Résumé.
La Cour de cassation complète le régime légal des indemnités de rupture du contrat de travail et renoue avec une jurisprudence favorable au salarié qui reçoit une somme d’argent en réparation des préjudices subis. Toutes les fois que l’indemnité versée en exécution de la transaction ayant mis fin au litige ne constitue pas un élément de rémunération dû à l’occasion du licenciement du salarié, il est fait interdiction à l’employeur de l’inclure dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale quand bien même le législateur fiscal ne l’aurait pas expressément visé au nombre des indemnités exonérées d’impôt partant de cotisation.
Commentaire.
En l’espèce, après qu’il a été mis fin à la relation de travail, une transaction est conclue aux termes de laquelle l’employeur s’engage à verser au salarié une certaine somme à titre d’indemnité compensatoire. L’entièreté de la dette n’est pas payée comme convenu. L’employeur considère qu’il lui importe de retenir une fraction de l’indemnité transactionnelle au titre des cotisations de sécurité sociale. Le salarié fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente pour obtenir paiement de la somme retenue par son employeur. Ce dernier saisit un juge de l’exécution afin d’obtenir la mainlevée de la mesure.
Le salarié reproche à l’employeur d’avoir inclus une fraction des sommes dues au nombre des valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale et, partant, d’avoir réduit à due proportion la somme convenue alors qu’elle était de nature indemnitaire.
Le contentieux trouve sa source dans l’intrication des règles fiscales et sociales qui définissent l’assiette des cotisations et, plus particulièrement, dans l’article L. 242-1, II du code de la sécurité sociale, qui liste une série d’exclusions… Le 7° de l’article dispose en ce sens : « par dérogation au I, sont exclus de l’assiette des cotisations de sécurité sociale (…), dans la limite de deux fois le montant annuel du plafond défini à l’article L. 241-3 du présent code, les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail (…) mentionnées à l’article 80 ter du code général des impôts qui ne sont pas imposables en application de l’article 80 duodecies du même code » (…) (v. égal. pour le régime agricole le renvoi à cette disposition de l’article L. 741-10 c. rur.).
La lecture de cette dernière disposition fiscale déplace d’un cran le problème social et invite l’employeur à vérifier si l’indemnité transactionnelle accordée dans le cas particulier entre ou non dans la catégorie juridique des rémunérations qui ne sont pas imposables. On rappellera que l’article 80 duodecies CGI dispose dans son premier alinéa que « toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable » ; que c’est par exception qu’une série d’indemnités est exclue de l’assiette fiscale et, par voie de conséquence, de l’assiette sociale. Dit autrement : si l’indemnité litigieuse n’est pas listée aucune exonération fiscale n’est accordée. L’employeur est donc tenu d’inclure le montant représentatif dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale dans la limite définie par l’article L. 242-1 c. sécu. soc. Le texte directeur de l’article L. 242-1 c. sécu. soc., qui renvoie aux marqueurs d’extension de l’article L. 136-1-1 c. sécu. soc., dirige l’interprétation de la loi : au vu de la quantité de prestations sociales à servir, l’assiette des cotisations de sécurité sociale doit être la plus large qui soit. Les exonérations, qui sapent l’assiette, ne sauraient être que d’interprétation stricte. C’est très précisément la conclusion à laquelle l’employeur est arrivé. Et c’est très étonnamment que la Cour de cassation censure son analyse, à tout le moins de prime abord.
Dans cette affaire, la Cour de cassation, après la cour d’appel de Rennes, renoue avec une jurisprudence qui avait été déjouée par le législateur en 1999. Dans un arrêt rendu le 28 oct. 1987 (n° 84-13.704), la chambre sociale de la Cour de cassation décide en substance que l’indemnité transactionnelle versée au salarié à l’occasion de la rupture de son contrat de travail est exclue de l’assiette des cotisations de sécurité sociale toutes les fois qu’elle a le caractère de dommages-intérêts. Et la Cour régulatrice de laisser aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation relativement à la qualification de l’indemnité litigieuse et, par voie de conséquence, relativement à la définition des valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale (Civ. 2, 21 juin 2018, n° 17-19.773, publié au bulletin), peu important donc la qualification donnée par les parties à la transaction (Soc., 11 juill. 1991, n° 89-11.440 ; Civ. 2, 16 nov. 2004, n° 03-30.364).
Et puis le législateur a introduit un régime social (loi n° 99-1140 du 29 déc. 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000) et un régime fiscal (loi n° 99-1172 du 30 déc. 1999 de finances pour 2000) spécifiques, qui « calque », pour reprendre l’expression d’un auteur, l’assiette sociale sur l’assiette fiscale (P. Morvan, Droit de la protection sociale, 11e éd., LexisNexis, 2023, n° 574). Ces régimes sont sous étude. L’indemnité litigieuse n’étant pas de celles expressément visées par la loi fiscale au nombre de celles éligibles à une exonération (v. égal. en ce sens : BOI-RSA-CHAMP-20-40-10-20, 28 juill. 2020. www.bofip.impots.gouv.fr), il n’importait désormais plus que l’indemnité litigieuse compense une perte de rémunération ou bien qu’elle répare un préjudice d’une autre nature (CE, 14 juin, n° 365253, rec. Lebon).
Après que cette réforme est entrée en vigueur, l’occasion a été donnée à la Cour de cassation de prolonger la jurisprudence précitée. Dans deux arrêts rendus le même jour, la deuxième chambre civile considère que les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat autres que les indemnités exonérées en vertu de l’article L. 242-1, II, 7° c. sécu. soc. sont comprises dans l’assiette des rémunérations « à moins que l’employeur rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice » (Civ. 2, 15 mars 2018, n° 17-10.325 et n° 17-11.336 publiés au bulletin). Ce faisant, le texte de loi était grossi d’une nouvelle cause d’exonération.
En l’espèce, la Cour de cassation continue sa construction prétorienne et complète le régime fiscal et social des indemnités de rupture prescrit par le législateur en ces termes : « n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 242-1, II, 7°, précité, les sommes qui, bien qu’allouées à l’occasion de la rupture du contrat de travail, ont pour objet d’indemniser un préjudice, même si ces sommes ne sont pas au nombre de celles limitativement énumérées à l’article 80 duodecies du code général des impôts ».
Dans le cas particulier, la Cour de cassation, qui reprend à son compte l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, note qu’il ressort du protocole transactionnel que la somme allouée au salarié avait pour objet de réparer notamment des chefs de préjudices moraux et professionnels. La nature indemnitaire étant attestée en ce sens que le salarié n’a touché aucune contrepartie du travail accompli (Civ. 2, 12 nov. 2020, n° 18-12.816) mais a reçu une somme en compensation des dommages subis, il n’appartenait pas à l’employeur de faire application de l’article L. 242-1, II, 7° c. sécu. soc. La demande de mainlevée du commandement aux fins de saisie-vente formulée par l’employeur ne pouvait aboutir par voie de conséquence.
La solution pourrait donner à penser que la Cour de cassation aurait pris quelques libertés avec l’économie générale des dispositions applicables au litige. Il pourrait être répliqué que la restauration par équivalent du salarié victime dans la situation dans laquelle il se serait retrouvé si le dommage n’avait pas eu lieu n’est en principe pas soumise à l’impôt sur le revenu. La règle est bien établie depuis 1986 à tout le moins pour ce qui concerne les dommages et intérêts attribués à un particulier par une décision judiciaire en réparation d’un préjudice corporel (Réponse écrite du ministre de l’économie, des finances et du budget à une question posée par un député datée du 25 nov. 1985, JOAN, 17 févr. 1986, p. 616). Partant, et parce que l’assiette sociale est calquée sur l’assiette fiscale, on pourrait tirer argument que cette indemnité compensatoire n’étant pas soumise à l’impôt sur le revenu, elle n’a pas à donner lieu au versement de cotisation de sécurité sociale. Reste que, dans le cas particulier, l’indemnité transactionnelle ne répare pas à proprement parler un chef de préjudice corporel. On restera donc pour le moins dubitatif relativement à l’augmentation par le juge de la liste des cas légaux d’exonération.
Il importera donc aux parties à la transaction de bien expliciter l’objet des sommes allouées à titre indemnitaire (de grossir éventuellement la somme convenue du montant des cotisations de sécurité sociale afférentes) sans quoi le pouvoir sera donné aux autorités de contrôle et juridictionnelles de procéder.
(Article publié in Dalloz actualité févr. 2025)