Civ. 2, 30 janv. 2025, n° 22-18.333 : Assiette des cotisations de sécurité sociale et exclusion des sommes à caractère indemnitaire liées à la rupture du contrat de travail

Résumé.

La Cour de cassation complète le régime légal des indemnités de rupture du contrat de travail et renoue avec une jurisprudence favorable au salarié qui reçoit une somme d’argent en réparation des préjudices subis. Toutes les fois que l’indemnité versée en exécution de la transaction ayant mis fin au litige ne constitue pas un élément de rémunération dû à l’occasion du licenciement du salarié, il est fait interdiction à l’employeur de l’inclure dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale quand bien même le législateur fiscal ne l’aurait pas expressément visé au nombre des indemnités exonérées d’impôt partant de cotisation.

Commentaire.

En l’espèce, après qu’il a été mis fin à la relation de travail, une transaction est conclue aux termes de laquelle l’employeur s’engage à verser au salarié une certaine somme à titre d’indemnité compensatoire. L’entièreté de la dette n’est pas payée comme convenu. L’employeur considère qu’il lui importe de retenir une fraction de l’indemnité transactionnelle au titre des cotisations de sécurité sociale. Le salarié fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente pour obtenir paiement de la somme retenue par son employeur. Ce dernier saisit un juge de l’exécution afin d’obtenir la mainlevée de la mesure.

Le salarié reproche à l’employeur d’avoir inclus une fraction des sommes dues au nombre des valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale et, partant, d’avoir réduit à due proportion la somme convenue alors qu’elle était de nature indemnitaire.

Le contentieux trouve sa source dans l’intrication des règles fiscales et sociales qui définissent l’assiette des cotisations et, plus particulièrement, dans l’article L. 242-1, II du code de la sécurité sociale, qui liste une série d’exclusions… Le 7° de l’article dispose en ce sens : « par dérogation au I, sont exclus de l’assiette des cotisations de sécurité sociale (…), dans la limite de deux fois le montant annuel du plafond défini à l’article L. 241-3 du présent code, les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail (…) mentionnées à l’article 80 ter du code général des impôts qui ne sont pas imposables en application de l’article 80 duodecies du même code » (…) (v. égal. pour le régime agricole le renvoi à cette disposition de l’article L. 741-10 c. rur.).

La lecture de cette dernière disposition fiscale déplace d’un cran le problème social et invite l’employeur à vérifier si l’indemnité transactionnelle accordée dans le cas particulier entre ou non dans la catégorie juridique des rémunérations qui ne sont pas imposables. On rappellera que l’article 80 duodecies CGI dispose dans son premier alinéa que « toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail constitue une rémunération imposable » ; que c’est par exception qu’une série d’indemnités est exclue de l’assiette fiscale et, par voie de conséquence, de l’assiette sociale. Dit autrement : si l’indemnité litigieuse n’est pas listée aucune exonération fiscale n’est accordée. L’employeur est donc tenu d’inclure le montant représentatif dans l’assiette des cotisations de sécurité sociale dans la limite définie par l’article L. 242-1 c. sécu. soc. Le texte directeur de l’article L. 242-1 c. sécu. soc., qui renvoie aux marqueurs d’extension de l’article L. 136-1-1 c. sécu. soc., dirige l’interprétation de la loi : au vu de la quantité de prestations sociales à servir, l’assiette des cotisations de sécurité sociale doit être la plus large qui soit. Les exonérations, qui sapent l’assiette, ne sauraient être que d’interprétation stricte. C’est très précisément la conclusion à laquelle l’employeur est arrivé. Et c’est très étonnamment que la Cour de cassation censure son analyse, à tout le moins de prime abord.

Dans cette affaire, la Cour de cassation, après la cour d’appel de Rennes, renoue avec une jurisprudence qui avait été déjouée par le législateur en 1999. Dans un arrêt rendu le 28 oct. 1987 (n° 84-13.704), la chambre sociale de la Cour de cassation décide en substance que l’indemnité transactionnelle versée au salarié à l’occasion de la rupture de son contrat de travail est exclue de l’assiette des cotisations de sécurité sociale toutes les fois qu’elle a le caractère de dommages-intérêts. Et la Cour régulatrice de laisser aux juges du fond un pouvoir souverain d’appréciation relativement à la qualification de l’indemnité litigieuse et, par voie de conséquence, relativement à la définition des valeurs de référence qui servent au calcul des cotisations de sécurité sociale (Civ. 2, 21 juin 2018, n° 17-19.773, publié au bulletin), peu important donc la qualification donnée par les parties à la transaction (Soc., 11 juill. 1991, n° 89-11.440 ; Civ. 2, 16 nov. 2004, n° 03-30.364).

Et puis le législateur a introduit un régime social (loi n° 99-1140 du 29 déc. 1999 de financement de la sécurité sociale pour 2000) et un régime fiscal (loi n° 99-1172 du 30 déc. 1999 de finances pour 2000) spécifiques, qui « calque », pour reprendre l’expression d’un auteur, l’assiette sociale sur l’assiette fiscale (P. Morvan, Droit de la protection sociale, 11e éd., LexisNexis, 2023, n° 574). Ces régimes sont sous étude. L’indemnité litigieuse n’étant pas de celles expressément visées par la loi fiscale au nombre de celles éligibles à une exonération (v. égal. en ce sens : BOI-RSA-CHAMP-20-40-10-20, 28 juill. 2020. www.bofip.impots.gouv.fr), il n’importait désormais plus que l’indemnité litigieuse compense une perte de rémunération ou bien qu’elle répare un préjudice d’une autre nature (CE, 14 juin, n° 365253, rec. Lebon).

Après que cette réforme est entrée en vigueur, l’occasion a été donnée à la Cour de cassation de prolonger la jurisprudence précitée. Dans deux arrêts rendus le même jour, la deuxième chambre civile considère que les sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat autres que les indemnités exonérées en vertu de l’article L. 242-1, II, 7° c. sécu. soc. sont comprises dans l’assiette des rémunérations « à moins que l’employeur rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice » (Civ. 2, 15 mars 2018, n° 17-10.325 et n° 17-11.336 publiés au bulletin). Ce faisant, le texte de loi était grossi d’une nouvelle cause d’exonération.

En l’espèce, la Cour de cassation continue sa construction prétorienne et complète le régime fiscal et social des indemnités de rupture prescrit par le législateur en ces termes : « n’entrent pas dans le champ d’application de l’article L. 242-1, II, 7°, précité, les sommes qui, bien qu’allouées à l’occasion de la rupture du contrat de travail, ont pour objet d’indemniser un préjudice, même si ces sommes ne sont pas au nombre de celles limitativement énumérées à l’article 80 duodecies du code général des impôts ».

Dans le cas particulier, la Cour de cassation, qui reprend à son compte l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, note qu’il ressort du protocole transactionnel que la somme allouée au salarié avait pour objet de réparer notamment des chefs de préjudices moraux et professionnels. La nature indemnitaire étant attestée en ce sens que le salarié n’a touché aucune contrepartie du travail accompli (Civ. 2, 12 nov. 2020, n° 18-12.816) mais a reçu une somme en compensation des dommages subis, il n’appartenait pas à l’employeur de faire application de l’article L. 242-1, II, 7° c. sécu. soc. La demande de mainlevée du commandement aux fins de saisie-vente formulée par l’employeur ne pouvait aboutir par voie de conséquence.

La solution pourrait donner à penser que la Cour de cassation aurait pris quelques libertés avec l’économie générale des dispositions applicables au litige. Il pourrait être répliqué que la restauration par équivalent du salarié victime dans la situation dans laquelle il se serait retrouvé si le dommage n’avait pas eu lieu n’est en principe pas soumise à l’impôt sur le revenu. La règle est bien établie depuis 1986 à tout le moins pour ce qui concerne les dommages et intérêts attribués à un particulier par une décision judiciaire en réparation d’un préjudice corporel (Réponse écrite du ministre de l’économie, des finances et du budget à une question posée par un député datée du 25 nov. 1985, JOAN, 17 févr. 1986, p. 616). Partant, et parce que l’assiette sociale est calquée sur l’assiette fiscale, on pourrait tirer argument que cette indemnité compensatoire n’étant pas soumise à l’impôt sur le revenu, elle n’a pas à donner lieu au versement de cotisation de sécurité sociale. Reste que, dans le cas particulier, l’indemnité transactionnelle ne répare pas à proprement parler un chef de préjudice corporel. On restera donc pour le moins dubitatif relativement à l’augmentation par le juge de la liste des cas légaux d’exonération.

Il importera donc aux parties à la transaction de bien expliciter l’objet des sommes allouées à titre indemnitaire (de grossir éventuellement la somme convenue du montant des cotisations de sécurité sociale afférentes) sans quoi le pouvoir sera donné aux autorités de contrôle et juridictionnelles de procéder.

(Article publié in Dalloz actualité févr. 2025)

AT/MP : Relations triangulaires, indépendance des rapports, imputation des coûts et tarification

1. Discrimination. Il est bien su que la réparation intégrale des préjudices corporels n’est pas un principe fondamental du droit social, dont les règles de compensation des accidents et maladies professionnels n’autorisent qu’une réparation forfaitaire. Exception n’est faite qu’au seul bénéfice des victimes de l’amiante (loi n° 2000-1257 du 23 déc. 2000 de financement de la sécurité sociale pour 2021, art. 53). C’est dire la force juridique de la règle qui n’a pas varié depuis que la loi du 09 avril 1898 a été adoptée. Que le salarié soit victime d’un mauvais concours de circonstances ou bien qu’il souffre les conséquences de la faute inexcusable de son employeur, rien n’y fait : la discrimination perdure en comparaison avec les victimes de droit commun tandis que les voies civiles de l’indemnisation restent en principe fermées.

La conformité du régime aux dispositions supra légales a bien été vérifiée en son temps. Ni le juge constitutionnel ni le juge européen n’a fondamentalement trouvé matière à redire (Cons. const., décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, cons. n° 18. CEDH, 12 janv. 2017, n° 74734/14, Saunier c./ France : absence de violation de l’article 14 de la déclaration des droits). Quant à la direction de la sécurité sociale, elle est d’avis qu’une réparation intégrale comporterait des risques financiers importants pour l’équilibre de la branche (v. Cour de cassation, rapport annuel 2022, p. 52).

Ce sont là décrites à très grands traits les suites d’un arbitrage qui a été décidé à la toute fin du 19ème siècle, qui a eu pour objet de concilier les intérêts légitimes mais contradictoires des ouvriers et des patrons de l’époque. Créance de compensation garantie aux premiers mais immunité juridictionnelle accordée aux seconds. Financement exclusivement patronal de la branche (art. L. 241-5 du Code de la sécurité sociale) mais réparation forfaitaire des accidents du travail et des maladies professionnelles déclarés par les salariés (art. R. 433-1 du Code de la sécurité sociale). Le tout sur fond d’une opération d’assurance qu’aucun législateur ne s’est aventuré à réformer en profondeur depuis (sauf naturellement quelques corrections paramétriques de nature procédurale pour l’essentiel. V. S. le Fischer et X. Prétot, La procédure de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles : apports et limites du décret n° 2019-356 du 23 avr. 2019). Et pour cause : c’est au premier chef la responsabilité des partenaires sociaux.

2. L’opération d’assurance, voilà une clef de voûte de l’affaire. La réparation forfaitaire qui est accordée à la victime d’un risque professionnel est un plafond de garantie. De la même manière que l’article L. 113-5 du Code des assurances dispose que l’assureur ne peut être tenu au-delà de la prestation déterminée par le contrat, les articles L. 431-1 et L. 452-2 du Code de la sécurité sociale limitent les droits à prestations du salarié-victime et de ses ayants droit, partant la dette de réparation de la communauté formée par les employeurs cotisants. Et il ne saurait en être autrement au vu des modalités de fonctionnement et de financement de la branche. C’est qu’il faut bien voir que la tarification AT-MP correspond à un système de répartition des capitaux de couverture. Le principe est le suivant. Chaque année, les cotisations sociales patronales afférentes sont fixées à titre conservatoire pour couvrir l’ensemble des charges liées aux risques professionnels susceptibles de survenir dans l’année. Le taux d’effort demandé à chacun des employeurs représente donc la contrepartie technique de l’engagement limité de la branche (v. sur le sujet H. Groutel, F. Leduc et Ph. Pierre, Le contrat d’assurance terrestre, n° 1773).

Depuis une dizaine d’années, la branche sous étude présente des excédents, ce qui est remarquable par comparaison avec les autres branches du régime général. Encore que l’excédent n’ait pas tout à fait l’ampleur qu’une lecture rapide de la loi de financement de la sécurité sociale pourrait donner à penser (voyez en ce sens, l’article L. 176-1 css et le transfert de 1,2 milliards d’euros à la branche maladie ordonné par l’article 107, III de la loi n° 2023-1250 du 26 déc. 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024). Mais laissons. L’important me semble de faire remarquer que tandis que la branche est à l’équilibre, un nombre croissant de pathologies ont été reconnues au titre des maladies professionnelles par le truchement du régime complémentaire de reconnaissance (art. L. 461-1, al. 7 css), un fonds d’indemnisation des victimes de pesticides a été créé (art. L. 491-1 css ensemble art. L. 723-13-3 c. rur.), un nouveau tableau a été instauré, qui détermine les conditions d’indemnisation des salariés victimes du sars-cov2. Où l’on constate en résumé que fonctionnant à la manière d’un opérateur d’assurance de droit commun, la branche AT-MP satisfait les exigences prescrites par la directive solvabilité 2, à avoir une évaluation des risques, un niveau de capital adéquat et une réserve de provision techniques (dir. n° 2009/138/CE du 25 nov. 2009).

Pourquoi soulignez ce point ? Eh bien pour attirer l’attention sur le tableau d’équilibre d’ensemble.

3. Équilibre. Le droit de la réparation des risques professionnels, aussi perfectible qu’il soit, est le fruit d’un équilibre subtil, qui a été recherché par le patronat et la classe ouvrière, d’un compromis que nombre des règles qui le composent portent en germe. Il ne s’agit pas moins en législation de veiller à la préservation des droits respectifs à réparation du salarié-victime, à cotisations majorées de la caisse et à exonération de l’employeur. Ceci posé, l’intrication des intérêts et des règles est une source presque inévitable de contentieux. Le salarié est légitime à rechercher la meilleure compensation possible du dommage. La caisse n’est pas moins fondée à rechercher le remboursement de ses débours. Quant à l’employeur, qui participe au financement du tout en ce sens que son taux de cotisation est fonction du risque inhérent à l’entreprise, la recherche d’une cause d’inopposabilité de la décision de prise en charge ou bien encore la recherche d’une réduction du taux d’incapacité retenu par la caisse dans le calcul de la rente est dans son intérêt bien compris. Où l’on commence à percevoir dans ces conditions la finalité du principe directeur d’indépendance des rapports caisse-employeur-victime.

4. Indépendance. Aux termes dudit principe, les rapports entretenus par la caisse avec la victime sont exclusifs de ceux noués avec l’employeur. En bref, ce n’est pas parce que la caisse a conclu au caractère professionnel de l’accident qui a été déclaré que le compte employeur sera nécessairement majoré et inversement (pour le cas où naturellement il aurait vocation à l’être). Pour le dire d’une autre manière, il n’y a aucune identité de sort.

La règle est posée en jurisprudence depuis les années 1960 (Cass. soc., 17 nov. 1960, Bull. civ. IV, n° 1045). La Cour de cassation ne manque pas de la rappeler. Une circulaire du 21 août 2009 relative à la procédure d’instruction des déclarations AT-MP (DSS/2C/2009/267), qui a accentué l’indépendance des rapports, précisait pour sa part que dans l’hypothèse où l’employeur exerce un recours contre une décision de prise en charge, la position de l’organisme de sécurité sociale issue de ce recours n’a aucun effet sur la décision de reconnaissance prise à l’égard de l’assuré, qui n’est pas appelé en la cause dans ce contentieux, la décision initiale lui restant acquise en vertu du principe sous étude (voir à présent l’article R. 441-18 css et art. D. 242-6-4 css. V. plus généralement sur le sujet, G. Chastagnol et M.-A. Godefroy, fasc. 313-10, Régime général. Accidents du travail et maladies professionnelles. Action en contestation de la reconnaissance d’un AT/MP, Juris-cl. Protection sociale, févr. 23).

La chose à tout de même de quoi laisser un profane un tantinet interdit. Rares sont les approches juridiques d’un seul et même fait en pareil silo et de façon si étanche. Une illustration permettra de mieux s’en rendre compte.

5. Illustration. Premier cas de figure : Voilà un salarié qui déclare un accident survenu au temps et au lieu du travail, qui n’est pas pris en charge par la branche AT-MP faute de satisfaire les conditions de la garantie légale mais qui parvient à la fin du parcours contentieux à faire condamner son employeur au remboursement de toutes les prestations sociales servies par la caisse à raison d’une faute inexcusable qui aura été découverte par le juge de la sécurité sociale.

Second cas de figure : l’accident subi par le salarié est pris en charge par la branche AT-MP mais l’employeur, dont la faute inexcusable est recherchée, conteste utilement le caractère professionnel de l’accident (Cass. 2ème civ., 20 mars 2008, n° 06-20.348 – 26 nov. 2015, n° 14-26.240.

En résumé, un accident peut être professionnel au stade de sa reconnaissance mais pas à celui de sa réparation (M. Keim-Bagot, Voyage au pays de l’absurde : des conséquences de l’indépendance des rapports employeur-caisse-salarié, Bull. Joly travail, janv. 23, p. 41). Et inversement, pourrait-on ajouter. Il faut bien se représenter la situation du salarié dans le procès qu’il a engagé en reconnaissance du caractère inexcusable de la faute dommageable prétendument commise par l’employeur. Alors pourtant qu’il perçoit une rente AT, il peut se faire retorquer par le juge de la sécurité sociale qu’il n’a subi aucun accident du travail.

Le sentiment d’étrangeté que ces solutions peuvent spontanément inspirer doit pourtant être combattu car elles sont commandées par quelques principes fondamentaux.

6. Étrangeté ? Comme cela a déjà été relevé, la loi d’équilibre technique (à visée transactionnelle) a commandé de ne sacrifier aucune des parties à la cause. Pour mémoire, lorsque le dispositif assurantiel est confié aux organismes de sécurité sociale en 1946 (Loi n° 46-2426 du 30 oct. 1946 sur la prévention et la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles), l’employeur est la portion congrue de l’affaire. En un mot : il n’a pas du tout voix au chapitre (En ce sens, O. Godard, L’indépendance des rapports employeur-salarié dans le régime accidents du travail, JCP G. avr. 1990, doctr. 3442. V. égal. G. Hénon, L’indépendance des rapports salarié-caisse-employeur au révélateur de la faute inexcusable, Dr. soc. 2023.604). Quant au salarié, une fois sa situation déclarée à l’organisme de sécurité sociale, on ne peut pas dire que son sort fût meilleur. Le régime était purement et simplement laissé à la main de la caisse, qui instruisait la demande de prise en charge de l’accident au titre de la législation professionnelle sans que l’employeur ne soit invité à présenter ses conclusions, ce dernier souffrant alors la notification de son taux de cotisation pour le cas où la branche aurait vocation à couvrir le sinistre.

Des voix se sont élevées pour dire que la procédure faisait bien trop peu de cas de la légitimité de l’employeur à contester la décision de prise en charge du salarié victime au titre de la branche AT-MP, décision portant possiblement majoration de son taux de cotisation. Convaincue, la Cour de cassation sanctionna le droit de ce dernier de recourir contre la caisse (Cass. soc., 22 avr. 1955, Bull. civ. V, n° 335).

C’est un droit de contestation que les employeurs ont alors exercé plus volontiers à mesure, d’une part, qu’ils ont été intégrés dans le processus d’élaboration des décisions prises par la caisse et leur notification et, d’autre part, de la modernisation des outils de production et de développement de la prévention des accidents.

7. Contestation. Il faut bien avoir à l’esprit que les cotisations sociales patronales n’ont pas seulement pour but d’assurer le financement des prestations versées par la branche, elles jouent surtout un rôle de politique de santé au travail : leur mode de calcul constitue un levier d’incitation à la réduction des risques professionnels. La cotisation étant modulée en fonction du nombre et du coût des sinistres (v. en ce sens le rapport d’évaluation des politiques de sécurité sociale, annexe AT-MP, 2023, p. 9), les employeurs n’entendent donc pas qu’il soit fait litière des efforts fournis en termes de prévention (qui sont coûteux) et contestent plus volontiers les décisions des caisses. Et c’est très précisément lorsqu’ils obtiennent gain de cause (pour des raisons strictement procédurales ou bien de fond) que les problèmes surgissent et que le principe directeur d’indépendance des rapports se révèle être des plus juste et utile encore qu’il prête à discussion.

Que les critiques formulées par l’employeur aient vocation à prospérer, cela va de soi. La décision prise par la caisse ayant pour effet de lui faire grief, il est tout à fait normal (à hauteur de principe) qu’il puisse la critiquer. Mais que le salarié-victime s’en trouvât aussitôt affecté, c’eût été une autre affaire. Pour se représenter la chose, on recommandera de se livrer à une expérience de pensée : si le sort de l’employeur et celui du salarié avaient été indéfectiblement liés, si donc le principe d’indépendance n’avait pas été inventé, le succès des actions en contestation du premier aurait obligé alors le second à restituer l’indu, car la couverture du risque par la branche AT-MP est notablement plus enviable que celle proposée par la branche maladie (comp. les art. R. 433-1 et R. 323-4 css). Ce sans compter que le salarié pris en charge sur le fondement du livre IV du Code de la sécurité sociale est alors justiciable de toute une série de règles légales et conventionnelles qui ont pour objet de compléter les prestations servies par la caisse ou par la mutualité sociale agricole. Restituer l’indu consisterait techniquement à corriger un enrichissement injustifié du salarié-victime et l’appauvrissement corrélatif de l’employeur qui aura accordé un complément de salaire, possiblement couvert le délai de carence et souffert une majoration de son taux de cotisation.

8. Restitution ? En droit, la chose est faisable. Les modalités de rétablissement des patrimoines corrélatifs des parties intéressées sont bien connues (art. 1302 c.civ.). Mais en équité, la solution n’est pas entendable, à tout le moins pas dans le chef du salarié-victime. Jamais la caisse ne saurait demander la restitution de l’indu à la victime tandis qu’elle est à l’origine d’une erreur d’appréciation rectifiée au terme des diligences de l’employeur. Et quand bien même la législation autoriserait-elle formellement l’action en restitution qu’il faudrait encore que l’accipiens soit solvable. Or, et par hypothèse, les indemnités journalières ne compensant pas intégralement les revenus perdus du fait de l’accident ou de la maladie professionnelle, lesquels restent peu élevés pour nombre de nos concitoyens (pour mémoire, le salaire médian en 2023 se monte à 2100 euros net), il y aurait bien peu à recouvrer peut-être même rien du tout. Où l’on finirait en bout de course par exhorter l’organisme de sécurité sociale d’abonner le recouvrement de sa créance en laissant quitte le salarié victime du trop-perçu.

En bref, le principe d’indépendance des rapports caisse-employeur-victime, qui est la manifestation d’un remarquable pragmatisme, dispense toutes les parties intéressées d’une ingénierie juridique et comptable aussi consommatrice de temps que d’argent. Où l’on peut s’accorder pour dire qu’à raison de la correction de l’incidence du recours en contestation sur les droits de l’autre partie, ledit principe est plutôt intéressant : l’une reste lotie et l’autre n’est pas si préjudiciée.

Il importe de dire au surplus, et l’argument semble prêter à plus de conséquences encore, que le principe est la traduction en droit substantiel de la protection sociale d’un principe fondamental tiré du droit de la procédure civile, à savoir qu’une décision de justice ne pouvant lier que ceux qui y ont été partie (art. 1351 c.civ.), le salarié ne saurait souffrir les suites du combat qu’a décidé de mener l’employeur avec la caisse et/ou le juge de la sécurité sociale. Ce qui fait pertinemment dire à ce dernier juge que « les rapports de l’assuré avec la caisse sont indépendants de ceux qui existent entre cet organisme et l’employeur » (Cass. soc., 31 mai 1989, n° 87-17.499 – Cass. 2e civ., 7 nov. 2019, n° 18-19.764, JCP S 2019.1364, note M. Courtois d’Arcollières et M.-A. Godefroy).

9. Critique. Comme cela a été rappelé, la compensation du dommage corporel subi au temps et au lieu du travail est notablement plus fruste en comparaison toujours avec les dommages et intérêts qu’une victime de droit commun peut espérer de son défendeur. Le principe de l’indépendance des rapports, qui protège le salarié victime en ce qu’il lui garantit le paiement de revenus de remplacement peu important qu’au terme d’un recours il soit décidé, réflexion faite, que la prise en charge par la branche AT n’était pas due, intéresse plus volontiers l’employeur ou bien la communauté des employeurs dont l’effort en termes de cotisations sociales patronales est nécessairement affecté. C’est ce sur quoi il semble fructueux d’insister.

Penser la compensation du dommage corporel, c’est invariablement identifier un débiteur d’indemnité. Où l’on voit que l’assurance du risque professionnel souffre la comparaison. Au fond, il est question de tarification et donc de capacité de la branche à couvrir le risque. Une réparation intégrale des accidents et maladies professionnelles est possible en droit. Elle est même réclamée depuis des années par la Cour de cassation entre autres autorités. C’est en économie que la chose est débattue. Non pas qu’on ne puisse pas dans l’absolu majorer les cotisations des employeurs mais que ce serait prendre alors le risque de renchérir le coût du travail et possiblement affecter la compétitivité des organisations concernées (notamment sur le terrain du commerce extérieur). Ceci étant dit, nous ne sommes tout de même pas encore condamnés à une sorte d’immobilisme. L’hypothèse d’une correction du système à la marge par une redéfinition du périmètre du principe sous étude peut être posée.

10. Réforme. En l’état, le principe d’indépendance profite semblablement au salarié et à l’employeur. Or la complète déconnexion entre le contentieux de la prise en charge d’un accident ou d’une maladie (dans le rapport caisse-victime ou le rapport caisse-employeur) et le contentieux de la faute inexcusable (dans le rapport victime-employeur) est douteux en ce sens que le financement de la branche est fragilisé. Par voie de conséquence, la politique de prévention des risques professionnels est ébranlée.

L’application du principe d’indépendance des rapports est de nature à faire échapper l’employeur en toute ou partie de la majoration de son taux brut de cotisations. Les raisons ont été présentées : manque de diligence de la caisse ou tort redressé par un juge. Dans le premier cas, aucune majoration ne sera notifiée à raison de l’inopposabilité de la décision de prise en charge. Dans le second, l’employeur ne sera tenu au remboursement que des seuls chefs de préjudices majorés à raison de la reconnaissance d’une faute inexcusable exclusion faite de toutes les prestations services par la caisse entre temps (complément de rente et chefs de préjudice supplémentaires auxquels il est tenu par la loi art. L. 452-3-1 css – création de la loi 2012-1404 du 17 déc. 2012).

La mutualisation du risque est fragilisée dans ces conditions. Comme cela a été rappelé, les modalités de calcul du taux brut de cotisation des employeurs sont définies de telle sorte qu’il est plus vertueux de prévenir la réalisation du risque professionnel que de le couvrir (art. D. 242-6-1 et s. css). Encore qu’il faut bien convenir que ce n’est pas vrai pour toutes les entreprise (v. toutefois l’invention d’un régime spécial pour les entreprises entre 10 et 19 qui est entré en vigueur au 1er janvier 2024. P. Morvan, Droit de la protection sociale, 11ème éd., LexisNexis, 2023, n° 212 p. 232).

Sans contestation de l’employeur, le système est construit de telle sorte que la facturation des diligences de la caisse primaire est automatiquement incrémentée sur le compte employeur. Et lorsque le système laisse l’employeur quitte de toute majoration, c’est alors la collectivité des employeurs qui se retrouve affectée par défaut. Dans ces conditions, on peut se demander si la mutualisation du risque est bien équitable, ce sans compter que la mutualisation ne s’opère pas de manière uniforme (Ph. Coursier et S. Leplaideur, les risques professionnels et la santé au travail en question, LexisNexis, 2013, pp. 139 et s.).

D’aucun soutiendront que ce n’est pas très grave tant que le salarié victime est sauf dans l’affaire. Force est pourtant de le redire : la prévention des risques professionnels importe autrement plus que la couverture des sinistres, à tout le moins en première intention. Si donc l’employeur échappe à sa juste contribution, il n’est pas incité à travailler mieux encore à la réduction de la sinistralité de son établissement. Partant, et en termes de prévention des accidents du travail et des maladies professionnels, dit autrement des dommages corporels, le compte n’y est peut-être pas complétement. Les 20 millions de salariés du secteur privé, qui sont couverts par la branche AT/MP (Direction de la sécurité sociale, les chiffres clés 2022, éd. 2023, p. 15), ne mériteraient-ils pas un peu mieux ?

(Article publié in Bulletin Joly travail, déc. 2024)

 

De la distinction entre l’impôt, les taxes, les redevances et les cotisations sociales

Qu’est-ce que l’impôt ?

Ni la constitution, ni le législateur ne donne de définition de l’impôt.

L’article 34, al. 5 de la Constitution prévoit seulement que « la loi fixe les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; le régime d’émission de la monnaie. »

Que doit-on entendre par « imposition de toutes natures » ?

Cela comprend-il les taxes ? Les redevances ? Les cotisations sociales ?

Pour le déterminer, c’est vers la doctrine qu’il convient de se tourner, car c’est à elle qu’est revenue la tâche de définir l’impôt.

Selon M. Cozian, « l’impôt peut être défini comme un prélèvement obligatoire perçu sans contrepartie directe au profit d’une collectivité publique ».

On peut encore citer la définition de Gaston Jèze pour qui l’impôt s’apparente à « une prestation pécuniaire prélevée régulièrement par voie d’autorité, à titre définitif, sans contrepartie directe en vue de la couverture des charges publiques » (V. en ce sens G. Jèze, Traité de science de finances publiques. Le budget, Paris, 1910.

Il ressort de ces définitions que l’impôt procède de la combinaison de deux éléments :

  • Il s’agit d’un prélèvement obligatoire assuré par voie d’autorité
    • Cela exclut donc tout consentement individuel à l’impôt
    • Le consentement à l’impôt ne peut être que collectif (art. 14 de la DDHC)
  • Il s’agit d’un prélèvement obligatoire sans contrepartie destiné à couvrir les charges publiques
    • Aucun service n’est rendu directement au contribuable en contrepartie du paiement de l’impôt
    • Le contribuable ne peut donc pas s’opposer à son assujettissement à l’impôt au motif qu’il n’utiliserait pas les services publics
    • L’impôt ne peut être levé que par des personnes morales de droit public. Les personnes morales n’ont pas cette compétence, quand bien même elles bénéficient d’une délégation de service public.

Au regard de ces éléments de définition de la notion d’impôt, il apparaît que celui-ci doit être distingué de la taxe, de la redevance et des cotisations sociales.

En effet, les ressources publiques se divisent en deux catégories :

  • Les prélèvements fiscaux
  • Les prélèvements non-fiscaux

I) Les prélèvements fiscaux

  • Les impôts
    • Il s’agit d’un prélèvement pécuniaire
      • L’obligation fiscale ne peut pas faire l’objet d’une exécution en nature
    • Il s’agit d’un prélèvement définitif
      • Une fois réglé, l’impôt ne peut faire l’objet d’une restitution, sauf en cas de trop-perçu.
      • Ainsi l’impôt se distingue-t-il d’un emprunt. Il ne s’agit pas d’une somme prêtée, mais donnée.
    • L’impôt est un prélèvement obligatoire
      • Les contribuables ne peuvent pas s’y soustraire
    • L’impôt a pour fonction de couvrir les charges publiques
    • L’impôt est effectué sans lien avec le fonctionnement d’un service public
    • Il est effectué sans contrepartie directe au profit du contribuable
  • Les taxes
    • Contrairement à l’impôt, la taxe relève de la compétence du pouvoir règlementaire
    • La taxe est en lien avec un service public
      • Exemple: la taxe sur le ramassage des ordures ménagères
      • NB: La TVA n’est pas une taxe, car elle n’a pas été établie en considération du fonctionnement d’un service déterminé
    • La taxe est exigée tant, par les usagers effectifs, que potentiels du service rendu
    • Le montant de la taxe n’est pas proportionnel au coût du service fourni, contrairement à la redevance
    • La taxe revêt un caractère obligatoire. Le contribuable ne peut s’y soustraire en arguant qu’il n’utilise pas le service pour le financement duquel elle est collectée

II) Les prélèvements non fiscaux

  • Les cotisations sociales
    • Il s’agit de prélèvements obligatoires établis en vue de l’acquisition de droits à des prestations sociales (assurance maladie, assurance vieillesse, allocation-chômage etc.)
    • Il existe une contrepartie directe au paiement des cotisations sociales
    • En cas de non-paiement des cotisations sociales le contribuable ne peut pas bénéficier des services auxquelles elles sont associées
      • C’est là la distinction fondamentale avec les taxes
    • Compétence du pouvoir réglementaire en matière de cotisation sociale
  • Les redevances
    • La redevance est un prélèvement établi en contrepartie d’un service rendu, comme pour les taxes ou les cotisations sociales
    • Il s’agit de prélèvements qui s’adressent aux usagers seulement effectifs du service rendu
    • La redevance ne revêt pas de caractère obligatoire, car libre aux usagers de ne pas utiliser le service s’ils ne souhaitent pas payer la taxe
      • Tel n’est pas le cas en matière de cotisation sociale : leur assujettissement est obligatoire
    • Le montant de la redevance est proportionnel au coût du service rendu contrairement à la taxe
    • Compétence du pouvoir réglementaire en matière de redevance et non du législateur

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