Le droit à la preuve: régime

?Émergence du « droit à la preuve »

On ne saurait aborder « le droit à la preuve » qui, est d’apparition relativement récente dans l’histoire du droit de la preuve, sans se remémorer, au préalable, l’un des principes les plus essentiels qui préside au système probatoire français : le principe général selon lequel il appartient aux plaideurs de prouver les faits qu’ils allèguent.

Ce principe est énoncé à l’article 9 du Code de procédure civile. Cette disposition prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Aussi, est-ce là une véritable obligation pour ces dernières que de rapporter la preuve de leurs allégations, sous peine de succomber au procès.

L’exécution de cette obligation implique toutefois pour les plaideurs de vaincre des obstacles qui s’opposent à la production des preuves dont ils ont besoin.

La preuve d’un fait est, en effet, susceptible de se heurter, tantôt à la protection d’un intérêt légitime protégé par la loi, tel que, par exemple, le respect à la vie privée ou le secret professionnel, tantôt à la résistance du défendeur ou d’un tiers de communiquer un élément qui permettrait au plaideur d’établir les faits allégués

Pendant longtemps, aucun texte ne conférait au juge le pouvoir de contraindre une partie ou un tiers de produire les éléments de preuve qu’il détenait.

Tout au plus, l’ancien article 17, al. 3 du Code de commerce prévoyait que « la communication des documents comptables ne peut être ordonnée en justice que dans les affaires de succession, communauté, partage de société et, en cas de règlement judiciaire, liquidation des biens et suspension provisoire des poursuites. »

Cette impossibilité pour le juge d’ordonner la production forcée de preuves avait pour fondement la règle exprimée par l’adage « nemo tenetur edere contra se », lequel signifie littéralement que « nul ne peut être tenu de prouver contre lui-même ».

Pour la doctrine classique, cette règle se justifiait pleinement dans la mesure où admettre la solution contraire reviendrait, en substance, à inverser la charge de la preuve.

En obtenant du juge qu’il ordonne la production forcée d’un élément de preuve, le plaideur parviendrait en effet à exiger de son adversaire qu’il lui fournisse un moyen d’établir le fait allégué alors même que la charge de la preuve pèse sur lui.

Bien que séduisante, cette thèse n’a pas emporté l’adhésion de toute la doctrine.

Certains auteurs ont commencé à soutenir qu’il y avait lieu de concilier « l’intérêt particulier du plaideur et l’intérêt plus général d’une bonne justice »[1].

Autrement dit, l’intérêt supérieur de la justice commanderait de conférer au juge les moyens de favoriser la découverte de la vérité.

Au fond, comme souligné par des auteurs, admettre que le juge puisse ordonner la production forcée d’un élément de preuve « dépend de la conception que l’on se fait du débat judiciaire : combat entre les plaideurs ou tentative de faire triompher la justice ou la vérité. Mais la solution est indépendante de la charge de la preuve »[2].

De cette réflexion a germé l’idée, dès le début du XXe siècle, qu’il y aurait lieu de reconnaître aux plaideurs un droit – subjectif – à la preuve.

Le premier à avoir suggéré la reconnaissance d’un tel droit n’est autre que François Gény dans son ouvrage consacré aux lettres missives.

Dans cet ouvrage, le célèbre auteur définit le droit à la preuve comme « une faculté en vertu de laquelle chacun recueille et emploie, à sa guise, les moyens que lui offre la vie sociale (notamment les lettres missives) pour la justification et la défense de ses droits »[3].

Le droit à la preuve a, par suite, été présenté par Planiol comme le principe selon lequel « un plaideur a toujours le droit de prouver ce qu’il allègue en sa faveur »[4].

Si les appels à reconnaître un droit à la preuve se sont multipliés en doctrine, il faut attendre le début des années 1970 pour voir son régime juridique se construire.

L’une des premières pierres a été posée par le législateur qui a introduit dans le Code civil (article 10), par la loi n°72-626 du 5 juillet 1972, une disposition qui prévoit que :

  • D’une part, chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité.
  • D’autre part, celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts.

Ces deux règles ont ensuite été reprises par décret n°75-1123 du 5 décembre 1975 qui les a transposées dans le nouveau Code de procédure civile à l’article 1.

Cette disposition prévoit, sensiblement dans les mêmes termes que l’article 10 du Code civil, que :

  • En premier lieu, les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus.
  • En second lieu, si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime.

Des auteurs ont immédiatement vu dans ces dispositions introduites dans le Code civil et dans le Code de procédure civile la reconnaissance par le législateur d’un véritable « droit à la preuve ».

Cette thèse a été particulièrement développée par Gilles Goubeaux dans un article aux termes duquel il identifie les deux aspects du droit à la preuve[5].

Cet auteur met notamment en exergue le fait que le droit à la preuve comprend :

  • Le droit d’apporter une preuve que l’on détient
  • Le droit d’obtenir une preuve que l’on ne détient pas

Cette approche a, par suite, été reprise par de nombreux auteurs, dont Aurélie Bergeaud qui y consacrera sa thèse.

Dans ce travail de recherche, elle y définit le droit à la preuve comme « un droit subjectif processuel qui confère à l’auteur d’une offre ou d’une demande de preuve le pouvoir d’exiger du juge l’accomplissement d’une prestation processuelle consistant en une acceptation de l’initiative, pouvoir dont la reconnaissance est conditionnée à l’existence d’un intérêt probatoire légitime et dont la mise en œuvre s’inscrit dans la limite fixée par le respect de l’ordre public ou des droits d’autrui »[6].

Cet auteur relève que, en l’état des textes, le droit à la preuve n’est pas reconnu en tant que droit subjectif ; il s’infère seulement d’un devoir juridiquement protégé : l’obligation pour les parties de concourir à la manifestation de la volonté.

Elle souligne en outre que, si le droit à la preuve comporte deux aspects – la demande de preuve et l’offre de preuve – seul le premier est abordé par la loi.

Quant au second aspect, l’offre de preuve, il n’est envisagé, ni par le Code civil, ni par le Code de procédure civile, ce qui est de nature à rendre incertain le périmètre du droit à la preuve.

?Consécration du « droit à la preuve »

Bien que la thèse du droit à la preuve soit toujours contestée par une partie de la doctrine au motif que le juge demeure libre d’ordonner des mesures d’administration judiciaire, elle a fait l’objet d’une consécration par la jurisprudence, d’abord européenne, puis française.

Dans un premier arrêt du 27 octobre 1993, la Cour Européenne des Droits de l’Homme affirme que « dans les litiges opposant des intérêts privés, “l’égalité des armes” implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause – y compris ses preuves – dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer BV c/ Pays-Bas, n° 14448/88, § 33)

Si cette décision ne reconnaît pas explicitement « le droit à la preuve », elle en porte néanmoins le germe.

Il faudra attendre près de treize années pour que le droit à la preuve soit consacré par les juges strasbourgeois.

Dans un arrêt du 10 octobre 2006 la Cour Européenne des Droits de l’Homme a, en effet, eu à se prononcer sur l’admission, dans le cadre d’une procédure en divorce, de documents médicaux produits par une épouse qui cherchait à établir une corrélation entre le caractère violent de son mari avec son alcoolisme pathologique.

Tout en reconnaissant que cette production constitue une atteinte à la vie privée de ce dernier, la Cour a jugé que cette ingérence poursuivait un but légitime « en l’occurrence le droit à la preuve du conjoint aux fins de faire triompher ses prétentions » (CEDH 10 oct. 2006, LL c/ France, n° 7508/02, § 40).

Ainsi, pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la nécessité pour une partie au procès d’établir les faits allégués justifie que lui soit reconnu un véritable droit à la preuve, lequel doit être concilié avec d’autres droits subjectifs auxquels il se heurterait, au cas particulier, le droit au respect de la vie privée.

La position adoptée par la juridiction Européenne n’est pas sans avoir inspiré la Cour de cassation qui par un arrêt de principe du 5 avril 2012 reconnaîtra, à son tour, le droit à la preuve.

Aux termes de cette décision, il est reproché à une Cour d’appel d’avoir écarté des débats, dans le cadre d’un litige relatif à une succession, une lettre missive rédigée par le défunt au motif que sa production violait l’intimité de sa vie privée et le secret de ses correspondances.

Les juges du fond auraient toutefois dû rechercher, dit la Première chambre civile, « si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».

C’est la première fois que la Cour de cassation reconnaît le droit à une partie de produire un élément de preuve, alors même que cette production portait atteinte au droit au respect à la vie privée (Cass. 1ère civ. 5 avr. 2012, n°11-14-177).

Cass. 1ère civ. 5 avr. 2012

Sur le premier moyen :

Vu les articles 9 du Code civil et du code de procédure civile, ensemble, les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Attendu que pour retirer des débats une lettre écrite par M. Jean X… aux époux Y…, ses beaux-parents, trouvée après leurs décès dans leurs papiers par M. Pierre Y…, leur fils, gérant de l’indivision successorale, et par laquelle ce dernier prétendait établir une donation immobilière rapportable faite en faveur de Mme Marie-Agnès Y…, épouse Jean X…, l’arrêt retient qu’il produit cette missive sans les autorisations de ses deux soeurs ni de son rédacteur, violant ainsi l’intimité de sa vie privée et le secret de ses correspondances ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la production

litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 décembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens ;

La Cour de cassation a réaffirmé cette position dans un arrêt du 25 février 2016. Au visa de l’article 9 du Code civil, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, elle a affirmé que « le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2016, n°15-12.403).

Cette solution sera reprise, sensiblement dans les mêmes termes par la Chambre commerciale dans un arrêt du 4 juillet 2018 (Cass. com. 4 juill. 2018, n°17-10.158), de sorte qu’il y a lieu de considérer que le « droit à la preuve » est désormais bien ancré en jurisprudence, à telle enseigne qu’il est invoqué dans de plus en plus de contentieux.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il est systématiquement fait droit aux plaideurs qui s’en prévalent. L’exercice du droit de la preuve est subordonné à la réunion de conditions. À cet égard, il appartient au juge de procéder à la conciliation des intérêts en présence.

I) Les conditions générales d’exercice du droit à la preuve

L’analyse de la jurisprudence révèle que pour primer sur les intérêts antagonistes auxquels le droit à la preuve est susceptible d’être opposé, deux conditions cumulatives doivent être réunies.

  • Première condition : le caractère indispensable de la production de la preuve litigieuse
    • Pour qu’un élément probatoire portant atteindre à un intérêt antagoniste soit recevable en justice, sa production doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve.
    • Autrement dit, il doit s’agir du seul moyen dont dispose le plaideur pour prouver ses allégations.
    • Si dès lors, il existe d’autres alternatives permettant d’établir la vérité, le juge devra faire primer l’intérêt antagoniste sur le droit à la preuve dont se prévaut le plaideur.
  • Seconde condition : l’exigence de proportionnalité de l’atteinte au but poursuivi
    • Pour que la preuve litigieuse soit recevable, il ne suffit pas que sa production soit indispensable à l’établissement de la vérité, il faut encore que l’atteinte qu’elle porte aux intérêts antagonistes en présence soit proportionnée au but poursuivi.
    • Il s’agit là d’une exigence posée initialement par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a été reprise par la Cour de cassation.
    • Pratiquement, l’exigence de proportionnalité implique pour le juge de vérifier que l’atteinte résultant de la production de la preuve litigieuse ne soit pas disproportionnée par rapport à l’intérêt défendu.
    • Comme souligné par un auteur, « selon que l’intérêt servi par le droit à la preuve est particulier, collectif ou général, les atteintes portées à la vie privée du contradicteur seront jugées avec plus ou moins de sévérité »[7].
    • Le juge sera, en effet, toujours plus enclin à faire primer le droit à la preuve sur le droit antagoniste auquel il est opposé lorsqu’il sert un intérêt collectif (V. en ce sens Cass. 1ère 31 oct. 2012, n°11-17.476).

II) La conciliation du droit de la preuve avec certains droits antagonistes spéciaux

À mesure que le droit à la preuve s’est imposé en jurisprudence, il s’est propagé dans des contentieux de plus en plus nombreux.

A) Droit à la preuve et au droit au respect à la vie privée

L’un des principaux moyens soulevés par les plaideurs qui s’opposent à la production d’une preuve en justice est l’atteinte portée à leur vie privée.

La Cour de cassation rappelle néanmoins régulièrement depuis 2012 que le droit à la preuve peut l’emporter sur cet intérêt antinomique, nonobstant sa protection par la loi et par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, à la condition que « production [de la preuve litigieuse] soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2016, n°15-12.403).

Le droit au respect à la vie privée ne constitue donc plus une barrière infranchissable faisant obstacle à l’établissement de la vérité.

Le moyen tiré de l’exercice de ce droit peut être écarté lorsque l’intérêt défendu par le plaideur qui invoque le droit à la preuve est supérieur et qu’il ne dispose pas d’autres alternatives pour prouver ses allégations.

Plusieurs contentieux ont donné lieu à une conciliation entre le droit à la preuve et le droit au respect à la vie privée.

  • Contentieux social
    • La jurisprudence a reconnu le droit à la preuve afin d’admettre la recevabilité de documents produits par des représentants du personnel qui les avaient obtenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2016 la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’article L. 3171-2 du Code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice ; que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. soc. 9 nov. 2016, n°15-10.203).
  • Contentieux du divorce
    • La Cour de cassation admet que, dans le cadre d’une instance en divorce un époux puisse produire des éléments de preuve portant atteinte à la vie privée de son conjoint, pourvu que ces éléments n’aient pas été obtenus par violence ou fraude.
    • Dans un arrêt du 29 janvier 1997, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens, au visa des anciens articles 259 et 259-1 du Code civil, que, « en matière de divorce, la preuve se fait par tous moyens ; que le juge ne peut écarter des débats tous documents dont un conjoint entend faire usage que s’ils ont été obtenus par violence ou fraude » (Cass. 2e civ. 29 janv. 1997, n°95-15.255).
    • Cette position a été confirmée par le législateur lors de l’adoption de la loi 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.
    • Le nouvel article 259-1 du Code civil prévoit, en effet, que la seule limite qui interdit un époux de verser aux débats dans le cadre de l’instance en divorce un élément de preuve c’est l’obtention de cet élément par la fraude ou la violence.

B) Droit à la preuve et protection du secret professionnel

Autre moyen soulevé par les plaideurs pour faire échec au droit à la preuve : la protection du secret professionnel.

Pour mémoire, il est un certain nombre de personnes auxquelles il est fait interdiction de révéler des informations obtenues dans le cadre de l’exercice de leur activité professionnelle, sous peine de sanction pénale.

Tel est le cas des médecins, des notaires, des avocats, des huissiers de justice, des experts-comptables, des assistantes sociales ou encore des banquiers.

L’instauration d’un secret professionnel au bénéfice de ces professions vise à permettre l’établissement d’une relation de confiance entre la personne qui a besoin de se confier et le professionnel qui la reçoit.

Émile Garçon écrivait en ce sens à la fin du XIXe siècle dans son commentaire de l’ancien article 378 du Code pénal que « le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le catholique un confesseur ; mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission, si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à a discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié ».

Compte tenu de ce que certaines personnes ont l’obligation de ne pas divulguer les informations qui leur ont été confiées dans le cadre de l’exercice de leur profession, la question se pose de savoir si l’exercice du droit à la preuve peut contraindre ces dernières à lever le secret auquel elles sont tenues.

À l’analyse, la solution retenue par la jurisprudence diffère selon les professionnels concernés.

?Avocats

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle que le secret professionnel auquel sont tenus les avocats est absolu.

À cet égard, l’article 2.1 du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat prévoit que « le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps. »

Le texte précise que cette obligation de confidentialité couvre en toute matière, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quels qu’en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique.

Il en résulte que la protection des informations échangées entre un avocat et son client ne saurait, par principe, céder sous l’exercice du droit à la preuve.

?Notaires

Le secret professionnel auquel sont tenus les notaires est pareillement à celui des avocats : absolu.

Aussi, dans un arrêt du 4 juin 2014, la Cour de cassation a jugé « le droit à la preuve découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut faire échec à l’intangibilité du secret professionnel du notaire, lequel n’en est délié que par la loi, soit qu’elle impose, soit qu’elle autorise la révélation du secret » (Cass. 1ère civ. 4 juin 2014, n°12-21.244).

?Médecins

Le secret médical présente également un caractère absolu dit la jurisprudence.

La primauté de la protection du secret médical sur le droit à la preuve s’évince, par exemple, d’un arrêt du 7 décembre 2004 rendu par la Cour de cassation.

Dans cette décision, la Première chambre civile considère que « si le juge civil a le pouvoir d’ordonner à un tiers de communiquer à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission, il ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l’accord de la personne concernée ou de ses ayants droits, le secret médical constituant un empêchement légitime que l’établissement de santé a la faculté d’invoquer ; qu’il appartient au juge saisi sur le fond d’apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droit, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d’en tirer toute conséquence quant à l’exécution du contrat d’assurance » (Cass. 1ère civ. 7 déc. 2004, n°02-12.539).

Dans le même sens, elle a décidé, dans un arrêt du 11 juin 2009, que « le juge civil ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique l’y autorisant, ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l’expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l’exécution de cette mission à l’autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer toutes conséquences du refus illégitime » (Cass. 1ère civ. 11 juin 2009, n°08-12.742).

On peut encore évoquer une décision rendue le 28 juin 2012 aux termes de laquelle la Cour de cassation a jugé que « si l’avocat est délié du secret professionnel auquel il est normalement tenu, lorsque les strictes exigences de sa propre défense en justice le justifient, ce fait justificatif ne s’étend pas aux documents couverts par le secret médical qui ont été remis à l’avocat par la personne concernée et qui ne peuvent être produits en justice qu’avec l’accord de celle-ci » (Cass. 1ère civ. 28 juin 2012, n°11-14.486).

?Banquiers

En application de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier le banquier et tenu au secret professionnel.

Est-ce à dire que ce dernier peut refuser de communiquer en justice toute information couverte par ce secret ?

L’analyse de la jurisprudence conduit à distinguer deux situations :

  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est un tiers à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère de façon constante que le secret bancaire est opposable au juge civil ou commercial.
    • Le secret bancaire est ainsi considéré comme constituant un motif légitime justifiant le refus du banquier de communiquer les informations par le secret.
    • Dans un arrêt du 13 juin 1995, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le secret professionnel auquel est tenu un établissement de crédit constitue un empêchement légitime opposable au juge civil » (Cass. com. 13 juin 1995, n°93-16.317).
  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est partie à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a, dans un premier temps, considéré que le secret bancaire constituait un motif légitime susceptible d’être opposé au juge civil et commercial, quand bien même la banque était partie à l’instance.
    • Dans un arrêt du 25 février 2003, la chambre commerciale a ainsi affirmé, au visa des articles L. 511 du Code monétaire et financier et 10 du Code civil que « le pouvoir du juge civil d’ordonner à une partie ou à un tiers de produire tout document qu’il estime utile à la manifestation de la vérité, est limité par l’existence d’un motif légitime tenant notamment au secret professionnel » (Cass. com. 25 févr. 2003, n°00-21.184).
    • Puis, la Cour de cassation a semblé revenir sur cette position dans un arrêt du 29 novembre 2017.
    • Elle a effet jugé dans cette décision que « « le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée » (Cass. com. 29 nov. 2017, n°16-22.060)
    • Selon la chambre commerciale un établissement bancaire ne pourrait donc pas opposer le secret bancaire lorsque sa levée est sollicitée dans le cadre d’une action en justice dirigée contre ce dernier.
    • Au regard de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation semble retenir, en l’espèce, une solution inverse à celle qui avait été adoptée en 2003.
    • Est-ce à dire que la chambre commerciale opère ici un revirement de jurisprudence ? Une lecture attentive des décisions antérieures permet d’en douter.
    • En effet, lorsque la banque est partie à l’instance, il convient de distinguer selon que l’information couverte par le secret professionnel concerne un tiers ou selon qu’elle est nécessaire, soit à la résolution du litige, soit à sa propre défense :
      • L’information couverte par le secret bancaire concerne un tiers
        • Dans cette hypothèse, il n’est pas douteux que le secret bancaire demeure opposable au juge civil ou commercial, quand bien même la banque est partie à l’instance.
        • La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 25 janvier 2005 (Cass. com., 25 janv. 2005, n°03-14.693).
      • L’information couverte par le secret bancaire est nécessaire à la résolution du litige ou à la défense de la banque
        • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a toujours considéré que le secret bancaire ne constituait pas un motif légitime susceptible de faire échec à une injonction du juge.
        • Cette solution a été retenue notamment dans un arrêt du 19 juin 1990 (Cass. com. 19 juin 1990, n°88-19.618).
        • Plus récemment, elle a estimé que « dès lors qu’il appartient au banquier d’établir l’existence et le montant de la créance dont il réclame le paiement à la caution ou à ses ayants droit, ceux-ci sont en droit d’obtenir la communication par lui des documents concernant le débiteur principal nécessaires à l’administration d’une telle preuve, sans que puisse leur être opposé le secret bancaire » (Cass. com. 16 déc. 2008, n°07-19.777).
    • La solution adoptée par la chambre commerciale dans l’arrêt du 19 novembre 2017 s’inscrit indéniablement dans le second cas de figure.
    • Les pièces sollicitées auprès de la banque étaient, en effet, nécessaires à la résolution du litige, d’où l’impossibilité pour cette dernière de se prévaloir du secret bancaire.
    • Au bilan, cette décision ne constitue nullement un revirement de jurisprudence, mais seulement une confirmation des solutions antérieures.
  1. C. Marraud, « Le droit à la preuve ; la production forcée des preuves en justice », JCP, 1973, I, 2572 ?
  2. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°587, p. 546 ?
  3. F. Gény, Des droits sur les lettres missives, t II, Sirey, Paris, 1911, p. 106 ?
  4. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Librairie générale de Paris, 1923, t. 2, n°43 ?
  5. G. Goubeaux, Le droit à la preuve, in La preuve en droit, Études publiées par C. Perelman et P. Foriers, Bruylant, Bruxelles, 1981, p. 277 s. ?
  6. A. Bergeaud, Le droit à la preuve, éd. LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », t. 525, 2010, n°638 ?
  7. G. Lardeux, Preuve : règles de preuve, Dalloz, rép. n°303 ?

Les contrats sur la preuve: régime

?Problématique

Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si, au titre de la liberté contractuelle qui préside à la conclusion des conventions, les parties étaient autorisées à aménager les règles relatives à la preuve.

Cette incertitude est née de l’absence dans le Code civil de dispositions sur les contrats relatifs à la preuve.

Tout au plus, l’ancien article 1316-2 prévoyait que « lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support. »

Compte tenu du manque de clarté de cette disposition, toutes les thèses pouvaient potentiellement être envisagées. Nous nous limiterons à exposer les deux principales :

  • La thèse du caractère impératif des règles de preuve
    • Une partie de la doctrine a soutenu que les règles relatives à la preuve présentaient un caractère impératif, compte tenu de ce qu’elles se rapportent au déroulement du procès.
    • Or on toucherait là aux fonctions régaliennes de l’État, lesquelles fonctions ne peuvent s’exercer qu’au moyen de règles d’ordre public.
    • Pour cette raison, il ne pourrait être dérogé aux règles gouvernant la preuve par convention contraire.
  • La thèse du caractère supplétif des règles de preuve
    • Prenant le contrepied de la première thèse, des auteurs – majoritaires – ont défendu que les règles relatives à la preuve fussent supplétives.
    • Pour les tenants de cette thèse, « ces règles visent essentiellement à la protection des intérêts du plaideur qui échappe au risque de la preuve et il est possible de renoncer à un système protecteur d’intérêts privés, du moins tant que sont en jeu des droits dont les titulaires peuvent disposer »[1].

?Consécration

Entre les deux thèses, la jurisprudence a opté pour la seconde. Très tôt, elle a en effet admis que les parties puissent déroger aux règles gouvernant la preuve (V. en ce sens Cass. req. 1er avr. 1862 ; Cass. req. 27 févr. 1928).

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles de preuve.

I) Le principe de licéité des contrats aménageant les règles de preuve

?Énoncé du principe

L’article 1356, al. 1er du Code civil consacre donc la liberté contractuelle en matière de preuve.

Cette consécration s’inscrit en rupture avec le droit antérieur qui ne connaissait aucune disposition sur les contrats relatifs à la preuve, hormis l’ancien article 1316-2 du Code civil.

La reconnaissance du caractère supplétif des règles de preuve emporte deux principales conséquences :

  • Première conséquence
    • Les parties sont-elles libres d’aménager les règles de preuve, soit d’y déroger par convention contraire

?Champ d’application du principe

L’article 1356 du Code civil ne prévoit aucune restriction quant à son domaine d’application, de sorte que sont visés, par principe, tous les contrats, pourvu qu’ils portent « sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Aussi, les parties sont-elles libres d’aménager les règles relatives à la charge de la preuve, à l’objet de la preuve, aux modes de preuve ou encore à la force probante.

  • S’agissant des contrats aménageant la charge de la preuve
    • En application de l’article 1356 du Code civil, les contrats aménageant la charge de la preuve sont licites
    • Cela signifie, concrètement, que les parties sont autorisées à inverser la charge de la preuve par le jeu d’une clause contractuelle.
    • Dans un arrêt du 30 octobre 2007, la Première chambre civile a ainsi décidé à propos d’un contrat de dépôt que « les parties à un tel contrat sont libres de convenir de mettre à la charge du déposant, qui entend se prévaloir d’un manquement du dépositaire à l’obligation de moyens qui lui incombe, la preuve de ce manquement » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2007, n°06-19.390).
  • S’agissant des contrats aménageant les modes de preuve
    • Ces contrats visent à autoriser les parties à déterminer contractuellement quels seront les modes de preuves admis pour faire la preuve d’un droit ou d’une obligation.
    • Aussi, ces dernières sont libres, tant d’étendre les modes de preuve admissibles (Cass. req. 6 janv. 1936) ; que de les restreindre (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1995, n°92-18.013).
    • Cela consistera à écarter des modes de preuve légalement admissibles lorsque la preuve est libre ou à rendre admissible des modes de preuve que la loi écarte.
  • S’agissant des contrats aménageant la force probante
    • Bien que les auteurs soient partagés sur la licéité des contrats aménageant la force probante des modes de preuve, ils sont licites.
    • Cette licéité a été reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 novembre 1989 (Cass.1ère civ. 8 nov. 1989, 86-16.197).
  • S’agissant des contrats aménageant l’objet de la preuve
    • Ces contrats visent à déplacer l’objet de la preuve en stipulant une présomption.
    • L’aménagement de l’objet de la preuve se rencontre fréquemment dans les contrats d’abonnement téléphoniques ou d’énergie (Cass. 3e civ. 7 févr. 2019, n°17-21.568).
    • Il est courant qu’un opérateur stipule que la preuve de la consommation sera présumée avoir été rapportée sur la base des seuls relevés de consommation émis, sauf preuve contraire (Cass. 1ère civ. 28 janv. 2003, n°00-17.553).

II) Les limites au principe de licéité des contrats aménageant les règles de preuve

A) Les limites tenant à l’objet du contrat sur la preuve

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles de preuve n’est pas sans limites ; l’article 1356 du Code civil subordonne la validité des conventions sur la preuve à la libre disponibilité des droits des parties.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont les droits susceptibles de faire l’objet d’une convention sur la preuve.

Part hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Pour mémoire, tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, les seuls contrats visés par l’article 1356 du Code civil seraient ceux portant sur des droits patrimoniaux.

Quant aux droits extrapatrimoniaux, que l’on retrouve notamment en droit des personnes ou en droit de la famille, ils ne pourraient donc faire l’objet d’aucune convention sur la preuve.

Bien que constituant un point d’ancrage permettant d’identifier les contrats relevant du domaine de l’article 1356 du Code civil, la distinction entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux est parfois écartée, tantôt par le législateur, tantôt par la jurisprudence, à la faveur de solutions guidées par le souci de protection de la partie la plus faible.

Pour exemple, l’article R. 212-1, 12° du Code de la consommation prévoit que « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de […] imposer au consommateur la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat. »

De son côté, la Cour de cassation a confirmé la nullité d’une clause de non-concurrence figurant dans un contrat de travail qui inversait la charge de la preuve en ce qu’elle subordonnait le paiement de la contrepartie financière due au salarié au titre de cette clause à la preuve par ce dernier de la non-violation de son obligation.

Au soutien de sa décision, elle affirme « qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’une éventuelle violation de la clause de non-concurrence et que la cour d’appel a décidé à bon droit que la clause contractuelle disposant du contraire était inopérante » (Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).

Au bilan, il apparaît que toutes les conventions sur la preuve portant sur des droits patrimoniaux ne sont pas nécessairement licites. Il est des cas où, par souci de protection de la partie faible, il est fait interdiction aux parties de renverser la charge de la preuve.

B) Les limites tenant à la force probante de certains modes de preuve

L’article 1356, al. 2e du Code civil prévoit que les contrats sur la preuve « ne peuvent contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Il ressort de cette disposition qu’il est des aménagements portant sur la force probante de certains modes de preuve qui sont prohibés.

Au nombre de ces aménagements, le texte vise les clauses :

  • Qui contredisent les présomptions irréfragables établies par la loi
  • Qui modifient la foi attachée à l’aveu ou au serment
  • Qui établissent une présomption irréfragable au profit de l’une des parties
  1. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460 ?

Le serment supplétoire ou déféré d’office: régime

?Vue générale

Dans son acception courante le serment se définit comme l’« affirmation ou promesse en prenant à témoin Dieu, ou ce que l’on regarde comme saint, comme divin.»[1].

Le serment présente ainsi la particularité de comporter une dimension spirituelle, sinon divine. À cet égard, le mot « serment » vient du latin « sacramentum », soit la promesse faite en prenant à témoin Dieu, un être ou un objet sacré.

En prêtant serment, le jureur s’en remet en quelque sorte à une puissance supérieure qui, en cas de parjure, est susceptible de lui infliger un châtiment dont les conséquences sont bien plus graves que celles attachées aux lois humaines.

Ce qui se joue avec le serment, c’est, au-delà des sanctions civiles et pénales auxquelles s’expose le jureur, son honneur, sa dignité, sa réputation et, plus encore, selon certaines croyances, son sort après la mort.

Quelles que soient les croyances ou valeurs sur lesquelles repose le serment, comme souligné par un auteur, « le plus petit commun dénominateur du mot serment réside dans l’expression solennelle d’une parole »[2].

Classiquement, on distingue deux sortes de serments : le serment promissoire et le serment probatoire.

  • S’agissant du serment promissoire
    • Le serment promissoire est défini comme « l’engagement de remplir les devoirs de sa charge ou de son état selon les règles déontologiques (serment professionnel des magistrats, avocats, médecins, etc.), soit dans la promesse d’accomplir au mieux l’acte qui est demandé (le témoin juge de dire la vérité, l’expert d’agir avec conscience et objectivité »[3].
    • Ce type de serment vise ainsi à prendre un engagement pour le futur et plus précisément à promettre d’adopter une conduite conforme à celle attendue par l’autorité devant laquelle on prête serment.
  • S’agissant du serment probatoire
    • Le serment probatoire est défini comme « la déclaration par laquelle un plaideur affirme, d’une manière solennelle et devant un juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable »[4].
    • Ce serment, qualifié également de judiciaire, se distingue du serment promissoire en ce que consiste, non pas à s’engager pour le futur, mais à attester de la véracité d’un fait passé.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le serment probatoire dont l’origine est lointaine.

?Origines du serment probatoire

Le serment est l’un des modes de preuve les plus anciens. Dès l’Antiquité il a été utilisé comme un moyen de résoudre les litiges et d’établir la vérité.

Il a notamment occupé une place importante dans le système judiciaire de la Rome antique. On y distinguait trois sortes de serments probatoires :

  • Le serment nécessaire
    • Celui-ci consistait pour une partie à intimer, au cours du procès, à son adversaire de prêter serment.
    • Le prêteur intervenait alors pour contraindre ce dernier à s’exécuter.
    • S’il prêtait serment, il était réputé de bonne foi, ce qui avait pour effet de rendre irrecevable la prétention du demandeur.
    • Si, au contraire, la partie à laquelle le serment était déféré refusait de se soumettre à l’invitation qui lui était faite il perdait le procès ; d’où le caractère nécessaire du serment.
  • Le serment volontaire
    • Ce serment ne pouvait résulter que d’un pacte conclu entre les parties, lequel pacte pouvait intervenir, tout autant en dehors du procès, qu’au cours de l’instance.
    • La seule exigence était que les parties s’entendent sur le recours à ce mode de preuve.
    • Le serment volontaire avait pour effet de mettre définitivement un terme au litige.
  • Le serment supplétoire
    • En cas d’insuffisance de preuve, le juge avoir le pouvoir de déférer à une partie de prêter serment.
    • Il ne pouvait toutefois être utilisé que pour des actions bien délimitées.

Ce dispositif de preuve, construit autour du serment, a, par suite, été repris au Moyen-Âge, lorsque les juristes ont redécouvert le droit romain.

On connaissait à cette époque trois sortes de serments :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit du serment qui était déféré par une partie à l’autre dans le cadre d’une instance pour en faire dépendre la décision de la cause. Il était analysé comme un pacte, une transaction conclue entre les parties.
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit ici du serment déféré par le juge à une partie. Cette faculté conférée au juge était toutefois enfermée dans des conditions strictes.
  • Le serment purgatoire
    • Il s’agit d’un serment, issu des traditions franques, qui permettait à un plaideur de se disculper d’une accusation lorsque la preuve de son innocence était impossible à rapporter

Bien que le serment comportât sous l’Ancien Régime une dimension éminemment religieuse, ce mode de preuve est reconduit par les rédacteurs du Code civil.

La sécularisation du droit a seulement eu pour effet d’écarter le serment purgatoire du système probatoire.

Le serment décisoire et le serment supplétoire ont quant à eux été introduits dans le Code Napoléon.

?Le serment probatoire dans le Code civil

Le serment comme mode de preuve est régi aux articles 1357 à 1369 du Code civil. Là ne sont pas les seules dispositions qui traitent du serment. Celui-ci est également encadré, pour l’aspect procédural, par les articles 317 à 322 du Code civil.

À la différence de l’aveu, qui a fait l’objet d’une définition à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le serment n’a pas fait l’objet du même traitement.

Pour certains auteurs, il ne s’agit nullement d’un oubli. Pour eux, « la définition générale du serment aurait peut-être été inopportune, puisque ses usages ne se limitent pas au seul terrain probatoire »[5].

Il faut en effet compter avec le serment promissoire qui remplit une fonction totalement étrangère au serment probatoire ; d’où le choix qui a été fait par le législateur

En tout état de cause, ce qui frappe lorsque l’on envisage le serment comme mode de preuve institué par le Code civil, c’est qu’il heurte le principe général d’interdiction de preuve à « soi-même » énoncé par l’article 1363 de ce même Code.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même. »

Cela signifie que pour être recevable, une preuve ne saurait émaner de la partie qui s’en prévaut.

C’est pourtant ce que fait le plaideur auquel le serment est déféré : il affirme un fait qui lui est favorable au soutien de sa propre prétention.

Le serment ne devrait dès lors pas être admis comme mode de preuve. Reste que le législateur en a décidé tout autrement. La raison en est que le serment ne repose plus seulement sur les croyances religieuses des justiciables, qui ne craignent plus désormais d’encourir des sanctions divines.

À une époque où la société s’est laïcisée, le serment repose sur un dispositif de sanctions pénales de nature à dissuader les plaideurs de se parjurer.

À cet égard, l’article 437-17 du Code pénal prévoit que « le faux serment en matière civile est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

?Serment décisoire et serment supplétoire

Faute de définir le serment probatoire, l’article 1384 du Code civil énonce les deux sortes de serment admis comme mode de preuve.

Cette disposition prévoit que le serment peut être, soit décisoire, soit supplétoire :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit de celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause (art. 1384 C. civ.) :
      • Si le plaideur auquel le serment est déféré accepte le « défi », alors il gagne le procès.
      • Si en revanche, il renonce à prêter serment craignant notamment la sanction attachée au parjure, alors il succombe.
    • La particularité du serment décisoire est qu’il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »
    • Autrement dit, il peut intervenir aux fins de prouver, tant un acte juridique, qu’un fait juridique.
    • À cet égard, à l’instar de l’aveu judiciaire, le serment décisoire présente l’avantage de lier le juge à la déclaration du plaideur.
    • Il devra donc tenir pour vrai ce que ce dernier déclare, à tout le moins dès lors la déclaration porte sur un fait personnel, soit d’un fait qu’il a personnellement vécu ou constaté (art. 1385-1 C. civ.).
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit de celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties.
    • Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire ne peut pas jouer en toutes matières ; il obéit à des conditions de recevabilité énoncées à l’article 1386-1 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »
    • Autrement dit, le juge ne pourra recourir au serment supplétoire que pour parfaire son intime conviction.
    • Il s’agit, en quelque, sorte d’une mesure d’instruction qui ne peut ni pallier la carence de preuves, ni intervenir pour combattre une preuve parfaite.
    • La recevabilité du serment décision est ainsi conditionnée à la vraisemblance de la prétention qu’il vise à confirmer ou infirmer.
    • Si cette condition est remplie, le juge pourra y recourir afin d’établir la réalité du paiement discutée par les parties.

Nous nous focaliserons ici sur le seul serment supplétoire.

I) Économie générale du serment décisoire

A) Notion

Le serment supplétoire est présenté par l’article 1386, al.1er du Code civil comme le serment que le juge peut déférer à l’une des parties.

À la différence du serment décisoire, le serment supplétoire, qualifié également de serment déféré d’office, procède de l’initiative, non pas d’une partie, mais du juge.

C’est le juge qui, ici, est, à la manœuvre et qui détermine s’il y a lieu de déférer ou non un serment à l’une des parties.

À cet égard, le serment supplétoire est défini classiquement comme le « serment que le juge peut, dans le doute, déférer d’office à l’une des parties au procès en d’une meilleure connaissance de la cause, dont il apprécie souverainement la valeur probante […] et qui constitue […] une simple mesure d’instruction »[6].

Aussi, le juge pourra être porté à recourir au serment supplétoire lorsque les preuves fournies par les parties s’avéreront insuffisantes.

Au fond, le serment supplétoire vise à compléter les éléments de preuve produits aux débats et éclairer le juge sur les faits litigieux.

B) Nature

Le serment déféré d’office s’analyse en une mesure d’instruction ; raison pour laquelle il relève du monopole du juge.

Seul le juge est donc investi du pouvoir de déférer le serment supplétoire à l’une des parties.

Il ne pourra toutefois exercer cette faculté que si les conditions énoncées par l’article 1386-1 du Code civil sont réunies.

II) Conditions du serment supplétoire

?Conditions tenant aux pouvoirs du juge

Tout d’abord, le serment supplétoire est réservé à l’usage du juge. Plus précisément, il relève de son pouvoir discrétionnaire, comme jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 juillet 1968 (Cass. 3e civ. 4 juill. 1968).

Cela signifie :

  • D’une part, que le juge est investi du pouvoir d’apprécier souverainement l’opportunité de recourir au serment supplétoire
  • D’autre part, que le juge n’est pas tenu de motiver son refus de déférer le serment supplétoire à une partie.

Ensuite, le juge est libre de déterminer la partie à laquelle il entend déférer le serment supplétoire, sauf disposition légale contraire.

L’article 1716 du Code civil qui prévoit, par exemple, que « lorsqu’il y aura contestation sur le prix du bail verbal dont l’exécution a commencé, et qu’il n’existera point de quittance, le propriétaire en sera cru sur son serment, si mieux n’aime le locataire demander l’estimation par experts »

À l’inverse, l’article 1386, al. 2e du Code civil interdit à l’autre partie de référer le serment à celle à laquelle il a été déféré par le juge.

Enfin, le juge ne choisit pas seulement la partie à laquelle il entend déférer le serment supplétoire, il détermine également les faits sur lequel celui-ci devra porter.

Plus précisément, comme prévu par l’article 318 du Code de procédure civile, c’est à lui de définir les faits pertinents « sur lesquels il sera reçu ».

?Conditions tenant à la mise en œuvre du serment supplétoire

L’article 1386-1 du Code civil prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »

Il ressort de cette disposition que la faculté pour le juge de déférer le serment à une partie n’est pas absolue ; elle est subordonnée au respect d’une condition de recevabilité.

Pour que le juge puisse déférer à une partie le serment, il est nécessaire que la demande soit, au moins, partiellement fondée, ou « pas totalement dénuée de preuve ».

Autrement dit, il doit exister un commencement de preuve rendant vraisemblable les faits allégués.

Aussi, le serment supplétoire ne saurait être utilisé par le juge aux fins de pallier la carence totale des parties dans l’administration de la preuve (V. en ce sens Cass. soc. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

Cette mesure d’instruction vise seulement à obtenir un complément de preuve, lorsque les preuves jusque-là produites sont insuffisantes.

III) Force probante du serment supplétoire

L’article 1386, al. 3 du Code civil prévoit que la valeur probante du serment supplétoire est laissée à l’appréciation du juge.

Cela signifie que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrai le fait sur lequel le serment a été déféré. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée du serment, peu importe qu’il ait été prêté ou refusé.

Le juge demeure toujours libre de lui reconnaître ou de lui dénier une force probante (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 15 oct. 1975, n°73-11.059 ; Cass. com. 4 oct. 1988, n°86-13.156).

Aussi cette force probante dépend-elle entièrement de l’intime conviction du juge. C’est là une différence majeure avec le serment décisoire qui s’impose à ce dernier.

Il n’en reste pas moins que la partie qui a juré dans le cadre d’un serment supplétoire s’expose à une sanction pénale (art. 434-17 C. pén.).

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. G. Cornu, Vocabulaire Juridique, éd. Puf, 2005, V. Serment, p. 844 ?

L’aveu extrajudiciaire: régime

?Notion

Les rédacteurs du Code civil n’avaient, en 1804, pas jugé nécessaire de définir la notion d’aveu.

Pourtant il a été désigné comme la probatio probatissima, soit la plus décisive des preuves.

Faute de définition dans le Code civil, c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de pourvoir à cette carence.

Selon Aubry et Rau, « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avérée à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques »[1].

La définition proposée par Planiol et Ripert était quelque peu différente. Pour ces auteurs l’aveu ne serait caractérisé qu’en présence de « déclarations accidentelles, faites après coup, par lesquelles une partie laisse échapper la reconnaissance du fait ou de l’acte qu’on lui oppose »[2].

La raison en est que l’apposition d’une signature sur un acte pourrait en quelque sorte s’analyser en la reconnaissance par le signataire de la véracité du contenu de cet acte. Or la signature est une composante de la preuve littérale et non de l’aveu.

Aussi, pour les distinguer, il y aurait lieu de considérer que, d’une part, l’aveu présente un caractère « accidentel », par opposition à la preuve littérale qui est préconstituée, et, d’autre part, qu’il interviendrait nécessairement « après coup », soit après la réalisation du fait à prouver.

Bien que séduisante, cette approche n’a pas été retenue par la jurisprudence qui lui a préféré la définition proposée par Aubry et Rau. Dans un arrêt du 4 mai 1976, la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Puis dans le cadre de l’avant-projet relatif à la réforme du régime des obligations et des quasi-contrats porté par François Terré, l’aveu a été défini, dans le droit fil des définitions précédentes, comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai, et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

Le législateur a consacré cette définition de l’aveu à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1383 du Code civil prévoit que « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

?Nature de l’aveu

La nature de l’aveu a fait l’objet d’une discussion doctrinale ayant donné lieu à la confrontation de trois thèses différentes :

  • Première thèse
    • Pour certains auteurs, l’aveu s’analyserait en le fait générateur d’un renversement de charge de la preuve.
    • En principe, la charge de la preuve pèse sur le demandeur à l’allégation.
    • Aussi, en formulant un aveu le défendeur dispenserait le demandeur de l’obligation de prouver son allégation.
  • Deuxième thèse
    • D’autres auteurs soutiennent que l’aveu reposerait sur une présomption, en ce sens que lorsqu’une personne reconnaît la véracité d’un fait, en ayant conscience que cette déclaration est susceptible de produire des conséquences juridiques qui lui sont défavorables, il y a tout lieu de penser qu’elle dit la vérité et donc de tenir pour vrai ce qui a été avoué.
  • Troisième thèse
    • Le Professeur Chevalier a soutenu que, en réalité, l’aveu ne constituerait pas un mode de preuve[3].
    • Pour cet auteur, il aurait seulement pour effet de circonscrire l’objet de la preuve.
    • En effet, pour mémoire, ne doivent en principe être prouvés que les faits qui sont contestés ou contestables.
    • Aussi, dès lors qu’un fait n’est pas contesté par le défendeur, la preuve de ce fait n’a pas à être rapportée.
    • L’aveu a donc pour effet de réduire le périmètre de l’objet de la preuve et donc, par voie de conséquence, de limiter l’office du juge dont la mission est précisément de se prononcer sur les seuls faits litigieux.
    • Au regard de cette définition, il y aurait donc lieu de considérer que l’aveu judiciaire et l’aveu extrajudiciaire n’auraient pas la même nature.

?Aveu judiciaire et aveu extrajudiciaire

L’article 1383, al. 2e du Code civil prévoit que l’aveu « peut être judiciaire ou extrajudiciaire ».

Ainsi existe-t-il deux formes d’aveu :

  • L’aveu judiciaire
    • Il s’agit de la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.
    • La particularité de ce mode de preuve est qu’il est recevable en toutes matières, y compris lorsqu’un écrit est exigé.
    • Autrement dit, il peut servir à établir, tant un fait juridique, qu’un acte juridique : il n’est donc pas besoin qu’il soit corroboré par un autre mode de preuve, à la différence par exemple du témoignage ou du commencement de preuve par écrit.
    • La raison en est qu’il « fait foi contre celui qui l’a fait » (art. 1382, al. 2e C. civ.)
    • À cet égard, l’aveu judiciaire s’impose au juge ; lequel ne peut donc pas l’écarter dès lors qu’il répond aux conditions fixées par la loi.
  • L’aveu extrajudiciaire
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est défini par aucun texte.
    • Aussi, est-il d’usage de le présenter négativement par rapport à l’aveu judiciaire.
    • Classiquement, il est en effet défini comme la déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire.
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est recevable que « dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen » (art. 1383-1, al. 1er C. civ.).
    • Par ailleurs, l’article 1383-1, al. 2e du Code civil prévoit que « sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »
    • Ainsi, l’aveu extrajudiciaire ne s’impose pas au juge qui conserve sa liberté d’appréciation.

Nous nous focaliserons ici sur l’aveu extrajudiciaire.

I) L’admissibilité de l’aveu extrajudiciaire

L’article 1383-1 du Code civil prévoit que « l’aveu extrajudiciaire purement verbal n’est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen ».

Il ressort de cette disposition que les conditions d’admission en justice de l’aveu extrajudiciaire diffèrent selon qu’il est oral ou écrit.

  • L’aveu extrajudiciaire est oral
    • Dans cette hypothèse, il ne sera admissible que pour les seuls cas où la preuve est libre.
    • Autrement dit, il ne pourra être invoqué que pour prouver :
      • Un fait juridique
      • Un acte judiciaire dont le montant est inférieur à 1500 euros
      • Un acte de commerce accompli par le défendeur, à la condition qu’il endosse la qualité de commerçant
    • En dehors de ces cas, l’aveu extrajudiciaire « purement verbal » ne pourra pas être admis par le juge.
  • L’aveu extrajudiciaire est écrit
    • Dans cette hypothèse, il pourra être admis, tant lorsque la preuve est libre, que lorsque la preuve littérale (par écrit) est exigée.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 7 mars 1973 (Cass. 3e civ. 7 mars 1973, n°71-12.595).
    • Est-ce à dire que l’aveu extrajudiciaire suffirait à faire la preuve d’un acte juridique dont le montant est supérieur à 1 500 euros, à l’instar d’une preuve parfaite ?
    • Tel n’est pas de l’avis des auteurs qui soutiennent que l’aveu judiciaire ne peut venir qu’en complément d’un commencement de preuve par écrit (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 oct. 2002, n°00-15.834).
    • L’article 1361 du Code civil abonde en ce sens en disposant que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

II) Les conditions de l’aveu extrajudiciaire

A) Les conditions de fond

Il ressort de la combinaison des articles 1383 et 1383-2 du Code civil que deux conditions de fond doivent être réunies pour qu’un aveu judiciaire soit caractérisé.

La première condition tient à la déclaration exprimant l’aveu, tandis que la seconde condition tient à l’objet de l’aveu.

1. La déclaration exprimant l’aveu

a. Une manifestation de volonté

Fondamentalement, l’aveu consiste en une manifestation de volonté. Plus précisément, il s’analyse, selon la Cour de cassation, en un « acte unilatéral » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1972, n°70-13.603).

Il en résulte que la validité de l’aveu est subordonnée à l’observation des mêmes conditions que celles auxquelles sont soumis les actes juridiques.

Ces conditions tiennent :

  • D’une part, au consentement de l’auteur de l’aveu
  • D’autre part, à la capacité juridique de l’auteur de l’aveu

b. Le consentement de l’auteur de l’aveu

Pour produire ses effets, l’aveu doit résulter d’une manifestation de volonté devant répondre à trois exigences :

  • En premier lieu, elle ne doit pas être viciée
  • En deuxième lieu, elle doit avoir été exprimée en conscience
  • En dernier lieu, elle doit être univoque

?Une volonté exempte de vice

La volonté de l’auteur de l’aveu doit donc être exempte de tout vice, ce qui signifie qu’elle doit avoir été exprimée de façon libre et éclairée.

Concrètement, cela signifie que l’aveu doit ne pas avoir été obtenu sous la contrainte ou au moyen de manœuvres dolosives.

?Une volonté exprimée en conscience

La question s’est posée de savoir si, pour être valable, l’aveu devait avoir été exprimé en conscience.

Autrement dit, l’auteur de l’aveu doit-il avoir eu conscience que sa déclaration serait susceptible de produire des conséquences juridiques préjudiciables pour lui à la faveur de son adversaire ?

À l’analyse, la jurisprudence n’est pas totalement fixée sur ce point.

Tandis que certaines décisions semblent exiger que l’aveu ait été donné en toute conscience, d’autres ne font pas de l’existence de cette conscience chez celui qui avoue une condition de recevabilité de l’aveu.

Dans un arrêt du 25 octobre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, jugé recevable un aveu après avoir constaté qu’il avait été fait « en connaissance de l’utilisation qui pourrait en être faite comme preuve de l’obligation litigieuse » (Cass. 1ère civ. 25 oct. 1972, n°71-10.129).

À l’inverse, dans un arrêt du 21 février 1978, la Première chambre civile a admis qu’un aveu puisse produire ses effets, alors même que son auteur n’avait pas nécessairement eu conscience de la portée de ses agissements (Cass. 3e civ. 21 févr. 1978, n°76-14.185).

?Une manifestation de volonté univoque

Parce qu’il emporte des conséquences juridiques préjudiciables pour son auteur, l’aveu doit être univoque, en ce sens qu’il ne doit pas être sujet à interprétation.

En d’autres termes, la volonté de celui qui avoue ne doit susciter aucune ambiguïté quant à ses intentions.

Cette exigence a été exprimée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 1976. Aux termes de cette décision, elle a affirmé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Depuis lors, la Haute juridiction a réaffirmé à plusieurs reprises sa position (V. par exemple Cass. com. 19 juin 2001, n°98-18.333 ; Cass. 3e civ., 27 janv. 2010, n° 08-19.763).

L’aveu devant être univoque pour produire ses effets, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être implicite.

Dans certaines décisions, la Cour de cassation l’a admis. Dans un arrêt du 27 décembre 1963 elle a par exemple jugé que « l’attitude du demandeur constituait un aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l’engagement pris par lui » (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1963, n°62-11.811).

La Troisième chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 11 décembre 1969. Dans cette décision, elle reprochait aux juges du fond de n’avoir pas recherché si de la passivité de l’une des parties à l’instance sur un élément de fait qui leur était soumis n’équivalait pas à un aveu (Cass. 3e civ. 11 déc. 1969).

Dans un arrêt du 23 juin 1970, la Chambre commerciale a pareillement estimé que « l’attitude adoptée en justice par dame y…, constituant un aveu implicite du défaut de paiement » (Cass. com. 23 juin 1970, n°68-12.376).

Dans le sens inverse, dans l’arrêt du 4 mai 1976 cité précédemment, la Cour de cassation a jugé que « ne pouvait constituer un aveu extrajudiciaire le comportement passif des consorts b… à l’égard d’une désignation de confront figurant dans un acte qui n’avait pas pour objet de déterminer les droits de voisins étrangers audit acte » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Au bilan, s’il est admis que l’aveu puisse être implicite et notamment résulter d’agissements positifs, c’est à la condition qu’il soit univoque. Or cette condition n’est pas satisfaite en cas de silence gardé par une partie au procès.

c. La capacité de l’auteur de l’aveu

Il est admis que celui qui avoue doit justifier de la capacité juridique. Il s’agit là d’une traduction de l’adage « qui non potest domar, non potest confiteri » qui signifie « celui qui ne peut donner ou aliéner ne peut avouer ou faire un aveu ».

Faisant application de ce principe, dans un arrêt du 19 décembre 1960, la Cour de cassation a jugé qu’un mineur « ne pouvait, par lui-même ni par ses représentants, émettre un aveu qui lui fut opposable » (Cass. 2e civ. 19 déc. 1960).

La Première chambre civile a retenu la même solution dans un arrêt du 2 avril 2008 à la faveur d’un majeur placé sous une mesure de tutelle.

Aux termes de cette décision elle a affirmé « qu’une déclaration émanant du représentant légal [d’un majeur] alors placé sous le régime de la tutelle, ne pouvait valoir aveu opposable à ce dernier » (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2008, n°07-15.820).

Quant au majeur placé sous une mesure de curatelle, il devra nécessairement se faire assister par son curateur.

2. L’objet de l’aveu

Il s’infère de l’article 1383 du Code civil que l’aveu ne peut porter que sur :

  • D’une part, un fait
  • D’autre part, un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre la personne qui avoue

?Un fait

Pour produire ses effets, l’aveu doit nécessairement porter sur un élément de fait. La notion de fait doit être prise dans son sens large. Autrement dit, l’aveu permet de faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques.

Peuvent ainsi être prouvés au moyen d’un aveu la remise d’une somme d’argent, la délivrance d’une chose, la falsification d’un écrit, un adultère, le paiement d’une dette, l’occupation d’un immeuble ou encore l’envoi d’un courrier.

Dans un arrêt du 26 mai 1982, la Cour de cassation a précisé que « l’aveu contenu dans les conclusions de première instance des consorts x… ne pouvait porter que sur des faits antérieurs à celles-ci et non sur des faits postérieurs » (Cass. com. 26 mai 1982, n°80-16.101).

L’aveu ne peut donc porter que sur des faits qui se sont produits antérieurement à l’instance au cours de laquelle il est réalisé ; il ne permet pas de prouver des faits qui interviendraient postérieurement à cette instance.

Si donc l’aveu permet de faire la preuve d’éléments de faits, il ne saurait, à l’inverse, porter sur des points de droit. La raison en est que la règle de droit, contrairement aux faits qui dépendent des parties, est l’affaire du juge.

En effet, l’office du juge ne se limite pas à dire le droit, il lui appartient également de le « donner ».

Cette règle est exprimée par l’adage « da mihi factum, da tibi jus » qui signifie littéralement : « donne-moi les faits, je te donnerai le droit ».

Les parties n’ont ainsi nullement l’obligation de prouver la règle de droit dont elles entendent se prévaloir. C’est au juge qu’il incombe de trancher le litige qui lui est soumis au regard de la règle de droit applicable.

Aussi, parce que la tâche des parties se cantonne dans le procès à prouver les faits qu’elles allèguent, on comprend que l’aveu ne puisse avoir pour objet la règle de droit.

Cette règle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 28 mars 1966, la Deuxième chambre civile a par exemple affirmé que « la déclaration d’une partie ne peut être retenue contre elle, comme constituant un aveu, que si elle porte sur des points de fait et non sur des points de droit » (Cass. 2e civ. 28 mars 1966).

La Troisième chambre civile a statué sensiblement dans les mêmes termes dans un arrêt du 22 juin 2017 (Cass. 3e civ. 22 juin 2017, n°16-16.653).

La Chambre sociale a récemment emprunté une voie identique dans un arrêt du 25 novembre 2020 (Cass. soc. 25 nov. 2020, n°19-20.097).

Si la distinction entre « points de droit » et « points de fait », à laquelle la jurisprudence a pris l’habitude de se référer, ne paraît pas a priori soulever de difficulté, en réalité elle a donné lieu à un abondant contentieux.

Comme souligné par des auteurs « c’est que bien souvent, l’aveu déborde la reconnaissance du fait en anticipant sur une qualification juridique »[4].

Or la qualification juridique d’une situation participe de l’entreprise à donner le droit. Or cela relève de l’office du juge.

Pour cette raison, la jurisprudence considère que l’aveu est sans effet lorsqu’il consiste à proposer une qualification ou une analyse juridique. L’admettre reviendrait à accepter qu’il puisse être empiété sur l’office du juge.

Dans un arrêt du 27 janvier 2015, la Cour de cassation a ainsi affirmé que « la déclaration d’une partie portant sur des points de droit, tels que l’existence de sa qualité de locataire d’un bail commercial, ne constitue pas un aveu, lequel ne peut avoir pour objet qu’un point de fait » (Cass. com. 27 janv. 2015, n°13-25.302).

Dans un arrêt du 7 juin 1995, il a encore été jugé qu’un aveu ne pouvait pas porter sur l’existence d’une solidarité entre débiteurs d’une même obligation (Cass. 1ère civ. 7 juin 1995, n°92-21.961).

Dans un arrêt du 23 novembre 1982, la Première chambre civile a estimé, s’agissant de la reconnaissance par une partie à la faveur de son adversaire d’un droit de propriété indivis sur un immeuble, que « les déclarations retenues […] portaient, non pas sur des points de fait, mais sur l’analyse des rapports juridiques existant entre les parties » de sorte que l’aveu exprimé étant impuissant à produire ses effets (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1982, n°81-15.904).

On peut enfin évoquer une décision rendue par la Deuxième chambre civile en date du 28 février 2023, aux termes de laquelle elle a décidé que « la reconnaissance par l’assureur de son obligation à garantie ne pouvait constituer un aveu » (Cass. 2e civ. 28 févr. 2013, n°11-27.807).

De façon générale, sont envisagées par la jurisprudence comme des points de droit, les déclarations relatives à :

Comme observé par la doctrine, la distinction entre « points de droit » et « point de faits » peut s’avérer pour le moins subtile, sinon artificielle.

Ainsi, tandis que l’aveu ne devrait pas pouvoir porter sur l’existence d’une obligation, car intéressant la qualification de l’acte juridique constatant cette obligation, il permet en revanche de prouver son contenu.

Dans un arrêt du 8 juillet 2003, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si les déclarations d’une partie ayant pour objet l’analyse juridique de ses rapports avec une autre partie, ou avec des tiers, ne peuvent constituer un aveu car elles portent sur des points de droit, les déclarations concernant le contenu d’un contrat, comme c’est le cas en l’espèce, portent sur des points de fait et sont, dès lors, susceptibles de constituer des aveux » (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2003, 00-17.779).

Dans le droit fil de cette décision, la Cour de cassation a jugé recevable, dans un arrêt du 30 octobre 1984, un aveu au motif que son auteur « admettait avoir effectivement bénéficié de plusieurs prêts consentis par [la partie adverse] et contestait seulement leur montant et le solde de la dette dont elle restait redevable » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 1984, n°83-15.342).

L’aveu a ici été retenu par la Première chambre civile car il intéressait, non pas l’existence d’une dette, mais son montant et plus précisément le montant restant dû par la partie défenderesse.

L’aveu ne peut donc se rapporter qu’aux seules circonstances de fait entourant une situation opposant les parties au procès à l’exclusion de la qualification juridique de cette situation.

?Un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre la personne qui avoue

Pour que l’aveu soit recevable, il doit porter sur un fait de nature à produire contre son auteur des conséquences juridiques défavorables.

Aussi, la déclaration faite par l’avouant doit-elle nécessairement profiter à la seule partie adverse. L’aveu ne saurait permettre à son auteur de se placer dans une meilleure situation que s’il n’avait pas avoué.

Dans un arrêt du 11 février 1998, la Cour de cassation a ainsi jugé que « ne pouvaient constituer un aveu extrajudiciaire, des conclusions additionnelles aux termes desquelles l’épouse, après avoir dénié toute espèce de faute de sa part, ne sollicitait le prononcé du divorce aux torts partagés qu’à titre ” infiniment subsidiaire ” et seulement dans l’hypothèse où la cour d’appel, ” par impossible “, viendrait à retenir à son encontre des fautes constitutives de causes de divorce au sens de l’article 242 du Code civil » (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-19.106).

B) Les conditions de forme

Comme souligné précédemment, l’aveu extrajudiciaire se définit négativement par rapport à l’aveu judiciaire.

Aussi, présente-t-il la particularité d’avoir été formalisé en dehors du procès. Pothier écrivait en ce sens que « la confession extrajudiciaire est celle qui se fait hors justice »[5].

Pourront ainsi être qualifiées d’aveu extrajudiciaire des déclarations reçues par un huissier de justice dans le cadre d’une sommation interpellative (Cass. 1ère civ., 28 oct. 1970, n° 68-14.135), par un policier dans le cadre d’une enquête de police (Cass. 1ère civ. 2 févr. 1970, n°65-13.778), par un expert (Cass. 3e civ., 29 mai 1973, n°72-11.625) ou encore par un notaire (Cass. 1ère civ. 4 mars 1986, n°84-16.862).

Il a, par ailleurs, été admis qu’un aveu formulé dans le cadre d’une instance antérieure à celle durant de laquelle il est invoqué constituait un aveu extrajudiciaire (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 30 oct. 1984, n°83-15.342).

De façon générale, l’aveu sera donc qualifié d’extrajudiciaire dès lors qu’il est réalisé en dehors de l’instance en cours. Il pourra être contenu dans un document de toute nature (lettre, contrat etc.) ou procéder d’une simple déclaration orale.

III) Les effets de l’aveu extrajudiciaire

A) La force probante de l’aveu extrajudiciaire

L’article 1381-1 du Code civil prévoit que la valeur probante de l’aveu extrajudiciaire « est laissée à l’appréciation du juge ».

Cela signifie que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrai le fait avoué. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée de l’aveu extrajudiciaire invoqué.

Le juge demeure toujours libre de lui reconnaître ou de lui dénier une force probante (V. en ce sens Cass. 3e civ. 17 déc. 1969 ; Cass. 1ère civ. 4 mars 1986, n°84-16.862).

Aussi cette force probante dépend-elle entièrement de l’intime conviction du juge. C’est là une différence majeure avec l’aveu judiciaire qui s’impose à la juridiction saisie.

La Cour de cassation exerce néanmoins son contrôle sur la dénaturation de l’aveu extrajudiciaire par les juges du fond. Autrement dit, elle s’assure que ces derniers ont correctement interprété l’aveu invoqué devant eux.

B) Divisibilité de l’aveu extrajudiciaire

Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire est divisible. Cela signifie que le juge n’a pas l’obligation de recevoir en bloc les déclarations constitutives de l’aveu.

Il est autorisé à sélectionner certains fragments de ces déclarations et à en écarter d’autres.

Dans un arrêt du 14 décembre 1964, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le principe de l’indivisibilité de l’aveu n’a été pose par l’article 1356 que pour l’aveu judiciaire, il est loisible aux juges du fond, qui disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis, dès lors, comme en l’espèce, qu’ils n’en dénaturent ni le sens ni la portée, d’en transposer l’application lorsqu’ils ont à déterminer leur conviction par un aveu extrajudiciaire » (Cass. 2e civ. 14 déc. 1961).

La Troisième chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 16 novembre 1971 (Cass. 3e civ. 16 nov. 1971, n°70-12.084).

Cette position a également été adoptée, dans les mêmes termes, par la Chambre commerciale (Cass. com. 19 avr. 1985, n°83-16.449).

C) Révocabilité de l’aveu extrajudiciaire

Si, en application de l’article 1383-2 du Code civil, il est de principe que l’aveu judiciaire soit irrévocable, le doute est permis s’agissant de l’aveu extrajudiciaire.

Le Code civil est, en effet, silencieux sur ce point. Quant à la doctrine, elle est partagée : tandis que certains auteurs soutiennent que l’aveu extrajudiciaire peut toujours être rétracté[6], d’autres avancent la thèse inverse[7].

  • Thèse en faveur de la révocabilité de l’aveu
    • Cette thèse se fonde sur le pouvoir d’appréciation conféré au juge qui est libre d’admettre ou d’écarter l’aveu invoqué devant lui.
    • Ce pouvoir l’autoriserait à librement apprécier la révocabilité de l’aveu
  • Thèse en faveur de l’irrévocabilité de l’aveu
    • Cette thèse repose sur la nature de l’aveu qui s’analyse en un acte unilatéral
    • Un acte unilatéral présente, en effet, la particularité d’être irrévocable à compter du moment où il est porté à la connaissance de son destinataire

Aujourd’hui, la Cour de cassation n’a encore jamais tranché expressément en faveur de l’une ou l’autre thèse.

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°835 p.406 ?
  6. F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°592, p. 591 ?
  7. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, LGDJ, 1954, n°1566. ?

La force probante de la preuve par témoins

Parce que la preuve testimoniale relève de la catégorie des modes de preuve imparfaits, sa force probante est laissée à l’appréciation souveraine du juge.

Un auteur souligne ainsi que « avec la preuve témoins, on sort de la catégorie des preuves légales en ce sens que la loi ne détermine pas la valeur que le juge doit accorder au témoignage : la preuve par témoins est une preuve morale dont la force probante est abandonnée à l’intime conviction du Tribunal […] »[5].

Cela signifie donc que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrais les faits relatés dans les dépositions des témoins. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée des témoignages qui lui sont soumis sur les circonstances de la cause.

Cette liberté d’appréciation des témoignages conférée au juge est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (V. par exemple Cass. 2e civ. 18 févr. 1970, n°69-10.560 ; Cass. 2e civ. 3 mars 2011, n°10-30.175).

À cet égard, en raison de l’abolition de l’ancienne règle « testis unis, testis nullus », il est désormais permis au juge de fonder sa décision sur un témoignage unique.

Dans la pratique, il apparaît que les juridictions sont plutôt réticentes à reconnaître aux témoignages une grande force probante en raison de leur caractère éminemment subjectif.

Il est toujours très compliqué d’apprécier la crédibilité des déclarations formulées par un témoin qui, en raison des liens qu’il est susceptible d’entretenir avec une partie, peut être partial.

C’est d’ailleurs l’une des raisons premières qui conduisent les juges à écarter un témoignage des débats (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 21 oct. 1975, n°74-12.739).

En tout état de cause, comme précisé par la Cour de cassation dans un ancien arrêt rendu le 31 mai 1965, les juges du fond ne sont nullement tenus de préciser les raisons pour lesquelles ils décident de retenir ou de ne pas retenir un témoignage (Cass. 2e civ. 31 mai 1965, n°63-12.954).

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°645, p. 620. ?
  3. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, éd. Dalloz, éd. 2000, n°580, p. 584. ?
  4. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Paris, 1900, t. 2, n°22, p. 7. ?
  5. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1777, p. 611. ?

Le recueil du témoignage au moyen d’une attestation: régime

En application de l’article 199 du Code de procédure civile, les déclarations formulées par les témoins « sont faites par attestations ou recueillies par voie d’enquête selon qu’elles sont écrites ou orales. »

Il ressort de cette disposition que les témoignages peuvent être recueillis selon deux modalités différentes :

  • Soit au moyen d’une attestation
  • Soit par voie d’enquête

Nous nous focaliserons ici sur le recueil du témoignage au moyen d’une attestation.

Un témoignage peut donc être recueilli au moyen d’une attestation. L’attestation se définit comme la déclaration d’un tiers formalisée par écrit.

Ce mode de formalisation du témoignage n’est admis que depuis l’adoption du nouveau Code de procédure civile, soit depuis 1975.

Sous l’empire du droit antérieur, aucune obligation n’était faite au juge de tenir compte des attestations produites. Puis la Cour de cassation est intervenue afin de contraindre les juridictions à apprécier leur force probante (V. en ce sens Cass. 1er juin 1954).

C’est désormais le Code de procédure civile qui confère aux attestations écrites la même valeur probatoire que les témoignages recueillis par une déposition orale. Leur production est régie aux articles 200 à 203 de ce Code.

1. Production de l’attestation

L’article 200 du Code de procédure civile prévoit qu’une attestation peut être produite :

  • Soit à l’initiative des parties
  • Soit à la demande du juge

Dans les deux cas, le texte dispose que le juge doit faire observer le principe du contradictoire en communiquant aux parties les attestations qui lui sont directement adressées.

À cet égard, dans un arrêt du 30 avril 2003, la Cour de cassation a jugé qu’il appartenait au juge de veiller, conformément au principe du contradictoire, à ce que les attestations produites aient été « régulièrement versées aux débats et soumises à la discussion contradictoire des parties » (Cass. 2e civ., 30 avr. 2003, n°01-03.497)

2. Établissement de l’attestation

L’article 201 prévoit que pour être valables, les attestations doivent nécessairement avoir été établies « par des personnes qui remplissent les conditions requises pour être entendues comme témoins ».

Ainsi, une attestation ne saurait être valablement reçu si elle a été établie :

  • Soit par une partie au procès
  • Soit par une personne frappée d’une incapacité de témoigner

3. Forme de l’attestation

?L’exigence de formalisation d’un écrit

L’article 202, al. 3e du Code de procédure civile prévoit que l’attestation est écrite, datée et signée de la main de son auteur.

Ce dernier doit, par ailleurs lui annexer, en original ou en photocopie, tout document officiel justifiant de son identité et comportant sa signature.

Deux enseignements peuvent être retirés de cette disposition :

  • Premier enseignement
    • L’attestation doit nécessairement prendre la forme d’un écrit, faute de quoi elle s’analyse en un témoignage oral, lequel ne peut être recueilli que dans les conditions de l’enquête.
  • Second enseignement
    • Pour déposer, le témoin a l’obligation de fournir non seulement son identité, mais également tout document officiel de nature à justifier son identité et comportant sa signature (V. en ce sens Cass. soc. 8 oct. 1987)
    • On peut en déduire que le témoignage au moyen d’une attestation ne saurait être anonyme.
    • La Cour Européenne des Droits de l’Homme a toutefois jugé à plusieurs reprises que la production d’un témoignage anonyme n’était pas nécessairement incompatible avec l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.
    • Elle a notamment affirmé dans un arrêt du 26 mars 1996 que l’anonymat d’une déclaration pouvait être justifié pour des considérations qui tiennent à la protection du témoin et plus généralement à la protection de ses intérêts (CEDH 26 mars 1996, Doorson c/ Pays Bas, n° 20524/92, pt 76).
    • Pour qu’un témoignage anonyme soit recevable, plusieurs conditions doivent néanmoins être remplies :
      • D’une part, des mesures devront être prises afin de compenser l’anonymat. Il s’agira notamment de faire observer le principe du contradictoire et de traiter avec une extrême prudence les déclarations obtenues sous couvert d’anonymat
      • D’autre part, le témoignage anonyme devra être corroboré par d’autres éléments de preuve, le juge ne pouvant fonder sa décision uniquement sur ce témoignage.
    • La position adoptée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’est pas sans avoir inspiré la Cour de cassation qui a également admis, dans plusieurs arrêts, la recevabilité de témoignages anonymes.
    • Dans un arrêt du 4 juillet 2018, la Chambre sociale a notamment jugé que si des dépositions pouvaient être recueillies sous couvert d’anonymat, il n’en reste pas moins que « le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes » (Cass. soc. 4 juill. 2018, n°17-18.241).

?L’absence de prestation de serment

L’attestation présente par ailleurs la particularité de ne pas exiger de son auteur qu’il prête serment.

Il en résulte que, en cas de fausse attestation, les sanctions encourues sont moindres.

L’auteur d’une fausse attestation ne pourra pas, en effet, être poursuivi pour l’infraction de témoignage, comme précisé plus après.

4. Contenu de l’attestation

En application de l’article 202 du Code de procédure civile, une attestation doit comporter plusieurs éléments :

  • Premier élément
    • L’attestation doit relater « la relation des faits auxquels son auteur a assisté ou qu’il a personnellement constatés. »
    • La formulation du texte suggère selon la doctrine qu’une attestation ne saurait formaliser un témoignage indirect, alors même que ce type de témoignage est admis lorsqu’il est recueilli par voie d’enquête.
  • Deuxième élément
    • L’attestation doit mentionner les nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession de son auteur ainsi que, s’il y a lieu, son lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles.
  • Troisième élément
    • L’attestation doit indiquer qu’elle est établie en vue de sa production en justice et que son auteur a connaissance qu’une fausse attestation de sa part l’expose à des sanctions pénales.

5. Force probante de l’attestation

Il est désormais admis que les témoignages fournis au moyen d’attestation ont la même force probante que les témoignages fournis par voie d’enquête.

Dans les deux cas, c’est au juge qu’il revient d’apprécier, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir souverain, la force probante qu’il y a lieu de conférer aux témoignages produits.

À cet égard, si le juge n’était pas convaincu par un témoignage formalisé par écrit ou s’il souhaite en vérifier la crédibilité, l’article 203 du Code de procédure civil prévoit qu’il « peut toujours procéder par voie d’enquête à l’audition de l’auteur d’une attestation. »

6. Sanctions

  • Le non-respect du formalisme
    • Bien que le témoignage recueilli au moyen d’une attestation obéisse à un formalisme strict, le non-respect de ce formalisme n’est pas nécessairement sanctionné par la nullité du témoignage, à tout le moins il n’y a là rien d’automatique.
    • Le Rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 souligne en ce sens qu’on ne saurait déduire du formalisme institué par le Code de procédure civile « que seraient dénués de toute force probante les témoignages recueillis dans des conditions ne respectant pas les prescriptions du code de procédure civile ».
    • Aussi, les témoignages recueillis irrégulièrement conservent une force probante dit le Rapport, mais nécessairement moindre.
    • À l’analyse, cette solution n’est pas nouvelle ; elle avait déjà été adoptée par la jurisprudence rendue sous l’empire du droit antérieur.
    • Dans un arrêt du 23 février 1999, la Cour de cassation avait par exemple jugé que « les formalités de l’article 202 du nouveau Code de procédure civile relatives à la production en justice d’attestations dans le cadre d’un procès civil ne sont pas prescrites à peine de nullité » (Cass. com. 23 févr. 1999, n°97-30.213).
    • Aussi, est-ce au juge qu’il revient d’apprécier souverainement s’il y a lieu de tenir compte d’une attestation.
    • Dans un arrêt du 3 octobre 2001, la Chambre sociale a ainsi jugé que « lorsqu’une attestation n’est pas établie conformément à l’article 202 du nouveau Code de procédure civile, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement si une telle attestation présente ou non des garanties suffisantes pour emporter leur conviction » (Cass. soc. 3 oct. 2001, n°99-43.472).
    • Dans l’hypothèse toutefois où le juge déciderait d’écarter l’attestation produite en raison de son irrégularité, il lui est fait obligation de préciser en quoi l’irrégularité constatée constitue « l’inobservation d’une formalité substantielle ou d’ordre public faisant grief à la partie qui l’invoque » (Cass. 2e civ. 30 nov. 1988, n°87-997).
  • La fausse attestation
    • Comme vu précisément, le témoignage recueilli au moyen d’une attestation ne requiert pas que son auteur prête serment.
    • Il en résulte que, en cas de fausse déclaration, celui-ci ne saurait être poursuivi pour l’infraction de faux témoignage réprimée à l’article 434-13 du Code pénal.
    • Pour mémoire, cette disposition prévoit que « le témoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exécution d’une commission rogatoire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »
    • Est-ce à dire que celui qui formule par écrit des déclarations mensongères n’encourt aucune sanction pénale ? Il n’en est rien.
    • L’article 441-7 du Code pénal prévoit que, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende le fait :
      • Soit d’établir une attestation ou un certificat faisant état de faits matériellement inexacts;
      • Soit de falsifier une attestation ou un certificat originairement sincère
      • Soit de faire usage d’une attestation ou d’un certificat inexact ou falsifié.
    • Le texte précise que les peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise soit en vue de porter préjudice au Trésor public ou au patrimoine d’autrui, soit en vue d’obtenir un titre de séjour ou le bénéfice d’une protection contre l’éloignement.

Les présomptions judiciaires ou du fait de l’homme: régime (art. 1382 C. civ.)

1. Notion de présomption

Dans le langage courant une présomption est, selon le Dictionnaire de l’Académie Française, une opinion fondée sur des indices ou des apparences, sur ce qui est probable sans être certain.

Le mot présomption vient du latin praesumptio, « anticipation, hardiesse, assurance », lequel est dérivé du verbe praesumere qui signifie « appréhender d’avance »

Dans son sens premier, une présomption s’analyse donc à un préjugé, une supposition une conjecture, une prévision et plus généralement à une idée faite avant toute expérience.

La notion de présomption a très vite été empruntée par les juristes afin de décrire la technique consistant à conférer à un fait inconnu une vraisemblance sur la base d’une probabilité raisonnable.

Car si, en droit, est un point commun que les présomptions partagent, aussi diverses et variées soient-elles, il est à rechercher dans leur fondement : la probabilité.

Cette idée est exprimée par l’adage que l’on peut lire sous la plume de Cujas : Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit. Cet adage signifie que la présomption se déduit de ce qui arrive le plus souvent.

Ainsi, une présomption n’est autre que l’interprétation d’une probabilité obéissant à la loi du plus grand nombre.

Plus précisément, elle est le produit d’un raisonnement par induction, soit un raisonnement consistant à remonter, par une suite d’opérations cognitives, de données particulières (faits, expériences, énoncés) à des propositions plus générales, de cas particuliers à la loi qui les régit, des effets à la cause, des conséquences au principe, de l’expérience à la théorie.

C’est ce que Domat a cherché à exprimer en écrivant que « les présomptions sont des conséquences qu’on tire d’un fait connu pour servir à faire connaître la vérité d’un fait incertain »[1].

Pothier définissait, quant à lui, la présomption comme « le jugement que la loi ou l’homme porte sur la vérité d’une chose »[2].

Plus tard, les rédacteurs du Code civil s’inspireront de ces définitions pour définir les présomptions à l’ancien article 1349 comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu. »

Cette définition a été vivement critiquée par la doctrine. En l’absence de précision, le texte laissait à penser que les présomptions formaient un seul et même ensemble alors que, comme souligné par des auteurs « on désigne sous le mot « présomptions » des concepts qui n’ont que très peu de points communs »[3].

En effet, les présomptions ne sauraient être appréhendées de façon unitaire, car elles sont multiples ; ne serait-ce que parce qu’elles ne remplissent pas toutes les mêmes fonctions.

2. Fonctions des présomptions

En simplifiant à l’extrême, on attribue aux présomptions deux fonctions bien distinctes :

  • La fonction de dispense de preuve
  • La fonction de mode de preuve

?La fonction de déplacement de l’objet de la preuve ou les présomptions légales (de droit)

Il est des cas où le raisonnement inductif consistant à tirer un fait inconnu d’un fait connu est mis en œuvre, non pas par le juge, mais par le législateur lui-même ; c’est le mécanisme des présomptions légales ou présomptions de droit.

L’article 1354, al. 1er du Code civil prévoit en ce sens que la présomption légale est celle « que la loi attache à certains actes ou à certains faits en les tenant pour certains ».

Dans cette hypothèse, le juge est privé de sa faculté de sélectionner les indices susceptibles d’emporter sa conviction ; c’est la loi qui lui impose de tenir pour vrai le fait qui lui est soumis.

Aussi, les présomptions légales ne constituent pas des modes de preuve, la véracité du fait objet de la présomption étant réglée par la loi.

Pour cette raison, elles sont désormais traitées séparément des présomptions judiciaires, ces dernières étant, quant à elles, abordée dans le chapitre du Code civil consacré aux modes de preuves.

Comment dès lors analyser les présomptions légales ?

Si l’on se reporte à l’article 1354 du Code civil, elles sont présentées comme remplissant la fonction de dispense de preuve.

Ce texte dispose que la présomption légale « dispense celui au profit duquel elle existe d’en rapporter la preuve ».

Certains auteurs soulèvent que l’emploi du terme « dispense » n’est pas des plus opportun car il suggère qu’une présomption légale opérerait un renversement systématique de la charge de la charge de la preuve au détriment du défendeur.

Or tel n’est pas le cas ; le plaideur est toujours tenu de prouver le fait qu’il allègue.

Seulement, la preuve ne pourra se faire qu’au moyen de faits voisins et annexes dont l’établissement permettra de faire jouer la présomption légale.

Ainsi, s’agit-il moins d’une dispense de preuve, que d’un déplacement de l’objet de la preuve.

Le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve a souligné en ce sens que les présomptions légales « ont toutes pour effet de dispenser de preuve, mais non de « toute preuve », car elles peuvent n’avoir comme effet que de déplacer l’objet de la preuve, et non d’en dispenser totalement le demandeur ».

Prenons l’exemple de la preuve de la propriété d’un bien qui peut, dans de nombreux cas, s’avérer difficile, sinon impossible à rapporter, en particulier lorsqu’il s’agit d’un meuble.

C’est la raison pour laquelle elle est classiquement présentée comme la probatio diabolica.

Cette qualification de preuve du diable vient de ce que pour établir irréfutablement la légitimité du rapport d’appropriation d’un bien, il faudrait être en mesure de remonter la chaîne des transferts successifs de propriété jusqu’au premier propriétaire, preuve que « seul le diable pourrait rapporter ».

Afin de faciliter la preuve de la propriété, il a donc été institué une présomption de propriété qui repose sur le postulat consistant à admettre que statistiquement, il est de grande chance pour que le possesseur de la chose soit également son propriétaire.

Aussi, pour se voir reconnaître la qualité de propriétaire, il y a lieu de rapporter la preuve, non pas de la propriété du bien, mais de sa possession.

On retrouve ce mécanisme de déplacement de l’objet de la preuve avec la célèbre présomption « pater is est » énoncée à l’article 312 du Code civil.

Cette disposition pose que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ».

Ainsi, pour que le mari de la mère établisse son lien de filiation avec l’enfant, il lui faudra prouver, non pas l’existence d’un lien biologique, mais que la naissance est intervenue pendant le mariage.

Les deux exemples ci-dessus exposés démontrent qu’une présomption légale ne dispense nullement son bénéficiaire de toute preuve, puisque si elle dispense de la preuve de la propriété ou de la paternité, c’est seulement par le déplacement de l’objet de la preuve vers le fait que, soit le possesseur est le propriétaire du bien, soit que l’enfant a été conçu pendant le mariage.

Ainsi, la présomption légale allège seulement le fardeau de la preuve, en ce qu’elle admet que la preuve puisse être rapportée indirectement.

?La fonction de mode de preuve ou les présomptions judiciaires (de fait)

Lorsque la preuve est libre, il est admis que le juge puise dans les circonstances de la cause la preuve du fait contesté ; c’est le mécanisme des présomptions judiciaires, qualifiées également de présomptions du fait de l’homme ou présomptions de fait.

Dans cette hypothèse, les présomptions remplissent la fonction de mode de preuve, puisque constituant un véritable moyen d’établir le fait allégué.

On retrouve ici le raisonnement par induction. Il est mis en œuvre par le juge qui donc à partir d’un ou plusieurs indices connus, va tirer des conséquences quant à la réalité du fait contesté.

Ainsi, la décision du juge est-elle assise sur la probabilité du fait induit.

À cet égard, en application de l’article 1382 du Code civil, seules les présomptions « graves, précises et concordantes » sont admises.

Lorsque cette condition est remplie, les présomptions judiciaires « sont laissées à l’appréciation du juge ».

L’ancien article 1353 du Code civil prévoyait dans le même sens qu’elles doivent être « abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat ».

Comme souligné par des auteurs « la preuve construite sur des indices n’est donc acquise que si elle correspond à l’intime conviction du juge »[10].

3. Admissibilité des présomptions judiciaires

Il ressort de l’article 1382 du Code civil que le recours aux présomptions judiciaires par le juge est subordonné à la réunion de deux conditions cumulatives qui tiennent, d’une part, à leur domaine et, d’autre part, à leurs caractères.

?Le domaine des présomptions judiciaires

L’article 1382 du Code civil prévoit que les présomptions judiciaires peuvent être admises par le juge « dans les cas seulement où la loi admet la preuve par tout moyen. »

Il ne pourra donc être fait usage, par le juge, des présomptions judiciaires que dans les seuls domaines où la preuve est libre.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont ces domaines où la preuve est libre.

Pour le déterminer, il convient de se reporter, dans un premier temps, à l’article 1358 du Code civil qui érige en principe le système de la preuve libre.

Cette disposition prévoit en ce sens que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »

Aussi, parce que la preuve est libre, sauf dispositions contraires, les présomptions judiciaires sont elles aussi admises par principe.

Reste à déterminer quelles sont les dispositions qui dérogent au principe de liberté de la preuve.

Tout d’abord, il y a lieu de compter sur l’article 1359 du Code civil qui prévoit que pour les actes juridiques portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret (1.500 euros) la preuve se fait par écrit.

Il résulte de cette disposition que la preuve n’est pas libre s’agissant d’établir les actes juridiques dont le montant est supérieur à 1500 euros.

On peut en déduire a contrario, que la preuve se fait par tout moyen s’agissant de prouver :

  • D’une part, des faits juridiques
  • D’autre part, des actes dont le montant n’excède pas 1 500 euros

Dans ces deux domaines, les présomptions judiciaires sont ainsi admises.

Ensuite, il est un autre texte qui énonce une exception au principe de liberté de la preuve : l’article L. 110-3 du Code de commerce.

Cette disposition prévoit que « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi ».

La preuve est donc libre pour les opérations qui présentent un caractère commercial au sens des articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce.

Aussi, dans ce domaine, les présomptions judiciaires sont-elles admises ; à la condition toutefois que le défendeur soit une personne qui endosse la qualité de commerçant et que cette personne ait accompli un acte de commerce.

Enfin, au nombre des textes qui dérogent au principe de liberté de la preuve, on peut compter sur l’article 1433, al. 3e du Code civil.

Cette disposition prévoit, s’agissant de la preuve des récompenses sous le régime légal que, « si une contestation est élevée, la preuve que la communauté a tiré profit de biens propres peut être administrée par tous les moyens, même par témoignages et présomptions. »

Il s’agit là d’une dérogation au principe institué par l’article 1402, al. 2e du Code civil qui prévoit que la preuve du caractère propre d’un bien ne peut se faire qu’en produisant un écrit.

Car en effet, en cas d’impossibilité matérielle ou morale pour un époux de se procurer un écrit, il pourra prouver la propriété du bien propre qu’il revendique par tout moyen dit l’article 1433, al. 3e et notamment en se prévalant de présomptions judiciaires.

?Les caractères des présomptions judiciaires

L’article 1382 du Code civil prévoit que les présomptions judiciaires peuvent être admises par le juge « si elles sont graves, précises et concordantes ».

Il ressort de cette disposition que le raisonnement inductif qui préside à la mise en œuvre d’une présomption judiciaire requiert l’existence d’indices qui présentent certains caractères : ils doivent être graves, précis et concordants.

Autrement dit, la convergence des indices relevés par le juge doit être si forte, qu’elle doit lui permettre de conclure à l’existence du fait allégué à tout le moins à conférer à ce fait une crédibilité suffisante pour qu’il soit réputé comme vrai.

Si, pris individuellement, les caractères que doivent présenter les présomptions judiciaires pour être admises par le juge se laissent saisir relativement facilement, la formulation de l’article 1382 du Code civil soulève en revanche deux interrogations :

  • Première interrogation
    • Une lecture littérale de l’article 1382 du Code civil suggère que le juge ne peut recourir au mécanisme des présomptions judiciaires que s’il dispose d’une pluralité d’indices.
    • Est-ce à dire que celui-ci ne saurait rendre sa décision en se fondant sur un seul indice ?
    • Ce serait là contraire au principe exprimé par l’ancien adage « testis unus, testis nullus ».
    • Telle n’est toutefois pas la solution retenue par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 18 mars 1997, la Cour de cassation a décidé, par exemple, que la règle énoncée à l’ancien article 1353 du Code civil, devenu l’article 1382 « ne s’oppose pas à ce que les juges forment leur conviction sur un fait unique, si celui-ci leur paraît de nature à établir la preuve nécessaire » (Cass. 1ère civ. 18 mars 1997, n°94-21.396).
    • Ainsi, pour la haute juridiction, le juge peut parfaitement fonder sa décision sur un seul indice, pourvu qu’il soit suffisamment probant.
  • Seconde interrogation
    • L’article 1382 du Code civil est formulé de telle sorte que l’on pourrait être légitimement porté à comprendre que, pour être admise, une présomption judiciaire doit être cumulativement grave, précise et concordante.
    • Faut-il en déduire que des indices qui ne réuniraient pas ces trois caractères n’autoriseraient pas le juge à leur conférer la valeur de présomption judiciaire ?
    • La jurisprudence a répondu par la négative à cette interrogation.
    • Dans un arrêt du 18 avril 1972, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que les juges « ne sont pas tenus de rappeler dans leur décision l’exigence légale de présomptions graves, précises et concordantes » (Cass. 3e civ. 18 avr. 1972, n°71-10.237).
    • Ainsi, n’est-il pas exigé des juges qu’ils vérifient si les présomptions sur lesquelles ils entendent fonder leur décision présentent les trois caractères énoncés par l’article 1382 du Code civil.

Au-delà des interrogations soulevées par la formulation de l’article 1382 du Code civil, les indices d’où le juge peut induire l’existence du fait allégué sont multiples, sinon innombrables.

Il pourra s’agir des constatations matérielles produites aux débats et notamment celles réalisées par des officiers publics (huissiers, notaire etc.).

Des indices pourront également être dégagés de tout document de nature à fournir des informations pertinentes et utiles permettant au juge de l’éclairer sur le fait en cause, pourvu que le document sur lequel il s’appuie ait pu être préalablement discuté contradictoirement par les parties.

À cet égard, le juge pourra collecter des indices matériels en procédant à des vérifications personnelles.

L’article 179 du Code de procédure civile prévoit ainsi que le juge peut, afin de les vérifier lui-même, prendre en toute matière une connaissance personnelle des faits litigieux, les parties présentes ou appelées.

Il procède, par ailleurs, aux constatations, évaluations, appréciations ou reconstitutions qu’il estime nécessaires, en se transportant si besoin est sur les lieux.

Toujours dans le but de recueillir des indices en vue d’alimenter son raisonnement inductif, le juge peut, en toute matière, faire comparaître personnellement les parties ou l’une d’elles (art. 184 CPC).

En les interrogeant, il pourra capter des indices tirés des déclarations et/ou de l’attitude de la partie entendue.

Le juge pourra, en outre, s’attacher les besoins d’un technicien. L’article 232 du Code de procédure civile dispose en ce sens que « le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de fait qui requiert les lumières d’un technicien. »

4. Force probante des présomptions judiciaires

L’article 1382 du Code civil prévoit que les présomptions « sont laissées à l’appréciation du juge ».

Cela signifie que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrai le fait qui s’infère des indices qu’il relève, quand bien même ils seraient graves, précis et concordants.

Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée de ces indices. Le juge demeure toujours libre de leur reconnaître ou de leur dénier une force probante (V. en ce sens Cass. 3e civ. 4 oct. 2000, n°98-11.780 ; Cass. 2e civ. 2 juin 2005, n°03-20.011).

Aussi cette force probante dépend-elle entièrement de l’intime conviction du juge ; il n’est lié, ni par les constatations matérielles produites aux débats, ni par les vérifications personnelles qu’il serait conduit à effectuer.

C’est pour cette raison que les présomptions judiciaires relèvent, à l’instar du témoignage ou de l’aveu extrajudiciaire, de la catégorie des modes de preuve imparfaits.

  1. J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 1703, p. 271 ?
  2. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, p. 408 ?
  3. E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°232, p. 242 ?

Preuve par témoins: les dispenses de témoigner

L’article 206 du Code de procédure civile prévoit que « est tenu de déposer quiconque en est légalement requis ».

Cette disposition fait ainsi peser sur les justiciables une obligation de témoigner dès lors que leur témoignage est requis par la justice.

Elle n’est autre qu’une déclinaison particulière du principe général énoncé à l’article 10 du Code civil selon lequel « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. »

En cas de refus de témoigner, l’article 207 du Code de procédure civile précise que « les témoins défaillants peuvent être cités à leurs frais si leur audition est jugée nécessaire. »

Par ailleurs, la violation de l’obligation de témoigner est sanctionnée par une amende civile.

L’article 207 dispose, en effet, que « les témoins défaillants et ceux qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros. »

Celui qui toutefois justifie n’avoir pas pu se présenter au jour fixé pourra être déchargé de l’amende et des frais de citation (art. 207 CPC in fine).

S’il est de principe que la personne dont le témoignage est requis a l’obligation de témoigner, en application de l’article 206 du Code de procédure civil il est deux cas où elle peut se soustraire à cette obligation :

  • Si elle justifie d’un motif légitime
  • Si elle justifie d’un lien de parenté avec l’une des parties ou son conjoint

?La dispense résultant de l’existence d’un motif légitime

L’article 206 du Code de procédure civile prévoit que « peuvent être dispensées de déposer les personnes qui justifient d’un motif légitime ».

La question qui immédiatement se pose est de savoir ce que recouvre la notion de « motif légitime ».

Autrement dit, quel est le motif susceptible de justifier qu’un témoin dont l’audition est légalement requise puisse être dispensé de témoigner ?

Le texte ne le dit pas. C’est donc vers la jurisprudence qu’il convient de se tourner.

L’examen des décisions rendues révèle qu’il est deux sortes de motifs qui sont reconnus par les juridictions comme légitimes au sens de l’article 206 du Code de procédure civile :

  • Les motifs tenant au respect du secret professionnel
    • Il est de nombreuses décisions qui ont reconnu que le respect du secret professionnel pouvait constituer un motif légitime autorisant une personne à refuser de témoigner.
    • La violation du secret professionnel expose, en effet, le débiteur de cette obligation à des sanctions pénales.
    • C’est la raison pour laquelle lorsque le témoignage de la personne dont le témoignage est requis la conduirait à violer le secret professionnel auquel elle est tenue, il est admis qu’elle puisse être dispensée de déposer.
    • Deux conditions cumulatives doivent toutefois être remplies pour que cette dispense puisse être sollicitée :
      • Première condition
        • La personne qui se prévaut du secret professionnel doit avoir été destinataire de l’information dont la révélation est sollicitée dans le cadre de son activité professionnelle.
        • Si dès lors cette information a été recueillie dans un cadre privé, le professionnel ne saurait se prévaloir du secret professionnel pour refuser de témoigner (V. en ce sens Cass. 2e civ. 6 déc. 1978, n°77-12.573).
      • Seconde condition
        • L’information que le professionnel refuse de révéler doit être couverte par le secret professionnel, ce qui implique qu’elle doit présenter un caractère confidentiel et ne pas être publique.
        • Il pourra s’agir, par exemple, du contenu des lettres échangées entre avocats dans le cadre d’une affaire intéressant leurs clients respectifs (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 13 déc. 2012, n°11-12.158).
  • Les motifs tenant au respect du droit à la vie privée
    • Les juridictions admettent régulièrement que le respect au droit à la vie privée est susceptible de constituer un motif légitime de se refuser à témoigner.
    • Pour mémoire, ce droit est protégé par l’article 9 du Code civil qui prévoit que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».
    • Est-ce à dire que chaque fois qu’un témoignage est susceptible de porter atteinte au droit à la vie privée, cela justifie que la personne qui se prévaut de ce droit soit dispensée de témoigner ?
    • À l’analyse, cela n’a rien de systématique ; les juges doivent concilier le droit à la vie privée avec le droit à la preuve.
    • Aussi, pour déterminer si le respect au droit à la vie privée constitue un motif légitime au sens de l’article 206 du Code de procédure civile, les juges recherchent si le témoignage sollicité est ou non de nature à porter atteinte de façon disproportionnée à ce droit (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 31 oct. 2012, n° 11-17.476 ; (Cass. 2e civ., 3 juin 2004, n° 02-19.886).
    • Si tel est le cas, alors une dispense sera accordée à la personne dont le témoignage est requis. Dans le cas contraire, elle pourrait être contrainte de déposer.

?La dispense résultant de l’existence d’un lien de parenté

L’article 206 du Code de procédure civile prévoit que peuvent refuser de déposer « les parents ou alliés en ligne directe de l’une des parties ou son conjoint, même divorcé. »

Ainsi, l’existence d’un lien de parenté avec l’une des parties au procès ou son conjoint peut constituer un motif légitime susceptible d’être invoquée par une personne refusant de témoigner.

En pratique toutefois, il peut être observé que cette dispense ne sera que très rarement sollicitée.

Aussi, est-il admis que les témoignages des proches soient produits aux débats, quand bien même ils sont, par nature, orientés, exception faite, comme vu précédemment, des déclarations des descendants portant sur les causes du divorce (art. 205 CPC).

En tout état de cause, le juge disposera toujours de la faculté d’écarter les témoignages apportés par les proches s’il estime qu’ils sont trop empreints de partialité.

Preuve testimoniale: la capacité du témoin

Compte tenu de l’incidence qu’un témoignage est susceptible d’avoir sur l’issue du litige, le législateur a institué un certain nombre de règles qui visent à garantir la fiabilité du témoignage, mais également à favoriser la manifestation de la vérité.

Ces règles s’articulent autour de trois axes :

  • La qualité du témoin
  • La capacité du témoin
  • Le rôle du témoin

Nous nous focaliserons ici sur la capacité du témoin.

L’article 205, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « chacun peut être entendu comme témoin, à l’exception des personnes qui sont frappées d’une incapacité de témoigner en justice. »

Il ressort de cette disposition que si, par principe, quiconque peut être admis à témoigner en justice, une personne peut toutefois être privée de cette faculté en cas d’incapacité.

I) La liberté de témoigner

Conformément à l’article 205, al. 1er du Code civil, toute personne est, en principe, admise à fournir un témoignage, pourvu qu’elle soit tiers à l’instance et qu’elle ait eu personnellement connaissance des faits relatés.

Il en résulte que l’on ne saurait interdire à un témoin de s’exprimer au motif qu’il ne disposerait pas des compétences requises dans le domaine concerné par le litige ou qu’il entretiendrait des liens personnels ou professionnels avec l’une des parties à l’instance.

À cet égard, dans un arrêt du 29 octobre 2013, la Cour de cassation a consacré, au visa des articles 6 et 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, « la liberté fondamentale de témoigner, garantie d’une bonne justice ».

Elle en déduit que « le licenciement prononcé en raison du contenu d’une attestation délivrée par un salarié au bénéfice d’un autre est atteint de nullité, sauf en cas de mauvaise foi de son auteur » (Cass. soc. 29 oct. 2013, n°12-22.447).

En tout état de cause, c’est au juge qu’il reviendra d’apprécier, selon son intime conviction, le crédit qu’il y a lieu donner au témoignage qu’il reçoit.

II) L’incapacité de témoigner

S’il est admis que chacun peut être entendu comme témoin, c’est à la condition, précise l’article 205, al. 1er du Code de procédure civile, de ne pas être frappé d’une incapacité de témoigner en justice.

La règle n’est toutefois pas absolue ; elle souffre d’un tempérament.

A) Principe

Le témoignage d’une personne frappée d’une incapacité de témoigner n’est, en principe, pas recevable.

Cela signifie que le juge ne doit pas en tenir compte dans sa prise de décision ; il doit purement et simplement écarter les déclarations qu’il reçoit.

La question qui immédiatement se pose est alors de savoir quelles sont les personnes frappées d’une incapacité de témoigner.

À l’analyse, l’incapacité de témoigner peut avoir trois sources :

  • Une condamnation pénale
  • L’existence d’un lien de parenté entre le témoin et l’une des parties au procès
  • La minorité du témoin.

?Les incapacités résultant d’une condamnation pénale

Il est des cas où une personne poursuivie pour un crime ou un délit pourra se voir infliger une interdiction de témoigner pendant une période donnée.

L’article 131-10 du Code pénale prévoit en ce sens que « lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit […] ».

L’article 131-26 du même Code précise que l’interdiction des droits civiques, civils et de famille peut porter sur « le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice ».

En application du second alinéa de cette disposition l’interdiction frappant le droit de témoigner en juge « ne peut excéder une durée de dix ans en cas de condamnation pour crime et une durée de cinq ans en cas de condamnation pour délit ».

?Les incapacités résultant de l’existence d’un lien de parenté

Le législateur a institué en 1804 une incapacité de témoigner qui frappe les descendants d’époux qui s’opposent dans le cadre d’une procédure de divorce.

L’article 259 du Code civil prévoit en ce sens que si « les faits invoqués en tant que causes de divorce ou comme défenses à une demande peuvent être établis par tout mode de preuve, y compris l’aveu. Toutefois, les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux. »

La règle ainsi énoncée est reprise dans les mêmes termes par le Code de procédure civile en son article 205, lequel prévoit que « les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce ou en séparation de corps ».

Ainsi, dans le cadre d’une procédure de divorce est-il fait interdiction aux enfants des époux d’apporter leur témoignage.

Cette interdiction se justifie par la nécessité de les tenir éloigner autant que faire se peut du conflit qui oppose leurs parents, à tout le moins d’éviter qu’ils se retrouvent dans une position qui les contraindrait à prendre partie pour l’un ou pour l’autre.

La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que l’incapacité de témoigner énoncée à l’article 259 du Code civil et à l’article 205 du Code de procédure civile frappe, tant les enfants communs des époux (Cass. 2e civ. 20 mars 1972, n°71-10.107), que ceux qui seraient issus d’un premier lit (Cass. civ. 2e, 5 févr. 1986, n°84-14.467).

Cette incapacité à, par ailleurs, été étendue bien au-delà du cercle des enfants des époux puisqu’elle s’applique également aux conjoints de ces derniers (Cass. 2e civ. 18 nov. 1987, n°86-16.286), à leurs ex-conjoints (Cass. 1ère civ. 14 févr. 2006, n°05-14.686) ou encore à leurs concubins (Cass. 2e civ. 10 mai 2001, n°99-13.833).

Dans un arrêt du 12 juin 2014, la Cour de cassation a toutefois refusé de faire application de l’incapacité de témoigner qui frappe les enfants aux ascendants des époux.

Elle a affirmé en ce sens que « la prohibition de l’audition des descendants d’un époux sur les griefs invoqués à l’appui d’une demande en divorce ne peut être étendue aux ascendants de cet époux » (Cass. 1ère civ. 12 juin 2014, n°13-13.961).

Par ailleurs, régulièrement la Cour de cassation précise « que cette prohibition formelle inspirée par un souci de décence et de protection des intérêts moraux de la famille, doit s’entendre en ce sens qu’aucune déclaration de descendant obtenue sous quelque forme que ce soit ne peut être produite au cours d’une procédure de [divorce] » (Cass. 2e civ. 29 janv. 1969 ; Cass. 2e civ. 23 mars 1977, n°76-11.975).

Dans un arrêt du 1er février 2012 la Deuxième chambre civile est allée encore plus loin en jugeant que l’incapacité de témoigner, instituée à l’article 259 du Code civil et à l’article 205 du Code de procédure civile, « s’applique aux déclarations recueillies en dehors de l’instance en divorce », en conséquence de quoi « les déclarations des enfants recueillies lors de l’enquête de police ne peuvent être prises en considération » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2012, n°10-27.460).

?Les incapacités résultant de la minorité du témoin

Bien que le mineur soit frappé d’une incapacité d’exercice générale, cela ne signifie pas pour autant qu’il soit privé de la faculté d’accomplir un certain nombre d’actes juridiques.

L’article 388-1, al. 1er du Code civil prévoit notamment que « dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le juge à cet effet. »

Il ressort de cette disposition qu’un mineur peut donc parfaitement être entendu comme témoin dans le cadre d’une instance, à la double condition toutefois que :

  • D’une part, il soit doué de discernement
  • D’autre part, la procédure où il est appelé à témoigner le concerne

Lorsque ces deux conditions cumulatives sont remplies, le mineur pourra apporter son témoignage dans les conditions énoncées aux alinéas 2, 3 et 4 de l’article 388-1 du Code civil.

Aussi, tout d’abord, l’audition du mineur est de droit lorsqu’il en fait la demande, ce qui signifie que le juge ne peut pas refuser de recueillir son témoignage (art. 388-1, al. 2e C. civ.).

Ensuite, dans l’hypothèse où le mineur refuserait d’être entendu, le texte précise que le juge apprécie le bien-fondé de ce refus.

Le mineur peut alors être entendu seul, avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne.

En tout état de cause, lorsque le mineur est entendu, son audition ne lui confère pas la qualité de partie à la procédure.

Enfin, l’alinéa 4 de l’article 388-1 du Code civil commande au juge de s’assurer que le mineur a bien « été informé de son droit à être entendu et à être assisté par un avocat ».

Dans la mesure où il est admis qu’un mineur puisse être entendu comme témoin dans le cadre d’une procédure qui le concerne, la question s’est posée de savoir si son témoignage était également recevable dans le cadre d’une procédure qui lui est étrangère.

À cette question, la Cour de cassation a répondu par la négative dans un arrêt du 1er octobre 2009.

Aux termes de cette décision elle a jugé que « le mineur, qui ne peut être entendu en qualité de témoin, ne peut attester » (Cass. 2e civ. 1er oct. 2009, n°08-13.167).

Dans le cadre d’une procédure qui ne concerne pas le mineur, il est donc indifférent que celui-ci soit doué de discernement : il est frappé d’une incapacité qui lui interdit de témoigner, quand bien même seraient mises en œuvre les conditions énoncées à l’article 388-1 du Code civil.

B) Tempérament

L’article 205, al. 2e du Code civil prévoit que « les personnes qui ne peuvent témoigner peuvent cependant être entendues dans les mêmes conditions, mais sans prestation de serment. »

Cette disposition vient ainsi tempérer l’interdiction instituée à l’alinéa 1er du texte. L’incapacité de témoigner dont est susceptible d’être frappée une personne ne l’interdit pas d’être entendu par un juge, elle lui interdit seulement de déposer sous serment.

Ce tempérament ne s’applique toutefois pas aux enfants des époux qui s’opposent dans le cadre d’une procédure de divorce.

L’article 205, al. 2e dispose en effet que « les descendants ne peuvent jamais être entendus sur les griefs invoqués par les époux à l’appui d’une demande en divorce ou en séparation de corps. »

Ainsi, est-il fait interdiction aux enfants d’être entendus dans le cadre de l’instance en divorce de leurs parents, peu importe qu’ils soient

La preuve par témoins: vue générale

?Vue générale

La preuve par témoins ou preuve testimoniale, est un mode de preuve des plus anciens puisqu’il remonte à l’Antiquité. Il y est notamment fait mention dans la loi des XII des tables qui punissait les faux témoins. On a par ailleurs retrouvé la trace de nombreuses lois romaines qui encadraient strictement la capacité des personnes à témoigner.

La preuve testimoniale était également connue du système juridique médiéval qui avait accordé une place importante aux témoignages.

Jusqu’au XVIe siècle, les juges étaient particulièrement portés à privilégier ce mode de preuve, compte tenu de ce que l’écrit était encore peu répandu dans les relations d’affaires.

Surtout, la preuve par témoins s’avérait particulièrement fiable, les plaideurs craignant de recevoir un châtiment divin en cas de parjure.

Cette place conférée à la preuve testimoniale dans le système probatoire était exprimée par l’adage « témoins passent lettres », ce qui signifiait que ce mode de preuve prévalait sur l’écrit.

Le recours au témoignage connu toutefois un net recul dans la pratique judiciaire consécutivement à l’adoption de l’ordonnance de Moulins en février 1566.

Pour mémoire, cette ordonnance prescrivait en son article 54 l’obligation d’établir un écrit pour toutes les opérations dont le montant excédait 150 livres. Elle interdisait, par ailleurs, de prouver par témoins contre le contenu d’un contrat[1].

Ainsi, dorénavant, la preuve littérale primait sur la preuve testimoniale qui était reléguée au rang de preuve subsidiaire.

Cette primauté de l’écrit sur le témoignage sera reprise 250 ans plus tard par les rédacteurs du Code civil.

Ces derniers ont appréhendé ce mode de preuve avec une certaine méfiance, considérant que sa fiabilité était, par nature, limitée.

Deux raisons principales expliquent cette méfiance du législateur à l’endroit de la preuve testimoniale :

  • En premier lieu, il est un risque que les témoins fournissent de fausses déclarations, nonobstant la peine encourue en cas de parjure
  • En second lieu, il peut arriver que les témoins se méprennent, en toute bonne foi, sur la réalité des faits sur lesquels ils sont appelés à témoigner

De façon générale, la qualité du témoignage dépend pour une large part de l’aptitude du témoin à se remémorer ce qu’il lui a été donné d’observer, mais également de sa capacité à rapporter fidèlement les faits qu’il a été en mesure de constater personnellement.

Surtout, comme souligné par des auteurs « le défaut majeur de la preuve testimoniale tient à sa nature même. Elle présente, en effet, un caractère nécessairement subjectif. Les qualités personnelles du témoin influent sur sa perception des événements »[2].

Bien que la preuve testimoniale n’occupe plus de place prépondérante dans le système probatoire français, elle n’en reste pas moins un mode de preuve fréquemment utilisée devant les juridictions, notamment lorsqu’il s’agit de rapporter la preuve d’un fait juridique.

Comme souligné par François Terré « dans toutes les matières où la preuve est libre, et même, sous certaines conditions dans le système de la preuve légale, le témoignage garde une place importante ; il reste le mode de preuve le plus courant lorsqu’une preuve littérale n’a pas pu être préconstituée »[3].

?Notion

Classiquement, le témoignage est défini par la doctrine comme la déclaration faite par « une personne qui s’est trouvée présente, soit par hasard, soit à la requête des parties, à l’accomplissement de l’acte ou du fait contesté, et qui peut, par suite, en certifier au juge l’existence, la manière, ou les résultats »[4].

La définition retenue par le Code civil est, quant à elle, plus lapidaire. Le témoignage y est décrit à l’article 1381 comme un ensemble de « déclarations faites par un tiers dans les conditions du code de procédure civile », soit celles énoncées à aux articles 199 et suivants de ce code.

À cet égard, si l’on se reporte à l’article 199, il y est précisé que pour endosser la qualification de témoignage, la déclaration reçue par le juge doit être de nature à l’éclairer sur les faits litigieux dont le témoin doit avoir eu personnellement connaissance.

Il ressort de cette précision que pour être admise au rang de témoignage, la déclaration faite par un tiers doit nécessairement relater un fait qu’il a été personnellement en mesure de constater.

C’est là manifestement ce qui distingue la preuve testimoniale de la preuve par témoignage indirect, d’une part, et de la preuve par commune renommée, d’autre part.

  • La preuve par témoignage indirect
    • Le témoignage est qualifié d’indirect lorsqu’un tiers relate un récit qui a été exposé en sa présence par une personne identifiée.
    • Bien que l’on puisse être hésitant quant à la recevabilité d’un tel témoignage, le témoignage indirect est admis de longue date par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 8 mars 1972, la Cour de cassation a jugé, par exemple, « qu’il n’y a pas lieu d’écarter le témoignage de personnes, pour la seule raison que celles-ci n’ont connu qu’indirectement les faits qu’elles relatent, que la loi s’en remet à la prudence des juges de ce qui est de nature à former leur conviction » (Cass. 2e civ. 8 mars 1972, n°71-10.308).
    • La recevabilité du témoignage indirect se justifie par le fait que le déclarant, s’il n’a pas été témoin oculaire des faits relatés, n’en rapporte pas moins un récit qu’il a personnellement entendu, récit provenant d’une personne dont on connaît l’identité.
    • Aussi, à l’instar du témoignage direct, c’est au juge qu’il reviendra, en toute hypothèse, d’apprécier la crédibilité du témoignage indirect, notamment au regard des circonstances de la cause (Cass. 1ère civ. 18 oct. 1977, n°75-14.417).
  • La preuve par commune renommée
    • Lorsque le tiers se limite, dans ses déclarations, à rapporter des ouï-dire, des commérages, bavardages et autres rumeurs publiques, on dit qu’il rapporte la preuve par commune renommée.
    • Cette preuve se distingue du témoignage indirect en ce que la source des faits rapportés est inconnue.
    • Autrement dit, l’auteur qui aurait été témoin des événements décrits n’est pas identifié.
    • Il en résulte que le récit produit aux débats n’est pas vérifiable ; sa fiabilité est donc par hypothèse douteuse.
    • Pour cette raison, la preuve par commune renommée n’est pas admise par la jurisprudence (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 23 févr. 1972, n°70-12.395).

?Règles applicables

Sous l’empire du droit antérieur, la preuve par témoins était régie par des dispositions relevant d’une section consacrée à la preuve testimoniale.

Dans cette même section on trouvait toutefois des règles intéressant également la preuve littérale, ce qui n’a pas manqué de susciter des critiques.

Lors de l’adoption de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant notamment réforme du droit de la preuve, le législateur en a profité pour rectifier cette maladresse en transférant une partie des dispositions relatives à la preuve testimoniale dans une section dédiée à l’admissibilité des modes de preuves.

Aussi, il ne subsiste désormais plus qu’une seule disposition relative à la preuve testimoniale dans le chapitre consacré aux différents modes de preuve : l’article 1381 du Code civil.

Le législateur a ainsi fait le choix de déconnecter les règles gouvernant l’admissibilité de la preuve par témoins de celles régissant les conditions et la force probante de ce mode de preuve.

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°645, p. 620. ?
  3. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, éd. Dalloz, éd. 2000, n°580, p. 584. ?
  4. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Paris, 1900, t. 2, n°22, p. 7. ?
  5. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1777, p. 611. ?