Le bail d’habitation : domaine d’application de la loi

Les règles prescrites par la loi n° du 6 juillet 1989 tendant à l’amélioration des rapports locatifs forment un statut impératif, qui déroge à plusieurs égards au droit commun du bail (voy. not. l’article « Le bail de droit commun : les conditions de formation »). Il importe donc de bien circonscrire le domaine d’application de la loi.

La consultation de l’article 2 de la loi de 1989 dit tout : « les dispositions du présent titre (…) s’appliquent aux locations de locaux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale ainsi qu’aux garages, places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur. Et la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové de préciser « La résidence principale est entendue comme le logement occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle, raison de santé ou cas de force majeure, soit par le preneur ou son conjoint, soit par une personne à charge au sens du code de la construction et de l’habitation ».

1.- Rentrent dans le champ d’application de la loi

– Les baux de locaux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale, ainsi qu’à tous les locaux qui leurs sont adjoints à titre accessoire

2.- Sont exclus de la majorité des dispositions de la loi

– Les locations saisonnières (sauf art. 3-1 : dossier de diagnostic technique)

– Les logements foyers (sauf art. 6 al. 1 et 2 [logement décent] + 20-1 [remise aux normes])

– Les logements meublés (mêmes réserves) – exclusion du seul titre 1er de la loi du 6 juill. 1989

– Les logements de fonction (même réserves)

3.- Sont totalement exclus des dispositions de la loi

– Les baux uniquement professionnels (logement attribué ou loués en raison de l’exercice d’une fonction ou de l’occupation d’un emploi, aux locations consenties aux travailleurs saisonniers

– Les baux de résidence secondaire

– Les baux consentis à une personne morale

Le bail d’habitation : le droit au logement

Commentaire de l’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs (…) [1]

Le bail n’a pas été épargné par le mouvement de subjectivisation des droits. C’est moins le preneur en tant que tel qui est protégé que son logement, que le droit tend à assimiler à la personne de son habitant : s’il en est propriétaire, le droit de propriété peut suffire à le protéger alors que s’il n’en est que locataire, son droit sur la chose est indirect (voy. l’article « Le bail de droit commun »), s’exerçant à travers le bailleur qui lui permet la jouissance de la chose ; le preneur d’un bail d’habitation a donc besoin d’une protection supplémentaire. En raison de la personnification du logement, le preneur devient une personne susceptible d’être protégée par les droits fondamentaux reconnus à la personne.

Le contexte dans lequel l’article commenté s’insère est particulièrement complexe. Les sources relatives au droit au logement ont considérablement évolué dans le temps. En 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne prévoit pas de droit au logement : à l’époque où on proclame la liberté, l’égalité et la fraternité, on ne saurait raisonner en termes de besoins. En 1946, le préambule de la Constitution ignore le droit au logement, se montrant insensible à la crise du logement qui a déjà démarré (voy. l’article « Le bail d’habitation : logement non meublé – contrat vs statut »). Deux ans plus tard, l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dispose que « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer  […] le logement […] ». Mais c’est la loi du 22 juin 1982, dite loi Quilliot, qui en son article 1 fait du droit à l’habitat un droit fondamental. Ce principe a néanmoins été supprimé par un loi du 23 décembre 1986 (consécutivement à un changement de majorité politique). L’article 1 de la loi du 6 juillet 1989, ici commenté, reprend cette idée, en qualifiant le droit au logement de droit fondamental, et en réintroduisant ainsi la déclaration liminaire d’intention selon laquelle « Le droit au logement est un droit fondamental ; il s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent ». Ce droit au logement se manifeste par diverses mesures, destinées à pérenniser la jouissance du locataire et à ne permettre la reprise des lieux par le propriétaire que pour des motifs impérieux (vente, habitation, motif légitime et sérieux). Il est par ailleurs pris en compte par la jurisprudence comme critère d’interprétation, par exemple, pour exclure les résidences secondaires du domaine de la loi (Cass. 3eme civ., 6 nov. 1991, n° 90-15923, Bull. civ. III, n° 261) ou pour refuser le droit au renouvellement au locataire qui n’occupe pas les lieux pour son habitation (Cass. Ass. plén., 2 févr. 1996, n° 91-21373, Bull. A.P., n° 1). Le législateur français a ainsi réalisé le souhait émis en juin 1987 par le Parlement européen sur l’inscription du droit au logement dans la législation de chacun des États membres.

En consacrant le principe selon lequel le logement est un droit fondamental, le législateur a reconnu le logement comme une valeur supérieure nécessairement attachée à la personne, sans toutefois que cela n’ait en principe d’effectivité particulière. Depuis, le droit au logement s’est ramifié en donnant au preneur la possibilité de faire valoir concrètement ce droit. Tout d’abord, des règles visant à protéger l’accès au logement, notamment en tentant d’éviter tout comportement discriminatoire, ont été adoptées. Ces dispositions ont été intégrées dans la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d’habitation bien qu’elles devraient s’appliquer à tout bail portant sur un logement. De plus, deux nouveaux droits subjectifs sont nés : le droit à un logement décent et le droit opposable au logement. Le droit au logement décent, outre un droit opposable au bailleur, est surtout un droit fondamental dans la mesure où le Conseil constitutionnel (Cons. const., décision n° 94-359 DC du 19 janv. 1995, cons. n° 7) a déclaré qu’il s’agissait d’un « objectif de valeur constitutionnelle » sur les fondements des alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946, ainsi que du principe de sauvegarde de la dignité humaine découlant de l’alinéa 1er. Le droit au logement opposable est apparu plus récemment, par le biais de l’adoption d’une loi prévue à cet effet (loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale). Les deux principales dispositions de cette loi visent d’une part, à assurer la garantie, par l’État, du droit au logement (art. L. 300-1 c. constr. hab.) et d’autre part, à consacrer le droit de recourir au juge administratif à défaut d’offre de logement ou d’hébergement permettant de répondre aux demandes déclarées prioritaires par la commission de médiation départementale dans un délai raisonnable (art. L. 441-2-3-1 c. constr. hab). Ce texte était déjà applicable depuis le 1er décembre 2008 pour les personnes prioritaires, et est devenu applicable pour les autres à compter du 1er janvier 2012. Comme on peut le constater, avec le temps, le droit au logement s’affirme le plus en plus comme un droit de l’homme, et le droit du logement comme une spécialité.

En passant des sources écrites à l’interprétation qui en est faite, on s’aperçoit que le cadre qui entoure l’article commenté est également très riche. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales est de plus en plus invoquée dans les rapports contractuels et principalement dans les rapports locatifs. La Cour de cassation a rendu un certain nombre de décisions dans lesquelles elle consacre des droits fondamentaux attachés à la personne du locataire. Comme toute personne, le locataire a d’abord droit au respect de sa vie familiale (art. 8.1 Conv. EDH). La reconnaissance de ce droit pour un locataire a pour conséquence de réputer non écrite une clause du bail empêchant un locataire d’héberger tous les membres de sa famille (Cass. 3ème civ., 6 mars 1996, n° 93-11113, Bull. civ. III, n° 60). Ensuite, le bailleur ne saurait porter atteinte au respect dû à la vie privée du locataire, que ce soit en s’introduisant chez le locataire sans autorisation afin de faire visiter le local (Cass. 3eme civ., 25 févr. 2004, n° 02-18081, Bull. civ. III, n° 41), ou en prenant des photographies à l’intérieur de son habitat (Cass. 1ere civ., 7 nov. 2006, n° 05-12788, Bull. civ. I, n° 466). Enfin, l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention, qui consacre le droit au respect des biens, commence à être invoqué par les parties au contrat de bail. Ce sont généralement les bailleurs qui invoquent cette disposition pour demander que les atteintes portées à leur droit de propriété soient sanctionnées. Le locataire peut également se prévaloir de ce droit au respect des biens, mais cela est moins fréquent. La Cour européenne a pu par exemple affirmer que « le bail d’une durée de 300 ans confère aux preneurs un intérêt patrimonial entrant dans la catégorie des baux qui constitue un bien au sens de l’article 1er, protocole n° 1. (Et de considérer par voie de conséquence que) les modalités par lesquelles il a été mis fin à ce bail sont incompatibles avec le respect de ses biens consacré dans cet article » (CEDH, 4eme sect., 16 nov. 2004, Bruncrona c/ Finlande, n° 41673/98).

C’est uniquement en la restituant dans ce contexte que la lecture du texte de l’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 peut être fructueuse. Pour adopter cette loi, le gouvernement a abandonné à l’initiative parlementaire le soin de réaliser la promesse du Président de la République en matière de logement, comme si l’équilibre entre bailleurs et locataires était apparu si difficile à réaliser que personne ne voulait plus laisser son nom au droit des rapports locatifs. D’où le fait que la loi du 6 juillet 1989 n’ait pas de nom. Il ne s’agit pour autant pas d’une loi sans père. D’une part, elle s’intitule loi « tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 ». La loi nouvelle maintient la loi Méhaignerie, dont elle abroge exclusivement les quatre premiers chapitres du Titre 1 relatif aux rapports entre bailleurs et locataires. Aussi, sur le plan formel, la loi du 6 juillet 1989 s’insère dans le mécanisme mis en place en 1986 : elle en respecte le plan. C’est pour cette raison que l’article 1er est inséré dans un Titre I composé de trois chapitres visant les rapports entre bailleurs et locataires et se composant de trois chapitres, et plus précisément dans le premier chapitre relatif aux dispositions générales. D’autre part, sur le plan substantiel, la loi du 6 juillet 1989 vise à réaliser un compromis entre les règles instituées en 1986 et celles imaginées par la loi Quilliot du 22 juin 1982. D’abord, elle reprend, dans leur intégralité, certaines des dispositions permanentes de la loi Méhaignerie, elles-mêmes reproduites à partir de la loi Quilliot, notamment les règles sur la formation du contrat ou sur le régime de ce dernier en cours de bail. Ensuite, elle réintroduit la plupart des principes de la loi du 22 juin 1982 sur la durée du contrat et sur son renouvellement. Enfin, elle supprime presque totalement la liberté du bailleur de déterminer le montant du loyer et institue un mécanisme de fixation inspiré des dispositions de la loi du 23 décembre 1986. La loi du 6 juillet 1989 touche donc à l’essentiel de la loi Méhaignerie qu’elle était censée seulement modifier : le bailleur perd la liberté d’user de son bien comme il l’entend à l’arrivée du terme du contrat et d’en tirer librement les revenus ; corrélativement le locataire recouvre ce droit que lui accordait la loi Quilliot, droit à l’habitat de 1982 devenu, comme on l’a vu, en 1989 droit au logement. Sous l’influence d’une résolution du Parlement Européen, la terminologie de ce droit a changé, sans que son contenu en soit toutefois modifié. Il s’agit à la fois d’une liberté publique qui, aux termes de l’article 1er alinéa 2 « implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation grâce au maintien et au développement d’un secteur locatif » et d’un droit subjectif qui justifie les restrictions imposées au bailleur par une législation d’ordre public. Les raisons de cette faveur législative pour le locataire sont, sans doute, politiques et sociales : d’aucuns pourraient soutenir en ce sens que le droit au logement, qui fait partie des droits à caractère social, concerne un nombre important de locataires-électeurs auxquels doivent être accordées des satisfactions juridiques. Mais la ratio legis de cette réforme se situe surtout sur un plan économique. Le législateur de 1986 pensait réaliser l’équilibre entre les parties par des mesures fondées sur le libre jeu du marché. Or dès son entrée en vigueur, la loi du 23 décembre 1986 a donné lieu à certains excès, qui ont justifié l’intervention du législateur.

L’article 1er de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, modifié par la loi n° 2002-73, se compose de 5 alinéas. En écartant l’alinéa 4, qui régit l’hypothèse de litige relatif à l’application de l’alinéa 3, cet article se compose de deux parties : la première partie indique la qualification du droit au logement (1), la seconde partie fixe les modalités de la mise en œuvre de ce droit (2).

1.- La qualification du droit au logement

Les deux premiers alinéas de l’article commenté qualifient le droit au logement, en dessinant ses contours. La portée descriptive de ces textes se déduit d’ailleurs des verbes employés : le droit au logement est un droit fondamental, et son exercice implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation. L’alinéa premier définit donc la nature du droit au logement, qui est qualifié de droit fondamental (a), tandis que le deuxième alinéa en indique le contenu, qui consiste en la liberté de choix du mode d’habitation (b).

a.- La nature du droit au logement : un droit fondamental

Le premier alinéa de l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 contient le principe majeur affirmé par cette loi. La loi du 22 juin 1982 avait énoncé l’existence d’un droit à l’habitat comportant une faculté de choix pour les personnes en matière de logement, à la fois quant à la nature et quant à la localisation de celui-ci ; la loi du 23 décembre 1986 avait effacé cette affirmation au contenu considéré trop flou ; celle de 1989 est venue réaffirmer cette idée. La portée de ce droit au logement est toutefois difficile à cerner. Les auteurs y ont vu une « règle sans portée » (Christian Atias), une « promesse fallacieuse » (Gérard Cornu), voire un « faux droit » (Jean Carbonnier). En effet, le fait que le droit objectif reconnaisse un droit au logement ne signifie pas que les particuliers se voient attribuer un droit subjectif d’avoir un logement. La portée de la qualification du droit au logement de droit fondamental concerne avant tout le législateur et les interprètes du texte : la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est qualifiée par le Conseil constitutionnel « d’objectif à valeur constitutionnelle », ce qui fait obstacle à toute éventuelle tentation du législateur de revenir en arrière. Toutefois, cela ne demeure qu’un objectif. Dans une ordonnance adoptée le 10 février 2012, le Conseil d’État a par exemple reconnu que le droit à l’hébergement d’urgence est une liberté fondamentale dont on peut se prévaloir dans le cadre d’un référé liberté, mais il a par la même occasion affirmé que l’État n’a qu’une obligation de moyens en la matière.

Mais par le biais de l’affirmation d’un droit fondamental au logement, on parvient également à justifier des obligations mises à la charge des particuliers. En matière d’habitation principale, l’article 1719 du code civil pose l’obligation générale de délivrance d’un logement décent, qui est reprise en matière de bail d’habitation par les articles 6 et 20-1 de la loi de 1989 et par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002. La nature du droit au logement explique donc la reconnaissance d’atteintes potentielles apportées au droit de propriété. En effet, l’affirmation solennelle d’un droit fondamental à l’habitat en 1982 s’imposait en raison de la réaffirmation, par le Conseil constitutionnel, du caractère fondamental de la propriété. C’est le souci de résoudre ce conflit d’intérêts entre bailleur et preneur qui a motivé diverses interventions législatives constitutives d’atteintes potentielles aux droits des propriétaires. À titre illustratif, l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000  rel. à la solidarité et le renouvellement urbains, qui a modifié l’article 1719 du code civil et l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, a consacré le droit d’un locataire de logement loué à titre de résidence principale d’obtenir un logement décent, qui ne laisse apparaître aucun risque manifeste pouvant porter atteinte à la sécurité physique et à la santé, et qui soit doté d’éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation. Les auteurs d’une saisine du Conseil constitutionnel ont considéré que ces mesures, nécessairement circonscrites aux seuls locataires, constituaient une atteinte aux prérogatives du propriétaire, dans la mesure où ce dernier n’aurait pas pu maîtriser l’étendue des travaux et les délais pour les accomplir, rendant ainsi l’immeuble indisponible. Le Conseil constitutionnel, qui n’a pas retenu ces arguments, a au contraire considéré que les obligations à la charge du bailleur ne dénaturaient pas le sens et la portée du droit de propriété.

L’exigence de la délivrance d’un logement décent a été ultérieurement précisée par le décret du 30 janvier 2002, qui prévoit que le logement doit disposer notamment d’un chauffage et d’équipements sanitaires et électriques aux normes de sécurité, de pièces principales bénéficiant de l’éclairement naturel, ainsi que d’un bon état d’entretien et de solidité afin de protéger les locaux contre les éventuels dégâts des eaux. Conformément aux dispositions prévues par la loi du 6 juillet 1989, le non-respect de cette décence doit être par la résiliation du bail ou le relogement du locataire. De tels impératifs ont été par la suite réaffirmés par la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement. Ils ont de plus fait l’objet des premières applications non seulement par les juges du fond, mais aussi par la Cour de cassation, qui a par exemple affirmé que l’exigence de la délivrance d’un logement décent impose son alimentation en eau courante. Plus récemment, la Cour de cassation a expressément affirmé que le bailleur était tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé et doté de tous les éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation.

On constate donc que l’affirmation selon laquelle le droit au logement est en droit fondamental n’est pas uniquement une proclamation de principe ; le caractère fondamental du droit au logement justifie les règles qui en permettent l’exercice. En employant à deux reprises le même terme, l’article 1er pose l’accent sur l’exercice du droit au logement : la seconde partie de l’alinéa premier indique que ce droit « s’exerce dans le cadre des lois qui le régissent », et l’alinéa 2 tire les conséquences de cela, en indiquant que « l’exercice de ce droit implique la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation ».

b.- Le contenu du droit au logement : la liberté de choix du mode d’habitation

La volonté d’obtenir un équilibre entre les droits des cocontractants au contrat de bail a guidé le processus d’adoption de la loi du 6 juillet 1989 et elle apparaît donc clairement lors de son application, en raison des limitations imposées au propriétaire dans l’exercice de ses prérogatives. La réalisation effective d’un droit fondamental au logement, de valeur législative, a dû être complétée par le principe de liberté pour toute personne du choix de son mode d’habitation, évoqué à l’alinéa 2 de l’article 1er. C’est en se fondant sur cette liberté que, par exemple, la jurisprudence contrôle rigoureusement l’application du droit de reprise au bénéfice du propriétaire prévu par la loi du 6 juillet 1989, qui suppose l’habitation de locaux à titre principal et non comme résidence secondaire, ou qu’elle vérifie que ce droit est exercé par une personne physique. Chaque personne peut choisir entre plusieurs possibilités : la propriété, la location en secteur libre ou en secteur social. Il s’ensuit que le législateur peut imposer qu’une offre diversifiée de logements existe dans les différentes communes (L. SRU du 13 déc. 2000). L’exigence du maintien et du développement d’un secteur locatif posée par l’alinéa 2 de l’article commenté, a orienté certains auteurs à considérer que les restrictions apportées au XXe siècle par le dirigisme étatique sont si importantes que la propriété contemporaine ressemble davantage à celle de l’Ancien droit qu’à celle de 1804, caractérisé par son absolutisme.

C’est pour consacrer une réelle protection du logement du preneur qu’un droit subjectif spécifique a été introduit, susceptible de s’opposer au droit de propriété du bailleur. L’objet des deux réformes de 1982 et 1989 était de réglementer, en priorité, les modalités d’occupation d’un logement dans le cadre de la relation entre bailleurs et preneurs. Elles ont permis de conférer, au bénéfice de ces derniers, des prérogatives garanties par l’État, soumises néanmoins à une exigence préalable : l’existence d’un lien contractuel générateur d’obligations à la charge du propriétaire. Il est difficile, par conséquent, de déterminer la nature du droit subjectif conféré au preneur. Plus précisément, on peut se demander s’il s’agit d’un droit réel exercé directement sur l’immeuble loué ou d’un droit personnel qui permet au preneur d’exiger du bailleur une prestation. Certains ont pu considérer que le bail, permettant l’utilisation matérielle de la chose, était générateur d’un droit réel. Telle semble également être la conception retenue par le Conseil d’État qui a affirmé que le corollaire du droit de propriété est le droit pour le locataire de disposer librement d’un bien pris à bail. La doctrine majoritaire souligne à l’inverse que le preneur ne dispose que d’un droit personnel, lui permettant d’exiger du propriétaire la simple jouissance de la chose prévue par les diverses réformes. Aussi, on s’aperçoit que l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 affirme explicitement l’existence d’un droit au logement, mais il consacre surtout la constitution d’un droit du logement, contribuant ainsi à une pulvérisation du droit objectif en une diversité de droits subjectifs.

2.- La mise en œuvre du droit au logement

Les alinéas 3 et 5 de l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 indiquent les modalités de mise en œuvre du droit au logement. L’un interdit, l’autre impose : aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement pour des motifs discriminatoires, et les droits et obligations des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés. Aussi, la mise en œuvre du droit au logement est à la fois négative, lorsqu’elle passe par la prohibition des discriminations (a), et positive, dans la mesure où elle se réalise par le biais de l’imposition d’un équilibre entre les parties (b).

a.- La mise en œuvre négative : la prohibition des discriminations

Les règles posées à l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989 ont vocation à s’appliquer en toutes hypothèses, sans aucune discrimination possible. Selon les termes de l’article 158 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, qui a inséré deux alinéas à l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989, « aucune personne ne peut se voir refuser la location d’un logement en raison de son origine, son patronyme, son apparence physique, son sexe, sa situation de famille, son état de santé, son handicap, ses mœurs, son orientation sexuelle, ses opinions politiques, ses activités syndicales ou son appartenance ou sa non-appartenance vraie ou supposée à une ethnie, une Nation, une race ou une religion déterminée ». Cette disposition n’indique pas les sanctions susceptibles d’être prononcées en cas de discrimination exercée par un propriétaire à l’encontre d’un locataire. Toutefois, la mise en œuvre de la responsabilité civile du bailleur est envisageable dès lors que le refus ne se révèle pas justifié. De plus, des sanctions pénales peuvent être prononcées lorsqu’une discrimination est constatée, laquelle est une “distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée” (art. 225-1, al. 1, c. pén.). Enfin, une nouvelle autorité administrative indépendante, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), a été instituée par la loi du 30 décembre 2004 avec pour mission notamment de lutter contre les discriminations prohibées par la loi, en fournissant toutes informations, et d’accompagner les victimes. En 2007, cette autorité a formulé différentes propositions qui avaient pour finalité de lutter contre les discriminations dans le logement, l’objectif étant notamment de proposer un encadrement des enquêtes sociales lors d’attributions de logements sociaux, pour garantir l’objectivité et le sérieux des éléments pris en considération. La HALDE a par la suite été remplacée par le défenseur des droits, créé par la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011.

Si l’intention du législateur est louable, on peut toutefois s’interroger sur l’intérêt d’un doublon législatif, étant donné que le code pénal prévoit déjà une incrimination pour les hypothèses de discrimination. La comparaison des deux textes fait ressortir certaines différences. D’une part, l’âge n’apparaît pas comme étant un critère discriminatoire au sens de l’article 1er de la loi du 6 juillet 1989. On pourrait alors en déduire que le locataire peut légitimement être choisi en fonction de son âge, d’autant plus que certains locataires âgés de plus de 70 ans (et gagnant moins d’une fois et demie le SMIC) bénéficient d’une protection accrue en cas de congé (art. 15-III). Cependant, le code pénal érige l’âge en élément potentiel de discrimination. D’autre part, l’alinéa 3 de l’article commenté (à l’instar de l’article L. 1132-1, alinéa 1, c. trav.) ajoute trois éléments non mentionnés dans le code pénal, à savoir le patronyme, l’apparence physique et l’orientation sexuelle. Toutefois, on peut considérer que les notions d’origine, de handicap et de mœurs renvoient intrinsèquement à ces éléments.

b.- La mise en œuvre positive : l’imposition de l’équilibre entre les parties

L’affirmation du droit au logement comme droit fondamental est circonscrite à la seule relation entre bailleurs et preneurs qui ont au préalable conclu un contrat de bail. En 1989, elle a été complétée par une nouvelle exigence, posée par le dernier alinéa de l’article 1er : « Les droits et obligations réciproques des bailleurs et des locataires doivent être équilibrés dans leurs relations individuelles comme dans leurs relations collectives ». Cette recherche d’équilibre, qui caractérise en général le régime des baux d’habitation, ne constitue qu’une manifestation plus générale de l’influence consumériste de la matière au bénéfice du « consommateur de logement ». Par le recours à cette affirmation à caractère idéologique, le législateur a cherché à trouver un équilibre au sein d’une situation considérée par définition comme déséquilibrée au détriment des preneurs. Si des réformes ultérieures ont eu pour objectif de protéger les personnes défavorisées, ce principe vise à protéger tout locataire, y compris celui qui dispose de revenus suffisants, car il s’agit d’une règle générale permettant la mise en œuvre du droit au logement, droit fondamental.

Si la fixation du loyer était effectuée avec un montant prohibitif, elle aurait pour effet d’écarter toute faculté, pour le locataire, d’obtenir un logement ou même de rester dans l’appartement loué. La réglementation des modalités de fixation du loyer est de ce fait justifiée. La liberté contractuelle s’impose pour le secteur dit libre, lorsque le logement est neuf ou vacant mais rénové. Pour le secteur dit de liberté surveillée, au contraire, lorsque les locataires se succèdent sans amélioration apportée au logement, l’article 17-b de la loi du 6 juillet 1989 prévoit que le loyer soit fixé par référence aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables. Cet article précise de même les modalités de la révision annuelle du loyer. Ces dispositions tendent donc à conférer une protection pécuniaire aux locataires et à assurer l’effectivité de son droit fondamental au logement.

De même, l’article 10 de la loi du 6 juillet 1989 consacre un droit au renouvellement du contrat de bail. L’article 17-c énonce que le bailleur ne peut proposer une augmentation du loyer que s’il est manifestement sous-évalué. Il appartient au bailleur d’adresser au locataire une proposition de renouvellement avec un nouveau loyer fixé par référence aux loyers habituellement constatés dans le voisinage pour des logements comparables et, en cas de désaccord et à défaut de conciliation, le juge pourra être saisi. L’article L. 613-3 c. constr. hab. prévoit, à son tour, que l’expulsion du locataire est exclue entre le 1er novembre et le 15 mars, à moins que le relogement des intéressés puisse être assuré dans des conditions suffisantes respectant l’unité et les besoins de la famille. L’ensemble de ces textes illustre les conséquences qui découlent du dernier alinéa de l’article commenté : les considérations pécuniaires, ainsi que la stabilité contractuelle, contribuent à l’effectivité du droit au logement.

[1] Commentaire proposé par le professeur Valerio Forti et Julien Bourdoiseau (2012)

Le bail d’habitation : logement non meublé – Du contrat au statut

Contrat vs statut.- Les baux de logements vides ont d’abord été soumis au droit commun des contrats : autonomie de la volonté oblige. A l’origine, les quelques règles particulières aux baux à loyers sont bien loin de suffire à former un statut, c’est-à-dire un ensemble cohérent de règles applicables à une catégorie de personnes qui en déterminent, pour l’essentiel, la condition et le régime juridique.

Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, on signe l’armistice dans le train d’État-major du maréchal Foch. La France pleure ses morts ; elle dénombre ses destructions. Jamais guerre n’a causé plus de dégâts. La pénurie de logements gagne vite. L’offre de logements ne permet pas de satisfaire la demande. Le montant des loyers proposés interdit aux plus modestes de se loger. À compter du 9 mars 1918, le législateur, au gré des circonstances, s’emploie à renforcer la stabilité des locataires et des prix. L’édiction progressive d’un droit au logement locatif ravale les dispositions du Code civil au rang de règles résiduelles.

Berlin, le 8 mai 1945, il est 23h01, on signe l’armistice de la 2nde guerre mondiale : mêmes causes, mêmes effets. De nombreux immeubles sont démolis. Pendant que de nombreux autres sont saturés d’occupants, un certain nombre de propriétaires préfèrent conserver leurs immeubles libres de toute occupation en raison du blocage antérieur des loyers. Quant à la construction de logements neufs, elle a été stoppée pour fait de guerre. La loi du 1er septembre 1948 est votée. Légiférant dans l’urgence, dans le dessein de gérer la pénurie de logements, le législateur a grand peine à placer convenablement le curseur entre les intérêts légitimes mais contradictoires des preneurs à bail et des bailleurs.

Koweït city, le 17 octobre 1973 (1er choc pétrolier), Téhéran, 8 septembre 1978 (2ème choc pétrolier), les pays arables exportateurs de pétroles réduisent leur production. La crise économique est mondiale. Tous les secteurs de l’économie sont impactés ; le secteur du bâtiment n’y échappe pas. L’histoire se répète. Il en est résulté une nouvelle raréfaction des logements locatifs ainsi qu’une augmentation des loyers.

Bis repetita : le législateur remet son ouvrage sur le métier. Se succéderont trois lois princeps, qui diront respectivement tout des obligations du bailleur et du preneur, la dernière d’entre elles ayant été depuis lors notablement complétée.

Loi n° 82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires et des bailleurs.

Loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière.

Loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

Ordre public de protection.- Les baux soumis à la loi n° 48-1360 du 1 septembre 1948 (portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement) obéissent à une législation d’ordre public de protection pour le moins singulier : non seulement le locataire est créancier d’un droit au maintien dans les lieux sans limitation de durée – à tout le moins tant que l’intéressé répond aux conditions de la loi (art. 4) –, mais le prix des loyers des locaux est déterminé par le législateur (art. 26) ! Et s’il importe de dire quelques mots de cette loi, qui pourrait passer pour datée, c’est précisément parce qu’elle encore de droit positif. Au reste, et c’est remarquable, elle a conduit à faire des immeubles soumis au statut un « secteur privé à caractère social ». Autant dire qu’on flirte avec la contradiction in terminis, l’oxymore. Comprenez bien qu’aux termes de ce statut, ce sont les propriétaires privés qui supportent le coût social de la législation. C’est suffisamment original pour être souligné.

Géographiquement, l’article 1er de la loi est explicite. Sont soumis les immeubles situés dans les communes les plus peuplées : Paris, primus inter partes. Matériellement, la loi s’applique, en principe, aux seuls locaux construits avant le 1er septembre 1948 (art. 3) pour peu qu’ils soient affectés à l’habitation ou à un usage mixte sans caractère commercial, artisanal ou rural. L’idée du législateur est la suivante : au vu du statut dérogatoire du droit commun, imposé par la loi de 1948, lequel a perdu beaucoup de sa justification, les investisseurs ont grandement intérêt à construire pour échapper à l’application de la loi.

Plusieurs méthodes ont été adoptées pour sortir du régime de 1948. En voilà une : la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l’offre foncière, dispose : « les locaux vacants à compter du 23 décembre 1986 ne sont plus soumis à la loi du 1er sept. 1948 (art. 25). Heureux le propriétaire qui prend connaissance du congé de son locataire ou de sa mort…

À compter des années 1960 (1962 précisément), on observe un reflux progressif de l’application de loi de 1948. Par voie de conséquence, le droit commun des contrats retrouve son emprise. La conjoncture n’a pourtant pas fondamentalement changée : l’offre reste très inférieure à la demande ; les loyers sont élevés et les baux de courte durée. Confronté à la précarité trop grande des locataires, le législateur est une nouvelle fois sommé de légiférer. Soucieux de concilier des intérêts antagonistes, le législateur accorde aux propriétaires plus de latitude. Pour ce faire, il s’emploie à les distraire du régime sévère et critiqué auxquels les bailleurs sont soumis. Mais il impose, en contrepartie, l’entretien de la chose à l’usage auquel on la destine et le maintien dans les lieux du preneur à bail. Ainsi, des baux dérogatoires sont aménagés. La loi du 1er septembre 1948 en porte la trace dans ces premiers articles.

La loi Quillot du 22 juin 1982 rel. aux droits et obligations des locataires et bailleurs restaure l’équilibre rompu au profit des locataires, auxquels elle confère un « droit à l’habitat ». Ce sera révolutionnaire. C’est de cette époque que date l’idée, constante depuis lors, de prévoir que le locataire pourra mettre fin au contrat quand il le souhaite tandis que le bailleur ne pourra le faire que dans des conditions très limitatives. L’idée maîtresse est de corriger le marché en instaurant dans le contrat un déséquilibre en faveur du locataire. Il faut comprendre que ce déséquilibre est inéluctable si l’on souhaite apporter des garanties minimales aux locataires.

Cette loi ne survivra pas au retour de la droite au pouvoir en 1986. Comprenez bien que le droit du logement locatif est un droit des extrêmes pour reprendre l’expression consacrée dans le précis Dalloz. La tâche du législateur est redoutable. Il lui faut concilier l’économie et le social, les intérêts du propriétaire et ceux du locataire. Pour ce faire, il importe de discipliner la loi du marché. Faire pencher la balance du côté du locataire, c’est freiner l’investissement locatif et alimenter la crise du logement. Faire pencher la balance du côté du propriétaire, c’est autoriser la conclusion de baux par trop déséquilibrés. On dit de la critique qu’elle est facile et de l’art qu’il est difficile. L’art du juste et du bien n’est pas chose aisée (Celse : jus est ars boni et aequi – 1ère phrase du Digeste (VIe s. ap. JC). C’est la raison pour laquelle, il faut beaucoup de mesure(s) dans la recherche de la justice. La survie du groupe, le maintien de son organisation, sa cohérence, l’ordre en dépend.

La loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 revient sur les avancées de la loi Quillot en redonnant des prérogatives importantes aux propriétaires et en gommant le droit à l’habitat. Elle sera immédiatement abrogée dès le retour de la gauche au pouvoir.

La loi Mermaz n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi du 23 décembre 1986 est la loi sous l’empire de laquelle les rapports de nombre de locataires et de propriétaires sont placés. La loi a tiré les leçons du passé. Le législateur voulut sa loi d’équilibre. Ont été concilié d’une part, le droit au logement du locataire, d’autre part, le droit de propriété du bailleur.

Droit au logement. Quant à la loi du 6 juillet 1989, elle proclame dans un article premier le droit au logement. Qualifié de fondamental, le Conseil constitutionnel a élevé ce dernier droit au rang d’objectif constitutionnel (Décision n° 94-359 DC). La portée juridique d’une telle norme est indécise. Un peu moins peut-être depuis la loi n° 2007-590 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable qui a complété le code de la construction et de l’habitation …(art. L. 300-1 : Le droit à un logement décent et indépendant (…) est garanti par l’Etat à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence définies par décret en Conseil d’Etat, n’est pas en mesure d’y accéder par ses propres moyens ou de s’y maintenir).

Le bail d’habitation : logement meublé

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme (ALUR) rénové a inséré dans la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs (…) un titre I bis « Des rapports entre bailleurs et locataires dans les logements meublés résidence principale » (art. 25-3 nouv. et s.). Le législateur élargit ainsi le domaine du statut spécial qui se trouve décrit à l’article L. 632-1 du code de la construction et de l’habitation.

Définition.- Un logements meublé, au sens de l’article 25-4 de la loi de 1989, est un logement décent équipé d’un mobilier en nombre et qualité suffisants pour permettre au locataire d’y dormir, manger et vivre convenablement au regard des exigences de la vie courante. Dans un sens approchant, la Cour de cassation décidait que les meubles fournis au locataire devaient assurer un minimum d’habitabilité (v. par ex. Cass. 3ème civ., 29 sept. 1999, n° 97-21602. Plus récemment : Cass. 3ème civ., 17 déc. 2015, n° 14-22754). Un décret précise désormais la listes des éléments que doit comporter ce mobilier (D. n° 2002-120 du 30 janv. 2002 rel. aux caractéristiques du logement décent, art. 3).

Art. 2 

Le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires :

1. Il assure le clos et le couvert. Le gros oeuvre du logement et de ses accès est en bon état d’entretien et de solidité et protège les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d’eau. Les menuiseries extérieures et la couverture avec ses raccords et accessoires assurent la protection contre les infiltrations d’eau dans l’habitation. Pour les logements situés dans les départements d’outre-mer, il peut être tenu compte, pour l’appréciation des conditions relatives à la protection contre les infiltrations d’eau, des conditions climatiques spécifiques à ces départements ;

2. Les dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage ;

3. La nature et l’état de conservation et d’entretien des matériaux de construction, des canalisations et des revêtements du logement ne présentent pas de risques manifestes pour la santé et la sécurité physique des locataires ;

4. Les réseaux et branchements d’électricité et de gaz et les équipements de chauffage et de production d’eau chaude sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et sont en bon état d’usage et de fonctionnement ;

5. Les dispositifs d’ouverture et de ventilation des logements permettent un renouvellement de l’air adapté aux besoins d’une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements ;

6. Les pièces principales, au sens du troisième alinéa de l’article R. 111-1-1 du code de la construction et de l’habitation, bénéficient d’un éclairement naturel suffisant et d’un ouvrant donnant à l’air libre ou sur un volume vitré donnant à l’air libre.

Article 3

Le logement comporte les éléments d’équipement et de confort suivants :

1. Une installation permettant un chauffage normal, munie des dispositifs d’alimentation en énergie et d’évacuation des produits de combustion et adaptée aux caractéristiques du logement. Pour les logements situés dans les départements d’outre-mer, il peut ne pas être fait application de ces dispositions lorsque les conditions climatiques le justifient ;

2. Une installation d’alimentation en eau potable assurant à l’intérieur du logement la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l’utilisation normale de ses locataires ;

3. Des installations d’évacuation des eaux ménagères et des eaux-vannes empêchant le refoulement des odeurs et des effluents et munies de siphon ;

4. Une cuisine ou un coin cuisine aménagé de manière à recevoir un appareil de cuisson et comprenant un évier raccordé à une installation d’alimentation en eau chaude et froide et à une installation d’évacuation des eaux usées ;

5. Une installation sanitaire intérieure au logement comprenant un w.-c., séparé de la cuisine et de la pièce où sont pris les repas, et un équipement pour la toilette corporelle, comportant une baignoire ou une douche, aménagé de manière à garantir l’intimité personnelle, alimenté en eau chaude et froide et muni d’une évacuation des eaux usées. L’installation sanitaire d’un logement d’une seule pièce peut être limitée à un w.-c. extérieur au logement à condition que ce w.-c. soit situé dans le même bâtiment et facilement accessible ;

6. Un réseau électrique permettant l’éclairage suffisant de toutes les pièces et des accès ainsi que le fonctionnement des appareils ménagers courants indispensables à la vie quotidienne.

Dans les logements situés dans les départements d’outre-mer, les dispositions relatives à l’alimentation en eau chaude prévues aux 4 et 5 ci-dessus ne sont pas applicables.

Article 4

Le logement dispose au moins d’une pièce principale ayant soit une surface habitable au moins égale à 9 mètres carrés et une hauteur sous plafond au moins égale à 2,20 mètres, soit un volume habitable au moins égal à 20 mètres cubes.

La surface habitable et le volume habitable sont déterminés conformément aux dispositions des deuxième et troisième alinéas de l’article R. 111-2 du code de la construction et de l’habitation.

***

À défaut de ce qui précède, le logement est nu. Dans ce cas de figure, il est soumis aux règles prescrites par la loi de 1989 pour les logements non meublés.

Micro-statut.- En résumé, on peut dire que le législateur a fini par soumettre les parties à un contrat de location en meublé à un minimum de règles impératives auxquelles elles ne peuvent déroger. L’article 25-3 loi 1989 dispose en ce sens que les règles qui s’appliquent dans le cas particulier sont d’ordre public.

Si le logement constitue la résidence principale du preneur à bail, le contrat est nécessairement établi par écrit (art. 25-7, al. 1), sur la base d’un contrat type (Décret n° 2015-587 du 29 mai 2015 relatif aux contrats types de location de logement à usage de résidence principale, annexe), et conclu pour une année au moins (art. 25-7, al.2). Comprenons bien. C’est d’ordre public de protection dont il est question. Toutes les stipulations qui renforceront la position du preneur à bail auront donc vocation à être sanctionnées. À noter que le terme peut être valablement abrégé si le locataire est un étudiant (9 mois). Dans ce dernier cas de figure, le bail n’est pas reconduit tacitement (art. 25-7, al. 2).

Si le bailleur n’entend pas renouveler le contrat le bail, la loi lui impose d’en informer le locataire en respectant un préavis de trois mois et en motivant son refus de renouvellement soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement (en ce cas, on notera que la loi n’accorde aucun droit de préemption au preneur à bail à la différence de ce qui est prévu en cas de location d’un logement non meublé), soit par un motif légitime et sérieux, notamment l’inexécution par le locataire de l’une des obligations lui incombant (art. 25-8).

Règles issues de la loi du 6 juillet 1989.- Le droit de la location meublée n’est pas étranger au droit du bail d’habitation en général. La loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale a calqué les règles de révisions du loyer sur celle de la loi du 6 juillet. 1989 (art. 41 de la loi / art. L. 632-1, al. 3, c. constr. hab.).

Force est de le redire : désireux de lutter contre les abus d’un certain nombre de marchands de sommeil, le législateur s’est employé à mettre en place un micro-statut des locations meublées…

Le bail de droit commun : extinction

Le bail s’éteint du fait de trois séries de circonstances :

Arrivée du terme du contrat (1)

Perte de la chose louée (2)

Résolution pour inexécution (3)

1.- L’arrivée du terme

Principe.- Le bail s’éteint par l’arrivée du terme, sans qu’il soit nécessaire de donner congé (art. 1737 c.civ.).

La règle ne vaut bien sûr que pour les baux à durée déterminée, les baux à durée indéterminée ne comportant pas de terme extinctif. Il faut ici donner congé pour mettre fin au bail, le congé produisant effet dans le respect du préavis fixé par l’usage des lieux (art. 1736 c.civ.).

Reconduction tacite.- Mais le bail est tacitement reconduit si le preneur reste en possession à l’expiration du bail (art. 1738 c.civ.), sous la seule réserve que le bail soit écrit (mais on sait que le code civil assimile les baux écrits aux baux à durée déterminée, ce n’est donc pas forcément une condition. Voy. not. l’article « Le bail de droit commun : preuve du contrat »).

Il faut ici préciser, et la remarque est essentielle, que l’ancien bail prend fin par l’arrivée du terme : le bail reconduit est un nouveau contrat, qui se forme par une manifestation tacite de volonté. Mais de la volonté tacite (il arrive que certaines circonstances donnent au comportement des parties la valeur d’une volonté contractuelle) à la volonté présumée, il n’y a qu’un pas.

Plus exactement, le fait pour le preneur de se maintenir dans les lieux est une offre de reconduction du bail, que le bailleur est présumé accepter s’il ne dit rien. Autrement dit, si la volonté du preneur est tacite, celle du bailleur est présumée. Il semble alors qu’il y ait ici, sinon une exception, au moins une atténuation au principe selon lequel le silence ne vaut pas acceptation. Et on trouve de ce fait des arrêts qui décident que la présomption de reconduction cesse dès qu’il apparaît que le propriétaire a manifesté la volonté de mettre fin au contrat (ex. Cass. 1ère civ., 20 févr. 1996, Loyers et copropriété 1997, n° 34). Autrement dit, le bailleur doit dire un mot pour ne pas consentir… C’est plutôt singulier !

Effets.- Le bail reconduit est un bail à durée indéterminée ; c’est ce qui résulte de l’art. 1738 c.civ. qui dispose que les conditions du nouveau bail sont réglées « par l’article relatif aux locations faites sans écrit » ; or le code civil assimile les baux verbaux à des CDI.

Reconduction, prorogation et renouvellement.- Il faut bien distinguer la reconduction de la prorogation et du renouvellement. Pour mémoire :

Reconduction = conclusion d’un nouveau bail aux mêmes conditions de l’ancien ;

Prorogation = accord de volonté des parties pour repousser le terme extinctif du bail en cours ;

Renouvellement = conclusion d’un nouveau bail à des conditions différentes de l’ancien, qui résulte d’une nouvelle convention des parties (le bailleur propose, le locataire accepte) qui cette fois ne peut pas être tacite.

2.- La perte de la chose louée

Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement (art. 1722 c.civ. / voy. encore art. 1741 c.civ.).

À noter que les textes parlent de résolution et de résiliation. Il vaudrait mieux parler de caducité. Il faut distinguer deux cas : 1. soit la chose est perdue[1] consécutivement à un événement de force majeure, alors le bail est éteint ou le prix réduit sans qu’aucune faute ne soit reprochée à quiconque. 2. Soit la chose est détruite consécutivement à la faute de l’une des parties, alors une responsabilité est encourue.

3.- La résolution pour inexécution

Résolution judiciaire.- Il ressort de l’article 1741 c.civ. que l’inexécution des obligations nées du bail est une cause d’anéantissement du contrat. Le texte parle de résolution (« résout »), terme qui désigne l’anéantissement rétroactif du contrat. Cette rétroactivité pose problème s’agissant d’un contrat à exécution successive, dans la mesure où elle impose aux parties de restituer tout ce qu’elles ont reçu en vertu du contrat pour être remises dans l’état où elles seraient si elles n’avaient pas contracté. Or si les loyers sont aisément restituables, la jouissance du bien ne l’est pas.

Cette constatation a fait préférer en jurisprudence la résiliation à la résolution : la résiliation n’anéantit le bail que pour l’avenir. Raison pour laquelle la jurisprudence utilise bien plus volontiers la résiliation. C’est du reste une solution d’opportunité qui a été retenue à l’occasion de la réforme du droit commun des contrats (art. 1229, al. 3, nouv. c.civ.).

Pour autant, la résolution n’a pas totalement disparu, ce qui fait douter du bien fondé de la substitution pure et simple de la résiliation à la résolution évoquée par le texte :

Il y a lieu à résolution rétroactive si c’est dès l’origine que le bail n’a pas été exécuté. Voy. par ex. Cass. 3ème civ., 30 avril 2003 (Bull. civ. III, n° 87 ; D. 2003. IR. 1408 : « si dans un contrat synallagmatique, la résiliation judiciaire n’opère pas pour le temps où le contrat a été régulièrement exécuté, la résolution judiciaire pour absence d’exécution ou exécution imparfaite dès l’origine entraîne l’anéantissement rétroactif du contrat »).

La rétroactivité doit remonter à la date à laquelle l’exécution est devenue insatisfaisante (période d’exécution correcte pas remise en cause. C’est très précisément ce que prescrit le nouvel article 1229 du code civil.

À noter que cette résiliation ne pouvait être que judiciaire (art. 1184 c. civ.), et par suite soumise à une condition de gravité qui demeurait soumise à l’interprétation du juge. Raison pour laquelle, les parties étaient invitées à rédiger une clause résolutoire de plein droit aux termes de laquelle le simple manquement mettait fin au contrat sans intervention du juge. Les articles 1224 et suivants nouveaux du code civil ont très notablement modifié l’état du droit positif dans le dessein de faciliter la libération du créancier dont l’obligation a été mal exécutée par son cocontractant.

[1] La perte est une destruction physique de la chose objet du contrat ou bien une dégradation la rendant impropre à l’usage pour laquelle elle a été louée (ex. location d’un cheval de trait ; le cheval se coupe une jambe : il existe encore mais il ne peut plus rien tracter).

Le bail de droit commun : sous-location et cession

Le bail est un contrat à exécution successive, dont les effets s’inscrivent dans le temps. Cet instrument définit entre les parties une relation de longue durée qui possède une vie propre. Certains événements peuvent venir affecter les parties au contrat. Il s’agit plus particulièrement de la sous-location (1), de la cession (2) et du décès d’un des cocontractants (3). A noter que d’autres événements ont vocation à provoquer purement et simplement son extinction. Ils seront présentés dans un second article (voy. « Le bail de droit commun : extinction »).

En bref :

Plus de parties : Un tiers peut se rajouter dans l’opération contractuelle : la sous-location (1).

D’autres parties : Le locataire ou le bailleur peuvent changer : la cession conventionnelle (2).

Moins de parties : Une partie peut mourir : la cession légale (3).

1.- La sous-location

Conditions. La sous-location est un contrat par lequel le preneur concède à un tiers, moyennant le payement d’un sous-loyer, la jouissance de tout ou partie du bien loué. Comprenons bien : il ne s’agit pas d’un changement de locataire ; le preneur conserve sa qualité. Il s’agit d’un second contrat auquel le bailleur est tiers. Attention, il ne s’agit pas non plus d’une colocation[1].

Le principe de la validité de ce sous-contrat se trouve à l’article 1717 c.civ. A noter qu’il s’agit d’un texte supplétif de volonté. Les parties peuvent donc tout à fait stipuler l’interdiction ou conditionner la faculté laissée au preneur de procéder. Une seconde précision : les statuts spéciaux renversent l’ordre des facteurs. C’est l’interdiction qui est prescrite en première intention. Tantôt, les parties sont autorisées à stipuler le contraire (droit du bail d’habitation et droit du bail commercial). Tantôt, elles sont empêchées (droit du bail rural).

Effets. Le bailleur étant un tiers à la convention conclue entre le locataire et le sous-locataire, le principe de l’effet relatif des contrats interdit de considérer que le premier est obligé envers le dernier (art. 1199 nouv. c.civ. / art 1165 anc.). Ce principe est assorti d’une exception. Le bailleur est fondé à demander directement au sous-locataire (ou sous-preneur) le paiement du sous-loyer (dans la limite bien entendu de la dette contractée par le sous-locataire).

Illustration. Soit un loyer de 550 et un sous-loyer de 400. Si une action en paiement forcée est engagée par bailleur contre le sous-locataire, ce dernier ne sera pas obligé au-delà de 400 euros. La raison est la suivante : sauf stipulation contraire (clause de solidarité), les obligations contractées par le preneur et le sous-preneur sont divises (art. 1309 nouv. c.civ. – obligation qu’on qualifiait pour mémoire de conjointe avant la réforme (voire de disjointe – pluralité de sujets – pour éviter toute confusion avec l’obligation conjonctive – pluralité d’objets).

2.- La cession conventionnelle du bail

Deux cessions sont imaginables. Soit le locataire cède sa position contractuelle à un tiers, qui devient lui-même locataire auquel cas la cession est dite autonome (2.a.-). Soit le bailleur vend la chose objet du bail. La loi décide dans ce cas de figure que le nouveau propriétaire devient lui-même bailleur. La cession est dite accessoire (2.b.-).

2.a.- La cession autonome par le locataire

Conditions. Sauf convention contraire, la cession du contrat à l’initiative du locataire est autorisée par l’art. 1717 c.civ. Même solution en droit du bail commercial qui prohibe les clauses qui auraient pour objet ou pour effet de limiter la cessibilité du contrat (art. L. 145-16, al. 1, c.com.). En revanche, la cession autonome est refusée par le statut des baux d’habitation sauf accord écrit du bailleur (art. 8 loi n° 89-462 du 6 juill. 1989). Même interdiction de principe du côté du statut du fermage (art. L. 411-35, al. 1, c. rur.).

Effets. Comprenons bien. Il s’agit d’une véritable cession de contrat. Le locataire princeps cède sa position contractuelle. Cédant, par voie de conséquence, ses créances et l’ensemble des dettes à venir, la jurisprudence soumettait le contrat aux formalités de l’ancien article 1690 c.civ. (signification de la cession au bailleur par exploit d’huissier). La réforme du droit commun des contrats et du régime des obligations a notablement assouplie cette condition (art. 1322 nouv. c.civ.). En bref, à compter de la conclusion de la cession, l’ancien locataire n’est plus débiteur des loyers. Le défaut de paiement ex post ne saurait donc plus être imputé à faute.

2.b. – La cession accessoire par le bailleur

Principe. À la différence du cas qui vient d’être examiné, qui est celui d’une cession volontaire, la vente de la chose louée par le bailleur est une hypothèse de cession forcée du bail à l’acquéreur.

Le cas de figure est réglementé à l’article 1743 c.civ. Pour faire simple, le bail est en principe poursuivi avec le nouvel acquéreur.

Une condition est posée par la loi. Le bail doit être authentique ou bien doit avoir date certaine.  (art. 1328 anc. c.civ. : enregistrement, mort de l’une des parties, ou reprise de sa substance dans un acte authentique…). Formalisme que la Cour de cassation a atténué puisque la simple connaissance du bail (même non authentique, même sans date certaine) suffit à sa transmission : (voy. not. Cass. 3ème civ., 20 juill. 1989, Bull. civ. III, n° 169).

Par exception, le contrat peut réserver au bailleur le droit d’expulser le preneur à bail en cas de vente de la chose louée. Une raison à cela : un bien libre de toute occupation est mieux valorisé sur le marché immobilier. Et c’est sans compter la faculté pour le bailleur d’en jouir aussitôt.

La situation est toutefois un peu plus complexe dans les statuts spéciaux (voy. tout particulièrement l’article “Le bail d’habitation et à usage mixte »).

3.- La mort de l’une des parties : la cession légale du bail

Aux termes de l’article 1742 c.civ., la mort du bailleur ou du preneur n’est pas une cause d’extinction du contrat. Le bail se poursuit donc avec les héritiers, à charge pour eux, qu’ils soient bailleur(s) ou locataire(s), de résilier le contrat s’ils n’en veulent plus.

A noter que l’article 1742 c.civ. n’est toutefois pas d’ordre public. Les parties peuvent en écarter le jeu. Exception faite, une fois encore des statuts spéciaux, où il existe une dévolution successorale spécifiquement encadrée.

[1] Colocation : X. Labbée, « La colocation et le droit de la famille », JCP G. 2012.534. L’auteur se demande si la colocation ne serait pas une communauté de vie forcée. À ce titre, les colocataires pourraient être bien inspirés d’inclure dans le contrat un « règlement de vie commune », comme cela est tout à fait concevable s’agissant du pacs

Le bail de droit commun : obligations du bailleur

Le bail est un contrat synallagmatique. Il produit donc des obligations à la charge du bailleur comme du preneur (voy. l’article « Le bail de droit commun : les obligations du preneur à bail).

Les codificateurs ont clairement envisagé le bail comme un diminutif de la vente. Il n’est donc pas étonnant que les obligations des parties au bail soient très proches de celles des parties à la vente. On trouve ainsi un certain nombre de renvois explicites aux règles de la vente.

Obligation générique.- Le bailleur est débiteur d’une obligation générique, qui consiste à garantir au preneur la jouissance paisible du bien loué. Cette obligation apparaît par bribes dans la kyrielle des obligations décrites par les articles 1719 à 1727 du c.civ., qui toutes tendent à garantir la jouissance paisible du preneur. La lecture de l’article 1719 c.civ. l’atteste. Pour reprendre le mot des professeurs Antonmattéi et Raynard, cette obligation est l’« âme du bail ». Cet objectif justifie que le bailleur soit tenu de trois séries d’obligations :

– L’obligation de délivrance (section 1) ;

– L’obligation d’entretien (section 2) ;

– Les obligations de sûreté (section 3).

Obligation d’information.- Avant d’entamer l’étude, par le menu, de ces trois séries d’obligations, il importe de dire quelques mots de l’obligation d’information qui pèse sur les épaules du bailleur.

Le bailleur est tenu d’informer le preneur sur l’état de la chose donnée à bail. Le Code de l’environnement exige qu’un état des risques naturels (sismicité) et technologiques (nucléaire) soit fournir au locataire (art. L. 125-5, II ; loi 6 juill. 1989, art. 3-1 ; art. L. 145-1 c.com.). À défaut, le locataire (cela est vrai de l’acquéreur) peut poursuivre la résolution du contrat ou demander au juge une diminution du prix (art. L. 125-5, V, c. envir.). Le Code de la santé publique, qui entend prévenir les risques sanitaire liés à l’environnement, en l’occurrence ceux liés au saturnisme (intoxication aiguë ou chronique causée par le plomb ou par les sels de plomb. V. Institut national de la santé et de la recherche médicale, www.inserm.fr, santé publique, dossiers d’information), exige du bailleur qu’il fournisse à tout occupant un « constat de risque d’exposition au plomb » (art. L. 1334-5 ensemble L. 1134-7 c. santé publ.), à la condition toutefois que l’immeuble loué ait été construit avant le 1er janvier 1949 et qu’il soit affecté en tout ou partie à l’habitation. Et la loi d’ajouter que « l’absence dans le contrat de location du constat de risque d’exposition au plomb constitue un manquement aux obligations particulières de sécurité et de prudence susceptibles d’engager la responsabilité pénale du bailleur (C. santé publ., art. L. 1334-7, al. 3). Quant au risque d’exposition à l’amiante, les dispositions précitées font l’obligation au bailleur d’en avertir le preneur. Ce n’est pas tout, le Code de la construction et de l’habitation contraint le bailleur à fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE) de l’immeuble loué (art. L. 134-1 et s. in diagnostics techniques). Le Code le définit ainsi : « Le diagnostic de performance énergétique d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment est un document qui comprend la quantité d’énergie effectivement consommée ou estimée pour une utilisation standardisée du bâtiment ou de la partie de bâtiment et une classification en fonction de valeurs de référence afin que les consommateurs puissent comparer et évaluer sa performance énergétique. Il est accompagné de recommandations destinées à améliorer cette performance. »

Heureux soient les bailleurs. On dit de l’enfer qu’il est pavé de bonnes intentions. On peut s’interroger sur l’inanité (caractère de ce qui est vide, sans réalité, sans intérêt. Au fig. : caractère de ce qui est inutile, futile, vain) de ces diagnostics techniques dans les villes où il existe une grave crise du logement…

Section 1.- L’obligation de délivrance

Obligation complexe.- Le bailleur est tenu de délivrer la chose louée (art. 1719, 1°, c.civ.) « en bon état de réparations de toute espèce » (art. 1720 c.civ.). La loi se fait plus pressante si le bien loué sert à l’habitation principale du preneur : elle exige en outre que le logement soit décent (art. 1719 1°, c.civ.).

Logement décent (renvoi).- Les caractères du logement décent sont spécifiques aux baux d’habitation ; ils seront envisagés à cette occasion (voy. l’article « Le bail d’habitation et à usage mixte »). On signalera simplement qu’un logement décent est logement qui correspond aux caractéristiques définies par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) (décret modifié le 09 mars 2017 qu intègre la performance énergétique aux caractéristiques du logement décent). En ce sens, l’article 6, al. 1er, loi 6 juill. 1989 dispose : « Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation » (texte modifié en nov. 2018).

Division.- La délivrance s’entend donc de deux obligations distinctes : délivrer la chose louée (§1) et la délivrer en bon état (§2).

§1.- L’obligation de délivrer la chose louée

Contenu.- Le bailleur – comme le vendeur – doit mettre la chose louée à la disposition du locataire. Il s’agit d’une obligation essentielle du bail (Cass. 1ère civ., 11 oct. 1989, Bull. civ. I, n° 317), dont la convention des parties ne peut dispenser le bailleur. Autrement dit, l’obligation de délivrance est d’ordre public. Par voie de conséquence, le preneur peut refuser de payer les loyers tant que la chose ne lui a pas été délivrée. Pour cause : le contrat n’ayant reçu aucune exécution, le débiteur du loyer peut valablement s’en prévaloir pour différer l’accomplissement de sa prestation. Dans ce cas de figure, l’exception d’inexécution peut valablement être opposée (art. nouv. c.civ.). Ses conditions sont remplies.

Une erreur commune est faite en la matière : une fois que le bien loué a été mis à la disposition du locataire, le défaut de paiement du premier loyer ne dispense pas le bailleur de l’obligation de délivrance (Cass. 3ème civ., 28 juin 2006, Bull. civ. III, no 161). Souvenez-vous bien : le bail ne renferme pas d’obligation conjonctive (texte et définition).

La chose doit évidemment être délivrée libre de toute occupation. Elle doit être délivrée avec ses accessoires, lesquels seront déterminés en fonction de la nature du bien et du contenu de la convention.

La chose doit être conforme à la destination prévue au bail. Cela signifie qu’elle doit permettre au preneur de l’exploiter conformément à la destination convenue (ex. Cass. 3ème civ., 7 mars 2006, AJDI 2006. 467 [défaut d’autorisation de l’assemblée générale de copropriété] ; 3 mars 2009,Rev. loyers 2009. 222).

Si le contrat précise en outre la contenance de la chose, les éventuels écarts se règlent comme en matière de vente (art. 1616 à 1622 c.civ.). L’art. 1765 c.civ. le précise pour les baux à ferme, mais la solution doit être étendue à tous les baux immobiliers.

Frais de la délivrance.- Les frais de délivrance sont à la charge du bailleur, s’il n’y a eu stipulation contraire. Il s’agit de l’application de l’article 1608 c.civ. au bail.

Obligation continue.- La différence entre vente et le bail est que la première est un contrat instantané tandis que le second est un contrat à exécution successive. Ceci implique que contrairement aux règles qui ont court dans la vente, l’obligation de délivrance prend dans le bail un caractère continu (i.e. qu’elle se prolonge pendant toute la durée du bail). En conséquence, le bailleur n’a pas le droit de changer la forme de la chose louée (art. 1723 c.civ.) ou de supprimer l’un de ses éléments.

§2.- L’obligation de délivrer la chose louée en bon état

Contenu.- L’article 1720 c.civ. impose au bailleur de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce. Il existe en matière de bail deux sortes de réparations : celles qui incombent au locataire – réparations locatives – et celles qui incombent au bailleur. La loi impose que la chose louée soit, en début de bail, en bon état de réparations, même locatives, quand bien même celles-ci seront à l’avenir à la charge exclusive du locataire (celui-ci doit, en la matière, faire perdurer le bon état de la chose).

Sanction.- Si la chose n’est pas en bon état, le locataire peut faire condamner le bailleur à procéder aux réparations qui s’imposent ou, à son choix, demander la résolution du bail si la gravité du manquement le justifie. Le bailleur engage également sa responsabilité contractuelle si le mauvais état de la chose louée a causé un dommage au preneur.

Limite, clauses de réception « en l’état ».- La règle de l’article 1720 c.civ. n’est pas d’ordre public et les parties aménagent souvent cette obligation en convenant que le preneur déclare bien connaître la chose et la prendre en l’état, ce qui a pour effet de décharger le bailleur de l’obligation de l’article 1720 précité.

Ces clauses sont parfaitement licites, même si la jurisprudence a coutume de les interpréter strictement. Mais la licéité a une limite : sous couvert de mettre certaines réparations à la charge du locataire, le bailleur ne peut pas aller jusqu’à s’exonérer de son obligation de délivrance, qui elle est d’ordre public.

Voy. pour un ex. typique : Cass 3ème civ., 5 juin 2002, Bull. civ. III, n° 123 :

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1719 et 1720 du Code civil ;

Attendu que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; qu’il doit entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 mai 2000, n° 690), que M. X… a donné à bail à la société Hôtel de France un immeuble à usage commercial, en mauvais état ; que le bail stipulait que ” le bénéficiaire prendra les lieux dans l’état où ils se trouvent au jour de l’entrée en jouissance, les ayant visités à plusieurs reprises et ayant reçu du promettant deux rapports sur les travaux nécessaires à l’exploitation dans lesdits locaux d’un commerce d’hôtel “, les parties approuvant sans réserve l’état des lieux annexé au bail ; que la locataire a fait effectuer les travaux prévus aux rapports susvisés ; que ces travaux se sont révélés insuffisants pour la mise en conformité de l’hôtel ; que la locataire a alors entrepris les travaux supplémentaires nécessaires ;

Attendu que, pour débouter la société Hôtel de France de sa demande de remboursement de ces travaux supplémentaires, l’arrêt retient que, faute de stipulation expresse du bail, le bailleur n’avait pas l’obligation de prendre en charge le coût des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’hôtel non prévus par les rapports d’experts établis antérieurement à la conclusion du bail, ces rapports n’ayant eu pour objet que d’informer le preneur sur l’état des lieux et l’éclairer sur les travaux à exécuter pour rendre les lieux conformes à l’usage d’hôtel prévu par le bail ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la clause par laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE

En l’espèce, l’hôtel ne pouvait être exploité faute de mise en conformité : le preneur ne pouvait donc pas l’exploiter selon la destination convenue # obligation de délivrance.

Section 2.- L’obligation d’entretien

Contenu de l’obligation d’entretien (§1). Sanction de l’obligation d’entretien (§2)

§1.- Contenu de l’obligation d’entretien

Prolongement de l’obligation de délivrance.- Le bailleur, qui a délivré la chose en bon état de réparations de toute espèce, doit l’entretenir « en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » (art. 1719, 2°, c.civ.), ce qui lui impose de « faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives » (art. 1720 al. 2, c.civ.).

Réparations locatives et « grosses réparations ».- Une distinction importante doit être opérée entre les réparations locatives ou de menu entretien, qui incombent au preneur, et les autres, qui forment l’objet de l’obligation d’entretien du bailleur. Le législateur y procède aux articles 1754, 1755 et 1756 c.civ.

L’idée est que le bailleur assume les grosses réparations, c’est à dire celles qui sont relatives à la structure ou aux éléments essentiels de la chose louée (ex. réfection du toit ou d’un mur). Il est à noter que la distinction entre les réparations locatives et celles qui ne le sont pas est précisée par certains statuts spéciaux. C’est précisément le cas en droit du bail d’immeuble d’habitation. La loi du 6 juillet 1989 renvoie à un décret le soin de définir ce que sont les réparations locatives puis de les lister (art. 6-1, d ; 25V). Aux termes de l’article 1er du décret n° 87-712 du 26 août 1987 pris en application de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développements de l’offre foncière et relatif aux réparations locatives, « sont des réparations locatives les travaux d’entretien courant et de menues réparations », à savoir celles entre autres listées. Par voie de conséquence, celles qui ne le seraient pas, au vu de la lettre ou de l’esprit du texte, sont des grosses réparations, qui doivent être faites par le bailleur. La jurisprudence y assimile les travaux prescrits par l’autorité administrative (Cass. 3e civ. 13 juill. 1994, no 91-22.260, Bull. civ. III, no 143).

Le domaine de ces grosses réparations est également borné « par le haut » : les très grosses réparations, i.e. celles qui relèvent de la reconstruction de la chose périe par cas fortuit ne sont pas à la charge du bailleur, mais plutôt à sa discrétion, puisque la perte de la chose louée met fin au bail (art. 1722 c.civ.). La jurisprudence tend à assimiler la vétusté à la perte de la chose, lorsque le coût des travaux excède la valeur du bien (Civ. 3e, 3 juin 1971, Bull. civ. III, n° 348).

La charge des grosses réparations peut contractuellement être transférée sur le locataire, mais certains statuts spéciaux l’interdisent (ex. loi du 6 juill. 1989, art. 6 c).

§2.- Sanction de l’obligation d’entretien

Droit commun.- L’inexécution par le bailleur de son obligation fonde le preneur à solliciter l’une quelconque des sanctions permises par le droit commun du contrat : exécution forcée, résiliation, indemnisation ; réalisation des travaux aux frais du bailleur sur autorisation de justice (art. 1222 nouv. c.civ. / art. 1144 anc. c.civ.). Deux précisions s’imposent. La mise en demeure préalable, restée sans succès, est exigée en jurisprudence.

L’exception d’inexécution est en principe inopposable. Ce mode de justice privée est réservé à l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance. Il importe au preneur de rapporter la preuve d’un manquement tel que la jouissance est rendue impossible ou très difficile. L’article 1219 nouv. c.civ. (in L’exception d’inexécution) dit en ce sens que l’inexécution doit être suffisamment grave (comp. la note sous article 1219 rel. au bail qui donne à penser que l’exceptio non adimpleti contractus peut être opposée en tout état de cause. Mise en garde). C’est dire que les risques et périls sont grands pour qui entend ne pas payer (syno. Exécuté) sa propre obligation en réaction. En somme, tant que le preneur jouit de la chose, son refus de paiement est disproportionné et permet au bailleur d’obtenir la résiliation du contrat à ses torts. Encore faut-il s’entendre sur ce que peut signifier jouir de la chose donnée à bail… C’est une fois encore à la sagesse du juge que le Code renvoie en dernière intention. Dernière intention seulement, car créancier et débiteur sont invités à trouver une solution amiable à leur litige. En ce sens, et pour mémoire, l’article 56 du Code de procédure civile dispose que la saisine du juge de première instance contient (sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’Opu, à peine de nullité les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Séquestre. Il reste toutefois la possibilité pour le preneur de pratiquer le séquestre. V. nouv droit commun des contrats. Le séquestre est le dépôt d’une chose contentieuse entre les mains d’un tiers, qui s’oblige à la rendre, une fois la contestation terminée, à la personne qui a le droit de l’obtenir (art. 1956 c.civ.). Il facilite l’exécution matérielle du règlement du litige et soustrait l’objet des convoitises – le loyer en l’occurrence – à l’humeur ou à la fraude des plaideurs (F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Droit des contrats civils et commerciaux). C’est une variété de dépôt. Dans le cas particulier, le séquestre conventionnel est exclu, car il nécessite l’accord du bailleur et du preneur. Il reste le dépôt judiciaire. Il consiste à demander au juge, en référés au besoin, de séquestrer les loyers litigieux. Le séquestre prendra fin une fois que la motivation qui le motivait est terminée, soit qu’elle a été tranchée par une décision judiciaire définitive, et que donc la chose séquestrée n’est plus litigieuse, soit que le différend opposant les parties a disparu, par l’effet d’une transaction, d’un désistement d’instance ou autre acte mettant fin au procès, soit, si la juridiction n’avait pas encore été saisie, en conséquence d’une convention ou d’un quelconque arrangement. Les parties intéressées ont la faculté de supprimer le séquestre, même si l’instance a été engagée et perdure, dès lors qu’elles le considèrent comme inutile, et sans objet. Il constitue, en effet, une procédure qui n’est pas d’ordre public et qui reste à la discrétion des parties (F.-J. Pansier, Rép. civ., v° Séquestre)

Section 3.- Les obligations de sûreté

Division.- Sous cet intitulé un peu ésotérique, deux séries d’obligations seront rangées : les obligations de garantie, d’une part (§1), et les obligations de sécurité, d’autre part (§2). Avant de les présenter par le menu, il importe d’avoir bien en vue que les professeurs et les juges transposent au bail les règles de garantie associées à la vente.

§1.- Les obligations de garantie

Division. L’obligation de garantie contre les vices cachés (A). L’obligation de garantie contre l’éviction (B).

A.- L’obligation de garantie contre les vices cachés

La garantie contre les vices cachés est définie à l’article 1721 c.civ. Elle concerne « tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. Pour le dire autrement, le vice est un défaut caché de la chose, existant au jour du bail qui empêche son usage normal (certains auteurs considèrent que le vice peut exister au cours du bail. Voy. en ce sens A. Bénabent, Droit des contrats civils et commerciaux / P.-H. Antonmattei et J. Raynard). Le vice doit être caché du preneur. Le texte ne le dit pas formellement. Mais c’est l’évidence. Si, au contraire, il devait être apparent, on peut raisonnablement penser que le preneur à bail serait en mesure d’apprécier l’impossibilité de jouir paisiblement de la chose. Le contrat ne pourrait donc être conclu qu’en connaissance de cause (voy. toutefois supra)…

Comme pour la vente, la garantie est due peu important que le bailleur ait eu ou non connaissance de l’existence du vice. Il y a toutefois une première différence notable entre les deux régimes. L’engagement de la responsabilité du vendeur suppose rapportée la preuve de sa connaissance du vice. Ce n’est pas le cas en droit du bail : la responsabilité sera encourue dans tous les cas de figure (art. 1721, al. 2, c.civ.).

La seconde distinction tient au silence du législateur quant à l’action en garantie contre les vices cachés de la chose louée. Faute de texte spécial, il importe d’appliquer le droit commun de la prescription. Dans le cas particulier, le preneur à bail est recevable à agir cinq année durant à compter de la découverte du vice rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine (art. 22129 et 2224 c.civ.).

B.- L’obligation de garantie contre l’éviction

Les troubles dans la jouissance de la chose peuvent être causés par le bailleur ou bien par des tiers au contrat de bail.

Troubles causés par le bailleur. – L’action du bailleur ne saurait troubler le preneur à bail dans sa jouissance des utilités de la chose. Aucun texte particulier ne règlement le cas de figure : obligation générique de garantie oblige (v. supra). Pour le dire autrement, l’article 1719 c.civ. est amplement suffisant pour fonder l’action en cessation du trouble intentée par le preneur.

Ce sont les troubles causés par les tiers qui ont plus volontiers retenu l’attention du législateur.

Troubles de droit causés par les tiers.- L’article 1726 c.civ. est explicite : le bailleur doit garantir le preneur contre tout trouble de droit qui émanerait d’un tiers. Pour le dire autrement, le preneur à bail ne doit pas être empêché de profiter des utilités de la chose en raison d’une prétention juridique formulée par un tiers (ex. titre de propriété, servitude…). Si une action en revendication du bien donné à bail est formée (ex. bail de la chose d’autrui. V. supra), alors l’article 1726 c.civ. fonde le locataire à demander une diminution du prix du contrat en cas d’éviction partielle (v. dans le même sens, l’art. 1626 c.civ. relativement à la vente) et la résolution du bail, assortie du paiement de dommages et intérêts en cas d’éviction totale.

Troubles de fait causés par les tiers.- L’article 1725 c.civ. dispose que les troubles de faits ne donnent pas lieu à garantie. La règle se comprend aisément. Le bailleur n’a pas vocation à couvrir une quelconque voie de fait. Vulgairement parlant, ce ne sont pas ses affaires. Il importe donc au seul preneur à bail d’agir en responsabilité contre les intéressés. Le bailleur n’est par exemple pas responsable des vols commis au cours du bail…sauf, bien entendu, si l’infraction a été facilitée par l’inexécution de ses propres obligations (ex. vol d’un vélo dans un local dédié dont la serrure endommagée n’a jamais été remplacée). C’est l’hypothèse de la voie de fait facilitée voire causée par la faute contractuelle du bailleur. Responsabilité encore, mais c’est un autre cas de figure, si la voie de fait du tiers a tellement endommagé le bien que le bailleur est constitué en faute pour ne pas avoir exécuté son obligation d’entretien (art. 1720 c.civ.).

§2.- L’obligation de sécurité

Formellement, le Code civil n’oblige pas le bailleur à garantir la sécurité du preneur. On doit à la jurisprudence d’avoir découvert cette obligation contractuelle et d’avoir précisé son intensité juridique (obligation de moyens). Pour mémoire, l’intensité juridique de l’obligation contractuelle est la résultante de deux variables : la première est l’intensité de l’engagement (qui peut être plus ou moins poussé) ; la seconde, l’intensité de la sanction en cas d’inexécution (qui peut être plus ou moins stricte).

Le professeur Leduc a tout dit sur ce sujet. Voici résumé à grands traits sa leçon. Le lecteur gagnera beaucoup à la lire in extenso (L’intensité juridique de l’obligation contractuelle, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, PUAM, 2011-3). L’obligation de moyens est l’obligation pour le débiteur de fournir la diligence qu’on est normalement en droit d’attendre de lui. Dit autrement : le normal est au cœur de l’obligation de moyens. La normalité implique la détermination d’un modèle de référence par rapport auquel on va apprécier le comportement du sujet jugé. Deux modes d’appréciation de la normalité s’opposent : l’appréciation extrinsèque (le comportement du sujet jugé est rapporté à un étalon de référence extérieur à lui) et l’appréciation intrinsèque (l’étalon de référence est le sujet jugé lui-même).

En bref, cette obligation de sécurité semble pouvoir être invoquée de manière autonome sans avoir nécessairement besoin d’être rattachée à un défaut d’entretien ou à un vice de la chose. Obligation dont l’intensité juridique a vocation à s’amplifier, particulièrement depuis l’exigence d’un logement décent qui se caractérise aussi par certaines normes de sécurité. Table des matières ).

Le bail de droit commun : preuve du contrat

Il faut s’arrêter un instant sur la preuve du bail. Dérogeant au droit commun, elle est spécialement réglementée par le Code civil, qui distingue la preuve de l’existence du bail (1) de la preuve du contenu du bail (2).

La distinction de fond est celle que le Code civil fait entre le bail verbal et le bail fait par écrit. Il faut noter dès à présent que certains statuts spéciaux règlent le problème autrement : par ex. la loi du 6 juillet 1989, relative au bail d’habitation, impose qu’un contrat soit dressé par écrit.

1.- La preuve de l’existence du bail

Aux termes des articles 1715 et 1716 c.civ., la preuve du bail n’est pas libre, à tout le moins en droit civil, car « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi » (art. L. 110-3 c.com.).

Dans la mesure où l’on peut louer par écrit (art. 1714 c.civ.), il va sans dire que le système de la légalité des preuves a vocation à jouer. L’article 1359 nouv. c.civ. dispose en ce sens que “l’acte juridique portant sur une somme ou sur une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique” (art. 1341 anc.).

Quand est-il de la preuve de l’existence d’un bail fait sans écrit ? L’article 1715, al. 1er c.civ. est explicite : si ce bail n’a pas encore reçu exécution, et que l’une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu’en soit le prix, et quoiqu’on allègue qu’il y a eu des arrhes données. A contrario, si le bail a reçu un commencement d’exécution, il peut être prouvé par tous moyens. En logique juridique, l’argument à partir du contraire ne peut être valablement pratiqué que s’il permet de revenir d’une exception, marquée en pratique par l’emploi d’une tournure de phrase négative, à un principe. C’est le cas en l’espèce. Les tribunaux ne s’y sont pas trompés (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, no 00-15.194, Bull. civ. III, no 59, Defrénois 2002. 1541, obs. Honorat, Petites affiches 18 nov. 2002, no 230, p. 7, note Stoffel-Munck, Rev. loyers 2002. 337, obs. Canu). La preuve n’est pas pour autant aussi facile à rapporter qu’on pourrait le penser. La loi exige que le commencement d’exécution soit prouvé. Le juge demande en conséquence que les éléments essentiels du contrat et notamment le paiement d’un prix convenu soient prouvés. L’existence d’une occupation des lieux ne suffit pas (Cass. 3e civ. 5 janv. 1978, Bull. civ. III, no 10). Vous me direz que ce n’est pas insurmontable. Vous avez raison et ce d’autant plus qu’un commencement d’exécution se prouve par tout moyen (Cass. 3e civ. 26 févr. 1971, Bull. civ. III, no 147, RTD civ. 1971. 867, obs. Cornu ; 20 déc. 1971, Bull. civ. III, no 642). En définitive, cette jurisprudence revient à admettre la preuve libre pour l’existence d’un bail qui a commencé à être exécuté.

La loi réserve toutefois le serment, qui peut être déféré à celui qui nie le bail, mais omet l’aveu (art. 1383 et s. nouv. c.civ. / art. 1715, al. 2, anc.). Au reste, cela n’a pas grande importance. Le serment décisoire et l’aveu sont des modes de preuve qui sont admissibles en toutes circonstances. Bien que la loi ne le dise pas, la preuve du bail par les tiers est libre.

Revenons quelques instants sur l’article 1715 c.civ., qui réglemente la preuve en cas de bail verbal pour lequel il n’y aurait eu aucun commencement d’exécution. Dans la mesure où l’existence d’un tel bail peut être suspecte, aucune preuve visible n’existant, le législateur est plus exigeant et déroge aux règles du droit commun : la preuve testimoniale est écartée quel que soit le montant du bail, par exception à l’article 1359 c.civ. précité. Les exceptions à cet article ne peuvent non plus, dès lors, s’appliquer : peu importe qu’il y ait un commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 18 mars 1987, Bull. civ. III, no 54) et peu importe qu’il y ait eu des versements (Cass. 3e civ. 16 mai 2000, no 98-17.803, Loyers et copr., 2000, comm. 185, obs. B. Vial-Pedroletti) ou une impossibilité de se procurer un écrit : la preuve testimoniale est toujours écartée et ne peut donc venir compléter un cas d’ouverture de l’ancien article 1348, alinéa 1. (voy. cep. un auteur qui considère possible la preuve testimoniale dans le cas d’une impossibilité morale de se procurer un écrit : A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux). Seuls restent donc théoriquement possibles comme modes de preuve admissibles pour de tels baux : le serment et l’aveu.

2.- La preuve du contenu du bail

La preuve du contenu du bail est réglementée par l’article 1716 c.civ. dans un français désuet mais qui a son charme. « Lorsqu’il y aura contestation sur le prix du bail verbal dont l’exécution a commencé, et qu’il n’existera point de quittance, le propriétaire en sera cru sur son serment, si mieux n’aime le locataire demander l’estimation par experts ; auquel cas les frais de l’expertise restent à sa charge, si l’estimation excède le prix qu’il a déclaré ».

Comprenez bien : le problème n’est pas que les parties n’ont pas fixé le loyer – car à défaut le bail serait nul ou dégradé en prêt à usage (ou commodat pour employer une qualification qui a été rayée du code) – c’est seulement qu’elles n’arrivent pas à en prouver le montant. C’est la raison pour laquelle un tiers doit intervenir, et quel meilleur tiers que le juge ?

Le bail de droit commun : conditions de formation

Une fois le bail identifié (v. art “Le bail de droit commun : qualification juridique”), il faut envisager ses conditions de formation.

L’article 1128 nouv. c.civ. (art. 1108 anc.) énumère les trois conditions nécessaires à la validité d’un contrat : le consentement des parties, leur capacité de contracter, un contenu licite et certain. En somme, la loi pose, d’une part, des conditions relatives au parties au contrat (section 1) et, d’autre part, des conditions relatives au contenu du contrat (section 2).

Section 1.- Les conditions relatives aux parties au contrat

§1.- Le consentement

Contrat consensuel. – Le bail est un contrat consensuel. Il se forme aussitôt les éléments essentiels du contrat définis. Aucune forme particulière n’est requise pour la validité du bail de droit commun. Peu importe, à tout le moins en théorie, que le bail soit écrit ou verbal. Certes, l’article 1714 c.civ., dispose qu’il est possible de louer « par écrit ou verbalement ». Pris à la lettre, ce texte pourrait donner à penser que le bail est un contrat solennel. Attention aux apparences : ce n’est qu’une règle de preuve du contrat et non une condition de formation exigée à peine de nullité.

Contrats préparatoires. – Comme pour tout contrat, le bail peut faire l’objet d’un contrat préparatoire. Les parties peuvent donc décider de conclure préalablement au contrat définitif de bail un pacte de préférence engageant le promettant à proposer le bail au bénéficiaire le jour où il décidera de louer (art. 1123 nouv. c.civ.). Elles peuvent également stipuler une promesse unilatérale aux termes de laquelle le promettant s’engage à conclure le bail si le bénéficiaire lève l’option (art. 1124 nouv. c.civ.). A noter qu’une une promesse synallagmatique de bail peut être conclue. Dans ce cas, à l’image de la vente et par application analogique de l’article 1589 c.civ., la promesse de bail vaut bail.

§2.- La capacité

La condition de capacité des parties au bail présente quelques singularités. Pour cette raison, il importe de distinguer l’étude de la capacité de donner à bail (A) de celle de la capacité de prendre à bail (B).

A.- La capacité de donner à bail

Division. Le bail de sa propre chose (1). Le bail de la chose d’autrui (2).

1.- Bail de sa propre chose

Par nature, le bail est un acte d’administration, c’est à dire un acte de gestion normale et courante du patrimoine. La loi n’exige donc de son auteur aucune autre condition que la capacité de contracter (art. 1145 c.civ. in limine). Rien d’étonnant : le bailleur n’aliène pas la chose donnée à bail. C’est très vrai pour peu que la chose soit un meuble. Car, toutes les fois qu’un immeuble est loué, le droit est autrement plus exigeant. Même chose en droit du bail commercial. Il y a une raison à cela dans le cas particulier : la protection du preneur (locataire) est telle que la capacité du bailleur, qui souhaiterait qu’on lui restitue la jouissance de la chose, est notablement restreinte. Partant, la capacité de contracter de ce dernier est plus strictement appréciée.

Si le bailleur dispose de sa pleine capacité juridique : aucune difficulté. Dans le cas contraire, il faut avoir à l’esprit que les pouvoirs de l’incapable sont limités voire réduits à la portion congrue si le majeur est placé sous tutelle (art. 473, al. 1, c.civ. ensemble art. 474 c.civ.). Par voie de conséquence, il s’agira de vérifier si le tuteur pouvait procéder seul ou bien s’il importait qu’il soit autorisé à contracter (par le conseil de famille ou le juge des tutelles). L’annexe du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle établit plusieurs listes d’actes regardés tantôt comme des actes d’administration tantôt comme des actes de disposition.

(https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020017088

2.- Bail de la chose d’autrui

Le bail accorde au preneur un droit contre la personne du bailleur (droit personnel), certainement pas sur la chose donnée à bail (droit réel). Dit autrement : l’engagement du bailleur est de procurer à son cocontractant la (seule) jouissance de la chose.

La question se pose de savoir si l’on peut donner à bail la chose d’autrui ? La réponse n’est pas négative comme on pourrait le penser en raisonnant par analogie sur le droit de la vente. Il faut bien dire que ce dernier droit prohibe la vente de la chose d’autrui (art. 1599 c.civ.). La raison est la suivante : personne ne peut transférer à un autre plus de droit qu’il n’en a lui-même (nemo plus juris ad transfere potest quam ipse habet). Or, force est de le redire : le preneur à bail (locataire) n’a en principe aucun droit sur la chose. Le bail de la chose d’autrui peut donc être pratiqué…pour peu que le propriétaire bailleur ratifie la promesse qui aura été faite. En bref, le bail de la chose d’autrui est une promesse de porte-fort (art. 1204 nouv. c.civ. / art. 1120 anc.). Soit le promettant obtient la ratification du propriétaire bailleur est tout se passe pour le mieux. Soit il ne l’obtient pas et des dommages et intérêts auront vocation à être payés (art. 1231-1 nouv. c.civ.). Car l’obligation de délivrance n’aura pas pu être exécutée. Et si le bénéficiaire de la promesse a été mis en possession, par anticipation en quelque sorte, alors le légitime propriétaire sera fondé à revendiquer sa chose et à agir en expulsion… Quant à savoir si cette dernière action aura vocation à prospérer, l’incertitude gagne vite : application de la théorie de l’apparence oblige (voy. art. “L’apparence”). Car il est admis que l’inopposabilité du bail au propriétaire véritable cède lorsque « le preneur a conclu le bail de bonne foi sous l’empire de l’erreur commune » (Civ. 1ère, 2 nov. 1959, Bull. civ. I, n° 448. Art. 1132 nouv. c.civ.). Et voilà que le bail consenti par le propriétaire apparent (ex. acheteur dont la vente est résolue ; héritier qui perd la qualité de successible du fait de la révélation de l’existence d’un héritier mieux placé, etc…) est inattaquable.

D’ordinaire, le droit discipline les faits. Ponctuellement, l’apparence et sa théorie sont une construction méthodologique qui offre au juge un guide sûr pour motiver des décisions qui font prévaloir le fait sur le droit ; l’apparence va alors exceptionnellement inhiber la norme (voy. l’article “L’apparence”). Fondée sur le respect dû à la bonne foi et aux légitimes prévisions des tiers, on peut se demander si cette solution n’est pas un peu rude pour le verus dominus, surtout lorsque le bail en cause octroie au preneur de larges prérogatives sur le bien – ex. bail rural ou commercial.

B.- La capacité de prendre à bail

Acte d’administration pur et dur.- À l’égard du preneur, le bail est un acte d’administration. Ici, les problèmes rencontrés dans la personne du bailleur ne se posent pas. Toute personne disposant de la capacité d’administrer peut prendre à bail.

Preneur en couple.- Il faut simplement noter que la loi prévoit des cas de cotitularité qui sont importants lors de la vie du bail.

Époux et partenaires liés par un pacte civil de solidarité : art. 1751 c.civ. : « Le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conclu avant le mariage, réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un PACS ».

En cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.

En cas de décès d’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »

 Ceci oblige en pratique à donner congé à chacun des deux époux.

Conjoint exploitant : sans aller jusqu’à la cotitularité, certains statuts spéciaux imposent que le conjoint exploitant donne son accord à la résiliation, à la cession ou au renouvellement du bail à peine de nullité (art. L. 121-5 c.com. ; art. L. 411-68 c.rur.).

Héritiers.- Le bail passe aux héritiers en cas de décès du preneur (art. 1742 c.civ. : « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur ; loi 6 juill. 1989, art. 14).

Section 2.- Les conditions relatives au contenu du contrat

Plan.- Le bail est un contrat synallagmatique, ce qui signifie que bailleur et preneur ont des obligations réciproques dont l’objet de chacune est la cause de l’autre. Pourquoi le bailleur s’engage-t-il à faire jouir le preneur de la chose louée pendant un certain temps ? parce que le preneur s’engage en retour à payer un loyer. Et pourquoi le preneur s’engage-t-il à payer ce loyer ? parce que le bailleur s’est engagé à le faire jouir de la chose louée pendant un certain temps. Dès lors, l’objet des obligations nées du bail et leur cause peuvent être étudiées d’un bloc. À cet égard, il faudra distinguer les conditions relatives à la chose louée (A), les conditions relatives au loyer (B) et les conditions relatives à la durée du bail (C).

Mais avant cela, il faut mentionner une autre approche de la cause : la cause mobile (cause lointaine), que l’on oppose à la cause contrepartie (cause proche), et qui sert à évaluer la licéité du bail. Elle n’a cependant rien de particulier : le bail a une cause illicite si le but de l’une ou l’autre des parties est illicite (ex. bail en vue d’ouvrir une maison close ou de stocker de la drogue). Certes, la notion a été formellement effacée consécutivement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Mais, chassée par la porte, le législateur l’a faite rentrer par la fenêtre tout “en préservant (au passage) l’application prétorienne la plus novatrice des vingt dernières années” (voy. article 1170 nouv. c.civ.) (not. en ce sens, G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2ème éd., Dalloz, 2018, p. 380) et . C’est dire…Les articles 1162 et s. c.civ. (in sous-section 3. – Le contenu du contrat) l’attestent.

§1.- Conditions relatives à la chose louée

La chose louée.- Aux termes de l’article 1713 c.civ., toute sorte de chose, mobilière ou immobilière, peut faire l’objet d’un bail. Au delà, les conditions sont celles de l’objet du contrat : la chose doit être déterminée, possible et licite. Atténuation : on admet que les choses consomptibles au premier usage ne peuvent faire l’objet d’un bail (qualification de prêt de consommation).

La destination de la chose louée.- La destination de la chose louée est importante en pratique. Elle détermine contractuellement ce à quoi doit servir la chose (fixe les limites de l’usage du preneur) et doit être respectée par le preneur. Par ex., les baux d’habitation comportent assez souvent une clause d’habitation bourgeoise (au clause de destination), par laquelle le preneur s’engage à ne pas se servir des lieux loués pour exercer une activité commerciale ou libérale.

§2.- Conditions relatives au loyer

Nécessité absolue.- Le bail est un contrat à titre onéreux. La présence d’un loyer est donc absolument nécessaire pour que le bail reste un bail : pas de loyer, pas de bail (voy. art. “Le bail : définition, intérêt, variétés”). Comprenez bien : la jouissance temporaire d’une chose sans contrepartie exclut la qualification sous étude. Elle s’apparente au contrat de prêt à usage, qui est un contrat à titre gratuit (art. 1876 c.civ.). Le bailleur qui mettrait à disposition d’un commerçant un local sans percevoir de loyer échapperait au régime du bail, spécialement au statut des baux commerciaux (à noter que le juge, via la théorie de la fraude, pourrait être autorisé à déployer les effets de tel ou tel statut spécialement écrit par le législateur nonobstant l’absence formelle de stipulation d’un loyer…Et les parties d’être priées consécutivement de suivre toutes les prescriptions de la loi – i.e. obligation pour le preneur de payer un loyer).

Cette idée est simple. Elle n’épuise pourtant pas toutes les difficultés.

Nécessité d’un loyer déterminé ou déterminable ?.- On sait que depuis les arrêts d’Assemblée plénière de 1995 (Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995, Bull. civ., n° 9), la détermination préalable et objective du prix n’est pas exigée à peine de nullité du contrat pour défaut d’objet (exit l’article 1129 anc. c.civ.). Le principe est en effet que la détermination prix n’est pas, en droit commun, car la loi peut en disposer autrement, une condition de validité du contrat. Les parties peuvent très bien le fixer en cours d’exécution ou une fois celle-ci achevée, voire même laisser à l’une seule d’entre elles le soin de fixer le prix quand elle le souhaite (art. 1165 nouv. c.civ.).

Mais on sait également que ce principe posé en 1995 réserve le cas de l’existence de textes légaux portant exception explicite à cette règle. L’archétype de ces textes est l’article 1591 c.civ., relatif à la vente.

En matière de bail, la question est de savoir s’il existe une disposition comparable. La question est assez difficile. La loi est ne le dit pas explicitement. Quant à la jurisprudence, elle donne à penser.

Si l’on cherche dans le Code civil, il y a bien un texte qui parle de prix. Définissant le bail, l’article 1709 dispose que « Le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ».

La majorité de la doctrine moderne (car ni Mourlon, Répétition écrites sur le Code civil, t. 3, 1883 ni Planiol – Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 5ème éd., 1909 – ne s’interrogent) en déduit, s’appuyant sur les conclusions de l’avocat général Jéol (D. 1996. 13), que la loi relative au bail contient, comme celle relative à la vente, une exception au principe posé en 1995 : la détermination du loyer est une condition de validité du bail (v. en ce sens : F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux ; A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux ; P.-H. Antonmattei et J. Raynard et J.-B. Seube, Droit des contrats spéciaux).

Mais en toute honnêteté, l’article 1709 c.civ. ne dit pas explicitement que la détermination du loyer est exigée ad validitatem (comp. art. 1591 : « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties »), ce qui fait dire à une autre partie de la doctrine qu’un bail peut être conclu sans que le loyer ne soit déterminé (Malaurie, Aynès, Gautier, Droit des contrats spéciaux) pour peu qu’il soit déterminable.

Quant à la jurisprudence, elle est peu claire. Certains arrêts semblent admettre qu’un prix n’est pas nécessaire, mais, à bien y regarder, il semble qu’ils soient en réalité relatifs à des contrats complexes mêlant bail et entreprise [il faut dire dès maintenant que la détermination du prix n’est pas nécessaire dans le contrat d’entreprise et qu’en la matière, le juge est autorisé dans certaines conditions à se substituer aux parties pour fixer le loyer lui-même] (v. surtout : Ass. plén. 1er déc. 1995 [4 arrêts], JCP. 1995. II. 22565, concl. Jéol, note Ghestin, JCP, éd. E, 1996. II. 776, note Leveneur, D. 1996. 13, concl. Jeol, note Aynès, Petites affiches 27 déc. 1995, no 155, p. 11, obs. Bureau et Molfessis). En matière de promesse synallagmatique de bail, la jurisprudence décide qu’une promesse de bail vaut bail dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix (Civ. 3e, 20 mai 1992, D. 1993. Somm. 68, obs. Martine ; 28 mai 1997, Bull. civ. III, n° 116), ce dont il semble bien se déduire qu’elle considère, dans ce cas, le loyer comme un élément essentiel du bail.

Quelques vieux arrêts semblaient autoriser le juge à fixer lui-même le loyer en cas de défaillance des parties, ce qui va dans le sens de la position inverse (Civ., 14 nov. 1892, DP 1893. 1. 11 ; Civ. 3ème, 3 octobre 1968, RTD civ. 1969. 351, obs. Cornu). Mais des arrêts plus récents excluent résolument cette possibilité (Cass. 3e civ. 10 déc. 1975, Bull. civ. III, no 369 ; 8 févr. 2006, no 05-10.724, ibid. III, no 25). Le juge ne peut pas substituer à la commune intention des parties, qu’il doit rechercher, sa propre détermination (art. 1716 c.civ.).

Que penser de tout ceci ? Peut être qu’il serait plus opportun que la détermination du loyer soit une condition de validité du bail. On peut penser en effet que la solution de principe posée en 1995 ne se justifie véritablement que lorsqu’il est difficile pour les parties d’évaluer à l’avance la prestation à fournir (ex. de l’avocat à qui on soumet un dossier : comment pourrait-il savoir à l’avance combien d’heures il va passer dessus ?). Mais en matière de bail, la chose objet du contrat est connue dès sa formation. Les parties devraient donc déterminer dès à présent, et à peine d’un contentieux insurmontable, leurs obligations respectives.

On peut s’interroger pour finir sur la portée exacte du débat. Car une équivoque existe sur la sanction de l’absence de détermination du loyer :

– certaines décisions retiennent la nullité du bail (Cass. 3ème civ., 13 juillet 1994, Bull. civ. III, n° 144)

– d’autres optent pour une simple disqualification du contrat (Cass. soc., 16 juin 1951, RTD civ. 1952. 239, obs. Carbonnier ; commodat). Souvent juge varie, bien fol qui s’y fit ?

Liberté de principe quant à la fixation.- La fixation du loyer est en principe libre, mais les statuts spéciaux dérogent largement à cette liberté. C’est le cas en droit civil du bail d’habitation et à usage mixte (loi 6 juill. 1989, art. 17), en droit commercial ou encore en droit rural (art. L. 411-11, al. 3 c.rur. : les loyers sont fixés en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l’autorité administrative).

En argent ou en nature ?.- En principe le loyer est en argent (car le loyer est un prix et qu’un prix s’entend normalement d’une somme d’argent contre laquelle s’échange un bien ou un service). Mais renvoi : on a vu que dans certains cas, et à condition que la prestation en nature ne soit pas la majeure partie du loyer, une partie du loyer peut être stipulée en nature. Ex. clause travaux ou de soins.

Indexation.- Les parties peuvent prévoir d’indexer le loyer pour lutter contre l’inflation monétaire. En droit commun, l’indexation est licite pourvu que l’indice choisi soit lié à l’objet du contrat ou à l’activité de l’une des parties (voy. art. 1167 nouv. c.civ.). Les statuts spéciaux imposent parfois l’indice (loi 6 juill. 1989, art. 17, d : Indice de Référence des Loyers publié par l’INSEE chaque trimestre).

§3.- Conditions relatives à la durée

Impérativité de la durée.- Le bail est un contrat à exécution successive (voy. pour la définition art. 1111-1, al. 2, nouv. c.civ.). Le bailleur s’oblige ainsi à faire jouir le preneur de la chose « pendant un certain temps », dit l’article 1709 c.civ. C’est une mise à disposition temporaire des utilités de la chose. Ce temps de jouissance fait partie de l’objet du contrat : ce que l’on vise, c’est l’interdiction faite au bailleur de reprendre sa chose ad nutum, c’est-à-dire à première demande (cmp. avec le déposant, qui lui le peut. art. 1944 in limine c.civ. : « le dépôt doit remis au déposant aussitôt qu’il le réclame, lors même que le contrat aurait fixé un délai déterminé pour la restitution (…) »). Dans ces conditions, il n’est pas possible que le contrat se forme à défaut d’accord des parties sur la durée du bail (Cass. 3ème civ., 5 déc. 2001, AJDI 2002. 129, obs. Dumont). Mais la durée doit être distinguée de la prise d’effets : la jurisprudence a décidé, à juste titre, que la date de prise d’effets n’était pas un élément essentiel (Cass. 3ème civ., 28 oct. 2009, Bull. civ. III, n° 237).

Détermination ou indétermination de la durée.- À partir de là, la volonté des parties est libre ; bailleur et preneur à bail peuvent convenir un terme ou n’en stipulé aucun. Dans ce second cas de figure, il importera à l’une quelconque des parties de mettre fin au contrat en adressant à l’autre un congé – prohibition des engagements perpétuels ou pactes conclus ad vitam aeternam i.e. au-delà de 99 ans par hypothèse puisque le bail emphytéotique est admis –, qui prendra effet dans le respect des délais fixés par l’usage des lieux (prohibition prescrite à l’article 1210 nouv. c.civ.).

Ces règles ne valent qu’autant qu’un statut spécial impératif n’en dispose pas autrement. Or, à l’expérience, nombre de statuts spéciaux de baux immobiliers contraignent les parties à l’observance d’une durée impérative. On justifie classiquement cet encadrement de la liberté contractuelle par la nécessité impérieuse de garantir une stabilité au locataire. Le droit de la reconduction comme le droit de préemption y participent grandement. Le bail d’habitation est nécessairement conclu au minimum pour 3 ans, voire 6 années si le bailleur est une personne morale (loi 6 juill. 1989, art. 10 s.). Les baux commercial et rural sont conclus pour une durée de 9 ans (c.com., art. L. 145-4 ; c.rur. art. L. 411-5). C’est d’ordre public de protection dont il est question. Aussi bien les parties sont-elles libres d’améliorer encore la stabilité du preneur en stipulant une durée plus grande que celle prescrite a minima par le législateur.

Ces cas mis à part, les parties peuvent très bien se mettre d’accord pour une durée déterminée (terme extinctif) ou indéterminée. Il est à noter au passage que le Code civil (art. 1736 et 1737) assimile, de façon discutable, les baux verbaux, qu’il nomme baux sans écrit (C.civ., art. 1736), à des baux à durée indéterminée et les baux écrits à des baux à durée déterminée. Ces affirmations sont douteuses.

Dans le premier cas, l’on justifie ordinairement l’assimilation de la façon suivante : si les parties avaient voulu pratiquer un terme extinctif, elles n’auraient pas manqué de le consigner par écrit (C.civ., art. 1736 et 1774). C’est peu dirimant. Au reste, le texte n’interdit pas de penser qu’un bail, quand même serait-il verbal, ait été prévu pour une certaine durée. Simplement, considérant que la preuve de la volonté des parties risque fort d’être diabolique, le législateur semble avoir recommandé que soient observés les délais fixés par l’usage des lieux. C’est de congé dont il s’agit. À défaut de durée conventionnelle, le contrat est indéterminé dans le temps ; on peut y mettre fin à tout moment pour peu que les circonstances de la résiliation ne soient pas dommageables, pour peu, en somme, qu’on observât les délais fixés par l’usage des lieux. La jurisprudence ne l’entend toutefois pas ainsi. Elle interprète l’article 1736 c.civ. comme s’il définissait la durée même du bail fait sans écrit. C’est quand même faire peu de cas de ce que les parties ont pu vouloir même verbalement. Il n’est pas impossible que les parties se soient entendues. Remplacer la durée négociée par celle prévue par les usages, c’est trahir leur intention. Un preneur à bail a bien tenté de produire en justice une lettre du bailleur lui ayant offert de renouveler le contrat pour la même période que le bail échu, mais rien n’y fait. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…

Dans le second cas, les parties à un bail écrit ont très bien pu stipuler que la durée du contrat serait indéterminée, ou ne rien stipuler du tout. En la matière, l’effet produit est le même.

Baux perpétuels.- La seule véritable contrainte qui pèse sur les parties réside dans la prohibition des baux perpétuels, qui se déduit de l’art. 1709 c.civ., qui précise que le bailleur fait jouir « pendant un certain temps ». L’interdiction est fortement teintée d’anti-féodalisme. De tels baux étaient fréquents dans l’Ancien droit sous lequel on distinguait ordinairement le domaine éminent et le domaine utile. Le droit intermédiaire et le Code civil les ont prohibés. Pour mémoire, le seigneur concédait le « domaine utile », c’est-à-dire la faculté d’user du bien avec toutes les prérogatives aujourd’hui attachées au droit de propriété, y compris la faculté de l’aliéner ; il gardait en revanche le « domaine éminent », au nom duquel il percevait sur ces terres un certain nombre de redevances.

Le domaine de la prohibition doit être précisé.

Les baux à durée indéterminée ne sont pas concernés, puisque chacune des parties dispose d’une faculté de résiliation unilatérale qui lui permet de sortir du contrat lorsqu’elle le souhaite. L’article 1736 c.civ. précise en la matière que le congé ainsi adressé prendra effet dans le respect des « délais fixés par l’usage des lieux ».

Seuls les baux à durée déterminée sont en réalité visés. Le principe du respect du terme dans les contrats à durée déterminée permet en théorie que chaque partie reste engagée éternellement. C’est loin d’être un cas d’école. Les législations spéciales n’organisent-elles pas la reconduction du terme ou le renouvellement du contrat, et ce tant à l’égard du preneur à bail qu’à celui de ses héritiers ? En pratique, le bail peut tendre à s’exécuter perpétuellement. Ce qui est interdit, c’est de convenir de la perpétuité, qui est une interdiction sanctionnée par une nullité d’ordre public du bail, qui prive le juge d’un quelconque pouvoir d’appréciation et le contraint à la prononcer (Cass. civ., 20 mars 1929, DP 1930. 1. 13 ; Civ. 3e, 15 déc. 1999, JCP 2000. II. 10236, concl. Weber : pour une espèce désopilante dans laquelle l’action en nullité était prescrite, le bail étant conclu pour 99 ans et renouvelable au gré du preneur… [imprescriptibilité de l’exception de nullité… sauf si commencement d’exécution]). Au-delà, on peut hésiter : le bail est perpétuel si sa durée est supérieure à celle de la vie du preneur… mais on admet que certains baux (ex. bail à construction) soient conclus pour 99 ans.

Assurance de dommages : Les risques couverts

Liberté contractuelle. En droit commun des contrats, le principe de la liberté contractuelle commande de reconnaître aux parties le pouvoir de déterminer comme elles l’entendent le contenu de leur accord (art. 1102 nouv. c.civ.). En droit du contrat d’assurance, les parties sont libres de déterminer l’étendue de l’obligation à la dette. Elles sont libres de fixer l’étendue de la garantie. Mais le législateur de suppléer l’éventuel silence des parties contractantes.

Présomption supplétive de volonté. Sous le titre des obligations de l’assureur et de l’assuré, l’article L. 113-1 C. assur. dispose « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits (événement imprévisible dans son origine – tremblement de terre, accident, etc. – et irrésistible dans ses effets) ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». Ce faisant, le code énonce une présomption de garantie illimitée. L’assureur, qui a accepté de couvrir un risque, est donc supposé garantir toutes les conséquences pécuniaires attachées à sa réalisation. La présomption est toutefois réfragable. Le texte précité autorise la stipulation d’exclusions formelles et limitées. Dit autrement, les parties déterminent librement les risques qu’elles soumettent à l’assurance. Elles fixent tout aussi librement le montant des capitaux qu’elles veulent garantir.

Liberté contractuelle et demi. Si la liberté contractuelle est sauve, c’est à la condition sine qua non que les parties ne dérogent pas, par une convention particulière aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs (C.civ., art. 6. Voy. aussi 1162 nouv. qui ne renferme plus la notion de bonnes mœurs  jugée désuète). Or, les lois, qui délimitent l’étendue de l’obligation à la dette de l’assureur, sont nombreuses en droit des assurances. En vérité, la fréquence des interventions du législateur dans le contrat est particulièrement élevée dans la matière qui nous occupe. Il n’est que de songer aux nombreux agents économiques contraints par la loi de s’assurer[1]. Entre autres exemples, le principe indemnitaire interdit de s’enrichir à l’occasion d’un dommage que l’on subit. Ce dont il résulte que l’assureur ne peut garantir une valeur supérieure au montant du dommage que l’on est susceptible d’éprouver. L’indemnisation excessive est proscrite. Il en va de même de l’absence d’indemnisation. Un certain nombre de prescriptions légales viennent au secours des victimes d’événements exceptionnels. Les effets des catastrophes naturelles (C. assur., art. L. 125-1, al. 3 – définition) sont nécessairement couverts par l’assurance des risques de catastrophes naturelles (C. assur., art. L. 125-1, al. 1er, domaine). Il en va de même des attentats terroristes dont les effets sont de jure couverts par l’assurance contre les actes de terrorismes (C. assur., art. L. 126-1, al. 1er).

Antisélection. Nonobstant l’obligation faite ponctuellement aux agents économiques de souscrire une assurance de dommages, les parties sont libres de décider les risques garantis, à la condition que ledit risque soit assurable. Or il existe des risques inassurables. Pour mémoire, l’assureur peut refuser une prise en charge du risque encouru par l’offreur lorsque ledit risque est incompatible avec le fonctionnement correct d’une mutualité. Il en va ainsi toutes les fois que le risque menace avec une très forte probabilité de réalisation certaines personnes, alors que sa réalisation est exclue avec certitude pour d’autres (risque d’inondation couvert au profit exclusif des souscripteurs propriétaires d’une maison en zone inondable). De la sorte, seules les personnes fortement exposées vous être candidates à l’assurance, tandis que les autres refuseront de souscrire une assurance faute d’un quelconque intérêt. L’assureur est ainsi victime du phénomène dit d’antisélection. Il ne peut recueillir que les mauvais risques sans pouvoir sélectionner les bons. Aucune compensation n’étant alors possibles, les primes versées sont insuffisantes pour permettre l’indemnisation de sinistres frappant, par définition, un pourcentage trop élevé de la collectivité des assurés.

Tarification actuarielle. L’assureur peut encore refuser sa garantie lorsqu’il est trop difficile d’établir une tarification actuarielle. Le montant de la prime est fonction de la probabilité de survenance de l’événement couvert et du coût moyen des dommages en résultant. Si le risque ne s’est jamais réalisé ou bien s’il ne s’est produit que de façon exceptionnelle, ces deux variables ne peuvent être statistiquement appréciées. En l’absence de données exploitables sur la fréquence du sinistre et sur son importance prévisible, le risque est inassurable ou très difficilement (ex. risque de guerre).

Capacité financière. L’assureur peut enfin refuser sa garantie lorsque la compensation des conséquences du risque encouru par le candidat à l’assurance est telle qu’elle excéderait ses capacités financières. Tels est le cas des guerres, des attentats terroristes ou des catastrophes naturelles.

En résumé, il existe donc des risques impérativement garantis (1) et d’autres risques présumés exclus (2).

1.- Les risques impérativement garantis

Malgré les contorsions de tous ordres du droit des obligations, dans le souci bien compris d’indemniser les victimes de dommages corporels, il reste des circonstances où la victime cherche désespérément la responsabilité d’une personne impliquée dans la production du dommage dont elle est le siège. Autrement dit, il est des circonstances où la théorie de la poche profonde (deep pocket liability) est impuissante à désigner un débiteur de réparation. Démunie, la victime d’une catastrophe naturelle ou technologique, d’une tempête ou d’un attentat dont les auteurs sont anonymes s’est tournée vers l’État.

Avec compassion mais raison, le législateur a organisé l’indemnisation de ces victimes frappées par le coup du mauvais sort en contraignant les assureurs à couvrir les risques précités, à charge pour les candidats à l’assurance de payer la prime afférente.

2.- Les risques présumés exclus

Les dispositions ordinaires qui nous occupent relatives aux assurances de dommages excluent du domaine de la garantie deux types de risques, sous réserve de convention contraire. Sont présumés non couverts par l’assureur les dommages causés à la chose du fait de son vice propre (C. assur., art. L. 121-7) et les dommages résultant d’actes de violence collective (C. assur. 121-8, al. 1er), en l’occurrence la guerre, les émeutes ou les mouvements populaires. On aura garde de noter que, s’agissant des dommages résultant d’émeutes ou des mouvements populaires, il est fréquent que la police d’assurance écarte l’exclusion légale, en insérant une clause expresse de garantie des dommages causés par ce type de troubles intérieurs. En pratique, on trouve une semblable clause dans les contrats multirisques de l’entreprise.

[1] Code des assurances, Livre 2, Assurances obligatoires : les professionnels de santé exerçant à titre libéral (C. assur., art. L. 251-1, C. santé publ., art. L. 1142-2) ; les conducteurs de véhicules terrestres à moteur (C. assur., art. L. 211-1). Voir également la longue liste des assurances obligatoires édictée par le Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, présentée en appendice dans l’édition Dalloz du Code des assurances (liste que l’on retrouvera dans le rapport du Conseil d’État 2005, Responsabilité et socialisation du risque, La documentation française, pp. 341-346. V. égal. C. assur. Litec).