisprudence a trouvé une consécration législative dans la réforme de 2006, qui a introduit la notion d’acte conservatoire. Désormais, l’article 784, 2° du Code civil autorise les indivisaires à prendre toute mesure nécessaire à la préservation du patrimoine indivis, incluant la vente de biens périssables ou dont le coût de conservation serait déraisonnable. Comme le souligne Jean Patarin, « la qualification d’acte conservatoire légitime une vente rapide pour éviter la perte de valeur du bien ou les coûts inutiles de conservation ».

Cette faculté de solliciter l’adoption de mesures conservatoires a, par suite, été complétée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, qui a introduit l’article 815-5-1 du Code civil. Contrairement aux mesures conservatoires, cette disposition confère aux indivisaires réunissant au moins deux tiers des droits indivis la faculté de solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, qu’il soit meuble ou immeuble. Cette demande peut être formulée lorsque le bien ne peut être commodément partagé ou lorsque sa conservation génère des charges disproportionnées. Ce mécanisme constitue une avancée majeure par rapport à l’article 815-5, car il n’exige pas de démontrer un péril imminent menaçant l’intérêt commun.

L’intervention judiciaire prévue par l’article 815-5-1 tend ainsi à donner effet à la volonté des indivisaires majoritaires, tout en encadrant cette prérogative par un contrôle juridictionnel rigoureux. L’objectif affiché est de surmonter les situations de blocage en adaptant la gestion de l’indivision aux contraintes économiques. La doctrine considère d’ailleurs que cette disposition marque une rupture avec le droit antérieur, en favorisant une gestion plus pragmatique de l’indivision.

a. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

b. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

c. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

Opérations de partage: le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision

Le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue une étape indispensable avant toute opération de partage. Il s’agit d’identifier précisément les obligations financières qui grèvent la masse indivise afin de garantir une liquidation équitable et d’éviter toute contestation ultérieure. Ce recensement, souvent effectué par le notaire commis à la liquidation, doit être exhaustif et précis. Il concerne aussi bien les dettes externes, dues à des créanciers tiers, que les dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires.

Le Code civil, à travers l’article 815-8, impose une obligation de transparence dans la gestion de l’indivision. Toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue d’en tenir un état détaillé, comprenant les dettes contractées et les charges nécessaires à la conservation des biens indivis.

A) Les créances des tiers sur l’indivision

Les dettes externes concernent les obligations financières que l’indivision doit à des tiers, notamment les créanciers fiscaux, les établissements de crédit ou les copropriétés. Ces créances doivent être réglées en priorité, sous peine de poursuites contre la masse indivise.

1. Les dettes fiscales

Les biens indivis sont naturellement grevés d’obligations fiscales, dont le paiement incombe directement aux indivisaires. Ces dettes doivent impérativement être apurées avant toute opération de partage, sous peine de voir les créanciers fiscaux exercer des poursuites sur la masse indivise.

En effet, l’administration fiscale dispose de prérogatives spécifiques lui permettant de garantir le recouvrement de ses créances, notamment par le biais d’une hypothèque légale inscrite sur les biens indivis en application de l’article 1929-1 du Code général des impôts.

==>La taxe foncière

La taxe foncière est une imposition annuelle qui frappe la propriété immobilière, indépendamment de son usage ou de sa jouissance. En matière d’indivision, la jurisprudence a confirmé que cette taxe doit être répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits, en tant que dépense nécessaire à la conservation des biens indivis.

Ainsi, même si un indivisaire occupe seul le bien indivis, cela ne le dispense pas de partager la charge de la taxe foncière avec les autres indivisaires. Cette imposition est directement liée à la propriété du bien, et non à son occupation.

Exemple pratique :

Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation a jugé que la taxe foncière devait être supportée par tous les indivisaires, y compris lorsque le bien est occupé à titre privatif par l’un d’entre eux (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12.224).

==>La taxe d’habitation

Avant sa suppression progressive depuis 2021 pour les résidences principales, la taxe d’habitation était due par le résident occupant le bien au 1er janvier de l’année d’imposition. Contrairement à la taxe foncière, cette taxe repose sur la jouissance effective du bien et pèse exclusivement sur celui qui l’occupe à titre privatif.

Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que la taxe d’habitation devait être supportée par l’indivisaire occupant le bien, à moins qu’un accord entre les indivisaires n’en dispose autrement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2018, n° 17-31.189).

Exemple pratique :

Si un indivisaire occupe seul un appartement indivis à titre de résidence principale, la taxe d’habitation due au 1er janvier de l’année sera entièrement à sa charge. Toutefois, un accord entre les indivisaires peut prévoir une répartition différente.

==>Les droits de succession

Dans le cadre d’une indivision successorale, les droits de succession constituent une dette prioritaire que les héritiers doivent régler avant toute opération de partage ou d’aliénation des biens indivis.

L’article 1929-1 du Code général des impôts confère à l’administration fiscale le droit d’inscrire une hypothèque légale sur les biens indivis en garantie du paiement des droits de succession. Cette hypothèque peut bloquer toute vente ou partage du bien jusqu’au règlement intégral de la créance fiscale.

Exemple pratique :

Un immeuble indivis, évalué à 500 000 €, est grevé de droits de succession s’élevant à 50 000 €. Si les héritiers n’acquittent pas ces droits, l’administration fiscale peut inscrire une hypothèque légale sur l’immeuble. Cette hypothèque rend impossible toute cession du bien sans que le fisc soit préalablement désintéressé.

Dans un arrêt du 10 mai 2011, la Cour de cassation a rappelé que les créances fiscales disposent d’un rang prioritaire, et que leur non-paiement peut justifier une vente judiciaire des biens indivis pour apurer le passif (Cass. com., 10 mai 2011, n°10-14.101).

2. Les emprunts contractés au bénéfice de l’indivision

Les biens indivis peuvent nécessiter des financements spécifiques, notamment pour leur acquisition ou leur conservation. À cette fin, les indivisaires peuvent être amenés à souscrire des emprunts collectifs, qui constituent des dettes communes devant être apurées avant tout partage. Bien que l’indivision elle-même ne puisse contracter un emprunt, en l’absence de personnalité morale, les indivisaires peuvent s’engager conjointement auprès d’un créancier pour les besoins de la masse indivise.

Les emprunts contractés par les indivisaires peuvent être regroupés en deux grandes catégories selon leur moment de souscription :

  • Les emprunts souscrits avant l’ouverture de l’indivision
    • Ces emprunts concernent généralement les dettes successorales, telles que les prêts immobiliers contractés par le défunt avant son décès.
    • À l’ouverture de la succession, ces dettes se transmettent aux héritiers, qui deviennent débiteurs du solde restant dû.
    • Chaque indivisaire est alors tenu au remboursement de l’emprunt, à proportion de sa quote-part successorale.
    • Cette répartition est essentielle pour éviter tout déséquilibre entre les cohéritiers.
      • Exemple pratique :
        • Un défunt laisse un immeuble grevé d’un prêt immobilier. À l’ouverture de la succession, les héritiers doivent poursuivre le remboursement de ce prêt, proportionnellement à leurs parts dans la masse successorale.
        • Si l’un d’eux refuse de payer, les autres héritiers devront régler les échéances pour éviter tout contentieux avec la banque, mais pourront demander une compensation lors du partage.
  • Les emprunts contractés pendant l’indivision
    • Les indivisaires peuvent également souscrire un emprunt après l’ouverture de l’indivision, par exemple pour financer des travaux de conservation ou d’amélioration d’un bien indivis.
    • Ces emprunts doivent être souscrits avec l’accord des indivisaires majoritaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil, qui encadre les actes d’administration.
    • Dans ce cas, chaque indivisaire devient personnellement tenu du remboursement envers le créancier, proportionnellement à ses droits dans l’indivision.
    • Toutefois, la responsabilité des indivisaires peut être solidaire, en fonction des termes du contrat de prêt.
      • Exemple pratique :
        • Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble nécessitant des travaux de rénovation, les indivisaires décident de contracter un emprunt collectif.
        • Chaque indivisaire est alors tenu de rembourser une part de cet emprunt, à proportion de ses droits dans l’indivision.
        • Si l’un des indivisaires fait défaut, les autres indivisaires doivent couvrir les échéances impayées, mais pourront demander une compensation lors du partage.

Lorsqu’un emprunt est contracté au bénéfice de l’indivision, le créancier conserve la possibilité de poursuivre chacun des indivisaires pour l’intégralité de la dette, sauf stipulation contraire dans le contrat. Cette solidarité emporte des conséquences importantes :

  • Le créancier peut exiger le remboursement total auprès d’un seul indivisaire ;
  • L’indivisaire ayant réglé la totalité de la dette peut exercer un recours contre les autres co-emprunteurs, afin de récupérer leur part de la dette.

Dans un arrêt du 23 janvier 2001, la Cour de cassation a rappelé que l’indivisaire qui prend en charge les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis dispose d’une créance sur la masse indivise (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2001, n° 98-22.937). Ce principe peut être appliqué aux emprunts souscrits pour financer de tels travaux, permettant à l’indivisaire ayant réglé les échéances de demander une compensation lors du partage.

Si un indivisaire ne s’acquitte pas de sa part des échéances d’un emprunt collectif, le créancier peut poursuivre l’ensemble des co-emprunteurs. Cette situation peut créer un déséquilibre financier au sein de l’indivision, notamment si les indivisaires solvables doivent couvrir les impayés de l’indivisaire défaillant.

Cependant, ces indivisaires peuvent ensuite se retourner contre l’indivisaire défaillant, notamment en demandant l’imputation de la dette sur sa part lors du partage final. Ce mécanisme permet de préserver l’équité entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un héritier refuse de contribuer au remboursement d’un prêt souscrit pour rénover un immeuble indivis. Les autres indivisaires prennent en charge les échéances pour éviter un défaut de paiement auprès de la banque. Lors du partage, ils demanderont que le montant de la dette soit imputé sur la part de l’indivisaire défaillant.

3. Les charges d’entretien et de copropriété

La gestion des biens indivis implique nécessairement l’acquittement de charges d’entretien et de gestion courante. Ces dépenses, indispensables à la préservation du patrimoine commun, constituent des obligations incontournables pour les indivisaires. Toutefois, elles peuvent rapidement devenir une source de discordes, notamment en cas de défaut de contribution de certains indivisaires ou lorsqu’un indivisaire occupe privativement le bien sans assumer les frais afférents.

Ces charges, qui grèvent directement la masse indivise, se répartissent en plusieurs catégories distinctes, chacune répondant à des besoins spécifiques en matière de conservation et de gestion des biens.

  • Les frais d’entretien courant
    • Les biens indivis, qu’il s’agisse d’immeubles ou de meubles, nécessitent des dépenses régulières pour maintenir leur valeur et éviter leur dégradation. Ces frais incluent notamment :
      • Les réparations urgentes, destinées à prévenir des dommages susceptibles d’affecter durablement le bien ;
      • Les travaux de rénovation, visant à mettre le bien en conformité avec les normes en vigueur ou à améliorer son état général ;
      • Les frais de gestion courante, tels que les prestations d’entretien ou les honoraires de gestion locative.
    • Ces dépenses bénéficient à l’ensemble des indivisaires, puisqu’elles préservent ou augmentent la valeur du bien indivis. En conséquence, elles doivent être prises en charge proportionnellement aux droits de chacun dans l’indivision.
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, l’indivisaire qui a engagé des frais nécessaires à la conservation du bien peut obtenir le remboursement de ses dépenses lors du partage, sous réserve de prouver leur caractère utile et nécessaire.
      • Exemple pratique :
        • Si la toiture d’un immeuble indivis est endommagée, un indivisaire peut décider d’engager les travaux nécessaires pour éviter une dégradation supplémentaire du bien. Lors du partage, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits à son actif dans le compte d’indivision, afin d’obtenir une compensation financière.
  • Les charges de copropriété
    • Lorsque le bien indivis est situé dans une résidence soumise au régime de la copropriété, les indivisaires doivent participer au paiement des charges de copropriété, proportionnellement à leurs droits.
    • Ces charges incluent :
      • Les frais d’entretien des parties communes, tels que l’entretien des ascenseurs, des jardins ou des couloirs ;
      • Les frais de gestion administrative, comprenant les honoraires du syndic et les assurances souscrites par la copropriété ;
      • Les appels de fonds exceptionnels, destinés à financer des travaux votés en assemblée générale.
    • En cas de défaillance dans le paiement de ces charges, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 1200 du Code civil, qui régit la solidarité passive des débiteurs.
      • Exemple pratique :
        • Un appartement indivis situé dans une copropriété fait l’objet d’une réhabilitation des parties communes, votée en assemblée générale.
        • Chaque indivisaire doit contribuer au règlement des appels de fonds, proportionnellement à ses droits.
        • Si certains indivisaires refusent de payer, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble devant le tribunal et demander l’inscription d’une hypothèque légale sur le bien indivis, en application de l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965.
  • Les primes d’assurance
    • Les biens indivis doivent être assurés afin de prévenir les risques liés aux sinistres, tels que les incendies, les dégâts des eaux ou encore les vols.
    • Les indivisaires doivent souscrire une assurance multirisque habitation couvrant les biens indivis et répartir le coût de la prime en fonction de leurs droits respectifs.
    • L’absence d’assurance expose les indivisaires à des risques considérables, notamment en cas de sinistre non couvert.
    • Le créancier (compagnie d’assurance) peut alors se retourner contre la masse indivise pour obtenir le remboursement des sommes dues.
      • Exemple pratique :
        • Si un immeuble indivis est détruit par un incendie et qu’aucune assurance n’a été souscrite, les pertes seront supportées par l’ensemble des indivisaires, sans possibilité d’indemnisation.
        • À l’inverse, si une assurance a été contractée, l’indemnisation versée par l’assureur sera répartie entre les indivisaires selon leurs droits.

Les frais d’entretien, les charges de copropriété ou les primes d’assurance afférentes aux biens indivis constituent des dépenses récurrentes, indispensables à la préservation du patrimoine commun. Ces obligations financières, essentielles au bon fonctionnement de l’indivision, exposent néanmoins les indivisaires à au mécanisme de la solidarité passive, permettant aux créanciers d’exiger le paiement intégral de la dette auprès de l’un quelconque d’entre eux.

Ces dépenses, indispensables à la préservation et à la valorisation des biens indivis, pèsent sur l’ensemble des indivisaires, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision. Toutefois, leur prise en charge peut susciter des difficultés pratiques, notamment en cas de défaillance d’un ou plusieurs indivisaires. Pour garantir le règlement des sommes dues, les créanciers bénéficient d’un régime de solidarité passive, qui leur permet de poursuivre l’un quelconque des indivisaires pour le paiement intégral de la dette.

Cette règle, avantageuse pour les créanciers, peut toutefois engendrer des tensions au sein de l’indivision. En effet, les indivisaires solvables peuvent être contraints de supporter les impayés des indivisaires défaillants, créant ainsi un déséquilibre financier. Afin de rétablir l’équité, ceux qui ont payé au-delà de leur quote-part peuvent exercer un recours contre les indivisaires défaillants, en demandant l’imputation des sommes avancées lors de la liquidation finale.

Pour les charges de copropriété, la solidarité passive a été instituée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 9 février 1970, la Cour de cassation a rappelé que le syndic de copropriété peut poursuivre l’ensemble des indivisaires pour le paiement des charges impayées, et ce, indépendamment de leur participation réelle aux décisions prises en assemblée générale (Cass. 3e civ. 9 févr. 1970, n° 68-13.306).

Ce principe permet au créancier d’exiger le paiement intégral de la créance auprès de l’un quelconque des co-indivisaires, lequel devra ensuite se retourner contre les débiteurs défaillants pour obtenir le remboursement des sommes avancées.

Exemple pratique :

Un appartement indivis, situé dans une copropriété, fait l’objet de travaux de rénovation votés en assemblée générale. Si certains indivisaires refusent de régler leur part des appels de fonds, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble et demander la saisie des biens indivis pour garantir le recouvrement des sommes dues. L’indivisaire poursuivi pourra ensuite, au moment du partage, demander que les sommes qu’il a avancées soient imputées sur la part des indivisaires défaillants.

Ce mécanisme, bien que protecteur pour les créanciers, peut s’avérer particulièrement contraignant pour les indivisaires qui se retrouvent tenus de payer des dettes dépassant leur propre quote-part. Cette situation peut notamment se produire dans les cas suivants :

  • Frais d’entretien courant : un indivisaire avance les frais de réparation d’urgence d’un bien indivis, comme le remplacement d’une toiture endommagée. À défaut de participation des autres indivisaires, il peut se voir contraint d’assumer seul la dépense.
  • Charges de copropriété : les charges liées à l’entretien des parties communes ou aux travaux votés en assemblée générale doivent être réglées, même si certains indivisaires refusent de contribuer. En cas de défaillance, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires.
  • Primes d’assurance : les biens indivis doivent être couverts par une assurance adéquate. Si l’un des indivisaires refuse de participer au règlement des primes d’assurance, les autres indivisaires devront pallier son défaut de paiement pour éviter de mettre en péril la couverture assurantielle.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est détruit par un incendie, les indivisaires pourront prétendre à une indemnisation de la part de l’assureur, sous réserve que les primes aient été intégralement réglées. À défaut de paiement des primes, l’ensemble des indivisaires subira une perte définitive, sans possibilité de compensation. Celui qui aurait assumé seul le paiement des primes pourra demander à ce que les sommes avancées soient imputées sur les parts des autres indivisaires.

Pour éviter les déséquilibres financiers et les litiges liés à la solidarité passive, il est primordial de tenir un compte d’indivision précis, récapitulant les contributions de chaque indivisaire. Ce compte permettra de régulariser les avances de fonds et les impayés au moment de la liquidation, en imputant les créances sur les parts des indivisaires défaillants.

La Cour de cassation a rappelé, dans plusieurs décisions, que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec une rigueur particulière, afin d’éviter que les charges pesant sur l’indivision ne soient supportées de manière disproportionnée par certains indivisaires (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).

B) Les créances entre indivisaires

Outre les dettes externes contractées envers des créanciers tiers, l’indivision génère des dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires eux-mêmes. Ces dettes trouvent leur origine dans les dépenses engagées par certains indivisaires pour la gestion ou la préservation du patrimoine indivis, ainsi que dans la jouissance privative de certains biens indivis par un ou plusieurs d’entre eux.

L’établissement de ces comptes internes, souvent confié au notaire lors des opérations de liquidation, vise à assurer une répartition équitable des charges et des bénéfices au sein de l’indivision.

==>Les avances de fonds pour la gestion et la conservation des biens indivis

Lorsqu’un indivisaire engage des dépenses nécessaires à la gestion, à la conservation ou à l’amélioration des biens indivis — telles que des travaux de réparation, le paiement des primes d’assurance, ou encore le règlement des charges de copropriété —, il est en droit de demander le remboursement de ces sommes par la masse indivise.

Ces avances de fonds constituent des créances inscrites à l’actif de l’indivisaire au moment de la reddition des comptes. Toutefois, pour être indemnisé, l’indivisaire devra démontrer que les dépenses engagées étaient nécessaires à la préservation du bien indivis.

Exemple pratique :

Si un indivisaire finance la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation du bien, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits comme créance à son bénéfice lors du partage.

Dans ce cas, les autres indivisaires devront contribuer au remboursement de cette créance, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision.

==>Les indemnités d’occupation pour jouissance privative

Selon les termes de l’article 815-9 du Code civil, tout indivisaire qui occupe privativement un bien indivis doit une indemnité d’occupation à la masse indivise, dès lors que cette occupation empêche les autres indivisaires d’exercer leur droit à la jouissance commune.

Cette indemnité est destinée à compenser l’exclusion des autres indivisaires et est calculée sur la base de la valeur locative du bien. Elle constitue une dette inscrite au passif de l’indivisaire occupant lors de la liquidation.

Exemple pratique :

Si un indivisaire utilise seul un appartement indivis comme résidence principale, sans verser de compensation aux autres co-indivisaires, il sera tenu de régler une indemnité d’occupation au profit de la masse. Cette somme viendra réduire sa part dans le produit de la liquidation.

La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises le caractère automatique de cette indemnité d’occupation, dès lors que l’occupation privative est exercée sans accord des autres indivisaires (par ex. CA Lyon, 23 nov. 2017, n° 15/04545).

==>Les créances de gestion : rémunération d’un indivisaire désigné gérant

Lorsqu’un indivisaire est mandaté pour administrer les biens indivis, il peut prétendre à une rémunération pour sa gestion. Cette gestion peut inclure des missions telles que :

  • La perception des loyers issus des biens indivis mis en location ;
  • La supervision des travaux ou des démarches administratives ;
  • Le paiement des charges courantes (impôts, assurances, etc.).

Si cette rémunération n’a pas été réglée au cours de l’indivision, elle constitue une créance inscrite à l’actif de l’indivisaire gérant lors du partage.

Exemple pratique :

Un indivisaire est chargé de gérer un immeuble locatif indivis, percevant les loyers et assurant le paiement des charges de copropriété. S’il n’a pas été rémunéré pour cette gestion, il pourra réclamer une indemnisation lors de la liquidation des comptes, correspondant aux services rendus.

Opérations de partage: la prise en compte du passif de l’indivision

Le partage d’une indivision ne peut être envisagé sans une préalable détermination précise de la masse partageable. Avant de répartir les biens entre les indivisaires, il est indispensable de connaître l’étendue du patrimoine commun, d’identifier les dettes grevant ce patrimoine et de régulariser les comptes entre les co-indivisaires. Cette étape de liquidation est essentielle pour garantir un partage équitable, fondé sur une vision claire et exhaustive des droits et obligations de chacun.

La détermination de la masse partageable repose ainsi sur trois opérations successives :

  • L’inventaire des biens existants, permettant d’établir la consistance matérielle et juridique du patrimoine indivis ;
  • La prise en compte du passif de l’indivision, incluant tant les dettes externes que les créances internes nées des relations entre indivisaires ;
  • L’établissement des comptes entre indivisaires, destiné à régulariser les déséquilibres financiers survenus au cours de la gestion de l’indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la deuxième étape: la prise en compte du passif de l’indivision.

Le recensement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue une étape indispensable avant toute opération de partage. Il s’agit d’identifier précisément les obligations financières qui grèvent la masse indivise afin de garantir une liquidation équitable et d’éviter toute contestation ultérieure. Ce recensement, souvent effectué par le notaire commis à la liquidation, doit être exhaustif et précis. Il concerne aussi bien les dettes externes, dues à des créanciers tiers, que les dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires.

Le Code civil, à travers l’article 815-8, impose une obligation de transparence dans la gestion de l’indivision. Toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue d’en tenir un état détaillé, comprenant les dettes contractées et les charges nécessaires à la conservation des biens indivis.

A) Les créances des tiers sur l’indivision

Les dettes externes concernent les obligations financières que l’indivision doit à des tiers, notamment les créanciers fiscaux, les établissements de crédit ou les copropriétés. Ces créances doivent être réglées en priorité, sous peine de poursuites contre la masse indivise.

1. Les dettes fiscales

Les biens indivis sont naturellement grevés d’obligations fiscales, dont le paiement incombe directement aux indivisaires. Ces dettes doivent impérativement être apurées avant toute opération de partage, sous peine de voir les créanciers fiscaux exercer des poursuites sur la masse indivise.

En effet, l’administration fiscale dispose de prérogatives spécifiques lui permettant de garantir le recouvrement de ses créances, notamment par le biais d’une hypothèque légale inscrite sur les biens indivis en application de l’article 1929-1 du Code général des impôts.

==>La taxe foncière

La taxe foncière est une imposition annuelle qui frappe la propriété immobilière, indépendamment de son usage ou de sa jouissance. En matière d’indivision, la jurisprudence a confirmé que cette taxe doit être répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits, en tant que dépense nécessaire à la conservation des biens indivis.

Ainsi, même si un indivisaire occupe seul le bien indivis, cela ne le dispense pas de partager la charge de la taxe foncière avec les autres indivisaires. Cette imposition est directement liée à la propriété du bien, et non à son occupation.

Exemple pratique :

Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation a jugé que la taxe foncière devait être supportée par tous les indivisaires, y compris lorsque le bien est occupé à titre privatif par l’un d’entre eux (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12.224).

==>La taxe d’habitation

Avant sa suppression progressive depuis 2021 pour les résidences principales, la taxe d’habitation était due par le résident occupant le bien au 1er janvier de l’année d’imposition. Contrairement à la taxe foncière, cette taxe repose sur la jouissance effective du bien et pèse exclusivement sur celui qui l’occupe à titre privatif.

Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que la taxe d’habitation devait être supportée par l’indivisaire occupant le bien, à moins qu’un accord entre les indivisaires n’en dispose autrement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2018, n° 17-31.189).

Exemple pratique :

Si un indivisaire occupe seul un appartement indivis à titre de résidence principale, la taxe d’habitation due au 1er janvier de l’année sera entièrement à sa charge. Toutefois, un accord entre les indivisaires peut prévoir une répartition différente.

==>Les droits de succession

Dans le cadre d’une indivision successorale, les droits de succession constituent une dette prioritaire que les héritiers doivent régler avant toute opération de partage ou d’aliénation des biens indivis.

L’article 1929-1 du Code général des impôts confère à l’administration fiscale le droit d’inscrire une hypothèque légale sur les biens indivis en garantie du paiement des droits de succession. Cette hypothèque peut bloquer toute vente ou partage du bien jusqu’au règlement intégral de la créance fiscale.

Exemple pratique :

Un immeuble indivis, évalué à 500 000 €, est grevé de droits de succession s’élevant à 50 000 €. Si les héritiers n’acquittent pas ces droits, l’administration fiscale peut inscrire une hypothèque légale sur l’immeuble. Cette hypothèque rend impossible toute cession du bien sans que le fisc soit préalablement désintéressé.

Dans un arrêt du 10 mai 2011, la Cour de cassation a rappelé que les créances fiscales disposent d’un rang prioritaire, et que leur non-paiement peut justifier une vente judiciaire des biens indivis pour apurer le passif (Cass. com., 10 mai 2011, n°10-14.101).

2. Les emprunts contractés au bénéfice de l’indivision

Les biens indivis peuvent nécessiter des financements spécifiques, notamment pour leur acquisition ou leur conservation. À cette fin, les indivisaires peuvent être amenés à souscrire des emprunts collectifs, qui constituent des dettes communes devant être apurées avant tout partage. Bien que l’indivision elle-même ne puisse contracter un emprunt, en l’absence de personnalité morale, les indivisaires peuvent s’engager conjointement auprès d’un créancier pour les besoins de la masse indivise.

Les emprunts contractés par les indivisaires peuvent être regroupés en deux grandes catégories selon leur moment de souscription :

  • Les emprunts souscrits avant l’ouverture de l’indivision
    • Ces emprunts concernent généralement les dettes successorales, telles que les prêts immobiliers contractés par le défunt avant son décès.
    • À l’ouverture de la succession, ces dettes se transmettent aux héritiers, qui deviennent débiteurs du solde restant dû.
    • Chaque indivisaire est alors tenu au remboursement de l’emprunt, à proportion de sa quote-part successorale.
    • Cette répartition est essentielle pour éviter tout déséquilibre entre les cohéritiers.
      • Exemple pratique :
        • Un défunt laisse un immeuble grevé d’un prêt immobilier. À l’ouverture de la succession, les héritiers doivent poursuivre le remboursement de ce prêt, proportionnellement à leurs parts dans la masse successorale.
        • Si l’un d’eux refuse de payer, les autres héritiers devront régler les échéances pour éviter tout contentieux avec la banque, mais pourront demander une compensation lors du partage.
  • Les emprunts contractés pendant l’indivision
    • Les indivisaires peuvent également souscrire un emprunt après l’ouverture de l’indivision, par exemple pour financer des travaux de conservation ou d’amélioration d’un bien indivis.
    • Ces emprunts doivent être souscrits avec l’accord des indivisaires majoritaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil, qui encadre les actes d’administration.
    • Dans ce cas, chaque indivisaire devient personnellement tenu du remboursement envers le créancier, proportionnellement à ses droits dans l’indivision.
    • Toutefois, la responsabilité des indivisaires peut être solidaire, en fonction des termes du contrat de prêt.
      • Exemple pratique :
        • Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble nécessitant des travaux de rénovation, les indivisaires décident de contracter un emprunt collectif.
        • Chaque indivisaire est alors tenu de rembourser une part de cet emprunt, à proportion de ses droits dans l’indivision.
        • Si l’un des indivisaires fait défaut, les autres indivisaires doivent couvrir les échéances impayées, mais pourront demander une compensation lors du partage.

Lorsqu’un emprunt est contracté au bénéfice de l’indivision, le créancier conserve la possibilité de poursuivre chacun des indivisaires pour l’intégralité de la dette, sauf stipulation contraire dans le contrat. Cette solidarité emporte des conséquences importantes :

  • Le créancier peut exiger le remboursement total auprès d’un seul indivisaire ;
  • L’indivisaire ayant réglé la totalité de la dette peut exercer un recours contre les autres co-emprunteurs, afin de récupérer leur part de la dette.

Dans un arrêt du 23 janvier 2001, la Cour de cassation a rappelé que l’indivisaire qui prend en charge les dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis dispose d’une créance sur la masse indivise (Cass. 1ère civ. 23 janv. 2001, n° 98-22.937). Ce principe peut être appliqué aux emprunts souscrits pour financer de tels travaux, permettant à l’indivisaire ayant réglé les échéances de demander une compensation lors du partage.

Si un indivisaire ne s’acquitte pas de sa part des échéances d’un emprunt collectif, le créancier peut poursuivre l’ensemble des co-emprunteurs. Cette situation peut créer un déséquilibre financier au sein de l’indivision, notamment si les indivisaires solvables doivent couvrir les impayés de l’indivisaire défaillant.

Cependant, ces indivisaires peuvent ensuite se retourner contre l’indivisaire défaillant, notamment en demandant l’imputation de la dette sur sa part lors du partage final. Ce mécanisme permet de préserver l’équité entre les indivisaires.

Exemple pratique :

Un héritier refuse de contribuer au remboursement d’un prêt souscrit pour rénover un immeuble indivis. Les autres indivisaires prennent en charge les échéances pour éviter un défaut de paiement auprès de la banque. Lors du partage, ils demanderont que le montant de la dette soit imputé sur la part de l’indivisaire défaillant.

3. Les charges d’entretien et de copropriété

La gestion des biens indivis implique nécessairement l’acquittement de charges d’entretien et de gestion courante. Ces dépenses, indispensables à la préservation du patrimoine commun, constituent des obligations incontournables pour les indivisaires. Toutefois, elles peuvent rapidement devenir une source de discordes, notamment en cas de défaut de contribution de certains indivisaires ou lorsqu’un indivisaire occupe privativement le bien sans assumer les frais afférents.

Ces charges, qui grèvent directement la masse indivise, se répartissent en plusieurs catégories distinctes, chacune répondant à des besoins spécifiques en matière de conservation et de gestion des biens.

  • Les frais d’entretien courant
    • Les biens indivis, qu’il s’agisse d’immeubles ou de meubles, nécessitent des dépenses régulières pour maintenir leur valeur et éviter leur dégradation. Ces frais incluent notamment :
      • Les réparations urgentes, destinées à prévenir des dommages susceptibles d’affecter durablement le bien ;
      • Les travaux de rénovation, visant à mettre le bien en conformité avec les normes en vigueur ou à améliorer son état général ;
      • Les frais de gestion courante, tels que les prestations d’entretien ou les honoraires de gestion locative.
    • Ces dépenses bénéficient à l’ensemble des indivisaires, puisqu’elles préservent ou augmentent la valeur du bien indivis. En conséquence, elles doivent être prises en charge proportionnellement aux droits de chacun dans l’indivision.
    • Conformément à l’article 815-13 du Code civil, l’indivisaire qui a engagé des frais nécessaires à la conservation du bien peut obtenir le remboursement de ses dépenses lors du partage, sous réserve de prouver leur caractère utile et nécessaire.
      • Exemple pratique :
        • Si la toiture d’un immeuble indivis est endommagée, un indivisaire peut décider d’engager les travaux nécessaires pour éviter une dégradation supplémentaire du bien. Lors du partage, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits à son actif dans le compte d’indivision, afin d’obtenir une compensation financière.
  • Les charges de copropriété
    • Lorsque le bien indivis est situé dans une résidence soumise au régime de la copropriété, les indivisaires doivent participer au paiement des charges de copropriété, proportionnellement à leurs droits.
    • Ces charges incluent :
      • Les frais d’entretien des parties communes, tels que l’entretien des ascenseurs, des jardins ou des couloirs ;
      • Les frais de gestion administrative, comprenant les honoraires du syndic et les assurances souscrites par la copropriété ;
      • Les appels de fonds exceptionnels, destinés à financer des travaux votés en assemblée générale.
    • En cas de défaillance dans le paiement de ces charges, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires, conformément aux dispositions de l’article 1200 du Code civil, qui régit la solidarité passive des débiteurs.
      • Exemple pratique :
        • Un appartement indivis situé dans une copropriété fait l’objet d’une réhabilitation des parties communes, votée en assemblée générale.
        • Chaque indivisaire doit contribuer au règlement des appels de fonds, proportionnellement à ses droits.
        • Si certains indivisaires refusent de payer, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble devant le tribunal et demander l’inscription d’une hypothèque légale sur le bien indivis, en application de l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965.
  • Les primes d’assurance
    • Les biens indivis doivent être assurés afin de prévenir les risques liés aux sinistres, tels que les incendies, les dégâts des eaux ou encore les vols.
    • Les indivisaires doivent souscrire une assurance multirisque habitation couvrant les biens indivis et répartir le coût de la prime en fonction de leurs droits respectifs.
    • L’absence d’assurance expose les indivisaires à des risques considérables, notamment en cas de sinistre non couvert.
    • Le créancier (compagnie d’assurance) peut alors se retourner contre la masse indivise pour obtenir le remboursement des sommes dues.
      • Exemple pratique :
        • Si un immeuble indivis est détruit par un incendie et qu’aucune assurance n’a été souscrite, les pertes seront supportées par l’ensemble des indivisaires, sans possibilité d’indemnisation.
        • À l’inverse, si une assurance a été contractée, l’indemnisation versée par l’assureur sera répartie entre les indivisaires selon leurs droits.

Les frais d’entretien, les charges de copropriété ou les primes d’assurance afférentes aux biens indivis constituent des dépenses récurrentes, indispensables à la préservation du patrimoine commun. Ces obligations financières, essentielles au bon fonctionnement de l’indivision, exposent néanmoins les indivisaires à au mécanisme de la solidarité passive, permettant aux créanciers d’exiger le paiement intégral de la dette auprès de l’un quelconque d’entre eux.

Ces dépenses, indispensables à la préservation et à la valorisation des biens indivis, pèsent sur l’ensemble des indivisaires, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision. Toutefois, leur prise en charge peut susciter des difficultés pratiques, notamment en cas de défaillance d’un ou plusieurs indivisaires. Pour garantir le règlement des sommes dues, les créanciers bénéficient d’un régime de solidarité passive, qui leur permet de poursuivre l’un quelconque des indivisaires pour le paiement intégral de la dette.

Cette règle, avantageuse pour les créanciers, peut toutefois engendrer des tensions au sein de l’indivision. En effet, les indivisaires solvables peuvent être contraints de supporter les impayés des indivisaires défaillants, créant ainsi un déséquilibre financier. Afin de rétablir l’équité, ceux qui ont payé au-delà de leur quote-part peuvent exercer un recours contre les indivisaires défaillants, en demandant l’imputation des sommes avancées lors de la liquidation finale.

Pour les charges de copropriété, la solidarité passive a été instituée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 9 février 1970, la Cour de cassation a rappelé que le syndic de copropriété peut poursuivre l’ensemble des indivisaires pour le paiement des charges impayées, et ce, indépendamment de leur participation réelle aux décisions prises en assemblée générale (Cass. 3e civ. 9 févr. 1970, n° 68-13.306).

Ce principe permet au créancier d’exiger le paiement intégral de la créance auprès de l’un quelconque des co-indivisaires, lequel devra ensuite se retourner contre les débiteurs défaillants pour obtenir le remboursement des sommes avancées.

Exemple pratique :

Un appartement indivis, situé dans une copropriété, fait l’objet de travaux de rénovation votés en assemblée générale. Si certains indivisaires refusent de régler leur part des appels de fonds, le syndic peut assigner l’indivision dans son ensemble et demander la saisie des biens indivis pour garantir le recouvrement des sommes dues. L’indivisaire poursuivi pourra ensuite, au moment du partage, demander que les sommes qu’il a avancées soient imputées sur la part des indivisaires défaillants.

Ce mécanisme, bien que protecteur pour les créanciers, peut s’avérer particulièrement contraignant pour les indivisaires qui se retrouvent tenus de payer des dettes dépassant leur propre quote-part. Cette situation peut notamment se produire dans les cas suivants :

  • Frais d’entretien courant : un indivisaire avance les frais de réparation d’urgence d’un bien indivis, comme le remplacement d’une toiture endommagée. À défaut de participation des autres indivisaires, il peut se voir contraint d’assumer seul la dépense.
  • Charges de copropriété : les charges liées à l’entretien des parties communes ou aux travaux votés en assemblée générale doivent être réglées, même si certains indivisaires refusent de contribuer. En cas de défaillance, le syndic peut engager des poursuites contre l’ensemble des indivisaires.
  • Primes d’assurance : les biens indivis doivent être couverts par une assurance adéquate. Si l’un des indivisaires refuse de participer au règlement des primes d’assurance, les autres indivisaires devront pallier son défaut de paiement pour éviter de mettre en péril la couverture assurantielle.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est détruit par un incendie, les indivisaires pourront prétendre à une indemnisation de la part de l’assureur, sous réserve que les primes aient été intégralement réglées. À défaut de paiement des primes, l’ensemble des indivisaires subira une perte définitive, sans possibilité de compensation. Celui qui aurait assumé seul le paiement des primes pourra demander à ce que les sommes avancées soient imputées sur les parts des autres indivisaires.

Pour éviter les déséquilibres financiers et les litiges liés à la solidarité passive, il est primordial de tenir un compte d’indivision précis, récapitulant les contributions de chaque indivisaire. Ce compte permettra de régulariser les avances de fonds et les impayés au moment de la liquidation, en imputant les créances sur les parts des indivisaires défaillants.

La Cour de cassation a rappelé, dans plusieurs décisions, que les comptes entre indivisaires doivent être établis avec une rigueur particulière, afin d’éviter que les charges pesant sur l’indivision ne soient supportées de manière disproportionnée par certains indivisaires (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).

B) Les créances entre indivisaires

Outre les dettes externes contractées envers des créanciers tiers, l’indivision génère des dettes internes, résultant des relations financières entre les indivisaires eux-mêmes. Ces dettes trouvent leur origine dans les dépenses engagées par certains indivisaires pour la gestion ou la préservation du patrimoine indivis, ainsi que dans la jouissance privative de certains biens indivis par un ou plusieurs d’entre eux.

L’établissement de ces comptes internes, souvent confié au notaire lors des opérations de liquidation, vise à assurer une répartition équitable des charges et des bénéfices au sein de l’indivision.

==>Les avances de fonds pour la gestion et la conservation des biens indivis

Lorsqu’un indivisaire engage des dépenses nécessaires à la gestion, à la conservation ou à l’amélioration des biens indivis — telles que des travaux de réparation, le paiement des primes d’assurance, ou encore le règlement des charges de copropriété —, il est en droit de demander le remboursement de ces sommes par la masse indivise.

Ces avances de fonds constituent des créances inscrites à l’actif de l’indivisaire au moment de la reddition des comptes. Toutefois, pour être indemnisé, l’indivisaire devra démontrer que les dépenses engagées étaient nécessaires à la préservation du bien indivis.

Exemple pratique :

Si un indivisaire finance la réfection de la toiture d’un immeuble indivis pour éviter une dégradation du bien, il pourra demander à ce que les frais engagés soient inscrits comme créance à son bénéfice lors du partage.

Dans ce cas, les autres indivisaires devront contribuer au remboursement de cette créance, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision.

==>Les indemnités d’occupation pour jouissance privative

Selon les termes de l’article 815-9 du Code civil, tout indivisaire qui occupe privativement un bien indivis doit une indemnité d’occupation à la masse indivise, dès lors que cette occupation empêche les autres indivisaires d’exercer leur droit à la jouissance commune.

Cette indemnité est destinée à compenser l’exclusion des autres indivisaires et est calculée sur la base de la valeur locative du bien. Elle constitue une dette inscrite au passif de l’indivisaire occupant lors de la liquidation.

Exemple pratique :

Si un indivisaire utilise seul un appartement indivis comme résidence principale, sans verser de compensation aux autres co-indivisaires, il sera tenu de régler une indemnité d’occupation au profit de la masse. Cette somme viendra réduire sa part dans le produit de la liquidation.

La jurisprudence a reconnu à plusieurs reprises le caractère automatique de cette indemnité d’occupation, dès lors que l’occupation privative est exercée sans accord des autres indivisaires (par ex. CA Lyon, 23 nov. 2017, n° 15/04545).

==>Les créances de gestion : rémunération d’un indivisaire désigné gérant

Lorsqu’un indivisaire est mandaté pour administrer les biens indivis, il peut prétendre à une rémunération pour sa gestion. Cette gestion peut inclure des missions telles que :

  • La perception des loyers issus des biens indivis mis en location ;
  • La supervision des travaux ou des démarches administratives ;
  • Le paiement des charges courantes (impôts, assurances, etc.).

Si cette rémunération n’a pas été réglée au cours de l’indivision, elle constitue une créance inscrite à l’actif de l’indivisaire gérant lors du partage.

Exemple pratique :

Un indivisaire est chargé de gérer un immeuble locatif indivis, percevant les loyers et assurant le paiement des charges de copropriété. S’il n’a pas été rémunéré pour cette gestion, il pourra réclamer une indemnisation lors de la liquidation des comptes, correspondant aux services rendus.

II) Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision

A) Le règlement des dettes au moyen des liquidités disponibles dans l’indivision

Avant d’envisager la vente des biens indivis, les indivisaires peuvent décider d’affecter les liquidités disponibles — qu’il s’agisse des revenus générés par les biens indivis ou des sommes déjà présentes dans la masse — au paiement des dettes et charges.

Cette solution est généralement privilégiée, car elle permet de préserver l’intégrité du patrimoine indivis tout en désintéressant les créanciers.

1. Les règles de majorité applicables pour affecter les liquidités au paiement des dettes

L’article 815-3 du Code civil permet aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions de gestion, notamment celle d’affecter les liquidités disponibles au règlement des dettes pesant sur l’indivision.

Les liquidités peuvent provenir de différentes sources :

  • Les loyers perçus sur les biens indivis loués ;
  • Les dividendes versés par une société dans laquelle l’indivision détient des parts sociales ;
  • Les sommes disponibles sur un compte bancaire détenu au nom de l’indivision ;
  • Les avances de fonds réalisées par un ou plusieurs indivisaires.

Exemple pratique :

Si un immeuble indivis est loué et génère des loyers, ou si l’indivision dispose d’un compte bancaire créditeur, les indivisaires majoritaires peuvent décider d’utiliser ces ressources pour payer la taxe foncière, régler les charges de copropriété, ou rembourser un emprunt contracté pour la rénovation du bien.

Cette décision, bien qu’importante, n’exige pas l’unanimité des indivisaires. Toutefois, elle suppose que les indivisaires minoritaires soient préalablement informés de la décision et que cette dernière soit prise dans l’intérêt commun de l’indivision.

Certaines décisions impliquant le paiement de dettes par le biais des liquidités disponibles nécessitent cependant l’accord unanime des indivisaires, notamment lorsqu’il s’agit de dettes contractées conjointement par tous les indivisaires ou de dettes dont le montant dépasse les ressources courantes de l’indivision.

Distinction importante :

  • Les décisions d’administration courante, comme le paiement des charges récurrentes (taxe foncière, primes d’assurance), peuvent être prises à la majorité des deux tiers.
  • Les décisions plus engageantes, telles que le remboursement anticipé d’un emprunt ou la souscription d’un nouvel emprunt, requièrent l’unanimité.

Cette distinction vise à préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires minoritaires et la nécessité de gérer efficacement le patrimoine commun.

2. La gestion des dettes par le gérant de l’indivision

Lorsque les indivisaires désignent un gérant pour administrer les biens indivis, ce dernier est habilité à gérer les ressources financières disponibles dans l’indivision et à les affecter au règlement des dettes. Cette gestion doit toutefois respecter les règles de majorité prévues par l’article 815-3 du Code civil.

Le gérant peut ainsi, sans obtenir l’accord unanime des indivisaires :

  • Utiliser les loyers perçus pour payer les taxes et charges liées aux biens indivis ;
  • Affecter les liquidités présentes sur un compte bancaire indivis au règlement des dettes.

Exemple pratique :

Dans le cadre d’une indivision successorale portant sur un immeuble locatif, le gérant désigné peut décider d’affecter les loyers perçus au paiement des charges de copropriété et des travaux d’entretien, sans avoir besoin de l’accord unanime des indivisaires.

Cependant, en cas de désaccord entre les indivisaires sur l’affectation des ressources disponibles ou si le gérant prend des décisions jugées contraires aux intérêts de certains indivisaires, ces derniers peuvent contester la gestion du gérant devant le tribunal judiciaire.

B) Le règlement des dettes au moyen du produit de l’aliénation de biens indivis

Lorsque les liquidités disponibles au sein de l’indivision sont insuffisantes pour apurer le passif, il peut être nécessaire de procéder à la vente de certains biens indivis afin de générer les ressources financières nécessaires au règlement des créanciers.

Cette vente peut être décidée à l’initiative des indivisaires ou imposée par les créanciers, qui disposent d’un droit de gage sur les biens indivis.

1. La vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision

Le règlement des dettes et charges pesant sur l’indivision constitue l’un des principaux motifs justifiant la vente de biens indivis. Deux mécanismes permettent d’y procéder : la vente à l’initiative des indivisaires, décidée à la majorité qualifiée, et la vente à l’instigation des créanciers de l’indivision. Ces dispositifs, bien que distincts dans leur mise en œuvre, visent à surmonter les blocages susceptibles d’entraver le paiement des créances, tout en encadrant les droits des indivisaires et des créanciers.

a. La vente décidée par les indivisaires à la majorité qualifiée

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil autorisait la majorité des cohéritiers à décider de la vente publique des meubles, dès lors que celle-ci était jugée nécessaire pour apurer les dettes et charges de la succession. Cette dérogation au principe d’unanimité visait à prévenir les situations de blocage susceptibles d’empêcher le règlement du passif. Elle permettait ainsi d’éviter qu’un indivisaire minoritaire ne fasse obstacle au bon déroulement des opérations successorales, au risque de compromettre la liquidation du patrimoine commun.

Toutefois, cette disposition spécifique n’a pas été réintroduite dans le cadre de la réforme de l’indivision opérée par la loi du 23 juin 2006. À sa place, le législateur a préféré instaurer un dispositif plus souple mais également plus exigeant. Désormais, l’article 815-3, alinéa 1er, 3°, du Code civil confère aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis la faculté de procéder à la vente des meubles indivis en vue de régler les dettes et charges pesant sur l’indivision.

Ce dispositif rompt avec le droit antérieur en substituant au décompte par tête un calcul fondé sur les droits indivis détenus. Il vise ainsi à faciliter les ventes de biens meubles indispensables au règlement des dettes et charges, tout en prévenant les abus susceptibles de léser les indivisaires minoritaires.

==>Domaine

La règle énoncée à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° vise la seule vente de meubles indivis, qu’ils soient corporels (mobilier, équipements, œuvres d’art) ou incorporels (parts sociales, créances).

Cette restriction reflète la volonté du législateur de réserver la majorité qualifiée à des biens facilement aliénables, tout en laissant aux indivisaires la possibilité de contester la pertinence de telles ventes si elles ne respectent pas les critères fixés par la loi.

Ainsi, tout bien meuble indivis peut être vendu dès lors que la finalité de la cession est de régler les dettes ou charges de l’indivision.

Par exemple, des parts sociales représentant une société civile immobilière ou des œuvres d’art indivises pourraient être cédées si les indivisaires majoritaires justifient que cette vente est nécessaire pour couvrir les frais afférents à l’indivision.

==>Conditions

La vente de meubles indivis ne peut être envisagée que pour des raisons spécifiques et impérieuses : le paiement des dettes et charges de l’indivision.

Ces charges comprennent notamment :

  • Les frais d’entretien ou de réparation nécessaires à la préservation du patrimoine indivis, comme des travaux de rénovation ou d’aménagement?;
  • Les taxes et impôts liés au bien indivis, tels que la taxe foncière ou les taxes locales?;
  • Les dépenses courantes liées à l’exploitation du bien, telles que les frais de gestion locative ou les coûts d’assurance.

En revanche, toute vente motivée par des considérations étrangères à ces impératifs, comme la volonté de se débarrasser d’un meuble jugé encombrant ou inutile, excède le cadre légal.

De telles opérations nécessiteraient alors soit l’unanimité des indivisaires, soit le recours à des mesures conservatoires ou à une autorisation judiciaire prévue par l’article 815-5-1 du Code civil.

==>La majorité qualifiée

Pour qu’une vente soit réalisée, les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis doivent se prononcer en faveur de la cession.

Cette majorité, calculée en fonction des parts indivises et non du nombre d’indivisaires, permet d’assurer une certaine flexibilité tout en évitant qu’un indivisaire minoritaire puisse s’opposer de manière systématique à une opération indispensable.

Cependant, les indivisaires minoritaires conservent un droit de contrôle sur ces décisions.

Ils peuvent contester la vente si celle-ci excède le cadre de l’exploitation normale des biens indivis ou si elle ne respecte pas les critères légaux, notamment en termes de nécessité et de proportionnalité.

==>Procédure

La vente de meubles indivis en application de l’article 815-3 ne nécessite pas, en principe, l’intervention du juge.

Elle peut être réalisée à l’amiable, à condition que les indivisaires majoritaires respectent les obligations procédurales, notamment :

  • L’information préalable des indivisaires minoritaires?: selon l’article 815-3, alinéa 2, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les autres indivisaires de la décision de vendre. Cette obligation garantit la transparence et permet aux indivisaires non consultés de contester l’opportunité de la vente si nécessaire.
  • Le respect du critère de proportionnalité : la vente ne doit porter que sur le montant strictement nécessaire au règlement des dettes et charges identifiées. Toute aliénation excédant ce besoin immédiat pourrait être remise en cause par les indivisaires minoritaires.

En permettant la vente de meubles indivis à la majorité qualifiée des deux tiers, l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil introduit une souplesse bienvenue dans la gestion de l’indivision, tout en préservant les droits des indivisaires minoritaires grâce à des garanties procédurales et juridiques. Ce mécanisme, bien qu’exceptionnel, illustre une volonté de concilier efficacité et sécurité juridique dans un domaine marqué par des risques fréquents de blocage.

Cependant, cette faculté doit être exercée avec prudence. Une application abusive ou détournée de cette règle pourrait compromettre l’équilibre fragile entre les droits des indivisaires et la nécessité de gérer l’indivision de manière pragmatique et équitable.

b. La vente à l’initiative des créanciers de l’indivision

L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de saisie et de vente des biens indivis, qu’ils soient meubles ou immeubles, indépendamment des opérations de partage. Cette prérogative, distincte du droit de prélèvement sur l’actif indivis, leur permet de se faire payer sur le produit de la vente des biens indivis, garantissant ainsi l’effectivité de leurs créances, malgré l’absence de partage.

Sous l’empire du droit ancien, l’article 826 du Code civil, complété par l’article 945 de l’ancien Code de procédure civile, prévoyait la vente publique des meubles successoraux à l’initiative des créanciers saisissants ou d’opposants, ou lorsque la majorité des cohéritiers jugeait la vente nécessaire pour acquitter le passif. La procédure suivait alors les règles des saisies-exécutions fixées par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 et le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992, offrant ainsi aux créanciers une voie d’exécution sûre et encadrée.

Bien que ces dispositions aient été abrogées par la réforme de 2006, la possibilité pour les créanciers de provoquer la vente des biens indivis demeure. La jurisprudence a clairement confirmé ce droit. La Cour de cassation, notamment dans des arrêts rendus avant et après la réforme, a rappelé que les créanciers peuvent poursuivre la saisie des biens indivis tant que ceux-ci n’ont pas été attribués à un indivisaire dans le cadre d’un partage définitif (Cass. 1re civ., 15 juill. 1999, n° 97-14.361).

Ce droit de saisie des biens indivis constitue ainsi une garantie fondamentale pour les créanciers, en leur permettant d’échapper aux éventuels blocages liés au régime de l’indivision. Il leur offre une faculté d’exécution directe, qui se maintient tant que les biens concernés demeurent dans le périmètre indivis.

==>La prérogative de saisie des biens indivis

Les créanciers de l’indivision, contrairement aux créanciers personnels des indivisaires, bénéficient d’un droit spécifique leur permettant de poursuivre la saisie et la vente judiciaire des biens indivis.

Ces biens incluent non seulement ceux présents au moment de la formation de l’indivision, mais également ceux qui y sont intégrés ultérieurement par subrogation réelle, tels que les fruits et revenus produits par les biens indivis.

Toutefois, la sécurité des créanciers peut être affectée dans certaines situations. Par exemple, un immeuble acquis par un indivisaire en son nom propre avec des fonds indivis pourrait échapper au gage des créanciers de l’indivision, ceux-ci ne pouvant s’opposer aux droits du créancier personnel de cet indivisaire. Cette difficulté souligne l’importance de définir précisément l’assiette des biens indivis soumis au droit de saisie.

==>Modalités de la saisie et de la vente

La saisie des biens indivis doit être dirigée contre chaque indivisaire individuellement en raison de l’absence de personnalité juridique de l’indivision.

Les créanciers ne peuvent donc engager d’action contre « l’indivision » en tant qu’entité autonome.

La saisie peut viser des biens meubles ou immeubles, ainsi que des créances indivises. La vente s’effectue généralement par voie de licitation, sauf accord contraire entre les parties (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n° 93-11.317).

==>La portée et les limites du droit de saisie

Le droit de saisie des créanciers de l’indivision s’applique jusqu’au moment du partage définitif.

Une fois les biens indivis aliénés ou attribués à des indivisaires dans le cadre d’un partage, ils cessent de faire partie du gage des créanciers de l’indivision et deviennent soumis aux droits des créanciers personnels des indivisaires concernés.

Toutefois, l’effet déclaratif du partage n’altère pas les droits acquis par les créanciers de l’indivision avant le partage. Ces derniers conservent leur capacité à poursuivre la réalisation des biens indivis tant que ces biens font partie de la masse indivise.

Il convient également de noter que ce droit de saisie ne confère pas au créancier un droit exclusif sur les biens indivis. Les créanciers doivent partager leur gage avec les autres créanciers de l’indivision et se conformer aux priorités fixées par la loi, notamment lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur le même bien.

==>Extinction du droit de saisie et de vente des biens indivis

Le droit de saisie des créanciers trouve ses limites dans deux circonstances principales : le partage définitif et l’aliénation des biens indivis.

  • Le partage définitif
    • Principe
      • Le partage constitue l’acte par lequel l’indivision prend fin et les biens indivis sont attribués en pleine propriété à chacun des indivisaires, selon leurs droits respectifs.
      • Dès lors qu’un partage définitif intervient, les biens sortent du régime de l’indivision et, par conséquent, des mécanismes spécifiques prévus par l’article 815-17 du Code civil, qui confèrent aux créanciers la possibilité de saisir les biens indivis.
      • Il en résulte que, une fois le partage réalisé, les biens indivis cessent de constituer le gage commun des créanciers de l’indivision.
      • Les créanciers ne peuvent plus exercer leurs droits sur l’ensemble des biens indivis, mais uniquement sur ceux attribués à l’indivisaire débiteur.
      • Par ailleurs, en vertu de l’article 883 du Code civil, le partage est censé rétroagir à la date d’ouverture de l’indivision.
      • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, ce qui peut compliquer la position des créanciers pour les actions intentées avant le partage.
    • Exception
      • Un partage provisionnel, qui organise simplement la jouissance des biens sans en modifier la propriété, ne constitue pas une véritable dissolution de l’indivision.
      • Dans ce cas, les créanciers conservent leur droit de saisie sur les biens indivis.
      • Par exemple, une convention attribuant temporairement la jouissance d’un immeuble indivis à l’un des indivisaires n’empêche pas les créanciers de poursuivre la saisie de ce bien.
  • L’aliénation des biens indivis
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu ou transféré à un tiers, il sort du patrimoine indivis et, par conséquent, du gage commun des créanciers de l’indivision.
    • Les créanciers ne peuvent alors plus exercer leur droit de poursuite sur ce bien, sauf exceptions prévues par le droit commun.
    • La Cour de cassation a confirmé ce principe dans un arrêt du 15 mai 2002 aux termes duquel elle a jugé que les biens indivis transférés à des tiers ne peuvent plus être saisis par les créanciers de l’indivision (Cass. 1ère civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).
    • Ces derniers doivent alors engager leurs poursuites contre les nouveaux propriétaires du bien ou contre le débiteur initial, mais sans bénéficier des mécanismes propres à l’indivision.
    • La conséquence pour les créanciers est alors double
      • Premier effet
        • Une fois le bien vendu, les créanciers doivent se tourner vers le produit de la vente si celui-ci est resté dans le patrimoine indivis, ou exercer leurs droits sur d’autres biens de l’indivision ou sur le patrimoine propre de l’indivisaire débiteur.
      • Second effet
        • Contrairement à certaines hypothèses en droit des sûretés, les créanciers ne disposent pas de mécanismes spécifiques pour revendiquer un bien indivis aliéné à un tiers, sauf si l’aliénation a été réalisée en fraude de leurs droits, auquel cas une action paulienne peut être envisagée (article 1341-2 du Code civil).

==>Cas particuliers

  • Le cas particulier des créanciers hypothécaires
    • Les créanciers hypothécaires jouissent d’un régime particulier lorsqu’ils ont consenti leur hypothèque sur des biens indivis.
    • L’hypothèque, quelle que soit sa nature (conventionnelle, judiciaire ou légale), échappe à l’effet déclaratif du partage.
    • Elle conserve ainsi sa pleine efficacité, même après l’attribution du bien grevé à un indivisaire spécifique ou sa licitation au profit d’un tiers.
    • Cela garantit au créancier hypothécaire une sécurité renforcée, bien que sa situation puisse différer de celle des créanciers de l’indivision selon les modalités de l’hypothèque.
  • Le cas particulier de l’attribution éliminatoire
    • L’attribution éliminatoire, qui permet à un indivisaire de prélever un bien précis en contrepartie d’une indemnité destinée à couvrir les droits des autres indivisaires, n’a pas pour effet de limiter le gage des créanciers sur les biens restant dans l’indivision.
    • La doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer que cette attribution n’affecte pas les droits des créanciers de l’indivision.
    • Aussi, les biens restant dans l’indivision continuent de constituer un gage pour les créanciers, préservant ainsi leurs droits sur l’ensemble des actifs indivis subsistants.

2. La vente des biens indivis par voie d’autorisation judiciaire

Historiquement, la possibilité de vendre des biens indivis sans l’accord unanime des copartageants était étroitement limitée. Sous l’empire du droit antérieur, l’ancien article 826 du Code civil n’envisageait que deux hypothèses de vente forcée, strictement encadrées et exclusivement liées au règlement du passif successoral. En dehors de ces cas spécifiques, toute aliénation de biens indivis nécessitait le consentement unanime des indivisaires. Ce principe rigoureux, ancré dans l’idéal de l’égalité en nature dans le partage, empêchait même le juge d’imposer une vente, quelle que soit l’opportunité économique qu’elle pouvait représenter.

Cependant, la jurisprudence a progressivement assoupli cette exigence d’unanimité, notamment pour les biens meubles sujets à dépérissement. Dès 1871, la Cour d’appel de Rouen avait ainsi jugé que la vente de tels biens pouvait être ordonnée à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, malgré l’opposition des autres (CA Rouen, 16 mars 1871). Cette solution, dictée par des considérations pratiques et économiques, visait à éviter une perte irrémédiable de valeur ou des charges de conservation disproportionnées qui auraient compromis l’intérêt commun.

Cette jurisprudence a trouvé une consécration législative dans la réforme de 2006, qui a introduit la notion d’acte conservatoire. Désormais, l’article 784, 2° du Code civil autorise les indivisaires à prendre toute mesure nécessaire à la préservation du patrimoine indivis, incluant la vente de biens périssables ou dont le coût de conservation serait déraisonnable. Comme le souligne Jean Patarin, « la qualification d’acte conservatoire légitime une vente rapide pour éviter la perte de valeur du bien ou les coûts inutiles de conservation ».

Cette faculté de solliciter l’adoption de mesures conservatoires a, par suite, été complétée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, qui a introduit l’article 815-5-1 du Code civil. Contrairement aux mesures conservatoires, cette disposition confère aux indivisaires réunissant au moins deux tiers des droits indivis la faculté de solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, qu’il soit meuble ou immeuble. Cette demande peut être formulée lorsque le bien ne peut être commodément partagé ou lorsque sa conservation génère des charges disproportionnées. Ce mécanisme constitue une avancée majeure par rapport à l’article 815-5, car il n’exige pas de démontrer un péril imminent menaçant l’intérêt commun.

L’intervention judiciaire prévue par l’article 815-5-1 tend ainsi à donner effet à la volonté des indivisaires majoritaires, tout en encadrant cette prérogative par un contrôle juridictionnel rigoureux. L’objectif affiché est de surmonter les situations de blocage en adaptant la gestion de l’indivision aux contraintes économiques. La doctrine considère d’ailleurs que cette disposition marque une rupture avec le droit antérieur, en favorisant une gestion plus pragmatique de l’indivision.

a. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

b. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

c. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

Opérations de partage: l’estimation des biens à partager

L’évaluation des biens corporels constitue une étape absolument fondamentale dans le processus de partage, qu’il s’agisse de la liquidation d’une succession, de la dissolution d’une indivision ou d’un partage d’actifs dans un cadre plus large. Cette opération revêt une importance décisive, car elle détermine la valeur de la masse partageable et conditionne l’équilibre des attributions entre les copartageants. Une estimation rigoureuse des biens permet d’assurer la justice et l’équité du partage, en évitant toute distorsion préjudiciable à l’un des indivisaires.

Si, en théorie, l’évaluation des biens pourrait sembler une opération purement technique, elle se heurte en pratique à de multiples difficultés tenant à la nature des biens, aux fluctuations du marché et aux intérêts divergents des copartageants. La détermination de la valeur vénale des biens implique dès lors de recourir à des critères précis et à des méthodes éprouvées, qu’elles soient conventionnelles, notariales ou judiciaires.

Le droit français a progressivement précisé les modalités d’estimation des biens corporels, en encadrant le recours aux experts et en conférant au notaire un rôle central dans cette opération. Toutefois, en l’absence d’accord entre les copartageants, l’intervention du juge demeure nécessaire, notamment lorsque l’estimation des biens soulève des contestations ou nécessite des mesures d’instruction spécifiques.

L’enjeu est double : d’une part, garantir une évaluation au plus près de la réalité économique des biens, en tenant compte de leur état matériel, de leur situation juridique et des contraintes du marché ; d’autre part, assurer la stabilité des opérations de partage, en évitant des réévaluations intempestives qui viendraient fragiliser les droits acquis.

Dès lors, l’analyse des règles régissant l’estimation des biens corporels implique d’examiner, d’une part, les modes d’évaluation applicables à ces biens, qu’ils soient établis à l’amiable ou sous l’autorité du juge, et, d’autre part, les critères qui président à la fixation de leur valeur, en veillant à concilier exigence d’objectivité et impératif d’équité entre les copartageants.

A) Estimation des biens corporels

1. Modes d’estimation

L’estimation des biens à partager constitue une étape importante sinon déterminante dans l’établissement de la masse partageable. Elle vise à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, en tenant compte de la valeur des biens à partager. Dans le cadre d’un partage amiable, les parties peuvent convenir elles-mêmes de l’évaluation des biens. En revanche, en l’absence d’accord, elle est assurée par le juge.

En effet, à défaut d’accord entre les copartageants, l’estimation des biens incombe au tribunal. Celui-ci se fonde sur le projet d’état liquidatif établi par le notaire et, le cas échéant, sur l’expertise judiciaire ordonnée à cette fin. Ce rôle du juge, anciennement empreint de rigidité, s’est considérablement assoupli au fil des réformes.

Historiquement, les articles 466 et 824 du Code civil, ainsi que les dispositions de l’ancien Code de procédure civile, imposaient une expertise obligatoire pour l’estimation des immeubles. La loi du 2 juin 1841 et ses évolutions ultérieures ont toutefois conféré au juge une liberté discrétionnaire dans le recours à cette mesure. Désormais, l’expertise immobilière est facultative, même en présence d’incapables, une solution également retenue pour les meubles (Cass. 1ère civ., 28 avril 1964).

La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a renforcé le rôle du notaire dans les opérations de partage. Alors que l’ancien article 828 du Code civil limitait ses fonctions à l’établissement des comptes et à la composition des lots, le notaire peut désormais procéder à l’estimation des biens mobiliers et immobiliers. Cette compétence élargie, prévue par l’article 1364 du Code de procédure civile, vise à simplifier et accélérer les procédures de partage.

En pratique, le notaire peut s’adjoindre un expert en cas de complexité particulière, notamment pour des biens dont la valeur ou la consistance est difficile à établir. À titre d’exemple, un notaire commis dans une succession comprenant une collection d’art pourrait solliciter un expert pour évaluer précisément les œuvres, une tâche nécessitant une expertise spécialisée.

Lorsque l’intervention d’un expert est requise, celle-ci peut être décidée soit par le notaire, soit directement par le tribunal. Conformément à l’article 232 du Code de procédure civile, les parties peuvent proposer un expert de leur choix. À défaut d’accord, le tribunal désigne un technicien, qui agit dans le cadre des règles applicables aux mesures d’instruction (art. 232 à 248 et 263 à 284 CPC).

Il est également possible de recourir à une mesure d’instruction in futurum (art. 145 CPC), permettant d’anticiper l’évaluation des biens avant même l’introduction d’une demande en partage. Cette solution se révèle particulièrement utile dans les situations urgentes, comme l’évaluation d’un bien risquant de se dégrader.

Certains biens nécessitent des modalités d’estimation particulières. Par exemple, dans le cas des biens de famille insaisissables, leur évaluation devait, sous l’empire de la loi du 12 juillet 1909, être confiée à l’Office agricole du département et homologuée par le juge d’instance.

Par ailleurs, pour garantir une estimation précise, le tribunal peut enjoindre aux parties de communiquer aux experts tous les documents pertinents. À titre d’illustration, dans une affaire où les actions d’une société figurent parmi les actifs, les juges peuvent contraindre la société à fournir des documents financiers non accessibles aux actionnaires (Cass. com., 10 février 1969).

Le juge commis joue un rôle de supervision tout au long de la mesure d’expertise. Il peut notamment adapter la mission de l’expert, gérer les délais, ou encore procéder à son remplacement en cas de défaillance. Ces prérogatives, prévues par les articles 234, 236, 241 et 279 du Code de procédure civile, garantissent la bonne exécution de la mission confiée.

2. Critères d’estimation

L’estimation des biens à partager doit refléter la valeur vénale des biens, tout en tenant compte de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cette évaluation, destinée à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, obéit à des critères rigoureux que le notaire ou l’expert désigné devra scrupuleusement respecter.

Historiquement, l’article 825 du Code civil imposait que l’estimation des biens soit réalisée « à juste prix et sans crue », une précision devenue aujourd’hui inutile tant il est évident que l’évaluation doit refléter la juste valeur marchande. Ce principe, destiné à prévenir les sous-estimations ou les surévaluations arbitraires, constitue le fondement de toute estimation dans le cadre des opérations de partage. Il garantit une base équitable sur laquelle s’appuient les indivisaires et le tribunal.

Pour déterminer leur juste valeur, il est essentiel d’évaluer les biens en tenant compte de leur état, entendu comme l’ensemble de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cela implique d’examiner des éléments tels que leur consistance, leur localisation, leur état de conservation, ainsi que les droits réels ou les charges qui les affectent. Ces aspects, qui influencent directement la valeur vénale, doivent être scrupuleusement pris en compte.

Ainsi, un bien immobilier situé dans une zone urbaine recherchée ou bénéficiant d’une desserte optimale verra sa valeur significativement accrue. En revanche, un bien grevé d’un bail commercial ou frappé d’une hypothèque sera nécessairement déprécié. Par exemple, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 17 mars 1987 qu’un immeuble loué devait être évalué en tenant compte de la dépréciation résultant du bail en cours, sauf si l’attributaire du bien est également le locataire, auquel cas l’évaluation se fait comme si le bien était libre (Cass. 1ère civ. 1re, 17 mars 1987, n°85-15.700).

Dans cette affaire, un domaine agricole grevé d’un bail à ferme avait été attribué à titre préférentiel au preneur, en l’occurrence l’un des héritiers. La Cour d’appel avait initialement suivi l’expertise, qui proposait une réduction de 20 % de la valeur du bien pour tenir compte du bail. Toutefois, elle avait ensuite estimé, à juste titre selon la Cour de cassation, que ce bail devait être considéré comme éteint du fait de la réunion sur la tête de l’attributaire des qualités de propriétaire et de fermier. Cette confusion des qualités, engendrée par l’attribution préférentielle, rendait donc l’abattement inopérant.

La Cour de cassation a ainsi confirmé que l’évaluation d’un bien grevé d’un bail devait, en cas d’attribution au locataire, être réalisée comme si le bien était libre, car l’attributaire recueillait en réalité une pleine propriété, dénuée de toute occupation locative.

En matière immobilière, les critères d’estimation incluent non seulement les caractéristiques intrinsèques du bien, mais également son potentiel futur. La consistance du bien, sa situation géographique, sa constructibilité, ainsi que les perspectives offertes par son classement en zone constructible ou urbanisable sont autant de facteurs à considérer. Les juges, lorsqu’ils évaluent une parcelle de terrain, peuvent tenir compte de la valeur qu’elle prendrait en raison de sa qualité de terrain à bâtir, y compris lorsque cette qualité repose sur des perspectives d’urbanisation futures. Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la valeur actuelle d’un bien peut être appréciée en fonction d’un élément futur, dès lors que cet élément est pertinent pour déterminer les intérêts en présence.

En l’espèce, une parcelle cadastrée a été évaluée en tenant compte de l’éventuelle valeur qu’elle prendrait si elle obtenait la qualité de terrain constructible, perspective jugée suffisamment tangible pour justifier cette prise en considération. La Haute juridiction a confirmé que cette méthode, fondée sur une appréciation souveraine des juges du fond, ne violait pas la loi et pouvait être retenue pour refléter la réalité économique au jour du partage (Cass. 1ère civ., 9 juillet 1985, n°84-12.478).

En outre, l’existence d’un bail ou d’une autre forme d’occupation impacte nécessairement la valeur d’un bien lors de son évaluation dans le cadre d’un partage. Lorsqu’un domaine agricole grevé d’un bail rural est attribué à titre préférentiel, la Cour de cassation a jugé que la valeur du bien devait intégrer la dépréciation induite par ce bail, car celui-ci, strictement personnel au preneur, ne s’éteint pas du fait du partage (Cass. 1ère civ., 21 novembre 1995, n°93-17.719).

Dans cette affaire, un domaine agricole avait été attribué à titre préférentiel à une héritière, dont le mari était titulaire d’un bail rural sur cette exploitation. Un abattement de 30 % avait été proposé par l’expert en raison de l’existence de ce bail. La sœur de l’attributaire contestait cette évaluation, soutenant que le bien devait être estimé comme s’il était libre, au motif que la condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, exigée pour l’attribution préférentielle, avait été remplie par le mari preneur.

La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d’appel, a rejeté cet argument en précisant que le bail rural, étant un droit strictement personnel au preneur, ne tombait pas en communauté et continuait donc de grever le bien attribué. Elle a souligné que la règle de l’égalité du partage imposait que le bien soit évalué en tenant compte de cette charge, malgré l’attribution préférentielle. La condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, bien que remplie par le conjoint preneur, n’avait pas pour effet de rendre le bien libre de toute occupation.

S’agissant des biens meubles, bien que répondant aux mêmes principes, ils requièrent l’utilisation d’une méthode d’évaluation adaptée à leur nature. Pour les meubles courants, l’évaluation repose généralement sur leur valeur marchande, déterminée par comparaison avec des biens similaires. Pour les biens spécifiques, tels que des œuvres d’art ou des valeurs mobilières non cotées, il peut être nécessaire de recourir à une expertise spécialisée. Ainsi, une collection d’art devra être évaluée en tenant compte de la cote des artistes et des tendances du marché, une tâche exigeant une compétence technique particulière.

L’évaluation des biens, qu’ils soient immobiliers ou meubles, s’appuie souvent sur la méthode comparative, qui consiste à confronter le bien à des références similaires sur le marché. Cette approche, utilisée notamment pour les terrains ou les exploitations agricoles, permet de garantir une estimation précise et objective. Les notaires ou experts peuvent s’appuyer sur les données fournies par des organismes spécialisés tels que les chambres notariales ou la SAFER, qui offrent des points de référence fiables.

En cas de litige sur la valeur d’un bien, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour déterminer les bases de l’évaluation. Ils peuvent fonder leur estimation sur des critères économiques ou patrimoniaux propres au bien en cause, en s’appuyant sur les usages du secteur concerné. Par exemple, dans un arrêt rendu le 24 novembre 1969, la Cour de cassation a confirmé qu’un fonds de commerce devait être évalué selon les bénéfices réalisés lors des deux dernières années, conformément aux pratiques du commerce concerné (Cass. 1ère civ., 24 nov. 1969).

Dans cette affaire, un fonds de commerce d’imprimerie, légué par testament, faisait l’objet de contestations quant à son évaluation dans le cadre de la liquidation successorale. La Cour d’appel avait estimé la valeur des éléments incorporels du fonds en retenant les bénéfices des deux dernières années, après avoir pris en considération la situation des locaux où l’imprimerie était exploitée. La Cour de cassation a validé cette approche, rappelant que les juges du fond, après avoir exposé leurs motifs, exercent une appréciation souveraine sur la méthode d’évaluation, pourvu qu’elle repose sur des éléments rationnels et cohérents avec les usages du commerce.

Cette solution illustre la marge de manœuvre accordée au juge pour établir une évaluation réaliste et équitable des biens en litige, tout en respectant les spécificités économiques du bien évalué. Elle met en lumière l’importance des données sectorielles et des pratiques professionnelles pour déterminer la juste valeur d’un fonds de commerce ou d’autres actifs comparables.

3. Moment de l’estimation

L’établissement de la masse partageable, dans le cadre d’une succession ou d’une indivision, repose sur une évaluation précise et équitable des biens. L’article 829 du Code civil consacre la règle selon laquelle ces biens doivent être estimés à leur valeur à la date dite de la jouissance divise, laquelle correspond à un moment proche de la réalisation du partage.

Si ce principe semble limpide, son application exige parfois des aménagements pour répondre à des situations particulières ou pour préserver l’équilibre entre les copartageants.

i. Principe

==>Evolution jurisprudentielle

Longtemps, la détermination de la date d’évaluation des biens composant la masse partageable a suscité d’intenses débats doctrinaux et jurisprudentiels, oscillant entre tradition formaliste et pragmatisme économique.

Dans les premiers temps, la jurisprudence semblait privilégier une approche fondée sur l’effet déclaratif du partage, selon laquelle les héritiers sont réputés propriétaires des biens qui leur sont attribués dès l’ouverture de la succession. Cette orientation conduisait naturellement à retenir, comme référence pour l’évaluation des biens, la date du décès du de cujus.

Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation, rendus au cours du XIXe siècle, avaient consacré cette solution, notamment en matière successorale (Cass. req. 23 juin 1873, DP 1874.1.173) ainsi qu’en matière de communauté conjugale, où la dissolution du régime matrimonial marquait le point de départ de l’évaluation (Cass. req. 8 juin 1868, DP 1871.1.224).

Cette approche trouvait un certain écho dans la doctrine classique, attachée au respect de l’effet rétroactif du partage et à la logique patrimoniale de continuité des droits. Comme le notait déjà Gabriel Baudry-Lacantinerie, « l’évaluation à la date du décès se justifie par la continuité des droits successoraux, l’héritier étant censé propriétaire des biens dès cette date »[1].

Cependant, cette solution ne tarda pas à être remise en question par la pratique notariale, plus soucieuse de refléter la réalité économique des biens au moment où ils sont effectivement attribués aux copartageants. Il devenait en effet manifeste que, dans nombre d’hypothèses, un intervalle significatif s’écoulait entre la naissance de l’indivision et sa liquidation, exposant ainsi les biens à d’importantes variations de valeur. Or, une évaluation figée à la date de l’ouverture de la succession, sans tenir compte de ces fluctuations, risquait de fausser gravement l’équilibre entre les copartageants.

Ce constat, déjà perceptible dans la pratique des professionnels du droit, prit une dimension majeure dans le contexte de la dépréciation monétaire consécutive à la Première Guerre mondiale. À cet égard, le professeur Ripert relevait avec lucidité que « l’instabilité monétaire a bouleversé les règles applicables au partage des successions, rendant inacceptable toute évaluation des biens antérieure à leur répartition effective »[2]. Les biens immobiliers, les valeurs mobilières et les créances, soumis aux aléas économiques, pouvaient connaître des plus-values ou des moins-values substantielles, remettant en cause l’égalité des lots et, par conséquent, la justice même du partage.

Face à cette réalité économique, la pratique notariale s’est donc orientée vers une estimation au jour du partage, seule à même d’assurer une répartition équitable des biens, quelles que soient les évolutions intervenues pendant la durée de l’indivision.

La doctrine a rapidement pris acte de cette pratique professionnelle commandée par le pragmatisme. Pierre Hébraud notait ainsi que « la fixation de la date d’évaluation des biens au jour du partage est un impératif économique et social, car elle seule permet d’assurer une stricte égalité entre les copartageants »[3]. De manière similaire, Jacques Flour relevait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage aboutirait à des inégalités criantes, favorisant ou pénalisant certains héritiers de manière arbitraire, en fonction de l’évolution des marchés »[4].

La jurisprudence, initialement réticente à cette approche pragmatique, évolua progressivement sous l’influence de la doctrine et des besoins pratiques. C’est ainsi que, dès l’entre-deux-guerres, la Cour de cassation, consciente des enjeux posés par les fluctuations monétaires, se rallia au principe de l’évaluation des biens à la date la plus proche possible de la répartition effective.

Un arrêt rendu le 20 avril 1928 par la Cour de cassation constitue un jalon important dans cette évolution jurisprudentielle (Cass. civ. 20 avr. 1928). La Haute juridiction y reconnaît que, pour garantir l’égalité entre les copartageants, il est nécessaire de procéder à l’estimation des biens à une date reflétant leur valeur réelle au moment où ils sont attribués, afin de répartir équitablement les plus-values ou les moins-values intervenues durant la période d’indivision.

Cette orientation sera confirmée par un arrêt de principe rendu le 11 janvier 1937 aux termes duquel la Cour de cassation affirme très clairement que les biens doivent être évalués au jour du partage et non à celui du décès (Cass. civ. 11 janv. 1937). Comme a pu le souligner à ce sujet Gérard Champenois, « l’arrêt de 1937 marque une véritable rupture dans la jurisprudence française, en ce qu’il consacre la primauté de l’évaluation au jour du partage, mettant fin aux incertitudes antérieures sur la date de référence »[5].

La motivation sous-jacente à cette solution réside dans l’idée que, tant que le partage n’a pas été effectué, les biens demeurent indivis et chaque indivisaire doit, en toute logique, profiter des plus-values ou supporter les moins-values liées à leur évolution. Ainsi, Jean Patarin observe avec justesse que « le maintien de l’évaluation à la date du décès reviendrait à ignorer la réalité économique, en figeant des valeurs qui ne correspondent plus aux circonstances réelles du partage »[6]. Cette jurisprudence, qui consacre définitivement le principe de l’évaluation au jour du partage, fut rapidement accueillie favorablement par la doctrine, au point de devenir une référence incontournable dans les règlements successoraux.

En somme, avant même d’être consacrée par la loi, la solution de l’évaluation au jour du partage s’était imposée dans la pratique et la jurisprudence comme une nécessité économique et juridique, permettant de garantir une répartition équitable des biens entre les copartageants. A cet égard, comme l’a justement écrit Pierre Catala, « le choix de la date d’évaluation n’est pas un simple détail technique : il touche au cœur même de l’équité successorale, en déterminant si le partage sera juste ou inique »[7].

==>Le choix de l’estimation au jour du partage

À l’origine, le Code civil de 1804 était silencieux sur la date d’estimation des biens à partager. Le seul article faisant référence à cette question était l’article 890, lequel se limitait à poser une règle spécifique se rapportant à la lésion. Ce texte, dans sa version initiale, disposait que « pour juger s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage ». Cette disposition traduisait une volonté de garantir que les lots constitués lors du partage reflètent les valeurs réelles des biens au moment de leur répartition, afin d’éviter qu’un copartageant, lésé par des fluctuations de valeur, ne soit désavantagé. Toutefois, cet article ne concernait que l’hypothèse particulière de la lésion, sans offrir de cadre général pour l’estimation des biens dans toutes les opérations de partage.

La première étape vers une généralisation de ce principe fut franchie avec la loi n°61-1378 du 19 décembre 1961, qui a modifié l’ancien article 832 du Code civil. Ce texte a introduit l’exigence selon laquelle les biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, tels que les immeubles ou les fonds de commerce, devaient être estimés à leur valeur au jour du partage. Cette réforme visait à prévenir les déséquilibres pouvant naître d’une évaluation figée à une date antérieure, notamment à la dissolution de la communauté matrimoniale ou à l’ouverture de la succession. En effet, des biens attribués à un copartageant sur la base d’une valeur obsolète auraient pu entraîner des distorsions importantes entre les lots, compte tenu des fluctuations de marché. La réforme de 1961 marquait ainsi une prise de conscience du législateur de la nécessité d’actualiser les estimations des biens pour préserver l’équité entre copartageants.

Cette orientation a été confirmée et élargie par la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971, qui a introduit des dispositions relatives au calcul des rapports et des réductions en valeur. Les articles 860 et 868 du Code civil, dans leur rédaction issue de cette réforme, prévoyaient que les opérations de rapport et de réduction devaient être réalisées sur la base des valeurs actualisées au jour du partage. Ce choix législatif traduisait une volonté claire de ne pas figer les valeurs des biens à des dates antérieures, mais de tenir compte des évolutions économiques survenues pendant la période d’indivision. À cet égard, Jacques Flour soulignait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage risquerait de créer des déséquilibres flagrants, en fonction des fluctuations de valeur intervenues entre la dissolution de l’indivision et sa liquidation ».

La consécration du principe d’estimation des biens à partager à la date du partage, qui avait été posé par la jurisprudence dès 1937, est intervenue avec la loi du 23 juin 2006, laquelle a introduit dans le Code civil l’actuel article 829. Cet article dispose en ce sens que « les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu’elle est fixée par l’acte de partage, en tenant compte, s’il y a lieu, des charges les grevant ». Cette date doit être « la plus proche possible du partage » afin de refléter fidèlement la réalité économique des biens au moment de leur répartition. L’article prévoit également, à son alinéa 3, la possibilité d’une modulation de la date d’estimation, en permettant au juge de fixer une date d’évaluation antérieure lorsque cela apparaît nécessaire pour rétablir l’égalité entre les copartageants. Ce mécanisme permet notamment de prévenir les inégalités susceptibles de naître d’un retard prolongé dans les opérations de partage, ou lorsque les biens indivis ont subi des variations de valeur significatives pendant la période d’indivision.

==>Principe de l’unicité de la date d’estimation

Outre l’exigence de fixer l’estimation des biens à partager à la date la plus proche possible du partage effectif, l’évaluation des actifs composant la masse partageable répond à un autre impératif fondamental : celui de l’unicité de la date d’estimation. Ce principe, qui découle directement de l’objectif d’égalité entre copartageants, impose que tous les biens soient évalués simultanément, à une même date, afin de garantir une répartition équilibrée des lots. Il ne saurait être question de privilégier l’un des copartageants en tenant compte de fluctuations de valeur intervenues postérieurement à une première évaluation partielle, au risque de compromettre l’équité des opérations de partage.

Cette exigence d’unité s’explique par la nature même des biens indivis. Chaque bien, qu’il s’agisse d’un immeuble, de valeurs mobilières ou d’une créance, est susceptible de connaître une évolution distincte de sa valeur au fil du temps. Une estimation à des dates différentes pourrait dès lors entraîner des distorsions considérables dans la répartition des lots. Comme le relevait déjà la doctrine classique, « il importe que les biens soient estimés dans un cadre temporel identique, de manière à éviter que les variations de leur valeur ne viennent fausser l’équilibre recherché lors du partage »[8]. La Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, rappelé que l’unicité de la date d’estimation constitue une exigence essentielle à la réalisation d’un partage juste et équilibré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1965).

L’unité de la date d’évaluation permet également d’éviter les débats interminables quant à l’évolution des biens entre deux dates successives. Si chaque bien devait être évalué à un moment distinct, les contestations risqueraient d’être nombreuses, les copartageants pouvant chacun faire valoir que certaines évolutions leur sont préjudiciables ou, au contraire, profitables. La règle de l’unicité écarte ces difficultés en fixant un cadre temporel unique pour l’ensemble des estimations, ce qui permet de clore les débats sur la valeur des biens au jour du partage. À cet égard, Jacques Flour rappelait que « la simultanéité des évaluations est la clé de voûte des opérations de partage : elle neutralise les aléas des marchés et replace les copartageants dans une situation d’égalité parfaite ».

Enfin, il convient de noter que l’unicité de la date d’évaluation ne se limite pas à une simple exigence technique. Elle traduit une véritable exigence de justice successorale. En fixant un moment unique pour apprécier la valeur des biens, le partage reflète une photographie économique figée, garantissant que chaque copartageant reçoit un lot correspondant à une valeur réelle et non à une valeur affectée par des variations postérieures. Comme le souligne Gérard Champenois, « l’unicité de la date d’estimation est le prolongement naturel du principe d’égalité qui gouverne les opérations de partage. Elle permet d’assurer une stricte équité en neutralisant les effets des évolutions économiques imprévisibles »[9].

ii. Mise en œuvre

==>La fixation de la date de la date de la jouissance divise

La détermination de la date de jouissance divise constitue une étape essentielle dans les opérations de liquidation et de partage. Elle marque le moment à partir duquel chaque copartageant devient propriétaire des biens qui lui sont attribués, y compris des fruits et revenus produits par ces derniers. Cette date, retenue par l’article 829 du Code civil, est fixée par l’acte de partage ou arrêtée par le juge en cas de partage judiciaire. Sa détermination joue un rôle central dans l’évaluation des biens indivis et garantit une répartition équitable des droits entre les copartageants.

Dans le cadre de partages amiables, le notaire chargé de conduire les opérations de la liquidation insère habituellement une clause de jouissance divise dans l’acte de partage. Cette clause fixe la date à laquelle les estimations des biens doivent être réalisées, en veillant à ce que cette date soit « la plus proche possible du partage », conformément à l’exigence posée par l’article 829, alinéa 2. Ce choix vise à tenir compte des fluctuations économiques susceptibles d’affecter la valeur des biens durant la période d’indivision, afin que chaque copartageant reçoive une part équitable en fonction de la valeur réelle des biens au moment de leur attribution.

Lorsque le partage prend une tournure judiciaire, la fixation de la date de la jouissance divise relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers doivent apprécier la date la plus proche possible du partage, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de la nécessité de préserver l’égalité entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 3 oct. 2019, n°18-20.827). À défaut d’une date explicitement fixée, la décision judiciaire pourrait être dépourvue de toute autorité de la chose jugée quant à la valeur des biens évalués. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une décision qui statue sur la valeur d’un bien sans préciser la date de jouissance divise n’a pas l’autorité de la chose jugée quant à cette évaluation (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561). Cependant, il est admis que cette date puisse être déduite implicitement des termes du jugement, pourvu que les énonciations permettent de l’identifier sans ambiguïté. Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que, lorsque le dispositif d’un jugement n’aurait aucun sens sans référence à une date d’évaluation précise, celle-ci peut être déduite des motifs, dès lors qu’ils rappellent expressément la règle applicable (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596).

L’affaire concernait la liquidation des successions d’un couple décédé respectivement en 1945 et 1964, laissant pour héritiers leurs trois enfants. À la demande de deux indivisaires, le tribunal avait ordonné le partage judiciaire de la communauté réduite aux acquêts ayant existé entre les époux et de leurs successions, désignant un indivisaire comme bénéficiaire d’une attribution préférentielle de biens ruraux. Par un jugement rendu en 1975, le tribunal avait fixé la valeur des biens ainsi que les soultes dues aux autres indivisaires, en précisant que l’évaluation devait être effectuée « au jour le plus proche possible du partage ». Cependant, aucune date de jouissance divise n’avait été expressément arrêtée dans le dispositif.

L’un des indivisaires contesta par la suite le projet d’état liquidatif, estimant nécessaire de réactualiser la valeur des biens. Ce dernier soutenait que le jugement de 1975 n’avait pas fixé la date de la jouissance divise, et qu’en l’absence d’une telle précision, les biens devaient être réévalués au jour du partage effectif. La Cour d’appel, saisie de cette difficulté, rejeta cette demande en considérant que le jugement initial avait implicitement fixé la date d’évaluation des biens à la date de son prononcé. La cour releva que les motifs rappelaient clairement la règle selon laquelle l’évaluation devait se faire au jour le plus proche du partage et que, dès lors, la référence temporelle retenue devait être celle du jugement lui-même.

Le pourvoi formé contre cet arrêt critiquait cette interprétation, affirmant que l’autorité de la chose jugée ne pouvait s’attacher qu’aux dispositions expressément énoncées dans le dispositif d’une décision, et non aux motifs. Cependant, la Cour de cassation rejeta ce moyen. Elle jugea que le dispositif d’un jugement « n’aurait pas de sens s’il ne se référait pas à une date d’évaluation des biens », ajoutant que le dispositif pouvait être éclairé par les motifs dès lors que ceux-ci établissaient sans ambiguïté la date retenue. La Haute juridiction conclut que le jugement rendu par les premiers juges avait, en se référant à la règle d’évaluation au jour du partage, « évalué à sa date les biens attribués par préférence ainsi que les soultes », conférant ainsi à cette décision une autorité de chose jugée sur ce point.

Cette décision, saluée par la doctrine, témoigne d’un pragmatisme juridique nécessaire pour sécuriser les opérations de partage. En effet, comme l’observe Gérard Champenois, « admettre que la date de jouissance divise puisse être déduite implicitement des motifs d’un jugement évite que les opérations de liquidation soient continuellement remises en cause, tout en garantissant une répartition équitable des biens ». La solution adoptée par la Cour de cassation permet ainsi de préserver l’équilibre entre les impératifs d’équité entre les indivisaires et la sécurité juridique des partages judiciaires.

La fixation de la date de jouissance divise revêt une importance particulière dans le cadre d’un partage partiel, où certains biens indivis sont détachés de la masse avant le partage global. Dans ces hypothèses, la règle veut que les biens soient évalués à la date de leur attribution et non lors du partage final. Cette approche se justifie par la nécessité de refléter la valeur réelle des biens au moment où ils sortent de l’indivision, évitant ainsi que les copartageants ne soient affectés par des fluctuations économiques ultérieures.

Toutefois, pour que cette règle trouve à s’appliquer, il est impératif que le partage partiel soit véritable et effectif. La jurisprudence a précisé que l’attribution d’un bien à titre préférentiel par le juge, sans fixation explicite de la date de jouissance divise, ne constitue pas un partage définitif. Dans une telle situation, le bien en question doit être évalué à la date du partage global, car il demeure juridiquement indivis jusqu’à la réalisation complète des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 20 nov. 1990).

Ainsi, un jugement faisant droit à une demande d’attribution préférentielle ne suffit pas, à lui seul, à opérer le détachement définitif du bien concerné de la masse indivise. Dans le cadre d’une demande d’attribution préférentielle, le juge ne procède pas à l’attribution définitive du bien. Il se borne à en ordonner l’attribution dans le partage à intervenir, de sorte que l’évaluation du bien devra nécessairement se faire au moment où le partage global sera réalisé. Comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1993, tant que la date de jouissance divise n’a pas été fixée et que les droits des indivisaires n’ont pas été déterminés de manière définitive, le bien demeure dans la masse indivise et doit être évalué à l’époque du partage effectif (Cass. 1ère civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).

==>Les modulations permises

Le principe de l’évaluation des biens au jour du partage, bien que général, n’est pas rigide.

En premier lieu, l’article 829 du Code civil autorise des ajustements puisqu’il est admis que le juge puisse retenir une date antérieure à l’achèvement du partage, dès lors que cela apparaît nécessaire pour préserver l’égalité entre les copartageants (al. 3). Cette faculté de modulation répond à une exigence pratique : elle permet d’éviter que des retards prolongés dans les opérations de partage n’entraînent des déséquilibres significatifs, en particulier lorsque certains biens indivis subissent des dépréciations importantes ou, au contraire, connaissent des plus-values latentes.

La jurisprudence admet ainsi que le juge puisse fixer une date antérieure lorsque les circonstances le justifient. Par exemple, si le partage s’étend sur plusieurs années en raison de litiges ou de recours successifs, une évaluation à une date plus ancienne permet d’éviter qu’un copartageant ne profite indûment des retards pour bénéficier seul d’une plus-value intervenant après la dissolution de l’indivision (Cass. 1ère civ. 1re, 16 mars 1982, n°80-17.244). Gérard Champenois souligne à cet égard que « la faculté laissée au juge de moduler la date d’évaluation constitue une garantie précieuse d’équité, permettant de s’adapter aux réalités économiques tout en préservant les droits des copartageants ».

En deuxième lieu, la jurisprudence admet que l’évaluation des biens à partager puisse être actualisée par le recours à des indices économiques, à condition que ces derniers reflètent fidèlement l’évolution du marché et soient adaptés aux biens concernés. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt du 25 juin 2008, validant l’utilisation de l’indice trimestriel du coût de la construction pour ajuster la valeur des immeubles composant la masse à partager, lorsque la date de l’expertise initiale est éloignée de celle du partage effectif (Cass. 1ère civ., 25 juin 2008, n°07-17.766).

Dans cette affaire, un indivisaire contestait la réactualisation des évaluations réalisées quatre ans auparavant, estimant que l’application d’un indice générique ne permettait pas de respecter le principe d’évaluation à la date la plus proche du partage. La cour d’appel avait pourtant homologué le rapport d’expertise initial, en précisant que les valeurs estimées seraient majorées en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction jusqu’à la date du procès-verbal de liquidation de la succession.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, considérant que la cour d’appel avait souverainement apprécié que les attestations produites ne démontraient pas une sous-évaluation des biens par l’expert. Elle a relevé que la croissance du marché immobilier était de nature à affecter les estimations, justifiant ainsi l’ajustement opéré. En outre, il n’était pas soutenu que les caractéristiques spécifiques des biens s’étaient modifiées depuis l’expertise initiale. La Haute juridiction en a déduit que l’actualisation des évaluations par le biais de l’indice retenu pouvait être admise, à condition qu’elle repose sur une constatation précise de l’évolution du marché et que l’indice soit pertinent par rapport aux biens concernés.

Cette solution s’inscrit dans une démarche pragmatique visant à éviter le recours à des expertises successives lorsque le partage s’étend sur une période prolongée. Toutefois, comme le souligne Jacques Flour, « le recours à l’indexation n’est envisageable que dans la mesure où il permet d’éviter une distorsion entre la valeur théorique et la réalité économique des biens à partager ». L’utilisation d’un indice doit donc être justifiée par des éléments concrets démontrant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle du bien concerné. À défaut, la décision pourrait être jugée dépourvue de base légale.

En définitive, si la jurisprudence admet le recours à une réévaluation indiciaire, elle en encadre strictement les conditions. L’indexation ne doit pas être utilisée de manière systématique ou abstraite, mais doit refléter les fluctuations réelles du marché, afin de garantir une répartition juste et équilibrée des biens entre les copartageants.

En dernier lieu, il convient de souligner que la règle de l’unicité de la date d’évaluation des biens, bien qu’elle soit un corollaire naturel du principe d’égalité entre copartageants, ne revêt pas un caractère absolu. Il est admis que les copartageants puissent convenir de fixer des dates distinctes d’évaluation pour certains biens, à condition que l’équilibre des lots soit préservé et que l’objectif d’une répartition équitable ne soit pas compromis. Cette tolérance trouve son fondement dans une jurisprudence constante, qui a progressivement ouvert la voie à des aménagements pragmatiques, adaptés aux réalités de chaque situation successorale.

L’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 avril 2005 illustre parfaitement cette approche. En l’espèce, à la suite du divorce de deux époux soumis au régime de la communauté, le juge chargé de la surveillance du partage avait constaté leur accord pour attribuer à l’épouse un bien immobilier évalué à 500 000 francs, tandis qu’un autre bien revenait à l’ex-époux. Toutefois, avant que cet accord ne soit homologué, l’immeuble attribué à l’épouse fut vendu pour un montant de 650 000 francs. Le copartageant demanda alors que cette nouvelle valeur soit prise en compte dans les opérations de liquidation-partage, invoquant le principe selon lequel les biens doivent être évalués à la date la plus proche du partage effectif.

La Cour de cassation rejeta cette demande en affirmant que les copartageants avaient librement convenu d’une évaluation différente, laquelle avait été entérinée par une décision judiciaire devenue définitive. La Haute juridiction précisa qu’« il appartient aux copartageants de convenir d’en évaluer certains biens à une date distincte », dès lors que cette dérogation garantit un partage équilibré (Cass., ass. plén., 22 avr. 2005, n°02-15.180). En l’occurrence, la cour d’appel avait relevé que l’accord conclu entre les parties assurait une stricte égalité des lots et que la vente ultérieure du bien à un prix supérieur n’avait pas modifié les attributions initiales ni les intentions des parties.

Cette solution, saluée par la doctrine, traduit une volonté de préserver la sécurité juridique des opérations de partage, tout en introduisant une flexibilité nécessaire pour éviter des contentieux interminables sur la valeur des biens. Comme l’a justement observé Philippe Simler, « la possibilité laissée aux copartageants de fixer des dates d’évaluation distinctes permet d’adapter le partage aux spécificités de certains biens, tout en respectant le principe fondamental d’égalité ». Cette souplesse est particulièrement utile dans les situations où la jouissance privative d’un bien par l’un des indivisaires vient compenser un écart de valeur entre les lots. Par exemple, un immeuble occupé par un copartageant pendant l’indivision peut être évalué à une date antérieure afin de tenir compte de l’avantage tiré de cette jouissance.

Toutefois, cette faculté de modulation demeure encadrée. La Cour de cassation a rappelé que la fixation de dates d’évaluation distinctes doit avoir pour finalité de préserver l’équilibre global du partage et ne saurait aboutir à rompre l’égalité entre les copartageants. Ainsi, dans une affaire ultérieure, la première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait fixé des dates différentes sans démontrer que cette différenciation garantissait l’équilibre des lots (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006, n°04-19.356).

==>Les modulations interdites

Tout d’abord, bien que la jurisprudence admette certaines modulations dans le choix de la date d’évaluation, elle impose également des limites strictes. En particulier, la Cour de cassation exclut toute réévaluation automatique des biens par voie d’indexation abstraite. Cette interdiction vise à prévenir les risques d’erreur ou d’arbitraire, liés à une actualisation purement mécanique des valeurs, qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques propres des biens concernés.

Ainsi, dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a fermement rappelé que toute réévaluation fondée sur un indice économique doit être justifiée par des éléments précis établissant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle des biens indivis (Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-18.879). En l’espèce, la cour d’appel avait décidé de retenir les estimations d’un expert immobilier réalisées plusieurs années avant le partage, tout en les actualisant à l’aide de l’indice trimestriel du coût de la construction. Cette méthode visait à tenir compte de la forte croissance du marché immobilier constatée entre la date de l’expertise et celle du partage effectif.

Cependant, la Haute juridiction a censuré cette décision, au motif que la cour d’appel n’avait pas précisé en quoi l’évolution de l’indice retenu pouvait correspondre à celle des biens en question. La Cour de cassation a ainsi reproché aux juges du fond d’avoir adopté une réévaluation purement abstraite, déconnectée des caractéristiques concrètes des biens immobiliers concernés. Elle a souligné que l’indexation ne saurait être admise que si elle reflète fidèlement les variations réelles de valeur des biens objets du partage, et non une simple évolution générale du marché de la construction.

Cette décision illustre l’exigence d’une justification circonstanciée pour toute actualisation basée sur des indices économiques. Comme le relève la doctrine, une indexation systématique et aveugle serait contraire au principe d’équité qui doit présider aux opérations de partage. L’arrêt du 14 novembre 2006 s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante, rappelant que le juge doit éviter toute approximation dans l’évaluation des biens, sous peine de priver sa décision de base légale.

Ensuite, il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens. Cette interdiction repose sur le principe selon lequel les décisions concernant la valeur des biens doivent relever exclusivement du pouvoir juridictionnel, afin de garantir l’autorité de la chose jugée. Dans un arrêt rendu le 8 décembre 1993, la Cour de cassation a fermement rappelé qu’il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens à partager (Cass. 1ère civ., 8 déc. 1993, n°91-19.846).

En l’espèce, à la suite d’un divorce, la cour d’appel avait attribué préférentiellement un immeuble commun à l’un des époux, en retenant la valeur estimée par un expert judiciaire. Toutefois, elle avait également décidé que l’actualisation de cette évaluation serait effectuée par le notaire chargé de la liquidation des comptes entre les parties. La Cour de cassation a censuré cette délégation au motif que le juge doit lui-même fixer la valeur des biens à la date du partage et ne peut confier cette tâche à un officier public, fût-il un notaire.

La Haute juridiction a ainsi souligné que la détermination de la date d’évaluation des biens constitue une prérogative relevant de l’office exclusif du juge. Ce pouvoir ne saurait être abandonné au notaire liquidateur, car une telle délégation priverait la décision judiciaire de son autorité et ferait peser un risque d’insécurité juridique sur les opérations de partage.

Cette décision illustre l’importance du rôle du juge dans les opérations de liquidation-partage. En fixant lui-même la valeur des biens au jour du partage, le juge s’assure que les droits des parties sont protégés et que les principes d’équité et d’impartialité sont respectés. Toute délégation à un tiers, même à un notaire, compromettrait cette exigence fondamentale et risquerait de créer des situations d’incertitude préjudiciables à la stabilité des relations patrimoniales.

Enfin, Outre l’exigence de fixer une date unique pour l’évaluation des biens à partager, le respect de la stabilité des opérations successorales implique que cette date, une fois arrêtée, bénéficie de l’autorité de la chose jugée. En effet, la fixation de la date de la jouissance divise constitue une étape décisive dans la liquidation de l’indivision, dès lors qu’elle détermine la valeur des biens indivis à prendre en compte dans le partage. Par conséquent, il est en principe exclu de revenir sur cette date une fois les opérations de partage devenues définitives.

Aussi, la Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que l’autorité de la chose jugée interdit de demander une nouvelle évaluation des biens après l’homologation du partage, sous peine de compromettre la sécurité juridique des héritiers. Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a censuré une demande tendant à modifier la date de la jouissance divise au motif que cette date avait déjà été fixée dans une décision irrévocable, précisant que la stabilité des opérations de partage exige que les valeurs arrêtées ne soient pas remises en cause, sauf à fragiliser l’ensemble des droits des copartageants (Cass. 1ère civ., 24 oct. 1972, n°71-11.883).

En l’espèce, le partage d’une communauté post-divorce avait donné lieu à l’établissement d’un état liquidatif par un notaire, lequel avait fixé la date de la jouissance divise au 1er septembre 1948. Ce partage avait été entériné par un jugement du 2 novembre 1950, confirmé par un arrêt rendu le 6 mai 1952, devenu irrévocable. Toutefois, plusieurs années plus tard, l’un des copartageants a sollicité une nouvelle évaluation des biens sur la base d’une jouissance divise à fixer à une date plus récente, invoquant les dispositions issues de la loi du 13 juillet 1965, notamment l’article 1469 du Code civil relatif au calcul des récompenses.

La Cour de cassation a fermement rejeté cette demande, rappelant que la fixation de la date de la jouissance divise par une décision définitive interdit toute réévaluation ultérieure, sauf circonstances exceptionnelles. La Haute juridiction a insisté sur le fait que les décisions judiciaires fixant la date de la jouissance divise bénéficient de l’autorité de la chose jugée, laquelle s’étend non seulement à la valeur des biens, mais aussi à la date à laquelle ces valeurs doivent être appréciées. En modifiant cette date, les juges d’appel auraient violé ce principe fondamental, portant ainsi atteinte à la sécurité juridique des opérations de partage.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que l’autorité de la chose jugée relative à la fixation de la jouissance divise est provisoire, et non absolue. Une révision de cette date peut être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque des retards considérables dans les opérations de partage rendent la date initialement retenue inappropriée au regard de l’objectif d’égalité entre les copartageants.

Dans l’arrêt précité du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a ainsi admis qu’un retard substantiel pouvait légitimer la fixation d’une nouvelle date de jouissance divise, dès lors que le maintien de la date initiale compromettrait l’équilibre des lots. Cette possibilité, toutefois strictement encadrée, ne peut être admise que si elle répond à une nécessité impérieuse dictée par les circonstances de la cause. Loin de constituer un ajustement opportuniste, elle vise à éviter que l’application rigide d’une date devenue obsolète n’entraîne des déséquilibres préjudiciables, tout en assurant la stabilité des opérations successorales.

Cette solution jurisprudentielle souligne l’importance de concilier sécurité juridique et équité entre copartageants. Si la fixation d’une date de jouissance divise ne saurait être modifiée sans justification sérieuse, il est également impératif que cette date reste pertinente par rapport à la réalité économique au moment du partage. En d’autres termes, l’autorité de la chose jugée ne doit pas se transformer en un obstacle rigide, empêchant les juges de s’adapter aux situations particulières lorsque l’intérêt des copartageants l’exige.

En revanche, la jurisprudence exclut toute révision de la date de la jouissance divise lorsque celle-ci a été expressément fixée par une décision irrévocable et que le partage a été définitivement homologué. Cette règle vise à éviter que les valeurs arrêtées lors du partage ne soient remises en cause de manière intempestive, ce qui risquerait de fragiliser les droits acquis par les copartageants et de générer des contentieux incessants. Comme l’a justement observé Pierre Catala, « l’autorité de la chose jugée en matière de partage est une garantie essentielle de stabilité et de sécurité juridique, qui interdit toute remise en cause des valeurs arrêtées, sauf circonstances exceptionnelles ».

Toutefois, pour que l’autorité de la chose jugée puisse pleinement s’appliquer, il est indispensable que la date de la jouissance divise ait été expressément fixée par le juge. À défaut, les évaluations des biens pourraient être contestées ultérieurement, créant une incertitude juridique préjudiciable aux indivisaires. La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 8 avril 2009, que la fixation implicite d’une date de jouissance divise ne suffit pas à garantir la stabilité des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561).

Enfin, il convient de souligner que le tribunal peut choisir de maintenir une date d’évaluation fixée dans une décision antérieure, à condition que cette décision ne soit pas trop éloignée dans le temps et que ce maintien soit conforme à l’intérêt des copartageants. Cependant, cette stabilité doit nécessairement s’accompagner d’une précision absolue quant à la date retenue. Comme souligné par Gérard Champenois, « l’autorité de la chose jugée ne saurait être invoquée pour des décisions imprécises ou ambiguës quant à la date d’évaluation des biens, au risque de compromettre l’équité du partage ».

En définitive, le principe d’autorité de la chose jugée relatif à la fixation de la date de la jouissance divise repose sur un équilibre délicat entre stabilité et souplesse. Si la date fixée doit être considérée comme définitive pour garantir la sécurité des opérations de partage, des ajustements restent possibles dans des cas exceptionnels, lorsque le maintien de la date initiale s’avérerait manifestement inéquitable. La jurisprudence, en encadrant rigoureusement ces exceptions, s’attache à préserver tant la sécurité juridique des opérations de partage que l’équité entre les copartageants.

B) Estimation des créances

L’estimation des créances dans le cadre des opérations de partage successoral ou d’indivision obéit à des règles spécifiques, qui varient en fonction de la nature de la créance et de son mode de liquidation. Il convient de distinguer entre l’évaluation du capital de la créance et celle des intérêts qu’elle produit, en tenant compte des particularités attachées à certaines créances de valeur. Cette distinction est essentielle pour assurer une répartition équitable de l’actif successoral et garantir la stabilité des opérations de partage.

En effet, comme l’a souligné Gérard Champenois, « les créances, bien que par nature immatérielles, n’en demeurent pas moins des éléments d’actif susceptibles d’influer sur l’équilibre des lots. Leur évaluation requiert une attention particulière, car elle peut, en cas d’imprécision, engendrer des déséquilibres durables entre les copartageants ».

1. Estimation du capital

a. Principe du nominalisme monétaire

==>Problématique

Lorsque le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit s’acquitter de sa dette, la question se pose de savoir s’il doit verser le montant nominal stipulé à l’origine ou un montant ajusté pour tenir compte des fluctuations monétaires survenues entre la naissance de la créance et son recouvrement. Cette interrogation, particulièrement pertinente dans le cadre des opérations de partage, prend tout son sens face au facteur temporel qui sépare le moment du fait générateur de la créance et celui de son exigibilité. Entre ces deux bornes, il peut s’écouler un laps de temps plus ou moins long, rendant d’autant plus incertain le maintien de la valeur réelle de la somme due.

C’est précisément lorsque cet intervalle temporel s’étire que la question de la fluctuation monétaire présente un enjeu crucial. La monnaie, en tant qu’unité de compte et instrument de paiement, ne conserve pas nécessairement une valeur constante dans le temps. L’inflation, la dépréciation monétaire ou les fluctuations des marchés financiers peuvent affecter le pouvoir d’achat de la somme inscrite dans le titre constitutif de la créance. Une somme d’argent stipulée à un moment donné peut ainsi ne plus représenter la même valeur économique au moment de son recouvrement, introduisant un risque de déséquilibre entre les parties.

Face à cette problématique, deux approches théoriques peuvent être envisagées. La première, le nominalisme monétaire, impose de figer la dette au montant nominal prévu lors de la naissance de l’obligation. Selon cette approche, le débiteur se libère de son obligation en versant le nombre d’unités monétaires stipulé dans le titre, indépendamment des fluctuations économiques. Autrement dit, une créance de 50 000 euros due au décès d’un indivisaire sera inscrite à ce montant exact dans la masse partageable, même si la valeur réelle de cette somme a diminué ou augmenté entre le décès et le partage.

Cette approche présente l’avantage majeur de garantir la prévisibilité des évaluations patrimoniales, tout en évitant des litiges interminables sur la valeur actualisée des créances. Comme le rappelle François Terré, « le nominalisme monétaire assure une sécurité indispensable dans les opérations patrimoniales, notamment en matière de partage, où la stabilité des évaluations constitue une garantie d’équilibre entre les héritiers ».

La seconde approche, celle du valorisme monétaire, consisterait à ajuster la dette en fonction des variations monétaires survenues entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette méthode, qui pourrait sembler plus équitable dans un contexte économique instable, présente néanmoins des risques importants d’insécurité juridique. Elle ouvrirait la porte à des contestations sur la méthode d’actualisation retenue, la période de référence ou les indices utilisés, complexifiant ainsi les opérations de partage et prolongeant indûment les indivisions.

Entre ces deux approches, le législateur français a fait un choix clair en faveur du nominalisme monétaire, considérant que la stabilité juridique devait primer sur les aléas économiques. Mais ce principe, loin d’être une innovation récente, puise ses racines dans une construction jurisprudentielle qui remonte à plus d’un siècle. Dès le XIXe siècle, le nominalisme monétaire a été consacré en droit français, à commencer par l’article 1895 du Code civil. Ce texte fondateur, bien que limité à l’origine au prêt de consommation, a progressivement acquis une portée générale à travers l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. Pour comprendre les enjeux actuels de ce principe, il convient d’en retracer les origines et d’analyser les étapes majeures de son extension.

==>Origines du nominalisme monétaire

Le nominalisme monétaire trouve donc ses origines dans l’article 1895 du Code civil, qui dispose que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». Cette disposition traduit l’idée que la monnaie, au-delà de sa simple fonction de paiement, constitue également une unité de mesure, destinée à apprécier la valeur des biens et des services. Contrairement aux unités de mesure utilisées dans les sciences, la monnaie présente cependant un caractère instable, car sa valeur dépend d’un cours susceptible de varier avec le temps. Ces variations, qu’elles soient liées à l’inflation ou à la dépréciation monétaire, peuvent perturber l’évaluation des créances sur une longue période.

L’article 1895 a été rédigé dans un contexte économique marqué par une certaine stabilité monétaire, notamment grâce à l’étalon-or, qui limitait les risques de dépréciation de la monnaie. Dans ce cadre, le nominalisme monétaire apparaissait comme une solution simple et efficace pour éviter les litiges liés à la valeur de la monnaie au moment de l’exécution des obligations. Comme le souligne Henri Capitant, « le nominalisme repose sur une exigence de sécurité juridique, en permettant au débiteur de connaître dès l’origine le montant exact de sa dette, indépendamment des aléas économiques ».

Cependant, cette règle, initialement cantonnée au prêt de consommation, a rapidement été étendue par la jurisprudence à l’ensemble des obligations de somme d’argent. Cette évolution jurisprudentielle a été amorcée dès la fin du XIXe siècle, notamment avec un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 25 février 1929 (Cass. req., 25 févr. 1929). Dans cette décision, la Haute juridiction a affirmé que le nominalisme monétaire s’appliquait à toutes les obligations pécuniaires, qu’elles soient issues d’un contrat de prêt ou de toute autre source d’obligation.

L’arrêt de 1929 marque un tournant décisif en posant le nominalisme monétaire comme un principe général du droit des obligations. Selon la Cour de cassation, le montant nominal d’une dette d’argent doit être respecté, quelles que soient les variations de la valeur de la monnaie entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette solution visait à préserver la sécurité juridique des relations patrimoniales en assurant une prévisibilité quant au montant des créances inscrites à l’actif.

Selon René Savatier, « l’extension jurisprudentielle du nominalisme monétaire a permis d’unifier le régime des obligations de somme d’argent, en garantissant aux créanciers qu’ils seraient toujours remboursés pour le montant exact stipulé dans le contrat, sans tenir compte des fluctuations économiques ».

Cette orientation a été confirmée à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 29 juin 1994, la Cour de cassation a rappelé que le nominalisme monétaire s’appliquait également lorsqu’une créance figurait à l’actif d’une masse partageable, qu’elle soit due par un tiers ou par l’un des copartageants (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

==>Consécration légale du nominalisme monétaire

Malgré sa consécration jurisprudentielle, le nominalisme monétaire n’était pas expressément prévu dans les textes avant la réforme du droit des obligations. Afin de lever toute ambiguïté et de garantir la sécurité juridique des créances de somme d’argent, le législateur a choisi de consacrer ce principe de manière explicite lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du régime général des obligations.

Aussi, l’article 1343 du Code civil, issu de cette réforme, dispose désormais que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal ». Cette disposition met fin à tout débat sur la portée du nominalisme monétaire, en confirmant qu’il s’applique à l’ensemble des obligations pécuniaires, y compris celles inscrites à l’actif d’une masse successorale.

Selon Michel Grimaldi, « la consécration législative du nominalisme monétaire traduit une volonté de stabiliser les règles applicables aux obligations de somme d’argent, afin de garantir la sécurité des transactions patrimoniales, en particulier dans les opérations de partage successoral ».

L’application du principe du nominalisme monétaire aux créances inscrites à l’actif de la masse partageable offre aux copartageants une précieuse garantie de stabilité et de sécurité juridique. Dans le cadre des opérations de partage, il s’agit de figer la valeur des créances au montant stipulé dans le titre constitutif, sans que les variations monétaires intervenues entre la naissance de la créance et le partage n’en altèrent l’évaluation. Cette approche permet de neutraliser l’impact des aléas économiques sur la composition de la masse partageable, tout en assurant une prévisibilité indispensable à la répartition des biens entre les copartageants.

Par exemple, supposons qu’un héritier détienne une créance de 100 000 euros sur un tiers, contractée dix ans avant le décès du de cujus. Entre la naissance de cette créance et le moment du partage, une inflation importante a diminué le pouvoir d’achat de cette somme, de sorte que les 100 000 euros d’origine ne représentent plus la même valeur économique au jour du partage. Malgré cette dépréciation monétaire, la créance doit être inscrite à l’actif de la masse partageable pour son montant nominal de 100 000 euros, conformément au principe du nominalisme monétaire. Cette évaluation fixe empêche que des ajustements liés à l’inflation ou à d’autres indices économiques viennent perturber la stabilité des opérations de partage.

Ainsi, lorsqu’une créance de somme d’argent est due à l’indivision, elle doit être évaluée pour son montant nominal, qu’il s’agisse d’une créance contractée avant le décès ou d’une créance née pendant l’indivision. Cette règle est applicable que le débiteur soit un tiers ou l’un des copartageants eux-mêmes. La jurisprudence, constante sur ce point, a rappelé que les créances doivent être inscrites à leur valeur nominale, indépendamment des évolutions du pouvoir d’achat ou des fluctuations économiques susceptibles d’intervenir au fil du temps (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

Cette position s’explique par la volonté de préserver l’équilibre entre les copartageants et d’éviter les contestations qui pourraient découler de la réévaluation des créances en fonction d’indices monétaires. En effet, admettre une actualisation des créances inscrites à l’actif introduirait un facteur d’incertitude dans les opérations de partage, compromettant ainsi la stabilité des rapports entre copartageants. Comme le souligne Gérard Cornu, « le nominalisme monétaire est une réponse juridique aux fluctuations économiques, garantissant la sécurité des évaluations et préservant l’intégrité des opérations de partage ».

En outre, cette règle permet de prévenir les conflits potentiels entre les copartageants, qui pourraient être tentés de demander une révision des évaluations en fonction des évolutions économiques, prolongeant ainsi les opérations de partage. Par exemple, si un héritier réclamait une réévaluation d’une créance sur la base d’un indice d’inflation, d’autres indivisaires pourraient exiger des révisions similaires pour d’autres éléments de l’actif successoral, engendrant une insécurité juridique et compliquant la clôture de l’indivision.

b. Limites

==>Prise en compte du risque de non-recouvrement

Le nominalisme monétaire, bien qu’essentiel pour garantir la stabilité des opérations de partage, peut se heurter à la réalité économique, notamment lorsque le recouvrement de certaines créances s’avère incertain. La jurisprudence a admis que la créance peut être inscrite pour une valeur inférieure à son montant nominal lorsqu’il existe un risque sérieux de non-recouvrement. En effet, la valeur réelle d’une créance dépend de la capacité du débiteur à honorer sa dette, et il serait artificiel d’inclure dans la masse partageable une créance que l’on sait irrécouvrable.

Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une créance pouvait être prise en compte pour un montant inférieur à son montant nominal, si le débiteur présentait des difficultés financières importantes rendant incertain son remboursement (Cass. 1ère civ., 9 juill. 1985). Cette solution permet d’éviter que la masse partageable ne soit artificiellement gonflée par des créances douteuses, créant ainsi un déséquilibre entre les héritiers. Comme le souligne Jacques Flour, « il ne faut pas confondre le montant nominal de la créance, qui constitue une obligation juridique, avec sa valeur économique, qui dépend des chances effectives de recouvrement. Cette distinction est essentielle en matière de partage, pour éviter que des créances fictives ne créent des déséquilibres injustes entre les héritiers ».

==>Les créances indexées et libellées en monnaie étrangère

Une autre limite au nominalisme monétaire réside dans les créances indexées ou libellées en monnaie étrangère. Dans de tels cas, leur évaluation doit tenir compte des fluctuations de l’indice ou du taux de change. Conformément au principe général d’évaluation des actifs de la masse partageable, ces créances doivent être liquidées au jour du partage, afin de refléter leur valeur réelle à cette date. Dans un arrêt du 10 juin 1976, la Cour de cassation a jugé que la conversion d’une créance libellée en dollars américains devait être effectuée au taux de change applicable au jour du partage, et non à la date de constitution de la créance (Cass. 1re civ., 10 juin 1976, 75-10.798). Cette solution permet de garantir une évaluation juste et conforme à la réalité économique.

==>Créances ordinaires et créances de valeur

Enfin, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les premières sont évaluées à leur montant nominal, tandis que les secondes, telles que les indemnités de rapport (article 860 du Code civil) ou les indemnités de réduction (article 924-2 du Code civil), doivent être évaluées en fonction de leur valeur réelle au jour du partage. Cette distinction est importante pour éviter que certaines créances, notamment celles résultant de dégradations ou d’améliorations des biens indivis, ne soient surévaluées ou sous-évaluées, compromettant ainsi l’équité entre les héritiers.

Comme le rappelle Laurent Aynès, « la distinction entre créances ordinaires et créances de valeur permet d’adapter le principe du nominalisme aux réalités économiques, tout en garantissant l’équilibre entre les héritiers. Le nominalisme monétaire ne saurait être appliqué de manière rigide, au risque de produire des situations injustes ».

2. Estimation des intérêts

L’évaluation des créances de somme d’argent dans le cadre des opérations de partage ne se limite pas à leur capital nominal. Elle inclut également les intérêts produits par ces créances, dont le régime diffère selon que le débiteur est un tiers ou un indivisaire. La question des intérêts est cruciale en vue d’assurer une répartition équitable entre les indivisaires et éviter que certains ne tirent un avantage indu du retard des opérations de partage.

==>Les intérêts des créances sur les tiers débiteurs

Lorsque la créance est détenue à l’encontre d’un tiers débiteur, le régime applicable est celui du droit commun des obligations. Les articles 1231-6, 1344 et 1344-1 du Code civil fixent les conditions de production des intérêts moratoires, qui commencent à courir soit après une mise en demeure du débiteur, soit dès l’exigibilité de la dette si le contrat le prévoit expressément.

Ainsi, en l’absence de stipulation particulière, les intérêts moratoires ne peuvent être réclamés qu’après que le débiteur ait été formellement mis en demeure de s’exécuter. Cette exigence de mise en demeure vise à protéger le débiteur contre une pénalisation injuste en cas de retard non imputable à sa faute. Selon Jean Carbonnier, « la règle selon laquelle les intérêts courent à partir de la mise en demeure vise à éviter que le débiteur ne soit pénalisé par des retards dont il n’est pas responsable, tout en protégeant le créancier contre l’inertie du débiteur ».

Par exemple, si l’indivision détient une créance de 30 000 euros à l’encontre d’un locataire tiers pour des loyers impayés, les intérêts moratoires ne commenceront à courir qu’à compter de la mise en demeure du locataire. Ces intérêts seront calculés au taux légal, sauf convention contraire.

==>Les intérêts des créances sur les indivisaires débiteurs

Le régime applicable aux intérêts des créances lorsque le débiteur est un indivisaire présente des spécificités par rapport aux règles générales du droit commun. L’article 866 du Code civil prévoit que les créances entre indivisaires produisent des intérêts de plein droit, sans qu’une mise en demeure ne soit nécessaire.

Deux cas de figure doivent être distingués quant au point de départ des intérêts :

  • Si la créance existait avant l’entrée en indivision, les intérêts courent à compter de la constitution de l’indivision ou de l’événement générateur de celle-ci (ouverture de la succession, dissolution de communauté, etc.).
  • Si la créance est née au cours de l’indivision, les intérêts courent à compter de la date d’exigibilité de la créance.

Prenons un exemple concret : deux personnes acquièrent ensemble un immeuble destiné à la location. Par la suite, l’un des indivisaires avance une somme importante pour réaliser des travaux de rénovation indispensables à la conservation du bien. Cette créance, dès lors qu’elle est exigible, produit des intérêts de plein droit, garantissant que l’indivisaire créancier ne soit pas pénalisé par le temps nécessaire à l’accord des parties ou à la dissolution de l’indivision. Comme le rappelle Laurent Aynès, « l’automaticité des intérêts sur les créances entre indivisaires vise à éviter qu’un indivisaire débiteur ne tire profit du retard dans la liquidation de l’indivision ».

Cependant, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les créances ordinaires, telles que les avances de fonds pour des travaux ou le remboursement de charges payées par un indivisaire, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur — c’est-à-dire celles dont le montant doit être déterminé lors du partage — ne produisent des intérêts qu’à compter de leur liquidation effective.

Par exemple, si un indivisaire réclame une indemnité d’occupation au titre de l’usage privatif d’un bien indivis, le montant de cette indemnité doit d’abord être fixé de manière définitive avant que des intérêts ne soient calculés. Cela garantit que le débiteur de la créance ne soit pas pénalisé par des intérêts sur un montant susceptible d’être contesté ou réévalué au cours des opérations de partage.

Comme le souligne Philippe Malaurie, « la fixation des intérêts sur les créances de valeur après leur liquidation préserve un équilibre entre la protection du créancier et la sécurité du débiteur, en évitant des calculs prématurés sur des montants incertains ».

Cette distinction s’inscrit dans une logique de prévisibilité des obligations pécuniaires au sein de l’indivision. Les créances ordinaires, dont le montant est connu dès l’origine, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur, par nature plus incertaines, attendent leur liquidation pour produire des intérêts. Cette règle permet de préserver la sécurité des relations entre indivisaires, tout en évitant des litiges prolongés liés à l’incertitude des montants en jeu.

Opérations de partage: la composition de la masse partageable

L’article 825 du Code civil prévoit que « la masse partageable comprend les biens existant à l’ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n’a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents. Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision. »

Il s’infère de cette disposition, dont l’application ne se limite pas aux indivisions successorales puisque s’appliquant mutatis mutandis aux autres indivisions, que la masse partageable comprend divers éléments.

Pour des raisons de clarté et pour une meilleure compréhension de la consistance de la masse partageable, nous aborderons les éléments qui la composent en les regroupant dans les catégories suivantes :

  • Les biens existants, qui forment le socle initial de la masse partageable.
  • Les créances, qui incluent les droits indivis contre des tiers.
  • Les biens subrogés, résultant de la substitution d’un bien par un autre.
  • Les biens à caractère personnel, dont seule la valeur patrimoniale est partageable.
  • Les fruits et revenus, produits par les biens indivis au cours de l’indivision.
  • Les plus-values et moins-values, résultant des fluctuations ou de la gestion des biens indivis.

A) Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

1. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

2. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise à partager n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

3. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

B) Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif à partager, car elles représentent des droits que l’indivision détient contre des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

1. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

2. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

C) Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

1. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

2. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

D) Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

1. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

2. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

3. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

E) Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

1. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

2. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

F) Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

1. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

2. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

Opérations de partage: l’inventaire des biens existants

Le partage d’une indivision ne peut être envisagé sans une préalable détermination précise de la masse partageable. Avant de répartir les biens entre les indivisaires, il est indispensable de connaître l’étendue du patrimoine commun, d’identifier les dettes grevant ce patrimoine et de régulariser les comptes entre les co-indivisaires. Cette étape de liquidation est essentielle pour garantir un partage équitable, fondé sur une vision claire et exhaustive des droits et obligations de chacun.

La détermination de la masse partageable repose ainsi sur trois opérations successives :

  • L’inventaire des biens existants, permettant d’établir la consistance matérielle et juridique du patrimoine indivis ;
  • La prise en compte du passif de l’indivision, incluant tant les dettes externes que les créances internes nées des relations entre indivisaires ;
  • L’établissement des comptes entre indivisaires, destiné à régulariser les déséquilibres financiers survenus au cours de la gestion de l’indivision.

Nous nous focaliserons ici sur la première étape: l’inventaire des biens existants.

I) Composition de la masse partageable

L’article 825 du Code civil prévoit que « la masse partageable comprend les biens existant à l’ouverture de la succession, ou ceux qui leur ont été subrogés, et dont le défunt n’a pas disposé à cause de mort, ainsi que les fruits y afférents. Elle est augmentée des valeurs soumises à rapport ou à réduction, ainsi que des dettes des copartageants envers le défunt ou envers l’indivision. »

Il s’infère de cette disposition, dont l’application ne se limite pas aux indivisions successorales puisque s’appliquant mutatis mutandis aux autres indivisions, que la masse partageable comprend divers éléments.

Pour des raisons de clarté et pour une meilleure compréhension de la consistance de la masse partageable, nous aborderons les éléments qui la composent en les regroupant dans les catégories suivantes :

  • Les biens existants, qui forment le socle initial de la masse partageable.
  • Les créances, qui incluent les droits indivis contre des tiers.
  • Les biens subrogés, résultant de la substitution d’un bien par un autre.
  • Les biens à caractère personnel, dont seule la valeur patrimoniale est partageable.
  • Les fruits et revenus, produits par les biens indivis au cours de l’indivision.
  • Les plus-values et moins-values, résultant des fluctuations ou de la gestion des biens indivis.

A) Les biens existants

Les biens existants forment la base essentielle de toute masse partageable, qu’elle résulte d’une indivision successorale, conventionnelle ou légale.

Dans le cadre d’une indivision successorale, ces biens comprennent l’intégralité des éléments patrimoniaux ayant appartenu au de cujus et demeurant dans la succession au jour du partage.

1. Notion et délimitation des biens existants

==>Les biens ordinaires

Les biens existants sont ceux qui appartiennent à l’indivision au moment de l’ouverture de celle-ci et qui n’ont pas été cédés, consommés ou aliénés avant la clôture des opérations de partage.

Ces biens peuvent revêtir différentes formes, au nombre desquels figurent :

  • Les biens immobiliers : terrains, maisons, appartements, immeubles de rapport, qui constituent souvent une partie substantielle de la masse indivise.
  • Les biens mobiliers : meubles corporels tels que les objets d’art, les véhicules, les meubles d’ameublement, ainsi que les biens mobiliers incorporels comme les valeurs mobilières, les comptes bancaires ou les titres de créances.
  • Les parts sociales et actions : dans les sociétés civiles ou commerciales, les parts détenues par le défunt, tant qu’elles n’ont pas été transmises par cession, restent dans la masse indivise.
  • Les droits patrimoniaux : droits de créance, droits d’exploitation d’une entreprise individuelle ou droits attachés à des propriétés intellectuelles.

Le partage de ces biens dépend de leur existence au jour du partage. Dans un arrêt du 9 mai 9178, la Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « le partage ne peut porter que sur les biens qui existent encore à la date du partage » (Cass. 1ère civ., 9 mai 1978, n°76-12.646), soulignant ainsi la nécessité d’exclure les biens qui ont disparu de la masse successorale avant cette date, que ce soit par aliénation, consommation ou destruction.

==>Les libéralités rapportées ou réduites

En sus des biens existants au sens strict, les libéralités consenties à certains héritiers peuvent également entrer dans la masse à partager sous réserve de certaines conditions.

En effet, ces libéralités sont susceptibles d’être rapportées à la masse indivise ou réduites si elles excèdent la quotité disponible et portent atteinte à la réserve héréditaire.

L’article 843 du Code civil prévoit en ce sens que les héritiers réservataires sont tenus de rapporter à la masse successorale les biens dont ils ont pu bénéficier à titre de donation ou d’avantage indirect.

Deux situations sont à envisager :

  • Le rapport des libéralités
    • Il s’agit de remettre fictivement dans la masse successorale les biens reçus par un héritier en avance sur sa part d’héritage.
    • Ces biens peuvent être rapportés en nature (si le bien est resté dans le patrimoine de l’héritier) ou en valeur.
    • Le but est ici de préserver l’égalité entre les héritiers.
  • La réduction des libéralités
    • Si les donations ou legs consentis par le défunt dépassent la quotité disponible, ils peuvent être réduits pour protéger les droits des héritiers réservataires.
    • La réduction s’effectue en valeur ou en nature selon les modalités prévues par les articles 924 et suivants du Code civil.

Dans ces cas, même si les biens en question ont été donnés avant l’ouverture de la succession, leur valeur est réintégrée dans la masse à partager pour préserver l’égalité entre les cohéritiers.

2. L’évolution de la masse indivise jusqu’au partage

Il convient de souligner que la masse indivise à partager n’est pas figée. Elle peut évoluer entre l’ouverture de l’indivision et le partage définitif.

Pendant cette période, les biens peuvent être vendus, dégradés ou augmenter de valeur.

Par exemple, les immeubles indivis peuvent prendre de la valeur sur le marché immobilier ou au contraire subir une dépréciation en fonction des conditions économiques.

L’article 822 du Code civil précise que l’évaluation des biens indivis se fait à la date la plus proche du partage afin de tenir compte de ces fluctuations.

En cas d’augmentation de la valeur des biens, celle-ci bénéficie à l’ensemble des indivisaires.

De la même manière, toute dépréciation impacte collectivement les indivisaires. Les plus-values réalisées, par exemple en cas de gestion ou d’améliorations apportées aux biens indivis par un des cohéritiers, sont elles aussi réparties au prorata des droits indivisaires, sauf demande de remboursement pour les investissements réalisés (Cass. 1ère civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

3. L’importance d’une évaluation exhaustive des biens existants

Il est essentiel de procéder à une évaluation complète et précise de l’ensemble des biens existants au jour du partage.

L’omission d’un bien dans la masse indivise peut entraîner un partage complémentaire, quand bien même la valeur du bien omis est minime.

Dans d’une décision du 15 mai 2008, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « lorsqu’un bien est omis lors du partage, cela impose la réalisation d’un partage complémentaire, quelle que soit la valeur du bien omis » (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°06-19.416).

Cette règle vise à garantir que tous les biens constituant la masse successorale soient effectivement répartis entre les cohéritiers, protégeant ainsi les droits de chacun.

Aussi, sauf renonciation expresse d’un indivisaire à ses droits, l’omission d’un bien ne saurait priver un indivisaire de sa part dans ce bien. Le fait de ne pas avoir mentionné un bien dans le partage initial n’éteint donc pas les droits des indivisaires sur ce bien.

B) Les créances

Les créances indivises peuvent constituer une composante importante de l’actif à partager, car elles représentent des droits que l’indivision détient contre des tiers.

Elles peuvent prendre différentes formes : créances de nature contractuelle, créances liées à des droits de propriété, ou encore créances issues de la gestion des biens indivis.

Leur gestion au sein de l’indivision est encadrée par des principes stricts de répartition entre les indivisaires.

1. Le principe de division des créances

==>Énoncé du principe

En application de l’article 1309, al. 1er du Code civil, dès l’ouverture de l’indivision, les créances se divisent de plein droit entre les indivisaires, au prorata de leurs parts dans la succession.

Ce principe est applicable aussi bien en cas d’indivision successorale qu’en cas d’indivision conventionnelle. Cela signifie que chaque indivisaire devient titulaire de la fraction de la créance correspondant à sa quote-part dans l’indivision.

En pratique, cela permet à chaque indivisaire de réclamer directement sa part de la créance à un tiers débiteur. Cette règle vise à simplifier le recouvrement des créances tout en respectant les droits proportionnels de chacun des indivisaires.

==>Mise en œuvre du principe

Lorsqu’une créance indivise est recouvrée par un indivisaire, ce dernier doit s’assurer de ne percevoir que sa part proportionnelle.

Si un indivisaire reçoit un montant supérieur à sa quote-part dans la créance, il est tenu de rembourser l’excédent à ses coindivisaires. Cette obligation découle du principe d’équité qui régit l’indivision.

L’effet déclaratif du partage, prévu par l’article 883 du Code civil, joue un rôle important ici.

Lors du partage de l’indivision, chaque indivisaire est considéré comme ayant toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués depuis l’origine de l’indivision.

Cela signifie qu’une créance qui est partagée ne fait l’objet d’un transfert qu’au moment du partage, ce qui peut avoir des conséquences sur les paiements effectués avant le partage.

Si, par exemple, une créance successorale est cédée par un indivisaire avant le partage, cette cession pourrait être annulée si, au moment du partage, la créance est attribuée à un autre indivisaire.

Cela a été confirmé par la jurisprudence dans un arrêt ancien, mais encore souvent cité : Cass. req., 13 janv. 1909, qui rappelle que la cession d’une créance par un indivisaire avant partage est nulle si celui-ci n’en est pas attributaire lors du partage.

Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage de la succession.

Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier. La Cour de cassation a jugé que cette cession était nulle, car l’indivisaire cédant n’avait pas été attributaire de la créance au moment du partage.

Il ressort de cette jurisprudence que, jusqu’au partage, l’indivisaire ne saurait valablement céder une créance indivise, car l’effet déclaratif du partage signifie qu’il n’est considéré comme ayant eu un droit exclusif sur cette créance qu’à partir du moment où elle lui est attribuée définitivement lors du partage.

En effet, l’effet déclaratif du partage, consacré par l’article 883 du Code civil, signifie que le partage ne fait que constater et déclarer des droits qui existaient depuis l’ouverture de la succession, mais que chaque héritier est censé avoir eu de manière exclusive sur les biens qui lui sont attribués.

Avant le partage, les biens de la succession sont indivis, et chaque indivisaire est copropriétaire de la totalité des biens à hauteur de sa quote-part. Un indivisaire ne peut donc céder un bien ou une créance tant que celui-ci n’a pas été précisément attribué à lui lors du partage.

Cette règle vise à préserver l’intégrité de la masse successorale jusqu’au partage et d’éviter des complications liées à des cessions de biens indivis avant leur attribution définitive.

2. Exception : les créances indivisibles

Toutes les créances ne sont pas divisibles entre les indivisaires. Certaines créances, en raison de leur nature, sont considérées comme indivisibles et doivent être recouvrées et partagées dans leur totalité par l’ensemble des indivisaires.

Un exemple typique est celui des indemnités d’expropriation, que la jurisprudence a qualifiées de créances indivisibles.

Dans une décision importante, la Cour de cassation a jugé que ces indemnités ne pouvaient pas être divisées entre les indivisaires, et devaient donc être partagées dans leur ensemble (Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n°94-86.191).

Dans cette affaire, une indemnité d’expropriation avait été accordée pour un bien appartenant à une indivision.

Le problème portait sur la manière dont cette indemnité devait être traitée et répartie entre les indivisaires, certains d’entre eux contestant les modalités de la répartition.

Plus précisément, la question soulevée était de savoir si une indemnité d’expropriation, touchant un bien indivis, pouvait être divisée entre les indivisaires ou si elle devait être considérée comme indivisible.

La Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est indivisible, confirmant ainsi que cette indemnité devait être partagée entre tous les indivisaires de manière globale.

Elle ne pouvait donc pas, en d’autres termes, être divisée et recouvrée séparément par chaque indivisaire en fonction de sa quote-part dans l’indivision.

Il s’en déduit qu’une créance liée à l’indemnité d’expropriation d’un bien indivis est insusceptible de faire l’objet d’une division proportionnelle comme les autres créances ordinaires de l’indivision.

La raison en est que l’indivisibilité de l’indemnité d’expropriation repose sur la nature même de cette indemnité, qui est censée compenser la perte d’un bien indivis dans son ensemble.

Le bien étant indivis, l’indemnité qui le remplace doit également être considérée comme indivise et répartie globalement entre les co-indivisaires au moment du partage.

La jurisprudence justifie cette position par la nécessité de maintenir la cohérence de l’indemnisation en cas d’expropriation d’un bien indivis.

Puisque le bien appartient en commun à tous les indivisaires, l’indemnité accordée par les autorités expropriantes est considérée comme une créance unique et indivisible, à répartir seulement après avoir été reçue globalement par l’indivision.

Il peut être observé que le caractère indivisible d’une créance peut également se retrouver dans d’autres situations, notamment lorsque la nature même de l’obligation le rend impossible. Cela peut notamment concerner des créances liées à des préjudices moraux, ou des obligations contractuelles spécifiques.

C) Les biens subrogés

La subrogation réelle consiste à substituer dans un patrimoine une chose par une autre.

Il en va ainsi lorsqu’un bien mobilier ou immobilier dont est propriétaire une personne est remplacé par une somme d’argent correspondant à la valeur du bien remplacé.

Cette somme d’argent peut consister en un prix de vente, à une indemnité d’assurance ou encore à une indemnité d’expropriation.

La particularité de la subrogation réelle est donc qu’elle opère le remplacement dans un bien par un autre, sans pour autant modifier le rapport de propriété préexistant liant le propriétaire à la chose.

C’est là le sens de l’adage subrogatum capit naturam subrogi, soit ce qui est subrogé prend la nature de ce à quoi il est subrogé.

La conséquence en est que la subrogation n’affecte pas le droit réel exercé par le propriétaire ; elle substitue seulement son objet.

A cet égard, le mécanisme de la subrogation réelle trouve une application dans le régime des indivisions, particulièrement lorsque des biens sont vendus, détruits ou remplacés.

La subrogation permet ainsi d’assurer la continuité de la masse indivise, en substituant à un bien disparu un équivalent en nature ou en valeur (prix de vente, indemnité, créance, etc.). L’objectif est de préserver les droits des indivisaires et de maintenir la cohérence de l’actif indivis jusqu’au partage.

En pratique, cela signifie que le bien subrogé, bien qu’il diffère dans sa forme ou sa valeur, continue à appartenir à la masse indivise et reste soumis aux règles qui gouvernent le partage.

Le principe de la subrogation réelle est issu de l’arrêt Chollet-Dumoulin rendu par les chambres réunies de la Cour de cassation le 5 décembre 1907 (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).

Dans cette affaire, les indivisaires avaient vendu un bien immobilier indivis et une contestation était née quant à la répartition du prix de vente.

La question portait sur le fait de savoir si le prix de vente devait être considéré comme faisant partie de la succession et partagé entre les indivisaires, ou s’il pouvait être exclu de la masse indivise.

La Cour de cassation a tranché en faveur de l’intégration du prix de vente à la masse indivise, affirmant que le produit de la vente d’un bien indivis devait être considéré comme un « effet de succession ».

Le prix de vente remplace donc le bien vendu et devient un bien subrogé à répartir entre les indivisaires de la même manière que le bien lui-même aurait été partagé. Cet arrêt a posé le fondement de la subrogation réelle, garantissant ainsi que la vente d’un bien indivis n’entraîne pas la perte de valeur pour les indivisaires mais simplement son transfert sur une somme d’argent.

Dès lors, la subrogation réelle peut intervenir selon deux modalités principales :

  • La subrogation automatique
    • Lorsqu’elle est automatique, la subrogation réelle joue de plein droit.
    • Ce mécanisme est mise en oeuvre dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit, sans nécessiter l’accord des indivisaires.
    • Par exemple, le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité d’assurance en cas de destruction entre automatiquement dans la masse indivise.
    • Ce principe de subrogation automatique assure que les droits des indivisaires sur les biens aliénés sont préservés et reportés sur la somme obtenue en contrepartie.
  • La subrogation volontaire
    • Il est des cas où pour produire ses effets, la subrogation requiert le consentement des indivisaires, notamment en matière d’emploi ou de remploi de biens indivis.
    • Ici, le produit de la vente d’un bien indivis peut être réinvesti dans l’acquisition d’un nouveau bien, à condition que tous les indivisaires y consentent.
    • Ce nouveau bien deviendra alors lui-même indivis, mais seulement si les cohéritiers acceptent explicitement cette opération.

1. La subrogation automatique : un principe général

La subrogation réelle est, en principe, automatique et s’applique de plein droit dès lors qu’un bien indivis est aliéné ou détruit.

Ce principe est consacré par l’article 815-10 du Code civil, qui prévoit que les créances et indemnités venant remplacer des biens indivis entrent automatiquement dans la masse indivise.

Ainsi, les indivisaires conservent-ils leurs droits, non plus sur le bien initial, mais sur la somme ou l’indemnité qui le remplace.

La subrogation automatique est susceptible de jouer dans plusieurs situations :

  • Vente d’un bien indivis : le prix de vente comme bien subrogé
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu, le prix de vente se substitue automatiquement au bien vendu et intègre la masse indivise.
    • Cette subrogation a pour effet de remplacer le bien physique par une créance pécuniaire, qui est alors partagée entre les indivisaires selon leurs droits dans l’indivision.
    • Ainsi, les indivisaires conservent une quote-part dans le produit de la vente.
    • C’est ce principe que l’arrêt Chollet-Dumoulin est venu consacrer (Cass. ch. Réunies, 5 déc. 1907).
    • Ce principe garantit que la vente d’un bien indivis ne prive pas les indivisaires de leurs droits, mais simplement les reporte sur une somme d’argent.
  • Indemnité d’assurance : subrogation en cas de destruction d’un bien
    • En cas de destruction d’un bien indivis, par exemple à la suite d’un sinistre, l’indemnité d’assurance versée en réparation du dommage se substitue automatiquement au bien détruit.
    • Cette indemnité est intégrée dans la masse indivise et se partage entre les indivisaires selon leurs parts respectives.
    • Ce principe a été confirmé par l’arrêt Cass. 1re civ., 19 mars 2014, dans lequel la Cour de cassation a jugé que l’indemnité d’assurance subrogée à un bien indivis détruit doit être intégrée à l’indivision, même si son montant dépasse la valeur initiale du bien détruit.
    • Le juge du partage n’a aucun pouvoir pour discuter le montant de l’indemnité ; il doit l’intégrer intégralement à l’actif indivis (Cass. 1ère civ. 19 mars 2014, n° 13-12.578).
  • Créances successorales : annulation des cessions avant partage
    • Un autre exemple de subrogation réelle se retrouve dans le cas des créances successorales.
    • Si un indivisaire cède une créance avant le partage et que cette créance n’est finalement pas attribuée à cet indivisaire au moment du partage, la cession est annulée.
    • C’est le principe de l’effet déclaratif du partage qui est à l’œuvre ici, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 1909 (Cass. req., 13 janvier 1909).
    • Dans cette affaire, un indivisaire avait cédé une créance successorale avant le partage.
    • Toutefois, au moment du partage, cette créance n’avait pas été attribuée au cédant, mais à un autre héritier.
    • La Cour de cassation a jugé que la cession de cette créance était nulle, car l’indivisaire cédant n’était pas devenu propriétaire exclusif de la créance avant le partage.
    • Cet arrêt confirme que, tant que le partage n’a pas eu lieu, les droits des indivisaires sur les biens de la succession sont indivis et ne peuvent pas faire l’objet d’une cession indépendante par un seul co-indivisaire.
    • Ce principe s’infère de l’article 883 du Code civil, selon lequel le partage a un effet déclaratif : il ne crée pas de nouveaux droits mais attribue à chaque indivisaire la portion de biens à laquelle il avait déjà droit depuis l’ouverture de la succession.
    • Ainsi, la cession d’un bien indivis avant le partage n’est valable que si le bien est effectivement attribué à l’indivisaire cédant au moment du partage.

2. La subrogation volontaire : emploi et remploi des biens indivis

Par exception, certaines situations de subrogation réelle ne sont pas automatiques et requièrent le consentement des indivisaires.

Cela concerne principalement les cas d’emploi et de remploi, où le prix de vente d’un bien indivis ou une indemnité est réinvesti dans un nouveau bien. Cette forme de subrogation est dite volontaire, car elle requiert l’accord unanime des indivisaires.

En effet, l’emploi et le remploi sont des mécanismes qui permettent de réinvestir les sommes issues de la vente d’un bien indivis dans l’acquisition d’un nouveau bien.

Ce nouveau bien devient alors indivis, à condition que tous les indivisaires aient donné leur consentement.

L’article 815-10 du Code civil précise en ce sens que les biens acquis en emploi ou en remploi de biens indivis ne peuvent être eux-mêmes indivis que si tous les indivisaires ont consenti à cette opération.

Ce consentement est indispensable pour éviter que l’un des indivisaires ne soit contraint d’accepter l’acquisition d’un nouveau bien en indivision contre son gré. En l’absence d’accord unanime, seul le prix de vente ou l’indemnité d’assurance reste dans la masse indivise, mais aucun nouveau bien ne peut être intégré à l’indivision.

La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises le caractère volontaire de l’emploi et du remploi, notamment à travers d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 février 1996 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, 93-21.141)

Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si les opérations de gestion effectuées par le gérant d’une indivision, en utilisant des fonds indivis pour acquérir de nouveaux biens, pouvaient être considérées comme ayant été réalisées au profit de l’indivision.

L’époux, qui était le gérant de l’indivision post-communautaire, avait effectué des achats avec les deniers indivis. Le litige portait sur la question de savoir si ces biens nouvellement acquis devaient être considérés comme des biens indivis, au titre de la subrogation réelle.

La Cour de cassation a confirmé que les opérations de remploi effectuées par le gérant d’une indivision post-communautaire étaient valables, sous réserve que ces opérations aient été réalisées avec le consentement des indivisaires ou, à défaut, dans l’intérêt de l’indivision.

En l’espèce, la Cour a jugé que toutes les acquisitions réalisées par le gérant avec des deniers indivis l’avaient été volontairement pour le compte de l’indivision, car il avait agi dans l’intérêt de celle-ci et avec l’accord implicite des autres indivisaires.

Ainsi, la simple utilisation de deniers indivis ne suffit donc pas à opérer une subrogation ; il faut également une intention manifeste d’acquérir pour le compte de l’indivision.

En revanche, si l’emploi ou le remploi a lieu sans le consentement de tous les indivisaires, la subrogation ne pourra pas être imposée. Dans ce cas, seule la somme d’argent, comme le prix de vente ou l’indemnité, restera dans la masse indivise.

En cas de désaccord entre les indivisaires sur la question du remploi, il est possible de demander l’intervention du juge.

L’article 815-6 du Code civil permet au tribunal judiciaire de prendre des mesures urgentes pour protéger les intérêts de l’indivision, notamment en autorisant une opération de remploi en l’absence d’accord unanime.

De même, l’article 815-5 du Code civil permet à un indivisaire d’agir seul en cas de gestion d’affaires, à condition que cela soit dans l’intérêt commun et justifié par l’urgence ou la conservation du bien.

D) Les biens à caractère personnel

Certains biens, bien qu’ayant un caractère personnel, peuvent être inclus dans la masse partageable de l’indivision, mais sous certaines conditions particulières.

La jurisprudence a établi une distinction essentielle entre la titularité (ou le titre) de ces biens, qui reste personnelle et intransmissible, et leur valeur économique, qui, elle, peut être intégrée à la masse indivise et partagée entre les coindivisaires.

Ce principe de distinction entre le titre et la valeur permet de concilier le caractère personnel de certains biens avec la nécessité de partager leur valeur économique dans une indivision. Il trouve son origine dans la gestion des offices ministériels et a ensuite été transposé à d’autres types de biens présentant des caractéristiques similaires, comme les parts sociales ou les clientèles professionnelles.

1. Origine de la distinction entre le titre et la finance

Les offices ministériels (notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs, etc.) illustrent bien la distinction entre le titre et la finance car ils se caractérisent par deux aspects distincts :

  • Le titre, qui confère à son titulaire l’autorisation d’exercer une mission de service public. Ce titre, octroyé par l’État, est strictement personnel, car il repose sur des qualifications spécifiques et des agréments particuliers liés à la personne du titulaire. En raison de ce caractère personnel, la titularité d’un office ne peut être cédée ou partagée dans le cadre d’une indivision.
  • La finance, ou la valeur économique de l’office, est en revanche patrimoniale. Cette valeur correspond au prix de marché de l’office et peut être partagée, notamment lors d’une succession ou d’un partage. Ainsi, même si le titre reste propre au titulaire, la valeur patrimoniale de l’office (appelée finance) peut être incluse dans la masse indivise et partagée entre les indivisaires.

Cette distinction a été consacré par la jurisprudence, notamment pour éviter que les coindivisaires ou le conjoint d’un titulaire d’office ne puissent revendiquer la titularité de l’office, tout en leur permettant de bénéficier de la valeur économique qu’il représente.

2. Extension de la distinction à d’autres biens à caractère personnel

Au fil du temps, cette distinction entre le titre et la valeur a été transposée à d’autres biens à caractère personnel, tels que les parts sociales dans des sociétés de personnes, les clientèles professionnelles, ou encore certaines concessions administratives.

==>Les parts dans des sociétés de personnes

Dans les sociétés de personnes, comme les sociétés civiles ou les SNC (Société en Nom Collectif), la qualité d’associé repose sur une relation de confiance (intuitu personae) entre les associés.

La titularité des parts sociales est donc strictement personnelle et intransmissible sans l’accord des autres associés.

Cependant, la valeur patrimoniale de ces parts peut entrer dans la masse indivise et être partagée entre les indivisaires au moment du partage.

==>Les clientèles professionnelles

La clientèle d’un professionnel (médecin, avocat, notaire) repose sur une relation de confiance personnelle avec les clients, ce qui la rend intransmissible.

Toutefois, la valeur économique de cette clientèle peut être incluse dans l’actif indivis.

Par exemple, lors de la liquidation d’une indivision post-communautaire, la valeur patrimoniale de la clientèle peut être évaluée et partagée entre les indivisaires, bien que la titularité de la clientèle reste propre au professionnel.

==>Les concessions administratives

Un autre exemple de cette distinction peut être trouvé dans les concessions administratives, telles que les concessions de parcs à huîtres.

Dans un arrêt du 8 décembre 1987, la Cour de cassation a jugé que la concession, en tant que droit personnel, était intransmissible. Toutefois, la valeur patrimoniale de cette concession pouvait entrer dans la masse commune ou indivise, permettant ainsi de protéger l’intérêt économique des indivisaires ou du conjoint (Cass. 1ère civ. 8 déc. 1987, n°86-12426).

3. Application de la distinction dans le cadre de l’indivision

La distinction entre le titre et la finance s’applique donc dans plusieurs cas où le bien est personnel, mais présente une valeur patrimoniale importante. Elle permet de protéger l’aspect personnel du bien, tout en offrant aux indivisaires la possibilité de partager la valeur économique de ce bien.

La jurisprudence est claire : la titularité de certains biens à caractère personnel (parts sociales, offices ministériels, clientèles professionnelles) reste strictement attachée à la personne du titulaire.

Cette intransmissibilité s’explique par les qualités spécifiques requises pour exercer certains droits ou fonctions, ou encore par la relation de confiance personnelle qui caractérise certains types de biens.

En revanche, même si la titularité ne peut être partagée, la valeur économique du bien peut entrer dans la masse indivise. Cela permet d’assurer une équité entre les indivisaires, notamment lorsque le bien représente une part significative du patrimoine indivis. Lors du partage, la valeur de marché du bien est évaluée et incluse dans la masse à partager.

L’évaluation des biens à caractère personnel pour leur intégration dans la masse indivise se fait généralement au moment du partage. Leur valeur marchande est déterminée lors des opérations de liquidation et de partage de l’indivision, et cette valeur est répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts.

E) Les fruits et revenus

Les fruits et revenus générés par les biens indivis, tels que les loyers, les dividendes, les intérêts ou d’autres produits, sont des éléments essentiels susceptibles de faire l’objet d’un partage entre les indivisaires. Ces derniers, en s’ajoutant à la masse indivise, augmentent l’actif partageable et garantissent une répartition équitable entre les coindivisaires.

Ce principe est énoncé par l’article 815-10 du Code civil qui prévoit que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ». Selon cette règle, les fruits et revenus bénéficient donc à l’ensemble des indivisaires, évitant qu’un seul ne tire un avantage exclusif des fruits générés par les biens communs.

1. Le principe d’accroissement de la masse indivise

L’objectif de cette règle est d’éviter qu’un indivisaire ne tire un bénéfice personnel des fruits produits par un bien indivis avant le partage, au détriment des autres indivisaires.

Ainsi, les fruits et revenus produits par les biens indivis ne reviennent pas directement à celui qui en a la gestion ou la jouissance temporaire, mais sont intégrés dans la masse indivise pour être partagés lors de la liquidation ou du partage de l’indivision.

Cet équilibre est particulièrement important dans le cadre des successions, où certains héritiers pourraient autrement profiter d’un bien frugifère (comme un immeuble locatif) avant le partage, alors que d’autres ne recevraient qu’un bien non frugifère.

Le fait que les fruits soient inclus dans la masse indivise permet de garantir une égalité entre les héritiers et de compenser les écarts liés à la nature des biens attribués lors du partage.

Ce principe a été consacré depuis longtemps par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation du 20 juillet 1858, qui reprend l’adage latin « fructus augent hereditatem », soit les fruits augmentent l’héritage (Cass. civ. 20 juill. 1858).

Ce principe veut que tous les fruits et revenus générés par les biens indivis bénéficient à l’ensemble des indivisaires et non à un seul.

2. Typologie des fruits et revenus

Les fruits et revenus des biens indivis peuvent prendre plusieurs formes :

  • Les fruits naturels
    • Les fruits naturels sont les produits qui proviennent des biens immobiliers sans intervention humaine excessive.
    • On compte dans cette catégorie notamment :
      • Les récoltes agricoles issues de terrains indivis utilisés pour l’agriculture.
      • Les produits forestiers comme le bois provenant de forêts indivises, ou encore la résine et autres produits naturels exploitables.
    • Les fruits naturels se distinguent par le fait qu’ils sont directement générés par la nature et peuvent être récoltés régulièrement sans affecter la substance du bien d’origine (par exemple, couper du bois dans une forêt sans détruire le terrain). Ces revenus doivent être répartis entre les coindivisaires au moment du partage, sauf si une convention ou un accord a prévu une répartition antérieure.
  • Les fruits civils
    • Les fruits civils représentent les produits réguliers résultant de l’exploitation de biens indivis, souvent en vertu de contrats conclus avec des tiers. Contrairement aux fruits naturels, les fruits civils nécessitent une gestion active du bien pour en percevoir les revenus.
    • Ils incluent notamment :
      • Les loyers perçus d’un bien immobilier indivis mis en location. Les revenus locatifs sont considérés comme des fruits civils qui s’ajoutent à la masse indivise.
      • Les dividendes provenant de parts sociales ou d’actions détenues en indivision. Si les indivisaires détiennent des titres financiers indivis, les dividendes versés par la société émettrice sont également intégrés à l’actif indivis.
      • Les redevances issues de contrats de concession ou d’exploitation, comme la gestion d’un fonds de commerce indivis ou la mise en valeur de propriétés intellectuelles détenues en indivision.
    • Les fruits civils sont souvent générés sur une base contractuelle et impliquent une perception périodique (mensuelle, trimestrielle, annuelle, etc.).
    • Ces revenus, comme les loyers ou dividendes, doivent être partagés entre les indivisaires en fonction de leurs parts dans l’indivision.
    • Si un indivisaire a géré seul un bien et perçu des loyers ou des dividendes, il est tenu de les partager avec les autres, sous peine de devoir indemniser l’indivision.
  • Les intérêts
    • Les intérêts perçus dans le cadre d’une indivision résultent de placements financiers ou de créances indivises.
    • Ces revenus peuvent provenir de différentes sources, telles que :
      • Les créances indivises qui génèrent des intérêts, comme un prêt consenti par l’indivision à un tiers. Dans ce cas, les intérêts perçus doivent être répartis entre les indivisaires.
      • Les placements financiers, comme des comptes bancaires, des livrets d’épargne ou des obligations détenues par l’indivision. Les intérêts générés par ces placements viennent également augmenter la masse indivise.
    • Les intérêts, qu’ils soient issus de créances ou de placements financiers, sont des revenus passifs, ne nécessitant pas une gestion active mais dépendant du temps et des conditions contractuelles.
    • Ils sont perçus à échéances régulières et augmentent la masse à partager au moment de la liquidation de l’indivision.

Tous ces revenus, qu’ils proviennent de fruits naturels, de fruits civils ou encore d’intérêts, augmentent donc systématiquement la masse indivise et doivent être partagés entre les indivisaires lors de la liquidation de l’indivision.

Leur répartition se fait en fonction des parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

Ce mécanisme permet d’éviter qu’un indivisaire ne bénéficie exclusivement des produits générés par le bien indivis avant le partage, ce qui pourrait entraîner des situations inéquitables.

En pratique, les revenus sont généralement conservés ou placés sur un compte commun au nom de l’indivision jusqu’au partage.

Si un indivisaire a perçu des fruits ou revenus sans les partager, il est tenu de restituer l’excédent aux autres indivisaires. Ce mécanisme vise à garantir l’équité entre les coindivisaires et à préserver les intérêts de chacun.

F) Les plus-values et moins-values

Dans le cadre d’une indivision, les plus-values et les moins-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments susceptibles d’être intégrés au partage. Ces variations de valeur, qu’elles résultent d’évolutions économiques, d’investissements ou encore de la gestion active des biens par l’un des indivisaires, influencent directement l’équilibre patrimonial au sein de l’indivision.

Le partage de ces fluctuations vise à garantir que chaque indivisaire bénéficie ou supporte les effets des changements affectant la valeur des biens indivis, conformément à ses droits dans l’indivision. Ce mécanisme assure une répartition équitable, tenant compte des enrichissements ou des diminutions de valeur intervenus pendant la période indivise.

Lors de la liquidation de l’indivision, les plus-values et moins-values sont évaluées au moment du partage, permettant une prise en compte actualisée des biens indivis. Ainsi, ces variations s’intègrent dans la répartition, traduisant une juste répartition des bénéfices ou pertes accumulés au cours de la gestion collective.

1. Les plus-values dans l’indivision

Les plus-values réalisées sur les biens indivis constituent des éléments importants pouvant faire l’objet d’un partage. Ces plus-values peuvent résulter de plusieurs facteurs :

  • L’évolution naturelle des prix du marché immobilier ou financier. Par exemple, une augmentation du prix de l’immobilier peut générer une plus-value sur un immeuble détenu en indivision.
  • Les investissements réalisés sur les biens indivis, tels que des travaux d’amélioration ou de rénovation, qui augmentent la valeur des biens. Ces investissements peuvent être réalisés soit par l’ensemble des indivisaires, soit par un seul indivisaire.

Lorsqu’une plus-value est constatée, elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de celui qui aurait initié les travaux ou géré le bien. Conformément au principe d’équité, toute augmentation de la valeur des biens indivis est répartie proportionnellement entre les indivisaires, chacun percevant une part en fonction de ses droits dans l’indivision.

Cependant, lorsqu’une plus-value est le résultat direct de la gestion active d’un bien indivis par un indivisaire (par exemple, dans le cadre de la gestion d’un fonds de commerce indivis), cet indivisaire a la possibilité de réclamer une rémunération pour sa gestion.

Cette règle a été consacrée par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 1996 aux termes duquel elle a reconnu que la plus-value résultant de la gestion par un indivisaire accroît l’actif indivis, mais que cet indivisaire peut être indemnisé pour son activité de gestion (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).

Dans cette affaire, un époux avait continué à gérer un fonds de commerce après la dissolution de la communauté post-communautaire, mais alors que les biens étaient encore en indivision.

Sa gestion avait permis une augmentation de la valeur du fonds de commerce, générant ainsi une plus-value.

Le litige portait sur la question de savoir si cette plus-value devait revenir uniquement à l’époux ayant géré le fonds, ou si elle devait être partagée entre les autres indivisaires.

La Cour de cassation a jugé que la plus-value résultant de la gestion d’un indivisaire sur un bien indivis accrue à l’indivision, c’est-à-dire qu’elle devait bénéficier à tous les indivisaires.

Cependant, la Cour a également précisé que l’indivisaire ayant géré le fonds pouvait demander une rémunération pour sa gestion, sous réserve que cette gestion ait été dans l’intérêt commun de l’indivision.

L’octroi de cette rémunération permet de compenser l’effort de gestion tout en préservant le principe que les fruits de l’indivision doivent être partagés.

La rémunération accordée à l’indivisaire peut prendre plusieurs formes, comme une indemnité de gestion ou une participation aux bénéfices générés par le bien. Cette indemnisation est soumise à l’approbation des autres indivisaires ou, à défaut, à une décision judiciaire en cas de désaccord.

2. Les pertes dans l’indivision

Les pertes subies par les biens indivis peuvent également faire l’objet d’un partage entre les indivisaires, conformément au principe de proportionnalité des droits dans l’indivision.

Ces pertes, qu’elles soient liées à des circonstances économiques, des incidents ou une gestion déficiente, impactent collectivement la masse partageable au moment de la liquidation de l’indivision.

Ces pertes peuvent être dues à plusieurs facteurs, tels que :

  • Des dépréciations économiques : une baisse du marché immobilier, par exemple, peut entraîner une diminution de la valeur des biens indivis, affectant ainsi la masse partageable lors de la liquidation.
  • Des incidents ou sinistres : un bien indivis endommagé par un sinistre (incendie, inondation, etc.) peut entraîner des pertes financières, à moins qu’une indemnité d’assurance ne compense cette perte.
  • La mauvaise gestion des biens indivis : si les biens indivis sont mal entretenus ou sous-exploités, leur valeur peut diminuer, entraînant une perte pour l’ensemble des indivisaires.

Cependant, la jurisprudence prévoit une exception importante : si les pertes sont imputables à la faute ou à la négligence d’un indivisaire, celui-ci peut être tenu pour responsable personnellement de ces pertes.

Par exemple, si un indivisaire, en tant que gérant des biens indivis, a pris des décisions qui ont causé une dégradation importante de la valeur des biens ou des pertes financières injustifiées, il pourrait être tenu de compenser ces pertes au bénéfice des autres indivisaires.

Cette responsabilité est souvent invoquée dans les cas où un indivisaire gère un bien indivis de manière négligente ou en ne tenant pas compte de l’intérêt commun de tous les coindivisaires.

II) Estimation des biens à partager

A) Estimation des biens corporels

1. Modes d’estimation

L’estimation des biens à partager constitue une étape importante sinon déterminante dans l’établissement de la masse partageable. Elle vise à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, en tenant compte de la valeur des biens à partager. Dans le cadre d’un partage amiable, les parties peuvent convenir elles-mêmes de l’évaluation des biens. En revanche, en l’absence d’accord, elle est assurée par le juge.

En effet, à défaut d’accord entre les copartageants, l’estimation des biens incombe au tribunal. Celui-ci se fonde sur le projet d’état liquidatif établi par le notaire et, le cas échéant, sur l’expertise judiciaire ordonnée à cette fin. Ce rôle du juge, anciennement empreint de rigidité, s’est considérablement assoupli au fil des réformes.

Historiquement, les articles 466 et 824 du Code civil, ainsi que les dispositions de l’ancien Code de procédure civile, imposaient une expertise obligatoire pour l’estimation des immeubles. La loi du 2 juin 1841 et ses évolutions ultérieures ont toutefois conféré au juge une liberté discrétionnaire dans le recours à cette mesure. Désormais, l’expertise immobilière est facultative, même en présence d’incapables, une solution également retenue pour les meubles (Cass. 1ère civ., 28 avril 1964).

La réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a renforcé le rôle du notaire dans les opérations de partage. Alors que l’ancien article 828 du Code civil limitait ses fonctions à l’établissement des comptes et à la composition des lots, le notaire peut désormais procéder à l’estimation des biens mobiliers et immobiliers. Cette compétence élargie, prévue par l’article 1364 du Code de procédure civile, vise à simplifier et accélérer les procédures de partage.

En pratique, le notaire peut s’adjoindre un expert en cas de complexité particulière, notamment pour des biens dont la valeur ou la consistance est difficile à établir. À titre d’exemple, un notaire commis dans une succession comprenant une collection d’art pourrait solliciter un expert pour évaluer précisément les œuvres, une tâche nécessitant une expertise spécialisée.

Lorsque l’intervention d’un expert est requise, celle-ci peut être décidée soit par le notaire, soit directement par le tribunal. Conformément à l’article 232 du Code de procédure civile, les parties peuvent proposer un expert de leur choix. À défaut d’accord, le tribunal désigne un technicien, qui agit dans le cadre des règles applicables aux mesures d’instruction (art. 232 à 248 et 263 à 284 CPC).

Il est également possible de recourir à une mesure d’instruction in futurum (art. 145 CPC), permettant d’anticiper l’évaluation des biens avant même l’introduction d’une demande en partage. Cette solution se révèle particulièrement utile dans les situations urgentes, comme l’évaluation d’un bien risquant de se dégrader.

Certains biens nécessitent des modalités d’estimation particulières. Par exemple, dans le cas des biens de famille insaisissables, leur évaluation devait, sous l’empire de la loi du 12 juillet 1909, être confiée à l’Office agricole du département et homologuée par le juge d’instance.

Par ailleurs, pour garantir une estimation précise, le tribunal peut enjoindre aux parties de communiquer aux experts tous les documents pertinents. À titre d’illustration, dans une affaire où les actions d’une société figurent parmi les actifs, les juges peuvent contraindre la société à fournir des documents financiers non accessibles aux actionnaires (Cass. com., 10 février 1969).

Le juge commis joue un rôle de supervision tout au long de la mesure d’expertise. Il peut notamment adapter la mission de l’expert, gérer les délais, ou encore procéder à son remplacement en cas de défaillance. Ces prérogatives, prévues par les articles 234, 236, 241 et 279 du Code de procédure civile, garantissent la bonne exécution de la mission confiée.

2. Critères d’estimation

L’estimation des biens à partager doit refléter la valeur vénale des biens, tout en tenant compte de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cette évaluation, destinée à garantir une répartition équitable entre les indivisaires, obéit à des critères rigoureux que le notaire ou l’expert désigné devra scrupuleusement respecter.

Historiquement, l’article 825 du Code civil imposait que l’estimation des biens soit réalisée « à juste prix et sans crue », une précision devenue aujourd’hui inutile tant il est évident que l’évaluation doit refléter la juste valeur marchande. Ce principe, destiné à prévenir les sous-estimations ou les surévaluations arbitraires, constitue le fondement de toute estimation dans le cadre des opérations de partage. Il garantit une base équitable sur laquelle s’appuient les indivisaires et le tribunal.

Pour déterminer leur juste valeur, il est essentiel d’évaluer les biens en tenant compte de leur état, entendu comme l’ensemble de leurs caractéristiques matérielles et juridiques. Cela implique d’examiner des éléments tels que leur consistance, leur localisation, leur état de conservation, ainsi que les droits réels ou les charges qui les affectent. Ces aspects, qui influencent directement la valeur vénale, doivent être scrupuleusement pris en compte.

Ainsi, un bien immobilier situé dans une zone urbaine recherchée ou bénéficiant d’une desserte optimale verra sa valeur significativement accrue. En revanche, un bien grevé d’un bail commercial ou frappé d’une hypothèque sera nécessairement déprécié. Par exemple, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 17 mars 1987 qu’un immeuble loué devait être évalué en tenant compte de la dépréciation résultant du bail en cours, sauf si l’attributaire du bien est également le locataire, auquel cas l’évaluation se fait comme si le bien était libre (Cass. 1ère civ. 1re, 17 mars 1987, n°85-15.700).

Dans cette affaire, un domaine agricole grevé d’un bail à ferme avait été attribué à titre préférentiel au preneur, en l’occurrence l’un des héritiers. La Cour d’appel avait initialement suivi l’expertise, qui proposait une réduction de 20 % de la valeur du bien pour tenir compte du bail. Toutefois, elle avait ensuite estimé, à juste titre selon la Cour de cassation, que ce bail devait être considéré comme éteint du fait de la réunion sur la tête de l’attributaire des qualités de propriétaire et de fermier. Cette confusion des qualités, engendrée par l’attribution préférentielle, rendait donc l’abattement inopérant.

La Cour de cassation a ainsi confirmé que l’évaluation d’un bien grevé d’un bail devait, en cas d’attribution au locataire, être réalisée comme si le bien était libre, car l’attributaire recueillait en réalité une pleine propriété, dénuée de toute occupation locative.

En matière immobilière, les critères d’estimation incluent non seulement les caractéristiques intrinsèques du bien, mais également son potentiel futur. La consistance du bien, sa situation géographique, sa constructibilité, ainsi que les perspectives offertes par son classement en zone constructible ou urbanisable sont autant de facteurs à considérer. Les juges, lorsqu’ils évaluent une parcelle de terrain, peuvent tenir compte de la valeur qu’elle prendrait en raison de sa qualité de terrain à bâtir, y compris lorsque cette qualité repose sur des perspectives d’urbanisation futures. Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la valeur actuelle d’un bien peut être appréciée en fonction d’un élément futur, dès lors que cet élément est pertinent pour déterminer les intérêts en présence.

En l’espèce, une parcelle cadastrée a été évaluée en tenant compte de l’éventuelle valeur qu’elle prendrait si elle obtenait la qualité de terrain constructible, perspective jugée suffisamment tangible pour justifier cette prise en considération. La Haute juridiction a confirmé que cette méthode, fondée sur une appréciation souveraine des juges du fond, ne violait pas la loi et pouvait être retenue pour refléter la réalité économique au jour du partage (Cass. 1ère civ., 9 juillet 1985, n°84-12.478).

En outre, l’existence d’un bail ou d’une autre forme d’occupation impacte nécessairement la valeur d’un bien lors de son évaluation dans le cadre d’un partage. Lorsqu’un domaine agricole grevé d’un bail rural est attribué à titre préférentiel, la Cour de cassation a jugé que la valeur du bien devait intégrer la dépréciation induite par ce bail, car celui-ci, strictement personnel au preneur, ne s’éteint pas du fait du partage (Cass. 1ère civ., 21 novembre 1995, n°93-17.719).

Dans cette affaire, un domaine agricole avait été attribué à titre préférentiel à une héritière, dont le mari était titulaire d’un bail rural sur cette exploitation. Un abattement de 30 % avait été proposé par l’expert en raison de l’existence de ce bail. La sœur de l’attributaire contestait cette évaluation, soutenant que le bien devait être estimé comme s’il était libre, au motif que la condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, exigée pour l’attribution préférentielle, avait été remplie par le mari preneur.

La Cour de cassation, confirmant la décision de la cour d’appel, a rejeté cet argument en précisant que le bail rural, étant un droit strictement personnel au preneur, ne tombait pas en communauté et continuait donc de grever le bien attribué. Elle a souligné que la règle de l’égalité du partage imposait que le bien soit évalué en tenant compte de cette charge, malgré l’attribution préférentielle. La condition de participation à la mise en valeur de l’exploitation, bien que remplie par le conjoint preneur, n’avait pas pour effet de rendre le bien libre de toute occupation.

S’agissant des biens meubles, bien que répondant aux mêmes principes, ils requièrent l’utilisation d’une méthode d’évaluation adaptée à leur nature. Pour les meubles courants, l’évaluation repose généralement sur leur valeur marchande, déterminée par comparaison avec des biens similaires. Pour les biens spécifiques, tels que des œuvres d’art ou des valeurs mobilières non cotées, il peut être nécessaire de recourir à une expertise spécialisée. Ainsi, une collection d’art devra être évaluée en tenant compte de la cote des artistes et des tendances du marché, une tâche exigeant une compétence technique particulière.

L’évaluation des biens, qu’ils soient immobiliers ou meubles, s’appuie souvent sur la méthode comparative, qui consiste à confronter le bien à des références similaires sur le marché. Cette approche, utilisée notamment pour les terrains ou les exploitations agricoles, permet de garantir une estimation précise et objective. Les notaires ou experts peuvent s’appuyer sur les données fournies par des organismes spécialisés tels que les chambres notariales ou la SAFER, qui offrent des points de référence fiables.

En cas de litige sur la valeur d’un bien, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain pour déterminer les bases de l’évaluation. Ils peuvent fonder leur estimation sur des critères économiques ou patrimoniaux propres au bien en cause, en s’appuyant sur les usages du secteur concerné. Par exemple, dans un arrêt rendu le 24 novembre 1969, la Cour de cassation a confirmé qu’un fonds de commerce devait être évalué selon les bénéfices réalisés lors des deux dernières années, conformément aux pratiques du commerce concerné (Cass. 1ère civ., 24 nov. 1969).

Dans cette affaire, un fonds de commerce d’imprimerie, légué par testament, faisait l’objet de contestations quant à son évaluation dans le cadre de la liquidation successorale. La Cour d’appel avait estimé la valeur des éléments incorporels du fonds en retenant les bénéfices des deux dernières années, après avoir pris en considération la situation des locaux où l’imprimerie était exploitée. La Cour de cassation a validé cette approche, rappelant que les juges du fond, après avoir exposé leurs motifs, exercent une appréciation souveraine sur la méthode d’évaluation, pourvu qu’elle repose sur des éléments rationnels et cohérents avec les usages du commerce.

Cette solution illustre la marge de manœuvre accordée au juge pour établir une évaluation réaliste et équitable des biens en litige, tout en respectant les spécificités économiques du bien évalué. Elle met en lumière l’importance des données sectorielles et des pratiques professionnelles pour déterminer la juste valeur d’un fonds de commerce ou d’autres actifs comparables.

3. Moment de l’estimation

L’établissement de la masse partageable, dans le cadre d’une succession ou d’une indivision, repose sur une évaluation précise et équitable des biens. L’article 829 du Code civil consacre la règle selon laquelle ces biens doivent être estimés à leur valeur à la date dite de la jouissance divise, laquelle correspond à un moment proche de la réalisation du partage.

Si ce principe semble limpide, son application exige parfois des aménagements pour répondre à des situations particulières ou pour préserver l’équilibre entre les copartageants.

i. Principe

==>Evolution jurisprudentielle

Longtemps, la détermination de la date d’évaluation des biens composant la masse partageable a suscité d’intenses débats doctrinaux et jurisprudentiels, oscillant entre tradition formaliste et pragmatisme économique.

Dans les premiers temps, la jurisprudence semblait privilégier une approche fondée sur l’effet déclaratif du partage, selon laquelle les héritiers sont réputés propriétaires des biens qui leur sont attribués dès l’ouverture de la succession. Cette orientation conduisait naturellement à retenir, comme référence pour l’évaluation des biens, la date du décès du de cujus.

Ainsi, plusieurs arrêts de la Cour de cassation, rendus au cours du XIXe siècle, avaient consacré cette solution, notamment en matière successorale (Cass. req. 23 juin 1873, DP 1874.1.173) ainsi qu’en matière de communauté conjugale, où la dissolution du régime matrimonial marquait le point de départ de l’évaluation (Cass. req. 8 juin 1868, DP 1871.1.224).

Cette approche trouvait un certain écho dans la doctrine classique, attachée au respect de l’effet rétroactif du partage et à la logique patrimoniale de continuité des droits. Comme le notait déjà Gabriel Baudry-Lacantinerie, « l’évaluation à la date du décès se justifie par la continuité des droits successoraux, l’héritier étant censé propriétaire des biens dès cette date »[1].

Cependant, cette solution ne tarda pas à être remise en question par la pratique notariale, plus soucieuse de refléter la réalité économique des biens au moment où ils sont effectivement attribués aux copartageants. Il devenait en effet manifeste que, dans nombre d’hypothèses, un intervalle significatif s’écoulait entre la naissance de l’indivision et sa liquidation, exposant ainsi les biens à d’importantes variations de valeur. Or, une évaluation figée à la date de l’ouverture de la succession, sans tenir compte de ces fluctuations, risquait de fausser gravement l’équilibre entre les copartageants.

Ce constat, déjà perceptible dans la pratique des professionnels du droit, prit une dimension majeure dans le contexte de la dépréciation monétaire consécutive à la Première Guerre mondiale. À cet égard, le professeur Ripert relevait avec lucidité que « l’instabilité monétaire a bouleversé les règles applicables au partage des successions, rendant inacceptable toute évaluation des biens antérieure à leur répartition effective »[2]. Les biens immobiliers, les valeurs mobilières et les créances, soumis aux aléas économiques, pouvaient connaître des plus-values ou des moins-values substantielles, remettant en cause l’égalité des lots et, par conséquent, la justice même du partage.

Face à cette réalité économique, la pratique notariale s’est donc orientée vers une estimation au jour du partage, seule à même d’assurer une répartition équitable des biens, quelles que soient les évolutions intervenues pendant la durée de l’indivision.

La doctrine a rapidement pris acte de cette pratique professionnelle commandée par le pragmatisme. Pierre Hébraud notait ainsi que « la fixation de la date d’évaluation des biens au jour du partage est un impératif économique et social, car elle seule permet d’assurer une stricte égalité entre les copartageants »[3]. De manière similaire, Jacques Flour relevait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage aboutirait à des inégalités criantes, favorisant ou pénalisant certains héritiers de manière arbitraire, en fonction de l’évolution des marchés »[4].

La jurisprudence, initialement réticente à cette approche pragmatique, évolua progressivement sous l’influence de la doctrine et des besoins pratiques. C’est ainsi que, dès l’entre-deux-guerres, la Cour de cassation, consciente des enjeux posés par les fluctuations monétaires, se rallia au principe de l’évaluation des biens à la date la plus proche possible de la répartition effective.

Un arrêt rendu le 20 avril 1928 par la Cour de cassation constitue un jalon important dans cette évolution jurisprudentielle (Cass. civ. 20 avr. 1928). La Haute juridiction y reconnaît que, pour garantir l’égalité entre les copartageants, il est nécessaire de procéder à l’estimation des biens à une date reflétant leur valeur réelle au moment où ils sont attribués, afin de répartir équitablement les plus-values ou les moins-values intervenues durant la période d’indivision.

Cette orientation sera confirmée par un arrêt de principe rendu le 11 janvier 1937 aux termes duquel la Cour de cassation affirme très clairement que les biens doivent être évalués au jour du partage et non à celui du décès (Cass. civ. 11 janv. 1937). Comme a pu le souligner à ce sujet Gérard Champenois, « l’arrêt de 1937 marque une véritable rupture dans la jurisprudence française, en ce qu’il consacre la primauté de l’évaluation au jour du partage, mettant fin aux incertitudes antérieures sur la date de référence »[5].

La motivation sous-jacente à cette solution réside dans l’idée que, tant que le partage n’a pas été effectué, les biens demeurent indivis et chaque indivisaire doit, en toute logique, profiter des plus-values ou supporter les moins-values liées à leur évolution. Ainsi, Jean Patarin observe avec justesse que « le maintien de l’évaluation à la date du décès reviendrait à ignorer la réalité économique, en figeant des valeurs qui ne correspondent plus aux circonstances réelles du partage »[6]. Cette jurisprudence, qui consacre définitivement le principe de l’évaluation au jour du partage, fut rapidement accueillie favorablement par la doctrine, au point de devenir une référence incontournable dans les règlements successoraux.

En somme, avant même d’être consacrée par la loi, la solution de l’évaluation au jour du partage s’était imposée dans la pratique et la jurisprudence comme une nécessité économique et juridique, permettant de garantir une répartition équitable des biens entre les copartageants. A cet égard, comme l’a justement écrit Pierre Catala, « le choix de la date d’évaluation n’est pas un simple détail technique : il touche au cœur même de l’équité successorale, en déterminant si le partage sera juste ou inique »[7].

==>Le choix de l’estimation au jour du partage

À l’origine, le Code civil de 1804 était silencieux sur la date d’estimation des biens à partager. Le seul article faisant référence à cette question était l’article 890, lequel se limitait à poser une règle spécifique se rapportant à la lésion. Ce texte, dans sa version initiale, disposait que « pour juger s’il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l’époque du partage ». Cette disposition traduisait une volonté de garantir que les lots constitués lors du partage reflètent les valeurs réelles des biens au moment de leur répartition, afin d’éviter qu’un copartageant, lésé par des fluctuations de valeur, ne soit désavantagé. Toutefois, cet article ne concernait que l’hypothèse particulière de la lésion, sans offrir de cadre général pour l’estimation des biens dans toutes les opérations de partage.

La première étape vers une généralisation de ce principe fut franchie avec la loi n°61-1378 du 19 décembre 1961, qui a modifié l’ancien article 832 du Code civil. Ce texte a introduit l’exigence selon laquelle les biens faisant l’objet d’une attribution préférentielle, tels que les immeubles ou les fonds de commerce, devaient être estimés à leur valeur au jour du partage. Cette réforme visait à prévenir les déséquilibres pouvant naître d’une évaluation figée à une date antérieure, notamment à la dissolution de la communauté matrimoniale ou à l’ouverture de la succession. En effet, des biens attribués à un copartageant sur la base d’une valeur obsolète auraient pu entraîner des distorsions importantes entre les lots, compte tenu des fluctuations de marché. La réforme de 1961 marquait ainsi une prise de conscience du législateur de la nécessité d’actualiser les estimations des biens pour préserver l’équité entre copartageants.

Cette orientation a été confirmée et élargie par la loi n° 71-523 du 3 juillet 1971, qui a introduit des dispositions relatives au calcul des rapports et des réductions en valeur. Les articles 860 et 868 du Code civil, dans leur rédaction issue de cette réforme, prévoyaient que les opérations de rapport et de réduction devaient être réalisées sur la base des valeurs actualisées au jour du partage. Ce choix législatif traduisait une volonté claire de ne pas figer les valeurs des biens à des dates antérieures, mais de tenir compte des évolutions économiques survenues pendant la période d’indivision. À cet égard, Jacques Flour soulignait que « toute évaluation des biens à une date antérieure à celle du partage risquerait de créer des déséquilibres flagrants, en fonction des fluctuations de valeur intervenues entre la dissolution de l’indivision et sa liquidation ».

La consécration du principe d’estimation des biens à partager à la date du partage, qui avait été posé par la jurisprudence dès 1937, est intervenue avec la loi du 23 juin 2006, laquelle a introduit dans le Code civil l’actuel article 829. Cet article dispose en ce sens que « les biens sont estimés à leur valeur à la date de la jouissance divise telle qu’elle est fixée par l’acte de partage, en tenant compte, s’il y a lieu, des charges les grevant ». Cette date doit être « la plus proche possible du partage » afin de refléter fidèlement la réalité économique des biens au moment de leur répartition. L’article prévoit également, à son alinéa 3, la possibilité d’une modulation de la date d’estimation, en permettant au juge de fixer une date d’évaluation antérieure lorsque cela apparaît nécessaire pour rétablir l’égalité entre les copartageants. Ce mécanisme permet notamment de prévenir les inégalités susceptibles de naître d’un retard prolongé dans les opérations de partage, ou lorsque les biens indivis ont subi des variations de valeur significatives pendant la période d’indivision.

==>Principe de l’unicité de la date d’estimation

Outre l’exigence de fixer l’estimation des biens à partager à la date la plus proche possible du partage effectif, l’évaluation des actifs composant la masse partageable répond à un autre impératif fondamental : celui de l’unicité de la date d’estimation. Ce principe, qui découle directement de l’objectif d’égalité entre copartageants, impose que tous les biens soient évalués simultanément, à une même date, afin de garantir une répartition équilibrée des lots. Il ne saurait être question de privilégier l’un des copartageants en tenant compte de fluctuations de valeur intervenues postérieurement à une première évaluation partielle, au risque de compromettre l’équité des opérations de partage.

Cette exigence d’unité s’explique par la nature même des biens indivis. Chaque bien, qu’il s’agisse d’un immeuble, de valeurs mobilières ou d’une créance, est susceptible de connaître une évolution distincte de sa valeur au fil du temps. Une estimation à des dates différentes pourrait dès lors entraîner des distorsions considérables dans la répartition des lots. Comme le relevait déjà la doctrine classique, « il importe que les biens soient estimés dans un cadre temporel identique, de manière à éviter que les variations de leur valeur ne viennent fausser l’équilibre recherché lors du partage »[8]. La Cour de cassation a, par une jurisprudence constante, rappelé que l’unicité de la date d’estimation constitue une exigence essentielle à la réalisation d’un partage juste et équilibré (Cass. 1re civ., 1er déc. 1965).

L’unité de la date d’évaluation permet également d’éviter les débats interminables quant à l’évolution des biens entre deux dates successives. Si chaque bien devait être évalué à un moment distinct, les contestations risqueraient d’être nombreuses, les copartageants pouvant chacun faire valoir que certaines évolutions leur sont préjudiciables ou, au contraire, profitables. La règle de l’unicité écarte ces difficultés en fixant un cadre temporel unique pour l’ensemble des estimations, ce qui permet de clore les débats sur la valeur des biens au jour du partage. À cet égard, Jacques Flour rappelait que « la simultanéité des évaluations est la clé de voûte des opérations de partage : elle neutralise les aléas des marchés et replace les copartageants dans une situation d’égalité parfaite ».

Enfin, il convient de noter que l’unicité de la date d’évaluation ne se limite pas à une simple exigence technique. Elle traduit une véritable exigence de justice successorale. En fixant un moment unique pour apprécier la valeur des biens, le partage reflète une photographie économique figée, garantissant que chaque copartageant reçoit un lot correspondant à une valeur réelle et non à une valeur affectée par des variations postérieures. Comme le souligne Gérard Champenois, « l’unicité de la date d’estimation est le prolongement naturel du principe d’égalité qui gouverne les opérations de partage. Elle permet d’assurer une stricte équité en neutralisant les effets des évolutions économiques imprévisibles »[9].

ii. Mise en œuvre

==>La fixation de la date de la date de la jouissance divise

La détermination de la date de jouissance divise constitue une étape essentielle dans les opérations de liquidation et de partage. Elle marque le moment à partir duquel chaque copartageant devient propriétaire des biens qui lui sont attribués, y compris des fruits et revenus produits par ces derniers. Cette date, retenue par l’article 829 du Code civil, est fixée par l’acte de partage ou arrêtée par le juge en cas de partage judiciaire. Sa détermination joue un rôle central dans l’évaluation des biens indivis et garantit une répartition équitable des droits entre les copartageants.

Dans le cadre de partages amiables, le notaire chargé de conduire les opérations de la liquidation insère habituellement une clause de jouissance divise dans l’acte de partage. Cette clause fixe la date à laquelle les estimations des biens doivent être réalisées, en veillant à ce que cette date soit « la plus proche possible du partage », conformément à l’exigence posée par l’article 829, alinéa 2. Ce choix vise à tenir compte des fluctuations économiques susceptibles d’affecter la valeur des biens durant la période d’indivision, afin que chaque copartageant reçoive une part équitable en fonction de la valeur réelle des biens au moment de leur attribution.

Lorsque le partage prend une tournure judiciaire, la fixation de la date de la jouissance divise relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ces derniers doivent apprécier la date la plus proche possible du partage, en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire et de la nécessité de préserver l’égalité entre les copartageants (Cass. 1ère civ., 3 oct. 2019, n°18-20.827). À défaut d’une date explicitement fixée, la décision judiciaire pourrait être dépourvue de toute autorité de la chose jugée quant à la valeur des biens évalués. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’une décision qui statue sur la valeur d’un bien sans préciser la date de jouissance divise n’a pas l’autorité de la chose jugée quant à cette évaluation (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561). Cependant, il est admis que cette date puisse être déduite implicitement des termes du jugement, pourvu que les énonciations permettent de l’identifier sans ambiguïté. Dans un arrêt du 4 janvier 1980, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que, lorsque le dispositif d’un jugement n’aurait aucun sens sans référence à une date d’évaluation précise, celle-ci peut être déduite des motifs, dès lors qu’ils rappellent expressément la règle applicable (Cass. 1ère civ., 4 janv. 1980, n°78-13.596).

L’affaire concernait la liquidation des successions d’un couple décédé respectivement en 1945 et 1964, laissant pour héritiers leurs trois enfants. À la demande de deux indivisaires, le tribunal avait ordonné le partage judiciaire de la communauté réduite aux acquêts ayant existé entre les époux et de leurs successions, désignant un indivisaire comme bénéficiaire d’une attribution préférentielle de biens ruraux. Par un jugement rendu en 1975, le tribunal avait fixé la valeur des biens ainsi que les soultes dues aux autres indivisaires, en précisant que l’évaluation devait être effectuée « au jour le plus proche possible du partage ». Cependant, aucune date de jouissance divise n’avait été expressément arrêtée dans le dispositif.

L’un des indivisaires contesta par la suite le projet d’état liquidatif, estimant nécessaire de réactualiser la valeur des biens. Ce dernier soutenait que le jugement de 1975 n’avait pas fixé la date de la jouissance divise, et qu’en l’absence d’une telle précision, les biens devaient être réévalués au jour du partage effectif. La Cour d’appel, saisie de cette difficulté, rejeta cette demande en considérant que le jugement initial avait implicitement fixé la date d’évaluation des biens à la date de son prononcé. La cour releva que les motifs rappelaient clairement la règle selon laquelle l’évaluation devait se faire au jour le plus proche du partage et que, dès lors, la référence temporelle retenue devait être celle du jugement lui-même.

Le pourvoi formé contre cet arrêt critiquait cette interprétation, affirmant que l’autorité de la chose jugée ne pouvait s’attacher qu’aux dispositions expressément énoncées dans le dispositif d’une décision, et non aux motifs. Cependant, la Cour de cassation rejeta ce moyen. Elle jugea que le dispositif d’un jugement « n’aurait pas de sens s’il ne se référait pas à une date d’évaluation des biens », ajoutant que le dispositif pouvait être éclairé par les motifs dès lors que ceux-ci établissaient sans ambiguïté la date retenue. La Haute juridiction conclut que le jugement rendu par les premiers juges avait, en se référant à la règle d’évaluation au jour du partage, « évalué à sa date les biens attribués par préférence ainsi que les soultes », conférant ainsi à cette décision une autorité de chose jugée sur ce point.

Cette décision, saluée par la doctrine, témoigne d’un pragmatisme juridique nécessaire pour sécuriser les opérations de partage. En effet, comme l’observe Gérard Champenois, « admettre que la date de jouissance divise puisse être déduite implicitement des motifs d’un jugement évite que les opérations de liquidation soient continuellement remises en cause, tout en garantissant une répartition équitable des biens ». La solution adoptée par la Cour de cassation permet ainsi de préserver l’équilibre entre les impératifs d’équité entre les indivisaires et la sécurité juridique des partages judiciaires.

La fixation de la date de jouissance divise revêt une importance particulière dans le cadre d’un partage partiel, où certains biens indivis sont détachés de la masse avant le partage global. Dans ces hypothèses, la règle veut que les biens soient évalués à la date de leur attribution et non lors du partage final. Cette approche se justifie par la nécessité de refléter la valeur réelle des biens au moment où ils sortent de l’indivision, évitant ainsi que les copartageants ne soient affectés par des fluctuations économiques ultérieures.

Toutefois, pour que cette règle trouve à s’appliquer, il est impératif que le partage partiel soit véritable et effectif. La jurisprudence a précisé que l’attribution d’un bien à titre préférentiel par le juge, sans fixation explicite de la date de jouissance divise, ne constitue pas un partage définitif. Dans une telle situation, le bien en question doit être évalué à la date du partage global, car il demeure juridiquement indivis jusqu’à la réalisation complète des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 20 nov. 1990).

Ainsi, un jugement faisant droit à une demande d’attribution préférentielle ne suffit pas, à lui seul, à opérer le détachement définitif du bien concerné de la masse indivise. Dans le cadre d’une demande d’attribution préférentielle, le juge ne procède pas à l’attribution définitive du bien. Il se borne à en ordonner l’attribution dans le partage à intervenir, de sorte que l’évaluation du bien devra nécessairement se faire au moment où le partage global sera réalisé. Comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1993, tant que la date de jouissance divise n’a pas été fixée et que les droits des indivisaires n’ont pas été déterminés de manière définitive, le bien demeure dans la masse indivise et doit être évalué à l’époque du partage effectif (Cass. 1ère civ., 30 juin 1993, n°91-17.804).

==>Les modulations permises

Le principe de l’évaluation des biens au jour du partage, bien que général, n’est pas rigide.

En premier lieu, l’article 829 du Code civil autorise des ajustements puisqu’il est admis que le juge puisse retenir une date antérieure à l’achèvement du partage, dès lors que cela apparaît nécessaire pour préserver l’égalité entre les copartageants (al. 3). Cette faculté de modulation répond à une exigence pratique : elle permet d’éviter que des retards prolongés dans les opérations de partage n’entraînent des déséquilibres significatifs, en particulier lorsque certains biens indivis subissent des dépréciations importantes ou, au contraire, connaissent des plus-values latentes.

La jurisprudence admet ainsi que le juge puisse fixer une date antérieure lorsque les circonstances le justifient. Par exemple, si le partage s’étend sur plusieurs années en raison de litiges ou de recours successifs, une évaluation à une date plus ancienne permet d’éviter qu’un copartageant ne profite indûment des retards pour bénéficier seul d’une plus-value intervenant après la dissolution de l’indivision (Cass. 1ère civ. 1re, 16 mars 1982, n°80-17.244). Gérard Champenois souligne à cet égard que « la faculté laissée au juge de moduler la date d’évaluation constitue une garantie précieuse d’équité, permettant de s’adapter aux réalités économiques tout en préservant les droits des copartageants ».

En deuxième lieu, la jurisprudence admet que l’évaluation des biens à partager puisse être actualisée par le recours à des indices économiques, à condition que ces derniers reflètent fidèlement l’évolution du marché et soient adaptés aux biens concernés. La Cour de cassation s’est prononcée en ce sens dans un arrêt du 25 juin 2008, validant l’utilisation de l’indice trimestriel du coût de la construction pour ajuster la valeur des immeubles composant la masse à partager, lorsque la date de l’expertise initiale est éloignée de celle du partage effectif (Cass. 1ère civ., 25 juin 2008, n°07-17.766).

Dans cette affaire, un indivisaire contestait la réactualisation des évaluations réalisées quatre ans auparavant, estimant que l’application d’un indice générique ne permettait pas de respecter le principe d’évaluation à la date la plus proche du partage. La cour d’appel avait pourtant homologué le rapport d’expertise initial, en précisant que les valeurs estimées seraient majorées en fonction de la variation de l’indice du coût de la construction jusqu’à la date du procès-verbal de liquidation de la succession.

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cette décision, considérant que la cour d’appel avait souverainement apprécié que les attestations produites ne démontraient pas une sous-évaluation des biens par l’expert. Elle a relevé que la croissance du marché immobilier était de nature à affecter les estimations, justifiant ainsi l’ajustement opéré. En outre, il n’était pas soutenu que les caractéristiques spécifiques des biens s’étaient modifiées depuis l’expertise initiale. La Haute juridiction en a déduit que l’actualisation des évaluations par le biais de l’indice retenu pouvait être admise, à condition qu’elle repose sur une constatation précise de l’évolution du marché et que l’indice soit pertinent par rapport aux biens concernés.

Cette solution s’inscrit dans une démarche pragmatique visant à éviter le recours à des expertises successives lorsque le partage s’étend sur une période prolongée. Toutefois, comme le souligne Jacques Flour, « le recours à l’indexation n’est envisageable que dans la mesure où il permet d’éviter une distorsion entre la valeur théorique et la réalité économique des biens à partager ». L’utilisation d’un indice doit donc être justifiée par des éléments concrets démontrant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle du bien concerné. À défaut, la décision pourrait être jugée dépourvue de base légale.

En définitive, si la jurisprudence admet le recours à une réévaluation indiciaire, elle en encadre strictement les conditions. L’indexation ne doit pas être utilisée de manière systématique ou abstraite, mais doit refléter les fluctuations réelles du marché, afin de garantir une répartition juste et équilibrée des biens entre les copartageants.

En dernier lieu, il convient de souligner que la règle de l’unicité de la date d’évaluation des biens, bien qu’elle soit un corollaire naturel du principe d’égalité entre copartageants, ne revêt pas un caractère absolu. Il est admis que les copartageants puissent convenir de fixer des dates distinctes d’évaluation pour certains biens, à condition que l’équilibre des lots soit préservé et que l’objectif d’une répartition équitable ne soit pas compromis. Cette tolérance trouve son fondement dans une jurisprudence constante, qui a progressivement ouvert la voie à des aménagements pragmatiques, adaptés aux réalités de chaque situation successorale.

L’arrêt rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 avril 2005 illustre parfaitement cette approche. En l’espèce, à la suite du divorce de deux époux soumis au régime de la communauté, le juge chargé de la surveillance du partage avait constaté leur accord pour attribuer à l’épouse un bien immobilier évalué à 500 000 francs, tandis qu’un autre bien revenait à l’ex-époux. Toutefois, avant que cet accord ne soit homologué, l’immeuble attribué à l’épouse fut vendu pour un montant de 650 000 francs. Le copartageant demanda alors que cette nouvelle valeur soit prise en compte dans les opérations de liquidation-partage, invoquant le principe selon lequel les biens doivent être évalués à la date la plus proche du partage effectif.

La Cour de cassation rejeta cette demande en affirmant que les copartageants avaient librement convenu d’une évaluation différente, laquelle avait été entérinée par une décision judiciaire devenue définitive. La Haute juridiction précisa qu’« il appartient aux copartageants de convenir d’en évaluer certains biens à une date distincte », dès lors que cette dérogation garantit un partage équilibré (Cass., ass. plén., 22 avr. 2005, n°02-15.180). En l’occurrence, la cour d’appel avait relevé que l’accord conclu entre les parties assurait une stricte égalité des lots et que la vente ultérieure du bien à un prix supérieur n’avait pas modifié les attributions initiales ni les intentions des parties.

Cette solution, saluée par la doctrine, traduit une volonté de préserver la sécurité juridique des opérations de partage, tout en introduisant une flexibilité nécessaire pour éviter des contentieux interminables sur la valeur des biens. Comme l’a justement observé Philippe Simler, « la possibilité laissée aux copartageants de fixer des dates d’évaluation distinctes permet d’adapter le partage aux spécificités de certains biens, tout en respectant le principe fondamental d’égalité ». Cette souplesse est particulièrement utile dans les situations où la jouissance privative d’un bien par l’un des indivisaires vient compenser un écart de valeur entre les lots. Par exemple, un immeuble occupé par un copartageant pendant l’indivision peut être évalué à une date antérieure afin de tenir compte de l’avantage tiré de cette jouissance.

Toutefois, cette faculté de modulation demeure encadrée. La Cour de cassation a rappelé que la fixation de dates d’évaluation distinctes doit avoir pour finalité de préserver l’équilibre global du partage et ne saurait aboutir à rompre l’égalité entre les copartageants. Ainsi, dans une affaire ultérieure, la première chambre civile a censuré une cour d’appel qui avait fixé des dates différentes sans démontrer que cette différenciation garantissait l’équilibre des lots (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2006, n°04-19.356).

==>Les modulations interdites

Tout d’abord, bien que la jurisprudence admette certaines modulations dans le choix de la date d’évaluation, elle impose également des limites strictes. En particulier, la Cour de cassation exclut toute réévaluation automatique des biens par voie d’indexation abstraite. Cette interdiction vise à prévenir les risques d’erreur ou d’arbitraire, liés à une actualisation purement mécanique des valeurs, qui ne tiendrait pas compte des caractéristiques propres des biens concernés.

Ainsi, dans un arrêt du 14 novembre 2006, la Cour de cassation a fermement rappelé que toute réévaluation fondée sur un indice économique doit être justifiée par des éléments précis établissant un lien direct entre l’évolution de cet indice et celle de la valeur réelle des biens indivis (Cass. 1re civ., 14 nov. 2006, n° 04-18.879). En l’espèce, la cour d’appel avait décidé de retenir les estimations d’un expert immobilier réalisées plusieurs années avant le partage, tout en les actualisant à l’aide de l’indice trimestriel du coût de la construction. Cette méthode visait à tenir compte de la forte croissance du marché immobilier constatée entre la date de l’expertise et celle du partage effectif.

Cependant, la Haute juridiction a censuré cette décision, au motif que la cour d’appel n’avait pas précisé en quoi l’évolution de l’indice retenu pouvait correspondre à celle des biens en question. La Cour de cassation a ainsi reproché aux juges du fond d’avoir adopté une réévaluation purement abstraite, déconnectée des caractéristiques concrètes des biens immobiliers concernés. Elle a souligné que l’indexation ne saurait être admise que si elle reflète fidèlement les variations réelles de valeur des biens objets du partage, et non une simple évolution générale du marché de la construction.

Cette décision illustre l’exigence d’une justification circonstanciée pour toute actualisation basée sur des indices économiques. Comme le relève la doctrine, une indexation systématique et aveugle serait contraire au principe d’équité qui doit présider aux opérations de partage. L’arrêt du 14 novembre 2006 s’inscrit ainsi dans une ligne jurisprudentielle constante, rappelant que le juge doit éviter toute approximation dans l’évaluation des biens, sous peine de priver sa décision de base légale.

Ensuite, il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens. Cette interdiction repose sur le principe selon lequel les décisions concernant la valeur des biens doivent relever exclusivement du pouvoir juridictionnel, afin de garantir l’autorité de la chose jugée. Dans un arrêt rendu le 8 décembre 1993, la Cour de cassation a fermement rappelé qu’il est interdit au juge de déléguer au notaire liquidateur le pouvoir de fixer la date d’évaluation des biens à partager (Cass. 1ère civ., 8 déc. 1993, n°91-19.846).

En l’espèce, à la suite d’un divorce, la cour d’appel avait attribué préférentiellement un immeuble commun à l’un des époux, en retenant la valeur estimée par un expert judiciaire. Toutefois, elle avait également décidé que l’actualisation de cette évaluation serait effectuée par le notaire chargé de la liquidation des comptes entre les parties. La Cour de cassation a censuré cette délégation au motif que le juge doit lui-même fixer la valeur des biens à la date du partage et ne peut confier cette tâche à un officier public, fût-il un notaire.

La Haute juridiction a ainsi souligné que la détermination de la date d’évaluation des biens constitue une prérogative relevant de l’office exclusif du juge. Ce pouvoir ne saurait être abandonné au notaire liquidateur, car une telle délégation priverait la décision judiciaire de son autorité et ferait peser un risque d’insécurité juridique sur les opérations de partage.

Cette décision illustre l’importance du rôle du juge dans les opérations de liquidation-partage. En fixant lui-même la valeur des biens au jour du partage, le juge s’assure que les droits des parties sont protégés et que les principes d’équité et d’impartialité sont respectés. Toute délégation à un tiers, même à un notaire, compromettrait cette exigence fondamentale et risquerait de créer des situations d’incertitude préjudiciables à la stabilité des relations patrimoniales.

Enfin, Outre l’exigence de fixer une date unique pour l’évaluation des biens à partager, le respect de la stabilité des opérations successorales implique que cette date, une fois arrêtée, bénéficie de l’autorité de la chose jugée. En effet, la fixation de la date de la jouissance divise constitue une étape décisive dans la liquidation de l’indivision, dès lors qu’elle détermine la valeur des biens indivis à prendre en compte dans le partage. Par conséquent, il est en principe exclu de revenir sur cette date une fois les opérations de partage devenues définitives.

Aussi, la Cour de cassation a réaffirmé à plusieurs reprises que l’autorité de la chose jugée interdit de demander une nouvelle évaluation des biens après l’homologation du partage, sous peine de compromettre la sécurité juridique des héritiers. Dans un arrêt du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a censuré une demande tendant à modifier la date de la jouissance divise au motif que cette date avait déjà été fixée dans une décision irrévocable, précisant que la stabilité des opérations de partage exige que les valeurs arrêtées ne soient pas remises en cause, sauf à fragiliser l’ensemble des droits des copartageants (Cass. 1ère civ., 24 oct. 1972, n°71-11.883).

En l’espèce, le partage d’une communauté post-divorce avait donné lieu à l’établissement d’un état liquidatif par un notaire, lequel avait fixé la date de la jouissance divise au 1er septembre 1948. Ce partage avait été entériné par un jugement du 2 novembre 1950, confirmé par un arrêt rendu le 6 mai 1952, devenu irrévocable. Toutefois, plusieurs années plus tard, l’un des copartageants a sollicité une nouvelle évaluation des biens sur la base d’une jouissance divise à fixer à une date plus récente, invoquant les dispositions issues de la loi du 13 juillet 1965, notamment l’article 1469 du Code civil relatif au calcul des récompenses.

La Cour de cassation a fermement rejeté cette demande, rappelant que la fixation de la date de la jouissance divise par une décision définitive interdit toute réévaluation ultérieure, sauf circonstances exceptionnelles. La Haute juridiction a insisté sur le fait que les décisions judiciaires fixant la date de la jouissance divise bénéficient de l’autorité de la chose jugée, laquelle s’étend non seulement à la valeur des biens, mais aussi à la date à laquelle ces valeurs doivent être appréciées. En modifiant cette date, les juges d’appel auraient violé ce principe fondamental, portant ainsi atteinte à la sécurité juridique des opérations de partage.

Cependant, la Cour de cassation a précisé que l’autorité de la chose jugée relative à la fixation de la jouissance divise est provisoire, et non absolue. Une révision de cette date peut être envisagée dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsque des retards considérables dans les opérations de partage rendent la date initialement retenue inappropriée au regard de l’objectif d’égalité entre les copartageants.

Dans l’arrêt précité du 24 octobre 1972, la Haute juridiction a ainsi admis qu’un retard substantiel pouvait légitimer la fixation d’une nouvelle date de jouissance divise, dès lors que le maintien de la date initiale compromettrait l’équilibre des lots. Cette possibilité, toutefois strictement encadrée, ne peut être admise que si elle répond à une nécessité impérieuse dictée par les circonstances de la cause. Loin de constituer un ajustement opportuniste, elle vise à éviter que l’application rigide d’une date devenue obsolète n’entraîne des déséquilibres préjudiciables, tout en assurant la stabilité des opérations successorales.

Cette solution jurisprudentielle souligne l’importance de concilier sécurité juridique et équité entre copartageants. Si la fixation d’une date de jouissance divise ne saurait être modifiée sans justification sérieuse, il est également impératif que cette date reste pertinente par rapport à la réalité économique au moment du partage. En d’autres termes, l’autorité de la chose jugée ne doit pas se transformer en un obstacle rigide, empêchant les juges de s’adapter aux situations particulières lorsque l’intérêt des copartageants l’exige.

En revanche, la jurisprudence exclut toute révision de la date de la jouissance divise lorsque celle-ci a été expressément fixée par une décision irrévocable et que le partage a été définitivement homologué. Cette règle vise à éviter que les valeurs arrêtées lors du partage ne soient remises en cause de manière intempestive, ce qui risquerait de fragiliser les droits acquis par les copartageants et de générer des contentieux incessants. Comme l’a justement observé Pierre Catala, « l’autorité de la chose jugée en matière de partage est une garantie essentielle de stabilité et de sécurité juridique, qui interdit toute remise en cause des valeurs arrêtées, sauf circonstances exceptionnelles ».

Toutefois, pour que l’autorité de la chose jugée puisse pleinement s’appliquer, il est indispensable que la date de la jouissance divise ait été expressément fixée par le juge. À défaut, les évaluations des biens pourraient être contestées ultérieurement, créant une incertitude juridique préjudiciable aux indivisaires. La Cour de cassation a ainsi rappelé, dans un arrêt du 8 avril 2009, que la fixation implicite d’une date de jouissance divise ne suffit pas à garantir la stabilité des opérations de partage (Cass. 1ère civ., 8 avr. 2009, n°07-21.561).

Enfin, il convient de souligner que le tribunal peut choisir de maintenir une date d’évaluation fixée dans une décision antérieure, à condition que cette décision ne soit pas trop éloignée dans le temps et que ce maintien soit conforme à l’intérêt des copartageants. Cependant, cette stabilité doit nécessairement s’accompagner d’une précision absolue quant à la date retenue. Comme souligné par Gérard Champenois, « l’autorité de la chose jugée ne saurait être invoquée pour des décisions imprécises ou ambiguës quant à la date d’évaluation des biens, au risque de compromettre l’équité du partage ».

En définitive, le principe d’autorité de la chose jugée relatif à la fixation de la date de la jouissance divise repose sur un équilibre délicat entre stabilité et souplesse. Si la date fixée doit être considérée comme définitive pour garantir la sécurité des opérations de partage, des ajustements restent possibles dans des cas exceptionnels, lorsque le maintien de la date initiale s’avérerait manifestement inéquitable. La jurisprudence, en encadrant rigoureusement ces exceptions, s’attache à préserver tant la sécurité juridique des opérations de partage que l’équité entre les copartageants.

B) Estimation des créances

L’estimation des créances dans le cadre des opérations de partage successoral ou d’indivision obéit à des règles spécifiques, qui varient en fonction de la nature de la créance et de son mode de liquidation. Il convient de distinguer entre l’évaluation du capital de la créance et celle des intérêts qu’elle produit, en tenant compte des particularités attachées à certaines créances de valeur. Cette distinction est essentielle pour assurer une répartition équitable de l’actif successoral et garantir la stabilité des opérations de partage.

En effet, comme l’a souligné Gérard Champenois, « les créances, bien que par nature immatérielles, n’en demeurent pas moins des éléments d’actif susceptibles d’influer sur l’équilibre des lots. Leur évaluation requiert une attention particulière, car elle peut, en cas d’imprécision, engendrer des déséquilibres durables entre les copartageants ».

1. Estimation du capital

a. Principe du nominalisme monétaire

==>Problématique

Lorsque le débiteur d’une obligation de somme d’argent doit s’acquitter de sa dette, la question se pose de savoir s’il doit verser le montant nominal stipulé à l’origine ou un montant ajusté pour tenir compte des fluctuations monétaires survenues entre la naissance de la créance et son recouvrement. Cette interrogation, particulièrement pertinente dans le cadre des opérations de partage, prend tout son sens face au facteur temporel qui sépare le moment du fait générateur de la créance et celui de son exigibilité. Entre ces deux bornes, il peut s’écouler un laps de temps plus ou moins long, rendant d’autant plus incertain le maintien de la valeur réelle de la somme due.

C’est précisément lorsque cet intervalle temporel s’étire que la question de la fluctuation monétaire présente un enjeu crucial. La monnaie, en tant qu’unité de compte et instrument de paiement, ne conserve pas nécessairement une valeur constante dans le temps. L’inflation, la dépréciation monétaire ou les fluctuations des marchés financiers peuvent affecter le pouvoir d’achat de la somme inscrite dans le titre constitutif de la créance. Une somme d’argent stipulée à un moment donné peut ainsi ne plus représenter la même valeur économique au moment de son recouvrement, introduisant un risque de déséquilibre entre les parties.

Face à cette problématique, deux approches théoriques peuvent être envisagées. La première, le nominalisme monétaire, impose de figer la dette au montant nominal prévu lors de la naissance de l’obligation. Selon cette approche, le débiteur se libère de son obligation en versant le nombre d’unités monétaires stipulé dans le titre, indépendamment des fluctuations économiques. Autrement dit, une créance de 50 000 euros due au décès d’un indivisaire sera inscrite à ce montant exact dans la masse partageable, même si la valeur réelle de cette somme a diminué ou augmenté entre le décès et le partage.

Cette approche présente l’avantage majeur de garantir la prévisibilité des évaluations patrimoniales, tout en évitant des litiges interminables sur la valeur actualisée des créances. Comme le rappelle François Terré, « le nominalisme monétaire assure une sécurité indispensable dans les opérations patrimoniales, notamment en matière de partage, où la stabilité des évaluations constitue une garantie d’équilibre entre les héritiers ».

La seconde approche, celle du valorisme monétaire, consisterait à ajuster la dette en fonction des variations monétaires survenues entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette méthode, qui pourrait sembler plus équitable dans un contexte économique instable, présente néanmoins des risques importants d’insécurité juridique. Elle ouvrirait la porte à des contestations sur la méthode d’actualisation retenue, la période de référence ou les indices utilisés, complexifiant ainsi les opérations de partage et prolongeant indûment les indivisions.

Entre ces deux approches, le législateur français a fait un choix clair en faveur du nominalisme monétaire, considérant que la stabilité juridique devait primer sur les aléas économiques. Mais ce principe, loin d’être une innovation récente, puise ses racines dans une construction jurisprudentielle qui remonte à plus d’un siècle. Dès le XIXe siècle, le nominalisme monétaire a été consacré en droit français, à commencer par l’article 1895 du Code civil. Ce texte fondateur, bien que limité à l’origine au prêt de consommation, a progressivement acquis une portée générale à travers l’interprétation qu’en a donnée la jurisprudence. Pour comprendre les enjeux actuels de ce principe, il convient d’en retracer les origines et d’analyser les étapes majeures de son extension.

==>Origines du nominalisme monétaire

Le nominalisme monétaire trouve donc ses origines dans l’article 1895 du Code civil, qui dispose que « l’obligation qui résulte d’un prêt en argent n’est toujours que de la somme énoncée au contrat ». Cette disposition traduit l’idée que la monnaie, au-delà de sa simple fonction de paiement, constitue également une unité de mesure, destinée à apprécier la valeur des biens et des services. Contrairement aux unités de mesure utilisées dans les sciences, la monnaie présente cependant un caractère instable, car sa valeur dépend d’un cours susceptible de varier avec le temps. Ces variations, qu’elles soient liées à l’inflation ou à la dépréciation monétaire, peuvent perturber l’évaluation des créances sur une longue période.

L’article 1895 a été rédigé dans un contexte économique marqué par une certaine stabilité monétaire, notamment grâce à l’étalon-or, qui limitait les risques de dépréciation de la monnaie. Dans ce cadre, le nominalisme monétaire apparaissait comme une solution simple et efficace pour éviter les litiges liés à la valeur de la monnaie au moment de l’exécution des obligations. Comme le souligne Henri Capitant, « le nominalisme repose sur une exigence de sécurité juridique, en permettant au débiteur de connaître dès l’origine le montant exact de sa dette, indépendamment des aléas économiques ».

Cependant, cette règle, initialement cantonnée au prêt de consommation, a rapidement été étendue par la jurisprudence à l’ensemble des obligations de somme d’argent. Cette évolution jurisprudentielle a été amorcée dès la fin du XIXe siècle, notamment avec un arrêt de principe rendu par la Cour de cassation le 25 février 1929 (Cass. req., 25 févr. 1929). Dans cette décision, la Haute juridiction a affirmé que le nominalisme monétaire s’appliquait à toutes les obligations pécuniaires, qu’elles soient issues d’un contrat de prêt ou de toute autre source d’obligation.

L’arrêt de 1929 marque un tournant décisif en posant le nominalisme monétaire comme un principe général du droit des obligations. Selon la Cour de cassation, le montant nominal d’une dette d’argent doit être respecté, quelles que soient les variations de la valeur de la monnaie entre la naissance de l’obligation et son exécution. Cette solution visait à préserver la sécurité juridique des relations patrimoniales en assurant une prévisibilité quant au montant des créances inscrites à l’actif.

Selon René Savatier, « l’extension jurisprudentielle du nominalisme monétaire a permis d’unifier le régime des obligations de somme d’argent, en garantissant aux créanciers qu’ils seraient toujours remboursés pour le montant exact stipulé dans le contrat, sans tenir compte des fluctuations économiques ».

Cette orientation a été confirmée à plusieurs reprises. Dans un arrêt du 29 juin 1994, la Cour de cassation a rappelé que le nominalisme monétaire s’appliquait également lorsqu’une créance figurait à l’actif d’une masse partageable, qu’elle soit due par un tiers ou par l’un des copartageants (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

==>Consécration légale du nominalisme monétaire

Malgré sa consécration jurisprudentielle, le nominalisme monétaire n’était pas expressément prévu dans les textes avant la réforme du droit des obligations. Afin de lever toute ambiguïté et de garantir la sécurité juridique des créances de somme d’argent, le législateur a choisi de consacrer ce principe de manière explicite lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du régime général des obligations.

Aussi, l’article 1343 du Code civil, issu de cette réforme, dispose désormais que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent se libère par le versement de son montant nominal ». Cette disposition met fin à tout débat sur la portée du nominalisme monétaire, en confirmant qu’il s’applique à l’ensemble des obligations pécuniaires, y compris celles inscrites à l’actif d’une masse successorale.

Selon Michel Grimaldi, « la consécration législative du nominalisme monétaire traduit une volonté de stabiliser les règles applicables aux obligations de somme d’argent, afin de garantir la sécurité des transactions patrimoniales, en particulier dans les opérations de partage successoral ».

L’application du principe du nominalisme monétaire aux créances inscrites à l’actif de la masse partageable offre aux copartageants une précieuse garantie de stabilité et de sécurité juridique. Dans le cadre des opérations de partage, il s’agit de figer la valeur des créances au montant stipulé dans le titre constitutif, sans que les variations monétaires intervenues entre la naissance de la créance et le partage n’en altèrent l’évaluation. Cette approche permet de neutraliser l’impact des aléas économiques sur la composition de la masse partageable, tout en assurant une prévisibilité indispensable à la répartition des biens entre les copartageants.

Par exemple, supposons qu’un héritier détienne une créance de 100 000 euros sur un tiers, contractée dix ans avant le décès du de cujus. Entre la naissance de cette créance et le moment du partage, une inflation importante a diminué le pouvoir d’achat de cette somme, de sorte que les 100 000 euros d’origine ne représentent plus la même valeur économique au jour du partage. Malgré cette dépréciation monétaire, la créance doit être inscrite à l’actif de la masse partageable pour son montant nominal de 100 000 euros, conformément au principe du nominalisme monétaire. Cette évaluation fixe empêche que des ajustements liés à l’inflation ou à d’autres indices économiques viennent perturber la stabilité des opérations de partage.

Ainsi, lorsqu’une créance de somme d’argent est due à l’indivision, elle doit être évaluée pour son montant nominal, qu’il s’agisse d’une créance contractée avant le décès ou d’une créance née pendant l’indivision. Cette règle est applicable que le débiteur soit un tiers ou l’un des copartageants eux-mêmes. La jurisprudence, constante sur ce point, a rappelé que les créances doivent être inscrites à leur valeur nominale, indépendamment des évolutions du pouvoir d’achat ou des fluctuations économiques susceptibles d’intervenir au fil du temps (Cass. 1re civ., 29 juin 1994, n°92-15.253).

Cette position s’explique par la volonté de préserver l’équilibre entre les copartageants et d’éviter les contestations qui pourraient découler de la réévaluation des créances en fonction d’indices monétaires. En effet, admettre une actualisation des créances inscrites à l’actif introduirait un facteur d’incertitude dans les opérations de partage, compromettant ainsi la stabilité des rapports entre copartageants. Comme le souligne Gérard Cornu, « le nominalisme monétaire est une réponse juridique aux fluctuations économiques, garantissant la sécurité des évaluations et préservant l’intégrité des opérations de partage ».

En outre, cette règle permet de prévenir les conflits potentiels entre les copartageants, qui pourraient être tentés de demander une révision des évaluations en fonction des évolutions économiques, prolongeant ainsi les opérations de partage. Par exemple, si un héritier réclamait une réévaluation d’une créance sur la base d’un indice d’inflation, d’autres indivisaires pourraient exiger des révisions similaires pour d’autres éléments de l’actif successoral, engendrant une insécurité juridique et compliquant la clôture de l’indivision.

b. Limites

==>Prise en compte du risque de non-recouvrement

Le nominalisme monétaire, bien qu’essentiel pour garantir la stabilité des opérations de partage, peut se heurter à la réalité économique, notamment lorsque le recouvrement de certaines créances s’avère incertain. La jurisprudence a admis que la créance peut être inscrite pour une valeur inférieure à son montant nominal lorsqu’il existe un risque sérieux de non-recouvrement. En effet, la valeur réelle d’une créance dépend de la capacité du débiteur à honorer sa dette, et il serait artificiel d’inclure dans la masse partageable une créance que l’on sait irrécouvrable.

Dans un arrêt du 9 juillet 1985, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’une créance pouvait être prise en compte pour un montant inférieur à son montant nominal, si le débiteur présentait des difficultés financières importantes rendant incertain son remboursement (Cass. 1ère civ., 9 juill. 1985). Cette solution permet d’éviter que la masse partageable ne soit artificiellement gonflée par des créances douteuses, créant ainsi un déséquilibre entre les héritiers. Comme le souligne Jacques Flour, « il ne faut pas confondre le montant nominal de la créance, qui constitue une obligation juridique, avec sa valeur économique, qui dépend des chances effectives de recouvrement. Cette distinction est essentielle en matière de partage, pour éviter que des créances fictives ne créent des déséquilibres injustes entre les héritiers ».

==>Les créances indexées et libellées en monnaie étrangère

Une autre limite au nominalisme monétaire réside dans les créances indexées ou libellées en monnaie étrangère. Dans de tels cas, leur évaluation doit tenir compte des fluctuations de l’indice ou du taux de change. Conformément au principe général d’évaluation des actifs de la masse partageable, ces créances doivent être liquidées au jour du partage, afin de refléter leur valeur réelle à cette date. Dans un arrêt du 10 juin 1976, la Cour de cassation a jugé que la conversion d’une créance libellée en dollars américains devait être effectuée au taux de change applicable au jour du partage, et non à la date de constitution de la créance (Cass. 1re civ., 10 juin 1976, 75-10.798). Cette solution permet de garantir une évaluation juste et conforme à la réalité économique.

==>Créances ordinaires et créances de valeur

Enfin, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les premières sont évaluées à leur montant nominal, tandis que les secondes, telles que les indemnités de rapport (article 860 du Code civil) ou les indemnités de réduction (article 924-2 du Code civil), doivent être évaluées en fonction de leur valeur réelle au jour du partage. Cette distinction est importante pour éviter que certaines créances, notamment celles résultant de dégradations ou d’améliorations des biens indivis, ne soient surévaluées ou sous-évaluées, compromettant ainsi l’équité entre les héritiers.

Comme le rappelle Laurent Aynès, « la distinction entre créances ordinaires et créances de valeur permet d’adapter le principe du nominalisme aux réalités économiques, tout en garantissant l’équilibre entre les héritiers. Le nominalisme monétaire ne saurait être appliqué de manière rigide, au risque de produire des situations injustes ».

2. Estimation des intérêts

L’évaluation des créances de somme d’argent dans le cadre des opérations de partage ne se limite pas à leur capital nominal. Elle inclut également les intérêts produits par ces créances, dont le régime diffère selon que le débiteur est un tiers ou un indivisaire. La question des intérêts est cruciale en vue d’assurer une répartition équitable entre les indivisaires et éviter que certains ne tirent un avantage indu du retard des opérations de partage.

==>Les intérêts des créances sur les tiers débiteurs

Lorsque la créance est détenue à l’encontre d’un tiers débiteur, le régime applicable est celui du droit commun des obligations. Les articles 1231-6, 1344 et 1344-1 du Code civil fixent les conditions de production des intérêts moratoires, qui commencent à courir soit après une mise en demeure du débiteur, soit dès l’exigibilité de la dette si le contrat le prévoit expressément.

Ainsi, en l’absence de stipulation particulière, les intérêts moratoires ne peuvent être réclamés qu’après que le débiteur ait été formellement mis en demeure de s’exécuter. Cette exigence de mise en demeure vise à protéger le débiteur contre une pénalisation injuste en cas de retard non imputable à sa faute. Selon Jean Carbonnier, « la règle selon laquelle les intérêts courent à partir de la mise en demeure vise à éviter que le débiteur ne soit pénalisé par des retards dont il n’est pas responsable, tout en protégeant le créancier contre l’inertie du débiteur ».

Par exemple, si l’indivision détient une créance de 30 000 euros à l’encontre d’un locataire tiers pour des loyers impayés, les intérêts moratoires ne commenceront à courir qu’à compter de la mise en demeure du locataire. Ces intérêts seront calculés au taux légal, sauf convention contraire.

==>Les intérêts des créances sur les indivisaires débiteurs

Le régime applicable aux intérêts des créances lorsque le débiteur est un indivisaire présente des spécificités par rapport aux règles générales du droit commun. L’article 866 du Code civil prévoit que les créances entre indivisaires produisent des intérêts de plein droit, sans qu’une mise en demeure ne soit nécessaire.

Deux cas de figure doivent être distingués quant au point de départ des intérêts :

  • Si la créance existait avant l’entrée en indivision, les intérêts courent à compter de la constitution de l’indivision ou de l’événement générateur de celle-ci (ouverture de la succession, dissolution de communauté, etc.).
  • Si la créance est née au cours de l’indivision, les intérêts courent à compter de la date d’exigibilité de la créance.

Prenons un exemple concret : deux personnes acquièrent ensemble un immeuble destiné à la location. Par la suite, l’un des indivisaires avance une somme importante pour réaliser des travaux de rénovation indispensables à la conservation du bien. Cette créance, dès lors qu’elle est exigible, produit des intérêts de plein droit, garantissant que l’indivisaire créancier ne soit pas pénalisé par le temps nécessaire à l’accord des parties ou à la dissolution de l’indivision. Comme le rappelle Laurent Aynès, « l’automaticité des intérêts sur les créances entre indivisaires vise à éviter qu’un indivisaire débiteur ne tire profit du retard dans la liquidation de l’indivision ».

Cependant, il convient de distinguer les créances ordinaires des créances de valeur. Les créances ordinaires, telles que les avances de fonds pour des travaux ou le remboursement de charges payées par un indivisaire, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur — c’est-à-dire celles dont le montant doit être déterminé lors du partage — ne produisent des intérêts qu’à compter de leur liquidation effective.

Par exemple, si un indivisaire réclame une indemnité d’occupation au titre de l’usage privatif d’un bien indivis, le montant de cette indemnité doit d’abord être fixé de manière définitive avant que des intérêts ne soient calculés. Cela garantit que le débiteur de la créance ne soit pas pénalisé par des intérêts sur un montant susceptible d’être contesté ou réévalué au cours des opérations de partage.

Comme le souligne Philippe Malaurie, « la fixation des intérêts sur les créances de valeur après leur liquidation préserve un équilibre entre la protection du créancier et la sécurité du débiteur, en évitant des calculs prématurés sur des montants incertains ».

Cette distinction s’inscrit dans une logique de prévisibilité des obligations pécuniaires au sein de l’indivision. Les créances ordinaires, dont le montant est connu dès l’origine, produisent des intérêts dès leur exigibilité. En revanche, les créances de valeur, par nature plus incertaines, attendent leur liquidation pour produire des intérêts. Cette règle permet de préserver la sécurité des relations entre indivisaires, tout en évitant des litiges prolongés liés à l’incertitude des montants en jeu.

Opérations de partage: le moment du partage

L’indivision, bien que souvent perçue comme une solution transitoire permettant à plusieurs personnes d’exercer des droits concurrents sur un même bien, repose sur un principe fondamental du droit civil : nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision. Érigé par l’article 815 du Code civil, ce principe confère à tout indivisaire le droit de provoquer le partage à tout moment, affirmant ainsi la nature précaire et provisoire de l’indivision. Toutefois, si cette prérogative vise à garantir la liberté patrimoniale de chacun, elle se heurte parfois à des nécessités économiques ou  familiales, justifiant des tempéraments encadrés par la loi. C’est dans cette tension entre liberté individuelle et préservation des intérêts collectifs que se déploient les règles régissant la fin de l’indivision.

I) Principe

L’un des principes cardinaux du droit de l’indivision réside dans le droit, pour tout indivisaire, de provoquer la fin de cette situation à tout moment, autrement dit, de solliciter le partage. Cette règle s’infère de l’article 815 du Code civil, lequel dispose, pour rappel, que « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision ». Ce droit, marqué par son caractère discrétionnaire et inconditionnel, incarne la nature transitoire et précaire de l’indivision, qui n’a jamais vocation à se maintenir indéfiniment.

Historiquement, les codificateurs de 1804 ont établi ce principe pour répondre à leur défiance envers l’indivision. Ils considéraient celle-ci comme un état économiquement néfaste, entravant la gestion dynamique des biens et créant des tensions entre indivisaires. L’exercice de droits concurrents sur un même bien, selon eux, ne pouvait qu’entraver son exploitation optimale. Ce postulat a conduit à l’inscription du droit au partage dans le Code civil comme un moyen de faciliter la transition vers une gestion individuelle et efficiente des patrimoines.

En effet, l’idée fondamentale sous-jacente au droit au partage est que l’indivision constitue une situation provisoire, destinée à évoluer vers une appropriation individuelle. Comme a pu le souligner Jean Carbonnier, « l’indivision n’est jamais une situation de stabilité, mais un passage temporaire vers la division et la propriété individuelle ».

L’indivision, bien qu’elle permette temporairement de partager la propriété d’un bien, reste donc un état transitoire. Les biens indivis sont appelés, tôt ou tard, à être divisés, attribués ou vendus pour permettre à chaque indivisaire d’exercer pleinement son droit de propriété. Comme l’a exprimé Christophe Albiges, cette précarité intrinsèque « confère à l’indivision un caractère fragile et sans pérennité ».

Ce caractère éphémère s’enracine dans la philosophie du droit de propriété, conçu comme un état pleinement exclusif. À ce titre, chaque indivisaire dispose d’un droit discrétionnaire au partage, qu’il peut exercer sans justification ni préavis, quel que soit le contexte.

Ce droit est une prérogative d’ordre public, étroitement liée au caractère imprescriptible du droit de propriété. Selon la doctrine le droit au partage procède du pouvoir d’exclusivité inhérent à la propriété, conférant ainsi à chaque indivisaire une liberté totale d’agir pour mettre fin à l’indivision. Ce principe universel s’applique indépendamment de l’origine ou de la durée de l’indivision.

C’est la raison pour laquelle l’article 815 du Code civil pose une règle claire et sans ambiguïté : le partage peut être demandé à tout moment. Cette disposition reflète l’idée que l’indivision ne doit pas entraver la pleine jouissance des droits de propriété de chaque indivisaire. Peu importe la nature des biens indivis ou les circonstances, le droit au partage s’exerce dans toutes les configurations.

Dans un arrêt de principe, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que les époux séparés de biens, tout comme d’autres indivisaires, peuvent solliciter le partage des biens indivis sans attendre une circonstance particulière, telle que la dissolution du mariage (Cass. 1ère civ., 14 nov. 2000, n°98-22.936).

Cette décision réaffirme ainsi que, même dans le cadre matrimonial, la précarité de l’indivision prime, en ce sens que la sortie de cette situation est toujours possible, indépendamment de la nature des biens indivis ou du contexte familial.

La vocation du régime de l’indivision est donc de conduire, tôt ou tard, à une appropriation individuelle des biens indivis.

II) Tempéraments

Si le droit au partage, consacré par l’article 815 du Code civil, confère à tout indivisaire une faculté absolue de mettre fin à l’indivision à tout moment, cette prérogative doit parfois céder face à des considérations pratiques ou patrimoniales. En effet, certaines situations rendent le partage inopportun, voire préjudiciable, tant pour l’ensemble des indivisaires que pour certains d’entre eux.

Il peut en être ainsi lorsque le partage conduirait à la vente de biens indivis dans des conditions défavorables, qu’il s’agisse d’une conjoncture économique défavorable ou d’une urgence qui empêcherait une gestion optimale de ces biens. Par exemple, un indivisaire pourrait être contraint de quitter un logement familial ou une exploitation professionnelle essentielle, ou encore de renoncer à un projet d’attribution future d’un bien qu’il espère exploiter ultérieurement. Ces circonstances montrent que le moment du partage peut être mal choisi, imposant une réflexion sur l’opportunité de prolonger l’indivision.

Par ailleurs, l’histoire a montré que, loin des prévisions initiales des codificateurs de 1804, l’indivision peut parfois perdurer par choix des indivisaires eux-mêmes. Il n’est pas rare, notamment, que les héritiers diffèrent le partage d’une succession afin de conserver un bien au sein de la famille, bien que personne ne soit en mesure d’en assumer la charge ou de le racheter. Ces exemples illustrent que la volonté collective peut primer sur la règle générale, rendant le maintien temporaire de l’indivision préférable à un partage immédiat.

C’est dans ce contexte qu’ont été introduits des tempéraments au droit au partage, permettant de maintenir l’indivision dans des conditions bien définies. Ces mécanismes se déclinent en deux formes principales : le maintien conventionnel, reposant sur l’accord des indivisaires, et le maintien judiciaire, imposé par le juge lorsque des circonstances particulières le justifient. Ces solutions, tout en respectant la vocation transitoire de l’indivision, offrent une réponse pragmatique aux situations où un partage précipité pourrait s’avérer nuisible.

A) Le maintien conventionnel dans l’indivision

Le maintien conventionnel dans l’indivision repose sur la faculté reconnue aux indivisaires de prolonger, par un accord unanime, cette situation juridique. Ce dispositif, consacré par les articles 1873-1 à 1873-18 du Code civil, reflète l’intention du législateur de concilier la précarité inhérente à l’indivision avec les exigences d’une gestion harmonieuse et durable des biens indivis.

Sans remettre en question le principe fondamental selon lequel « nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision », ce mécanisme en aménage temporairement l’exercice, par le biais de conventions adaptées aux besoins des parties.

L’idée d’un maintien conventionnel trouve ses racines dans les réflexions de Domat, qui soulignait déjà que « les indivisaires peuvent bien convenir de remettre le partage à un certain temps ». Cette approche fut consacrée dès 1804, lorsque l’article 815, alinéa 2 du Code Napoléon permit la suspension du partage pour une durée limitée et renouvelable. La loi du 31 décembre 1976 modernisa ce principe en instaurant un véritable régime conventionnel de l’indivision, offrant ainsi aux indivisaires un cadre juridique clair et structuré pour organiser l’exercice de leurs droits dans le respect de l’intérêt commun.

A cet égard, le Code civil distingue deux types de conventions d’indivision selon leur durée : les conventions d’indivision à durée déterminée et les conventions d’indivision à durée indéterminée.

1. Les conventions à durée déterminée

La convention d’indivision à durée déterminée, régie par l’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil, permet aux indivisaires de convenir d’une période pendant laquelle le partage est suspendu. Cette durée ne peut excéder cinq ans, une limite qui garantit une certaine stabilité tout en respectant le caractère temporaire de l’indivision. Les indivisaires peuvent néanmoins renouveler cette convention, soit expressément, soit par tacite reconduction, conformément à l’alinéa 3 du même article.

a. Durée

i. Durée initiale

L’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil impose une limite impérative à la durée des conventions d’indivision à durée déterminée, laquelle ne peut excéder cinq ans. Ce plafond, bien qu’il puisse paraître restrictif, reflète la volonté du législateur d’assurer un équilibre entre la stabilité temporaire offerte par la convention et la nécessité de préserver le droit au partage.

Lorsque les parties stipulent une durée supérieure à cette limite légale, leur engagement n’est contraignant que pour les cinq premières années. Cette solution, largement admise par la doctrine et la jurisprudence, a été consacrée dans une affaire emblématique jugée par la cour d’appel de Paris. Dans cet arrêt, deux indivisaires avaient conclu une convention prévoyant une indivision pour une durée de vingt-cinq ans. La cour a annulé la clause excédant la durée légale, mais a précisé que la nullité partielle ne s’étendait pas aux autres stipulations de l’accord, notamment celles relatives à la gestion des biens indivis (CA Paris, 24 juin 2009, n° 08/15638).

Cette approche, qui favorise la préservation des clauses compatibles avec la loi, illustre le souci de la juridiction de maintenir l’efficacité des conventions d’indivision tout en respectant les règles impératives.

ii. Renouvellement

Au terme de la durée initiale de cinq ans, les indivisaires disposent de deux options pour prolonger leur convention : le renouvellement exprès ou la reconduction tacite.

==>Le renouvellement exprès

Le renouvellement exprès constitue l’une des modalités offertes aux indivisaires pour prolonger une convention d’indivision à durée déterminée arrivée à son terme. Il repose sur un nouvel accord explicite entre les parties, affirmant leur volonté commune de maintenir l’indivision. Si le Code civil, en son article 1873-3, alinéa 1er, n’impose pas de formalisme particulier pour cette décision, la pratique révèle l’importance cruciale de recourir à un écrit.

En effet, l’établissement d’un écrit est vivement conseillé pour plusieurs raisons :

  • Premièrement, il permet de prévenir les litiges en clarifiant les termes du renouvellement, notamment la durée choisie (limitée à cinq ans pour une nouvelle convention à durée déterminée) ou les modalités de gestion des biens indivis.
  • Deuxièmement, il offre une preuve matérielle de l’accord des indivisaires en cas de désaccord ultérieur.

Lorsque les biens indivis incluent des immeubles, cet écrit peut nécessiter une publication aux fins de publicité foncière. Une telle mesure garantit la sécurité juridique des tiers et renforce la transparence des droits portant sur les biens indivis. La publication au fichier immobilier est ainsi un moyen efficace de prévenir toute contestation émanant de tiers ou d’indivisaires futurs.

En tout état de cause, en cas de renouvellement exprès, les parties disposent de deux options quant à la durée de la nouvelle convention d’indivision :

  • Une durée déterminée : le renouvellement peut être convenu pour une période définie, dans la limite légale de cinq ans (article 1873-3, alinéa 1er). Cette solution est souvent privilégiée, car elle permet aux indivisaires de réévaluer périodiquement leur situation, tenant compte de l’évolution des besoins, des relations entre coïndivisaires, ou encore des fluctuations économiques concernant les biens indivis.
  • Une durée indéterminée : les indivisaires peuvent également opter pour un renouvellement sans limite temporelle explicite. Dans ce cas, la convention est soumise au régime des conventions à durée indéterminée prévu par l’article 1873-3, alinéa 2, permettant à chaque indivisaire de demander le partage « à tout moment, pourvu que ce ne soit pas de mauvaise foi ou à contretemps ». Ce choix offre une plus grande souplesse, mais peut s’avérer moins sécurisant pour les indivisaires souhaitant stabiliser l’indivision sur une période définie.

Pour garantir l’efficacité d’un renouvellement exprès, il est recommandé de formaliser l’accord des parties par un acte écrit détaillé précisant :

  • La durée du renouvellement ;
  • Les conditions de gestion des biens indivis (décisions collectives, répartition des charges, nomination d’un gérant, etc.) ;
  • Les modalités de fin de la convention, le cas échéant.

L’absence de formalisation écrite est sans incidence sur l’accord de renouvellement, mais elle complique la preuve de son existence et de ses conditions, augmentant ainsi le risque de contentieux.

==>La reconduction tacite

La reconduction tacite d’une convention d’indivision, prévue par l’article 1873-3, alinéa 3, offre aux indivisaires une option pratique pour prolonger l’indivision sans nécessité de conclure un nouvel accord formel.

Toutefois, elle ne peut jouer que si elle a été expressément prévue dans la convention initiale ou résulte d’un accord postérieur des indivisaires. Cette exigence reflète le principe selon lequel toute prolongation automatique de l’indivision doit être le fruit d’une volonté clairement manifestée par les parties. À défaut d’une clause spécifique ou d’un nouvel accord, la reconduction tacite ne peut s’appliquer, et la convention initiale prend fin à son terme.

Lorsque la reconduction est prévue, elle doit répondre aux modalités stipulées dans la convention initiale, notamment en ce qui concerne sa durée. Si aucun délai n’a été précisé, la loi établit une présomption selon laquelle la reconduction intervient pour une durée identique à celle initialement convenue. Cette présomption, bien que souvent appliquée, n’est pas irréfragable. Si des indices concordants révèlent une intention différente des parties, cette volonté prévaudra. Par exemple, des échanges entre indivisaires ou des modifications dans les conditions de gestion des biens indivis pourraient démontrer une volonté commune de reconduire la convention pour une durée différente.

En outre, la reconduction tacite repose sur l’accord unanime des indivisaires. Cette exigence découle du caractère collectif de l’indivision, où chaque indivisaire dispose d’un droit égal dans les décisions affectant les biens indivis. En conséquence, tout indivisaire peut s’opposer à la reconduction tacite en exprimant son refus.

Aucune forme particulière n’est imposée pour manifester un refus de reconduction tacite. Une simple déclaration explicite suffit, que ce soit par une lettre recommandée avec accusé de réception, une notification adressée aux autres indivisaires, ou encore une assignation en partage. L’essentiel réside dans la clarté de la volonté exprimée. Une telle opposition produit effet à la date d’expiration de la convention initiale, empêchant ainsi son renouvellement.

Cependant, il est conseillé, pour des raisons de sécurité juridique, d’opter pour des moyens de communication traçables, tels que le courrier recommandé ou l’acte de commissaire de justice. Ces méthodes permettent de prouver la date et le contenu de la déclaration, minimisant ainsi les risques de contestation ultérieure.

Si l’unanimité des indivisaires fait défaut ou si aucun acte ne vient concrétiser la reconduction tacite, la convention initiale cesse de produire ses effets à son terme. Les biens indivis retrouvent alors le régime légal de l’indivision, tel que prévu aux articles 815 et suivants du Code civil. Ce retour au régime légal implique notamment que toutes les décisions concernant les biens indivis nécessitent désormais l’accord unanime des indivisaires, à défaut de dispositions particulières.

À l’inverse, si la reconduction remplie toutes les conditions, elle prolonge la convention selon les conditions initialement prévues ou celles expressément modifiées par les parties. Cette continuité peut s’avérer avantageuse pour les indivisaires souhaitant stabiliser la gestion des biens indivis, notamment dans des contextes impliquant des investissements à long terme ou des projets de valorisation.

b. Extinction anticipée

Bien que la convention à durée déterminée limite temporairement l’exercice du droit au partage, ce dernier demeure ouvert pour « justes motifs », comme le prévoit l’article 1873-3, alinéa 1er du Code civil. Cette notion, non définie par la loi, couvre des situations où le maintien de l’indivision devient incompatible avec les intérêts des indivisaires ou la bonne gestion des biens indivis.

Parmi les exemples couramment cités figurent :

  • La mésentente grave entre les indivisaires, compromettant la gestion harmonieuse des biens ;
  • La gestion fautive ou préjudiciable d’un indivisaire, mettant en péril l’intégrité du patrimoine commun ;
  • Des circonstances économiques ou personnelles imprévues, telles que la nécessité de vendre des biens pour éviter un préjudice.

En tout état de cause, c’est au juge qu’il revient d’apprécier la gravité des circonstances invoquées et de décider si elles justifient une extinction anticipée de la convention.

2. Les conventions à durée indéterminée

Les conventions d’indivision à durée indéterminée, régies par l’article 1873-3, alinéa 2 du Code civil, confèrent aux indivisaires une grande liberté dans la gestion des biens indivis.

Le partage peut y être demandé « à tout moment », conformément au principe général institué à l’article 815 du Code civil. Toutefois, pour prévenir les abus et protéger les intérêts communs, ce droit s’exerce sous la réserve que la demande ne soit pas formulée « de mauvaise foi ou à contretemps ».

La question qui alors se pose est de savoir ce quelles sont les situations qui relèvent de la mauvaise foi ou du contretemps.

  • S’agissant d’une demande de partage formulée de mauvaise foi
    • Une demande formulée « de mauvaise foi » pourrait être motivée par une intention malveillante, comme nuire à un autre indivisaire.
    • Un exemple en serait le cas où un indivisaire chercherait à évincer un autre d’un bien indivis particulièrement stratégique, ou à compromettre la valorisation de l’indivision.
    • À cet égard, il appartient au juge de déterminer si une telle intention sous-tend la demande.
  • S’agissant d’une demande de partage formulée à contretemps
    • Le caractère « à contretemps » de la demande de partage renvoie à des circonstances où sa mise en œuvre immédiate porterait un préjudice manifeste à l’intérêt collectif des indivisaires.
    • Cela pourrait inclure, par exemple, l’interruption d’investissements en cours, la nécessité d’attendre une conjoncture économique favorable pour la vente d’un bien indivis, ou encore des emprunts récemment contractés pour financer des projets liés à l’indivision.
    • La juridiction saisie devra alors apprécier si le moment choisi est effectivement inopportun au regard des impératifs économiques ou stratégiques partagés par les indivisaires.

Ce régime illustre parfaitement l’équilibre recherché par le législateur entre deux impératifs fondamentaux : la liberté individuelle des indivisaires, qui doivent pouvoir solliciter la fin de l’indivision, et la préservation de l’intérêt collectif, qui peut justifier un encadrement strict de ce droit.

Cependant, contrairement aux conventions à durée déterminée, l’indivisaire souhaitant provoquer le partage dans le cadre d’une convention à durée indéterminée n’a pas besoin de justifier de « justes motifs ». Cette absence de contrainte renforce la souplesse du régime, tout en maintenant les garde-fous nécessaires grâce à la référence explicite aux notions de « mauvaise foi » et de « contretemps ».

En cas de litige, il revient au juge de trancher en appréciant les circonstances de la demande. Si les intentions malveillantes ou les effets préjudiciables d’un partage immédiat sont avérés, le juge pourra rejeter la demande et ainsi préserver l’intégrité de l’indivision.

B) Le maintien judiciaire dans l’indivision

Contrairement au maintien conventionnel, où la suspension du droit au partage repose sur un consentement unanime des indivisaires, le maintien judiciaire procède d’une toute autre logique. Ici, la suspension est imposée par le juge, souvent à la demande d’un ou plusieurs indivisaires, et ce, même contre la volonté de la majorité.

Cette approche tranche radicalement avec la conception originelle du Code Napoléon de 1804, qui ne reconnaissait pas de maintien judiciaire de l’indivision. À cette époque, l’indivision était perçue comme une situation transitoire, et le droit au partage comme un corollaire absolu de la propriété. Le juge, cantonné dans son rôle d’arbitre, n’avait pas vocation à organiser les rapports entre indivisaires ou à s’immiscer dans la gestion de leurs biens.

Toutefois, au fil du temps, et notamment à partir du début du XXe siècle, une évolution notable s’est dessinée. Face aux nécessités pratiques et aux intérêts divergents des indivisaires, le législateur a progressivement reconnu des cas où le maintien de l’indivision pouvait être imposé par décision judiciaire. Aujourd’hui, ce mécanisme est consacré par deux séries de dispositions distinctes, mais complémentaires :

  • D’une part, certaines règles spécifiques permettent de maintenir l’indivision pour des biens particuliers, en raison de leur caractère stratégique ou essentiel ;
  • D’autre part, des dispositions plus générales offrent un cadre permettant d’aménager un sursis au partage, répondant à des circonstances économiques, familiales ou patrimoniales exceptionnelles.

1. Le maintien forcé dans l’indivision

Le maintien forcé dans l’indivision par décision judiciaire constitue une mesure exceptionnelle permettant de retarder le partage des biens indivis lorsqu’il existe un risque que ce partage porte atteinte aux intérêts des indivisaires.

L’objectif de cette mesure, encadrée par les articles 820 et suivants du Code civil, est d’éviter une dissolution précipitée de l’indivision lorsque celle-ci pourrait compromettre la valeur des biens indivis ou nuire à la continuité d’une entreprise ou d’un patrimoine familial.

Introduite initialement par la loi du 31 décembre 1976, cette faculté a été réaffirmée et précisée par la réforme des successions et libéralités du 23 juin 2006, qui a intégré cette possibilité dans le chapitre VIII du Code civil, relatif au partage.

Dans certaines situations, notamment lorsque des biens indivis sont liés à une entreprise agricole ou à un projet d’exploitation, ou encore lorsqu’un partage immédiat pourrait entraîner une dévalorisation significative des biens, le juge peut être saisi pour maintenir l’indivision.

Le juge, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation souveraine, évalue les intérêts en présence et les circonstances spécifiques de chaque affaire avant de décider du maintien temporaire de l’indivision.

Cette mesure s’applique en principe aux indivisions successorales, mais elle peut également être invoquée dans le cadre d’indivisions post-communautaires ou d’indivisions résultant de la séparation de biens entre époux, conformément aux articles 1476 et 1542 du Code civil.

L’idée centrale est de protéger des intérêts économiques ou familiaux en maintenant temporairement l’indivision, tout en respectant les exigences légales et procédurales fixées par la loi, telles que la limitation de la durée de ce maintien, qui ne peut excéder cinq ans, sauf exceptions prévues par le texte.

a. Domaine du maintien forcé dans l’indivision

Le maintien forcé dans l’indivision par décision judiciaire concerne certains biens indivis dont le partage immédiat pourrait porter préjudice aux indivisaires.

Ce mécanisme est destiné à protéger des intérêts spécifiques en permettant la prolongation de l’indivision dans des cas particuliers, notamment lorsqu’il est important de maintenir la valeur ou la continuité d’exploitation de certains biens. Ce maintien se décline principalement autour des biens concernés et des personnes qui peuvent demander cette mesure.

a.1. Les biens concernés

Le champ d’application du maintien judiciaire dans l’indivision, tel que défini par les articles 821 et suivants du Code civil, concerne un ensemble varié de biens.

Le maintien dans l’indivision peut être ordonné pour des exploitations agricoles, des locaux à usage d’habitation ou professionnel, ainsi que des objets mobiliers nécessaires à l’exercice d’une profession ou à la gestion d’une entreprise.

i. Les exploitations agricoles et entreprises

==>Principe

Le maintien judiciaire dans l’indivision, initialement prévu pour les exploitations agricoles, a été élargi par la loi du 23 juin 2006 pour s’adapter aux réalités économiques modernes.

Désormais, il s’applique également aux entreprises commerciales, artisanales, industrielles et libérales. L’objectif principal de cette extension est de préserver la continuité des activités économiques familiales, même au-delà du domaine agricole.

Le législateur a reconnu que, de nos jours, de nombreuses familles détiennent des parts dans des entreprises non agricoles, et qu’un partage immédiat pourrait compromettre la viabilité de ces entreprises.

Avant cette réforme, la loi se concentrait principalement sur les exploitations agricoles, permettant de maintenir en indivision les biens nécessaires à l’exploitation agricole mise en valeur par le défunt ou son conjoint.

Cette protection était justifiée par le fait que ces exploitations représentaient souvent la principale source de revenus des indivisaires. La réforme de 2006 a étendu cette protection à d’autres types d’entreprises, tenant compte de la diversité des biens dans les patrimoines familiaux.

==>Conditions

Pour bénéficier du maintien judiciaire dans l’indivision, plusieurs conditions doivent être remplies, que le juge évalue au cas par cas, conformément à l’article 821, alinéa 1er, du Code civil.

L’une des conditions essentielles est que l’entreprise ait été effectivement exploitée par le défunt ou son conjoint avant le décès.

Cette exploitation directe doit être prouvée, et il ne suffit pas que l’entreprise ait simplement procuré des revenus au défunt ou à son conjoint.

La doctrine souligne l’importance de l’implication personnelle du défunt ou de son conjoint dans l’exploitation de l’entreprise.

Cela inclut non seulement les activités matérielles, mais aussi les tâches de gestion, d’administration ou de direction de l’entreprise.

En revanche, si l’entreprise était louée à un tiers ou donnée en location-gérance, le maintien en indivision ne pourrait être accordé, faute d’exploitation directe.

Le juge doit également évaluer les risques économiques liés à un partage immédiat, notamment le risque de dévalorisation des biens indivis.

Si, par exemple, un bien immobilier affecté à une entreprise est en cours de rénovation ou fait l’objet de projets d’urbanisme susceptibles d’augmenter sa valeur, un partage précipité pourrait le dévaloriser.

L’article 821, alinéa 3, du Code civil invite ainsi le juge à considérer les moyens d’existence que les indivisaires peuvent tirer de ces biens, renforçant l’idée de préserver temporairement l’indivision pour protéger la valeur économique du patrimoine.

Par ailleurs, la sauvegarde d’une entreprise familiale est un autre motif fréquent justifiant le maintien. Un commerce, une entreprise artisanale ou industrielle en indivision pourrait voir sa viabilité compromise par un partage immédiat. Le maintien temporaire de l’indivision permet de laisser le temps aux héritiers de s’organiser, soit pour reprendre l’exploitation, soit pour trouver une solution de transmission ou de cession dans de meilleures conditions.

==>Tempérament

L’article 821, alinéa 4, du Code civil apporte une nuance au principe du maintien judiciaire, en permettant ce maintien même lorsque certains éléments de l’exploitation appartenaient déjà, avant l’ouverture de la succession, à un héritier ou au conjoint survivant. Cette disposition permet ainsi de maintenir l’unité de l’exploitation familiale, même si certains des biens qui la composent ne sont pas formellement indivis.

Concrètement, cela signifie que le fait qu’un héritier ou un conjoint détenait déjà des droits de propriété sur certains biens de l’exploitation ne fait pas obstacle au maintien de l’indivision pour l’ensemble de l’exploitation.

Par exemple, un immeuble faisant partie de l’exploitation, mais appartenant en propre à un héritier ou au conjoint, ne sera pas exclu du régime de l’indivision si cela permet de préserver l’unité de l’entreprise familiale.

Ce mécanisme favorise ainsi la protection globale du patrimoine familial, en permettant de maintenir en indivision l’exploitation dans son intégralité, même en présence de biens déjà en propriété individuelle.

ii. Les droits sociaux

Un autre aspect de la réforme entreprise en 2006 est l’inclusion des droits sociaux dans le champ du dispositif de maintien judiciaire de l’indivision.

L’article 821, al. 2e du Code civil permet désormais aux indivisaires de demander le maintien de l’indivision sur des actions ou des parts sociales, quelle que soit la nature de la société.

Cette extension vise à éviter la vente précipitée des parts ou actions d’une société, ce qui pourrait compromettre le contrôle de l’entreprise par les héritiers ou affecter la gestion de la société.

Dans le cas où le défunt détenait des parts dans une société commerciale, artisanale ou libérale, par exemple une entreprise de taille familiale, le partage des droits sociaux pourrait fragmenter la détention des actions, entraîner la dilution du contrôle familial sur l’entreprise, voire conduire à la vente des parts à des tiers, compromettant ainsi la gestion et la survie de l’entreprise.

Le maintien de l’indivision permet de temporiser ces effets et de préserver l’intégrité de la participation des héritiers dans l’entreprise. Cette protection est particulièrement nécessaire lorsque la société joue un rôle important dans le revenu des indivisaires ou constitue une activité économique clé.

Le maintien des droits sociaux dans l’indivision s’applique non seulement aux parts d’entreprises familiales, mais également aux actions de sociétés plus complexes.

Ce mécanisme est donc destiné à protéger non seulement les petites entreprises mais également les participations dans des sociétés plus importantes, où le contrôle familial est un enjeu stratégique.

iii. Les locaux à usage d’habitation ou professionnel

L’article 821-1 du Code civil permet de maintenir en indivision des locaux à usage d’habitation ou professionnel sous certaines conditions, afin de préserver la stabilité familiale ou la continuité d’une activité économique.

?: La préservation du logement familial et des meubles le garnissant

==>Le logement familial

Le logement à usage d’habitation peut faire l’objet d’un maintien forcé en indivision de aux fins d’assurer la préservation du logement familial après le décès d’un indivisaire.

En effet, le maintien de l’indivision vise à protéger la résidence principale du défunt et de ses héritiers, permettant à ces derniers de continuer à occuper le domicile familial sans subir les conséquences immédiates d’un partage.

Selon le professeur Michel Grimaldi, cette mesure vise à protéger la résidence principale contre une dissolution précipitée de l’indivision, permettant aux héritiers de rester dans un cadre familier le temps que les conditions d’un partage plus équitable soient réunies.

Le législateur entend ainsi éviter que les héritiers soient contraints à un partage ou une vente anticipée du bien immobilier, ce qui pourrait non seulement les déloger mais également causer une perte de valeur dans le cadre d’une vente forcée.

Cette continuité est particulièrement importante lorsque les descendants mineurs sont impliqués, comme l’a relevé la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 12 juill. 2017, 16-20.915).

Le maintien en indivision repose sur plusieurs conditions strictement encadrées par la loi, que le tribunal doit vérifier avant d’accorder cette mesure.

Ces conditions varient selon la présence de descendants mineurs ou de conjoint survivant :

  • Conditions tenant au bien
    • L’une des conditions pour bénéficier du maintien en indivision est que le logement ait été effectivement utilisé comme résidence principale par le défunt ou son conjoint au moment du décès.
    • L’article 821-1 du Code civil exige que le bien immobilier ait été utilisé à des fins d’habitation, ce qui signifie qu’il ne suffit pas qu’il fasse partie du patrimoine indivis ; il doit constituer le lieu de vie principal du défunt ou de ses héritiers.
    • Cette condition vise à protéger les héritiers et/ou le conjoint survivant en leur garantissant un maintien temporaire dans la résidence qui constituait leur logement quotidien.
    • En revanche, les résidences secondaires ou les biens immobiliers occupés par des tiers au moment du décès sont exclus de ce maintien, conformément à la jurisprudence.
  • Conditions tenant aux personnes
    • En présence de descendants mineurs
      • L’article 822 du Code civil prévoit que le maintien en indivision du logement familial peut bénéficier aux héritiers mineurs, à condition qu’ils soient des héritiers directs du défunt.
      • Ainsi, seuls les enfants mineurs venant directement à la succession sont protégés par cette disposition, à l’exclusion des petits-enfants devenus héritiers suite au décès d’un parent intermédiaire (Cass. 1re civ., 28 oct. 1969).
    • Conditions en présence d’un conjoint survivant
      • En présence d’un conjoint survivant, plusieurs conditions doivent être remplies pour bénéficier du maintien en indivision.
      • Selon l’article 822, alinéa 2, du Code civil, le conjoint doit être copropriétaire du bien au moment du décès, que ce soit en vertu d’une acquisition antérieure ou à la suite de la succession.
      • Ainsi, le conjoint survivant doit détenir des droits en pleine propriété, ce qui exclut le simple usufruitier du bénéfice de ce mécanisme (Cass. 1re civ., 14 mars 1984).
      • De plus, si le logement concerné a un usage mixte (professionnel et résidentiel), le conjoint survivant doit prouver qu’il y résidait au moment du décès pour bénéficier du maintien.
      • L’article 822, alinéa 3, du Code civil impose ainsi une résidence effective pour garantir que le conjoint puisse continuer à y habiter, conformément à la finalité de cette disposition.

Il peut être observé que le tribunal, saisi d’une demande de maintien, doit examiner la situation pour s’assurer que les conditions d’utilisation du logement étaient remplies au moment du décès.

Le tribunal doit également apprécier si le maintien en indivision est justifié dans la situation concrète des indivisaires, notamment pour éviter que le partage immédiat ne déstabilise leur cadre de vie.

Plus précisément, le juge doit tenir compte de l’intérêt des parties en présence et des circonstances particulières, afin de garantir une application équitable de la mesure.

==>Les meubles garnissant le logement familial

Le maintien en indivision prévu par l’article 821-1 du Code civil ne concerne pas uniquement le logement familial, mais également les meubles garnissant le logement.

La loi prévoit ainsi que les objets mobiliers indispensables à la vie quotidienne ou au confort des héritiers peuvent également être protégés par le maintien en indivision.

Il s’agit plus précisément des meubles meublants servant à l’habitation quotidienne, tels que le mobilier, les équipements ménagers ou autres objets nécessaires à la vie dans la résidence principale. Cela permet de garantir que les héritiers peuvent continuer à utiliser le logement avec les équipements nécessaires à leur confort.

En revanche, les objets de valeur personnelle ou non indispensables à l’habitation peuvent être exclus du maintien en indivision et faire l’objet d’une demande de partage séparée.

La jurisprudence a précisé que les objets de collection, œuvres d’art ou autres biens non essentiels à la vie quotidienne peuvent être licités en dehors du maintien du logement.

?: La préservation des locaux professionnels

Les locaux à usage professionnel peuvent également faire l’objet d’un maintien forcé en indivision. Il s’agit là d’une mesure essentielle pour assurer la continuité de l’activité professionnelle exercée par le défunt au moment de son décès.

Ce mécanisme vise à éviter qu’un partage immédiat des biens nécessaires à l’exploitation ne perturbe ou n’interrompe l’activité économique, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes tant pour les héritiers que pour les employés ou clients de l’entreprise.

Selon le professeur Michel Grimaldi, cette disposition permet de préserver l’outil de travail du défunt, garantissant ainsi la pérennité de l’entreprise familiale ou de l’activité libérale, le temps que les héritiers puissent organiser la succession de manière optimale.

En protégeant les locaux professionnels et les biens qui y sont attachés, la loi entend éviter une déstabilisation économique qui pourrait résulter d’un partage précipité.

Le maintien en indivision des locaux professionnels repose sur plusieurs conditions strictes, que le tribunal doit vérifier avant d’accorder cette mesure, de manière similaire à celles applicables pour le logement familial.

  • Conditions tenant aux biens concernés
    • Exploitation effective des locaux
      • Une condition essentielle pour bénéficier du maintien en indivision est que les locaux aient été effectivement utilisés à des fins professionnelles par le défunt ou son conjoint au moment du décès.
      • L’article 821-1 du Code civil dispose que le bien doit avoir servi directement à l’activité exercée, qu’il s’agisse d’un cabinet médical, d’un atelier d’artisan, d’un bureau pour une profession libérale, etc.
      • Cette exigence vise à s’assurer que le maintien en indivision est justifié par la nécessité de poursuivre l’activité professionnelle sans interruption.
      • Comme souligné par des auteurs, il ne suffit pas que le défunt ait été propriétaire de locaux à usage professionnel ; il faut que ceux-ci aient été utilisés par lui ou son conjoint pour l’exercice de leur activité[1].
      • Les locaux qui étaient loués à des tiers ou qui n’étaient pas utilisés par le défunt pour son activité professionnelle sont donc exclus de cette mesure.
    • Utilisation des objets mobiliers nécessaires à l’activité
      • Le maintien en indivision peut également s’étendre aux objets mobiliers affectés à l’activité professionnelle, tels que les équipements, outils ou meubles indispensables à l’exploitation.
      • Ces biens doivent avoir été utilisés par le défunt pour sa profession, ce qui exclut les objets personnels ou non liés à l’activité.
      • A cet égard, le tribunal, saisi d’une demande de maintien, doit vérifier que ces objets sont indispensables pour la poursuite de l’activité avant de décider de leur inclusion dans l’indivision maintenue.
      • Cette appréciation permet d’éviter que des biens non nécessaires soient indûment soustraits au partage.
  • Conditions tenant aux personnes concernées
    • Les conditions du maintien en indivision des locaux professionnels peuvent varier selon la présence d’un conjoint survivant ou de descendants mineurs, à l’image de ce qui est prévu pour le logement familial.
      • En présence de descendants mineurs
        • L’article 822 du Code civil prévoit que le maintien en indivision peut être demandé pour protéger les intérêts des héritiers mineurs, à condition qu’ils viennent directement à la succession.
        • Le tribunal doit alors s’assurer que les locaux professionnels étaient effectivement utilisés par le défunt ou son conjoint pour l’activité professionnelle, et que le maintien est dans l’intérêt des enfants mineurs.
      • En présence d’un conjoint survivant
        • Le conjoint survivant peut également bénéficier du maintien en indivision des locaux professionnels, sous réserve de certaines conditions.
        • Selon l’article 822, alinéa 2, du Code civil, le conjoint doit être copropriétaire du bien au moment du décès, soit en vertu d’une acquisition antérieure, soit à la suite de la succession.
        • La jurisprudence a précisé que le conjoint survivant doit détenir des droits en pleine propriété, l’usufruit ne suffisant pas pour bénéficier de cette mesure (Cass. 1re civ., 14 mars 1984).
        • De plus, le conjoint survivant doit démontrer que le maintien en indivision est nécessaire pour la poursuite de l’activité professionnelle, soit parce qu’il entend lui-même continuer l’exploitation, soit pour faciliter une transition en faveur des héritiers.

En tout état de cause, il appartiendra au juge d’apprécier les circonstances économiques et les conséquences potentielles d’un partage immédiat avant d’ordonner un maintien temporaire.

Il doit tenir compte de l’intérêt commun des indivisaires et de la nécessité de préserver la viabilité de l’activité professionnelle.

a.2. Les personnes concernées

Le maintien forcé dans l’indivision n’est pas ouvert à tous les indivisaires de manière indifférenciée.

Les articles 822 et 823 du Code civil encadrent les bénéficiaires de cette mesure en limitant les personnes pouvant formuler une telle demande.

i. Le maintien de l’indivision en présence de descendants mineurs

L’article 822 du Code civil prévoit une mesure de protection particulière pour les héritiers mineurs, en permettant le maintien des biens indivis à leur bénéfice.

Le maintien de l’indivision pour les descendants mineurs a pour but de préserver le patrimoine indivis, en évitant un partage qui pourrait s’avérer prématuré ou défavorable aux intérêts des enfants.

Les biens indivis peuvent inclure des actifs de grande valeur, comme une entreprise, des droits sociaux ou des biens immobiliers. Or, le partage immédiat de ces biens risquerait de diluer leur valeur ou de les rendre inexploitables, notamment si aucun des héritiers majeurs ou le conjoint survivant n’est en mesure de les reprendre.

Ainsi, le maintien dans l’indivision permet de différer le partage jusqu’à ce que les descendants mineurs atteignent la majorité, leur laissant ainsi le temps de se préparer, d’acquérir les compétences ou les ressources nécessaires pour éventuellement reprendre une entreprise familiale ou exploiter des biens indivis dans des conditions plus favorables.

Cette solution temporaire permet d’éviter la vente forcée des biens indivis à un moment où les conditions économiques ne seraient pas optimales, ou alors que les héritiers ne sont pas en mesure d’assumer leur gestion.

Cette mesure trouve notamment une application dans le cadre d’entreprises agricoles ou artisanales, où les héritiers mineurs pourraient envisager de reprendre l’exploitation à leur majorité.

Par exemple, si un père exploitait une ferme ou un atelier artisanal et décède en laissant des enfants mineurs, le partage immédiat des biens indivis pourrait compromettre la continuité de l’activité, en conduisant à la vente de l’exploitation.

Le maintien de l’indivision permet de préserver l’entreprise le temps que les héritiers mineurs atteignent l’âge adulte et soient capables de décider s’ils souhaitent reprendre l’activité ou vendre les biens dans de meilleures conditions.

De même, pour les biens immobiliers indivis, tels qu’une résidence familiale ou des locaux professionnels, le maintien de l’indivision garantit aux descendants mineurs la possibilité de disposer de ces biens une fois leur majorité atteinte, en évitant que le patrimoine familial ne soit dilapidé avant qu’ils puissent en assumer la gestion ou en tirer un profit.

L’article 822 du Code civil encadre les modalités de la demande de maintien de l’indivision au bénéfice des descendants mineurs. Cette demande peut être formée par plusieurs acteurs :

  • Le conjoint survivant
  • Un autre héritier majeur
  • Le représentant légal des mineurs

Cette diversité des requérants potentiels vise à offrir une protection maximale aux intérêts des enfants, en permettant à toute personne ayant un intérêt légitime dans la protection des biens indivis de solliciter le maintien de l’indivision.

Le rôle du représentant légal des mineurs est particulièrement important dans ce contexte, car c’est lui qui aura la charge de veiller à la bonne gestion des biens indivis en attendant que les héritiers mineurs atteignent la majorité.

Si le conjoint survivant, qui est souvent également le parent des enfants mineurs, décide de solliciter le maintien de l’indivision, il pourra ainsi s’assurer que les biens sont conservés dans de bonnes conditions jusqu’à ce que les enfants puissent exercer eux-mêmes leurs droits.

Le maintien de l’indivision au bénéfice des héritiers mineurs est limité dans le temps. Il ne peut, en principe, durer au-delà de la majorité du plus jeune des descendants concernés.

Cette durée maximale garantit que les enfants auront la possibilité, dès qu’ils atteindront l’âge adulte, de décider de la suite à donner aux biens indivis, que ce soit par la vente ou la poursuite de leur exploitation.

Pendant toute la durée du maintien de l’indivision, les règles habituelles de gestion de l’indivision continuent de s’appliquer. Cela signifie que les indivisaires doivent veiller à la bonne conservation des biens, et que les décisions relatives à leur administration doivent être prises de manière collégiale, conformément aux principes du Code civil.

Le maintien de l’indivision n’implique donc pas une gestion exclusive par l’un des héritiers ou par le conjoint survivant, mais repose sur une cogestion des biens, encadrée par le juge en cas de litige.

ii. Le maintien de l’indivision en présence d’un conjoint survivant

En l’absence de descendants mineurs, le conjoint survivant dispose d’une prérogative particulière lui permettant de demander le maintien de l’indivision.

Cette faculté, prévue par l’article 822, alinéa 2 du Code civil, vise à offrir une protection au conjoint survivant en lui permettant de préserver l’usage des biens indivis, qu’il s’agisse du logement familial ou de locaux professionnels, tout en évitant un partage précipité qui pourrait compromettre sa situation économique ou personnelle.

L’une des conditions pour que le conjoint survivant puisse bénéficier du maintien de l’indivision est qu’il soit copropriétaire des biens indivis.

Cette copropriété peut résulter d’une acquisition conjointe avant le décès, comme c’est souvent le cas dans les régimes matrimoniaux de séparation de biens, ou découler directement de la dévolution successorale.

Ainsi, si le conjoint survivant hérite d’une part des biens, il peut demander à en différer le partage, lui permettant de continuer à en jouir et à les gérer de manière provisoire.

Ce mécanisme a une portée particulièrement protectrice dans le cadre de l’habitation principale du couple.

Le maintien de l’indivision permet au conjoint de continuer à résider dans le logement familial sans craindre une vente forcée ou un partage immédiat, qui pourrait le priver de son cadre de vie.

Cette règle est d’autant plus importante lorsque le conjoint survivant ne dispose pas des moyens financiers pour racheter les parts des autres indivisaires ou pour se reloger dans des conditions similaires.

Il en va de même pour les locaux professionnels, notamment lorsque le conjoint survivant a été associé à l’exploitation d’une entreprise ou d’un commerce familial.

Le maintien de l’indivision permet de préserver l’activité économique, offrant au conjoint la possibilité de continuer l’exploitation sans interruption due à un partage qui pourrait désorganiser l’entreprise ou provoquer sa dissolution. Cette continuité est fondamentale pour éviter une dépréciation immédiate des biens ou une perte de rentabilité.

Cependant, une distinction importante est à faire entre la qualité de copropriétaire et celle d’usufruitier.

La jurisprudence a clairement établi que le conjoint survivant ne peut bénéficier du maintien de l’indivision s’il n’a que la qualité d’usufruitier, comme l’a confirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 14 mars 1984 (Cass. 1ère civ. 14 mars 1984, n°83-10.196).

Dans ce cas, l’usufruit ne confère pas un droit de propriété, mais seulement un droit d’usage temporaire sur les biens, ce qui exclut la possibilité de maintenir l’indivision pour ces biens.

En d’autres termes, le conjoint qui ne détient que l’usufruit n’a pas la capacité juridique de demander le maintien de l’indivision, car cette mesure est réservée aux propriétaires indivis.

Cette distinction peut s’avérer particulièrement défavorable pour les conjoints survivants qui, bien que disposant de droits d’usufruit sur le logement ou les locaux professionnels, ne peuvent prétendre à un maintien de l’indivision et sont donc potentiellement confrontés à un partage immédiat.

iii. Le maintien de l’indivision en l’absence de conjoint survivant

Lorsque ni conjoint survivant ni descendants mineurs ne sont présents, le Code civil ne prévoit pas la possibilité pour d’autres héritiers de demander un maintien forcé de l’indivision.

Le principe général du droit des successions reste que tout indivisaire a le droit de demander le partage, sauf disposition contraire légale ou conventionnelle.

Le maintien forcé est une exception à ce principe, limitée aux cas spécifiques visés par les articles 821 à 822 du Code civil.

Dans les cas où ni le conjoint survivant, ni les descendants mineurs ne sont présents, le droit de demander le partage reprend sa force et les héritiers adultes peuvent exiger le partage immédiat.

Il n’existe donc pas de maintien forcé de l’indivision pour les autres indivisaires en l’absence de conjoint survivant ou de descendants mineurs, même si la liquidation pourrait entraîner la dépréciation des biens ou la dislocation d’une entreprise familiale.

b. Modalités du maintien judiciaire

==>Compétence juridictionnelle

La demande de maintien forcé en indivision, qu’il s’agisse de locaux à usage d’habitation, professionnels ou d’une entreprise, doit être introduite devant le Tribunal judiciaire, conformément à l’article 1381 du Code de procédure civile.

Cependant, la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 a introduit une exception importante.

Lorsque l’indivision intervient dans le cadre de la sphère familiale, par exemple entre époux, concubins ou partenaires, c’est le juge aux affaires familiales qui devient compétent pour statuer sur ces demandes.

L’article 213-3 du Code de l’organisation judiciaire prévoit en ce sens que le juge aux affaires familiales connaît notamment :

  • D’une part, « des indivisions entre personnes liées par un pacte civil de solidarité ou entre concubins, de la séparation de biens judiciaire, sous réserve des compétences du président du tribunal judiciaire et du juge des tutelles des majeurs » »
  • D’autre part, « du partage des intérêts patrimoniaux des époux, des personnes liées par un pacte civil de solidarité et des concubins, sauf en cas de décès ou de déclaration d’absence »

La compétence du Juge aux affaires familiales s’étend, en outre, aux situations de divorce et plus particulièrement à l’hypothèse visée par l’article 267 du Code civil qui prévoit que « à défaut d’un règlement conventionnel par les époux, le juge statue sur leurs demandes de maintien dans l’indivision ».

==>Limitation dans le temps

  • Principe
    • Le maintien judiciaire dans l’indivision, tel que prévu par l’article 823 du Code civil, est une mesure temporaire conçue pour protéger les intérêts des indivisaires tout en respectant le droit de chacun à demander le partage.
    • Le caractère impératif du droit au partage, qui ne peut être indéfiniment écarté, guide cette limitation dans le temps.
    • En effet, la durée maximale du maintien judiciaire ne peut excéder cinq ans.
    • Cette disposition vise à trouver un équilibre entre la nécessité de maintenir l’indivision pour des raisons économiques ou familiales et le respect du droit au partage, lequel constitue un droit fondamental des indivisaires.
  • Tempéraments
    • L’article 823 du Code civil précise que cette mesure, bien que temporaire, peut être renouvelée dans certaines circonstances.
      • Première circonstance
        • En présence de descendants mineurs, l’indivision peut être maintenue jusqu’à la majorité du plus jeune d’entre eux, garantissant ainsi une protection accrue pour ces héritiers vulnérables.
      • Seconde circonstance
        • Le maintien forcé en indivision peut également être prolongé au bénéfice du conjoint survivant, sous réserve que celui-ci ait été copropriétaire des biens indivis avant le décès.
        • Dans ce cas, le juge peut renouveler la mesure tous les cinq ans jusqu’au décès du conjoint, comme l’a précisé la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2017 (Cass. 1re civ., 12 juill. 2017, n°16-20.915).

Il est cependant important de noter que la prolongation ne peut être ordonnée dès le départ pour une durée supérieure à cinq ans, ce qui permet d’évaluer périodiquement la situation et d’ajuster la mesure si nécessaire.

==>Pouvoirs du juge

Le juge dispose d’une grande latitude pour déterminer les modalités du maintien en indivision.

Il peut ordonner que l’indivision soit conservée sur l’ensemble des biens ou seulement sur certains d’entre eux, permettant ainsi un partage partiel pour les autres biens.

Cette flexibilité permet au juge de s’adapter aux circonstances particulières de chaque situation, en prenant en compte la nature des biens indivis et les besoins spécifiques des indivisaires.

Le tribunal peut ainsi fixer des conditions qui garantissent une exploitation optimale des biens tout en respectant les droits des coïndivisaires.

==>Éléments d’appréciation du juge

Le maintien judiciaire dans l’indivision, conformément à l’article 821 du Code civil, doit être fondé sur une évaluation approfondie des intérêts en présence.

Le juge dispose d’une grande latitude pour apprécier les demandes de maintien en indivision, mais il est tenu de motiver sa décision en tenant compte des critères légaux.

En particulier, l’article 821, alinéa 3, du Code civil prévoit que le tribunal doit statuer en fonction des « intérêts en présence et des moyens d’existence que la famille peut tirer des biens indivis ».

Cette évaluation implique que le juge prenne en considération non seulement l’intérêt des indivisaires demandant le maintien de l’indivision, mais également celui des autres co-indivisaires qui peuvent souhaiter sortir de cette situation.

La finalité de cette mesure est de garantir que l’indivision soit maintenue uniquement lorsque cela sert un objectif légitime, comme la préservation d’une activité économique ou la stabilité du logement familial.

Dans ce cadre, il est crucial que la décision du juge reflète un examen comparatif des intérêts en jeu.

Ainsi, par exemple, le maintien de l’indivision peut être refusé si le tribunal estime que les créanciers du défunt doivent pouvoir recouvrer leurs créances, comme cela a été jugé dans une affaire où l’endettement du défunt nécessitait la vente de l’immeuble indivis (CA Reims, ch. civ., 16 janv. 2003).

Le juge doit ainsi chercher à équilibrer les besoins de ceux qui souhaitent maintenir l’indivision, notamment pour des raisons économiques ou familiales, avec le droit des autres indivisaires de demander le partage immédiat.

La motivation du tribunal doit démontrer que tous les éléments pertinents ont été pris en compte, et que la décision vise à éviter une prolongation injustifiée de l’indivision ou une atteinte disproportionnée aux droits des co-indivisaires.

==>La formulation de demandes concurrentes

Certains textes encadrant l’attribution préférentielle prévoient des cas où il est admis qu’une demande de maintien en indivision puisse être formée. C’est notamment le cas pour les exploitations agricoles ne dépassant pas certaines limites de superficie, conformément à l’article 832 du Code civil.

Il en va de même pour l’attribution préférentielle demandée en vue de constituer un groupement foncier agricole (GFA), en vertu de l’article 832-1 du même code.

Par ailleurs, le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut, sous certaines conditions, demander à bénéficier d’un bail à long terme sur certains biens indivis.

La question qui alors se pose est de savoir l’ordre de priorité du traitement des demandes en cas de formulation de demandes concurrentes.

Faut-il d’abord statuer sur la demande d’attribution préférentielle, qui octroie la propriété exclusive d’un bien indivis à l’un des héritiers, ou sur le maintien en indivision, qui a pour but de retarder le partage des biens concernés ?

Certains auteurs estiment que le juge conserve une importante liberté d’appréciation pour trancher selon les circonstances propres à chaque affaire. Ils soutiennent qu’aucune cause de préférence légale ne devrait prévaloir entre ces deux demandes, le maintien en indivision et l’attribution préférentielle ayant des objectifs distincts. En ce sens, il appartiendrait au juge d’évaluer, au cas par cas, laquelle des demandes doit être priorisée.

Cependant, la Cour de cassation a tranché la question dans un arrêt du 22 mai 2007, en précisant que l’attribution préférentielle devait être examinée en priorité.

Dans cette décision, elle a jugé « qu’il résulte de l’article 815, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 qu’une demande d’attribution préférentielle doit être examinée préalablement à une demande de maintien dans l’indivision et indépendamment de celle-ci » (Cass. 1re civ., 22 mai 2007, n°04-20.205).

Cette priorité accordée à l’attribution préférentielle s’explique par la nature même de cette demande, qui tend à attribuer à un indivisaire un droit de propriété exclusif sur un bien indivis.

L’attribution préférentielle met donc fin à l’indivision sur ce bien, tandis que le maintien en indivision est une mesure temporaire visant à différer le partage des biens dans leur ensemble ou en partie.

Ainsi, le juge privilégie logiquement la solution plus définitive qu’offre l’attribution préférentielle avant de se prononcer sur la continuité de l’indivision. Cette approche permet de protéger plus efficacement les droits des indivisaires et d’éviter une gestion prolongée et incertaine des biens indivis.

c. Effets du maintien judiciaire

Le principal effet du maintien judiciaire est de suspendre la possibilité de demander le partage pendant la durée fixée par le juge.

Durant cette période, l’indivision est maintenue, et les indivisaires continuent de jouir et de gérer les biens indivis selon les règles habituelles de gestion. Ils conservent leurs droits de jouissance, de gestion et d’administration sur les biens, mais ils ne peuvent pas demander le partage avant l’expiration de la période fixée par le tribunal.

Pendant la durée du maintien, les indivisaires doivent continuer à gérer les biens indivis dans l’intérêt commun, conformément aux règles de la gestion de l’indivision prévues par le Code civil. Cela inclut notamment la réalisation des actes conservatoires et d’administration, dans le respect de l’accord des autres indivisaires ou, à défaut, des règles de majorité.

Si les circonstances qui justifiaient le maintien disparaissent avant l’expiration du délai fixé, un indivisaire peut demander au tribunal de mettre fin au maintien de l’indivision.

Par exemple, si les travaux qui devaient permettre une meilleure valorisation d’un bien indivis sont achevés plus rapidement que prévu, ou si l’indivisaire qui devait reprendre une entreprise décède, la mesure de maintien peut perdre sa raison d’être. Le tribunal dispose alors d’un pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la demande de fin anticipée du maintien.

Il est important de noter que, sauf exception liée à la présence d’héritiers mineurs, le maintien judiciaire ne peut être renouvelé au-delà des cinq ans prévus par la loi.

Les indivisaires retrouvent leur droit de demander le partage à l’expiration de ce délai. Toutefois, si tous les indivisaires sont d’accord, ils peuvent prolonger l’indivision de manière conventionnelle après l’expiration du maintien forcé.

2. Le sursis au partage

Le sursis au partage constitue une exception au principe de libre sortie de l’indivision, et permet temporairement de suspendre le partage des biens indivis.

Il s’agit d’une mesure particulièrement encadrée, justifiée dans des circonstances où le partage immédiat risquerait de porter atteinte aux intérêts économiques des indivisaires ou à la gestion des biens indivis.

Le sursis au partage est régi par l’article 820 du Code civil, issu de la loi du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, qui a renforcé la possibilité de maintenir provisoirement l’indivision dans des cas spécifiques.

Le sursis au partage se distingue ainsi du maintien forcé dans l’indivision, dont l’objectif est d’assurer la protection d’intérêts légitimes sur une plus longue durée.

a. Le domaine du sursis au partage

Le sursis au partage, prévu par l’article 820 du Code civil, est donc une mesure exceptionnelle qui permet de suspendre temporairement le partage des biens indivis lorsqu’un partage immédiat serait inapproprié.

Cette mesure intervient dans deux hypothèses principales :

  • D’une part, lorsque le partage pourrait nuire à la valeur des biens
  • D’autre part, lorsqu’un indivisaire envisage de reprendre une entreprise dépendant de la succession, mais nécessite un délai pour être prêt à cette reprise.

i. Le risque d’atteinte à la valeur des biens indivis

Le premier cas de sursis concerne le risque d’atteinte à la valeur des biens indivis si le partage intervient à un moment inopportun.

L’objectif est de protéger les intérêts communs des indivisaires en évitant de dévaloriser les biens concernés. Le sursis peut ainsi être demandé lorsque le partage immédiat risquerait de provoquer une vente judiciaire en période de crise immobilière, ou lorsque la valeur des biens est susceptible d’évoluer positivement dans un avenir proche.

Par exemple, si un bien indivis est situé dans une zone sujette à des projets d’urbanisme ou à des modifications du Plan Local d’Urbanisme (PLU), sa valeur pourrait fluctuer en fonction des décisions administratives à venir.

De même, le sursis peut être sollicité si l’un des biens indivis est en cours de rénovation, et que les travaux doivent être terminés pour maximiser la valeur du bien avant tout partage. Ce cas de sursis se fonde sur l’idée que le report du partage préserverait la valeur économique des biens indivis pour le bénéfice de tous les indivisaires.

Il est important de noter que ce sursis ne s’applique pas uniquement en cas de perte immédiate de valeur, mais peut également être invoqué lorsqu’une plus-value est attendue dans un avenir proche.

Par exemple, un indivisaire pourrait solliciter un sursis au partage dans l’attente d’une amélioration des conditions économiques, d’une décision administrative favorable, ou d’une situation plus avantageuse sur le marché immobilier.

ii. La reprise d’une entreprise par un indivisaire

Le second cas de sursis concerne spécifiquement les indivisions successorales.

Ici, le sursis au partage permet de différer le partage lorsqu’un des indivisaires souhaite reprendre une entreprise dépendant de la succession, qu’elle soit agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale, mais qu’il nécessite un délai pour y parvenir. Ce cas est directement lié à la situation de l’entreprise et à la capacité de l’indivisaire de l’exploiter.

Cette hypothèse suppose que l’indivisaire demandeur du sursis puisse, dans un avenir proche, être en mesure de reprendre l’entreprise en répondant aux exigences professionnelles et financières nécessaires.

Le sursis permet donc de lui laisser le temps d’acquérir les qualifications ou financements requis pour exploiter l’entreprise de manière indépendante. Toutefois, si la reprise par l’indivisaire concerné est jugée improbable ou irréalisable, le sursis peut être refusé par le tribunal.

Cette faculté est ouverte pour protéger l’exploitation d’entreprises agricoles, mais s’est depuis étendue à toute entreprise commerciale ou libérale dépendant d’une indivision successorale.

b. Les conditions de la demande de sursis au partage

Pour que la demande de sursis au partage soit recevable, plusieurs conditions doivent être réunies.

Ces conditions permettent de garantir que le sursis ne soit accordé que dans des situations véritablement justifiées, où il est dans l’intérêt de préserver l’indivision pour éviter des conséquences défavorables pour les biens ou les indivisaires.

i. Le demandeur : seul un indivisaire peut solliciter le sursis

La demande de sursis au partage ne peut être formulée que par un indivisaire. Il incombe à cet indivisaire de démontrer que le report du partage est justifié par l’un des motifs prévus par l’article 820 du Code civil, à savoir :

  • Préserver la valeur des biens : l’indivisaire doit prouver que le partage immédiat pourrait entraîner une perte de valeur des biens indivis, en raison par exemple de conditions économiques défavorables ou de travaux non achevés.
  • Faciliter la reprise d’une entreprise : dans le cadre d’une indivision successorale, un indivisaire qui souhaite reprendre une entreprise (qu’elle soit agricole, industrielle, commerciale, artisanale ou libérale) peut solliciter un sursis pour obtenir le temps nécessaire à l’acquisition des compétences, des financements, ou d’autres ressources indispensables pour assurer la continuité de l’activité.

Ce droit de solliciter le sursis est exclusivement réservé aux indivisaires. En principe, les créanciers des indivisaires ou des tiers ne peuvent pas formuler une telle demande, même s’ils ont un intérêt financier dans l’issue du partage. Par exemple, un créancier ne pourrait pas invoquer la nécessité de reporter le partage pour garantir le remboursement de ses créances.

Cependant, une nuance s’impose lorsqu’un créancier agit dans le cadre de l’action oblique, en se substituant à son débiteur indivisaire pour provoquer le partage.

Dans ce cas, la Cour de cassation a affirmé que la demande de sursis au partage reste recevable, même lorsque le partage est demandé par un créancier agissant sur le fondement de l’action oblique.

En effet, dans un arrêt du 6 février 1996, la Cour a jugé que les indivisaires peuvent, en réponse à une demande de partage formulée par un créancier de l’un d’eux, solliciter un sursis au partage (Cass. 1ère civ., 6 février 1996, n°93-21.320).

Le créancier, agissant par l’action oblique, exerce les droits de son débiteur et se voit opposer les mêmes exceptions que ce dernier, notamment celle du sursis.

Ainsi, même lorsque le partage est initié par un créancier dans le cadre de l’action oblique, le sursis au partage peut être demandé par les indivisaires concernés.

Dans ce contexte, ils doivent démontrer que l’une des conditions prévues par l’article 820 du Code civil est remplie, telles que la préservation de la valeur des biens ou la reprise d’une entreprise.

ii. Temporalité de la demande

La demande de sursis au partage est encadrée par un cadre temporel précis et doit être introduite en réponse à une demande de partage.

En pratique, cela signifie qu’elle intervient généralement sous la forme d’une demande reconventionnelle, c’est-à-dire qu’un indivisaire sollicite le sursis lorsque l’autre partie a initié une procédure de partage des biens indivis.

Cette demande de sursis peut être présentée à tout stade de la procédure de partage, tant que le partage n’a pas été définitivement prononcé par une décision irrévocable.

En effet, la jurisprudence a reconnu qu’il est possible de formuler une demande de sursis pour la première fois en cause d’appel.

Ainsi, même après une décision de première instance ordonnant le partage, un indivisaire peut introduire une demande de sursis en appel, tant que cette décision n’est pas devenue irrévocable. La Cour de cassation a réaffirmé ce principe dans un arrêt du 3 octobre 2019 (Cass. 1re civ., 3 oct. 2019, n° 18-21.200), validant ainsi la possibilité pour un indivisaire d’introduire une telle demande à n’importe quel moment de la procédure, dès lors que le partage n’a pas encore été ordonné de manière définitive.

Toutefois, une fois qu’un jugement de partage a été rendu et qu’il est devenu définitif, aucune demande de sursis ne sera recevable.

Cette interdiction découle du principe de l’autorité de la chose jugée.

En d’autres termes, lorsqu’une juridiction a définitivement statué sur le partage des biens indivis, la demande de sursis au partage serait en contradiction directe avec la décision rendue. Le maintien des biens dans l’indivision serait incompatible avec un partage déjà ordonné.

Par conséquent, toute demande de sursis introduite après qu’un jugement irrévocable a été rendu serait nécessairement rejetée, comme l’a rappelé la Cour dans plusieurs décisions antérieures (Cass. 1ère civ., 15 mai 1979, 78-10.266).

Ainsi, la temporalité de la demande est un élément crucial à prendre en compte quant à sa recevabilité : tant que le jugement de partage n’a pas acquis un caractère définitif, le sursis peut être demandé, y compris pour la première fois en cause d’appel. Mais une fois le partage devenu irrévocable, la demande de sursis est irrecevable et ne pourra plus être examinée.

c. Les modalités d’exercice de la demande de sursis

La demande de sursis au partage est soumise à un cadre procédural rigoureux, tant en ce qui concerne la juridiction compétente que les conditions de recevabilité.

==>Juridiction compétente

En vertu de l’article 1381 du Code de procédure civile, c’est le tribunal judiciaire qui est, en principe, compétent pour examiner les demandes de sursis au partage.

Cependant, lorsque la demande de partage concerne des biens indivis entre époux, concubins ou partenaires de PACS, la compétence est dévolue au juge aux affaires familiales.

Cette règle, énoncée à l’article L. 213-3 du Code de l’organisation judiciaire, vise à simplifier et centraliser les contentieux liés aux relations familiales, en attribuant cette matière à un juge spécialisé dans ce type de conflits.

==>La nature contentieuse de la demande de sursis

La demande de sursis au partage est une demande contentieuse qui intervient nécessairement dans le cadre d’une procédure en partage.

Elle n’existe pas de manière autonome, mais est toujours liée à une instance préalable introduite en vue d’obtenir un partage des biens indivis.

Généralement, cette demande est formulée par un indivisaire en réponse à une demande initiale de partage, souvent sous la forme d’une demande reconventionnelle.

L’objectif est de reporter le partage afin de préserver la valeur des biens indivis ou de permettre la reprise d’une entreprise par l’un des indivisaires.

Il est également important de noter que le sursis au partage doit être motivé par des raisons économiques légitimes ou par la nécessité de permettre à un indivisaire de reprendre une entreprise.

Le tribunal, qui est saisi de la demande, dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation pour évaluer la pertinence et la légitimité de la demande. Ce pouvoir est essentiel car il permet au juge de s’assurer que la suspension du partage répond à des critères objectifs et qu’elle est dans l’intérêt des indivisaires.

Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation notamment dans un arrêt rendu le 8 janvier 1985 (Cass. 1re civ., 8 janv. 1985, n°83-13.659).

==>Pouvoirs du juge

Le tribunal, saisi de la demande de sursis, dispose d’une marge d’appréciation importante quant aux biens indivis concernés.

En effet, l’article 820 du Code civil précise que le sursis peut s’appliquer à l’ensemble des biens indivis ou uniquement à certains d’entre eux.

Le juge doit dès lors décider si le sursis doit être global, c’est-à-dire concerner tous les biens de l’indivision, ou limité à certains biens spécifiques, en fonction des circonstances de l’affaire.

Par exemple, si le partage d’un bien indivis risque de porter atteinte à la valeur globale de la masse successorale, le juge pourra ordonner un sursis pour ce bien précis, tout en permettant le partage des autres biens.

==>Durée du sursis

L’article 820 du Code civil prévoit que « le tribunal peut surseoir au partage pour deux années au plus ».

Il s’agit là d’un délai maximal que peut accorder le juge lorsqu’il prononce un sursis au partage.

Ce délai a été fixé pour éviter que le maintien de l’indivision ne devienne une situation indéfinie, tout en garantissant une marge de manœuvre suffisante pour surmonter les obstacles économiques ou personnels justifiant la demande.

Le législateur a choisi cette durée pour permettre aux indivisaires de préparer sereinement un partage ou une reprise, sans pour autant immobiliser indéfiniment les biens de l’indivision, ce qui pourrait porter atteinte aux droits des autres coïndivisaires.

==>Appréciation de la durée du sursis

S’agissant de la fixation du délai, il peut être observé que le juge, lorsqu’il statue, dispose d’un pouvoir souverain pour ajuster la durée du sursis en fonction des circonstances propres à chaque affaire.

Il n’est pas obligé de toujours accorder la durée maximale de deux ans, mais peut, au contraire, fixer une durée inférieure si les éléments du dossier ne justifient pas une suspension aussi longue.

Par exemple, si les conditions économiques doivent s’améliorer dans un laps de temps plus court ou si les travaux sur un bien indivis sont sur le point d’être achevés, le juge pourra estimer qu’une période de sursis plus brève suffira pour atteindre l’objectif poursuivi.

A cet égard, dans un arrêt du 8 janvier 1985 la Cour de cassation a rappelé que les juges du fond disposaient d’une liberté totale pour fixer la durée du sursis en tenant compte des particularités de chaque situation, notamment des éléments économiques ou des projets de reprise d’entreprise (Cass. 1ère civ., 8 janv. 1985, n°83-13.659). Ce pouvoir discrétionnaire leur permet de s’adapter aux circonstances et de garantir que le sursis reste proportionné aux enjeux en cause.

De plus, si un indivisaire tente de prolonger de facto la durée du sursis en multipliant les recours ou en ralentissant la procédure, les juges peuvent tenir compte des délais procéduraux accumulés lors de l’examen de la demande initiale.

En effet, le temps passé en procédure peut déjà constituer une forme de sursis, comme l’a relevé la jurisprudence, et justifier un rejet de la demande si celle-ci apparaît abusive ou si elle prolonge indûment l’indivision.

==>Non-renouvellement du sursis

L’article 820 du Code civil dispose que la durée du sursis ne peut excéder deux ans, et ce délai est non renouvelable.

En conséquence, une fois le sursis octroyé pour une période de deux ans, aucun nouveau sursis ne pourra être sollicité pour les mêmes biens, contrairement à ce qui est permis dans le cadre du maintien conventionnel de l’indivision.

Toutefois, s’il a été initialement accordé pour une durée inférieure à deux ans, il est admis qu’une prorogation puisse être demandée, tant que la durée totale du sursis ne dépasse pas les deux ans. Cela permet une certaine flexibilité dans l’application de cette mesure, en fonction des circonstances spécifiques à chaque affaire.

En revanche, si les biens concernés par le sursis ont changé, il est possible de demander un nouveau sursis pour ces autres biens, sans que cela entre en conflit avec le principe de non-renouvellement. Cette faculté vise à protéger les intérêts des indivisaires tout en respectant le cadre temporel strict imposé par la loi.

==>Disparition du fondement du sursis

Le sursis au partage repose sur des motifs économiques ou des raisons liées à la reprise d’une entreprise indivise. Toutefois, il est possible que ces motifs disparaissent avant l’expiration du délai de sursis.

Par exemple, si un projet de rénovation d’un immeuble indivis est finalisé plus tôt que prévu, ou si des droits litigieux sur un bien indivis sont tranchés par une décision de justice avant l’expiration du sursis, les raisons initiales justifiant la suspension du partage disparaissent, permettant ainsi de relancer le processus de partage.

Dans ces cas, il est possible de revenir devant le tribunal judiciaire pour demander la levée anticipée du sursis, permettant ainsi de relancer la procédure de partage.

La jurisprudence et la doctrine sont favorables à une telle demande, car le sursis doit être justifié par une nécessité objective. Si cette nécessité disparaît, il est logique de permettre aux indivisaires de reprendre la procédure de partage sans attendre l’expiration du délai initialement fixé.

d. Les effets de la demande de sursis

==>Suspension du partage

L’effet principal du sursis est de reporter le partage des biens indivis pendant la durée fixée par le juge, qui ne peut excéder deux ans.

Durant cette période, l’indivision est maintenue dans sa forme actuelle, et aucun acte de partage ne peut être entrepris, même si l’une des parties en exprime la volonté.

Le sursis permet ainsi de geler la situation juridique des biens indivis afin d’éviter une vente ou un partage dans des conditions défavorables, notamment sur le plan économique ou organisationnel (par exemple, en cas de reprise différée d’une entreprise).

Cependant, le sursis n’a pas pour vocation de transformer l’indivision en situation définitive.

À l’expiration du délai fixé par le juge, le partage devra obligatoirement intervenir, à moins que les indivisaires ne décident de maintenir volontairement l’indivision par le biais d’une convention.

Dans ce cas, les parties peuvent se prévaloir des dispositions des articles 1873-1 et suivants du Code civil, qui permettent de conclure des conventions d’indivision afin de prolonger celle-ci au-delà du délai imposé par le juge. Ce maintien conventionnel est donc distinct du sursis judiciaire, qui, lui, reste strictement temporaire.

==>Absence d’incidence sur les droits des indivisaires

Bien que le partage soit suspendu pendant la durée du sursis, cette suspension n’a pas d’incidence sur les droits des indivisaires quant à la jouissance ou la gestion des biens indivis.

Les indivisaires continuent de disposer de leurs droits ordinaires, notamment en ce qui concerne l’utilisation des biens indivis. Par exemple, si un bien immobilier est loué, les revenus locatifs continueront d’être répartis entre les indivisaires, conformément aux règles normales de l’indivision.

En matière de gestion, les règles prévues par le Code civil pour l’indivision demeurent applicables.

Ainsi, toute décision relative à la gestion courante des biens indivis peut être prise à la majorité des deux tiers, comme le prévoit l’article 815-3 du Code civil.

Les actes de disposition (vente d’un bien, par exemple) nécessitent, quant à eux, l’unanimité des indivisaires. Le sursis n’a donc pas pour effet de restreindre les prérogatives de gestion des indivisaires, mais il interdit simplement de procéder au partage pendant la période concernée.

Il est important de souligner que le sursis, bien qu’il suspende le partage, n’est pas une période d’inertie. Les indivisaires peuvent continuer à valoriser et exploiter les biens indivis, à condition que ces actes soient conformes à l’intérêt commun et respectent les règles de gestion applicables.

==>Absence d’incidence sur les droits des créanciers

Le sursis au partage n’affecte pas directement les droits des créanciers des indivisaires.

En effet, les créanciers conservent la faculté de poursuivre leurs actions sur la part indivise de l’indivisaire débiteur, conformément aux dispositions de l’article 815-17 du Code civil, qui leur permet de saisir la part indivise d’un débiteur en difficulté.

Néanmoins, si un créancier engage une procédure pour obtenir la saisie de la part indivise d’un indivisaire, la suspension du partage peut être invoquée pour différer la liquidation de cette part dans l’intérêt de tous les indivisaires.

Dans cette hypothèse, le créancier n’est pas privé de son droit, mais la réalisation effective du partage pourrait être reportée jusqu’à l’expiration du délai du sursis. Cela permet d’éviter que le partage soit précipité à un moment défavorable pour l’ensemble des indivisaires, ce qui pourrait entraîner une vente forcée des biens à une valeur inférieure à leur potentiel économique.

La jurisprudence a souligné l’importance de cet équilibre entre les droits des créanciers et la préservation de l’intérêt collectif des indivisaires.

Ainsi, les juges peuvent, en fonction des circonstances, accepter ou refuser d’accélérer une liquidation si cela porte atteinte à la valeur des biens indivis ou compromet une reprise d’entreprise par un indivisaire.

 

 

  1. Ph. Malaurie et C. Brenner, Droit des successions, 9? éd., Defrénois, 2020, n° 708 ?

Gestion de l’indivision: l’autorisation d’effectuer des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration des immeubles d’habitation situés dans les départements d’outre-mer

L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.

Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.

A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.

Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.

Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation d’effectuer des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration des immeubles d’habitation situés dans les départements d’outre-mer.

L’article 815-7-1 du Code civil, introduit par la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, constitue un dispositif spécifique destiné à faciliter la remise sur le marché locatif des immeubles indivis vacants situés dans les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) et dans la collectivité de Saint-Martin.

Ce texte permet à un indivisaire, sous certaines conditions, de réaliser des travaux et actes administratifs sans l’accord des autres indivisaires.

==>Finalité du dispositif

La mesure vise à répondre à un enjeu spécifique : lutter contre la vacance prolongée des immeubles indivis dans ces territoires, souvent caractérisée par des mésententes entre coïndivisaires ou une gestion déficiente.

L’objectif est de permettre à un indivisaire d’engager des travaux d’amélioration, de réhabilitation ou de restauration, afin de rendre le bien éligible à la location à usage d’habitation principale.

La règle énoncée à l’article 815-7-1 du Code civil reflète une volonté législative de revitaliser le parc immobilier locatif dans les départements d’outre-mer.

Comme indiqué dans les travaux parlementaires, cette mesure permet à un indivisaire de passer outre l’absence d’accord des coïndivisaires, facilitant ainsi les démarches nécessaires à la mise en location de biens vacants.

==>Conditions d’application

La mise en œuvre de l’article 815-7-1 est soumise à la réunion de plusieurs conditions :

  • Conditions relatives à l’immeuble
    • L’immeuble doit être situé en Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion ou Saint-Martin.
    • Il doit être à usage d’habitation ou à usage mixte (habitation et professionnel).
    • L’immeuble doit être vacant ou inoccupé depuis plus de deux années civiles.
  • Conditions relatives aux travaux et actes autorisés
    • Les travaux doivent être de nature à améliorer, réhabiliter ou restaurer l’immeuble.
    • Les actes juridiques, tels que les formalités d’administration et de publicité, doivent viser exclusivement à permettre la location du bien à titre d’habitation principale.

==>Régime

L’article 815-7-1 prévoit que l’autorisation judiciaire est donnée «?dans les conditions prévues aux articles 813-1 à 813-9 du Code civil?», qui régissent la désignation d’un mandataire successoral.

Ce renvoi emporte plusieurs conséquences :

  • Compétence juridictionnelle : le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la demande.
  • Mandat judiciaire : l’indivisaire autorisé agit comme un mandataire judiciaire, disposant des pouvoirs nécessaires pour accomplir les actes requis.
  • Harmonisation avec les règles successorales : bien que le texte ne limite pas son champ d’application aux seules indivisions successorales, le renvoi aux règles du mandat successoral suscite certaines interrogations, notamment quant à l’applicabilité de ces dispositions dans d’autres contextes d’indivision.