La compensation des dommages corporels de masse où la concurrence des services publics

1. Dommages de masse et arc procédural. Aussi loin qu’on puisse remonter dans le temps, la victime s’est toujours vue reconnaître la possibilité d’être lotie à l’amiable ou bien aux termes d’un procès en responsabilité. Et l’intéressée d’exciper alors le préjudice subi individuellement dans sa chair. Le schéma est élémentaire : un fait générateur dommageable, un demandeur, un avocat conseil (assez souvent), une personne mise en cause, une expertise, un régleur et une importante consommation de temps pour peu que les parties n’aient pas réussi à transiger et qu’il ait fallu en fin de compte recourir au juge. À chaque victime d’un préjudice corporel son chemin de croix et ses vicissitudes. Rien de très original en fin de compte : que le demandeur à l’action en réparation soit atteint dans son intégrité corporelle ou non, c’est égal.

Les victimes se sont longtemps contentées de la réponse offerte à tout un chacun par le service public de la justice. Puis vint un temps, pour paraphraser un éminent auteur[1], où la souffrance a été isolée du magma des sensations comme un phénomène susceptible d’observation scientifique ; la victime a crié de plus en plus fort ; l’attention portée par le droit à la réparation du dommage corporel a cru.

Pour le dire autrement, la foule a fini par s’émouvoir de plus en plus énergiquement du sort des victimes empêchées pour beaucoup d’être certes replacées dans la situation qui aurait été la leur si le dommage ne s’était pas réalisé, plus encore interdites d’être rétablies dans leur dignité de femmes et d’hommes. Tout le temps que le sujet a été borné par des considérations techniques (et le droit des petits jours en quelque sorte), l’affaire n’a pas fait grand bruit. Et puis lorsqu’il a été posé que le droit au secours n’était pas une élucubration, que le droit pouvait conduire à faire le bien d’autrui, que la réparation du dommage corporel était de principe[2] (une fois le droit des grands jours convoqué pour l’occasion), une nouvelle ère s’est alors ouverte et quelques nouvelles flèches sont venues compléter l’arc procédural des victimes. De proche en proche, un service public concurrent s’est offert à ces dernières.

On accordera certes que des mécanismes de correction et de sauvegarde ont toujours été à l’œuvre quelle que soit la forme qu’ils ont pris (et sans exclusive du reste) telles les solidarités familiales et paroissiales ou bien encore les sociétés de secours mutuel. Il reste que le compte n’a pas été jugé suffisant. Les victimes et l’opinion publique ont demandé qu’un effort plus grand soit fait. Et il faut bien dire que le contexte de la demande, à savoir la multiplication des scandales sanitaires, a rendu entendable cette exhortation.

2. Scandales et exhortation. Ces scandales ont donné à voir qu’une même catégorie de victimes, à savoir les consommateurs de biens médicaux et usagers du système de santé – qui ont subi en masse des dommages corporels et auxquels l’attention sera réservée –, ont été blessés par une même catégorie d’agents économiques, à savoir : les producteurs desdits biens. Ils ont donné aussi à contempler la carence de l’appareil d’État – qu’on croyait providence[3] – à raison des fautes commises par les autorités chargées de la police sanitaire relative aux médicaments. Les juges administratifs ne n’y sont pas trompés, qui sont très justement entrés en voie de condamnation[4]. Rien de très surprenant donc à ce que l’opinion publique ait réclamé à la force gouvernante une couverture spécifique du risque sanitaire de type assistancielle ou bien à base de solidarité[5].

3. Risque sanitaire et assistance. L’assistance, qui a été déployée tous azimuts, a pris des formes des plus originales. L’émoi suscité dans la société civile par le contentieux du sang contaminé, la crise de l’amiante, le scandale du Médiator ou encore l’affaire de la Dépakine a été tel (tandis que l’on déplorait des milliers de victime de semblables faits générateurs) que le législateur a été sommé d’inventer sur le champ de nouveaux dispositifs spéciaux de compensation : sortie de la crise sanitaire et rétablissement de la paix sociale obligeaient manifestement. Le symbolisme de la codification fut même convoqué pour l’occasion pour faciliter la réception par tout un chacun de ces inventions[6].

L’un d’entre eux a consisté à autoriser le juge civil à connaître de l’action en réparation formée par un groupe de personnes victimes en masse d’un semblable accident[7]. Intéressante action qui rationalise l’utilisation des moyens de l’institution judiciaire par le regroupement des victimes d’un même dommage corporel dans un même procès. Hélas pour les personnes concernées, l’introduction en droit interne de l’action de groupe en santé[8] n’a pas apporté grand-chose à la demande d’indemnisation formulée par une cohorte de personnes. C’est que les personnes qui ont consommé des médicaments défectueux valvulotoxiques (cas du Médiator) ou bien encore tératogènes (cas de la Dépakine), qui forment matériellement un groupe de victimes d’un semblable produit de santé, ne sont en vérité qu’une somme d’intérêts individuels…qui ne sauraient jamais être reconnus dans leurs droits respectifs à réparation aussi facilement que le législateur l’avait imaginé. Une fois l’action jugée recevable et le défendeur à l’action reconnu responsable des dommages causés[9], il ne reste certes aux victimes qu’à adhérer au groupe des usagers du système de santé à l’égard desquels la responsabilité du défendeur est engagée pour obtenir réparation de leurs préjudices corporels[10]. Mais c’est sans compter l’exercice par le défendeur de son droit légitime de contester le jugement et d’interjeter appel. Dans de telles conditions, qui ne souffrent pas la discussion sur un plan strictement juridictionnel et à hauteur de principe, comment, dans un délai raisonnable, qui est une nécessité impérieuse en général mais plus grande peut-être dans le cas particulier de la restitution des intéressées dans leur dignité, redonner à chacun ce qui lui revient de droit ?

Alors, comment faire ? Eh bien, en changeant de braquet et en empruntant une autre voie procédurale (à tout le moins), qui consiste à préférer au service public de la justice le service public de la réparation du dommage corporel. Ou bien, pour le dire autrement, en remplaçant des juges par des administrateurs.

3. Juges et substitution. On ne saurait réduire cette substitution à un bien commode remplacement car elle est porteuse à l’analyse d’un changement de paradigme, peut-être même figure-t-elle une révolution. Tandis que, dans un État qui a une Constitution, il n’appartient formellement s’entend qu’aux seuls juges de concilier des intérêts concurrents ou contradictoires dans les conditions prévues par la loi (sans préjudice bien entendu de la liberté laissée aux parties de transiger), il échoit désormais à des administrateurs de procéder. Pour quelle raison ? Parce que le juge et sa procédure sont perçus comme inadaptés, lents et inefficaces (coûteux peut-être bien aussi, les administrateurs étant payés avec quelques maigres indemnités[11]). L’expérience de l’action de groupe en santé est typique de ce point de vue.

C’est très vraisemblablement au nom de cette efficacité supposée de l’Administration que le législateur a progressivement investi cette dernière de dire le droit et de départager les mérites et les torts. Car c’est ce que font très concrètement lesdits administrateurs-experts qui siègent dans les collèges Médiator et Dépakine[12] placés auprès de l’ONIAM : constater l’imputabilité du dommage corporel renseigné par les victimes ainsi que les préjudices causés par la défectuosité du médicament incriminé et, chose faite, émettre un avis sur les responsabilités de toutes les personnes mises en cause (État, laboratoire, médecin spécialiste et médecin généraliste traitants, pharmacien)[13]. Charge ensuite pour les payeurs désignés de formuler une offre d’indemnisation ou pas. Dans ce second cas de figure, dans l’hypothèse où la personne désignée responsable refuse purement et simplement de formuler une offre ou bien si cette dernière est jugée manifestement insuffisante, l’Office est substitué de plein droit, qui doit couvrir le sinistre et demander ensuite le remboursement de ces diligences[14]. Voilà un système administratif assistanciel des plus intéressants pour les victimes, dont le paiement d’un quantum de dommages et intérêts est garanti. Elles ne s’y sont pas trompées, qui en font grand usage (sans préjudice de la saisine en parallèle du juge de la responsabilité, qui n’est pas sans poser des difficultés d’articulation des actions que le législateur n’avait manifestement pas envisagées)[15].

4. Gratuité et biais. Depuis que l’Oniam a été créé[16], ce sont plus de 90.000 dossiers de demandes d’indemnisation qui ont été adressés à ses services toutes missions confondues[17] sans que jamais l’usager du service public sous étude n’ait personnellement déboursé un euro (sauf bien entendu les honoraires éventuellement réglés à un avocat conseil et les frais médicaux restés à charge). Dans le cas particulier, ce sont les assurés sociaux (loi de financement de la sécurité sociale, dotation de l’assurance maladie : 150 Md€) et les contribuables (loi de finances, dotation de l’État : 40,6 Md€) qui paient le prix de l’instruction, de la rédaction de l’avis d’indemnisation (ou de rejet), voire les dommages et intérêts compensatoires. Voilà une première raison suffisante à l’intérêt témoigné par les victimes à ces dispositifs spéciaux. Voilà aussi un premier biais.

Bien que la dotation générale de fonctionnement de l’établissement public soit loin d’être anecdotique, elle est un tout qui ne peut être dépassé à la discrétion de la direction générale. Il y a là une différence notable entre le service public de la réparation du dommage corporel et le service public de la justice, qui ne se donne pas à voir tout de suite. Si l’accès à l’un et l’autre service est gratuit[18], et répondent aux mêmes lois fondamentales, il subsiste une différence majeure. Aucune juridiction ne saurait jamais payer quoi que ce soit à la victime sur son budget de fonctionnement à la différence de l’administration dans le cas particulier. Ordonnateur de la dépense (en simplifiant un peu les choses), l’Oniam peut être amené à verser à la victime un contingent de dommages et intérêts. C’est typiquement le cas du contentieux Dépakine. En pratique, et il a été donné au directeur général de l’Oniam de témoigner devant la représentation nationale[19] et d’attester le refus catégorique d’un laboratoire mis en cause de formuler une offre d’indemnisation à l’aune de l’avis rendu par le collège d’experts. C’est donc l’établissement public qui fait l’avance des fonds et qui se retrouve à devoir gérer un stock de créances subrogatoires de plusieurs millions d’euros. Il est par voie de conséquence entendable que l’office, dont la gestion des deniers publics est contrôlée par le conseil d’administration, scrutée par le juge financier[20] et sanctionnée par le corps d’inspection, soit très regardant à l’heure de liquider les chefs de préjudice. Ce qui fait dire que le compte des victimes n’y est pas (à tout le moins pas complétement) en comparaison avec les indemnités susceptibles d’être accordées par un juge. En bref, que l’établissement public administratif (ou pour être tout à fait exact les tutelles) serait chiche.

5. Liquidation des chefs de préjudice et contingentement. Cette différence de traitement doit retenir l’attention. En équité, et intuitivement, l’existant à quelque chose de critiquable. Voilà que des milliers de personnes dans les affaires précitées ont été très gravement blessées par le fabriquant d’un produit de santé peu ou pas regardant du tout qui ont, de fait, plus à espérer à court terme du service public de la réparation du dommage corporel que du service public de la justice mais qui doivent alors et invariablement abandonner tout espoir d’être mieux lotis, ce qui aurait été raisonnable d’espérer à raison de la saisine d’un juge, qui n’est pas comptable des deniers du défendeur ni de ceux de son assureur de responsabilité.

L’exemple de l’indemnisation des tiers aidants spécialisés est typique de ce point de vue. Tandis que la barémisation indicative de l’Oniam cape l’heure de tierce personne spécialisée à 18 euros[21], des décisions de justice renseignent une pratique bien différente et mieux disante. Il sera répondu que ce ne sont là que les suites du choix fait par les victimes, qui sont priées à l’amiable de consentir des concessions réciproques (art. 2044 c.civ.). Qu’il soit toutefois permis de poser la question de savoir si cette différence de régime ne serait pas constitutive d’une rupture d’égalité de traitement des victimes d’un même dommage corporel collectivement subi avec ça.

En résumé, il y aurait d’un côté, une première catégorie de victimes, celles qui ont les moyens d’attendre le prononcé d’un jugement passé en force de chose jugée (nonobstant le référé provision) ; de l’autre, une seconde catégorie n’en n’ayant pas les moyens du tout et devant alors se contenter d’une indemnisation plus fruste.

Cette présentation volontairement simplifiée à l’extrême choque les cœurs. Elle interroge la pertinence de l’existant et la concurrence organisée entre les deux services publics sous étude. Mais de la simplification à l’extrême au simplisme, il n’y a qu’un pas. Cherchons à mesurer plus finement la pertinence de la substitution opérée.

6. Administrativisation et doutes. Confier l’instruction d’une demande d’indemnisation au service public de la réparation du dommage corporel est gage de facilités tout à fait remarquables. Non seulement le coût des expertises médicales est supporté par l’Office[22] mais une assistance des victimes aux fins de formulation de leur demande respective est offerte. Ce sans compter la pratique bienveillante des collèges d’experts, qui ne se contentent pas d’instruire au regard des seules pièces fournies au dossier mais qui réclament spontanément les documents idoines manquants (soit par la formulation d’une requête adressée au demandeur soit par l’interpellation des professionnels de santé concernés via l’exercice d’une prérogative de puissance publique[23]). Il est bien su que l’expertise médicolégale est la clef de voûte de toute contestation en la matière. Eh bien voilà un autre avantage, probablement l’un des plus remarquables en vérité tant en droit qu’en médecine, du traitement des dommages corporels de masse par un service public idoine. Il réside, d’une part, dans l’hyper spécialisation des médecins et chirurgiens sollicités et, d’autre part, dans l’hyper collaboration de tous les administrateurs appelés à siéger dans les collèges d’experts : professionnels de santé et professionnels du droit[24]. Fait intéressant : la Cour d’appel de Paris a eu l’occasion de fonder un arrêt dans le contentieux évoqué ici à la lumière des expertises faites par les médecins et juristes siégeant dans le collège d’indemnisation Médiator en reprenant à son compte l’expertise amiable proposée[25] dans le cadre de la mission éponyme de l’Oniam.

Demande d’indemnisation après demande, la recherche de l’imputabilité, qui est un exercice des plus difficiles particulièrement lorsque la victime est le siège de quelques prédispositions pathologiques intriquées, est améliorée. Quant à l’imputation et ses suites, c’est un travail, qui est certes réalisé par les experts juristes au vu des règles de droit positif qui gouvernent la réparation du dommage corporel mais possiblement, et autant que de besoin, au vu de chefs de préjudices découverts pour les besoins de la cause (ce qui n’est pas un problème en soi, la nomenclature étant indicative) et principes de la réparation corrigés (ce qui prête plus volontiers à discussion).

7. Invention de règles nouvelles et procès en légitimité. Au regard du strict droit positif, l’hypothèse de travail qui vient d’être décrite constituerait les experts en infraction avec la jurisprudence des cours régulatrices. Pure vue de l’esprit sera-t-on tenté de rétorquer sur le champ : la chose (qui n’est certes pas inimaginable en théorie) ne peut pratiquement pas survenir au risque de brider tout le dispositif en ce sens qu’en pareil cas de figure le défendeur refusera très probablement de formuler une offre d’indemnisation. Seulement voilà, l’Oniam (pris en qualité d’assureur pour compte) est alors substitué de plein droit. N’étant pas autorisé par le législateur à s’opposer à l’avis d’indemnisation, l’office est transformé en débiteur final de la réparation. Quant à l’action subrogatoire, qui est ouverte à l’Office aux fins de remboursement, elle semble bien vaine dans le cas particulier sauf à soutenir que l’invention du collège s’impose à l’évidence pour espérer la condamnation du défendeur. Dans un environnement aussi incertain, et au vu des coûts environnés d’un procès, il se pourrait que l’Office en reste là.

Où l’on voit en fin de compte que les dispositifs sous étude donnent le pouvoir aux experts-administrateurs de se faire juges, déférence gardée alors pour l’exhortation prescrite à l’article 4 du code civil qui ne les concerne pourtant pas, (formellement s’entend). Il y a plus (ou pire, c’est selon) : ces avis d’indemnisation, à raison du caractère amiable du dispositif, sont frappés du secret. Qui les réceptionnera pour en commenter les tenants et les aboutissants ? Qui en dénoncera la défectuosité éventuelle (une défectuosité, l’autre – médicament vs avis) ?

Aucun contrôle de légalité n’a été organisé[26] pas plus qu’aucune analyse doctrinale ne saurait être produite à raison du secret gardé. Un procès d’intention pour acte de pure autorité pourrait-il être fait en conséquence à celles et ceux qui participent à la rédaction des avis d’indemnisation ? Une réponse négative semble devoir s’imposer en ce sens que le défendeur n’est pas obligé de formuler une offre à l’aune de l’avis rendu (encore que l’assureur ou bien la personne responsable encourt une majoration significative des dommages et intérêts dus en cas de résistance mal inspirée)[27] ni la victime contrainte de l’accepter (encore que la perspective d’un procès en responsabilité, des années de procédure, d’attente et le risque pris alors réduisent à peau de chagrin ladite liberté).

En bref, l’appréhension des dommages corporels de masse par un service public idoine n’a pas simplement modifié l’affectation d’un stock de litiges. Elle a donné à voir des cohortes de sujets malades pour les médecins et des séries de questions inédites pour les juristes en un trait de temps de nature à recommander une correction du droit positif. La chose a quelque chose d’assez extraordinaire en ce sens que cela ne se rencontre jamais en pratique. En comparaison avec le nombre de décisions rendues par les juridictions du second degré, le nombre de pourvoi en cassation est faible. La réformation de la jurisprudence prend donc inévitablement de très nombreuses années. Où l’on constate que l’invention de ce service public, qui ne dit pas son nom, interroge à maints égards.

8. Interrogations tous azimuts et pouvoir. Entre autres questionnements nés de l’administrativisation de la couverture des sinistres sériels, il est question de pouvoir, non pas des juges, qui est bien balisé par le Code de procédure civile, qui dispose que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, mais de l’office des administrateurs chargés de dire qui est tenu au paiement de la dette de dommages et intérêts ; office à propos duquel rien n’a été prescrit. Comprenez qu’il n’est écrit nulle part que le collège d’experts rédige l’avis d’indemnisation conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Si la chose allait de soi, et tandis qu’il est de bonne méthode d’être sobre en matière de législation, pour quelle raison le législateur aurait-il alors pris grand soin de rédiger le fameux article 12 du Code de procédure civile et de le ranger dans les principes directeurs du procès ? Le parallélisme des formes n’aurait-il pas commandé qu’on écrivît plus précisément l’office des experts, à tout le moins celui de ceux qui sont compétents en réparation du dommage corporel et en responsabilité médicale (pour reprendre les mots de la loi)[28] ? D’aucuns rétorqueront que des juristes composant nécessairement ces aréopages, la prescription se serait révélée surabondante. Il pourrait être répliqué, d’une part, que ce serait faire peu de cas de la propension des juristes à se jouer des empêchements à agir de tout genre et, d’autre part, qu’il n’est jamais vain de rappeler chacun à quelques résolutions. La présidence de ces collèges d’experts par un magistrat renseigne peut-être l’intention du législateur[29]… Ceci étant dit, le ministère de la santé aurait été bien en peine si l’office des juristes experts avait été déterminé par la loi. C’est que le collège d’experts Médiator a fonctionné plus de quatre années sans aucun juriste autour de la table mais en présence des seuls professionnels de santé (exception faite du président, premier avocat général honoraire près la Cour de cassation, qui ne comptait que pour une voix). Aussi savants que soient les médecins et les chirurgiens, plus particulièrement ceux qui sont experts judiciaires[30], le droit de la réparation du dommage corporel n’est pourtant l’affaire que des seuls professionnels du droit, qui renseignent une formation idoine. On accordera que la défectuosité du médicament ayant été démontrée dans le dossier Médiator et la responsabilité du laboratoire incriminé étant acquise, il ne restait plus qu’à caractériser l’imputabilité du déficit fonctionnel allégué au médicament. Seulement voilà, la science des médecins est l’art des juristes sont faits de notions et concepts irréductibles dont la causalité est très probablement la manifestation la plus éclatante. Tandis que les premiers ont l’expertise rivée sur l’étude des causes qui ont participé de la maladie et concluent (par tropisme) à un partage aussitôt que l’étiologie renseigne une prédisposition de la victime[31], les seconds portent un jugement de valeur sur l’enchaînement causal des faits qui ont concouru à l’entier dommage. Ce dernier jugement s’accommodant mal d’un morcellement du préjudice, l’approche uniciste peut-être préférée. Où l’on constat que la volonté d’aller vite en besogne en la matière a pu ici et là se révéler piégeuse pour les victimes.

9. Intention et déraison ? Il aura fallu plus de quatre années de pratique de l’expertise collégiale et d’exhortations des associations de victimes pour que le ministère de la santé ne se décide à nommer un juriste expert indépendant[32] (à savoir un spécialiste des règles qui organisent la réparation du dommage corporel) non plus seulement des médecins ou des chirurgiens. A l’expérience, la présence de professeurs et praticiens du droit a changé l’économie générale du dispositif et celle de tous ceux qui suivront. Pour preuve, une place bien plus grande sera faite aux juristes à l’occasion de la création du dispositif d’indemnisation des victimes du valproate de sodium (Dépakine)[33].

Avant que le ministère ne modifie la composition du collège benfluorex (Médiator)[34], il y avait bien un juriste dans l’affaire (au côté du président, qui est un magistrat), à savoir : le responsable administratif de la mission Médiator, salarié par l’Oniam. La composition du collège d’experts variant au gré des disponibilités respectivement de chacun de ses membres[35], la présence du responsable de service à chacune des séances d’expertise, qui est prescrite par le Code de la santé publique[36], est de nature à donner un tour inattendu au fonctionnement de l’institution. Deux dispositions d’esprit semblent pouvoir être adoptées (sans qu’elles ne soient totalement exclusives l’une de l’autre) : soit ce dernier se limite à rappeler à chacun des membres présents la jurisprudence initiée au fil des demandes d’indemnisation (possiblement en l’absence de l’un des experts) ; soit l’intéressé mentionne lesdits précédents dans le dessein de caper l’indemnisation en standardisant les avis rendus. Il y aurait beaucoup à écrire sur chacune de ces modalités d’assistance dans un contexte qui ne transparait pas facilement des dispositions applicables à la cause, à savoir que c’est cette dernière personne qui a la responsabilité de formuler concrètement une offre d’indemnisation à chaque fois que l’Oniam se retrouve dans l’obligation d’indemniser la victime. Voilà une très intéressante pratique, qui a été abandonnée en cours de route par l’Office (sans qu’on n’ait pu mesurer sa pertinence), que la présence de l’assureur public au stade de l’instruction de la demande d’indemnisation.

Mais il y a très certainement plus à dire encore d’une autre invention. Après avoir constaté une nouvelle fois que le dispositif Médiator ne donnait pas entière satisfaction aux dires des associations de victimes[37], le législateur a autorisé le collège d’experts à rouvrir de son propre chef l’instruction des demandes d’indemnisation ayant pourtant fait l’objet d’un premier avis de rejet[38]. Et d’étendre cette faculté aux membres du collège d’experts Dépakine[39]. L’intention est louable, qui offre aux personnes concernées un réexamen de la demande « en cas d’éléments nouveaux ou bien d’évolution des connaissances scientifiques ». Seulement voilà : les bons sentiments n’inspirent pas nécessairement les plus heureux commandements. Dans le cas particulier, et sans même disserter plus avant sur la constitutionnalité douteuse de cette saisine proprio moutu[40], aucune condition n’a été prescrite qui garantit l’égalité de traitement, le respect du principe du contradictoire (qui est pourtant censé guider l’instruction au sens de l’article L. 1142-24-4 du Code de la santé publique et des principes directeurs du procès[41]) et prévient l’appréciation discrétionnaire des experts. Sans douter de l’indépendance et l’impartialité des administrateurs concernés, il reste que ces derniers, qui sont investis de l’analyse ex post des avis de rejet, ont donc tout pouvoir sur le dispositif (qu’il s’agisse du principe de la réouverture comme de ses modalités) sans même n’avoir jamais reçu mandat des victimes.

10. En guise de conclusion intermédiaire, car cette contribution ne saurait épuiser le sujet, l’administrativisation de la réparation des dommages corporels de masse ne devrait pas être continuée sans, au préalable, qu’une évaluation critique et systématique n’ait été faite, sans qu’aient été appréciés les tenants et les aboutissants de ces dispositifs sui generis inventés dans la précipitation pour répondre au plus pressé à la demande des nombreuses victimes concernées et faire cesser une première crise sanitaire puis une autre. De lege ferenda, et en parallèle, un groupe de travail pourrait être constitué qui aurait pour tâche d’évaluer pour le compte de l’inspection générale des affaires sociales la pertinence de quelques systèmes substitutifs d’inégales ampleur et ambition.

11. Substitution et prospective. Une approche radicale teintée de conservatisme consisterait à faire machine arrière en réaffectant la compensation des dommages corporels de masse au service public de la justice, au prix de quelques aménagements toutefois.

Une juridiction spéciale et unique pourrait être désignée à cet effet auprès de laquelle les demandes formulées en nombre par des justiciables d’un même fait dommageable seraient concentrées. Ce mode de traitement d’un contentieux technique et important en volume n’est pas nouveau[42]. La Cour d’appel de Paris est par exemple spécialement désignée pour connaître des actions engagées en matière d’indemnisation des victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d’immunodéficience humaine contre l’Oniam[43]. Une autre cour connaît du contentieux de la tarification des risques professionnels traité[44]. La juridiction pourrait être échevinale (à la manière des anciens tribunaux de la sécurité sociale), et composée de juristes experts dans la réparation du dommage corporel, dont la décision pourrait être éclairée par un collège de professionnels de santé idoine chargé de l’expertise médico-légale.

La compensation pourrait tout aussi bien être la responsabilité d’une commission spécialement constituée à cet effet. Le droit de l’indemnisation des victimes d’infractions pourrait à cet égard se révéler des plus inspirants, qui dispose que les commissions ont le caractère de juridictions qui se prononcent en premier ressort au sens de l’article 706-9 du Code de procédure pénale. La « rejudiciarisation » du contentieux d’offrir alors une série de garanties et de facilités faisant défaut à ce jour (mise en état, expertise en présence de la victime, obligation in solidum des codébiteurs entre autres) mais interdisant aux victimes d’être indemnisées dans des délais raisonnables sauf à défendre que la décision aurait vocation à être rendue en dernier ressort, ce qui ne semble pas pouvoir être envisagé en droit processuel.

Plus en phase avec les choix de politique juridique qui ont été récemment exprimés, mais sans faire l’économie de quelques innovations, la compensation pourrait tout aussi bien rester dans le giron du service public de la réparation du dommage corporel réformé autant que de besoin. Un fonds d’indemnisation pourrait alors être créé ou bien l’Oniam autrement doté. Financé par une taxation des producteurs de médicaments à la manière du mode de financement du fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (en bref et en fin de compte par les consommateurs de produit[45]), il offrirait à chacune des victimes, qui rapporterait la preuve de la prise d’un médicament incriminé, un contingent de dommages et intérêt compensatoires. Une réparation forfaitaire[46] pourrait être imaginée qui serait alors calculée par un système d’information régulé[47]. Charge serait alors faite à la victime de rechercher autant que de besoin un complément d’indemnisation devant le juge de la réparation et la juridiction ad hoc renforcée dans ses démarches par l’expertise médico-légale réalisée (v. supra).

Ceci pour suggérer en fin de compte que si l’on souhaite donner à l’administrativisation de la réparation des dommages corporels subis par une foule de victimes un tour plus ambitieux pour mieux la démarquer de la judiciarisation du contentieux (pour autant que l’on soit convaincu de la pertinence de la distinction des actions naturellement) alors un pas vers la standardisation de la réparation ne devrait pas manquer d’être fait, qui serait gage d’une égalité de traitement, d’une amélioration de la productivité du service public et de l’accélération du paiement de la créance de dommages et intérêts compensatoires[48].

C’est une thèse qui a été esquissée il y a déjà une quinzaine d’années[49] qui trouve ici une nouvelle expression, fruit de l’encouragement constant de l’auteur de ces quelques lignes par le dédicataire à la libre recherche scientifique (du maître à penser…), le tout avec une exigence qui n’a d’égale que la bienveillance dont le professeur Fabrice Leduc a toujours su faire preuve. Puissions-nous être dignes de la formation reçue et de la confiance témoignée sur tous les plans de la carrière (au maître à passer).


  1. J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, Les personnes, La famille, l’enfant, le couple, 27e éd., PUF, 2004, n° 199, p. 388 (philosophie). ?
  2. V. not. en ce sens notre thèse, L’influence perturbatrice du dommage corporel en droit des obligations, préf. F. Leduc, bibl. dr. pr., t. LGDJ, 2008, nos 249 et s. ?
  3. J. Bourdoiseau, Le service public de la réparation du dommage corporel, Resp. civ. et assur. avr. 2023, dossier n° 7. ?
  4. L’affaire du Médiator (benfluorex) est typique : CE, 1 et 6e ch. Réunies, 09 nov. 2016, n° 393108, n° 393902, n° 393904, publiés au recueil. Celle de la Dépakine (valproate de sodium) tout autant : TA Montreuil, 8e ch., 23 juin 2020, n° 1704275, n° 1704392, n° 1704394. Voir notamment sur le sujet : S. Brimo, La responsabilité administrative, dernière victime du Médiator, Ajda 2014. 2490. J. Petit, L’affaire Médiator : la responsabilité de l’Etat, Rfda 2014.1193. ?
  5. V. également S. Porchy-Simon, L’incidence en droit français du caractère collectif de l’événement sur le préjudice réparable et son évaluation in Les dommages de masse, recueil des travaux du Groupe de recherche européen sur la responsabilité civile et l’assurance, 2022, Bruylant, p. 271 s. ?
  6. Indemnisation des victimes en masse de risques sanitaires : art. L. 1143-1 c. santé publ. Indemnisation des victimes du benfluorex (Médiator notamment) : art. L. 1142-24-1 et s. C. santé publ.. Indemnisation des victimes du valproate de sodium ou de ses dérivés (Dépakine notamment) : art. L. 1142-24-9 C. santé publ. V. encore pour l’indemnisation des victimes de pesticides, les articles L. 491-1 et s. C. sécu. soc. ensemble les articles L. 723-13-3 C. rur. ?
  7. Pour aller plus loin, A. Guégan, Dommages de masse et responsabilité civile, préf. P. Jourdain, Bibl. dr. pr., t. 472, LGDJ, 2006. ?
  8. Loi n° 2016-21 du 26 janv. 2016, art. 184 – n° 18 nov. 2016, art. 90. ?
  9. Tj Paris, 05 janv. 2022, n° 17-07.001. ?
  10. Art. L. 1143-3 C. santé publ. ?
  11. R. 1142-63-4, al. 2 c. santé publ. ?
  12. C’est également la mission confiée aux experts chargés de l’indemnisation des victimes de pesticides (art. L. 491-1 et s. c. sécu. soc. ensemble art. L. 723-13-3 c. rur.). ?
  13.  Le singulier est employé ici. Il n’est pas rare du tout que plusieurs laboratoires soient concernés ainsi que plusieurs médecins spécialistes ou généralistes traitants (notamment ceux qui renouvellent les ordonnances lorsque la permanence des soins est suspendue). Il en va de même concernant les pharmaciens. Occasion de faire remarquer que l’administrativisation de ce contentieux interdit de lier le sort des personnes désignées responsables aux termes de l’expertise médico-légale. Où l’on déplore que la victime (qui n’est pas nécessairement assistée par un avocat) ne profitant pas du régime juridique favorable de l’obligation in solidum se voit adresser autant d’offres d’indemnisation que de personnes désignées responsables par le collège d’experts concerné. ?
  14. Art. L. 1142-24-7 et L. 1142-24-17 c. santé publ. ?
  15. 1ère difficulté : l’articulation entre la procédure amiable et la procédure contentieuse. Question : le collège d’experts doit-il sursoir à statuer ? Réponse : certainement pour toute une série de raisons que le cadre limité de cette contribution ne permet pas de développer. 2nde difficulté : l’articulation entre la décision rendue par le juge administratif (en capacité de produire un jugement plus rapidement que son homologue judiciaire) et celle rendue par le juge civil. Difficultés d’articulation nées de l’ingénierie remarquable des avocats conseils qui n’ont jamais tenus pour exclusifs (à juste raison) les dispositifs spéciaux d’indemnisation insérés dans le Code de la santé publique. Où l’on constate que le contentieux de la réparation du dommage corporel gagnerait très possiblement à être unifié. Ce sans compter que le juge administratif n’est toujours pas disposé à condamner solidairement l’Etat (v. not. en ce sens, J. Bourdoiseau et B. Lavergne, La contribution à la dette de réparation in N. Albert, F. Leduc et O. Robin-Sabard, Droits privé et public de la responsabilité extracontractuelle, étude comparée, LexisNexis, 2017, pp. 270 et s.), pas plus que les collèges d’experts ne sont autorisés à procéder de la sorte, ce qui complique sacrément la parcours de la victime aux fins d’indemnisation et renchérit (sur un plan plus macroéconomique) bigrement le prix de la réparation intégrale (ce qu’une analyse économique permettrait de renseigner plus finement). ?
  16. Loi n° 2002-304 du 4 mars 2002 rel. aux droits des malades et à la qualité du système de santé. ?
  17. Oniam, rapport d’activité pour 2022, https://www.oniam.fr/indemnisation-accidents-medicaux/rapport-d-activite. ?
  18. F. Douet, E. le Noan et R. Pellet, La fable de la gratuité des services publics, tribune, Les échos, 09 mars 2024. V. toutefois la parenthèse de la contribution pour l’aide juridique de la loi n°2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011, art. 54 (création d’un article 1635 Q CGI supprimé par la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, art. 128). ?
  19. Assemblée nationale, commission des affaires sociales, audition, 11 oct. 2023. ?
  20. Pour mémoire, les anciens directeur, directeur juridique et secrétaire général de l’Oniam ont été condamnés par la Cour de discipline budgétaire et financière à raison de fautes de gestion (arrêt du 10 déc. 2020, n° 245-801). ?
  21. Office, Référentiel indicatif d’indemnisation, avr. 2022, p. 9. Contra, CE, 5e et 6e ch. réun., 27 mai 2021, n° 433863. Décision du Conseil d’Etat qui rappelle l’obligation faite au juge administratif de déterminer le montant de l’indemnité réparant le préjudice corporel en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir et sanctionne l’application (mécanique ou standardisée pourrait-on dire) d’un taux de 13 euros de l’heure (qui est le prix de la tierce personne non spécialisée offert par l’Oniam). ?
  22. Voir not. art. L. 1142-24-4 et L. 1142-24-11 C. santé publ.. ?
  23. Art. par exemple art. l. 1142-24-11 C. santé publ.. ?
  24. Collaboration tout à fait remarquable en comparaison avec ce qui se pratique en judiciaire où l’expert et l’avocat ne sont pas du tout placés sur le même plan au sens de l’article 276 du code de procédure civile. ?
  25. CA Paris, ch. corr., 20 déc. 2023, n° 21/04654. V. infra. ?
  26. Sauf bien entendu la possibilité laissée aux personnes intéressées de contester l’avis à l’occasion d’une action en indemnisation introduite devant une juridiction (art. L. 1142-24-5, al. 3 et L. 1142-24-12, al. 5 c. santé publ.). ?
  27. V. par ex. art. L. 1142-24-7, al. 4 C. santé publ. ?
  28. V. par ex. art. R. 1142-63-1, 2° C. santé publ.. Cmp art. R. 1142-63-18, 3° C. santé publ.. ?
  29. A noter que les ministères concernés ont nommé des années durant à la présidence des collèges sous étude des magistrats à la retraite (sans faire aucune offense à leurs compétences attestées en la matière) (Médiator – président Alain Legoux : décret 14 mai 2011, JO n° 0115 du 18 mai 2011 ensemble arr. 19 juin 2023, JO n° 0144 du 23 juin 2013. Présidente Magali Bouvier : arr. 15 janv. 2015, JO n° 0022 du 27 janv. 2015 ensemble arr. 1er juin 2016, JO n° 0129 du 4 juin 2016. Dépakine – président Jean Mazars : décret 08 juin 2011, JO n° 0134 du 10 juin 2011 ensemble arr. 05 juill. 2017, J0 n° 0159 du 08 juill. 2017). Ces derniers de changer d’approche en 2020. C’est désormais un magistrat en activité qui préside le collège Valproate de sodium – Dépakine (président Christophe le Gallo : arr. 20 août 2020, J0 n° 0205 du 20 août 2020 ensemble arr. 12 juin 2020, JO n° 0148 du 17 juin 2020). Ce qui est assez significatif en raison de l’augmentation par voie de conséquence des coûts de fonctionnement de l’instance. ?
  30. Comprenez que ce n’est donc pas le cas de tous les experts qui siègent dans ces collèges. ?
  31. A l’aide de la savante formule ou du score dit de Balthazar, qui peut donner au profane le sentiment d’une évaluation scientifiquement imparable du déficit fonctionnel renseigné. ?
  32. Arr. du 5 novembre 2014 portant nomination des membres du collège d’experts placé auprès de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Pour mémoire, la mission Benfluorex a été confiée à l’Oniam en 2019 (loi n° 2011-900 du 29 juill. 2011, de finances rectificative pour 2011, art. 57 (V). Arr. 30 sept. 2015, JO n° 0238 du 14 oct. 2015. Arr. 19 nov. 2020, JO n° 0284 du 24 nov. 2020. ?
  33. Arr. 26 juin 2017, JO 0159 du 08 juill. 2017. Arr. 24 juill. 2020, JO n° 0192 du 06 août 2020. ?
  34. Prétexte pris de la lettre du texte, qui impose la désignation d’une personne compétente en réparation du dommage corporel (art. R. 1142-63-1, 2° C. santé publ.), le collège a accueilli à son démarrage et des années durant sur ce poste un professionnel de la médecine légale. Les travaux préparatoires ne laissaient pourtant aucun doute sur l’intention du législateur qui entendait qu’un juriste soit désigné. ?
  35. Raison pour laquelle le ministère nomme par arrêté des titulaires et des suppléants. ?
  36. Art. R. 1142-63-5 : « Le secrétariat du collège est assuré par l’office (al. 1). A ce titre, le directeur de l’office assiste aux réunions du collège, sans voix délibérative. Il peut se faire représenter ou assister par toute personne de son choix (…) » (al. 2). V. également en ce sens, l’article R. 1143-63-22 C. santé publ. (Dépakine). ?
  37. Michel-Dominique Courtois, La colère du président de l’Association des victimes de l’Isoméride et du Médiator, édito, le Parisien, 03 oct. 2013, https://www.victimes-isomeride.asso.fr/ ?
  38. Art. L. 1142-24-5, al. 4 C. santé publ. (issu de la loi n° 2016-41 du 26 janv. 2016 de modernisation du système de santé, art. 187). Pour mémoire, le Gouvernement avait introduit ce dispositif dans un projet de loi de finances rectificative pour 2014 (art. 109 de la loi n° 2014-1655 du 29 déc. 2014) qui a été censuré comme cavalier budgétaire par le Conseil constitutionnel (décision n° 2014-708 DC du 29 déc. 2014, cons. 42-44).
  39. Saisine proprio moutu accordée également au collège d’experts en charge de la mission Dépakine aussitôt que le dispositif a été créé (art. L. 1142- 24-12, al. 6 C. santé publ. ?
  40. Cons. const., décision n° 2013-352 QPC du 15 nov 2013 : LPA, 16 mai 2014 (inconstitutionnalité de la saisine d’office du tribunal de commerce et abrogation de l’article L. 621-2, al. 2 c. com.). ?
  41. Article 14-16 C. proc. civ. in « La contradiction » et article L. 5 C. justice admin. in « Titre préliminaire ». ?
  42. Encore que pour être tout à fait exact ces systèmes de résolution des litiges articulent une phase administrative de première intention et une phase juridictionnelle en seconde détente. ?
  43. Art. L. 311-12 et R. 311-10 C. organisation jud. ?
  44. Art. D. 311-12 C. org. jud. : « La cour d’appel d’Amiens est compétente pour connaître des litiges mentionnés au 7° de l’article L. 142-1 du code de la sécurité sociale ». ?
  45. Consommateurs qui ont inévitablement pris un risque (que toutes les parties intéressées cherchent à réduire au maximum naturellement). Pour mémoire, et la chose est loin d’être anodine, un médicament est une substance ou composition administrée en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier les fonctions physiologiques du patient (art. L. 5111-1 C. santé publ.). A titre d’illustration, la Haute autorité de santé attire régulièrement l’attention des professionnels de santé sur le surdosage en antivitamines K, qui est la première cause des accidents iatrogènes en France (v. la notice renseignée ci-dessous). AVK qui augmentent le risque hémorragique mais qui sont des médicaments indispensables dans la prévention des thromboses (voir par exemple la notice de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé : https://ansm.sante.fr/dossiers-thematiques/les-questions-reponses-des-anti-vitamine-k-avk). Cela étant, et c’est affaire d’économie de la santé, la taxation des médicaments étant élevée (voir par ex. : https://www.leem.org/prix-resultats-et-fiscalite-des-entreprises), il faut avoir à l’esprit que le surcroît de charges serait très vraisemblablement supporté par le patient et, par voie de conséquence, les complémentaires santé (contraintes alors de majorer les primes ou cotisations d’assurance). En bref, la consommation de médicament comptant pour beaucoup dans la consommation annuelle de soins et de biens médicaux (3ème poste de dépenses. Voir par ex. : https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666887?sommaire=7666953), des oppositions tous azimuts ne manqueraient pas de s’exprimer. Aussi faudrait-il imaginer une articulation plus fine des impôts et taxes affectées au financement de la sécurité sociale. ?
  46. Comme c’est précisément le cas de l’indemnisation des victimes de produits phytopharmaceutiques au sens de l’article L. 491-1, al. 6 C. sécu. soc. ?

  47. J. Bourdoiseau, L’intelligence artificielle et la réparation des dommages in Responsabilité civile et intelligence artificielle, Recueil des travaux du Groupe européen de recherche sur la responsabilité et l’assurance, Bruylant 2022. ?
  48. V. sur les prétendus dysfonctionnements de l’Oniam, qui ne redistribuerait qu’en partie les crédits alloués aux fins d’indemnisation des victimes de la Dépakine et de façon trop tardive (30 mois après qu’un avis d’indemnisation aurait été rédigé), la question orale posée par le sénateur Klinger au ministre délégué auprès du ministre du travail, de la santé et des solidarités (JO Sénat du 28 mars 2024, p. 1244). ?
  49. J. Bourdoiseau, thèse préc. V. encore du même auteur : La réparation algorithmique du dommage corporel : binaire ou ternaire ?, Resp. civ. et assur. mai 2021, étude n° 7 – L’intelligence artificielle et la réparation des dommages, op. cit. – L’intelligence artificielle, la réparation du dommage corporel et l’assurance : quel apport de l’IA à la réparation du dommage corporel, Dalloz IP/IT, sept. 2023, pp. 11 et s. ?

(Article publié dans les mélanges F. Leduc, LexisNexis, févr. 2025)

La réparation intégrale du dommage corporel : chimère utopie et réalité

« Ce qu’est le droit, c’est ce que nous croyons être le droit »

Emmanuel Lévy

Il est un principe en droit français, c’est celui de la réparation intégrale du dommage corporel[1]. Des études comparatives des droits nationaux ont du reste montré que la réparation était intégrale dans l’Europe toute entière[2]. Ce n’est pas à dire toutefois que ce principe d’application générale n’est pas assorti de dérogations. En France, par exemple, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle n’est pas indemnisée complètement. La loi plafonne les revenus de remplacement et énumère limitativement les chefs de préjudices indemnisables[3]. La restitutio in integrum du dommage corporel suppose donc, d’une part, que tous les préjudices qui résultent de l’atteinte à l’intégrité physique soient pris en considération et, d’autre part, que chacun d’entre eux soit indemnisé.

Pour ce faire, il a d’abord fallu mettre un terme à une pratique qui consistait à allouer à la victime une indemnité « toutes causes de préjudices confondus ». Il s’est agi ensuite de normaliser les pratiques : les tiers payeurs, les assureurs, les fonds d’indemnisation et de garantie recourant à des nomenclatures des chefs de préjudices corporels distinctes. Saisi d’une terminologie parfois fantaisiste, le juge était alors contraint de rechercher la substance véritable du préjudice allégué…avec le risque d’erreur d’appréciation et de flottement notionnel qu’on imagine. Depuis lors, une liste non limitative des postes de préjudices corporels s’est spontanément imposée à tout un chacun. C’est désormais l’assentiment général.

De fait, la nomenclature dite Dintilhac est pratiquée par tous les experts en réparation du dommage corporel (médecins-conseils, assureurs, experts judiciaires, avocats, fonds d’indemnisation et de garantie, juges administratifs et judiciaires). Et pour accuser un peu plus cette normalisation, et taire les quelques discussions qu’elle prête encore à la marge, il est proposé d’ajouter un article 1269 nouveau au Code civil, qui disposerait : « Les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux résultant d’un dommage corporel sont déterminés, poste par poste, suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudices fixée par décret en Conseil d’État. »[4] En bref, et c’est l’important, toutes les personnes concernées par la réparation du dommage corporel sont à présent guidées dans leur office respectif par un inventaire qui comporte (pour l’heure) quelques 29 postes de préjudices. Ceci étant, pour qu’il y ait réparation intégrale, il faut encore que l’indemnisation accordée soit égale au préjudice subi. C’est que l’étendue de la réparation est gouvernée par un principe d’équivalence entre la réparation et le dommage. Or, cela est pour ainsi dire infaisable particulièrement lorsque la victime est le siège d’une atteinte à son intégrité physique.

Par hypothèse, et relativement à toute une série de chefs de préjudices corporels, il n’est pas possible d’accorder une réparation intégrale au sens mathématique du terme. Mis à part les quelques chefs de préjudices patrimoniaux actuels, subis avant que le débiteur des dommages et intérêts compensatoires ne soit désigné (au terme d’une transaction ou d’un procès), et sous réserve que la victime établisse leur étendue exacte (ex. : dépenses de santé actuelles, pertes de gains professionnels actuels), aucun autre chef de préjudice corporel ne peut donner lieu à une réparation intégrale à proprement parler. Il ne peut s’agir au mieux que d’une réparation approximative. C’est typiquement le cas de l’indemnisation des pertes de gains professionnels futurs, de l’incidence professionnelle ou encore du préjudice scolaire universitaire ou de formation. Dans ces trois cas de figure, il est franchement conjectural de savoir avec précision quelle aurait été la situation de la victime si l’acte dommageable ne s’était pas produit. Ceci étant, on a justement écrit qu’il n’était pas saugrenu de « formuler des hypothèses concernant l’avenir »[5]. L’évaluation de la réparation ne se fait certes plus sur la base d’un calcul arithmétique, mais sur la base d’une estimation[6]. Ce n’est pas à dire qu’elle serait dénuée de toute considération objective. Bien au contraire. Concrètement, les dommages et intérêts sont liquidés au terme d’un raisonnement de type probabiliste. Quant à soutenir qu’il y aurait, dans le cas particulier, violation du principe de réparation intégrale, on aura garde de se souvenir que « le propre de la responsabilité, dit la Cour de cassation, est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage (et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu) »[7]. Au fond, une réparation à peu près équivalente au préjudice subi reste, en droit, une réparation intégrale. C’est dire que « le droit n’a pas la rigueur des mathématiques » (F. Leduc). Mais s’agissant en revanche des chefs de préjudices extrapatrimoniaux, qui indemnisent nécessairement une souffrance endurée, il n’y a aucune espèce d’équivalent envisageable. Aussi bien « les avantages de simplicité et d’objectivité dont le principe (sous étude) peut se réclamer (…) disparaissent totalement »[8]. Et dans la mesure où l’évaluation de la réparation des préjudices non économiques est nécessairement arbitraire, on ne saurait garantir aux victimes une égalité de traitement.

Au terme de ces quelques considérations liminaires, une conclusion intermédiaire peut être proposée. À la question : la réparation intégrale a-t-elle une signification appliquée au dommage corporel, la réponse est ambivalente, à tout le moins en théorie. Certainement, peut-on répondre, toutes les fois qu’il s’agit d’indemniser un chef de préjudice patrimonial. Certainement pas, en revanche, à chaque fois qu’il s’agit de compenser un chef de préjudice extrapatrimonial[9]. En disant cela, il est signifié que la réparation in integrum a en principe un sens et que c’est par exception qu’elle le perd. À la réflexion, et réserve faite des quelques chefs de préjudices patrimoniaux actuels, il se pourrait qu’elle n’en ait en définitive aucun, et ce quelle que soit la nature du préjudice subi. L’hypothèse de travail est que la réparation intégrale du dommage corporel oscille pratiquement entre illusoire (à tort) et illusion (à raison).

À l’expérience, le droit vivant de la réparation du dommage corporel est perfectible, à telle enseigne qu’une fois le processus d’évaluation du dommage corporel arrivé à son terme, si tant est qu’on le puisse toujours, la réparation du dommage corporel ne saurait jamais être à proprement parler intégrale. Autrement dit, et c’est ce qui sera soutenu en premier lieu, la réparation intégrale est illusoire (I). Ce pourrait-il qu’il en soit autrement ? Possiblement pas. Sur cette pente, il sera défendu en second lieu que la réparation intégrale est une illusion (II).

I.- L’illusoire réparation intégrale du dommage corporel

La réparation intégrale du dommage corporel est illusoire pour au moins deux séries de raisons. D’une part, la preuve du dommage corporel est diabolique (A). D’autre part, l’évaluation du dommage corporel est redoutable (B).

A.- La preuve diabolique du dommage corporel

La preuve du dommage corporel est diabolique tant en médecine (1) qu’en droit (2).

1.- Preuve du dommage corporel et médecine

Le système français légal de la preuve ne souffre pas la discussion : la victime doit prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention (C. proc. civ., art. 9). Et le Code de procédure civile d’exiger plus précisément que l’intéressée remette sans délai à l’expert tous les documents que celui-ci estime nécessaire à l’accomplissement de sa mission (art. 275). Rapporter la preuve du dommage corporel n’est pas ce qui est le plus compliqué. Prouver en revanche que l’atteinte n’est pas un malheur qu’on ne saurait imputer à qui que ce soit ou, pour le dire autrement, démontrer que la victime n’est pas l’entité sacrificielle d’une catastrophe anonyme, c’est là bien plus difficile. C’est qu’il importe au demandeur d’attester qu’il a consommé les soins et/ou les produits de santé incriminés.

Le Code de santé publique dit utilement que « toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quel que titre que soit, par des professionnels et établissements de santé (…) » (C. santé publ., art. L. 1111-7). Si la victime n’est pas en mesure de présenter son dossier médical ou son dossier pharmaceutique au soutien de son action en réparation, elle peut toujours prier celui ou celle qui détient les informations la concernant de les lui communiquer.

À l’expérience, le dispositif n’est pas satisfaisant. D’abord, il s’agirait que lesdites informations n’aient pas été détruites. Or, le dossier médical du patient n’est conservé que vingt années durant (C. santé publ. art. R. 1112-7). Ensuite, il s’agirait que le détenteur accède à la demande du patient. Or, la rétention est tentante pour prévenir une éventuelle mise en cause[10]. Elle n’est du reste pas sanctionnée par le Code de la santé publique. Et le demandeur d’être alors contraint de saisir, selon le cas de figure, qui la Commission d’accès aux documents administratifs, qui le conseil départemental de l’ordre des médecins, qui la Commission nationale de l’informatique et des libertés, qui la commission départementale des hospitalisations psychiatriques. En conséquence, la perspective d’une réparation intégrale pourrait être notablement améliorée en assurant à tout un chacun un accès inconditionnel à ses données de santé. Ce n’est pas à dire toutefois qu’il n’existe aucun dispositif approchant. Simplement, le dossier médical partagé (créé auprès d’un hébergeur de données de santé à caractère personnel et placé sous la responsabilité de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés. C. santé publ., art. L. 1111-14) n’a pas encore l’ampleur escomptée[11].

Au reste, quand bien même la victime serait-elle en capacité de produire in extenso son dossier médical, le fardeau de la preuve ne s’en trouverait pas nécessairement allégé. Il s’agirait encore que l’examen médical soit probant. Or, il faut bien voir que de nombreux examens médicaux sont invariablement opérateurs-dépendants. C’est typiquement le cas de l’imagerie médicale et de l’échographie en particulier. Si le praticien n’est pas au fait des données acquises de la science et de la technique, l’examen ne sera possiblement d’aucun secours. Le développement professionnel continu des professionnels de santé est en l’occurrence une préoccupation de premier plan (C. santé publ., art. L. 4021-1) : c’est qu’on ne trouve que ce que l’on cherche ; et qu’on ne cherche que ce que l’on connaît[12].

De surcroît, quelques autres examens ont une valeur probatoire remarquable, seulement le Code de déontologie médicale déclare que le médecin doit limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins[13]. Et, au risque de se mettre en délicatesse avec ses obligations, le professionnel de santé peut être des plus hésitants à l’idée de prescrire un examen certainement probant mais par trop invasif et/ou possiblement mortifère[14].

La preuve du dommage corporel n’est pas qu’affaire de médecine et de science. C’est aussi affaire de droit et d’art.

2.- Preuve du dommage corporel et droit

Il importe que la victime puisse utilement défendre sa cause. La preuve du dommage corporel ne souffre pas l’amateurisme (quand bien même serait-il éclairé). C’est dire que l’intéressée doit être, en tout état de cause, représentée. À quoi bon soutenir que la réparation allouée est intégrale s’il s’avère que la médiocrité des dommages et intérêts alloués (voire selon le cas de figure arrachés au débiteur) interdit concrètement le rétablissement de la victime. Les juristes savent qu’il importe de prendre attache avec des femmes et hommes de l’art, en l’occurrence des avocats-conseils spécialisés en droit du dommage corporel tandis que les profanes ignorent possiblement tout. De salutaires associations pallient certes, peu ou prou, l’absence d’information des victimes. Il reste que, à hauteur de principe, ces dernières gagneraient à être autrement mieux avisées. À l’expérience, les mentions de spécialisation des avocats-conseils sont mal connues[15]. Et, quand bien même le seraient-elles, il importerait encore que la victime sache que les règles qui gouvernent la réparation du mal dont elle est atteinte sont rangées sous la bannière « droit du dommage corporel ».

C’est que les mots du droit forment un écran linguistique pour qui n’a pas été initié à ce système de signes[16]. Par hypothèse, la victime n’est pas qualifiée pour formuler justement son besoin de droit. Pour peu qu’elle ne soit autorisée à ne l’exprimer que par écrit, comme c’est précisément le cas des victimes du Benfluorex (Médiator) qui ne sont indemnisées que sur la foi des pièces médicales produites – i.e. sans qu’elles n’aient été interrogées en personne par les experts[17] –, la barrière logomachique peut s’avérer plus grande encore. Or, c’est d’autant plus fâcheux dans le cas particulier que la matière est faite de mille et une chausse-trappes.

Le caractère redoutable de l’évaluation du dommage corporel l’atteste.

B.- L’évaluation redoutable du dommage corporel

L’évaluation du dommage corporel est redoutable pour deux séries de raison au moins qui tiennent, d’une part, aux experts désignés (1) et, d’autre part, aux outils employés (2).

1.- Évaluation et experts

L’évaluation par l’expert du dommage corporel est la clé de voûte de tout le dispositif. L’expertise est censée permettre à la personne chargée de prendre une décision (le régleur ou le juge) de le faire en toute connaissance de cause. En vérité, c’est un exercice « particulièrement difficile et périlleux tant pour l’expert, qui est le plus souvent tenté de se substituer au juge, que pour celui-ci, qui doit s’appuyer sur une expertise sans lui abandonner la décision »[18]. Les processualistes considèrent justement que « le technicien construit les faits en les nommant et opère ainsi une véritable pré-qualification des faits »[19]. En conséquence, il importe que la compétence du médecin expert soit agréée.

Or, il est remarquable de souligner que la qualité du technicien est acquise sur la foi d’une simple inscription sur une liste d’experts dressée, qui par une cour d’appel, qui par le bureau de la Cour de cassation. Autrement dit, la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires n’exige pas que les intéressés justifient d’une compétence accusée dans leur domaine de spécialité en général ni dans l’évaluation du dommage corporel en particulier. La saisine a priori du conseil départemental de l’ordre des médecins n’a aucune espèce d’incidence de ce point de vue. L’incompétence technique tant en médecine qu’en droit sourdre.

La loi exhorte pourtant le médecin expert à se récuser s’il estime que les questions qui lui sont posées lui sont étrangères[20] ou bien à recueillir des informations auprès d’un tiers sapiteur qu’il s’adjoint[21]. À l’expérience, il n’en va malheureusement pas toujours ainsi[22]. Pour peu, de surcroît, que la victime n’ait pas su s’agréger les compétences d’un avocat-conseil particulièrement avisé, la réparation ne sera vraisemblablement intégrale, peu importe la nature des chefs de préjudices soufferts, que parce que le droit aura habilité une autorité à dire qu’il en est ainsi.

La victime, le droit et la justice gagneraient à garantir que les personnes, à savoir tant les médecins que les juristes, sont assurément les mieux inspirées en réparation du dommage corporel. C’est qu’il faut bien voir encore que les outils de l’évaluation dudit dommage sont d’un maniement fort délicat.

2.- Évaluation et outils

De prime abord, l’évaluation médicale du dommage corporel est une question qui paraît étrangère aux préoccupations du juriste et ne semble intéresser que le médecin-expert. Après tout, c’est de description médicale et technique du dommage corporel dont il s’agit. En vérité, et les praticiens du dommage corporel le savent bien, l’expertise médicale est déterminante, car elle a pour objet de décrire la réalité de l’atteinte dont la victime est le siège. C’est, pour le dire autrement, l’alpha et l’omega de la réparation intégrale du dommage corporel. Il faut bien voir que la détermination des chefs de préjudices subis et l’évaluation monétaire de la créance de réparation sont invariablement liées à la réalité médico-légale décrite par le médecin-expert. L’ennuyant, c’est qu’il n’existe pour l’heure aucun instrument unique d’évaluation des incapacités mais bien plutôt toute une série.

L’hétérogénéité des méthodes d’évaluation est telle qu’il est douteux qu’on puisse valablement employer le singulier pour désigner la compensation des différents chefs de préjudices corporels. Le pluriel sied mieux dans le cas particulier. C’est bien plutôt des réparations intégrales dont il devrait être question. Pour preuve : les mesures de l’atteinte à l’intégrité physique – ou la quantification de l’atteinte aux fonctions de l’organisme – des sujets varient d’un barème médico-légal à l’autre et d’un médecin-expert à un autre. On accordera certes que l’évaluation barémique n’est pas une science exacte[23]. Ce n’est pas à dire qu’on ne puisse améliorer l’existant.

De lege ferenda, il s’agirait que le déficit fonctionnel soit mesuré selon un barème médical unique, indicatif, dont les modalités d’élaboration, de révision et de publication seraient déterminées par voie réglementaire. C’est très exactement la lettre de l’article 1270 du projet de réforme de la responsabilité civile. Il faut s’en féliciter. Le barème n’est pas qu’un vulgaire instrument de mesure. Il a ceci de commode qu’il participe à objectiver l’évaluation. Aussi vertueux que soit le médecin-expert – et la souscription par l’intéressé d’une déclaration d’indépendance peut au passage fortifier ses résolutions[24] -, il peut être aveuglé par ses convictions ou plus volontiers trompé par ses (mé)connaissances[25]. Le barème fait alors office de directives d’interprétation des doléances exprimées par la victime. Couplé nécessairement avec une nomenclature (non limitative) des postes de préjudices, il participe à normaliser la réparation du dommage corporel et à assurer une égalité de traitement.

De lege lata, et en tout état de cause, il importe que le médecin-expert motive son évaluation et ne se contente pas d’une application mécanique ou systématique du barème pris pour référence. Et, dans un ordre d’idées approchantes, l’avocat-conseil ne saurait se satisfaire de l’emploi d’une quelconque formule mathématique. Ni le médecin ni le juriste ne sont des géomètres condamnés par le droit de la réparation intégrale du dommage corporel à l’application servile d’un quelconque théorème[26]. Tout n’est certainement pas arrangé par le nombre (Pythagore). Quant au monde, il ne saurait être mathématique (Villani) [27]. L’incapacité fonctionnelle de la victime est une chose. Ses répercussions sur sa vie de tous les jours en sont une autre. « Il importe encore de prendre en compte l’intensité avec laquelle cette incapacité a pu et peut encore affecter les conditions d’existence de la victime directe, en lui faisant perdre sa qualité de vie et les joies usuelles de la vie courante, en la séparant de son environnement familial et amical, en l’empêchant de se livrer à ses activités sportives ou de loisirs, à une activité sexuelle, en l’affublant de cicatrices, en la faisant souffrir physiquement et psychiquement, ou bien encore en lui retirant tout espoir de réaliser un projet de vie familiale « normal »[28]. Dans la mesure où les contenus respectifs du déficit fonctionnel temporaire et du déficit fonctionnel permanent mélangent tout à la fois un aspect fonctionnel objectif (l’atteinte à l’intégrité du corps humain, une incapacité fonctionnelle) et un aspect situationnel subjectif (les incidences de cette atteinte, de cette incapacité sur la vie de celui qui la subie), l’assistance de l’homme ou de la femme de l’art est déterminante.

La mesure des déficits physiologiques ne doit pas être laissée à la seule appréciation du médecin-expert. Le ministère d’un avocat-conseil, spécialement formé à cet effet, devrait être rendu obligatoire peu important le caractère amiable de la procédure[29]. C’est des conditions du rétablissement de la victime dont il s’agit. Autrement dit, c’est (pour ainsi dire exclusivement) d’argent. Pour ce faire, il importe que l’avocat-conseil ait à l’esprit la représentation monétaire de l’évaluation médicale du dommage corporel et qu’il partage son savoir avec son contradicteur légitime. Grader une souffrance endurée 2 ou 3 sur une échelle graduée de 1 (souffrances très légères) à 7 (souffrances très importantes), pour ne prendre qu’un exemple, peut donner l’impression à celui qui ne sait pas que ce sont là des bavardages. Or, en application du référentiel de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, la maigre indemnité va tout de même en moyenne du simple au double.

Porter la contradiction a maxima, c’est au fond rendre moins illusoire la réparation intégrale du dommage corporel. Est-ce à dire que, ce faisant, ladite réparation pourrait ne plus être une illusion ? Peut-être, mais c’est une espérance qu’il n’est pas souhaitable d’entretenir.

II.- L’illusion de la réparation intégrale du dommage corporel

La réparation intégrale du dommage corporel est une illusion. Pour le dire autrement, le principe de l’équivalence entre la réparation et le dommage est une croyance qui structure la perception des personnes intéressées au nombre desquelles on compte, au premier chef, les victimes.

À l’analyse, la croyance dans le caractère intégral de la réparation est aussi nécessaire (A) que suffisante (B).

A.- Une croyance nécessaire dans la réparation intégrale

La croyance est « une adhésion de l’esprit qui, sans être entièrement rationnelle, exclut le doute et comporte une part de conviction personnelle, de persuasion intime ». Aussi bien la croyance dans le caractère intégral de la réparation allouée est-elle des plus nécessaires dans le cas particulier tant pour la victime (1) que pour tout un chacun (2).

1.- La croyance nécessaire de la victime

La croyance de la victime dans le caractère intégral de la réparation qui lui est allouée est nécessaire. Elle participe d’une philosophie de la résignation, qui ne dit pas son nom. Pour cause : jamais la victime atteinte dans son intégrité physique ne sera complètement replacée dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu. Le dommage corporel étant pour ainsi dire irréversible, l’équivalent accordé sera le plus souvent bien éloigné de l’état antérieur perdu[30]. Par voie de conséquence, sauf à mourir de colère, la victime est nécessairement condamnée à se résigner.

Ce n’est pas à dire pour autant que le principe de réparation intégrale n’est qu’ « un énoncé déclaratif sans réelle portée positive »[31]. D’abord, la croyance chez la victime qu’elle a été intégralement indemnisée et la conviction que ses souffrances ont été endurées peuvent faire possiblement office de cataplasme. Ensuite et surtout la croyance dans le caractère intégral de l’indemnisation allouée s’avère être nécessaire pour tout un chacun.

2.- La croyance nécessaire de tout un chacun

L’observance du principe d’équivalence entre le dommage corporel et la réparation est profitable pour plusieurs raisons. Partant du constat que l’atteinte à l’intégrité corporelle a acquis rang de « summa injuria [mettant] en question la paix sociale »[32], le rétablissement aussi exacte que possible de l’équilibre détruit par le dommage fait figure en quelque sorte de signifiant.

Réparer intégralement le dommage corporel, c’est dire que la justice a été rendue, que les adversaires en conflits ont été séparés, que la société a été apaisée. C’est encore assurer à tout un chacun que le droit s’est appliqué à amoindrir la peine de la victime, qu’il a cherché à indemniser son dommage et toutes ses répercutions. C’est enfin proposer au juge un guide dans sa recherche d’une solution aussi équitable[33] qu’acceptable par tout un chacun. En ce sens un premier président honoraire de la Cour de cassation a pu écrire que « l’office du juge est d’abord de rechercher dans les litiges qui lui sont soumis la solution juste, c’est-à-dire celle qui (…) ne heurte ni sa conscience, ni la conscience collective »[34].

Au fond, « c’est le miracle du droit (en général) que de ne pas se résigner au constat impuissant d’un ineffable (l’irréparable, la douleur), mais de se donner les outils techniques pour tenter d’objectiver et de verbaliser juridiquement toutes les répercutions du dommage dans la vie de la victime »[35]. À l’analyse, le principe de la réparation intégrale du dommage corporel réalise en quelque sorte ce miracle (en particulier).

Croire dans les virtualités potentielles dudit principe est nécessaire. Cela est-il suffisant ?

B.- Une croyance suffisante dans la réparation intégrale

Il a été proposé en doctrine et en jurisprudence de dépasser le principe de la réparation intégrale. Il semblerait qu’il soit plus profitable de révéler que la victime est marquée ad vitam aeternam au fer de l’empreinte indélébile du mal et que son rétablissement ne saurait jamais être complet. La tentation de la vérité est grande (1). On gagnerait pourtant à y résister (2).

1.- La tentation de la vérité

On a écrit au sujet de la faute que « les juristes, pour satisfaire certaines aspirations sans rompre les cadres du droit établi, ont détourné de leur sens les mots ou les institutions, ou créé des fictions. Et quand on vide les mots de leur sens usuel, on n’est pas compris et on n’est plus soi-même maître de sa pensée »[36]. On pourrait écrire la même chose relativement à la notion de réparation intégrale. Pour peu que les dommages et intérêts compensatoires aient pour objet d’effacer entre autres quelques chefs de préjudices extrapatrimoniaux, et la réparation n’aura d’intégrale que le nom. C’est la raison pour laquelle il a été proposé en doctrine de dire une autre vérité, à savoir que la réparation est appropriée[37] ou que la satisfaction est équitable. C’est d’ailleurs dans cette direction de pensée que la Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) s’est récemment prononcée.

Aux termes d’un arrêt remarqué du 25 juin 2013[38], la victime d’un dommage moral obtient de la Cour EDH une satisfaction surnuméraire (Conv. EDH, art. 41). Les juges de Strasbourg considèrent en l’espèce que la réparation allouée par la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction du Tribunal de grande instance de Paris n’est pas de nature à effacer complétement les conséquences de la violation dont le requérant a été le siège. En ce sens, un juge écrit qu’une satisfaction équitable doit être octroyée lorsque l’ordre juridique interne n’a pas permis une réparation intégrale (opinion séparée concordante). L’ennui, c’est que l’article 706-3 du Code de procédure pénale dit très précisément que la réparation allouée est intégrale[39]. En bref, la Cour européenne suggère qu’il n’est pas juste d’affirmer que la réparation d’un chef de préjudice extrapatrimonial est intégrale ni utile de faire croire au complet rétablissement de la victime.

Est-ce à dire qu’on gagnerait à employer une formule moins définitive et illusoire, qui décrirait manifestement mieux le réel ? À la réflexion, rien n’est mois sûr. La notion de réparation intégrale dit bien plus qu’il n’y paraît. Aussi bien doit-on résister à la tentation.

2.- La résistance à la tentation

On a écrit que « le droit n’est pas une simple technique juridique réglant les conflits de la vie ; il est une marche vers ce qui le dépasse : un chemin qui mène aux valeurs fondamentales de l’être (…), un chemin qui mène à la vérité et l’identité profonde de l’homme »[40]. La réparation intégrale du dommage corporel est faite du même bois. On a très justement dit que ce n’est pas parce que l’on sait qu’il n’est pas possible d’offrir à la victime de graves lésions corporelles d’effacer purement et simplement son dommage qu’il ne faut pas, avec lucidité mais détermination, essayer sans relâche d’approcher cet objectif, si ce n’est l’atteindre »[41].

L’objectif est très certainement la complétude de la réparation. Mais c’est aussi une dette de réparation justement calculée sans léser le responsable. La notion de réparation intégrale du dommage corporel est certainement des plus fécondes. Simplement, pour la pratiquer plus justement, il importerait de corriger ici et là quelques unes des règles applicables. C’est qu’« à défaut de droit idéalement juste, du moins faut-il que le droit imparfait dont on dispose soit le même pour tous »[42].

Dans la mesure où il n’est pas de tradition de hiérarchiser les intérêts protégés en général ni les chefs de préjudices corporels en particulier, qui sont tous placés sur un même plan, le droit gagnerait à discipliner le pouvoir d’appréciation du juge relativement à la liquidation des chefs de préjudices extrapatrimoniaux. Concrètement, un référentiel indicatif, à la manière des barèmes indicatifs d’évaluation médico-légale, pourrait se révéler fructueux. Le procédé est bien connu[43]. Le projet de réforme de la responsabilité civile l’emploie du reste[44]. Il s’agit que le quantum de l’indemnisation des chefs de préjudices extrapatrimoniaux ne soit pas discrétionnairement défini par le juge, mais bien plutôt fixé en contemplation de ce qui est ordinairement alloué. Et la loi de réserver au juge la liberté de minorer ou, au contraire, de majorer le montant des dommages et intérêts toutes les fois que les faits de l’espèce le justifient pour peu que la motivation soit spécialement motivée.

Pour conclure, il faut bien voir que la réparation intégrale a encore quelques autres vertus que celles qui viennent d’être présentés. C’est entre autres un discriminant. La notion sert à sérier les régimes d’indemnisation selon qu’ils allouent une réparation forfaitaire ou bien plutôt qu’ils accordent une réparation intégrale. Ce faisant, elle propose un autre « chemin » au législateur et au juge. Le président Dintilhac a eu l’occasion de dire que le principe de la réparation intégrale du dommage corporel était une « utopie constructive ». [45] Se pourrait-il en définitive qu’elle n’ait jamais été rien d’autres ? Nombreuses sont les victimes qui ne recouvreront jamais plus leur pleine capacité. Le droit l’a toujours su. Il en porte distinctement la marque : « le propre de la responsabilité est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu lieu ».

J.B.

[1] Principe général tant du droit civil que du droit administratif de la responsabilité (CE, sect., 19 mars 1971, Mergui : Rec. CE 1971, p. 235, concl. Rougevin-Baville ; AJDA 1971, p. 274, chron. Labetoulle et Caranes ; RDP 1972, p. 234, note Waline). V. aussi Ch. Cormier, Le préjudice en droit administratif français, préf. D. Truchet, Bibl. dr. public, tome 228, L.G.DJ., 2002, pp. 369 et s.

[2] La réparation intégrale en Europe. Études comparatives des droits nationaux (F. Leduc et Ph. Pierre dir.), Larcier, 2012. Voy. aussi D. Gardner, « L’indemnisation du préjudice corporel dans les juridictions de tradition civiliste (rapport général) » in L’indemnisation, Travaux de l’Association Henri Capitant, journées québecoises, 2004, Société de législation comparée, 2008, p. 481. Voy. égal. en ce sens, Ch. Coutant-Lapalus, Le principe de la réparation intégrale en droit privé, préf. F. Pollaud-Dulian, PUAM, 2002, nos 152 et s.

[3] C. sécu. soc., art. L. 431-1 et s. Il en va ainsi depuis la loi du 9 avr. 1898 concernant les responsabilités dans les accidents du travail.

[4] Projet de réforme de la responsabilité civile, mars 2017 :

http://www.textes.justice.gouv.fr/publication/projet_de_reforme_de_la_responsabilite_civile_13032017.pdf

[5] G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, 3ème éd., LGDJ, p. 257, n° 104.

[6] F. Leduc, Juris-cl. civil 201, « Régime de la réparation », nos 59-66.

[7] Cass. 2ème civ., 28 oct. 1954 : JCP G 1955, II, 8765, note R. Savatier.

[8] G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, op. cit., n° 58.

[9] Voy. égal. en ce sens, J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Les obligations, le fait juridique, 14ème éd., A. Colin, 2011, n° 388.

[10] Voy. en ce sens « Expertise des pathologies liées au Benfluorex (Médiator) : bilan à mi-parcours du collège d’experts chargé de se prononcer sur les responsabilités, Archives des maladies du cœur et des vaisseaux, Revue de la Société française de cardiologie », déc. 2015, p. 23, spéc. p. 24.

[11] L’article 5 de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 rel. à l’assurance maladie avait accordé à tout un chacun la faculté de constituer en ligne un dossier médical personnel (art. L. 161-36-1 C. sécu. soc.). Un site Internet dédié avait été crée dans la foulée par le Gouvernement (www. dmp.gouv.fr). Mais, faute de parvenir à généraliser sa pratique, le législateur a fait machine arrière. Le dispositif a été abrogé. Le choix a été fait de le remplacer par le Dossier médical partagé (loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, art. 94. Décret n° 2016-914 du 4 juill. 2016 rel. au dossier médical partagé codifié aux articles R. 1111-26 et s. nouv. C. santé publ.). Le site Internet porte encore la marque de ces tergiversations.

[12] Libre interprétation du paradoxe de Ménon (Platon).

[13] C. santé publ., art. R. 4127-8, al. 2. V. égal. art. L. 1110-5 C. santé publ. et L. 162-2-1 C. sécu. soc. : « Les médecins sont tenus, dans tous leurs actes et prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins. »

[14] C’est typiquement le cas de l’échographie d’effort, de l’échographie trans-thoracique ou du cathétérisme droit d’effort. V. en ce sens, « Expertise des pathologies liées au Benfluorex : bilan à mi-parcours du collège d’experts chargé de se prononcer sur les responsabilités », op. cit., p. 29.

[15] Voy. égal. en ce sens, A. Lienhard, « Réparation intégrale des préjudices en cas de dommage corporel : la nécessité d’un nouvel équilibre indemnitaire », D. 2006.2485, n° 12. À noter encore que les avocats spécialisés ne sont pas des plus nombreux.

[16] V. not. G. Cornu, Linguistique juridique, 3ème éd., Montchrestien, 2005.

[17] C. santé publ., art. L. 1142-24-2.

[18] G. Mor, Évaluation du préjudice corporel, 2ème éd., Delmas, 2014, n° 111.11. À noter toutefois que l’expertise pratiquée à la demande d’une victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ou à celle de la caisse s’impose en principe erga omnes (i.e. requérant, caisse, juge). V. en ce sens : C. proc. civ., art. 246 ensemble C. sécu. soc., art. L. 141-2 ; Cass. soc., 20 janv. 1994, n° 91-14-.984. Les mots font sens ; on dit en pratique que l’expertise a une « force irréfragable » (V. not. Cass. soc., 20 janv. 1994, n° 91-17.282). Il en va différemment en droit des accidents du travail agricoles. Le régime de l’expertise médicale étant celui qui est défini au Code de procédure civile, il ne s’impose pas aux parties et à la juridiction (C. sécu. soc., art. R. 142-39 ; Cass. 2ème civ., 29 juin 2004, n° 02-20.905).

[19] L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 9ème éd., Litec, 2016.

[20] C. santé publ., art. R. 4127-106 (in Exercice de la médecine d’expertise – Déontologie médicale) ensemble C. proc. civ., art. 267, al. 2.

[21] C. proc. civ., art. 264.

[22] Voy. égal. en ce sens G. Mor, Évaluation du préjudice corporel, op. cit., n° 111.15. M. le Roy, J.-D. le Roy et B. Bibal, L’évaluation du préjudice corporel, 20ème éd., Lexisnexis 2015, p. 48.

[23] Voy. égal. en ce sens, Y. Lambert-Faivre et S. Porchy-Simon, Droit du dommage corporel. Systèmes d’indemnisation, 7ème éd., Dalloz, 2012, n° 103, p. 119.

[24] Commission de réflexion sur l’expertise judiciaire, rapport pour 2011. Modèle de « déclaration d’acceptation et déclaration d’impartialité et d’indépendance ». www.justice.gouv.fr/art_pix/rapp_com_reflextion_expertise.pdf

[25] Pendant que quelques autres experts sont mus par quelques autres intérêts…V. en ce sens un rapport de la Cour des comptes, rédigé à la demande de la commission des affaires sociales du Sénat : La prévention des conflits d’intérêts en matière d’expertise sanitaire, mars 2016.

[26] La formule dite de Gabrielli est pratiquée lorsque le fait générateur dommageable a aggravé une incapacité fonctionnelle documentée. Dans la mesure où le défendeur n’est responsable que parce que et dans la mesure où il a causé le dommage, on ne peut valablement le condamner qu’à compenser les chefs de préjudices qui lui sont exclusivement imputables (à tout le moins en principe). Il s’agit concrètement de tenir compte de la capacité initiale réduite (c1) et de la capacité restante (C2). Soit (c1)-c2)/c1. La critique vaut également pour l’indice de Karnofsky ou la règle de Balthazar.

[27] A. Supiot, La gouvernance par les nombres, Cours au Collège de France (2012-14), Fayard, 2015, p. 104.

[28] A. Guégan, « La distinction préjudices temporaires et permanents : l’exemple du déficit fonctionnel in Autour de la nomenclature Dintilhac », Gaz. pal. déc. 2014.

[29] C’est une proposition qui a été faite en son temps par le groupe de travail du Conseil national d’aide aux victimes (Ministère de la justice, 2002). C’est une proposition qui se heurte pour l’instant à la question de la rémunération des diligences de l’avocat.

[30] J. Flour, J.-L. Aubert et É. Savaux, Les obligations, 2.- Le fait juridique, op. cit., n° 387, p. 502.

[31] Voy. sur ce point, J.-B. Prévost, « Aspects philosophiques de la réparation intégrale », Gaz. pal. avr. 2010, n° 100, p. 7.

[32] G. Ripert, Le régime démocratique et le droit civil moderne, 2ème éd., L.G.D.J., 1948, p. 476. Voy. plus généralement J. Bourdoiseau, L’influence perturbatrice du dommage corporel en droit des obligations, préf. F. Leduc, Bibl. dr. pr., tome  513, L.G.D.J., 2008, nos  248 et s.

[33] R. Libchaber, L’ordre juridique et le discours du droit. Essai sur les limites de la connaissance du droit, LGDJ, 2013, n° 173. Voy. égal. Perelman, Logique juridique, nouvelle rhétorique, Dalloz, 1976, p. 172 : « Le droit a pour objet la réalisation dans les sociétés humaines d’un ordre aussi équitable que possible ».

[34] G. Canivet, « La méthode jurisprudentielle à l’épreuve du juste et de l’injuste » in De l’injuste au juste (M.-A. Frison-Roche dir.), Dalloz, 1997, p. 101.

[35] J.-B. Prévost, « Aspects philosophiques de la réparation intégrale », op. cit.

[36] P. Esmein, « La faute et sa place dans la responsabilité civile », RTD civ. 1949, p. 481, spéc. n° 1. Voy. égal. Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit des obligations, 8ème éd., Defrénois, 2016, nos 53, 54.

[37] Ph. le Tourneau e.a., Droit de la responsabilité et des contrats, 10ème éd., Dalloz-Action, 2014-15.

[38] Cour EDH, 25 juin 2013, req. 30812/7, Aff. Trévalec c./ Belgique. Analyse critique O. Sabard, « Le principe de la réparation intégrale menacée par la satisfaction équitable ! », D. 2013.2139.

[39] Et une opinion séparée dissidente de souligner que la réparation accordée par la CIVI visait précisément à couvrir le préjudice causé au requérant par les faits qui ont conduit la cour à conclure à une violation de l’article 2 de la Convention.

[40] Ph. Malaurie, « Pourquoi une introduction au droit », JCP G. 2016.1189, n° 8.

[41] Ph. Brun, « Le droit en principe : la réparation intégrale en droit du dommage corporel », Lamy Droit civil, n° 110. V. égal. en ce sens, G. Viney, P. Jourdain, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, op. cit., n° 58, p. 158.

[42] Ph Jestaz, Le droit, 5ème éd., Dalloz, 2007, p. 17.

[43] V. par ex. Rapport sur l’indemnisation du dommage corporel, juin 2003, p. 32. P. Jourdain et G. Viney, Traité de droit civil, Les effets de la responsabilité, op. cit., n° 152 ; S. Porchy-Simon, « La nécessaire réforme du droit du dommage corporel », mél. H. Groutel, Litec 2006, p. 359, spéc. n° 24.

[44] Art. 1271 : [Un décret en Conseil d’État fixe les postes de préjudices extrapatrimoniaux qui peuvent être évalués selon un référentiel indicatif d’indemnisation, dont il détermine les modalités d’élaboration et de publication. Ce référentiel est réévalué régulièrement en fonction de l’évolution de la moyenne des indemnités accordées par les juridictions. À cette fin,] une base de données rassemble, sous le contrôle de l’État et dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, les décisions définitives rendues par les cours d’appel en matière d’indemnisation du dommage corporel des victimes d’un accident de la circulation.

[45] J.-P. Dintilhac, « La nomenclature et le recours des tiers payeurs in La réparation du dommage corporel », Gaz. Pal. 11-13 février 2007, p. 55.