Le bail de droit commun : obligations du bailleur

Le bail est un contrat synallagmatique. Il produit donc des obligations à la charge du bailleur comme du preneur (voy. l’article « Le bail de droit commun : les obligations du preneur à bail).

Les codificateurs ont clairement envisagé le bail comme un diminutif de la vente. Il n’est donc pas étonnant que les obligations des parties au bail soient très proches de celles des parties à la vente. On trouve ainsi un certain nombre de renvois explicites aux règles de la vente.

Obligation générique.- Le bailleur est débiteur d’une obligation générique, qui consiste à garantir au preneur la jouissance paisible du bien loué. Cette obligation apparaît par bribes dans la kyrielle des obligations décrites par les articles 1719 à 1727 du c.civ., qui toutes tendent à garantir la jouissance paisible du preneur. La lecture de l’article 1719 c.civ. l’atteste. Pour reprendre le mot des professeurs Antonmattéi et Raynard, cette obligation est l’« âme du bail ». Cet objectif justifie que le bailleur soit tenu de trois séries d’obligations :

– L’obligation de délivrance (section 1) ;

– L’obligation d’entretien (section 2) ;

– Les obligations de sûreté (section 3).

Obligation d’information.- Avant d’entamer l’étude, par le menu, de ces trois séries d’obligations, il importe de dire quelques mots de l’obligation d’information qui pèse sur les épaules du bailleur.

Le bailleur est tenu d’informer le preneur sur l’état de la chose donnée à bail. Le Code de l’environnement exige qu’un état des risques naturels (sismicité) et technologiques (nucléaire) soit fournir au locataire (art. L. 125-5, II ; loi 6 juill. 1989, art. 3-1 ; art. L. 145-1 c.com.). À défaut, le locataire (cela est vrai de l’acquéreur) peut poursuivre la résolution du contrat ou demander au juge une diminution du prix (art. L. 125-5, V, c. envir.). Le Code de la santé publique, qui entend prévenir les risques sanitaire liés à l’environnement, en l’occurrence ceux liés au saturnisme (intoxication aiguë ou chronique causée par le plomb ou par les sels de plomb. V. Institut national de la santé et de la recherche médicale, www.inserm.fr, santé publique, dossiers d’information), exige du bailleur qu’il fournisse à tout occupant un « constat de risque d’exposition au plomb » (art. L. 1334-5 ensemble L. 1134-7 c. santé publ.), à la condition toutefois que l’immeuble loué ait été construit avant le 1er janvier 1949 et qu’il soit affecté en tout ou partie à l’habitation. Et la loi d’ajouter que « l’absence dans le contrat de location du constat de risque d’exposition au plomb constitue un manquement aux obligations particulières de sécurité et de prudence susceptibles d’engager la responsabilité pénale du bailleur (C. santé publ., art. L. 1334-7, al. 3). Quant au risque d’exposition à l’amiante, les dispositions précitées font l’obligation au bailleur d’en avertir le preneur. Ce n’est pas tout, le Code de la construction et de l’habitation contraint le bailleur à fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE) de l’immeuble loué (art. L. 134-1 et s. in diagnostics techniques). Le Code le définit ainsi : « Le diagnostic de performance énergétique d’un bâtiment ou d’une partie de bâtiment est un document qui comprend la quantité d’énergie effectivement consommée ou estimée pour une utilisation standardisée du bâtiment ou de la partie de bâtiment et une classification en fonction de valeurs de référence afin que les consommateurs puissent comparer et évaluer sa performance énergétique. Il est accompagné de recommandations destinées à améliorer cette performance. »

Heureux soient les bailleurs. On dit de l’enfer qu’il est pavé de bonnes intentions. On peut s’interroger sur l’inanité (caractère de ce qui est vide, sans réalité, sans intérêt. Au fig. : caractère de ce qui est inutile, futile, vain) de ces diagnostics techniques dans les villes où il existe une grave crise du logement…

Section 1.- L’obligation de délivrance

Obligation complexe.- Le bailleur est tenu de délivrer la chose louée (art. 1719, 1°, c.civ.) « en bon état de réparations de toute espèce » (art. 1720 c.civ.). La loi se fait plus pressante si le bien loué sert à l’habitation principale du preneur : elle exige en outre que le logement soit décent (art. 1719 1°, c.civ.).

Logement décent (renvoi).- Les caractères du logement décent sont spécifiques aux baux d’habitation ; ils seront envisagés à cette occasion (voy. l’article « Le bail d’habitation et à usage mixte »). On signalera simplement qu’un logement décent est logement qui correspond aux caractéristiques définies par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent pris pour l’application de l’article 187 de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) (décret modifié le 09 mars 2017 qu intègre la performance énergétique aux caractéristiques du logement décent). En ce sens, l’article 6, al. 1er, loi 6 juill. 1989 dispose : « Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d’espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l’usage d’habitation » (texte modifié en nov. 2018).

Division.- La délivrance s’entend donc de deux obligations distinctes : délivrer la chose louée (§1) et la délivrer en bon état (§2).

§1.- L’obligation de délivrer la chose louée

Contenu.- Le bailleur – comme le vendeur – doit mettre la chose louée à la disposition du locataire. Il s’agit d’une obligation essentielle du bail (Cass. 1ère civ., 11 oct. 1989, Bull. civ. I, n° 317), dont la convention des parties ne peut dispenser le bailleur. Autrement dit, l’obligation de délivrance est d’ordre public. Par voie de conséquence, le preneur peut refuser de payer les loyers tant que la chose ne lui a pas été délivrée. Pour cause : le contrat n’ayant reçu aucune exécution, le débiteur du loyer peut valablement s’en prévaloir pour différer l’accomplissement de sa prestation. Dans ce cas de figure, l’exception d’inexécution peut valablement être opposée (art. nouv. c.civ.). Ses conditions sont remplies.

Une erreur commune est faite en la matière : une fois que le bien loué a été mis à la disposition du locataire, le défaut de paiement du premier loyer ne dispense pas le bailleur de l’obligation de délivrance (Cass. 3ème civ., 28 juin 2006, Bull. civ. III, no 161). Souvenez-vous bien : le bail ne renferme pas d’obligation conjonctive (texte et définition).

La chose doit évidemment être délivrée libre de toute occupation. Elle doit être délivrée avec ses accessoires, lesquels seront déterminés en fonction de la nature du bien et du contenu de la convention.

La chose doit être conforme à la destination prévue au bail. Cela signifie qu’elle doit permettre au preneur de l’exploiter conformément à la destination convenue (ex. Cass. 3ème civ., 7 mars 2006, AJDI 2006. 467 [défaut d’autorisation de l’assemblée générale de copropriété] ; 3 mars 2009,Rev. loyers 2009. 222).

Si le contrat précise en outre la contenance de la chose, les éventuels écarts se règlent comme en matière de vente (art. 1616 à 1622 c.civ.). L’art. 1765 c.civ. le précise pour les baux à ferme, mais la solution doit être étendue à tous les baux immobiliers.

Frais de la délivrance.- Les frais de délivrance sont à la charge du bailleur, s’il n’y a eu stipulation contraire. Il s’agit de l’application de l’article 1608 c.civ. au bail.

Obligation continue.- La différence entre vente et le bail est que la première est un contrat instantané tandis que le second est un contrat à exécution successive. Ceci implique que contrairement aux règles qui ont court dans la vente, l’obligation de délivrance prend dans le bail un caractère continu (i.e. qu’elle se prolonge pendant toute la durée du bail). En conséquence, le bailleur n’a pas le droit de changer la forme de la chose louée (art. 1723 c.civ.) ou de supprimer l’un de ses éléments.

§2.- L’obligation de délivrer la chose louée en bon état

Contenu.- L’article 1720 c.civ. impose au bailleur de délivrer la chose en bon état de réparation de toute espèce. Il existe en matière de bail deux sortes de réparations : celles qui incombent au locataire – réparations locatives – et celles qui incombent au bailleur. La loi impose que la chose louée soit, en début de bail, en bon état de réparations, même locatives, quand bien même celles-ci seront à l’avenir à la charge exclusive du locataire (celui-ci doit, en la matière, faire perdurer le bon état de la chose).

Sanction.- Si la chose n’est pas en bon état, le locataire peut faire condamner le bailleur à procéder aux réparations qui s’imposent ou, à son choix, demander la résolution du bail si la gravité du manquement le justifie. Le bailleur engage également sa responsabilité contractuelle si le mauvais état de la chose louée a causé un dommage au preneur.

Limite, clauses de réception « en l’état ».- La règle de l’article 1720 c.civ. n’est pas d’ordre public et les parties aménagent souvent cette obligation en convenant que le preneur déclare bien connaître la chose et la prendre en l’état, ce qui a pour effet de décharger le bailleur de l’obligation de l’article 1720 précité.

Ces clauses sont parfaitement licites, même si la jurisprudence a coutume de les interpréter strictement. Mais la licéité a une limite : sous couvert de mettre certaines réparations à la charge du locataire, le bailleur ne peut pas aller jusqu’à s’exonérer de son obligation de délivrance, qui elle est d’ordre public.

Voy. pour un ex. typique : Cass 3ème civ., 5 juin 2002, Bull. civ. III, n° 123 :

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche : (Publication sans intérêt) ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu les articles 1719 et 1720 du Code civil ;

Attendu que le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; qu’il doit entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée et y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les locatives ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 mai 2000, n° 690), que M. X… a donné à bail à la société Hôtel de France un immeuble à usage commercial, en mauvais état ; que le bail stipulait que ” le bénéficiaire prendra les lieux dans l’état où ils se trouvent au jour de l’entrée en jouissance, les ayant visités à plusieurs reprises et ayant reçu du promettant deux rapports sur les travaux nécessaires à l’exploitation dans lesdits locaux d’un commerce d’hôtel “, les parties approuvant sans réserve l’état des lieux annexé au bail ; que la locataire a fait effectuer les travaux prévus aux rapports susvisés ; que ces travaux se sont révélés insuffisants pour la mise en conformité de l’hôtel ; que la locataire a alors entrepris les travaux supplémentaires nécessaires ;

Attendu que, pour débouter la société Hôtel de France de sa demande de remboursement de ces travaux supplémentaires, l’arrêt retient que, faute de stipulation expresse du bail, le bailleur n’avait pas l’obligation de prendre en charge le coût des travaux nécessaires à la mise en conformité de l’hôtel non prévus par les rapports d’experts établis antérieurement à la conclusion du bail, ces rapports n’ayant eu pour objet que d’informer le preneur sur l’état des lieux et l’éclairer sur les travaux à exécuter pour rendre les lieux conformes à l’usage d’hôtel prévu par le bail ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la clause par laquelle le locataire prend les lieux dans l’état où ils se trouvent ne décharge pas le bailleur de son obligation de délivrance, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le second moyen qui ne serait pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE

En l’espèce, l’hôtel ne pouvait être exploité faute de mise en conformité : le preneur ne pouvait donc pas l’exploiter selon la destination convenue # obligation de délivrance.

Section 2.- L’obligation d’entretien

Contenu de l’obligation d’entretien (§1). Sanction de l’obligation d’entretien (§2)

§1.- Contenu de l’obligation d’entretien

Prolongement de l’obligation de délivrance.- Le bailleur, qui a délivré la chose en bon état de réparations de toute espèce, doit l’entretenir « en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée » (art. 1719, 2°, c.civ.), ce qui lui impose de « faire, pendant toute la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives » (art. 1720 al. 2, c.civ.).

Réparations locatives et « grosses réparations ».- Une distinction importante doit être opérée entre les réparations locatives ou de menu entretien, qui incombent au preneur, et les autres, qui forment l’objet de l’obligation d’entretien du bailleur. Le législateur y procède aux articles 1754, 1755 et 1756 c.civ.

L’idée est que le bailleur assume les grosses réparations, c’est à dire celles qui sont relatives à la structure ou aux éléments essentiels de la chose louée (ex. réfection du toit ou d’un mur). Il est à noter que la distinction entre les réparations locatives et celles qui ne le sont pas est précisée par certains statuts spéciaux. C’est précisément le cas en droit du bail d’immeuble d’habitation. La loi du 6 juillet 1989 renvoie à un décret le soin de définir ce que sont les réparations locatives puis de les lister (art. 6-1, d ; 25V). Aux termes de l’article 1er du décret n° 87-712 du 26 août 1987 pris en application de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l’investissement locatif, l’accession à la propriété de logements sociaux et le développements de l’offre foncière et relatif aux réparations locatives, « sont des réparations locatives les travaux d’entretien courant et de menues réparations », à savoir celles entre autres listées. Par voie de conséquence, celles qui ne le seraient pas, au vu de la lettre ou de l’esprit du texte, sont des grosses réparations, qui doivent être faites par le bailleur. La jurisprudence y assimile les travaux prescrits par l’autorité administrative (Cass. 3e civ. 13 juill. 1994, no 91-22.260, Bull. civ. III, no 143).

Le domaine de ces grosses réparations est également borné « par le haut » : les très grosses réparations, i.e. celles qui relèvent de la reconstruction de la chose périe par cas fortuit ne sont pas à la charge du bailleur, mais plutôt à sa discrétion, puisque la perte de la chose louée met fin au bail (art. 1722 c.civ.). La jurisprudence tend à assimiler la vétusté à la perte de la chose, lorsque le coût des travaux excède la valeur du bien (Civ. 3e, 3 juin 1971, Bull. civ. III, n° 348).

La charge des grosses réparations peut contractuellement être transférée sur le locataire, mais certains statuts spéciaux l’interdisent (ex. loi du 6 juill. 1989, art. 6 c).

§2.- Sanction de l’obligation d’entretien

Droit commun.- L’inexécution par le bailleur de son obligation fonde le preneur à solliciter l’une quelconque des sanctions permises par le droit commun du contrat : exécution forcée, résiliation, indemnisation ; réalisation des travaux aux frais du bailleur sur autorisation de justice (art. 1222 nouv. c.civ. / art. 1144 anc. c.civ.). Deux précisions s’imposent. La mise en demeure préalable, restée sans succès, est exigée en jurisprudence.

L’exception d’inexécution est en principe inopposable. Ce mode de justice privée est réservé à l’inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance. Il importe au preneur de rapporter la preuve d’un manquement tel que la jouissance est rendue impossible ou très difficile. L’article 1219 nouv. c.civ. (in L’exception d’inexécution) dit en ce sens que l’inexécution doit être suffisamment grave (comp. la note sous article 1219 rel. au bail qui donne à penser que l’exceptio non adimpleti contractus peut être opposée en tout état de cause. Mise en garde). C’est dire que les risques et périls sont grands pour qui entend ne pas payer (syno. Exécuté) sa propre obligation en réaction. En somme, tant que le preneur jouit de la chose, son refus de paiement est disproportionné et permet au bailleur d’obtenir la résiliation du contrat à ses torts. Encore faut-il s’entendre sur ce que peut signifier jouir de la chose donnée à bail… C’est une fois encore à la sagesse du juge que le Code renvoie en dernière intention. Dernière intention seulement, car créancier et débiteur sont invités à trouver une solution amiable à leur litige. En ce sens, et pour mémoire, l’article 56 du Code de procédure civile dispose que la saisine du juge de première instance contient (sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’Opu, à peine de nullité les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige.

Séquestre. Il reste toutefois la possibilité pour le preneur de pratiquer le séquestre. V. nouv droit commun des contrats. Le séquestre est le dépôt d’une chose contentieuse entre les mains d’un tiers, qui s’oblige à la rendre, une fois la contestation terminée, à la personne qui a le droit de l’obtenir (art. 1956 c.civ.). Il facilite l’exécution matérielle du règlement du litige et soustrait l’objet des convoitises – le loyer en l’occurrence – à l’humeur ou à la fraude des plaideurs (F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Droit des contrats civils et commerciaux). C’est une variété de dépôt. Dans le cas particulier, le séquestre conventionnel est exclu, car il nécessite l’accord du bailleur et du preneur. Il reste le dépôt judiciaire. Il consiste à demander au juge, en référés au besoin, de séquestrer les loyers litigieux. Le séquestre prendra fin une fois que la motivation qui le motivait est terminée, soit qu’elle a été tranchée par une décision judiciaire définitive, et que donc la chose séquestrée n’est plus litigieuse, soit que le différend opposant les parties a disparu, par l’effet d’une transaction, d’un désistement d’instance ou autre acte mettant fin au procès, soit, si la juridiction n’avait pas encore été saisie, en conséquence d’une convention ou d’un quelconque arrangement. Les parties intéressées ont la faculté de supprimer le séquestre, même si l’instance a été engagée et perdure, dès lors qu’elles le considèrent comme inutile, et sans objet. Il constitue, en effet, une procédure qui n’est pas d’ordre public et qui reste à la discrétion des parties (F.-J. Pansier, Rép. civ., v° Séquestre)

Section 3.- Les obligations de sûreté

Division.- Sous cet intitulé un peu ésotérique, deux séries d’obligations seront rangées : les obligations de garantie, d’une part (§1), et les obligations de sécurité, d’autre part (§2). Avant de les présenter par le menu, il importe d’avoir bien en vue que les professeurs et les juges transposent au bail les règles de garantie associées à la vente.

§1.- Les obligations de garantie

Division. L’obligation de garantie contre les vices cachés (A). L’obligation de garantie contre l’éviction (B).

A.- L’obligation de garantie contre les vices cachés

La garantie contre les vices cachés est définie à l’article 1721 c.civ. Elle concerne « tous les vices ou défauts de la chose louée qui en empêchent l’usage, quand même le bailleur ne les aurait pas connus lors du bail. Pour le dire autrement, le vice est un défaut caché de la chose, existant au jour du bail qui empêche son usage normal (certains auteurs considèrent que le vice peut exister au cours du bail. Voy. en ce sens A. Bénabent, Droit des contrats civils et commerciaux / P.-H. Antonmattei et J. Raynard). Le vice doit être caché du preneur. Le texte ne le dit pas formellement. Mais c’est l’évidence. Si, au contraire, il devait être apparent, on peut raisonnablement penser que le preneur à bail serait en mesure d’apprécier l’impossibilité de jouir paisiblement de la chose. Le contrat ne pourrait donc être conclu qu’en connaissance de cause (voy. toutefois supra)…

Comme pour la vente, la garantie est due peu important que le bailleur ait eu ou non connaissance de l’existence du vice. Il y a toutefois une première différence notable entre les deux régimes. L’engagement de la responsabilité du vendeur suppose rapportée la preuve de sa connaissance du vice. Ce n’est pas le cas en droit du bail : la responsabilité sera encourue dans tous les cas de figure (art. 1721, al. 2, c.civ.).

La seconde distinction tient au silence du législateur quant à l’action en garantie contre les vices cachés de la chose louée. Faute de texte spécial, il importe d’appliquer le droit commun de la prescription. Dans le cas particulier, le preneur à bail est recevable à agir cinq année durant à compter de la découverte du vice rendant la chose impropre à l’usage auquel on la destine (art. 22129 et 2224 c.civ.).

B.- L’obligation de garantie contre l’éviction

Les troubles dans la jouissance de la chose peuvent être causés par le bailleur ou bien par des tiers au contrat de bail.

Troubles causés par le bailleur. – L’action du bailleur ne saurait troubler le preneur à bail dans sa jouissance des utilités de la chose. Aucun texte particulier ne règlement le cas de figure : obligation générique de garantie oblige (v. supra). Pour le dire autrement, l’article 1719 c.civ. est amplement suffisant pour fonder l’action en cessation du trouble intentée par le preneur.

Ce sont les troubles causés par les tiers qui ont plus volontiers retenu l’attention du législateur.

Troubles de droit causés par les tiers.- L’article 1726 c.civ. est explicite : le bailleur doit garantir le preneur contre tout trouble de droit qui émanerait d’un tiers. Pour le dire autrement, le preneur à bail ne doit pas être empêché de profiter des utilités de la chose en raison d’une prétention juridique formulée par un tiers (ex. titre de propriété, servitude…). Si une action en revendication du bien donné à bail est formée (ex. bail de la chose d’autrui. V. supra), alors l’article 1726 c.civ. fonde le locataire à demander une diminution du prix du contrat en cas d’éviction partielle (v. dans le même sens, l’art. 1626 c.civ. relativement à la vente) et la résolution du bail, assortie du paiement de dommages et intérêts en cas d’éviction totale.

Troubles de fait causés par les tiers.- L’article 1725 c.civ. dispose que les troubles de faits ne donnent pas lieu à garantie. La règle se comprend aisément. Le bailleur n’a pas vocation à couvrir une quelconque voie de fait. Vulgairement parlant, ce ne sont pas ses affaires. Il importe donc au seul preneur à bail d’agir en responsabilité contre les intéressés. Le bailleur n’est par exemple pas responsable des vols commis au cours du bail…sauf, bien entendu, si l’infraction a été facilitée par l’inexécution de ses propres obligations (ex. vol d’un vélo dans un local dédié dont la serrure endommagée n’a jamais été remplacée). C’est l’hypothèse de la voie de fait facilitée voire causée par la faute contractuelle du bailleur. Responsabilité encore, mais c’est un autre cas de figure, si la voie de fait du tiers a tellement endommagé le bien que le bailleur est constitué en faute pour ne pas avoir exécuté son obligation d’entretien (art. 1720 c.civ.).

§2.- L’obligation de sécurité

Formellement, le Code civil n’oblige pas le bailleur à garantir la sécurité du preneur. On doit à la jurisprudence d’avoir découvert cette obligation contractuelle et d’avoir précisé son intensité juridique (obligation de moyens). Pour mémoire, l’intensité juridique de l’obligation contractuelle est la résultante de deux variables : la première est l’intensité de l’engagement (qui peut être plus ou moins poussé) ; la seconde, l’intensité de la sanction en cas d’inexécution (qui peut être plus ou moins stricte).

Le professeur Leduc a tout dit sur ce sujet. Voici résumé à grands traits sa leçon. Le lecteur gagnera beaucoup à la lire in extenso (L’intensité juridique de l’obligation contractuelle, Revue de la recherche juridique, Droit prospectif, PUAM, 2011-3). L’obligation de moyens est l’obligation pour le débiteur de fournir la diligence qu’on est normalement en droit d’attendre de lui. Dit autrement : le normal est au cœur de l’obligation de moyens. La normalité implique la détermination d’un modèle de référence par rapport auquel on va apprécier le comportement du sujet jugé. Deux modes d’appréciation de la normalité s’opposent : l’appréciation extrinsèque (le comportement du sujet jugé est rapporté à un étalon de référence extérieur à lui) et l’appréciation intrinsèque (l’étalon de référence est le sujet jugé lui-même).

En bref, cette obligation de sécurité semble pouvoir être invoquée de manière autonome sans avoir nécessairement besoin d’être rattachée à un défaut d’entretien ou à un vice de la chose. Obligation dont l’intensité juridique a vocation à s’amplifier, particulièrement depuis l’exigence d’un logement décent qui se caractérise aussi par certaines normes de sécurité. Table des matières ).

Le bail de droit commun : preuve du contrat

Il faut s’arrêter un instant sur la preuve du bail. Dérogeant au droit commun, elle est spécialement réglementée par le Code civil, qui distingue la preuve de l’existence du bail (1) de la preuve du contenu du bail (2).

La distinction de fond est celle que le Code civil fait entre le bail verbal et le bail fait par écrit. Il faut noter dès à présent que certains statuts spéciaux règlent le problème autrement : par ex. la loi du 6 juillet 1989, relative au bail d’habitation, impose qu’un contrat soit dressé par écrit.

1.- La preuve de l’existence du bail

Aux termes des articles 1715 et 1716 c.civ., la preuve du bail n’est pas libre, à tout le moins en droit civil, car « à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi » (art. L. 110-3 c.com.).

Dans la mesure où l’on peut louer par écrit (art. 1714 c.civ.), il va sans dire que le système de la légalité des preuves a vocation à jouer. L’article 1359 nouv. c.civ. dispose en ce sens que “l’acte juridique portant sur une somme ou sur une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique” (art. 1341 anc.).

Quand est-il de la preuve de l’existence d’un bail fait sans écrit ? L’article 1715, al. 1er c.civ. est explicite : si ce bail n’a pas encore reçu exécution, et que l’une des parties le nie, la preuve ne peut être reçue par témoins, quelque modique qu’en soit le prix, et quoiqu’on allègue qu’il y a eu des arrhes données. A contrario, si le bail a reçu un commencement d’exécution, il peut être prouvé par tous moyens. En logique juridique, l’argument à partir du contraire ne peut être valablement pratiqué que s’il permet de revenir d’une exception, marquée en pratique par l’emploi d’une tournure de phrase négative, à un principe. C’est le cas en l’espèce. Les tribunaux ne s’y sont pas trompés (Cass. 3e civ. 13 mars 2002, no 00-15.194, Bull. civ. III, no 59, Defrénois 2002. 1541, obs. Honorat, Petites affiches 18 nov. 2002, no 230, p. 7, note Stoffel-Munck, Rev. loyers 2002. 337, obs. Canu). La preuve n’est pas pour autant aussi facile à rapporter qu’on pourrait le penser. La loi exige que le commencement d’exécution soit prouvé. Le juge demande en conséquence que les éléments essentiels du contrat et notamment le paiement d’un prix convenu soient prouvés. L’existence d’une occupation des lieux ne suffit pas (Cass. 3e civ. 5 janv. 1978, Bull. civ. III, no 10). Vous me direz que ce n’est pas insurmontable. Vous avez raison et ce d’autant plus qu’un commencement d’exécution se prouve par tout moyen (Cass. 3e civ. 26 févr. 1971, Bull. civ. III, no 147, RTD civ. 1971. 867, obs. Cornu ; 20 déc. 1971, Bull. civ. III, no 642). En définitive, cette jurisprudence revient à admettre la preuve libre pour l’existence d’un bail qui a commencé à être exécuté.

La loi réserve toutefois le serment, qui peut être déféré à celui qui nie le bail, mais omet l’aveu (art. 1383 et s. nouv. c.civ. / art. 1715, al. 2, anc.). Au reste, cela n’a pas grande importance. Le serment décisoire et l’aveu sont des modes de preuve qui sont admissibles en toutes circonstances. Bien que la loi ne le dise pas, la preuve du bail par les tiers est libre.

Revenons quelques instants sur l’article 1715 c.civ., qui réglemente la preuve en cas de bail verbal pour lequel il n’y aurait eu aucun commencement d’exécution. Dans la mesure où l’existence d’un tel bail peut être suspecte, aucune preuve visible n’existant, le législateur est plus exigeant et déroge aux règles du droit commun : la preuve testimoniale est écartée quel que soit le montant du bail, par exception à l’article 1359 c.civ. précité. Les exceptions à cet article ne peuvent non plus, dès lors, s’appliquer : peu importe qu’il y ait un commencement de preuve par écrit (Cass. 3e civ. 18 mars 1987, Bull. civ. III, no 54) et peu importe qu’il y ait eu des versements (Cass. 3e civ. 16 mai 2000, no 98-17.803, Loyers et copr., 2000, comm. 185, obs. B. Vial-Pedroletti) ou une impossibilité de se procurer un écrit : la preuve testimoniale est toujours écartée et ne peut donc venir compléter un cas d’ouverture de l’ancien article 1348, alinéa 1. (voy. cep. un auteur qui considère possible la preuve testimoniale dans le cas d’une impossibilité morale de se procurer un écrit : A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux). Seuls restent donc théoriquement possibles comme modes de preuve admissibles pour de tels baux : le serment et l’aveu.

2.- La preuve du contenu du bail

La preuve du contenu du bail est réglementée par l’article 1716 c.civ. dans un français désuet mais qui a son charme. « Lorsqu’il y aura contestation sur le prix du bail verbal dont l’exécution a commencé, et qu’il n’existera point de quittance, le propriétaire en sera cru sur son serment, si mieux n’aime le locataire demander l’estimation par experts ; auquel cas les frais de l’expertise restent à sa charge, si l’estimation excède le prix qu’il a déclaré ».

Comprenez bien : le problème n’est pas que les parties n’ont pas fixé le loyer – car à défaut le bail serait nul ou dégradé en prêt à usage (ou commodat pour employer une qualification qui a été rayée du code) – c’est seulement qu’elles n’arrivent pas à en prouver le montant. C’est la raison pour laquelle un tiers doit intervenir, et quel meilleur tiers que le juge ?

Le bail de droit commun : conditions de formation

Une fois le bail identifié (v. art “Le bail de droit commun : qualification juridique”), il faut envisager ses conditions de formation.

L’article 1128 nouv. c.civ. (art. 1108 anc.) énumère les trois conditions nécessaires à la validité d’un contrat : le consentement des parties, leur capacité de contracter, un contenu licite et certain. En somme, la loi pose, d’une part, des conditions relatives au parties au contrat (section 1) et, d’autre part, des conditions relatives au contenu du contrat (section 2).

Section 1.- Les conditions relatives aux parties au contrat

§1.- Le consentement

Contrat consensuel. – Le bail est un contrat consensuel. Il se forme aussitôt les éléments essentiels du contrat définis. Aucune forme particulière n’est requise pour la validité du bail de droit commun. Peu importe, à tout le moins en théorie, que le bail soit écrit ou verbal. Certes, l’article 1714 c.civ., dispose qu’il est possible de louer « par écrit ou verbalement ». Pris à la lettre, ce texte pourrait donner à penser que le bail est un contrat solennel. Attention aux apparences : ce n’est qu’une règle de preuve du contrat et non une condition de formation exigée à peine de nullité.

Contrats préparatoires. – Comme pour tout contrat, le bail peut faire l’objet d’un contrat préparatoire. Les parties peuvent donc décider de conclure préalablement au contrat définitif de bail un pacte de préférence engageant le promettant à proposer le bail au bénéficiaire le jour où il décidera de louer (art. 1123 nouv. c.civ.). Elles peuvent également stipuler une promesse unilatérale aux termes de laquelle le promettant s’engage à conclure le bail si le bénéficiaire lève l’option (art. 1124 nouv. c.civ.). A noter qu’une une promesse synallagmatique de bail peut être conclue. Dans ce cas, à l’image de la vente et par application analogique de l’article 1589 c.civ., la promesse de bail vaut bail.

§2.- La capacité

La condition de capacité des parties au bail présente quelques singularités. Pour cette raison, il importe de distinguer l’étude de la capacité de donner à bail (A) de celle de la capacité de prendre à bail (B).

A.- La capacité de donner à bail

Division. Le bail de sa propre chose (1). Le bail de la chose d’autrui (2).

1.- Bail de sa propre chose

Par nature, le bail est un acte d’administration, c’est à dire un acte de gestion normale et courante du patrimoine. La loi n’exige donc de son auteur aucune autre condition que la capacité de contracter (art. 1145 c.civ. in limine). Rien d’étonnant : le bailleur n’aliène pas la chose donnée à bail. C’est très vrai pour peu que la chose soit un meuble. Car, toutes les fois qu’un immeuble est loué, le droit est autrement plus exigeant. Même chose en droit du bail commercial. Il y a une raison à cela dans le cas particulier : la protection du preneur (locataire) est telle que la capacité du bailleur, qui souhaiterait qu’on lui restitue la jouissance de la chose, est notablement restreinte. Partant, la capacité de contracter de ce dernier est plus strictement appréciée.

Si le bailleur dispose de sa pleine capacité juridique : aucune difficulté. Dans le cas contraire, il faut avoir à l’esprit que les pouvoirs de l’incapable sont limités voire réduits à la portion congrue si le majeur est placé sous tutelle (art. 473, al. 1, c.civ. ensemble art. 474 c.civ.). Par voie de conséquence, il s’agira de vérifier si le tuteur pouvait procéder seul ou bien s’il importait qu’il soit autorisé à contracter (par le conseil de famille ou le juge des tutelles). L’annexe du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle établit plusieurs listes d’actes regardés tantôt comme des actes d’administration tantôt comme des actes de disposition.

(https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000020017088

2.- Bail de la chose d’autrui

Le bail accorde au preneur un droit contre la personne du bailleur (droit personnel), certainement pas sur la chose donnée à bail (droit réel). Dit autrement : l’engagement du bailleur est de procurer à son cocontractant la (seule) jouissance de la chose.

La question se pose de savoir si l’on peut donner à bail la chose d’autrui ? La réponse n’est pas négative comme on pourrait le penser en raisonnant par analogie sur le droit de la vente. Il faut bien dire que ce dernier droit prohibe la vente de la chose d’autrui (art. 1599 c.civ.). La raison est la suivante : personne ne peut transférer à un autre plus de droit qu’il n’en a lui-même (nemo plus juris ad transfere potest quam ipse habet). Or, force est de le redire : le preneur à bail (locataire) n’a en principe aucun droit sur la chose. Le bail de la chose d’autrui peut donc être pratiqué…pour peu que le propriétaire bailleur ratifie la promesse qui aura été faite. En bref, le bail de la chose d’autrui est une promesse de porte-fort (art. 1204 nouv. c.civ. / art. 1120 anc.). Soit le promettant obtient la ratification du propriétaire bailleur est tout se passe pour le mieux. Soit il ne l’obtient pas et des dommages et intérêts auront vocation à être payés (art. 1231-1 nouv. c.civ.). Car l’obligation de délivrance n’aura pas pu être exécutée. Et si le bénéficiaire de la promesse a été mis en possession, par anticipation en quelque sorte, alors le légitime propriétaire sera fondé à revendiquer sa chose et à agir en expulsion… Quant à savoir si cette dernière action aura vocation à prospérer, l’incertitude gagne vite : application de la théorie de l’apparence oblige (voy. art. “L’apparence”). Car il est admis que l’inopposabilité du bail au propriétaire véritable cède lorsque « le preneur a conclu le bail de bonne foi sous l’empire de l’erreur commune » (Civ. 1ère, 2 nov. 1959, Bull. civ. I, n° 448. Art. 1132 nouv. c.civ.). Et voilà que le bail consenti par le propriétaire apparent (ex. acheteur dont la vente est résolue ; héritier qui perd la qualité de successible du fait de la révélation de l’existence d’un héritier mieux placé, etc…) est inattaquable.

D’ordinaire, le droit discipline les faits. Ponctuellement, l’apparence et sa théorie sont une construction méthodologique qui offre au juge un guide sûr pour motiver des décisions qui font prévaloir le fait sur le droit ; l’apparence va alors exceptionnellement inhiber la norme (voy. l’article “L’apparence”). Fondée sur le respect dû à la bonne foi et aux légitimes prévisions des tiers, on peut se demander si cette solution n’est pas un peu rude pour le verus dominus, surtout lorsque le bail en cause octroie au preneur de larges prérogatives sur le bien – ex. bail rural ou commercial.

B.- La capacité de prendre à bail

Acte d’administration pur et dur.- À l’égard du preneur, le bail est un acte d’administration. Ici, les problèmes rencontrés dans la personne du bailleur ne se posent pas. Toute personne disposant de la capacité d’administrer peut prendre à bail.

Preneur en couple.- Il faut simplement noter que la loi prévoit des cas de cotitularité qui sont importants lors de la vie du bail.

Époux et partenaires liés par un pacte civil de solidarité : art. 1751 c.civ. : « Le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l’habitation de deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conclu avant le mariage, réputé appartenir à l’un et à l’autre des époux ou partenaires liés par un PACS ».

En cas de divorce ou de séparation de corps, ce droit pourra être attribué, en considération des intérêts sociaux et familiaux en cause, par la juridiction saisie de la demande en divorce ou en séparation de corps, à l’un des époux, sous réserve des droits à récompense ou à indemnité au profit de l’autre époux.

En cas de décès d’un des époux, le conjoint survivant cotitulaire du bail dispose d’un droit exclusif sur celui-ci sauf s’il y renonce expressément. »

 Ceci oblige en pratique à donner congé à chacun des deux époux.

Conjoint exploitant : sans aller jusqu’à la cotitularité, certains statuts spéciaux imposent que le conjoint exploitant donne son accord à la résiliation, à la cession ou au renouvellement du bail à peine de nullité (art. L. 121-5 c.com. ; art. L. 411-68 c.rur.).

Héritiers.- Le bail passe aux héritiers en cas de décès du preneur (art. 1742 c.civ. : « le contrat de louage n’est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur ; loi 6 juill. 1989, art. 14).

Section 2.- Les conditions relatives au contenu du contrat

Plan.- Le bail est un contrat synallagmatique, ce qui signifie que bailleur et preneur ont des obligations réciproques dont l’objet de chacune est la cause de l’autre. Pourquoi le bailleur s’engage-t-il à faire jouir le preneur de la chose louée pendant un certain temps ? parce que le preneur s’engage en retour à payer un loyer. Et pourquoi le preneur s’engage-t-il à payer ce loyer ? parce que le bailleur s’est engagé à le faire jouir de la chose louée pendant un certain temps. Dès lors, l’objet des obligations nées du bail et leur cause peuvent être étudiées d’un bloc. À cet égard, il faudra distinguer les conditions relatives à la chose louée (A), les conditions relatives au loyer (B) et les conditions relatives à la durée du bail (C).

Mais avant cela, il faut mentionner une autre approche de la cause : la cause mobile (cause lointaine), que l’on oppose à la cause contrepartie (cause proche), et qui sert à évaluer la licéité du bail. Elle n’a cependant rien de particulier : le bail a une cause illicite si le but de l’une ou l’autre des parties est illicite (ex. bail en vue d’ouvrir une maison close ou de stocker de la drogue). Certes, la notion a été formellement effacée consécutivement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats. Mais, chassée par la porte, le législateur l’a faite rentrer par la fenêtre tout “en préservant (au passage) l’application prétorienne la plus novatrice des vingt dernières années” (voy. article 1170 nouv. c.civ.) (not. en ce sens, G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2ème éd., Dalloz, 2018, p. 380) et . C’est dire…Les articles 1162 et s. c.civ. (in sous-section 3. – Le contenu du contrat) l’attestent.

§1.- Conditions relatives à la chose louée

La chose louée.- Aux termes de l’article 1713 c.civ., toute sorte de chose, mobilière ou immobilière, peut faire l’objet d’un bail. Au delà, les conditions sont celles de l’objet du contrat : la chose doit être déterminée, possible et licite. Atténuation : on admet que les choses consomptibles au premier usage ne peuvent faire l’objet d’un bail (qualification de prêt de consommation).

La destination de la chose louée.- La destination de la chose louée est importante en pratique. Elle détermine contractuellement ce à quoi doit servir la chose (fixe les limites de l’usage du preneur) et doit être respectée par le preneur. Par ex., les baux d’habitation comportent assez souvent une clause d’habitation bourgeoise (au clause de destination), par laquelle le preneur s’engage à ne pas se servir des lieux loués pour exercer une activité commerciale ou libérale.

§2.- Conditions relatives au loyer

Nécessité absolue.- Le bail est un contrat à titre onéreux. La présence d’un loyer est donc absolument nécessaire pour que le bail reste un bail : pas de loyer, pas de bail (voy. art. “Le bail : définition, intérêt, variétés”). Comprenez bien : la jouissance temporaire d’une chose sans contrepartie exclut la qualification sous étude. Elle s’apparente au contrat de prêt à usage, qui est un contrat à titre gratuit (art. 1876 c.civ.). Le bailleur qui mettrait à disposition d’un commerçant un local sans percevoir de loyer échapperait au régime du bail, spécialement au statut des baux commerciaux (à noter que le juge, via la théorie de la fraude, pourrait être autorisé à déployer les effets de tel ou tel statut spécialement écrit par le législateur nonobstant l’absence formelle de stipulation d’un loyer…Et les parties d’être priées consécutivement de suivre toutes les prescriptions de la loi – i.e. obligation pour le preneur de payer un loyer).

Cette idée est simple. Elle n’épuise pourtant pas toutes les difficultés.

Nécessité d’un loyer déterminé ou déterminable ?.- On sait que depuis les arrêts d’Assemblée plénière de 1995 (Cass. Ass. plén., 1er déc. 1995, Bull. civ., n° 9), la détermination préalable et objective du prix n’est pas exigée à peine de nullité du contrat pour défaut d’objet (exit l’article 1129 anc. c.civ.). Le principe est en effet que la détermination prix n’est pas, en droit commun, car la loi peut en disposer autrement, une condition de validité du contrat. Les parties peuvent très bien le fixer en cours d’exécution ou une fois celle-ci achevée, voire même laisser à l’une seule d’entre elles le soin de fixer le prix quand elle le souhaite (art. 1165 nouv. c.civ.).

Mais on sait également que ce principe posé en 1995 réserve le cas de l’existence de textes légaux portant exception explicite à cette règle. L’archétype de ces textes est l’article 1591 c.civ., relatif à la vente.

En matière de bail, la question est de savoir s’il existe une disposition comparable. La question est assez difficile. La loi est ne le dit pas explicitement. Quant à la jurisprudence, elle donne à penser.

Si l’on cherche dans le Code civil, il y a bien un texte qui parle de prix. Définissant le bail, l’article 1709 dispose que « Le louage des choses est un contrat par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ».

La majorité de la doctrine moderne (car ni Mourlon, Répétition écrites sur le Code civil, t. 3, 1883 ni Planiol – Traité élémentaire de droit civil, t. 2, 5ème éd., 1909 – ne s’interrogent) en déduit, s’appuyant sur les conclusions de l’avocat général Jéol (D. 1996. 13), que la loi relative au bail contient, comme celle relative à la vente, une exception au principe posé en 1995 : la détermination du loyer est une condition de validité du bail (v. en ce sens : F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux ; A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux ; P.-H. Antonmattei et J. Raynard et J.-B. Seube, Droit des contrats spéciaux).

Mais en toute honnêteté, l’article 1709 c.civ. ne dit pas explicitement que la détermination du loyer est exigée ad validitatem (comp. art. 1591 : « Le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties »), ce qui fait dire à une autre partie de la doctrine qu’un bail peut être conclu sans que le loyer ne soit déterminé (Malaurie, Aynès, Gautier, Droit des contrats spéciaux) pour peu qu’il soit déterminable.

Quant à la jurisprudence, elle est peu claire. Certains arrêts semblent admettre qu’un prix n’est pas nécessaire, mais, à bien y regarder, il semble qu’ils soient en réalité relatifs à des contrats complexes mêlant bail et entreprise [il faut dire dès maintenant que la détermination du prix n’est pas nécessaire dans le contrat d’entreprise et qu’en la matière, le juge est autorisé dans certaines conditions à se substituer aux parties pour fixer le loyer lui-même] (v. surtout : Ass. plén. 1er déc. 1995 [4 arrêts], JCP. 1995. II. 22565, concl. Jéol, note Ghestin, JCP, éd. E, 1996. II. 776, note Leveneur, D. 1996. 13, concl. Jeol, note Aynès, Petites affiches 27 déc. 1995, no 155, p. 11, obs. Bureau et Molfessis). En matière de promesse synallagmatique de bail, la jurisprudence décide qu’une promesse de bail vaut bail dès qu’il y a accord sur la chose et sur le prix (Civ. 3e, 20 mai 1992, D. 1993. Somm. 68, obs. Martine ; 28 mai 1997, Bull. civ. III, n° 116), ce dont il semble bien se déduire qu’elle considère, dans ce cas, le loyer comme un élément essentiel du bail.

Quelques vieux arrêts semblaient autoriser le juge à fixer lui-même le loyer en cas de défaillance des parties, ce qui va dans le sens de la position inverse (Civ., 14 nov. 1892, DP 1893. 1. 11 ; Civ. 3ème, 3 octobre 1968, RTD civ. 1969. 351, obs. Cornu). Mais des arrêts plus récents excluent résolument cette possibilité (Cass. 3e civ. 10 déc. 1975, Bull. civ. III, no 369 ; 8 févr. 2006, no 05-10.724, ibid. III, no 25). Le juge ne peut pas substituer à la commune intention des parties, qu’il doit rechercher, sa propre détermination (art. 1716 c.civ.).

Que penser de tout ceci ? Peut être qu’il serait plus opportun que la détermination du loyer soit une condition de validité du bail. On peut penser en effet que la solution de principe posée en 1995 ne se justifie véritablement que lorsqu’il est difficile pour les parties d’évaluer à l’avance la prestation à fournir (ex. de l’avocat à qui on soumet un dossier : comment pourrait-il savoir à l’avance combien d’heures il va passer dessus ?). Mais en matière de bail, la chose objet du contrat est connue dès sa formation. Les parties devraient donc déterminer dès à présent, et à peine d’un contentieux insurmontable, leurs obligations respectives.

On peut s’interroger pour finir sur la portée exacte du débat. Car une équivoque existe sur la sanction de l’absence de détermination du loyer :

– certaines décisions retiennent la nullité du bail (Cass. 3ème civ., 13 juillet 1994, Bull. civ. III, n° 144)

– d’autres optent pour une simple disqualification du contrat (Cass. soc., 16 juin 1951, RTD civ. 1952. 239, obs. Carbonnier ; commodat). Souvent juge varie, bien fol qui s’y fit ?

Liberté de principe quant à la fixation.- La fixation du loyer est en principe libre, mais les statuts spéciaux dérogent largement à cette liberté. C’est le cas en droit civil du bail d’habitation et à usage mixte (loi 6 juill. 1989, art. 17), en droit commercial ou encore en droit rural (art. L. 411-11, al. 3 c.rur. : les loyers sont fixés en monnaie entre des maxima et des minima arrêtés par l’autorité administrative).

En argent ou en nature ?.- En principe le loyer est en argent (car le loyer est un prix et qu’un prix s’entend normalement d’une somme d’argent contre laquelle s’échange un bien ou un service). Mais renvoi : on a vu que dans certains cas, et à condition que la prestation en nature ne soit pas la majeure partie du loyer, une partie du loyer peut être stipulée en nature. Ex. clause travaux ou de soins.

Indexation.- Les parties peuvent prévoir d’indexer le loyer pour lutter contre l’inflation monétaire. En droit commun, l’indexation est licite pourvu que l’indice choisi soit lié à l’objet du contrat ou à l’activité de l’une des parties (voy. art. 1167 nouv. c.civ.). Les statuts spéciaux imposent parfois l’indice (loi 6 juill. 1989, art. 17, d : Indice de Référence des Loyers publié par l’INSEE chaque trimestre).

§3.- Conditions relatives à la durée

Impérativité de la durée.- Le bail est un contrat à exécution successive (voy. pour la définition art. 1111-1, al. 2, nouv. c.civ.). Le bailleur s’oblige ainsi à faire jouir le preneur de la chose « pendant un certain temps », dit l’article 1709 c.civ. C’est une mise à disposition temporaire des utilités de la chose. Ce temps de jouissance fait partie de l’objet du contrat : ce que l’on vise, c’est l’interdiction faite au bailleur de reprendre sa chose ad nutum, c’est-à-dire à première demande (cmp. avec le déposant, qui lui le peut. art. 1944 in limine c.civ. : « le dépôt doit remis au déposant aussitôt qu’il le réclame, lors même que le contrat aurait fixé un délai déterminé pour la restitution (…) »). Dans ces conditions, il n’est pas possible que le contrat se forme à défaut d’accord des parties sur la durée du bail (Cass. 3ème civ., 5 déc. 2001, AJDI 2002. 129, obs. Dumont). Mais la durée doit être distinguée de la prise d’effets : la jurisprudence a décidé, à juste titre, que la date de prise d’effets n’était pas un élément essentiel (Cass. 3ème civ., 28 oct. 2009, Bull. civ. III, n° 237).

Détermination ou indétermination de la durée.- À partir de là, la volonté des parties est libre ; bailleur et preneur à bail peuvent convenir un terme ou n’en stipulé aucun. Dans ce second cas de figure, il importera à l’une quelconque des parties de mettre fin au contrat en adressant à l’autre un congé – prohibition des engagements perpétuels ou pactes conclus ad vitam aeternam i.e. au-delà de 99 ans par hypothèse puisque le bail emphytéotique est admis –, qui prendra effet dans le respect des délais fixés par l’usage des lieux (prohibition prescrite à l’article 1210 nouv. c.civ.).

Ces règles ne valent qu’autant qu’un statut spécial impératif n’en dispose pas autrement. Or, à l’expérience, nombre de statuts spéciaux de baux immobiliers contraignent les parties à l’observance d’une durée impérative. On justifie classiquement cet encadrement de la liberté contractuelle par la nécessité impérieuse de garantir une stabilité au locataire. Le droit de la reconduction comme le droit de préemption y participent grandement. Le bail d’habitation est nécessairement conclu au minimum pour 3 ans, voire 6 années si le bailleur est une personne morale (loi 6 juill. 1989, art. 10 s.). Les baux commercial et rural sont conclus pour une durée de 9 ans (c.com., art. L. 145-4 ; c.rur. art. L. 411-5). C’est d’ordre public de protection dont il est question. Aussi bien les parties sont-elles libres d’améliorer encore la stabilité du preneur en stipulant une durée plus grande que celle prescrite a minima par le législateur.

Ces cas mis à part, les parties peuvent très bien se mettre d’accord pour une durée déterminée (terme extinctif) ou indéterminée. Il est à noter au passage que le Code civil (art. 1736 et 1737) assimile, de façon discutable, les baux verbaux, qu’il nomme baux sans écrit (C.civ., art. 1736), à des baux à durée indéterminée et les baux écrits à des baux à durée déterminée. Ces affirmations sont douteuses.

Dans le premier cas, l’on justifie ordinairement l’assimilation de la façon suivante : si les parties avaient voulu pratiquer un terme extinctif, elles n’auraient pas manqué de le consigner par écrit (C.civ., art. 1736 et 1774). C’est peu dirimant. Au reste, le texte n’interdit pas de penser qu’un bail, quand même serait-il verbal, ait été prévu pour une certaine durée. Simplement, considérant que la preuve de la volonté des parties risque fort d’être diabolique, le législateur semble avoir recommandé que soient observés les délais fixés par l’usage des lieux. C’est de congé dont il s’agit. À défaut de durée conventionnelle, le contrat est indéterminé dans le temps ; on peut y mettre fin à tout moment pour peu que les circonstances de la résiliation ne soient pas dommageables, pour peu, en somme, qu’on observât les délais fixés par l’usage des lieux. La jurisprudence ne l’entend toutefois pas ainsi. Elle interprète l’article 1736 c.civ. comme s’il définissait la durée même du bail fait sans écrit. C’est quand même faire peu de cas de ce que les parties ont pu vouloir même verbalement. Il n’est pas impossible que les parties se soient entendues. Remplacer la durée négociée par celle prévue par les usages, c’est trahir leur intention. Un preneur à bail a bien tenté de produire en justice une lettre du bailleur lui ayant offert de renouveler le contrat pour la même période que le bail échu, mais rien n’y fait. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…

Dans le second cas, les parties à un bail écrit ont très bien pu stipuler que la durée du contrat serait indéterminée, ou ne rien stipuler du tout. En la matière, l’effet produit est le même.

Baux perpétuels.- La seule véritable contrainte qui pèse sur les parties réside dans la prohibition des baux perpétuels, qui se déduit de l’art. 1709 c.civ., qui précise que le bailleur fait jouir « pendant un certain temps ». L’interdiction est fortement teintée d’anti-féodalisme. De tels baux étaient fréquents dans l’Ancien droit sous lequel on distinguait ordinairement le domaine éminent et le domaine utile. Le droit intermédiaire et le Code civil les ont prohibés. Pour mémoire, le seigneur concédait le « domaine utile », c’est-à-dire la faculté d’user du bien avec toutes les prérogatives aujourd’hui attachées au droit de propriété, y compris la faculté de l’aliéner ; il gardait en revanche le « domaine éminent », au nom duquel il percevait sur ces terres un certain nombre de redevances.

Le domaine de la prohibition doit être précisé.

Les baux à durée indéterminée ne sont pas concernés, puisque chacune des parties dispose d’une faculté de résiliation unilatérale qui lui permet de sortir du contrat lorsqu’elle le souhaite. L’article 1736 c.civ. précise en la matière que le congé ainsi adressé prendra effet dans le respect des « délais fixés par l’usage des lieux ».

Seuls les baux à durée déterminée sont en réalité visés. Le principe du respect du terme dans les contrats à durée déterminée permet en théorie que chaque partie reste engagée éternellement. C’est loin d’être un cas d’école. Les législations spéciales n’organisent-elles pas la reconduction du terme ou le renouvellement du contrat, et ce tant à l’égard du preneur à bail qu’à celui de ses héritiers ? En pratique, le bail peut tendre à s’exécuter perpétuellement. Ce qui est interdit, c’est de convenir de la perpétuité, qui est une interdiction sanctionnée par une nullité d’ordre public du bail, qui prive le juge d’un quelconque pouvoir d’appréciation et le contraint à la prononcer (Cass. civ., 20 mars 1929, DP 1930. 1. 13 ; Civ. 3e, 15 déc. 1999, JCP 2000. II. 10236, concl. Weber : pour une espèce désopilante dans laquelle l’action en nullité était prescrite, le bail étant conclu pour 99 ans et renouvelable au gré du preneur… [imprescriptibilité de l’exception de nullité… sauf si commencement d’exécution]). Au-delà, on peut hésiter : le bail est perpétuel si sa durée est supérieure à celle de la vie du preneur… mais on admet que certains baux (ex. bail à construction) soient conclus pour 99 ans.

Le bail de droit commun : qualification juridique

L’objectif est ici de régler un problème de qualification : à quoi reconnaît-on un contrat de bail ? Une question aussi précise impose une réponse simple : il y a bail dès lors qu’il y a constitution, au profit d’un preneur, d’un droit temporaire de jouissance sur un bien appartenant au bailleur (section 1) en contrepartie d’un loyer (section 2).

Section 1.- Un droit temporaire de jouissance

Le bail confère au preneur un droit personnel de jouissance (§1) sur un bien, mais à charge de restitution ; c’est que cette jouissance est temporaire (§2).

§1.- Un droit de jouissance

Le bail confère au preneur le droit d’utiliser la chose (A). Ce droit est un droit personnel et non un droit réel (B).

A.- Le droit d’utiliser la chose

Utilisation de la chose d’autrui.- Le bail est un contrat d’usage. Le preneur a le droit de se servir de la chose. Rien n’oblige cependant à ce que cette jouissance soit exclusive : le bailleur peut très bien se réserver la possibilité d’utiliser conjointement tout ou partie de la chose (des lieux loués) (v. par ex. : Com., 22 nov. 1966, Bull. civ. IV, n° 446, pour une salle de spectacles). De même, rien n’impose que la jouissance soit continue : il est parfaitement possible, sans que la qualification de bail soit remise en cause, de louer un bien de manière intermittente (v. arrêt préc. : mise à disposition d’une salle de spectacles deux fois par semaine).

Distinction bail/dépôt.- L’existence au profit du preneur d’un droit d’utiliser la chose distingue le bail du dépôt ou du séquestre dans lesquels le dépositaire n’a pas le droit de se servir de la chose, à tout le moins en principe (v. article “Le dépôt”).

La distinction, claire en apparence, révèle parfois de redoutables problèmes de qualification.

Ex. : contrat de parking : le contrat par lequel on « loue » un emplacement de parking est-il un bail ou un dépôt ? Tout dépend de ce qui a été convenu par les parties. Si le contrat prévoit une obligation particulière de garde ou de surveillance de la voiture entreposée sur le parking, il s’agit d’un dépôt. Si le contrat ne prévoit pas de telles obligations, c’est un bail (v. par ex. : Civ. 1ère, 3 févr. 1982, RTD civ. 1982. 555, obs. Ph. Rémy).

Distinction bail/entreprise.- Mais réciproquement, le droit de jouissance est  le seul droit que le bail confère au preneur. En théorie, la distinction du bail et de l’entreprise est nette. Dans le louage de chose, le bailleur donne la jouissance de la chose (C.civ., art. 1709). Dans le louage d’ouvrage, le locateur sert une prestation de service (C.civ., art. 1710). Mais le monde juridique est moins simple qu’il n’y paraît. Il existe des contrats complexes. Il n’est pas rare que le preneur à bail profite de prestations surnuméraires. La qualification de bail s’impose alors moins facilement. La convention se rapproche du contrat d’entreprise dans lequel l’entrepreneur s’engage à faire quelque chose pour le maître d’ouvrage.

Dans ce cas de figure, il importe de regarder les proportions respectives de la jouissance et du service fourni. Si c’est équivalent, on peut envisager une qualification mixte distributive. Un autre critère peut parfois émerger : la maîtrise de l’objet support du contrat qui, si elle subsiste, rapproche le bail du contrat d’entreprise (ex. mise à disposition d’un cheval pour une randonnée organisée).

Ex. 1 : Hôtellerie : bien souvent, le service fourni par l’hôtelier ne se limite pas à la simple jouissance de la chambre ; il y a en plus le nettoyage de la chambre (les moquettes et les murs…), la blanchisserie, la restauration, voire même parfois la fourniture de soins.

Ex. 2 : Location de voiture avec chauffeur : ici, la mise à disposition de la voiture s’accompagne du service assuré par le chauffeur.

B.- La nature personnelle du droit d’utiliser la chose

1.- Principe

Une créance d’usage.- Le point a pu faire difficulté en doctrine, mais le principe demeure : le droit de jouissance conféré au preneur est un droit personnel et non un droit réel. C’est un droit contre une personne et non sur la chose. Dans le bail, le preneur est titulaire d’une simple créance de mise à disposition. C’est ce qu’énonce l’article 1709 c.civ. lorsqu’il dispose que le bailleur « s’oblige à faire jouir l’autre » de la chose. Il est important de bien le comprendre : le preneur ne possède pas sur la chose de droit assimilable au droit de propriété ou à l’un de ses démembrements. Il n’a pas de droit direct sur la chose. Il ne saurait en jouir et en disposer de la manière la plus absolue (art. 544 c.civ.) : foin d’aliénation. Il n’en dispose que par l’intermédiaire du bailleur. En raison du caractère temporaire de la jouissance de la chose, le preneur est débiteur d’une obligation de restitution, qui est ignorée de la vente. L’article 1730 cciv. dispose en ce sens : la jouissance du preneur ne peut altérer la substance de la chose qu’il doit restituer « telle qu’il l’a reçue ».

 Bail et usufruit.- En ceci réside la différence essentielle entre le bail et l’usufruit : le bail est un droit personnel tandis que l’usufruit est un droit réel. Pour mémoire, « l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance » (art. 578 c.civ.). On sait que l’usufruit est un démembrement du droit de propriété, généralement viager, qui confère à son titulaire l’usus et le fructus d’un bien et laisse au nu-propriétaire l’abusus. Les différences avec le bail sont notables :

– l’usufruitier jouit du bien parce qu’il en a l’usus ; il n’a pas besoin que quelqu’un d’autre mette la chose à sa disposition. À la différence du preneur, qui ne jouit que par l’intermédiaire du bailleur, l’usufruitier jouit par lui-même.

– en vertu du fructus, l’usufruitier a le droit de percevoir les fruits de la chose. Or le loyer est un fruit de la chose. Autrement dit, l’usufruitier peut tout à fait donner à bail la chose pour en percevoir les fruits. Sauf convention contraire, l’usufruitier peut même vendre ou céder son droit à titre gratuit (art. 595, al. 1, c.civ.). Cette liberté de principe contraste avec le caractère restrictif en pratique de la sous-location, qui bien souvent est assez encadrée.

La différence avec un droit d’usage et d’habitation, qui est aussi un droit réel, est la même, à ceci près que le droit d’usage et d’habitation, strictement personnel, ne permet pas à son titulaire de donner la chose à bail.

2.- Éléments de complexité

Arguments de contestation.- Certains éléments de droit positif sont de nature à réveiller la controverse, donnant des arguments à la partie de la doctrine qui défend le caractère réel du droit du preneur à bail.

Certains statuts spéciaux confèrent au preneur un droit au renouvellement du bail particulièrement vigoureux (baux commerciaux et baux ruraux), si bien que l’intéressé a vocation à se maintenir dans les lieux de manière quasiment indéfinie. L’importance de ce droit au renouvellement est telle qu’on le baptise parfois « propriété commerciale » (droit commercial) ou « propriété culturale » (droit rural). Le renforcement du droit du preneur sur la jouissance du bien tend alors à rapprocher ce droit d’un droit réel.

Les baux de longue durée sont traités par le droit civil d’une manière assez proche de celle des droits réels.

Les baux de plus de douze ans doivent être publiés à la conservation des hypothèques (on dit depuis l’ordonnance n° 2010-638 du 10 juin 2010 portant suppression du régime des conservateurs des hypothèques « au service chargé de la publicité foncière ») comme le serait un droit réel sur un bien (D. n° 55-22 4 janv. 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 28, 1°, b). Autrement dit, ils sont soumis au régime d’opposabilité des actes translatifs de propriété.

Les baux de plus de neuf ans sortent de la catégorie des actes d’administration pour rentrer dans celle des actes de disposition (C. civ. art. 595 ; art. 1718) : l’usufruitier ne peut donc les passer seul, pas plus que le tuteur ; la règle vaut également pour les baux ruraux et commerciaux, considérés comme des actes de disposition.

Au reste, la jurisprudence applique au conflit entre deux locataires successifs les mêmes règles qu’aux conflits de droit réels : prior tempore, potior jure. Le droit accordé par la loi au preneur pourrait être présenté comme un droit réel de fait.

Il faut cependant comprendre qu’aucun de ces arguments n’est décisif aux yeux de la jurisprudence, qui continue de traiter à raison le droit du preneur comme un droit personnel. Encore une fois, le locataire n’est pas un propriétaire : c’est un créancier.

Vraies exceptions.- Ce principe s’accommode ceci étant de véritables exceptions : certains baux confèrent un droit réel au preneur.

Bail emphytéotique : le bail emphytéotique concerne les terrains agricoles. Il est régi par les articles L. 451-1 et suivants du code rural. L’idée est, pour le bailleur, de faire mettre en valeur son terrain par un autre. Pour ce faire, un bail est conclu pour une très longue durée (plus de 18 ans, mais moins de 99), moyennant un loyer – on parle de redevance ou de « canon emphytéotique » – symbolique. Pendant la durée du bail, le preneur doit mettre en valeur et procéder à des améliorations et constructions sur le terrain, ces améliorations restant la propriété du bailleur en fin de contrat.

Bail à construction : introduit par une loi du 16 décembre 1964, le bail à construction est en quelque sorte la version citadine de l’emphytéose. Sa réglementation procède des articles L. 251-1 et suivants du CCH. Ici, le bail est également conclu pour une très longue durée (18 à 99 ans), en contrepartie d’un loyer symbolique. Le preneur s’engage, pendant la durée du contrat « à édifier des constructions sur le terrain du bailleur et à les conserver en bon état d’entretien » (CCH, art. L. 251-1). Ces constructions restent, sauf convention contraire, la propriété du bailleur en fin de contrat.

Ces deux baux particuliers génèrent au profit du preneur un droit réel susceptible d’hypothèque. Ils constituent une véritable exception au caractère par principe personnel du droit du preneur sur le bien.

§2.- Une jouissance temporaire

La mise à disposition du bien est temporaire : elle dure un certain temps (A) et se conclut par l’obligation de restituer le bien (B).

A.- Une certaine durée de jouissance

Le temps objet du contrat.- Le bail est un contrat à exécution successive. Ceci l’oppose aux contrats instantanés, telle la vente, qui s’exécutent en un trait de temps. Ici, le bailleur s’engage à procurer un certain temps de jouissance (art. 1709 : le bailleur s’oblige « à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps »). Ce temps de jouissance est, à part entière objet du contrat. Ceci signifie que le temps imparti par le contrat est une durée pendant laquelle le bailleur ne peut pas reprendre son bien ad nutum. Le bailleur, à l’inverse du déposant, ne peut pas reprendre sa chose à première demande. Il doit respecter la durée stipulée au contrat. Celle-ci peut d’ailleurs être aussi bien déterminée qu’indéterminée. Dans le second cas, le bailleur devra résilier le bail (et donc renoncer aux loyers futurs) pour reprendre son bien.

Mais qui dit durée dit nécessairement durée limitée. Le bail doit s’arrêter un jour. Et dans cette optique, le Code civil prohibe les baux perpétuels, c’est à dire les baux qui, de durée supérieure à celle de la vie humaine, reviendraient à assujettir la personne même. Autrement dit, la limitation dans le temps est impérative. Elle n’est cependant pas excessivement contraignante puisque, on vient de le voir, on peut s’engager valablement pour 99 ans.

Bail et convention d’occupation précaire.- Au-delà, et dans le sens opposé, la présence d’une durée permet de distinguer le bail de la convention d’occupation précaire. Cette dernière figure juridique est bien connue en droit commercial : la convention d’occupation précaire est un contrat soumis au droit commun par lequel les parties contractantes reconnaissent à l’occupant un droit de jouissance précaire, révocable « à la prière du propriétaire »[1] mais rémunéré par une contrepartie financière modique. Le caractère modeste de la rémunération de la jouissance précaire est un critère commode distinction, bien que ce ne soit pas le principal.

Le critère de distinction est la fragilité de la situation de l’occupant, auquel nulle durée de jouissance n’est garantie, pour peu que des circonstances particulières indépendantes de la volonté des parties le justifient. La jurisprudence interdit en effet que la situation précaire du preneur résulte de la seule volonté des parties (v. par ex. Cass. 3ème civ., 29 avr. 2009, Bull civ. n° 90, visa : art. 2 loi 6 juill. 1989 (bail d’habitation)[2] ; Bull. civ. 89 (bail commercial). Les parties qui seraient désireuses d’échapper au droit au renouvellement, qui est l’alpha et l’omega du bail commercial, doivent justifier la précarité que subit l’occupant par des critères objectifs (par ex. un projet de démolition, de construction ou d’urbanisme, une décision d’expropriation pendante). En somme, la volonté des parties est sûrement nécessairement mais absolument pas suffisante. Le droit craint que la convention ne soit conclue que dans le dessein de frauder les statuts légaux impératifs. Or, il est acquis que la fraude corrompt tout : « sur un plan théorique, elle désigne ce point où l’ordre juridique, pour assurer sa défense et sa primauté, ne se borne plus à sanctionner la contrariété franche et directe à la loi mais atteint aussi l’ensemble des procédés individuels qui, faisant mine de respecter la loi, sont en réalité destinés à la tourner »[3]. Pareil resserrement de la volonté des parties est topique de l’influence de l’ordre public économique et social. La législation sur le louage de chose, spécialement immobilière, est préoccupée par la stabilité du locataire. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 rel. à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dite Pinel a justement grossi le Code de commerce d’un article L. 145-5-1, qui énonce : « n’est pas soumise au présent chapitre la convention d’occupation précaire qui se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties. » (v. récemment Cass. 3ème civ., 19 nov. 2014, n° 13-20089, RDC 2015, p. 277, note R. Boffa. Convention sur le domaine public typique de ces circonstances particulières justifiant la précarité de la situation car insusceptible de faire l’objet d’un bail commercial consenti par France télécom à la Poste avant que la 1ère ne devienne une personne morale de droit privé).

B.- La charge d’une restitution

Rendre à l’identique.- Le bail est un contrat de restitution : il oblige le preneur à rendre la chose louée au terme du contrat. Cette restitution doit s’effectuer à l’identique. L’article 1730 c.civ. dispose « s’il a été fait un état des lieux entre le bailleur et le preneur, celui-ci doit la rendre la chose telle qu’il l’a reçue, suivant cet état ». Et l’article 1731 de préciser « s’il n’a pas été fait d’état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparation locatives, et doit les rendre tels, sauf la preuve contraire ». La question ne fait en général aucune difficulté. Elle en fait d’autant moins en droit spécial du bail d’habitation, car la loi exige, sous peine de priver le bailleur de la présomption de l’article 1731 c.civ. (pour autant que cette carence soit de son fait), de procéder à un état des lieux (art. 3, al. 2 loi 6 juill. 1989).

Une conséquence importante doit être tirée de ce principe quant à la nature des choses que l’on peut donner à bail. Il ne peut s’agir en effet d’une chose consomptible, qui se consomme par l’usage qu’on en fait. On ne peut pas louer une cigarette, car le preneur tient du bail le droit de s’en servir et que cet usage lui interdit matériellement de la restituer à l’identique. Un tel contrat n’est pas un bail, mais un prêt de consommation (la restitution d’une cigarette sera bien due, mais ce ne sera jamais celle même qui a été fumée par l’emprunteur).

La restitution de la chose telle qu’elle a été reçue donne encore à penser. Il n’est pas rare que le preneur ait fait quelques réparations, améliorations ou constructions. Il est acquis qu’il peut les récupérer, à charge de ne pas détériorer la chose louée. De même, le propriétaire peut le contraindre à remettre la chose dans son état initial. Mais que dit le droit si ces aménagements sont abandonnés par le preneur ? Peut-il exiger d’en être remboursé ? S’agissant des améliorations en tout genre, la jurisprudence refuse que le bailleur soit condamné à indemniser le preneur : exit l’actio de in rem verso. S’agissant en revanche des plantations, constructions et ouvrages, l’article 555, al. 3 c.civ. s’applique. À défaut de convention réglant le sort de ces travaux, le bailleur doit dans ce cas de figure rembourser le preneur des dépenses faites.

Bail et vente.- C’est d’ailleurs ce qui permet de distinguer le bail et la vente. Les deux organisent la transmission d’une chose contre un prix, mais le preneur doit restituer pendant que l’acheteur, qui devient propriétaire de la chose, peut la garder. On en a donné l’explication juridique plus haut : la vente transfère la propriété de la chose tandis que le bail constitue sur elle un droit personnel et temporaire de jouissance.

Conflits de qualification.- Ces règles simples peuvent toutefois être à l’origine de conflits de qualification. Comment qualifier, par exemple, certaines ventes de fruits ou le contrat de concession de l’exploitation d’une carrière ou d’une mine ? S’agit-il d’un bail portant sur la chose, pour lequel la jurisprudence estime que le preneur a le droit de percevoir les fruits (Cass. ch. Réunies, 17 mars 1904), dans la mesure où il profite de la chose, ou bien s’agit-il d’une vente portant sur les seules productions de la chose ?

Vente de fruits : Le contrat par lequel on vent les fruits de la terre (par ex. l’herbe de laquelle se nourrira un troupeau) est-il un bail ou une vente ? Tout dépend du point de savoir si le bénéficiaire des fruits cultive ou non la terre pour les produire. S’il cultive, il y a une mise à disposition caractéristique d’un bail ; s’il ne cultive pas, il y a simple vente de fruits (v. pour un contrat finalement qualifié de vente d’herbe : Civ. 3ème, 11 juin 1986, RTD civ. 1987. 112, obs. Rémy).

Concession de l’exploitation d’une carrière ou d’une mine : Il y a lieu de soigneusement distinguer ici la notion de fruit de celle de produit. Les fruits n’altèrent pas la substance de la chose dont ils sont issus (ex. un pommier reste toujours un pommier une fois qu’on a récolté les pommes) tandis que la perception des produits la consomment progressivement (ex. forêt de pommiers pour faire des planches : les planches sont les produits des pommiers ; si l’on coupe 1000 planches, il y a moins de pommiers dans la forêt qu’avant la récolte). Ici, l’exploitation d’une carrière ou d’une mine altère la substance de la chose – il faut creuser – et cette altération est incompatible avec l’obligation de restitution à l’identique qui pèse sur le preneur. Il s’agit donc d’une vente de meubles par anticipation et non d’un bail (v. dernièrement : Civ. 3ème, 12 janv. 2005, CCC 2005, comm. 105).

Section 2.- Le paiement d’un loyer

Un contrat à titre onéreux.- Le bail est fondamentalement un contrat à titre onéreux. L’article 1709 c.civ. exige une contrepartie. La stipulation d’un loyer permet de distinguer le bail du prêt à usage ou commodat (mise à disposition gratuite) (c.civ., art. 1875). Des conflits de frontière peuvent apparaître quand le loyer est très modique. Les qualifications juridiques suivantes sont de prime abord praticables : contrat de louage, convention d’occupation précaire, contrat de prêt à usage. Étant donné que le droit exclut dans le prêt à usage toute contrepartie, même symbolique (v. infra), on qualifie alors, de manière pragmatique, la convention de bail.

Un loyer en nature ?.- L’une des questions intéressantes est celle de savoir si le loyer du bail doit forcément être stipulé en argent. Certaines conventions prévoient par exemple que le loyer sera stipulé soit pour partie en argent et pour partie en nature, soit exclusivement en nature. C’est le cas par exemple lorsqu’à un loyer modique s’associe l’obligation de prodiguer des soins au bailleur ou à un membre de sa famille. C’est le cas également lorsque le contrat ne prévoit pas du tout de loyer en argent, mais une obligation pour le preneur de loger, nourrir, entretenir et soigner l’autre partie. Les deux situations doivent être distinguées.

Loyer en argent et en nature : La jurisprudence admet sans trop de problèmes qu’une partie du loyer soit stipulée en nature sans pour autant que la qualification de bail du contrat soit remise en cause. Ex. location d’habitation prévoyant un loyer + une obligation de soins, la convention évaluant en argent le coût des soins et son imputation sur le loyer.

Loyer uniquement en nature : ex. du bail à nourriture : contrat sui generis pour la jurisprudence, exit le bail ; ex. de l’apport en jouissance : jouissance de la chose accordée par l’apporteur contre parts sociales ou actions, exit le bail bien que le régime juridique calqué sur le louage de chose ; ex. du bail à construction dont la loi prévoit que le loyer peut consister en totalité dans l’obligation de construire mise à la charge du preneur = là, c’est un bail, mais c’est la loi qui le dit (C. constr. hab., art. L. 251-1, al. 1er).

En toute hypothèse, toutes les fois que la loi n’a pas expressément qualifié la convention litigieuse de louage de chose, il importe de rechercher ce qui a été dans la commune intention des parties la prestation caractéristique.

[1] F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 8ème éd., Dalloz, 2007, n° 361.

[2] Vu l’article 2 de la loi du 6 juillet 1989 ; Attendu que les dispositions du titre premier de la loi sont d’ordre public ; qu’elles s’appliquent aux locations de locaux à usage d’habitation principale ou à usage mixte professionnel et d’habitation principale ainsi qu’aux garages, places de stationnement, jardins et autres locaux, loués accessoirement au local principal par le même bailleur ; que toutefois, elles ne s’appliquent ni aux locations à caractère saisonnier, à l’exception de l’article 3-1, ni aux logements foyers, à l’exception des deux premiers alinéas de l’article 6 et de l’article 20-1 ; qu’elles ne s’appliquent pas non plus, à l’exception de l’article 3-1, des deux premiers alinéas de l’article 6 et de l’article 20-1, aux locaux meublés, aux logements attribués ou loués à raison de l’exercice d’une fonction ou de l’occupation d’un emploi, aux locations consenties aux travailleurs saisonniers ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 23 janvier 2007), que par convention du 5 août 1995, M. X… a consenti à M. Y… le droit d’occuper à titre précaire et pour une durée de 18 mois moyennant une indemnité de loyer d’un certain montant, un local d’habitation lui appartenant, M. Y… s’engageant à quitter les lieux ou à acquérir l’immeuble à l’issue de cette période ; que M. X… a assigné en expulsion et paiement d’une indemnité d’occupation les époux Y…, qui ont sollicité la requalification de la convention en bail soumis à la loi du 6 juillet 1989 ;

Attendu que pour accueillir la demande d’expulsion, l’arrêt retient que les époux Y… ne sont demeurés dans les lieux à l’expiration de la période de 18 mois initialement convenue que pour l’exécution de leur engagement de se porter acquéreurs de l’immeuble, qu’ils ne s’y sont ensuite maintenus que contre le gré de M. X… et qu’ils ne peuvent donc se prévaloir des dispositions de la loi du 6 juillet 1989 ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser, s’agissant d’un local d’habitation, l’existence au moment de la signature de la convention, de circonstances particulières indépendantes de la seule volonté des parties justifiant le recours à une convention d’occupation précaire, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le second moyen : CASSE.

[3] C. Pérès, La sanction de la fraude à la loi, note sous Cass. 3ème civ., 1er avr. 2009, pourvoi n° 07-21833, RDC 2009/4, p. 1317, à paraître au bulletin.

La bail de droit commun : obsolescence de la codification

Structuration de l’édifice. Le droit commun du bail est celui des articles 1713 à 1778 c.civ. Il faut s’arrêter un instant sur la manière dont le code structure les dispositions relatives à ce contrat. C’est au passage un conseil de méthode plus général que de commencer, lorsqu’on aborde une matière nouvelle, par découvrir le plan d’exposition systématique de la législation sous étude puis lire un à un les articles du code qui la concernent. Il y a une raison à cela : la France est un pays de droit écrit, c’est-à-dire légiféré. Il importe donc au juriste de se nourrir de textes.

Le plan d’exposition justement, quel est-il ? Un chapitre divisé en trois sections.

Chapitre II : Du louage des choses.

– Section I : Des règles communes aux baux des maisons et des biens ruraux ;

– Section II : Des règles particulières aux baux à loyers ;

– Section III : Des règles particulières aux baux à ferme.

Observation sur l’édifice. On a déjà vu des intitulés plus clairs. Mais, c’est le charme suranné de la codification napoléonienne. Il reste que l’accès au droit n’est pas facilité, ce d’autant moins que la structure ne correspond plus à aucune réalité concrète. L’intelligibilité de la loi est pourtant un objectif à valeur constitutionnelle. La réforme du droit des contrats spéciaux devrait améliorer notablement l’existant (voy. not. l’avant-projet de réforme rédigé sous l’égide de l’Association Henri Capitant, 26 juin 2017, http://henricapitant.org/storage/app/media/pdfs/travaux/avant-projet-de-reforme-du-droit-des-contrats-speciaux-26juin2017.pdf).

Interprétation de l’édifice. L’article 1711 c.civ. donne toutefois une clé d’interprétation :

– le bail à loyer recouvre le bail des maisons et celui des meubles ;

– le bail à ferme celui des héritages ruraux, étant précisé que dans ce contexte, le terme « héritage » est synonyme de celui de « bien ».

Si l’on reprend la division du code, on pourrait en déduire que :

– La section I traite des baux des maisons et des biens ruraux, à l’exclusion des baux des meubles ;

– La section II traite des baux des maisons et des baux des meubles ;

– La section III traite des baux des biens ruraux.

Mais cette interprétation suscite des difficultés. D’abord, on ne voit pas pourquoi les baux mobiliers devraient être exclus de la première section. Ensuite, la seconde section contient des dispositions qui sont à l’évidence inapplicables aux baux mobiliers. Prenons un 1er exemple. Il est dit à l’article 1752 c.civ. que le locataire doit garnir la maison de meubles suffisants. Comment diable pourrait-on garnir de meubles…un bien meuble (encore que l’on peut bien gaver une oie) ? Il est encore dit à l’article 1756 c.civ. que le bailleur doit curer la fosse d’aisance. C’est proprement – c’est le cas de le dire – impossible si le bien considéré est un canapé.

L’exemple devrait convaincre, du moins je l’espère, de porter attention à la correspondance qui doit toujours exister, dans un texte juridique, entre un intitulé et le contenu du développement qui l’annonce. Et ce que je vous dis relativement à la législation vaut tout autant relativement à la rédaction d’un contrat. Ici, la mauvaise rédaction des intitulés du Code civil a obligé la jurisprudence à intervenir pour préciser « qu’il résulte du rapprochement des articles 1709, 1711 et 1713 du code civil que les règles générales applicables au louage de biens immeubles le sont également au louage de biens meubles, autant qu’elles sont compatibles avec la nature des choses » (Civ. 1ère, 22 juillet 1968, Bull. civ. I, n° 218).

Bien que l’article 1713 c.civ. dispose que le bail peut porter sur toutes sortes de choses, meubles ou immeubles, il est fort probable que les rédacteurs du Code civil n’aient certainement pas beaucoup pensé aux baux de meubles en rédigeant ces dispositions. C’est que dans leur esprit, la propriété mobilière était insignifiante par rapport à la propriété immobilière : res mobilis, res vilis (choses mobiles, choses viles). L’idée selon laquelle les biens mobiliers sont sans valeur est héritée de l’époque médiévale où la terre, seule, donnait richesse et puissance). En vérité, les meubles auxquels il est fait référence sont très certainement ceux qui garnissent éventuellement la maison louée.

Ce n’est plus d’actualité, les patrimoines se sont notablement modifiés. Il est un fait : les plus grandes fortunes sont mobilières (via par ex. la détention de titre représentatif du capital social d’une entreprise). Ce n’est pas tout. On voit se multiplier les régimes de faveur pour des meubles dont l’importance est reconnue pour des raisons diverses : les meubles meublant garnissant le logement familial, les biens corporels nécessaires à la vie et travail du débiteur sont insaisissables, les objets d’art échappent à l’impôt de solidarité sur la fortune. Un droit a même été consacré à la protection des œuvres de l’esprit (Droit de la propriété intellectuelle). En conséquence, l’adage a perdu la plus grande partie de sa force. Il reste quelques séquelles de la vileté juridique des meubles : la lésion, par exemple, n’est pas admise dans la vente mobilière ; il est en d’autres en droit patrimonial de la famille (v. H. Roland, Lexique juridique. Expression latine, vis res mobilis, res vilis).

Application de l’édifice. En droit positif, et faute d’aucun autre texte disponible, on en est donc réduit à voir dans la section I un droit applicable tant aux baux immobiliers que mobiliers, tout en évinçant, par bon sens, les dispositions qui paraissent incontestablement « hors-jeu » (v. par ex. art. 1735 c.civ. qui rend le locataire responsable des détériorations causées à la chose louée par des personnes de sa maison). Seulement voilà : le diable se cache dans les détails. Il reste à se mettre d’accord sur ce que revêt le « bon sens » (qui n’est pas forcément la chose la mieux partagée au monde). Une contestation existe en particulier, en doctrine, sur le point de savoir si les dispositions relatives à la preuve du bail valent pour les baux mobiliers…

Le bail : définition, intérêt, variétés

Définition.- Aux termes de l’article 1709 c.civ., le bail – ou louage de choses –  est le contrat « par lequel l’une des parties s’oblige à faire jouir l’autre d’une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s’oblige de lui payer ».

Le louage de chose est l’une des deux variétés de louage du Code civil (v. aussi louage d’ouvrage ou contrat d’entreprise). Dans une première approche, il s’agit d’un contrat synallagmatique à titre onéreux et à exécution successive.

Intérêt.- Le bail permet de dissocier propriété et possession, en l’occurrence propriété et jouissance. Son intérêt pratique est évident. Il permet au bailleur de tirer des revenus de son bien sans pour autant en perdre la propriété. Réciproquement, il permet au preneur d’avoir l’usage d’un bien qu’il n’a pas les moyens d’acquérir. La location d’un immeuble à usage d’habitation en fournit un exemple immédiat.

Le bail permet aussi de ne pas s’endetter. Qui veut conserver une certaine surface de solvabilité pour obtenir un prêt, immobilier par exemple, a ainsi intérêt à louer une voiture sur une longue durée plutôt que d’avoir recours à un emprunt pour en acheter une. De surcroît, il ne subit pas la déperdition de valeur de la voiture liée à son statut de bien de consommation (biens que le temps dégrade). Le locataire qui souhaite conduire une voiture plus récente n’a qu’à résilier son contrat de location pour en contracter un autre.

On pourrait multiplier les exemples.

Dans cette optique, il faut souligner l’extrême importance du contrat de bail dans la vie quotidienne : baux d’habitation, on vient d’en parler, mais aussi location de voiture, location saisonnière, location d’une sono ou de vaisselle pour toute une série de raisons, location d’un chariot élévateur en vue de réaliser des travaux ponctuels… mais aussi baux commerciaux, baux ruraux, baux professionnels, baux emphytéotiques, baux à construction… la liste est quasiment inépuisable. Le meilleur des poètes ne parviendrait sans doute pas à en faire l’inventaire !

Spécialisation, un bail, des baux.- Le Code civil réglemente deux types de baux : les baux des maisons (ou baux à loyer) et les baux des biens ruraux (Titre VIII Du contrat de louage. Chap. II Du louage des choses. Section 1 Des règles communes aux baux des maisons et des biens ruraux).

Cette simple opposition est devenue bien insuffisante pour décrire l’état du droit positif. Le sens de l’histoire est en effet celui d’une multiplication des statuts spéciaux. Autrement dit, tout le droit du bail n’est pas dans le Code civil. Cela serait trop simple. Il existe, à côté du droit commun du bail, autant de droits qu’il y a de baux spéciaux. Ces droits sont disséminés dans une foultitude de codes et/ou de lois particulières. L’importance pratique de ces baux spéciaux oblige d’entretenir le lecteur du droit spécial du bail et des droits très spéciaux des baux.

Mais avant d’entrer dans les détails, il faut se mettre en tête une fois pour toutes les rapports respectifs de ces deux droits.

Le droit commun du bail des articles 1713 à 1778 c.civ. a normalement vocation à régir tous les baux, même les baux spéciaux. Les réglementations particulières ont principalement vocation à combler les lacunes ou à préciser certains aspects du droit commun. Elles ont plus rarement pour but de remplacer certaines solutions du droit commun par d’autres solutions plus adaptées à la matière. Ceci posé, vous comprendrez mieux les règles d’application suivantes, qui procèdent de la maxime speciala generalibus derogant (la loi spéciale déroge à la loi générale).

1.- Si un bail ne fait l’objet d’aucune réglementation particulière : on applique les articles 1713 à 1778 c.civ.

2.- Si un bail fait l’objet d’une réglementation particulière, et que cette réglementation porte sur un point déjà abordé par le Code civil, on applique la réglementation particulière, y compris si elle devait être contraire au Code civil.

3.- Si un bail fait l’objet d’une réglementation particulière et que cette réglementation ne solutionne pas le problème envisagé : on applique les solutions des articles 1128 (1108 anc.) et s. c.civ.

4.- À noter que les dispositions du Code civil relatives au bail sont largement supplétives de volonté. En cas de prévision contraire au code, c’est donc la convention des parties qui doit s’appliquer.