L’obligation d’information dans le contrat d’assurance est trop souvent envisagée à sens unique, comme s’il revenait exclusivement à l’assureur — ou à l’intermédiaire — d’éclairer le candidat à l’assurance sur la teneur des garanties, les exclusions, ou encore les modalités de souscription. Cette vision, largement influencée par les exigences de protection du consommateur et confortée par les textes récents issus de la directive sur la distribution d’assurances (notamment les articles L. 521-2 et L. 521-4 du Code des assurances), tend à reléguer au second plan un pan pourtant fondamental du droit des assurances : l’exigence d’un dialogue contractuel, dans lequel l’information circule dans les deux sens.
Car l’équilibre du contrat d’assurance ne repose pas uniquement sur l’obligation d’information et le devoir de conseil du professionnel. Il implique tout autant la participation active du preneur d’assurance, seul à même de révéler les éléments concrets de sa situation personnelle, professionnelle ou patrimoniale, sur lesquels l’assureur doit s’appuyer pour évaluer le risque proposé à la couverture. À défaut d’un tel apport d’informations, la formation du contrat ne saurait se faire dans des conditions de transparence et de confiance suffisantes pour justifier l’engagement de garantie. Le consentement de l’assureur, loin d’être abstrait, se construit sur la base de données spécifiques, parfois complexes, que lui seul ne peut recueillir sans le concours de son cocontractant.
C’est en ce sens que la doctrine contemporaine souligne l’originalité du droit des assurances: dans une matière dominée par l’incertitude et la probabilité, le contrat repose moins sur une stricte égalité d’information que sur une exigence de coopération loyale. Cette coopération impose au preneur d’assurance de contribuer activement à la constitution du contrat, en fournissant à l’assureur les éléments nécessaires à l’appréciation du risque. L’obligation d’information à sa charge s’enracine ainsi dans le principe de bonne foi et dans la logique propre au mécanisme assurantiel.
I. L’obligation de déclaration des risques
A. Nécessité de la déclaration des risques
La formation du contrat d’assurance repose sur un échange d’informations destiné à garantir l’équilibre des engagements souscrits par les parties. Cet échange n’est pas unilatéral : il implique une participation active de chacun, afin de permettre une rencontre véritable des volontés autour d’un objet aussi évolutif que le risque. Si les textes récents ont souligné, à juste titre, l’importance des obligations d’information pesant sur l’assureur, il ne faut pas perdre de vue que l’efficacité même du contrat repose d’abord sur les déclarations du preneur d’assurance, seul véritable dépositaire des éléments constitutifs du risque qu’il entend faire garantir.
À cet égard, le droit positif consacre une obligation de déclaration à la charge de l’assuré, prévue à l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances. Cette obligation ne se réduit ni à une formalité, ni à une simple étape procédurale dans la souscription du contrat : elle constitue la contrepartie directe de l’engagement de couverture pris par l’assureur. Ce dernier ne peut apprécier l’opportunité de garantir un risque, ni fixer le montant de la prime et les modalités de la garantie, sans disposer d’informations précises, loyales et complètes sur la situation qu’on lui demande de couvrir. Loin d’être secondaire, l’obligation de déclaration constitue ainsi une condition essentielle de validité et d’équilibre du contrat.
Cette exigence trouve son fondement dans le principe de bonne foi, qui irrigue l’ensemble du droit des assurances. Contrairement au droit commun, où le silence peut, dans certaines circonstances, être tenu pour stratégique et légitime, le droit des assurances repose sur une logique inverse?: l’omission volontaire ou même négligente de certains éléments peut vicier le consentement de l’assureur et compromettre la loyauté du lien contractuel. L’assuré n’est pas seulement invité à répondre aux questions qu’on lui pose?; il est tenu d’informer spontanément l’assureur de tout fait de nature à influencer l’évaluation du risque. Le silence, en assurance, peut être fautif.
C’est pour favoriser cette transparence que la pratique a généralisé l’usage du questionnaire de déclaration des risques, par lequel l’assureur encadre les informations attendues. Ce dispositif, certes utile pour sécuriser les échanges, ne délimite cependant pas à lui seul l’étendue de l’obligation déclarative. La jurisprudence rappelle régulièrement que l’assuré reste tenu, indépendamment des questions posées, de révéler tout élément pertinent. Le formulaire n’en constitue que le support : c’est le principe de sincérité qui en définit la portée.
Surtout, cette obligation ne s’épuise pas à la formation du contrat. Parce que l’assurance est un contrat à exécution successive, les données initiales peuvent évoluer, et avec elles, la nature du risque garanti. D’où l’existence d’une obligation complémentaire, celle d’informer l’assureur en cas de circonstances nouvelles ou d’aggravation du risque. Le législateur a expressément encadré cette dimension temporelle, en étendant l’obligation de déclaration au-delà de la conclusion du contrat, et en prévoyant des sanctions en cas de manquement.
Il en résulte une asymétrie assumée?: le preneur d’assurance, précisément parce qu’il sollicite la protection d’un risque qu’il connaît mieux que son assureur, est tenu à un devoir actif de coopération. Ce devoir n’est pas accessoire. Il est au cœur du mécanisme assurantiel. Loin d’être un simple droit à l’information, comme en droit de la consommation, l’obligation de renseignement devient pour l’assuré une obligation déterminante, à la fois fondement du consentement de l’assureur, gage de loyauté contractuelle, et condition de stabilité du régime de garantie. Toute omission ou inexactitude altère l’équilibre du contrat et compromet le fonctionnement même de la mutualisation des risques.
B. Modalités de la déclaration des risques
1. Droit antérieur
Avant d’être réformé par la loi n°89-1014 du 31 décembre 1989, le droit des assurances imposait à l’assuré une obligation particulièrement rigoureuse : celle de déclarer, de sa propre initiative, toutes les circonstances dont il avait connaissance et qui étaient de nature à influencer l’appréciation du risque par l’assureur. Ce devoir, énoncé à l’ancien article L. 113-2, 2° du Code des assurances issu de la loi du 13 juillet 1930, s’inscrivait dans un régime que l’on qualifie classiquement de « déclaration spontanée ». Il commandait à l’assuré de se projeter dans la position de son cocontractant, pour deviner ce qui pourrait l’intéresser dans l’évaluation du risque, sans que celui-ci ait à lui poser la moindre question.
L’exigence pouvait sembler théoriquement cohérente dans un modèle fondé sur la bonne foi contractuelle, mais elle se révélait en pratique d’une redoutable sévérité. L’assuré, souvent profane, était contraint d’apprécier seul le périmètre de son obligation de déclaration, sous peine de s’exposer aux sanctions les plus lourdes, et notamment à la nullité du contrat en cas de réticence ou de fausse déclaration même intentionnelle (C. assur., art. L. 113-8). La jurisprudence elle-même soulignait que l’assuré devait révéler tout élément de nature à influencer l’opinion de l’assureur sur les risques qu’il prenait à sa charge (Cass. 1re civ., 2 nov. 1954). Ce dispositif traduisait une conception déséquilibrée du contrat d’assurance, en faisant peser sur l’assuré seul la double charge de l’initiative déclarative et de l’appréciation des éléments pertinents à révéler.
Certes, la pratique avait progressivement vu émerger l’usage de questionnaires de risques, mais ceux-ci n’avaient, aux yeux de la jurisprudence, qu’une valeur indicative. Ils ne réduisaient en rien la portée de l’obligation spontanée. Ainsi, la Cour de cassation considérait que les questions de l’assureur n’avaient d’autre fonction que d’attirer l’attention de l’assuré sur certaines circonstances, sans limiter pour autant l’étendue de son obligation de déclaration (Cass. 1re civ., 3 déc. 1974, n° 73-12.610). Le questionnaire ne servait donc pas à borner le champ de l’obligation, mais seulement à en rappeler la gravité.
Ce régime, par trop exigeant, était à bien des égards critiqué. La doctrine dénonçait la logique implicite d’un système dans lequel l’assuré, à défaut de disposer des compétences techniques de l’assureur, pouvait omettre des éléments essentiels sans mauvaise foi, simplement faute d’en avoir perçu la pertinence. Cette situation mettait en péril l’équité de la relation contractuelle, mais aussi le bon fonctionnement du mécanisme assurantiel fondé sur la mutualisation du risque. Comme l’écrivait Pierre Catala, la justice commutative au sein de la mutualité exigeait que l’assuré, même de bonne foi, puisse être sanctionné lorsqu’il avait involontairement minoré le risque déclaré, au détriment de l’équilibre économique de l’ensemble des contrats.
La rigueur du régime antérieur se doublait d’une incertitude jurisprudentielle quant aux conditions d’engagement de la responsabilité de l’assuré en cas d’omission. Bien que la charge de la preuve incombât en principe à l’assureur, notamment s’agissant de l’inexactitude ou du caractère déterminant de l’élément non déclaré, cette exigence probatoire demeurait insuffisante pour compenser l’asymétrie structurelle entre les parties. À l’assureur, professionnel aguerri, répondait un assuré le plus souvent profane, contraint d’anticiper, sans assistance, les attentes implicites de son cocontractant. Ce déséquilibre, à la fois technique et économique, expliquait l’instabilité d’un contentieux abondant et l’appel croissant à une réforme du dispositif légal.
C’est dans ce contexte que la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 est venue refonder les modalités de déclaration du risque. En substituant au modèle de la déclaration spontanée un mécanisme fondé sur l’interrogation explicite de l’assuré — via un questionnaire formalisé — le législateur a opéré un renversement du système mis en place depuis 1930. La logique déclarative, jusque-là spontanée et extensive, a cédé la place à une logique de réponse provoquée, délimitée par les seules questions posées. Cette réforme a profondément modifié les équilibres de la phase précontractuelle, en recentrant la responsabilité de l’information sur celui qui, seul, est en mesure d’identifier les éléments déterminants pour l’appréciation du risque.
2. Droit positif
a. Le principe du questionnaire : vers une déclaration provoquée
La loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 a profondément modifié le régime de la déclaration des risques en assurance, en substituant au système de la déclaration spontanée un modèle fondé sur l’interrogation explicite de l’assuré. Cette réforme, introduite à l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances, impose désormais à l’assuré de « répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». Cette substitution d’une logique de réponse à une logique de déclaration inaugure ce que la doctrine a qualifié de « déclaration provoquée », fondée sur un principe de questionnaire préalablement établi par le professionnel.
Ce renversement s’inscrit dans la reconnaissance d’un déséquilibre économique et technique : seul l’assureur, en sa qualité de professionnel du risque, est en mesure d’identifier les données nécessaires à l’évaluation du risque, tandis que l’assuré, généralement profane, ne dispose pas des moyens de discerner ce qui mérite d’être révélé. En effet, comme le soulignait déjà la Commission des clauses abusives dès 1985, l’assuré ne peut raisonnablement savoir quelles circonstances sont de nature à influencer l’appréciation du risque par l’assureur. Il revient donc à ce dernier de poser les questions pertinentes. Le rôle de l’assuré se limite dès lors à y répondre loyalement, avec exactitude et sincérité. Ce renversement de la charge de l’initiative est au cœur de la philosophie de la réforme.
Ainsi conçu, le questionnaire constitue la modalité centrale, sinon exclusive, de la déclaration initiale du risque. Il appartient à l’assureur d’élaborer un formulaire limitatif et précis, adapté aux spécificités du risque en cause. L’assuré, quant à lui, n’est tenu de déclarer que les circonstances expressément visées par ce questionnaire. Il en résulte qu’à défaut d’interrogation sur un point déterminé, même important, l’assuré ne saurait être sanctionné d’un défaut de révélation (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994, n°90-19.022).
Cette répartition des obligations n’exclut toutefois pas la recevabilité de déclarations effectuées spontanément par l’assuré, en dehors de tout questionnaire. La jurisprudence admet qu’un mensonge sur une circonstance révélée à l’initiative de l’assuré puisse engager sa responsabilité au titre de l’article L. 113-8 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n°15-13.850). Cette solution, confirmée à plusieurs reprises, conduit à considérer que le principe du questionnaire n’exclut pas toute prise en compte des déclarations spontanées, notamment lorsqu’elles s’avèrent mensongères. Néanmoins, en l’absence d’une telle mauvaise foi, aucune obligation autonome de déclaration spontanée ne saurait être invoquée à l’encontre de l’assuré.
Il importe également de souligner la portée exacte de l’obligation de réponse mise à la charge de l’assuré. Ce dernier n’est tenu de répondre qu’aux questions relatives aux circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge, selon les termes mêmes de l’article L. 113-2. Autrement dit, une omission ou une inexactitude ne peut être reprochée à l’assuré qu’à la condition que la circonstance en cause ait eu une incidence sur l’évaluation du risque garanti, et non d’un risque exclu ou étranger au contrat. La Cour de cassation a d’ailleurs évolué sur ce point, en jugeant qu’un mensonge portant sur un risque exclu peut néanmoins influencer l’opinion de l’assureur sur le risque couvert, et donc fonder une sanction (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n°00-12.419).
Enfin, la déclaration de l’assuré est conditionnée à la connaissance effective de la circonstance à révéler. La jurisprudence précise que l’assuré n’est pas tenu de répondre exactement à des questions sur des faits qu’il ignore (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). Elle reconnaît également que l’absence de conscience de devoir déclarer une circonstance, en raison par exemple de la confiance accordée aux affirmations médicales reçues, exclut la mauvaise foi (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-21.727) et peut justifier l’absence de sanction même sur le fondement de l’article L. 113-9 du Code des assurances.
b. La technique du questionnaire fermé
La réforme de 1989 n’a pas seulement substitué à l’ancienne déclaration spontanée une déclaration provoquée?; elle a également consacré une technique spécifique : celle du questionnaire dit «?fermé?». Ce procédé, aujourd’hui au cœur de la phase précontractuelle en assurance, vise à structurer et à canaliser l’expression du risque à travers un support établi par l’assureur. Il en résulte un modèle de questions standardisé, reposant sur des questions fermées, précises et adaptées à la nature du contrat.
i. La contenu du questionnaire
Le questionnaire est aujourd’hui l’instrument central de la déclaration du risque. Son contenu, loin de relever d’un simple choix rédactionnel, obéit à un encadrement précis par les textes et la jurisprudence. C’est à l’assureur qu’il revient de formuler des questions claires, ciblées et adaptées, seules aptes à fonder l’obligation de réponse de l’assuré et, le cas échéant, à justifier les sanctions prévues en cas de fausse déclaration.
==>L’exigence de clarté et de précision
L’article L. 112-3, alinéa 4, du Code des assurances énonce un principe cardinal : l’assureur ne peut se prévaloir d’une réponse imprécise que s’il a lui-même posé une question claire. Ainsi, « lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit à l’assuré, notamment par un formulaire de déclaration du risque ou par tout autre moyen, il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise ». La jurisprudence a tiré toutes les conséquences de ce texte en exigeant des questions exemptes d’ambiguïté, dont la formulation permette à un assuré normalement avisé de comprendre l’étendue de son devoir déclaratif (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n° 16-18.975).
Cette exigence formelle a valeur probatoire, en ce qu’elle conditionne l’opposabilité des réponses données. L’assureur ne saurait invoquer une déclaration inexacte ou incomplète sans démontrer qu’elle répondait à une question suffisamment déterminée, au risque de voir sa prétention rejetée. Il lui appartient donc, dans un souci de loyauté contractuelle, de rédiger ses questions de manière intelligible et spécifique, en tenant compte du niveau d’information du souscripteur.
==>La formulation de questions fermées
Le questionnaire de déclaration repose sur une logique fermée : il ne s’agit pas de provoquer une narration libre des circonstances entourant le risque, mais de solliciter des réponses factuelles à des interrogations ciblées. Cette méthode suppose des formulations structurées, à visée binaire (oui/non), ou à tout le moins réductibles à des réponses objectives et vérifiables. L’objectif est de guider le souscripteur, d’orienter ses réponses, et ainsi de canaliser l’information utile à l’appréciation du risque par l’assureur.
La Cour de cassation admet qu’une question générale puisse être réputée précise lorsqu’elle ne laisse place à aucune incertitude, notamment si elle est accompagnée de compléments explicites (v. par ex., « êtes-vous atteint d’une affection quelconque ? laquelle?» : Cass. 1re civ., 27 janv. 2004, n° 00-19.402). En revanche, une formulation vague ou équivoque ne saurait fonder, en cas de réponse erronée, la mise en œuvre des sanctions prévues aux articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n° 17-28.093).
==>La diversité des questions posées
Le contenu du questionnaire peut porter tant sur des éléments objectifs relatifs au risque (nature du bien, conditions d’usage, antécédents de sinistre, situation géographique, etc.) que sur des données subjectives relatives au souscripteur (état de santé, situation familiale, profession, autres assurances souscrites). La Cour de cassation a d’ailleurs reconnu à l’assureur le droit de poser des questions relatives à des risques non garantis, dès lors que ces informations sont de nature à influencer son opinion sur le risque couvert (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).
Même en matière d’assurances de personnes, où le principe indemnitaire est inapplicable et où la possibilité de cumul contractuel est reconnue, l’assureur est en droit de solliciter la communication d’éventuels contrats antérieurs ou concomitants, dans la mesure où cette donnée peut éclairer l’acceptabilité du risque.
==>La personnalisation des questions
L’assureur, en sa qualité de professionnel, assume la responsabilité de formuler un questionnaire adapté à la nature du contrat et au profil du souscripteur. Cette exigence, bien que contraignante, s’explique par l’objectif poursuivi : fournir à l’assureur les informations pertinentes tout en ménageant un cadre protecteur pour l’assuré. En cas de contentieux, les juridictions n’hésitent pas à sanctionner l’imprécision ou l’absence de personnalisation, qu’il s’agisse d’une clause de style ou d’une formulation trop générale.
En définitive, la rigueur attendue dans la rédaction des questions n’est pas une simple exigence de forme : elle est le corollaire de la répartition équilibrée des charges déclaratives entre les parties. Dans le modèle issu de la réforme de 1989, l’assureur ne peut revendiquer une information qu’il n’a pas pris soin de solliciter avec suffisamment de précision.
ii. La forme du questionnaire
==>Questions orales
L’article L. 113-2, 2° du Code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989, oblige l’assuré à répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque ». L’usage de l’adverbe notamment traduit une volonté claire du législateur : celle de ne pas enfermer l’obligation déclarative dans la seule formalisation écrite. Autrement dit, le droit positif n’exige pas que les questions posées à l’assuré soient nécessairement couchées sur un support écrit, ni même qu’elles prennent la forme d’un questionnaire formel et standardisé.
Cette souplesse permet d’admettre, sous réserve de garanties suffisantes, la validité des interrogations verbales, y compris par téléphone ou en face-à-face. La Cour de cassation l’a expressément reconnu dans un arrêt du 4 février 2016, en affirmant que l’article L. 113-2 n’imposait nullement la remise d’un questionnaire écrit préalable (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850). L’obligation de l’assureur ne porte donc pas sur la forme du questionnement, mais sur sa substance : les questions doivent être précises, loyales et de nature à permettre à l’assuré d’y répondre utilement. C’est ce que rappelle également l’article L. 112-3, alinéa 4, qui vise les questions « par écrit », sans exclure d’autres procédés équivalents, pourvu que la preuve de leur existence soit rapportée.
Ainsi, la déclaration de risque peut valablement découler d’un échange oral, à condition que le souscripteur ait ensuite été mis en mesure de vérifier, de confirmer ou de corriger ses réponses. Tel fut le cas dans une affaire concernant une souscription téléphonique, où la haute juridiction a validé la procédure suivie dès lors que l’assuré avait signé, ultérieurement, les conditions particulières récapitulant les réponses fournies verbalement (Cass. 2e civ., 16 déc. 2010, n° 10-10.859). Cette possibilité est également transposable à d’autres supports, tels que les parcours numériques, où le questionnaire est rempli avant toute interaction directe avec l’assureur.
La reconnaissance de la validité des questions orales n’implique pas pour autant une absence de contrôle. Il appartient aux juges du fond de s’assurer que ces questions ont bien été posées, que leur contenu était compréhensible, et que l’assuré a pu y répondre de manière éclairée. À défaut, la nullité du contrat ne saurait être prononcée sur le fondement des articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances. La jurisprudence constante exige que la fausse déclaration ou la réticence reprochée procède de la réponse apportée à une question loyale, précise et intelligible, quelle que soit sa forme initiale.
==>Déclarations pré-rédigées
L’essor des pratiques de souscription standardisée a vu se généraliser l’usage de «déclarations pré-rédigées», insérées directement dans les conditions particulières des polices d’assurance. Ces clauses, par lesquelles l’assuré est réputé avoir fourni certaines informations déterminantes, posent la question de leur opposabilité en l’absence d’un véritable dialogue interrogatif. Le droit positif, éclairé par une abondante jurisprudence, en a progressivement précisé le régime.
Par un arrêt de principe du 7 février 2014, la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, a solennellement consacré les limites juridiques opposables aux déclarations pré-rédigées, lorsqu’elles sont invoquées par l’assureur à l’appui d’une demande de nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle (Cass. ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107). Saisi d’un litige opposant un assureur à un souscripteur auquel il reprochait une fausse déclaration intentionnelle quant à l’existence d’antécédents de retrait de permis, la Cour de cassation rappelle que la validité d’une telle sanction suppose, à peine de nullité, que les déclarations incriminées procèdent de réponses apportées à des questions précises posées lors de la phase précontractuelle, conformément aux articles L. 113-2, 2°, L. 112-3, alinéa 4 et L. 113-8 du Code des assurances.
Dans cette affaire, le contrat d’assurance automobile conclu par le souscripteur avait été établi sur la base de conditions particulières mentionnant notamment, sous une rubrique intitulée « Déclaration », que celui-ci n’avait pas fait l’objet, dans un certain délai, d’une suspension ou d’une annulation de permis. Ces mentions, pré-imprimées dans le corps du contrat, avaient été signées par le souscripteur avec la formule usuelle « lu et approuvé ». L’assureur, confronté à la révélation d’une annulation de permis antérieure à la souscription, avait opposé la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle.
La Cour d’appel, accueillant cette argumentation, avait prononcé la nullité du contrat d’assurance, estimant que la déclaration inexacte, formalisée dans les conditions particulières, révélait l’intention frauduleuse du souscripteur. La Cour de cassation censure cette décision. Elle énonce que la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré ne peut être sanctionnée que si elle résulte des réponses qu’il a effectivement apportées à des questions précises posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque utilisé lors de la conclusion du contrat.
Autrement dit, la seule présence d’une clause pré-rédigée dans les documents contractuels, fût-elle signée, ne saurait tenir lieu de réponse au sens des dispositions légales. Elle ne permet pas à l’assureur de justifier d’un manquement à l’obligation de déclaration de l’assuré, dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre d’un dialogue formalisé, structuré autour d’interrogations explicites.
Ce principe, désormais fermement établi, tranche une divergence ancienne entre la chambre criminelle — traditionnellement stricte sur l’exigence de questions préalables posées par écrit — et la deuxième chambre civile, plus encline à admettre la force probatoire des déclarations pré-imprimées. Il en résulte que l’assureur ne peut se prévaloir d’une fausse déclaration intentionnelle fondée sur une clause pré-rédigée si elle ne repose pas sur une interrogation individualisée et circonstanciée. La jurisprudence récente le confirme avec constance, tant en matière d’assurance automobile (Cass. 2e civ., 3 juill. 2014, n° 13-18.760) que d’assurance habitation (Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-15.204) ou de prévoyance (Cass. 2e civ., 11 juin 2015, n° 14-14.336).
Pour être opposable, la déclaration pré-rédigée doit ainsi répondre à une double exigence : d’une part, elle doit découler d’un questionnaire effectivement soumis à l’assuré, d’autre part, celui-ci doit avoir été mis en mesure de lire, comprendre et éventuellement contester le contenu des affirmations portées à sa signature. Cette rigueur protectrice découle directement du principe de personnalisation de la déclaration du risque, qui fonde l’équilibre économique du contrat d’assurance.
L’exemple emblématique en la matière est celui de la « déclaration de bonne santé », fréquemment exigée en assurance emprunteur ou en prévoyance. L’assuré y atteste ne pas souffrir d’affection connue susceptible de modifier l’appréciation du risque. Toutefois, cette clause ne produit d’effet qu’à condition d’être rédigée en des termes compréhensibles, exempts d’ambiguïté, et accompagnée d’une information suffisante sur les conséquences d’une inexactitude. À défaut, l’assureur encourt la déchéance de son droit à se prévaloir de l’article L. 113-8 du Code des assurances.
Il appartient donc au juge du fond de vérifier, concrètement, si l’assuré a été placé en situation de consentir librement et en connaissance de cause aux déclarations mentionnées dans le contrat. Ce contrôle, empreint de pragmatisme, peut conduire à rejeter l’argument d’une déclaration mensongère lorsque l’assuré n’a pas eu l’opportunité réelle de répondre à une question individualisée, ou lorsque la clause se borne à reproduire des formules impersonnelles et générales.
Ce faisant, la jurisprudence renforce l’obligation de loyauté dans l’élaboration de l’instrumentum contractuel. Elle rappelle à l’assureur que la mise en œuvre du mécanisme déclaratif suppose non seulement la transparence du processus de souscription, mais également l’effectivité de la participation de l’assuré à la construction du contenu du contrat. Le procédé des déclarations pré-imprimées, s’il n’est pas interdit per se, demeure ainsi placé sous haute surveillance.
C. Déclaration provoquée et effets résiduels de la déclaration spontanée
L’instauration, par la loi du 31 décembre 1989, d’un système déclaratif fondé sur le questionnaire fermé n’a pas totalement exclu la prise en compte de déclarations spontanées. Si le législateur a entendu substituer à l’ancien régime — fondé sur une obligation générale de révélation des circonstances connues de l’assuré — un mécanisme plus encadré, il n’a pas pour autant banni les initiatives déclaratives émanant de l’assuré ou de son mandataire.
En principe, l’assureur ne peut se prévaloir d’une réticence ou d’une fausse déclaration que si elle résulte des réponses apportées par l’assuré aux questions qu’il lui a posées lors de la phase précontractuelle (C. assur., art. L. 113-2, 2° et L. 112-3, al. 4). Ce principe a été confirmé de manière constante par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 15 févr. 2007, n° 05-20.865).
Toutefois, certaines juridictions du fond ont, sur le fondement de la bonne foi contractuelle, admis que des déclarations faites à l’initiative de l’assuré, même en l’absence de questionnaire, puissent engager ce dernier si elles s’avéraient mensongères (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-25.223). Dans ce cadre, la déclaration spontanée retrouve une certaine portée, à condition qu’elle ait été volontaire et qu’elle ait induit l’assureur en erreur.
Cette analyse est partiellement validée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît que des déclarations spontanées peuvent fonder une nullité pour fausse déclaration intentionnelle, dès lors qu’elles sont inexactes et de nature à modifier l’appréciation du risque (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n° 15-13.500).
La jurisprudence admet ainsi qu’un assuré puisse, de sa propre initiative, formuler des révélations sur le risque, en complément ou en l’absence de questionnaire. Mais cette déclaration spontanée, pour produire des effets juridiques, doit émaner exclusivement de la volonté de l’assuré, sans y avoir été contraint. À défaut, l’assureur demeure tenu de poser les questions utiles à son appréciation du risque.
Ce faisant, le juge opère une distinction nette entre l’initiative de l’assureur et celle de l’assuré?: seul ce dernier peut choisir de révéler des circonstances sans y avoir été invité. En revanche, l’assureur ne peut s’exonérer de ses obligations en prétendant que l’assuré aurait dû déclarer spontanément une circonstance déterminée, si cette dernière n’a pas fait l’objet d’un questionnement formel.
L’acceptation résiduelle de la déclaration spontanée n’est pas sans limites. Elle ne saurait se substituer au dispositif du questionnaire dans les branches d’assurance soumises à ce régime impératif. Il en va différemment pour certaines catégories d’assurances, notamment les assurances maritimes et de transport, où l’article L. 172-2 du Code des assurances maintient le modèle déclaratif antérieur, en raison de la qualité d’« assuré averti » généralement reconnue aux souscripteurs.
Enfin, cette coexistence de la déclaration provoquée et de la déclaration spontanée appelle une vigilance accrue du juge. Celui-ci doit s’assurer que la déclaration non sollicitée, si elle est invoquée, ait été libre, intelligible et dénuée d’ambiguïté. Dans le cas contraire, l’assureur ne peut utilement s’en prévaloir pour invoquer une réticence ou une fausse déclaration.
D. Conditions d’opposabilité et efficacité du questionnaire
Le fondement de l’opposabilité du questionnaire réside dans sa fonction même : permettre à l’assureur de se forger une opinion éclairée sur le risque qu’il accepte de garantir. C’est en ce sens que l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances impose à l’assuré de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque », dès lors qu’elles portent sur des « circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». La jurisprudence y rattache fermement le sort du contrat, en ce qu’une réponse inexacte portant sur un élément pertinent altérant l’appréciation du risque est susceptible d’entraîner sa nullité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).
À cet égard, la jurisprudence admet expressément que le questionnaire puisse porter sur des circonstances relatives à un risque exclu de la garantie, dès lors que l’information sollicitée est susceptible d’influer l’opinion de l’assureur sur les risques effectivement pris en charge. Ce lien fonctionnel est particulièrement saillant en assurance de personnes, où une affection médicalement exclue peut révéler une vulnérabilité favorisant la réalisation d’un autre sinistre couvert.
L’efficacité du questionnaire suppose, corrélativement, que les réponses apportées par l’assuré soient exactes, c’est-à-dire complètes, sincères et intelligibles. Il s’agit d’un prolongement naturel du principe de bonne foi consacré aux articles 1104 et 1112 du Code civil, et qui irrigue l’ensemble du processus précontractuel.
La réponse ne peut être tenue pour fautive si l’assuré ignorait la circonstance à déclarer — par exemple, une pathologie asymptomatique non diagnostiquée (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). De même, l’absence de conscience de devoir déclarer la circonstance, telle qu’une myopie ancienne ou des antécédents médicaux que l’assuré croyait sans incidence, exclut toute mauvaise foi (Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, n°91-20.095).
Cette approche fondée sur la subjectivisation de l’obligation déclarative, désormais bien ancrée dans la jurisprudence, impose à l’assureur d’établir non seulement la connaissance de la circonstance, mais aussi la conscience de sa pertinence pour l’évaluation du risque.
L’efficacité du dispositif repose enfin sur la qualité du questionnaire lui-même. L’assureur ne peut se prévaloir d’une déclaration inexacte que si elle a été fournie en réponse à une question claire, précise et individualisée, formulée avant la conclusion du contrat. Tel est l’enseignement constant de la jurisprudence depuis l’arrêt de principe de la chambre mixte du 7 février 2014 (Cass., ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107), réaffirmé depuis lors par de nombreuses décisions, tant civiles que pénales (v. par ex. : Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n°17-28.093 ; Cass. crim., 18 mars 2014, n° 12-87.195).
L’article L. 112-3, alinéa 4 du Code des assurances en précise les contours : « Lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit […], il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise. » Autrement dit, l’imprécision de la question interdit toute sanction à l’encontre de l’assuré, fût-il de mauvaise foi (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994).
Les clauses de déclaration pré-rédigée ne peuvent suppléer à cette exigence, sauf à démontrer l’existence de réponses effectivement données à des questions précises et antérieures à la conclusion du contrat. En l’absence de telles garanties procédurales, elles sont réputées non écrites et inopposables (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n°22-18.176).
Aussi, il appartient à l’assureur d’établir, cumulativement :
- que des questions précises ont été posées,
- que l’assuré y a répondu de façon erronée ou incomplète,
- que cette déclaration inexacte a exercé une influence sur son opinion du risque.
Cette triple démonstration est d’autant plus rigoureuse que la jurisprudence admet, avec nuance, la prise en compte de déclarations spontanées (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°15-18.514), voire d’aveux, pour fonder la nullité du contrat (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n°15-13.500). Toutefois, de telles hypothèses restent dérogatoires et strictement encadrées.
Enfin, la signature du questionnaire (ou de ses transpositions dans les conditions particulières) constitue un élément probatoire fondamental, à condition qu’elle atteste d’un réel échange déclaratif et non d’un simple acquiescement à une formulation unilatérale.
E. Les limites du dispositif déclaratif
Si le modèle du questionnaire fermé a profondément renouvelé les équilibres de la phase précontractuelle, il n’échappe pas à de sérieuses limites pratiques, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Ces limites tiennent, d’une part, aux failles intrinsèques du support déclaratif lui-même et, d’autre part, aux contraintes juridiques, économiques et éthiques qui pèsent sur la collecte de certaines informations. Loin d’être marginales, ces tensions structurent une zone grise du droit des assurances, dans laquelle s’opèrent, à travers des arbitrages implicites, de délicats compromis entre la protection du consentement, la transparence du risque, et l’efficacité commerciale de l’opération d’assurance.
1. Les limites inhérentes au système du questionnaire
La première limite est d’ordre structurel : en dépit de ses vertus de clarté, le questionnaire demeure un outil imparfait, dont l’apparente exhaustivité masque mal les lacunes.
Conçu pour rationaliser la collecte d’informations, le questionnaire ne saurait prétendre à une couverture intégrale du champ du risque. Par définition fermé, il ne permet pas à l’assureur de sonder toutes les facettes de la situation à couvrir, ni à l’assuré de signaler spontanément les éléments que le questionnaire omet. Cette insuffisance fonctionnelle, souvent soulignée par la jurisprudence se manifeste particulièrement en matière d’assurances de personnes, où les questionnaires passent fréquemment sous silence l’existence de contrats antérieurs ou d’antécédents médicaux non directement interrogés.
La volonté d’exhaustivité se heurte à une autre exigence : celle de l’accessibilité du document pour un public de souscripteurs profanes. Une inflation des questions nuit à la lisibilité de l’offre, brouille la perception du risque, et expose l’assureur à des griefs sur le terrain du devoir de clarté contractuelle. Cet équilibre fragile est d’autant plus délicat à maintenir que les impératifs de conformité réglementaire (compliance) imposent des niveaux croissants de transparence et de traçabilité.
L’accompagnement du candidat à l’assurance dans le remplissage du questionnaire est un moment stratégique de la relation d’assurance, où se jouent à la fois l’exactitude de la déclaration et le respect du devoir de conseil. La jurisprudence souligne régulièrement la responsabilité de l’intermédiaire lorsqu’il contribue à une fausse déclaration, voire lorsqu’il ferme volontairement les yeux sur des omissions manifestes (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n°13-25.223). La frontière est parfois ténue entre simple assistance et complicité passive, posant la question d’un éventuel devoir de vérification du courtier ou de l’agent.
2. Les limites tenant à la collecte de certaines informations
Si l’exigence d’exactitude de la déclaration du risque constitue l’un des piliers de la relation d’assurance, cette exigence se heurte à des bornes que le droit positif oppose à la collecte de certaines données personnelles. Ces limites, d’ordre juridique, déontologique ou constitutionnel, sont particulièrement sensibles en matière d’assurances de personnes, où l’appréhension du risque implique une connaissance fine de l’état de santé de l’assuré. Mais l’économie du contrat d’assurance ne saurait justifier la levée systématique de droits fondamentaux. À cet égard, le secret médical constitue le point de friction le plus emblématique entre l’impératif de sélection du risque et le respect du droit des personnes.
==>La limite du secret médical
Le secret médical est appréhendé en droit français comme une règle d’ordre public, d’une rigueur particulière. L’article L. 1110-4 du Code de la santé publique érige le secret en un principe général applicable à toute information relative à la santé, tandis que l’article L. 1141-1 interdit expressément aux organismes d’assurance de tenir compte, même avec l’accord de la personne concernée, des résultats d’examens génétiques. De surcroît, le secret s’impose au médecin à un double titre : en vertu du serment d’Hippocrate, mais également au regard du Code de déontologie médicale (art. R. 4127-4 CSP), qui prohibe toute communication non expressément autorisée.
La Cour de cassation rappelle avec constance que le médecin traitant ne saurait être tenu de transmettre à un assureur, même indirectement via son médecin-conseil, les données couvertes par le secret, sauf accord exprès, spécifique, et circonstancié de l’assuré ou de ses ayants droit (Cass. 1re civ., 6 janv. 1998, n°95-19.902 et 96-16.721). A cet égard, la clause par laquelle le souscripteur autorise cette transmission n’est licite qu’à la condition qu’elle respecte trois exigences cumulatives : elle doit écarter les données génétiques, être mise en œuvre par l’assuré lui-même, et ne pas contraindre le médecin à révéler ce que son statut de tiers au contrat l’empêche légalement de transmettre (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n°99-17.187).
==>L’émergence prétorienne du critère d’intérêt légitime
Conscient des obstacles probatoires que peut représenter le secret médical en cas de fausse déclaration dolosive, le juge civil a introduit un tempérament : celui tenant à l’intérêt légitime. L’opposition à la levée du secret n’est recevable que si elle tend à préserver un intérêt moral digne de protection, et non si elle constitue une manœuvre pour faire échec à l’exécution de bonne foi du contrat.
L’arrêt de principe rendu par la première chambre civile le 15 juin 2004 est éclairant : il reconnaît au juge le pouvoir d’écarter l’exception de secret médical lorsque celle-ci a pour seul objet d’empêcher l’assureur d’établir une réticence intentionnelle (Cass. 1re civ., 15 juin 2004, n°01-02.338). De manière convergente, la cour d’appel de Douai a souligné, dans un arrêt du 12 avril 2007, que « le secret médical et l’obligation de sincérité sont deux intérêts également protégés par la loi » et qu’il n’est pas possible de faire systématiquement prévaloir le premier au détriment du second, sauf à priver d’effet l’article L. 113-8 du Code des assurances (CA Douai, 12 avr. 2007).
Cette position est reprise par les juridictions du fond et confortée par la doctrine selon laquelle le secret ne saurait être invoqué dans un dessein illégitime, tel que couvrir une fraude à l’assurance.
==>Le rôle du médecin-conseil
L’assureur ne peut, en aucun cas, recevoir directement les données de santé du souscripteur. Il doit obligatoirement passer par son médecin-conseil, dont la mission est strictement encadrée. Ce dernier ne peut recevoir des données médicales qu’à condition qu’elles lui soient adressées sous pli confidentiel, que son identité soit expressément mentionnée dans la demande, et que le consentement éclairé de l’assuré soit préalablement recueilli.
Dans sa recommandation n°MSP 2013-209 du 26 novembre 2013, le Défenseur des droits a rappelé avec force que « la loi n’a pas prévu de secret partagé entre les professionnels de santé et les sociétés d’assurances ou leurs médecins-conseils ». Dès lors, toute communication médicale à l’assureur ne peut intervenir que dans des conditions rigoureusement circonscrites, à l’exclusion de tout questionnaire préétabli transmis par l’assureur au médecin traitant. La communication doit être minimale, proportionnée et cantonnée aux informations strictement nécessaires à l’exécution du contrat (v. CE, 26 sept. 2005, n°270234).
Le médecin-conseil ne peut, en outre, se prévaloir de sa fonction pour transmettre à l’assureur des données confidentielles obtenues auprès du médecin traitant. Ce dernier, tenu par le secret, engage sa responsabilité civile, pénale et disciplinaire en cas de divulgation (Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n°96-20.580 ; CSP, art. R. 4127-4). Le secret médical, même dans l’assurance, demeure un verrou éthique et juridique majeur, dont le contournement ne saurait être admis sous prétexte de sélection du risque.
3. Les limites tenant aux aspects économiques et commerciaux
Au-delà des limites techniques et juridiques pesant sur la collecte des informations relatives au risque, le système déclaratif se trouve contraint, dans sa mise en œuvre concrète, par des logiques exogènes à la rationalité assurantielle. La quête de performance commerciale et la standardisation des parcours clients altèrent la qualité et la rigueur du recueil des déclarations. Il en résulte une tension structurelle entre l’exactitude souhaitée du dispositif et la simplicité revendiquée de l’offre.
Dans un marché libéralisé, où la rapidité de souscription, la simplicité perçue des démarches et la transparence tarifaire constituent des atouts décisifs pour capter la clientèle, les assureurs sont incités à alléger les questionnaires de déclaration du risque. Le souci de fluidifier l’expérience utilisateur l’emporte souvent sur l’exigence d’exhaustivité. Les questions sont alors simplifiées, voire volontairement édulcorées, afin de ne pas rebuter le prospect par un formalisme jugé excessif. Cette démarche, dictée par des considérations purement commerciales, affaiblit mécaniquement la rigueur du recueil déclaratif.
La dématérialisation croissante des parcours de souscription — via plateformes numériques, applications mobiles ou interfaces web — accentue ce phénomène. Le recours à des questionnaires dynamiques ou à des interfaces conversationnelles (chatbots) introduit une forme d’intermédiation algorithmique qui peut masquer la complexité du risque, voire escamoter certaines zones d’ombre. Le risque d’une déclaration lacunaire sans intention dolosive s’en trouve mécaniquement accru, comme l’a souligné la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 mai 2019, dans lequel l’assuré avait répondu de bonne foi à une question ambiguë, sans que cela suffise à caractériser sa mauvaise foi (Cass. 2e civ., 23 mai 2019, n°18-13.493).
Ce déséquilibre entre transparence attendue et lisibilité promise se traduit par un affaiblissement des garanties probatoires de la déclaration. Trop de questions nuisent à l’ergonomie du parcours de souscription?; trop peu conduisent à un défaut d’information substantielle. L’assureur, pris en étau entre l’obligation d’évaluer le risque et la nécessité de ne pas perdre son client, consent souvent à des compromis rédactionnels aux confins de l’insuffisance.
En cela, le questionnaire se révèle extensible à l’excès ou, inversement, résolument lacunaire. Il devient un instrument imparfait, écartelé entre fonction probatoire et exigence de fluidité. Comme le relève la doctrine, le questionnaire, s’il est utile, présente naturellement ses faiblesses. Il ne permet pas de tout renseigner. Il est le plus souvent muet quant à l’existence d’autres contrats. L’assureur ne pose pas toutes les questions ». À cette liste, il faut désormais ajouter l’effet délétère des arbitrages commerciaux, qui tendent à sacrifier la rigueur au nom de la conversion client.
Ce contexte rend d’autant plus crucial le rôle de l’intermédiaire d’assurance, tenu d’un devoir de conseil renforcé. À mesure que le processus déclaratif s’automatise, le professionnel de l’assurance devient, par contraste, le dernier garant de l’effectivité du recueil d’informations. Il lui revient non seulement de veiller à la bonne compréhension des questions posées, mais encore de solliciter toute précision utile de la part du souscripteur, même en l’absence d’ambiguïté apparente. Cette exigence de vigilance trouve à s’appliquer avec une particulière acuité dans les assurances de personnes ou les assurances de responsabilité, où les enjeux de sincérité déclarative sont majeurs.
Dans cette perspective, la jurisprudence invite à reconnaître un devoir de curiosité de l’intermédiaire — non au sens d’une obligation générale d’investigation, mais comme un corollaire du devoir de conseil. Ce devoir n’implique pas une obligation générale d’investigation, ni a fortiori un contrôle systématique de la sincérité des déclarations du souscripteur — sauf à disposer d’éléments objectifs de suspicion (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n°99-10.715). Il requiert néanmoins que l’intermédiaire veille à la bonne compréhension, par le souscripteur, de la portée et de la finalité des questions posées, et qu’il alerte ce dernier en cas d’ambiguïté manifeste ou d’erreur flagrante (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).
À défaut, l’intermédiaire peut engager sa responsabilité propre, non seulement en cas de manquement à son devoir de conseil, mais également lorsque son comportement contribue à une perception erronée du risque par l’assureur. Ainsi, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité d’un établissement ayant souscrit une assurance de groupe en omettant de signaler une discordance manifeste entre deux documents remis simultanément par l’adhérent (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-14.336).
Plus grave encore est l’hypothèse dans laquelle l’intermédiaire, qu’il soit agent général ou courtier, a eu connaissance, voire a contribué, à une fausse déclaration. La jurisprudence considère que l’assureur ne saurait, dans ce cas, invoquer l’article L. 113-8 du Code des assurances pour se prévaloir d’une nullité du contrat. La connaissance de la réticence par le représentant — agent ou mandataire — est réputée être celle de l’assureur lui-même, en vertu d’une application rigoureuse du mécanisme de représentation (Cass. 1re civ., 7 oct. 1992, n° 90-16.111 et n° 90-16.589). Cette position, aujourd’hui bien établie (Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n° 97-15.319), repose sur la double idée que nul ne peut ignorer ce que sait son mandataire, et que l’assureur ne peut tirer parti d’une fraude à laquelle a participé son propre représentant.
Certes, cette solution n’est pas exempte de critiques. Elle revient à garantir à l’assuré — pourtant coauteur d’une fraude — le maintien du contrat et l’indemnisation du sinistre, sur la base de la seule turpitude du mandataire. Elle repose, en outre, sur une conception discutable du mandat, en confondant la connaissance personnelle du risque par l’assureur et la connaissance de ce risque par son représentant, ce qui revient à méconnaître les limites du lien de représentation.
Dans les cas les plus extrêmes, la jurisprudence évoque même la turpitude du mandataire pour écarter l’exception de nullité fondée sur la fausse déclaration (Cass. 2e civ., 4 févr. 2010, n° 09-11.464). Toutefois, là encore, la solution est discutable : ce n’est pas la propre turpitude de l’assureur qui lui est opposée, mais celle d’un tiers. Et si la maxime nemo auditur propriam turpitudinem allegans peut, dans certaines hypothèses, bloquer les restitutions, elle ne fait pas obstacle par principe à l’action en nullité.
Ainsi, le rôle de l’intermédiaire dans le recueil déclaratif est à double tranchant : auxiliaire du devoir de conseil lorsqu’il accompagne loyalement le souscripteur, il devient facteur de déstabilisation du contrat lorsqu’il outrepasse sa fonction ou ferme les yeux sur une fraude. À cette aune, l’exigence de loyauté contractuelle impose une vigilance renforcée à tous les stades de la formation du contrat.
II. La sanction des déclarations irrégulières
A. Les déclarations inexactes
La déclaration du risque conditionne l’équilibre du contrat d’assurance, en ce qu’elle détermine l’étendue de l’engagement de l’assureur. Elle permet, en effet, à l’assureur d’apprécier la nature et l’étendue du risque qu’il accepte de garantir, et de fixer en conséquence le montant de la prime. L’assuré, de son côté, est tenu à une obligation de sincérité dans les réponses qu’il apporte au questionnaire proposé par l’assureur. Ce devoir de loyauté est d’autant plus déterminant que l’évaluation du risque repose presque exclusivement sur les informations ainsi recueillies.
Lorsqu’une irrégularité affecte cette déclaration — qu’il s’agisse d’une réponse inexacte, d’une omission ou d’un silence gardé sur une circonstance particulière —, l’équilibre du contrat s’en trouve compromis. L’assureur, privé d’une information essentielle, n’a pu apprécier le risque en pleine connaissance de cause. Le droit positif organise, pour rétablir cette rupture, un régime de sanctions articulé autour de l’état d’esprit de l’assuré au moment de la déclaration.
Deux hypothèses doivent alors être distinguées. Si l’irrégularité procède d’une volonté délibérée de tromper l’assureur, elle constitue une fausse déclaration intentionnelle et emporte la nullité du contrat dans les conditions fixées à l’article L. 113-8 du Code des assurances. En revanche, si l’inexactitude ou l’omission résulte d’une simple négligence, la déclaration est qualifiée de non intentionnelle : le contrat subsiste, mais ses effets sont aménagés conformément à l’article L. 113-9.
1. La fausse déclaration intentionnelle
a. Les éléments constitutifs de la fausse déclaration intentionnelle
i. L’exigence de mauvaise foi de l’assuré
La nullité prévue à l’article L. 113-8 du Code des assurances repose sur la constatation d’une réticence ou d’une fausse déclaration intentionnelle imputable à l’assuré, c’est-à-dire sur la démonstration d’un comportement empreint de mauvaise foi. Cette notion, à la frontière entre l’intention de nuire et le simple fait volontaire, implique une volonté délibérée de fausser l’appréciation du risque par l’assureur lors de la souscription.
L’élément déterminant est ici la volonté de tromper l’assureur, ou tout au moins de l’induire en erreur sur l’existence, la nature ou l’ampleur du risque à garantir, afin d’obtenir l’émission du contrat à des conditions plus favorables, voire l’acceptation pure et simple d’un risque qu’il aurait refusé s’il avait été informé loyalement. Il s’agit ainsi d’un véritable dol technique, visant à vicier le consentement de l’assureur, indépendamment de toute volonté de causer un dommage à ce dernier (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n°20-20.745).
La dissimulation volontaire d’une information connue par l’assuré, et dont il sait le caractère déterminant pour l’assureur, suffit à caractériser la mauvaise foi. Ainsi, la jurisprudence retient la fausse déclaration intentionnelle même en l’absence de volonté de nuire, dès lors que l’assuré a, en conscience, fait prévaloir ses intérêts propres au détriment de la mutualité assurantielle. Tel est le cas d’un assuré qui, pour bénéficier d’une prime plus avantageuse, se déclare seul conducteur alors que son fils – jeune permis – utilise en réalité le véhicule de manière habituelle (Cass. 1re civ., 11 déc. 1990, n° 88-13.044).
La fausse déclaration peut revêtir diverses formes : affirmation mensongère, omission volontaire, altération consciente d’une réponse au questionnaire. Elle ne se réduit pas à une dissimulation formelle : elle peut résulter d’un comportement silencieux, qualifié alors de réticence, dès lors qu’il est motivé par l’intention de soustraire un élément significatif à l’appréciation de l’assureur.
La mauvaise foi suppose ainsi deux éléments cumulatifs :
- une connaissance par l’assuré de l’exacte réalité du risque, qu’il se garde de révéler ;
- et une intention de dissimulation visant à influencer la décision de l’assureur, qu’il s’agisse de la souscription, du montant de la prime, ou de l’acceptation du risque.
Le caractère déterminant de l’information tue ou faussée constitue une exigence complémentaire : la déclaration mensongère n’est sanctionnée que si elle a modifié « l’objet du risque ou diminué l’opinion de l’assureur » (C. assur., art. L. 113-8 ; Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-11.832). L’existence d’une telle altération peut résulter de l’importance du risque non déclaré (ex. : séropositivité, activité nocturne dangereuse, inscription au fichier du grand banditisme – Cass. 2e civ., 25 juin 2020, n° 19-14.278).
En revanche, la fausse déclaration ne saurait être retenue si l’assuré a agi de bonne foi, par ignorance, oubli excusable ou en raison d’une interprétation raisonnable d’un questionnaire ambigu ou mal formulé. La jurisprudence reconnaît ainsi que l’intention dolosive peut être exclue en présence d’un état dépressif, d’un niveau d’instruction limité, ou de difficultés de compréhension liées à une barrière linguistique (Cass. 1re civ., 25 févr. 1986, n°84-16.882).
ii. L’appréciation de la mauvaise foi
La nullité du contrat d’assurance fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances ne peut être prononcée que si la mauvaise foi de l’assuré est rigoureusement caractérisée. Conformément au principe de présomption de bonne foi posé à l’article 2268 du Code civil, il appartient à l’assureur de démontrer que la déclaration inexacte procède d’une intention dolosive de l’assuré, c’est-à-dire de la volonté de tromper l’assureur sur l’étendue ou la nature du risque à garantir. Cette exigence est constante en jurisprudence (v. notamment Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10.053).
L’appréciation de cette mauvaise foi relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui en apprécient les éléments constitutifs in concreto, à la lumière des circonstances propres à chaque espèce (Cass. 1re civ., 4 oct. 2000, n° 97-20.867). La Cour de cassation se borne à vérifier que les juges ont recherché l’existence de cette volonté frauduleuse et qu’ils ont motivé leur décision en ce sens (v. notamment Cass. 2e civ., 2 févr. 2017, n° 16-14.815).
Plusieurs indices convergents sont susceptibles de révéler l’intention de dissimuler, sans pour autant former des présomptions irréfragables :
- La gravité objective de l’élément omis, notamment lorsqu’il s’agit d’une pathologie sérieuse, d’antécédents judiciaires lourds, de condamnations pénales, ou d’activités dangereuses, susceptibles d’altérer substantiellement l’opinion du risque (v. Cass. 2e civ., 11 sept. 2014, n° 13-22.429).
- La proximité temporelle entre l’événement dissimulé et la déclaration, qui permet de déduire que l’assuré n’a pu l’ignorer au moment de remplir le questionnaire (Cass. 1re civ., 7 oct. 1998, n°96-17.315).
- Le degré d’intelligibilité du questionnaire, qui conditionne la portée des réponses et la possibilité d’apprécier leur fausseté. Lorsque le document remis est précis, détaillé, et dénué d’ambiguïté, toute discordance entre les réponses et la réalité du risque est plus difficilement excusable (Cass. 2e civ., 30 juin 2016, n° 15-22.842). À l’inverse, une ambiguïté de l’assureur ou un défaut de clarté dans la formulation du questionnaire peut écarter la mauvaise foi (Cass. crim., 9 déc. 1992, n° 90-83.149).
- Le profil de l’assuré, pris en compte par la jurisprudence, qui peut retenir une absence de mauvaise foi lorsque l’assuré présente une faible capacité de compréhension, un faible niveau d’instruction, un état psychique altéré, ou une maîtrise imparfaite de la langue française (v. Cass. 1re civ., 20 oct. 1993, n° 91-17.112). Inversement, la mauvaise foi sera retenue plus aisément chez un professionnel averti ou un souscripteur ayant une compétence particulière dans le domaine concerné (Cass. 2e civ., 29 mars 2012, n° 11-14.305).
- Le contenu des déclarations : l’accumulation d’inexactitudes, de contradictions ou de silences révélateurs peut conduire les juridictions à retenir l’intention dolosive, notamment lorsque les erreurs ne peuvent raisonnablement être imputées à un oubli bénin. Ainsi en est-il d’un assuré ayant minoré de 20 kg son poids tout en majorant sa taille de 6 cm, tout en dissimulant des antécédents médicaux lourds (CA Colmar, 9 janv. 2017, n° 15/05647).
- Les déclarations spontanées ou les aveux peuvent également fonder la constatation de la mauvaise foi, y compris lorsqu’aucun questionnaire n’a été formellement rédigé, dès lors que la déclaration erronée procède clairement de l’assuré lui-même (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).
La jurisprudence rappelle enfin que le caractère intentionnel de la fausse déclaration doit être distingué de l’existence d’un lien de causalité avec le sinistre. En vertu de l’article L. 113-8, alinéa 1er, la sanction est encourue « alors même que le risque omis ou dénaturé a été sans influence sur le sinistre » (v. Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952). Cette dissociation entre fausse déclaration et réalisation du risque renforce le rôle central de l’appréciation de la mauvaise foi, laquelle demeure le pivot de la nullité.
Enfin, la jurisprudence constante de la Cour de cassation souligne que la sanction prévue par l’article L. 113-8 du Code des assurances s’applique indépendamment de toute influence de la fausse déclaration sur la réalisation du sinistre. Le texte est explicite : « le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle […] alors même que le risque omis ou dénaturé par l’assuré a été sans influence sur le sinistre ».
Il ressort de cette dissociation entre la déclaration dolosive et l’événement assuré un renversement de perspective : il ne s’agit pas de protéger l’assureur uniquement contre des sinistres non désirés, mais plus fondamentalement de préserver l’équilibre initial du contrat, compromis dès la formation par une information volontairement tronquée. Le dol, ainsi caractérisé, vicie le consentement de l’assureur non quant aux effets du contrat, mais quant à l’objet même de son engagement (v. en ce sens, Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n° 12-19.952).
En ce sens, la jurisprudence a admis que la nullité puisse être prononcée, même si le sinistre ne présente aucun lien de causalité avec la déclaration erronée. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’un assuré dissimule sciemment deux vols antérieurs dans une déclaration d’assurance multirisque commerçant : cette omission justifie la nullité du contrat, bien que le sinistre survenu soit un incendie sans rapport avec les vols (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). De même, la non-déclaration d’une hospitalisation pour sciatique entraîne la nullité du contrat, bien que la perte d’emploi litigieuse résulte d’une pathologie distincte (Cass. 2e civ., 8 juill. 2004, n°03-13.114).
La doctrine souligne ainsi que la fausse déclaration intentionnelle rompt l’équilibre actuariel du contrat en faussant l’évaluation du risque par l’assureur. Ce dernier n’a pas pu se former une opinion exacte de l’étendue du risque garanti, ce qui compromet la validité de son engagement.
Cette lecture s’impose avec d’autant plus de rigueur dans les assurances multirisques, où un seul élément mensonger suffit à contaminer l’économie globale du contrat, sauf à apprécier distinctement chaque garantie si les risques sont juridiquement divisibles (v. Cass. 2e civ., 6 juill. 2023, n° 22-11.045).
La sanction repose donc moins sur l’adéquation entre la déclaration mensongère et la réalisation du dommage que sur la gravité de la rupture de confiance qu’elle révèle. La mauvaise foi de l’assuré se trouve ainsi érigée en critère exclusif d’appréciation de la nullité, selon une logique résolument objective : c’est la loyauté dans la formation du contrat – et non la pertinence ex post des informations – qui fonde la sanction.
iii. La preuve de la mauvaise foi
L’article L. 113-8 du Code des assurances, qui prévoit la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, impose à l’assureur l’établissement d’une double preuve : démontrer, d’une part, l’inexactitude ou la réticence dans la déclaration, et, d’autre part, le caractère intentionnel de cette dissimulation. Conformément au principe de droit commun énoncé à l’article 1353 du Code civil, et à la présomption de bonne foi consacrée par l’article 2274, il appartient à celui qui invoque la mauvaise foi – en l’occurrence, l’assureur – d’en rapporter la preuve.
La jurisprudence est constante : la preuve de la fausse déclaration intentionnelle incombe intégralement à l’assureur qui entend se prévaloir de la nullité du contrat (Cass. 1re civ., 21 janv. 1957 ; Cass. crim., 13 nov. 1986). Cette charge de la preuve se révèle souvent délicate, en raison de la subjectivité inhérente à la notion d’intention dolosive. Il ne suffit pas, en effet, de constater l’inexactitude d’une réponse pour en déduire la volonté de tromper. Encore faut-il établir que l’assuré avait pleine conscience de l’importance de l’information omise ou altérée, et qu’il a volontairement cherché à fausser l’appréciation du risque par l’assureur.
Compte tenu de ce que la mauvaise foi est un fait juridique, elle peut être établie par tous moyens, dès lors que les droits de la défense sont respectés (Cass. 1re civ., 26 avr. 2000, n°97-22.560 ). Parmi les principaux éléments probatoires admis, on compte :
- Le questionnaire écrit et signé : Il constitue l’instrument probatoire privilégié. Lorsque l’assuré a répondu par écrit à un formulaire clair, précis et intelligible, une réponse erronée, surtout à une question déterminante, pourra suffire à fonder la présomption de mauvaise foi (Cass. 2e civ., 14 avr. 2016, n° 15-18.226). La jurisprudence exige néanmoins que ce document ait bien été communiqué au souscripteur, en vertu du principe du contradictoire (Cass. 2e civ., 12 mai 2011, n° 10-19.649).
- Les déclarations spontanées de l’assuré : En l’absence de questionnaire formalisé, la jurisprudence admet que des réponses volontairement inexactes, apportées spontanément par l’assuré, puissent suffire à établir la mauvaise foi, notamment lorsqu’elles sont consignées dans les conditions particulières signées (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850).
- Les pièces médicales et administratives : En matière d’assurance de personnes, les certificats médicaux, les dossiers hospitaliers ou les antécédents judiciaires peuvent révéler que l’assuré avait nécessairement connaissance du fait omis ou dissimulé. Ces pièces doivent cependant être obtenues dans le respect du secret médical et du contradictoire. Ainsi, la désignation d’un expert judiciaire peut être sollicitée pour accéder, de manière indirecte, aux données médicales pertinentes (Cass. 1re civ., 7 déc. 2004, n° 02-12.539).
- Les indices extérieurs et concordants : La jurisprudence admet que des indices circonstanciels puissent établir la volonté de dissimulation : correspondances privées mentionnant la vétusté d’un immeuble (Cass. 1re civ., 18 déc. 1990, n° 89-19.097), dissimulation d’un conducteur habituel non titulaire du permis (Cass. 1re civ., 17 mars 1993, n°91-14.605), ou encore déclarations incompatibles avec les fonctions exercées (Cass. 2e civ., 25 févr. 2010, n°09-13.225). De manière exceptionnelle, le recours à un enquêteur privé a pu être jugé admissible, sous réserve du respect de la vie privée et de la proportionnalité des investigations (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n°11-17.476).
- L’aveu ou la reconnaissance postérieure : L’aveu de l’assuré, même implicite, est un élément probatoire de poids. S’il reconnaît avoir volontairement minoré un élément déterminant, comme le poids réel dans une déclaration santé ou la présence de sinistres antérieurs (Cass. 2e civ., 14 juin 2012, n° 11-11.344), la preuve de sa mauvaise foi sera réputée établie.
Enfin, la jurisprudence rappelle avec constance que la seule inexactitude dans la déclaration ne suffit pas à emporter la nullité. En l’absence d’un faisceau d’éléments convergents établissant l’intention de tromper l’assureur sur l’appréciation du risque, la mauvaise foi ne peut être présumée (Cass. 2e civ., 10 déc. 2009, n° 09-10053). Cette rigueur protectrice vise à éviter que l’assureur ne transforme un simple oubli ou une négligence en dol contractuel.
Il en résulte que la preuve doit être à la fois objective (portant sur la fausseté manifeste de la déclaration) et subjective (portant sur la conscience qu’avait l’assuré de l’importance de l’élément dissimulé). L’un sans l’autre ne saurait suffire à faire prospérer l’action en nullité.
b. Les conséquences de la fausse déclaration intentionnelle
L’article L. 113-8 du Code des assurances consacre un régime autonome de nullité, dont les fondements et les effets s’écartent sensiblement de ceux qui gouvernent le droit commun des obligations contractuelles. Ce mécanisme spécifique vise à réprimer la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré, dès lors que celle-ci a altéré l’appréciation que l’assureur pouvait raisonnablement se faire du risque à garantir. Il importe de souligner que cette nullité est encourue même en l’absence de tout lien de causalité entre l’élément dissimulé et la réalisation du sinistre.
Cette rigueur se justifie par l’économie particulière du contrat d’assurance, dont l’équilibre repose de manière décisive sur la transparence et la loyauté de l’information fournie par le souscripteur. En effet, le risque, objet même du contrat, n’existe aux yeux de l’assureur qu’à travers les déclarations de son cocontractant. Dès lors, toute dissimulation volontaire est de nature à vicier le fondement du consentement donné par l’assureur et à compromettre la sincérité de l’engagement qu’il a souscrit.
i. Le principe de la nullité
Le régime de nullité instauré par l’article L. 113-8 du Code des assurances présente une physionomie singulière, à la fois par son champ d’application et par sa finalité. Il trouve à s’appliquer dès lors qu’une omission ou une fausse déclaration intentionnelle, imputable à l’assuré, a eu pour effet de modifier l’objet du risque ou d’en altérer l’appréciation que l’assureur était en droit de s’en faire lors de la souscription. L’influence s’apprécie ex ante, c’est-à-dire au regard des critères qui président à la décision d’assurer — qu’il s’agisse de l’acceptation du risque, de la fixation de la prime, ou encore de l’étendue de la garantie — et ce, abstraction faite de toute considération sur la survenance effective d’un sinistre en lien avec le fait dissimulé (C. assur., art. L. 113-8, al. 1er ; v. aussi Cass. 2e civ., 23 mai 2013, n°12-19.952).
Ce régime s’applique aussi bien lors de la formation du contrat qu’au cours de son exécution, notamment à l’occasion d’une aggravation du risque que l’assuré omet volontairement de porter à la connaissance de l’assureur. Si l’article L. 113-4 du Code des assurances encadre les effets de cette omission lorsqu’elle procède de la seule négligence ou de la bonne foi, c’est à l’article L. 113-8 qu’il revient de sanctionner l’intention frauduleuse, dans une continuité jurisprudentielle affirmée dès l’arrêt fondateur du 29 septembre 1941 (Cass. civ., 29 sept. 1941 : DC 1943, p. 10, note Besson) et maintenue jusqu’à des décisions récentes (Cass. crim., 2 déc. 2014, n° 14-80.933).
L’originalité de cette nullité tient à son détachement des règles générales du droit commun. En prévoyant que la nullité peut être prononcée « indépendamment des causes ordinaires de nullité », l’article L. 113-8 du Code des assurances exclut l’exigence de démontrer un vice du consentement au sens des articles 1130 et suivants du Code civil. Il ne s’agit ni d’une erreur ni d’un dol au sens traditionnel, mais d’un mécanisme propre au droit des assurances, spécifiquement élaboré pour garantir à l’assureur une information loyale et complète sur les éléments essentiels du risque, condition sine qua non de la formation équilibrée du contrat.
Ce régime dérogatoire relève de l’ordre public de protection: il est institué au seul profit de l’assureur, qui demeure l’unique titulaire de l’action en nullité. L’assuré ne saurait s’en prévaloir, ni opposer à l’assureur une quelconque renonciation anticipée à invoquer cette nullité. Ce monopole de l’action en nullité s’explique par la finalité du texte, qui vise moins à rétablir l’équilibre contractuel qu’à sanctionner un comportement objectivement blâmable : la volonté délibérée de tromper le cocontractant sur les éléments fondamentaux de son engagement.
S’agissant enfin de l’objet même de la déclaration, il n’est pas nécessaire que l’omission ait porté sur un fait expressément visé par une question précise de l’assureur, dès lors que la formulation de celle-ci, même générale, permettait raisonnablement d’inclure le renseignement dissimulé. En ce sens, la Cour de cassation a jugé que l’assuré ne peut se prévaloir du caractère général de la question pour se soustraire à son devoir de sincérité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419). En revanche, la jurisprudence exclut toute obligation de révélation spontanée sur des points non couverts par le questionnaire, sous peine de réintroduire, en violation de la réforme de 1989, une logique de déclaration spontanée incompatible avec le modèle du questionnaire fermé (v. Cass. 2e civ., 3 juin 2010, n° 09-14.876 ; sur les textes, L. 113-2, 3°, et L. 112-3, al. 4, C. assur.).
Ainsi conçu, le mécanisme de nullité instauré par l’article L. 113-8 répond à une logique avant tout prophylactique. Il vise à dissuader les comportements déloyaux en érigeant la véracité des déclarations en condition substantielle de validité du contrat d’assurance. Le régime privilégie donc une logique de sanction fondée sur la loyauté contractuelle, plutôt qu’une réparation fondée sur le seul déséquilibre économique de la prestation.
ii. Les effets de la nullité
==>À l’égard des parties
La nullité du contrat prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8 du Code des assurances entraîne la disparition rétroactive du lien contractuel. Le contrat est réputé n’avoir jamais existé à compter de la date à laquelle la fausse déclaration intentionnelle a été commise. Cette date correspond, selon les cas, soit à celle de la formation du contrat, soit à celle de l’événement postérieur ayant constitué une aggravation dolosive du risque (Cass. crim., 2 déc. 2014, n°14-80.933).
Cette rétroactivité produit des conséquences particulièrement sévères : l’assureur retrouve le droit de réclamer le remboursement de toutes les sommes versées à compter de la fausse déclaration. Ces versements sont considérés comme dépourvus de cause juridique, puisque la garantie n’aurait jamais dû être accordée (Cass. 2e civ., 16 juin 2022, n° 20-20.745).
Cependant, la restitution ne peut être exigée que de la personne ayant effectivement perçu les fonds. Ainsi, lorsqu’une société est bénéficiaire des prestations versées, son dirigeant ne peut être tenu personnellement à restitution, sauf à démontrer sa participation effective à la manœuvre dolosive.
À la différence du régime général de la nullité des contrats, l’article L. 113-8, alinéa 2, interdit à l’assuré de revendiquer la restitution des primes versées, même si l’assureur n’a en réalité jamais assumé le moindre risque. Les primes demeurent acquises à l’assureur et celles qui n’ont pas encore été payées sont dues à titre de dommages et intérêts.
La règle est sévère. Elle traduit une volonté du législateur de ne pas traiter la nullité comme une simple correction d’un déséquilibre contractuel, mais comme une véritable sanction, destinée à punir l’assuré de mauvaise foi. Cette règle est perçue en doctrine comme l’expression d’une “peine privée”.
Par exception, en matière d’assurance sur la vie, la sanction est atténuée. L’article L. 113-8, alinéa 3, combiné à l’article L. 132-18 du Code des assurances, impose à l’assureur de restituer la provision mathématique constituée au jour de la nullité, même en cas de fausse déclaration intentionnelle. Cette règle s’explique par la nature particulière du contrat d’assurance vie, qui repose avant tout sur une logique d’épargne : l’assureur capitalise des fonds pour le compte de l’assuré. Lui refuser toute restitution reviendrait à permettre un enrichissement injustifié du professionnel.
Par ailleurs, lorsqu’un contrat couvre plusieurs risques, la jurisprudence opère une appréciation in concreto de la portée de la fausse déclaration. Si cette dernière ne concerne qu’un seul risque, la nullité pourra être partielle (Cass. 2e civ., 2 avr. 2009, n° 08-12.942). En revanche, si les garanties sont indivisibles, notamment du fait d’une prime globale assise sur un critère unique, la nullité affectera l’intégralité du contrat (Cass. 1re civ., 22 janv. 2002, n°99-12.044). Ce principe d’indivisibilité joue ici à plein, fondée sur une approche fonctionnelle du contrat.
Enfin, la nullité fondée sur l’article L. 113-8 peut être invoquée à tout moment par l’assureur, y compris après l’expiration du délai de prescription biennale prévu à l’article L. 114-1 du Code des assurances. En effet, lorsqu’elle est soulevée par voie d’exception pour faire obstacle à une demande de garantie ou de règlement, la nullité échappe aux règles de prescription applicables aux actions en justice (Cass. 2e civ., 12 mars 2009, n°08-11.444). Cette faculté renforce la portée dissuasive du dispositif.
==>À l’égard des tiers
Conformément à l’article L. 112-6 du Code des assurances, la nullité est opposable à tout tiers au contrat qui en revendique les effets. Cela inclut notamment les bénéficiaires désignés, les assurés pour compte et les victimes agissant par la voie de l’action directe.
Ainsi, la jurisprudence constante considère que la victime ne peut invoquer l’inopposabilité de la nullité prononcée sur le fondement de l’article L. 113-8, même si celle-ci est révélée à l’occasion du sinistre (Cass. crim., 12 juin 2012, n° 11-87.395). Cette rigueur a cependant été tempérée en matière d’assurance automobile.
Sous l’effet de la directive européenne n° 2009/103/CE et de son interprétation par la CJUE (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), le législateur français a inséré un article L. 211-7-1 dans le Code des assurances, interdisant à l’assureur d’opposer la nullité du contrat à la victime d’un accident de la circulation ou à ses ayants droit. Cette nullité reste toutefois opposable à l’assuré, même s’il est également victime de l’accident, sauf dans les hypothèses d’abus de droit (CJUE, 19 sept. 2024, aff. C-236/23, Matmut).
Enfin, l’assureur conserve la possibilité d’exercer un recours subrogatoire contre l’assuré responsable après indemnisation de la victime, afin de récupérer les sommes versées, dès lors que ce dernier a contribué par sa fraude à la production du sinistre (Cass. 2e civ., 8 févr. 2006, n° 05-16.031).
iii. Les tempérament aux effets de la nullité
Si la nullité fondée sur l’article L. 113-8 du Code des assurances frappe l’assuré de mauvaise foi avec une sévérité toute particulière, elle n’en constitue pas pour autant un pouvoir discrétionnaire et sans limite entre les mains de l’assureur. Divers mécanismes, d’origine légale, jurisprudentielle ou contractuelle, concourent à en atténuer, voire à en neutraliser les effets. Ces tempéraments, inspirés tant de l’équité que de la protection de l’ordre public économique, assurent un équilibre entre la nécessaire répression de la fraude et les exigences de sécurité juridique.
==>La renonciation, expresse ou tacite, de l’assureur
L’assureur qui, en pleine connaissance de la fausse déclaration, poursuit l’exécution du contrat sans réserve, peut être présumé avoir renoncé à se prévaloir de la nullité. Cette renonciation peut être explicite, par exemple par une déclaration formelle d’intention, ou tacite, lorsqu’elle résulte d’un comportement non équivoque tel que le versement d’une indemnité ou la perception de primes postérieurement à la découverte de l’irrégularité (Cass. 1re civ., 12 juin 2012, n° 11-12.443). À l’inverse, un simple acte d’exécution du contrat, accompli sans pleine conscience du manquement, ne saurait emporter renonciation implicite.
Deux présomptions légales encadrent ce mécanisme : l’article L. 113-4 du Code des assurances en matière d’aggravation du risque, et l’article L. 113-17 en matière de direction du procès. Dans les deux cas, la renonciation se déduit de la continuité d’un comportement actif et volontaire. Toutefois, la jurisprudence demeure exigeante : la preuve d’une volonté dépourvue d’ambiguïté reste nécessaire.
==>La complicité ou la connaissance du mandataire de l’assureur
Un autre frein à l’action en nullité réside dans l’attitude des représentants de l’assureur. Lorsqu’il est établi que le mandataire – courtier, agent général ou préposé – avait connaissance de la fausse déclaration, ou y a contribué, l’assureur se voit privé de la faculté d’invoquer la nullité, en vertu de l’article L. 511-1 du Code des assurances, qui rend l’entreprise d’assurance civilement responsable des actes de ses mandataires (Cass. 1re civ., 4 avr. 1995, n° 92-20.112).
Cette jurisprudence s’inscrit dans une logique de loyauté : l’assureur ne saurait se prévaloir d’une irrégularité qu’il a contribué à faire naître, directement ou par l’entremise de son représentant. La charge de la preuve pèse ici sur l’assuré, qui devra établir, avec un degré suffisant de certitude, la connaissance ou la participation du mandataire à l’anomalie déclarative.
==>Dispositions dérogatoires
Le régime de nullité prévu par l’article L. 113-8 cède également devant des dispositifs spéciaux ou conventionnels, tels que l’article L. 113-10 du Code des assurances relatif aux assurances à primes et risques variables. Ce dernier texte instaure une sanction alternative – le versement d’une indemnité plafonnée – qui, lorsqu’il a été contractuellement stipulé, évince le recours à la nullité (Cass. 1re civ., 31 mars 1998, n° 96-12.526). Il en va de même lorsque le contrat prévoit un régime spécifique de sanction en cas de déclaration erronée, à condition que ce régime ait été clairement exprimé.
De manière générale, l’assureur ne peut cumuler les sanctions issues du droit spécial et celles issues du droit commun ou du droit spécial d’ordre public : la nullité ne peut être actionnée que si elle n’est pas exclue par une disposition spéciale ou par l’application d’un texte dérogatoire.
==>Les clauses d’incontestabilité
Dans certaines branches, notamment en matière d’assurance de personnes ou de contrats collectifs, il est d’usage de stipuler une clause dite d’incontestabilité, aux termes de laquelle l’assureur renonce, après un certain délai, à invoquer la nullité pour fausse déclaration.
Si ces clauses sont valables en principe, elles ne peuvent avoir pour effet de couvrir une manœuvre frauduleuse manifeste. Ainsi, la jurisprudence considère qu’elles ne sauraient faire obstacle à l’application de l’article L. 113-8 dans les cas de réticence ou de déclaration mensongère caractérisée (Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-10.655). La clause d’incontestabilité doit donc être interprétée avec rigueur, et ne saurait priver l’assureur de la faculté d’agir contre l’assuré de mauvaise foi.
==>Les correctifs tenant à l’ordre public de protection
Enfin, certaines hypothèses spécifiques appellent une modulation des effets de la nullité, au nom de l’ordre public de protection, en particulier lorsque sont en cause des victimes d’accidents de la circulation. En vertu des articles L. 211-1 et L. 211-7-1 du Code des assurances, introduits à la suite de la jurisprudence Fidelidade (CJUE, 20 juill. 2017, aff. C-287/16), la nullité n’est pas opposable aux tiers victimes d’un accident impliquant un véhicule terrestre à moteur, même si elle repose sur une fausse déclaration intentionnelle du souscripteur (Cass. 2e civ., 16 janv. 2020, n° 18-23.381).
2. La fausse déclaration non intentionnelle
La fausse déclaration non intentionnelle du risque, lorsqu’elle résulte de la simple négligence ou de l’ignorance excusable de l’assuré, ne relève pas du régime sévère de la nullité prévu à l’article L. 113-8 du Code des assurances. C’est un régime autonome, plus clément, que consacre l’article L. 113-9 du même code. Loin d’ignorer les conséquences d’une déclaration inexacte, ce texte organise un dispositif correctif proportionné, articulé autour de deux situations distinctes : selon que l’inexactitude est révélée avant ou après la survenance du sinistre. Dans la première hypothèse, l’assureur dispose d’un droit d’option entre la résiliation du contrat ou sa continuation moyennant une augmentation de la prime. Dans la seconde, il peut obtenir une réduction de l’indemnité due, selon une règle proportionnelle fondée sur l’écart entre la prime perçue et celle qui aurait été exigée si le risque avait été correctement déclaré.
i. Hypothèse d’une découverte antérieure au sinistre : résiliation ou maintien du contrat
Lorsque l’erreur dans les déclarations de l’assuré est révélée avant la réalisation du sinistre, l’assureur dispose, en vertu de l’article L. 113-9, alinéa 2 du Code des assurances, d’un droit d’option dont la mise en œuvre est strictement encadrée. Ce texte prévoit que «?si elle est constatée avant tout sinistre, l’assureur a le droit soit de maintenir le contrat, moyennant une augmentation de prime acceptée par l’assuré, soit de résilier le contrat dix jours après notification adressée à l’assuré par lettre recommandée, en restituant la portion de la prime payée pour le temps où l’assurance ne court plus. »
Ainsi, deux options s’offrent à l’assureur : conclure un avenant modifiant la prime, sous réserve de l’accord de l’assuré, ou bien résilier le contrat de manière unilatérale, dans les formes prévues. Cette résiliation ne peut produire effet qu’à l’expiration d’un délai de dix jours suivant la notification par lettre recommandée. Elle emporte, par ailleurs, l’obligation de restituer à l’assuré la part de prime afférente à la période non couverte. L’assuré, pour sa part, ne bénéficie d’aucun droit symétrique de résiliation sur ce fondement, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass., ch. réunies, 8 juill. 1953).
Toutefois, une difficulté particulière surgit dans les situations dites intermédiaires, dans lesquelles le sinistre survient après la découverte de l’irrégularité par l’assureur, mais avant que celui-ci n’ait exercé son droit d’option. Ce décalage dans le temps, qui tient à l’inertie ou à la lenteur de réaction de l’assureur, soulève une interrogation : peut-il encore, après réalisation du risque, résilier le contrat ou imposer une surprime avec effet rétroactif ?
La réponse de la jurisprudence est négative. Dans un tel cas, l’assureur est considéré comme ayant perdu le bénéfice des facultés offertes par l’article L. 113-9, alinéa 2. Il ne peut plus ni résilier, ni renégocier rétroactivement les conditions contractuelles. La Cour de cassation assimile en effet cette situation à celle d’une découverte postérieure au sinistre, neutralisant les prérogatives correctrices réservées à la phase antérieure. Seul reste alors ouvert le mécanisme de la réduction proportionnelle de l’indemnité, prévu pour les déclarations inexactes découvertes après sinistre (v. Cass. 2e civ., 2 mars 2017, n°15-27.831).
Cette solution s’explique par une exigence de cohérence procédurale et de protection de l’assuré : dès lors que le risque s’est réalisé, il ne saurait être légitime que l’assureur modifie les termes du contrat de façon rétroactive pour échapper à ses obligations indemnitaires.
ii. Hypothèse d’une découverte postérieure au sinistre : réduction proportionnelle de l’indemnité
==>Principe de la réduction proportionnelle du taux de prime
Lorsque l’assureur ne découvre l’erreur ou l’omission affectant la déclaration du risque qu’à l’occasion d’un sinistre, il ne peut ni invoquer la nullité du contrat – faute d’intention dolosive – ni résilier rétroactivement la police. La sanction applicable est alors de nature économique: l’article L. 113-9, alinéa 3 du Code des assurances institue en effet une réduction proportionnelle de l’indemnité, fondée sur le déséquilibre contractuel résultant de la sous-évaluation du risque.
Le texte dispose que « dans le cas où la constatation n’a lieu qu’après un sinistre, l’indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés. »
Ce mécanisme correcteur, communément désigné sous l’appellation de règle proportionnelle du taux de prime, vise à restaurer l’équilibre économique du contrat en cas de déclaration imparfaite du risque. Son application repose sur une opération arithmétique limpide : l’indemnité versée par l’assureur est ajustée à due concurrence de la cotisation réellement perçue, rapportée à celle qui aurait été légitimement exigée si l’appréciation du risque avait reposé sur des données exactes.
Indemnité versée = Préjudice subi × (Prime payée ÷ Prime exigible)
Il s’agit ici de reconstituer fictivement l’économie du contrat que l’assureur aurait conclu s’il avait été correctement informé. Il ne s’agit donc pas de sanctionner la mauvaise foi de l’assuré – absente en l’espèce – mais d’assurer un réajustement ex post de la contrepartie financière.
L’application de la réduction proportionnelle est indépendante de toute incidence causale entre l’erreur déclarative et la réalisation du dommage : même si l’irrégularité a été sans influence sur le sinistre, la réduction s’applique (Cass. 2e civ., 17 avr. 2008, n° 07-13.053). Cette solution découle de l’économie technique du contrat d’assurance : ce n’est pas l’événement dommageable qui fonde la garantie, mais la sincérité de l’évaluation du risque.
Dès lors, l’assuré ne peut utilement opposer que le risque litigieux aurait été couvert aux mêmes conditions même si la déclaration avait été exacte : le seul critère est celui de la prime qui aurait été exigée en connaissance de cause.
==>Mise en oeuvre de la réduction proportionnelle du taux de prime
Encore faut-il que l’assureur soit en mesure de démontrer le bien-fondé de sa prétention. Il lui incombe d’établir, par des éléments objectifs (grille tarifaire, simulation de tarification, clauses types…), le montant de la prime qu’il aurait appliquée en cas de déclaration conforme (Cass. 2e civ., 12 sept. 2013, n° 12-26.245). À défaut, la réduction proportionnelle ne peut être légalement prononcée (v. Cass. 1re civ., 6 juin 2000, n° 97-19.241).
Les juges du fond conservent ici un pouvoir souverain pour déterminer le taux de prime “normal”, en l’absence d’accord entre les parties. Il ne peut toutefois retenir une réduction forfaitaire en substitution de la règle mathématique prévue par la loi, sous peine de censure (Cass. 1re civ., 16 déc. 1998).
==>Opposabilité de la réduction proportionnelle du taux de prime
Sauf disposition contraire, la réduction proportionnelle de l’indemnité est opposable à toute personne invoquant le contrat d’assurance, y compris les bénéficiaires et les victimes dans les assurances de responsabilité (Cass. 1re civ., 15 févr. 1977, n°75-14.244). Cette solution repose sur le principe selon lequel les droits du tiers s’adossent à ceux de l’assuré, et ne sauraient excéder ce que l’assureur aurait dû s’engager à couvrir.
Des exceptions textuelles existent cependant, en particulier en matière d’assurance automobile obligatoire, où l’article R. 211-13, 3° du Code des assurances interdit expressément l’opposabilité de la réduction proportionnelle à la victime, tout en préservant un recours subrogatoire de l’assureur contre son assuré.
==>Régime procédural de la demande en réduction proportionnelle
La demande en réduction proportionnelle ne peut être soulevée d’office par le juge : elle doit être expressément formulée par l’assureur (Cass. 1re civ., 16 oct. 1990, n°88-20.481). L’office du juge est en effet limité par l’article 4 du Code de procédure civile aux prétentions des parties. En revanche, elle est recevable en cause d’appel sur le fondement de l’article 564, dès lors qu’elle tend seulement à limiter le montant de l’indemnité réclamée (Cass. 2e civ., 9 févr. 2012, n°11-13.245).
Enfin, le régime dérogatoire applicable en Alsace-Moselle en matière de réduction proportionnelle d’indemnité a été censuré par le Conseil constitutionnel, rétablissant ainsi l’unité du droit des assurances sur le territoire national. Jusqu’en 2014, l’article L. 191-4 du Code des assurances prévoyait que, dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, la réduction proportionnelle ne pouvait être appliquée si le risque omis ou dénaturé était sans incidence sur la réalisation du sinistre ou n’en modifiait pas la couverture contractuelle. Ce régime dérogatoire interdisait l’application de toute sanction, même en présence d’une déclaration erronée ayant altéré l’évaluation du risque par l’assureur, dès lors que cette inexactitude était restée sans incidence sur le sinistre ou sur l’étendue de la garantie.
À l’occasion d’un litige opposant un assureur à des héritiers d’un souscripteur décédé, relatif à la déclaration erronée de la superficie d’un bien immobilier, la Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité (Cass. 1re civ., 26 juin 2014, n° 13-27.943). Il était demandé si l’article L. 191-4, dans la mesure où il interdisait la réduction proportionnelle dans certains départements sans considération de l’équilibre économique du contrat, ne portait pas atteinte au principe d’égalité devant la loi tel que garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel, par décision du 26 septembre 2014, a fait droit à cette analyse (Cons. const. 26 sept. 2014, n°2014-414) Il a jugé que la disposition contestée, issue de la loi du 6 mai 1991, aggravait une différence de traitement injustifiée entre assurés selon leur lieu de résidence. La règle spéciale n’était ni fondée sur une différence de situation pertinente, ni justifiée par un motif d’intérêt général en rapport direct avec l’objet de la loi. Elle a donc été déclarée contraire à la Constitution, au visa du principe d’égalité.
L’abrogation de l’article L. 191-4, prononcée avec effet immédiat pour toutes les affaires non jugées définitivement, a ainsi mis un terme à un régime local dérogatoire en matière de déclaration du risque, en réaffirmant la pleine applicabilité de l’article L. 113-9 du Code des assurances, y compris en Alsace-Moselle. Cette censure marque un retour à l’unité du droit des assurances, fondée sur une conception objective et économique du contrat, indépendante de toute considération géographique ou territoriale.
B. Les déclarations tardives
L’obligation d’information qui pèse sur l’assuré pendant l’exécution du contrat implique, en cas de survenance de circonstances nouvelles susceptibles d’aggraver sensiblement le risque garanti ou d’en créer de nouveaux, une déclaration dans un délai de quinze jours à compter du moment où il en a connaissance (C. assur., art. L. 113-2, 3°). Le manquement à cette obligation, lorsqu’il ne relève ni de la mauvaise foi ni d’une volonté frauduleuse, ne tombe pas sous le coup des articles L. 113-8 ou L. 113-9 du Code des assurances. Il relève d’un régime autonome, institué par la loi du 31 décembre 1989, et organisé par l’article L. 113-2, alinéa 9.
1. Principe
Le retard dans la déclaration par l’assuré d’une circonstance nouvelle aggravant le risque assuré est encadré par un régime juridique spécifique, introduit par la loi du 31 décembre 1989. Il est régi par l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances, qui énonce que «?lorsqu’elle est prévue par une clause du contrat, la déchéance pour déclaration tardive ne peut être opposée à l’assuré que si l’assureur établit que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice.?»
Ce dispositif, qui rompt avec la logique antérieure de sanction automatique, repose sur trois conditions strictement cumulatives.
a. La stipulation d’une clause contractuelle
En premier lieu, la déchéance ne peut produire d’effet que si elle est expressément stipulée dans le contrat d’assurance. Cette exigence est constante en jurisprudence : une clause générale ou implicite ne suffit pas. La Cour de cassation a ainsi jugé inopposable à l’assuré une sanction de déchéance qui n’était pas spécifiquement prévue à ce titre dans la police (Cass. 1re civ., 24 févr. 1965).
À cette exigence de fond s’ajoute une exigence de forme, issue de l’article L. 112-4, alinéa 2 du Code des assurances : la clause doit être rédigée en caractères très apparents afin que l’assuré en ait eu une connaissance effective. Cette prescription vise à garantir l’efficacité de l’information précontractuelle. La jurisprudence en a fait une condition d’opposabilité : la clause ne peut produire d’effet que si sa présentation matérielle attire suffisamment l’attention de l’assuré (Cass. 1re civ., 9 mai 1994, n° 92-12.990).
b. La démonstration d’un préjudice imputable au retard
En second lieu, l’assureur ne peut invoquer la déchéance qu’à la condition de prouver que le retard dans la déclaration lui a causé un préjudice. Cette exigence, introduite par la loi du 31 décembre 1989, marque une rupture avec le régime antérieur, qui admettait la déchéance sans exigence de justification.
Le préjudice peut résider, par exemple, dans l’impossibilité de réévaluer le montant de la prime à due concurrence du risque nouvellement aggravé, dans une perte de chance de résilier le contrat à temps, ou encore dans l’exposition à un risque qu’il n’aurait pas accepté de garantir. Il appartient à l’assureur d’en apporter la preuve concrète, et non de se contenter d’alléguer abstraitement une atteinte à l’équilibre du contrat (Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). Cette appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui peuvent refuser la déchéance en l’absence de démonstration suffisante du lien entre le retard et le préjudice invoqué.
c. L’absence de cause légitime justifiant le retard
La troisième condition requise pour que la déchéance soit valablement opposée à l’assuré tient à l’absence de toute cause légitime faisant obstacle à la déclaration dans le délai requis. En effet, l’article L. 113-2, alinéa 9 prévoit expressément que « […] elle [la déchéance] ne peut également être opposée dans tous les cas où le retard est dû à un cas fortuit ou de force majeure. »
Ce correctif vise à exclure toute sanction lorsque l’assuré s’est trouvé, de manière objectivement insurmontable, dans l’impossibilité de déclarer l’aggravation du risque dans le délai de quinze jours prévu à l’article L. 113-2, 2°.
Si la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée explicitement sur les contours de cette exception, il convient de l’apprécier à la lumière des critères généraux issus du droit commun : le cas fortuit ou la force majeure se caractérisent par un événement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté du débiteur, ici l’assuré. La preuve de cette impossibilité objective pèse sur ce dernier.
Ainsi, l’assureur ne saurait se prévaloir de la clause de déchéance si l’assuré démontre que le manquement allégué procède d’une situation sur laquelle il n’avait aucune prise, telle qu’une hospitalisation d’urgence, une incapacité cognitive temporaire, ou encore une impossibilité de communication matériellement vérifiable.
2. Limites
Le régime juridique instauré à l’article L. 113-2, alinéa 9 du Code des assurances soulève de sérieuses interrogations quant à la nature exacte de la sanction encourue par l’assuré en cas de déclaration tardive d’une aggravation du risque. Si le législateur qualifie expressément cette sanction de « déchéance », cette terminologie apparaît, à l’analyse, inadaptée.
Traditionnellement, la déchéance de garantie vise à sanctionner le non-respect, par l’assuré, de ses obligations postérieures à la réalisation du sinistre – telles que le manquement aux délais de déclaration du sinistre ou l’inobservation de mesures de sauvegarde (v. notamment : Cass. 1re civ., 15 juin 1931). Or, en matière de déclaration des circonstances aggravantes, le manquement reproché est antérieur au sinistre, puisque le retard concerne une obligation de mise à jour du risque en cours de contrat. Il s’agit donc d’un manquement pré-sinistre, ce qui rend impropre la qualification traditionnelle de « déchéance ».
Plusieurs auteurs ont relevé que le régime institué à l’article L. 113-2, alinéa 9, repose sur une logique indemnitaire, dans la mesure où l’assureur ne peut opposer la déchéance que s’il établit l’existence d’un préjudice subi du fait du retard. Cette condition essentielle – posée par le texte – rapproche davantage cette sanction du régime de la responsabilité contractuelle que de celui d’une déchéance stricto sensu (v. not. Cass. 1re civ., 7 janv. 1997, n° 94-21.869). De fait, l’obligation d’identifier et de démontrer un dommage – qu’il soit économique (non-révision de la prime), actuariel (exposition à un risque non tarifé), ou encore informationnel – en fait un outil correctif plus qu’un mécanisme répressif.
Surtout, la conséquence juridique de ce manquement – à savoir la perte totale du droit à garantie – interroge au regard du principe de proportionnalité qui irrigue par ailleurs le droit des assurances. En cas d’inexactitude – non intentionnelle – des déclarations contestées le Code prévoit une simple réduction proportionnelle de l’indemnité (art. L. 113-9 C. assur.), ce qui ménage la position de l’assuré de bonne foi. À l’inverse, la déchéance pour déclaration tardive s’applique indifféremment, sans égard à la bonne ou à la mauvaise foi de l’assuré, frappant avec la même sévérité le simple retard non intentionnel et l’omission délibérée. Une telle rigueur contraste singulièrement avec les principes de modulation des sanctions qui prévalent ailleurs en droit des assurances.
On pourrait objecter qu’un recours à une clause d’exclusion de garantie, plus cohérent conceptuellement pour sanctionner un défaut de déclaration affectant le champ du risque couvert, serait juridiquement préférable. Cependant, cette solution serait moins protectrice des tiers lésés : en matière de responsabilité, la clause d’exclusion produit des effets erga omnes et peut donc être opposée aux victimes (sous réserve des exceptions légales, v. C. assur., art. L. 124-3), contrairement à la déchéance conventionnelle, qui est inopposable aux tiers (Cass. 1re civ., 15 juin 1931, préc.). C’est sans doute pour cette raison que le législateur a maintenu ce mécanisme hybride – malgré ses faiblesses conceptuelles – dans une perspective de conciliation entre les intérêts de l’assureur et la nécessaire protection des tiers en matière d’assurance de responsabilité.