Restitutions: les règles communes à toutes les formes de restitutions (incapacités, sort des sûretés)

Lorsqu’un contrat est anéanti, soit par voie de nullité, soit par voie de résolution, soit encore par voie de caducité, il y a lieu de liquider la situation contractuelle dans laquelle se trouvent les parties et à laquelle il a été mis fin.

Pour ce faire, a été mis en place le système des restitutions. Ces restitutions consistent, en somme, pour chaque partie à rendre à l’autre ce qu’elle a reçu.

Avant la réforme des obligations, le Code civil ne comportait aucune disposition propre aux restitutions après anéantissement du contrat. Tout au plus, il ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme, telles que les dispositions relatives à la répétition de l’indu, dont la jurisprudence s’est inspirée pour régler le sort des restitutions en matière contractuelle.

La réforme du droit des obligations a été l’occasion pour le législateur de combler ce vide en consacrant, dans le Code civil, un chapitre propre aux restitutions.

Surtout, le but recherché était d’unifier la matière en rassemblant les règles dans un même corpus normatif et que celui-ci s’applique à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, la résolution, la caducité ou encore la répétition de l’indu.

À l’examen, le régime juridique attaché aux restitutions s’articule autour de trois axes déterminés par l’objet desdites restitutions.

À cet égard, les règles applicables diffèrent selon que, la restitution porte sur une chose autre qu’une somme d’argent, sur une somme d’argent ou sur une prestation de service.

En substance, il ressort des textes que :

  • D’une part, la restitution d’une chose autre qu’une somme d’argent se fait, par principe, en nature et lorsque cela est impossible, par équivalent monétaire
  • D’autre part, la restitution d’une somme d’argent inclut les intérêts au taux légal et les taxes acquittées
  • Enfin, la restituons d’une prestation de service a lieu en valeur

En parallèle, les articles 1352-4 et 1352-9 posent des règles applicables à toutes les formes de restitutions.

Nous nous focaliserons ici sur ce second corpus normatif.

Deux séries de règles sont applicables à toutes les restitutions. Elles intéressent :

  • D’une part, les mineurs non émancipés et les majeurs protégés
  • D’autre part, les sûretés qui avaient été constituées pour le paiement de l’obligation

I) La teneur des restitutions effectuées à la faveur d’un mineur ou d’un majeur protégé

L’article 1352-4 du Code civil dispose que « les restitutions dues par un mineur non émancipé ou par un majeur protégé sont réduites à hauteur du profit qu’il a retiré de l’acte annulé. »

Cette disposition se veut être une reprise à droit constant de l’ancien article 1312 du Code civil qui prévoyait que « Lorsque les mineurs ou les majeurs en tutelle sont admis, en ces qualités, à se faire restituer contre leurs engagements, le remboursement de ce qui aurait été, en conséquence de ces engagements, payé pendant la minorité ou la tutelle des majeurs, ne peut en être exigé, à moins qu’il ne soit prouvé que ce qui a été payé a tourné à leur profit. »

La règle ainsi instituée vise à atténuer les effets habituels de l’anéantissement d’un acte en faveur des personnes protégées, en prenant en considération l’avantage économique qu’elles ont, en définitive, conservé.

En effet, alors que les restitutions visent à rétablir la situation patrimoniale des parties comme si l’acte anéanti n’avait jamais existé, l’article 1352-4 prévoit que lorsque de débiteur de l’obligation de restituer est un mineur non émancipé ou un majeur protégé il peut conserver le profit que lui a procuré ce qu’il a reçu.

Aussi, trois situations peuvent se présenter :

  • Ce qui a été reçu n’a pas été consommé, ni n’a disparu : la restitution sera totale
  • Ce qui a été reçu a été en partie consommé ou a été altéré : la restitution sera partielle
  • Ce qui a été reçu a été totalement consommé ou a disparu : aucune restitution ne pourra avoir lieu

À l’examen, le champ d’application de la règle posée à l’article 1352-4 est limité puisque le texte ne vise que les actes annulés.

Aussi, ce texte n’a-t-il pas vocation à s’appliquer en cas de résolution ou de caducité d’un contrat.

Reste que, à la différence de l’ancien article 1312 du Code civil, elle ne profite pas seulement aux majeurs sous tutelles. Elle intéresse également les majeurs qui font l’objet des mesures de protections que sont :

  • La sauvegarde de justice
  • La curatelle simple et renforcée
  • Le mandat de protection future

Enfin, en application de la jurisprudence antérieure qui devrait être reconduite, la règle posée à l’article 1352-4 du Code civil ne jouera que lorsque l’acte anéanti n’a pas été accompli par l’entremise du représentant légal du mineur ou du majeur protégé.

Dans un arrêt du 18 janvier 1989, la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « l’article 1312 du Code civil concerne les seuls paiements faits entre les mains d’un mineur ; que la cour d’appel n’avait pas à faire application de ce texte, s’agissant d’une restitution qui était la conséquence d’un paiement fait au père de la victime » (Cass. 1ère civ., 18 janv. 1989, n° 87-12019).

À l’instar de l’ancien texte, l’article 1352-4 du Code civil ne devrait donc s’appliquer que dans l’hypothèse où c’est le mineur qui a directement contracté avec le créancier de l’obligation de restituer.

II) Le sort des sûretés constituées pour le paiement de l’obligation

L’article 1352-9 du Code civil dispose que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte est anéanti, le créancier de l’obligation de restituer continue de bénéficier de la sûreté qui avait été constituée pour garantir l’obligation souscrite initialement par le débiteur.

Pour exemple, lorsque c’est un contrat de vente qui est annulé, la sûreté qui avait été constituée par le vendeur pour garantir le paiement du prix de vente est maintenue en vue de garantir l’obligation de restitution de la chose délivrée qui pèse sur l’acquéreur.

La règle ainsi posée n’est qu’une généralisation la solution consacrée par la jurisprudence en matière de prêt d’argent.

Dans un arrêt du 17 novembre 1982 la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » (Cass. com. 17 nov. 1982, n° 81-10757).

Désormais, le domaine d’application de la règle édictée à l’article 1352-9 n’est plus cantonné aux seuls contrats de prêts. Cette disposition s’applique à tous les contrats, la condition étant que les parties au contrat initial soient les mêmes que celles concernées par l’obligation de restitution.

Par ailleurs, peu importe la cause de l’anéantissement de l’acte. L’article 1352-9 n’opère aucune distinction entre la nullité, la résolution ou encore la caducité.

Enfin, la nature de la sûreté pouvant faire l’objet d’un report sur l’obligation de restitution est indifférente. Il peut s’agir, tant d’un cautionnement, que d’une hypothèque ou encore d’une garantie autonome.

L’article 1352-9 apporte néanmoins une précision pour le cautionnement en prévoyant que le report de la sûreté sur l’obligation de restitution est sans incidence sur « les droits de la caution, qui pourra invoquer le bénéfice du terme. »

Autrement dit, en cas de maintien du cautionnement aux fins de garantir l’obligation de restitution qui pèse sur le débiteur, la caution conserve le bénéfice du terme stipulé initialement dans le contrat anéanti. Il serait particulièrement injuste pour cette dernière d’être appelée en garantie de manière anticipée, alors qu’elle s’était engagée sur la base de conditions d’exigibilité différentes.

Les restitutions : le sort des sûretés

L’article 1352-9 du Code civil dispose que « les sûretés constituées pour le paiement de l’obligation sont reportées de plein droit sur l’obligation de restituer sans toutefois que la caution soit privée du bénéfice du terme. »

Il ressort de cette disposition que lorsqu’un acte est anéanti, le créancier de l’obligation de restituer continue de bénéficier de la sûreté qui avait été constituée pour garantir l’obligation souscrite initialement par le débiteur.

Pour exemple, lorsque c’est un contrat de vente qui est annulé, la sûreté qui avait été constituée par le vendeur pour garantir le paiement du prix de vente est maintenue en vue de garantir l’obligation de restitution de la chose délivrée qui pèse sur l’acquéreur.

La règle ainsi posée n’est qu’une généralisation la solution consacrée par la jurisprudence en matière de prêt d’argent.

Dans un arrêt du 17 novembre 1982 la Cour de cassation avait jugé en ce sens que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état antérieur à la conclusion de leur convention annulée, l’obligation de restituer inhérente au contrat de prêt demeure valable, que dès lors le cautionnement en considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable n’est pas éteinte » (Cass. com. 17 nov. 1982, n° 81-10757).

Désormais, le domaine d’application de la règle édictée à l’article 1352-9 n’est plus cantonné aux seuls contrats de prêts. Cette disposition s’applique à tous les contrats, la condition étant que les parties au contrat initial soient les mêmes que celles concernées par l’obligation de restitution.

Par ailleurs, peu importe la cause de l’anéantissement de l’acte. L’article 1352-9 n’opère aucune distinction entre la nullité, la résolution ou encore la caducité.

Enfin, la nature de la sûreté pouvant faire l’objet d’un report sur l’obligation de restitution est indifférente. Il peut s’agir, tant d’un cautionnement, que d’une hypothèque ou encore d’une garantie autonome.

L’article 1352-9 apporte néanmoins une précision pour le cautionnement en prévoyant que le report de la sûreté sur l’obligation de restitution est sans incidence sur « les droits de la caution, qui pourra invoquer le bénéfice du terme. »

Autrement dit, en cas de maintien du cautionnement aux fins de garantir l’obligation de restitution qui pèse sur le débiteur, la caution conserve le bénéfice du terme stipulé initialement dans le contrat anéanti. Il serait particulièrement injuste pour cette dernière d’être appelée en garantie de manière anticipée, alors qu’elle s’était engagée sur la base de conditions d’exigibilité différentes.

La preuve des faits juridiques: régime

?Notion

Pour mémoire, les faits juridiques sont définis à l’article 1100-2 du Code civil comme « des agissements ou des événements auxquels la loi attache des effets de droit ».

Cette définition se rapproche très étroitement de celle qui avait été proposée par Gérard Cornu dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription.

Cet auteur avait en effet indiqué que « si, en eux-mêmes, les faits juridiques sont dans une grande diversité, comme agissements (individuels ou collectifs) ou comme événements (faits divers particuliers, économiques, politiques, naturels, etc) c’est toujours la loi qui leur attache l’effet de droit qu’elle détermine (lequel ne correspond évidemment pas s’il s’agit de faits volontaires, au propos délibéré de leur auteur) ».

Ainsi, ce qui caractérise les faits juridiques c’est que, d’une part, ils consistent en des agissements ou des événements et que, d’autre part, les conséquences juridiques qu’ils produisent ne sont pas voulues.

  • Des agissements ou des événements
    • Les faits juridiques peuvent donc consister, soit en des événements, soit en des agissements.
      • Des agissements
        • Un agissement n’est autre qu’une conduite humaine, soit un fait de l’homme, lequel peut être volontaire ou involontaire, individuel ou collectif, licite ou illicite
        • Il peut s’agir d’une fraude, d’une pratique sportive, de la manipulation d’un instrument ou d’un outil etc.
      • Un événement
        • Un événement est un fait qui survient indépendamment de la conduite humaine.
        • Il peut notamment s’agir d’un fait naturel, d’un politique ou encore d’un fait économique.
  • La production d’effets de droit non voulus
    • Le fait juridique se distingue de l’acte juridique en ce que les effets de droit qu’il est susceptible de produire n’ont pas été voulus.
      • Exemple : un accident de voiture, la dissimulation d’un objet, une tornade, les blessures infligées à autrui etc…
    • Les conséquences attachées au fait juridique ne sont ainsi jamais recherchées, y compris lorsque le fait consiste en un agissement volontaire.
    • À titre d’illustration les coups portés à une personne dans le cadre d’une altercation : la conduite est volontaire, mais les conséquences juridiques (paiement de dommages et intérêts et/ou peine d’emprisonnement) ne sont pas voulues.
    • Aussi, les effets de droit attachés au fait juridique résultent, non pas d’une volonté humaine, mais de la loi.
    • Autrement dit, c’est la loi qui détermine les effets de droit attachés aux faits juridiques.
    • Pour qu’un fait produise des effets juridiques, il devra dès lors répondre aux conditions fixées par le législateur.
    • En cas de litige, c’est au juge qu’il reviendra de vérifier que ces conditions sont bien réunies.
    • Au nombre des effets susceptibles d’être produits par un fait juridique, on compte notamment :
      • Les obligations délictuelles qui résultent de faits illicites intentionnels
      • Les obligations quasi-délictuelles qui résultent de faits illicites non intentionnels
      • Les obligations quasi-contractuelles qui résultent de faits licites purement volontaires
    • Il peut être observé que les obligations ne sont pas les seuls effets pouvant être produits par un fait juridique.
    • Il en est certains qui, à cet égard, produisent l’effet inverse : un événement climatique qui constitue un cas de force majeur est par exemple de nature à neutraliser une obligation ou à justifier le retard de son exécution.

L’un des principaux enjeux de la qualification de fait juridique réside dans la preuve.

Car, en effet, à la différence des actes juridiques dont la preuve requiert nécessairement la production d’un écrit, la preuve des faits juridiques se fait, quant à elle, par tout moyen.

I) Principe : la preuve par tout moyen

Bien qu’aucun texte ne l’énonce expressément, la preuve des faits juridique se fait par tout moyen.

Cette règle s’évince des articles 1358 et 1359 du Code civil. Tandis que la première disposition prévoit que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen », la seconde énonce que « l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. »

Il se déduit de la combinaison de ces deux dispositions que tout ce qui ne relève pas de la catégorie des actes juridiques dont le montant excède 1500 euros est soumis au principe de la liberté de la preuve.

Ainsi les faits juridiques peuvent être prouvés par tout moyen, ce qui signifie que sont admissibles en justice tous les modes de preuve.

Autrement dit, les plaideurs sont libres de choisir les moyens de preuve qu’elles entendent présenter au juge, pourvu qu’ils aient été obtenus licitement et loyalement.

La contrepartie à cette liberté probatoire dont jouissent les parties réside dans les pouvoirs conférés au juge qui est libre d’apprécier les moyens de preuves produits au débat judiciaire.

Plus précisément, il est libre d’apprécier ces moyens de preuve selon son intime conviction et de leur octroyer la force probante qui lui paraît opportune.

Il n’est donc pas contraint de s’en tenir à une hiérarchie des modes de preuve qui serait fixée par la loi comme c’est le cas pour la preuve des actes juridiques.

Si ce système est sans aucun doute celui qui offre le plus de souplesse, tant aux parties, qu’au juge, il présente néanmoins l’inconvénient de faire dépendre l’issue du procès de la seule intime conviction du juge.

II) Tempérament

Le principe de liberté de la preuve en matière de faits juridiques connaît une limite : l’exclusion de l’application du principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ».

A) Énoncé du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même »

Il est un principe constant en droit de la preuve selon lequel pour être recevable, l’écrit produit en justice ne peut pas émaner de la partie qui s’en prévaut.

Aussi, est-il fait interdiction au demandeur de fonder ses prétentions sur des preuves qu’il se serait préconstituées unilatéralement ; il ne peut prouver ses allégations qu’au moyen d’éléments qui lui sont extérieurs.

Cette règle a, très tôt, été énoncée par Pothier qui écrivait dans son Traité des obligations que « personne ne pouvant se faire de titre à soi-même, suivant le principe que nous avons déjà établi, il suit de là que les livres-journaux des marchands sur lesquels ils inscrivent jour par jour les marchandises qu’ils débitent aux différents particuliers, ne peuvent pas faire une preuve pleine et entière de ces fournitures contre les personnes à qui elles ont été faites »[1].

Elle a, par suite, été reconduite par les rédacteurs du Code civil qui l’ont codifiée aux anciens articles 1329 et 1331 du Code civil.

Ces dispositions interdisaient de prouver des allégations :

  • Pour les marchands en produisant leurs propres registres contre des personnes non marchandes
  • Pour les particuliers en produisant leurs propres registres ou papiers domestiques

On retrouvait également cette règle à l’ancien article 1347, alinéa 2e du Code civil qui définissait le commencement de preuve par écrit comme un acte « qui est émané de celui contre lequel la demande est formée ».

B) Portée du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même »

?Reconnaissance d’une portée générale au principe

Alors que l’application des dispositions précitées était a priori cantonnée à des domaines spéciaux, la jurisprudence a dégagé des règles énoncées un principe général selon lequel « nul ne peut se constituer une preuve à lui-même ».

La reconnaissance de ce principe est notamment intervenue dans un arrêt du 23 novembre 1972 rendu par la Chambre sociale aux termes duquel elle reproche à une Cour d’appel d’avoir retenu à titre de preuve une affirmation émanant du demandeur à l’allégation (Cass. soc. 23 nov. 1972, 71-12.032).

La Première chambre civile se fondera sur ce même principe dans un arrêt du 2 avril 1996 pour décider que la SNCF ne pouvait, dans le cadre d’un procès, produire aux débats des témoignages émanant de ses propres salariés aux fins de s’exonérer de sa responsabilité envers un voyeur victime d’un accident (Cass. 1ère civ. 2 avr. 1996, n°93-17.181).

Comme souligné par un auteur, cette règle se fonde « sur des considérations d’élémentaire justice et de protection de la partie adverse de celle à qui incombe la charge de la preuve dans un procès »[2].

On ne peut, en effet, raisonnablement admettre qu’un demandeur puisse fonder ses prétentions sur ses propres déclarations ou sur les documents qu’il a lui-même établis.

Ainsi, un garagiste ne saurait prouver l’existence de travaux de réparation et d’entretien d’un véhicule en produisant des factures qu’il aurait lui-même établies (Cass. 2e civ. 23 sept. 2004, n°02-20.497)

De la même façon, un avocat ne saurait prouver l’existence d’une créance d’honoraires en versant aux débats « des comptes détaillés établis dans chacun des dossiers, contenant le rappel des diligences, les provisions reçues et le solde d’honoraires restant dû » dès lors que ces comptes émanaient de lui (Cass. 2e civ. 4 janv. 2006, n°04-20.136).

Le principe d’interdiction des preuves constituées par et pour soi-même relève de l’évidence, sinon du « bon sens »[3] et participe de l’exigence de « loyauté dans le débat judiciaire »[4].

Dans un premier temps, la Cour de cassation a conféré une portée des plus générales à ce principe en admettant qu’il puisse être invoqué dans tous les contentieux.

Autrement dit, elle avait estimé qu’il y avait lieu d’appliquer l’interdiction des preuves autoconstituées tout autant au domaine de la preuve des faits juridiques, qu’au domaine des actes juridiques.

Par suite, on a assisté à un glissement sémantique dans un certain nombre de décisions rendues par la Haute juridiction.

Elle a progressivement fait porter la prohibition sur le « titre à soi-même » au lieu de la « preuve à soi-même ».

Dans un arrêt du 23 juin 1998, elle a ainsi énoncé que « nul ne peut se constituer de titre à lui-même » en remplaçant donc le mot « preuve » par « titre » (Cass. 1ère civ. 23 juin 1998, n°96-11.486).

Ce changement de formulation n’est pas neutre :

  • Lorsque la prohibition vise la « preuve à soi-même », il s’en déduit qu’elle s’applique à tous les domaines, soit tant à la preuve des faits juridique, qu’à la preuve des actes juridiques
  • Lorsque la prohibition vise le « titre à soi-même », tel que le suggérait Pothier dans son traité de droit des obligations, le terme « titre » suggère que l’interdiction est cantonnée au domaine des seuls actes juridiques.

?Exclusion des faits juridiques du domaine d’application du principe

Alors que, en première intention, la Cour de cassation avait voulu appliquer la prohibition de la preuve à soi-même à tous les contentieux, elle a finalement opéré un revirement de jurisprudence aux fins d’en limiter la portée.

Dans un arrêt du 1er février 2005 la Première chambre civile a affirmé en ce sens que « l’adage “nul ne peut se constituer de preuve à lui-même” n’est pas applicable à la preuve des faits juridiques » (Cass. 1ère civ. 1er févr. 2005, n°02-19.757).

Par cette décision, elle entendait ainsi cantonner l’interdiction au domaine des seuls actes juridiques.

A contrario elle admettait donc que la preuve des faits juridiques puisse être rapportée au moyen de preuves constituées unilatéralement par le demandeur à l’allégation.

Pratiquement, cela signifie qu’il est parfaitement possible, pour le demandeur à une action en justice, d’établir un fait juridique en produisant des éléments de preuve (déclarations ou documents) qui émaneraient de lui.

Il appartient alors au juge d’en apprécier la force probante au regard des circonstances de la cause et des autres éléments de preuve qui lui sont soumis.

Lorsque, en revanche, il s’agit de prouver un acte juridique, la preuve produite aux débats ne saurait avoir été constituée unilatéralement par le demandeur à l’allégation.

Elle doit nécessairement lui être extérieure, faute de quoi elle sera frappée d’irrecevabilité.

La Première chambre civile a, par suite, été rejointe par la Deuxième chambre civile qui après avoir reconnu une portée générale au principe (Cass. 2e civ. 11 juill. 1988, n°87-13.187), a écarté de son domaine d’application les faits juridiques (Cass. 2e civ. 4 janv. 2006, n°04-20.136).

Depuis lors, les deux premières chambres de la Cour de cassation n’ont pas dévié de leur position (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 16 juin 2011, n°10-30.689 ; Cass. 2e civ. 6 mars 2014, n°13-14.295).

La troisième chambre civile a fait sienne cette jurisprudence dans un arrêt remarqué rendu le 3 mars 2010 (Cass. 3e civ. 3 mars 2010, n°08-21.056). La Chambre sociale n’a pas tardé à suivre le mouvement (Cass. soc. 19 mars 2014, n°12-28.411).

S’agissant, enfin de la chambre commerciale, elle s’est ralliée à la position adoptée par les autres chambres de la Cour de cassation dans un arrêt du 27 mai 2014 en jugeant, à son tour, que « le principe selon lequel nul ne peut se constituer de preuve à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique » (Cass. com. 27 mai 2014, n°13-14.106).

Pour certains auteurs, l’exclusion des faits juridiques du domaine d’application du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » se justifie en raison du principe de liberté de la preuve[5].

Selon ce principe, tous les modes de preuve sont admissibles. Les parties sont libres de choisir les moyens de preuve qu’elles entendent présenter au juge, pourvu qu’ils aient été obtenus loyalement.

En contrepartie le juge est investi d’une liberté d’appréciation des moyens de preuve produits par les parties au procès.

Il est, autrement dit, libre d’apprécier ces moyens de preuve selon son intime conviction et de leur octroyer la force probante qui lui paraît opportune.

Aussi, peut-il tout autant décider d’écarter une preuve au motif qu’elle a été « autoconstituée » par la partie dont elle émane, et inversement lui reconnaître une force probante nonobstant son origine.

Cette analyse ne fait pas l’unanimité en doctrine. Le Professeur Roger Perrot voit dans les preuves auto-constituées « un péché originel marqué d’une suspicion de partialité ».

Pour lui, à travers le refus de la Cour de cassation d’appliquer le principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » aux faits juridiques « c’est une autre conception de la preuve qui se dessine à l’horizon : son légalisme traditionnel s’effrite pour s’apparenter au système anglais, en vigueur depuis près de deux siècles, qui permet à une partie d’être témoin dans sa propre cause, avec il est vrai, pour assurer un contrôle de véracité plus efficace, la redoutable cross-examination »[6].

Bien que l’argument soit séduisant, il n’a pas empêché le législateur d’inscrire le principe dans le marbre de la loi.

C) Consécration légale du principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même »

?Ordonnance du 10 février 2016

C’est à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 que le législateur a consacré le principe « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ».

Cette règle, présentée par le Rapport au Président de la République qui accompagnait l’ordonnance, comme « un principe essentiel du droit de la preuve » est dorénavant énoncée à l’article 1363 du Code civil.

Cette disposition prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même ».

L’un des premiers enseignements qui peut être retiré de la formulation de cet article est la reprise par le législateur de la solution dégagée par la jurisprudence sous l’empire du droit antérieur.

En retenant la formule « titre à soi-même » au lieu de « preuve à soi-même », les rédacteurs du texte ont entendu signifier que l’interdiction de s’auto-constituer une preuve avait vocation à s’appliquer au domaine des seuls actes juridiques.

Certains auteurs se sont interrogés sur l’intérêt de consacrer une telle interdiction, puisque s’inférant des règles gouvernant la preuve des actes juridiques[7].

Clémence Mouly-Guillemaud soutient en ce sens que l’adage « nul ne peut se constituer de titre à soi-même » présente un caractère tautologique. Pour cet auteur, cela résulte de ce que cet adage « ne formalise pas une restriction nouvelle, mais se borne à rappeler une impossibilité légalement édictée : nul ne peut se constituer seul une preuve littérale parfaite »[8].

En effet, la preuve d’un acte juridique ne peut se faire qu’au moyen d’un acte sous signature privée ou d’un acte authentique.

Or la validité de ces deux formes d’écrits est soumise à des conditions dont le respect exclut que l’écrit produit en justice puisse être établi unilatéralement par une partie.

  • S’agissant de l’acte sous-seing privé, il doit nécessairement être signé :
    • Par les deux parties, s’il constate un contrat synallagmatique
    • Par le débiteur de l’obligation souscrite, s’il constate un contrat unilatéral
  • S’agissant de l’acte authentique, il doit nécessairement être signé par un officier public

Ainsi, la règle énoncée par l’article 1363 du Code civil ne fait, au fond, que redire un principe déjà existant, un principe qui irrigue les dispositions régissant la preuve par écrit.

Comme souligné par Clémence Mouly-Guillemaud, au fond, la raison d’être du principe d’interdiction de se constituer une preuve à soi-même « n’est pas d’édicter une prohibition nouvelle mais de résumer une impossibilité conceptuelle »[9].

Pour cette dernière, il est toutefois possible de remédier à l’inutilité de ce principe en étendant la portée qui lui est habituellement conférée.

?Portée de la consécration légale

En prohibant la constitution de titre à soi-même, sans autre précision, la lecture de l’article 1363 du Code civil n’est pas sans soulever une difficulté d’interprétation.

Que faut-il entendre par « titre » ? S’agit-il du titre au sens de la preuve parfaite d’un acte juridique ou convient-il de donner à cette notion un sens plus large ?

Les deux interprétations sont défendues par les auteurs :

  • Première interprétation
    • Clémence Mouly-Guillemaud défend l’idée que la seule façon de conférer une utilité au principe « nul ne peut constituer de preuve à soi-même », c’est de lui conférer une portée des plus larges.
    • Plus précisément, il y aurait lieu de considérer que le domaine de cette règle ne serait pas seulement cantonné aux actes juridiques dont la preuve se fait par écrit, soit les actes dont le montant est supérieur à 1.500 euros. Le dire relève du truisme, sinon d’« une évidence conceptuelle »[10].
    • Selon cet auteur, l’interdiction de se constituer une preuve à soi-même s’appliquerait, au contraire, à tous les actes, peu importe leur montant.
    • Clémence Mouly-Guillemaud va plus loin en soutenant qu’il s’agirait là d’« une irrecevabilité de principe de la preuve invoquée par son auteur »[11] qui s’étendrait au domaine des faits juridiques.
    • Aussi, l’article 1363 du Code civil devrait être compris comme énonçant un principe général d’interdiction de se constituer une preuve à soi-même, lequel aurait vocation à s’appliquer y compris pour les cas où la preuve est libre.
  • Seconde interprétation
    • La doctrine majoritaire incline pour une interprétation restrictive de l’article 1363 du Code civil.
    • Pour des auteurs « tout indique […] que la prohibition du titre à soi-même se limite au domaine couvert par la preuve légale en droit civil, c’est-à-dire à celui de l’admissibilité restreinte des preuves relatives aux actes juridiques »[12].
    • Autrement dit, ce principe n’aurait vocation à s’appliquer qu’à la preuve des actes juridiques dont le montant est supérieur à 1500 euros.
    • Seraient en revanche exclues de son domaine d’application :
      • La preuve des actes juridiques dont le montant est inférieur à 1.500 euros
      • La preuve des faits juridiques
    • L’interdiction de se constituer un titre à soi-même ne s’appliquerait donc pas, de façon générale, à tous les domaines où la preuve est libre.

Bien que les deux interprétations soient séduisantes, seule la seconde emporte l’adhésion.

Il suffit pour s’en convaincre de relire le rapport au Président de la République accompagnant l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit de la preuve dont il ressort que le législateur a entendu consacrer la solution dégagée par « la jurisprudence la plus récente ».

Or depuis 2005, la Cour de cassation n’a eu de cesse de répéter que la portée du principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » est limitée à la preuve des actes juridiques.

En contrepoint de l’argument consistant à dire que, au fond, « ce principe n’est qu’une coquille vide »[13], raison pour laquelle il conviendrait de lui conférer une portée plus large, il peut être soutenu que l’intérêt de sa consécration réside précisément dans sa délimitation.

En effet, le choix de l’expression « titre à soi-même » plutôt que « preuve à soi-même » permet de figer définitivement la jurisprudence qui, pour mémoire, avant 2005, oscillait entre l’exclusion et l’intégration des faits juridiques dans le domaine de l’interdiction de se constituer une preuve à soi-même.

Désormais, les juridictions doivent se borner à faire application du principe aux seuls actes juridiques. La Cour de cassation est, quant à elle, privée de la possibilité de revenir sur sa position.

Tout au plus, il lui appartiendra de préciser si la prohibition du titre à soi-même s’applique à la seule preuve des actes juridiques dans les contentieux soumis à l’exigence de la preuve littérale ou si elle doit être entendue à la preuve des actes juridiques intervenant dans des domaines où la preuve est libre.

Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait jugé que, parce « qu’en matière prud’homale, la preuve est libre […] rien ne s’oppose à ce que le juge prud’homal examine une attestation établie par un salarié ayant représenté l’employeur lors de l’entretien préalable et qu’il appartient seulement à ce juge d’en apprécier souverainement la valeur et la portée » (Cass. soc. 23 oct. 2013, n°12-22.342).

Ainsi, pour la Chambre sociale il y a lieu d’admettre la preuve auto-constituée dans les contentieux où la preuve est libre.

Il se déduit donc de cette décision que, le principe « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » n’aurait pas vocation à s’appliquer à la preuve des actes juridiques intervenant dans un contentieux où la preuve est libre (droit commercial, droit du travail, droit pénal etc.).

  1. R.-J. Pothier, Traité des obligations, Dalloz, rééd. 2011, n°754, p.371 ?
  2. L. Leveneur, note ss. Civ. 3e, 18 nov. 1997, CCC 1998. comm. 21, p. 9 ?
  3. D. Veaux, J.-Cl. Civil., art. 1315 et 1316, fasc. 10, p. 18, n° 59. ?
  4. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, éd. Dalloz, 2019, n°1836, p. 1911 ?
  5. V. en ce sens O. Deshayes, Th. Genicon et Y.-M. Laithier, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, LexisNexis, 2e éd., 2018, p. 977 ; V. également J. Mestre, sous Cass. 1ère civ. 23 juin 1998, n°96-11.486, RTD civ. 1999. 401, obs. ?
  6. R. Perrot, « Preuve des faits juridiques », RTD Civ. 2014 p.438 ?
  7. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1174, p. 1048. ?
  8. C. Mouly-Guillemaud, « La sentence “nul ne peut se constituer de preuve à soi-même” ou le droit de la preuve à l’épreuve de l’unilatéralisme », RTD Civ. 2007 p.253 ?
  9. Ibid. ?
  10. Ibid. ?
  11. Ibid. ?
  12. E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°351, p. 364. ?
  13. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1174, p. 1049. ?

Le principe de loyauté de la preuve

Il ne suffit pas qu’une preuve réponde aux conditions d’admissibilité fixées par la loi pour être recevable, il faut encore qu’elle ait été obtenue loyalement.

En l’état du droit positif, l’exigence de loyauté de la preuve n’est énoncée par aucun texte. Tout au plus, cette exigence, pourrait être rattachée à l’article 9 du Code de procédure civile qui prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Reste qu’il y a lieu de ne pas confondre la légalité de la preuve et la loyauté de la preuve :

  • La légalité de la preuve renvoie au système institué par la loi organisant l’admissibilité des modes de preuve : les actes juridiques se prouvent par écrit et les faits juridiques par tous moyens.
  • La loyauté de la preuve est liée, quant à elle, à la nécessité de se garder d’obtenir un élément probatoire lorsque cette entreprise implique de porter atteinte à des intérêts supérieurs, tels que des droits de l’Homme. En somme, tous les moyens ne sont pas acceptables dans une société démocratique pour établir la vérité.

En tout état de cause, l’absence de fondement textuel au principe de loyauté de la preuve n’a pas empêché la jurisprudence de reconnaître cette exigence comme un principe cardinal du droit de la preuve.

I) Reconnaissance du principe de loyauté

La reconnaissance du principe de loyauté de la preuve est intervenue progressivement à compter du début des années 1990.

L’arrêt fondateur a été rendu le 20 novembre 1991 par la Cour de cassation dans un contentieux intéressant le droit du travail.

Dans cette affaire, un employeur avait cherché à établir la faute de grave de l’un de ses salariés aux fins de justifier son licenciement en produisant un enregistrement vidéo.

Ce dernier avait, en effet, installé dans son établissement un dispositif de vidéosurveillance qui était disposé de telle façon qu’il devait enregistrer uniquement les incidents susceptibles de se produire à la caisse dans le magasin, lieu accessible au public, et au cours du travail.

Tandis que la Cour d’appel avait jugé recevable l’enregistrement versé aux débats par l’employeur, la Cour de cassation casse et annule cette décision.

Au visa de l’article 9 du Code de procédure civile, la Chambre sociale affirme que « si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite » (Cass. soc. 20 nov. 1991, n°88-43.120).

Cass. soc. 20 nov. 1991

Sur le moyen unique :

Vu l’article 9 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que, si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite ;

Attendu que Mme X…, engagée comme vendeuse le 1er octobre 1970, a été licenciée le 4 février 1983 pour faute grave par son employeur, M. Y…, cordonnier ;

Attendu que pour retenir l’existence d’une faute grave, la cour d’appel s’est fondée sur un enregistrement effectué par l’employeur, au moyen d’une caméra, du comportement et des paroles de la salariée, en considérant que celle-ci n’était pas spécialement visée par la mesure et que l’appareil était disposé de telle façon qu’il devait enregistrer uniquement les incidents susceptibles de se produire à la caisse dans le magasin, lieu accessible au public, et au cours du travail ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’il résultait du procès-verbal du transport sur les lieux effectué par la cour d’appel que la caméra était dissimulée dans une caisse, de manière à surveiller le comportement des salariés sans qu’ils s’en doutent, la cour d’appel, qui a retenu à tort, comme moyen de preuve, l’enregistrement effectué à l’insu de la salariée, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 17 décembre 1987, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Metz

Si, en l’espèce, la Cour de cassation ne se réfère pas explicitement au principe de loyauté, c’est pourtant bien sur ce principe qu’elle fonde sa décision.

L’obtention par l’employeur de l’enregistrement produit aux débats était clairement déloyale dans la mesure où il n’avait pas informé, au préalable, ses salariés de l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance.

À l’analyse, la première fois que la Haute juridiction s’est explicitement fondée sur le principe de loyauté aux fins de juger irrecevable un élément probatoire produit en justice c’est en dans une affaire relevant du droit pénal.

Dans un arrêt rendu le 27 février 1996, la Chambre criminelle a, en effet, jugé irrégulière l’interpellation de la personne poursuivie car procédant « d’une machination de nature à déterminer ses agissements délictueux et que, par ce stratagème, qui a vicié la recherche et l’établissement de la vérité, il a été porté atteinte au principe de la loyauté des preuves » (Cass. crim. 27 févr. 1996, n°95-81.366).

Ici il est ainsi expressément fait référence au principe de loyauté, lequel sert de fondement à l’irrecevabilité de l’élément probatoire versé aux débats.

La Cour de cassation reconduira ce principe gouvernant l’admissibilité des moyens de preuve dont le domaine sera étendu, par suite, à toutes les branches du droit civil.

II) L’extension du domaine du principe de loyauté

Le principe de loyauté a été élevé au rang de principe général du droit par deux arrêts rendus le 7 janvier 2011 par l’Assemblée plénière.

Aux termes de ces décisions, elle juge au visa du « principe de loyauté dans l’administration de la preuve » que « l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve » (Cass. ass. plén. 7 janv. 2011, n°09-14.316 et 09-14.667).

Cass. ass. plén. 7 janv. 2011

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi formé par la société Sony et le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi formé par la société Philips, réunis :

Vu l’article 9 du code de procédure civile, ensemble l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le principe de loyauté dans l’administration de la preuve ;

Attendu que, sauf disposition expresse contraire du Code de commerce, les règles du code de procédure civile s’appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l’Autorité de la concurrence ; que l’enregistrement d’une communication téléphonique réalisé à l’insu de l’auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, 3 juin 2008, Bull. 2008, IV, n° 112), que la société Avantage-TVHA a saisi le Conseil de la concurrence (devenu l’Autorité de la concurrence), de pratiques qu’elle estimait anticoncurrentielles sur le marché des produits d’électronique grand public, en produisant des cassettes contenant des enregistrements téléphoniques mettant en cause les sociétés Philips France et Sony France ; que ces sociétés ont demandé au Conseil de la concurrence d’écarter ces enregistrements au motif qu’ils avaient été obtenus de façon déloyale ;

Attendu que pour rejeter leur recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence qui a prononcé une sanction pécuniaire à leur encontre, l’arrêt retient que les dispositions du code de procédure civile, qui ont essentiellement pour objet de définir les conditions dans lesquelles une partie peut obtenir du juge une décision sur le bien-fondé d’une prétention dirigée contre une autre partie et reposant sur la reconnaissance d’un droit subjectif, ne s’appliquent pas à la procédure suivie devant le Conseil de la concurrence qui, dans le cadre de sa mission de protection de l’ordre public économique, exerce des poursuites à fins répressives le conduisant à prononcer des sanctions punitives ; qu’il retient encore que, devant le Conseil de la concurrence, l’admissibilité d’un élément de preuve recueilli dans des conditions contestées doit s’apprécier au regard des fins poursuivies, de la situation particulière et des droits des parties auxquelles cet élément de preuve est opposé ; qu’il ajoute enfin que si les enregistrements opérés ont constitué un procédé déloyal à l’égard de ceux dont les propos ont été insidieusement captés, ils ne doivent pas pour autant être écartés du débat et ainsi privés de toute vertu probante par la seule application d’un principe énoncé abstraitement, mais seulement s’il est avéré que la production de ces éléments a concrètement porté atteinte au droit à un procès équitable, au principe de la contradiction et aux droits de la défense de ceux auxquels ils sont opposés ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes et le principe susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 29 avril 2009, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris autrement composée ;

De son côté le Conseil constitutionnel a affirmé dans une décision du 18 novembre 2011 « qu’il appartient en tout état de cause à l’autorité judiciaire de veiller au respect du principe de loyauté dans l’administration de la preuve » (CC, Décision n°2011-191/194/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011).

Il ressort de ces deux décisions que le principe de loyauté est désormais pourvu d’une portée générale. Son application ne se limite plus au contentieux social ; elle joue dans toutes les branches du droit civil.

III) Les formes de pratiques déloyales dans l’obtention de la preuve

L’examen de la jurisprudence fait ressortir deux formes de pratiques regardées par les juridictions comme déloyales dans l’obtention de la preuve : l’obtention de la preuve au moyen d’instruments de captation d’image et/ou de son et l’obtention de la preuve au moyen de stratagèmes.

À cet égard, à la différence du conflit susceptible d’intervenir entre le droit à la preuve et le droit au respect à la vie privée, dont la solution requiert un examen de proportionnalité, il n’en va pas de même pour le conflit entre le droit à la preuve et le principe de loyauté.

En effet, comme souligné par un auteur, pour traiter ce conflit les juridictions « n’ont pas à examiner la nécessité ou la proportionnalité de l’atteinte au principe de loyauté ».

Aussi, poursuit-il, « le conflit entre loyauté et droit à la preuve apparaît […] déséquilibré : une preuve déloyale ne peut jamais être admise aux débats, quels que soient les intérêts en jeu dans le litige »[1].

  • L’obtention de la preuve au moyen d’instruments de captation d’images et/ou de son
    • Il est de jurisprudence constante que l’obtention de la preuve au moyen d’instruments de captation d’images et/ou de son est qualifiée de déloyale lorsqu’elle intervient à l’insu des personnes visées.
    • Dans un arrêt du 7 octobre 2004, la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue » (Cass. 2e civ. 7 oct. 2004, n°03-12.653).
    • Régulièrement la Cour de cassation rappelle que pour être recevables les éléments de preuve tirés d’enregistrements, audio ou vidéo ne doivent pas avoir été obtenus à l’insu des personnes dont les paroles ou les images sont ainsi captées de même, par exemple, que les filatures de salariés réalisées dans le cadre de leur vie privée ou encore les documents volés et obtenus de manière illicite (Cass. soc. 22 mai 1995, n°93-44.078 ; Cass. soc. 15 mai 2000, n°00-42.885 ; Cass. Soc., 10 janvier 2012, n°10-23.482 ; Cass. soc. 4 juill. 2012, n°11-30.266).
    • Il ressort de ces dispositions que dès lors que le dispositif de surveillance a été installé clandestinement, les enregistrements qu’il produit tombent sous le coup de la déloyauté de la preuve.
    • Le moyen de preuve ne sera admissible que si les personnes visées ont été préalablement informées de la capture de leur image et/ou de leur voix (Cass. soc. 2 févr. 2011, n°10-14.263).
    • Cette position a été approuvée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme dans un arrêt du 5 septembre 2017 qui fonde sa décision, non pas sur le principe de loyauté de la preuve qu’elle ne reconnaît pas comme dérivant du droit au procès équitable, mais sur l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH, gde ch., 5 sept. 2017, n° 61496/08, Barbulescu c/ Roumanie).
    • Au surplus, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 3 novembre 2001, qu’un système de surveillance « ne peut être utilisé par l’employeur pour d’autres finalités que celles qui ont été déclarées auprès de la CNIL » (Cass. soc., 3 novembre 2011, n°10-18.036).
  • L’obtention de la preuve au moyen de stratagèmes
    • La seconde forme de pratique qualifiée de déloyale dans l’administration de la preuve consiste à obtenir un élément probatoire au moyen d’un stratagème.
    • Par stratagème il faut entendre une manœuvre qui vise à tromper une personne aux fins d’obtenir un élément de preuve qui sera produit au débat judiciaire.
    • Concrètement, le stratagème pourra consister en la simulation d’une situation fictive.
    • Tel est le cas du syndicat professionnel ayant notamment pour mission de moraliser et défendre l’éthique de la profession des opticiens-lunetiers, qui a organisé la visite de « clients mystère » auprès de différents magasins d’optique afin de vérifier l’éventuelle pratique frauduleuse consistant à falsifier les factures en augmentant le prix des verres et en diminuant corrélativement le prix des montures, pour faire prendre en charge par les mutuelles des clients une part plus importante du prix des montures.
    • Dans un arrêt du 10 janvier 2021, la Cour de cassation a considéré que les éléments probatoires obtenus au moyen de cette mise en scène, qui était de nature à tromper les magasins, étaient irrecevables car résultant d’un stratagème s’analysant en une pratique déloyale (Cass. com., 10 nov. 2021, n°20-14.669).
    • Tel est également le cas de la pratique consistant à provoquer une réaction chez la personne contre laquelle l’obtention d’une preuve est recherchée.
    • Dans un arrêt du 16 janvier 1991, la Chambre sociale a ainsi jugé que « la loyauté qui doit présider aux relations de travail interdit le recours par l’employeur à des artifices et des stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à faute » (Cass. Soc., 16 janvier 1991, n°89-41.052).
    • Dans un arrêt du 7 janvier 2014, la Cour de cassation a encore décidé que des aveux étaient nuls au motif que la conjugaison des mesures de garde à vue, du placement de la personne poursuivie dans des cellules contiguës et de la sonorisation des locaux participait d’un stratagème constituant un procédé déloyal de recherche des preuves, lequel avait amené la personne visée à s’incriminer elle-même au cours de sa garde à vue.
    • La Chambre criminelle justifie sa décision en énonçant que « porte atteinte au droit à un procès équitable et au principe de loyauté des preuves le stratagème qui en vicie la recherche par un agent de l’autorité publique » (Cass. crim. 7 janv. 2014, n°13-85.246).
    • Dans le droit fil de cette jurisprudence, la Cour de cassation a qualifié de déloyal, le stratagème consistant pour un huissier de justice procédant à des opérations de saisie-contrefaçon de pantalons en jean à être assisté par un avocat stagiaire membre du cabinet d’avocats représentant la partie requérante qui avait pénétré, seul, dans les deux magasins visés par la mesure avant d’en ressortir avec les pantalons litigieux.
    • Au visa des articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, ensemble le principe de loyauté dans l’administration de la preuve, la Première chambre civile avance que « le droit à un procès équitable, consacré par le premier de ces textes, commande que la personne qui assiste l’huissier instrumentaire lors de l’établissement d’un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante » (Cass. 1ère civ. 25 janv. 2017, n°15-25.210).
    • Il ressort des décisions évoquées ci-dessus que la qualification de stratagème recouvre de nombreuses situations, à telle enseigne qu’il est, en l’état de la jurisprudence, difficile d’en appréhender les contours.
    • Pour Roger Perrot le risque de cette absence de précision dans la définition des pratiques déloyales dans la recherche de preuve est de s’aventurer « dans un bourbier parfaitement incontrôlable où finalement l’équité devient la règle avec toute l’insécurité dont elle est porteuse »[2].
  1. E. Vergès, G. Vial et O. Leclerc, Droit de la preuve, éd. Puf, 2022, n°373, p. 395 ?
  2. R. Perrot, « La loyauté procédurale », RTD Civ. 2006 p.151 ?

Le droit à la preuve: régime

?Émergence du « droit à la preuve »

On ne saurait aborder « le droit à la preuve » qui, est d’apparition relativement récente dans l’histoire du droit de la preuve, sans se remémorer, au préalable, l’un des principes les plus essentiels qui préside au système probatoire français : le principe général selon lequel il appartient aux plaideurs de prouver les faits qu’ils allèguent.

Ce principe est énoncé à l’article 9 du Code de procédure civile. Cette disposition prévoit que « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

Aussi, est-ce là une véritable obligation pour ces dernières que de rapporter la preuve de leurs allégations, sous peine de succomber au procès.

L’exécution de cette obligation implique toutefois pour les plaideurs de vaincre des obstacles qui s’opposent à la production des preuves dont ils ont besoin.

La preuve d’un fait est, en effet, susceptible de se heurter, tantôt à la protection d’un intérêt légitime protégé par la loi, tel que, par exemple, le respect à la vie privée ou le secret professionnel, tantôt à la résistance du défendeur ou d’un tiers de communiquer un élément qui permettrait au plaideur d’établir les faits allégués

Pendant longtemps, aucun texte ne conférait au juge le pouvoir de contraindre une partie ou un tiers de produire les éléments de preuve qu’il détenait.

Tout au plus, l’ancien article 17, al. 3 du Code de commerce prévoyait que « la communication des documents comptables ne peut être ordonnée en justice que dans les affaires de succession, communauté, partage de société et, en cas de règlement judiciaire, liquidation des biens et suspension provisoire des poursuites. »

Cette impossibilité pour le juge d’ordonner la production forcée de preuves avait pour fondement la règle exprimée par l’adage « nemo tenetur edere contra se », lequel signifie littéralement que « nul ne peut être tenu de prouver contre lui-même ».

Pour la doctrine classique, cette règle se justifiait pleinement dans la mesure où admettre la solution contraire reviendrait, en substance, à inverser la charge de la preuve.

En obtenant du juge qu’il ordonne la production forcée d’un élément de preuve, le plaideur parviendrait en effet à exiger de son adversaire qu’il lui fournisse un moyen d’établir le fait allégué alors même que la charge de la preuve pèse sur lui.

Bien que séduisante, cette thèse n’a pas emporté l’adhésion de toute la doctrine.

Certains auteurs ont commencé à soutenir qu’il y avait lieu de concilier « l’intérêt particulier du plaideur et l’intérêt plus général d’une bonne justice »[1].

Autrement dit, l’intérêt supérieur de la justice commanderait de conférer au juge les moyens de favoriser la découverte de la vérité.

Au fond, comme souligné par des auteurs, admettre que le juge puisse ordonner la production forcée d’un élément de preuve « dépend de la conception que l’on se fait du débat judiciaire : combat entre les plaideurs ou tentative de faire triompher la justice ou la vérité. Mais la solution est indépendante de la charge de la preuve »[2].

De cette réflexion a germé l’idée, dès le début du XXe siècle, qu’il y aurait lieu de reconnaître aux plaideurs un droit – subjectif – à la preuve.

Le premier à avoir suggéré la reconnaissance d’un tel droit n’est autre que François Gény dans son ouvrage consacré aux lettres missives.

Dans cet ouvrage, le célèbre auteur définit le droit à la preuve comme « une faculté en vertu de laquelle chacun recueille et emploie, à sa guise, les moyens que lui offre la vie sociale (notamment les lettres missives) pour la justification et la défense de ses droits »[3].

Le droit à la preuve a, par suite, été présenté par Planiol comme le principe selon lequel « un plaideur a toujours le droit de prouver ce qu’il allègue en sa faveur »[4].

Si les appels à reconnaître un droit à la preuve se sont multipliés en doctrine, il faut attendre le début des années 1970 pour voir son régime juridique se construire.

L’une des premières pierres a été posée par le législateur qui a introduit dans le Code civil (article 10), par la loi n°72-626 du 5 juillet 1972, une disposition qui prévoit que :

  • D’une part, chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité.
  • D’autre part, celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts.

Ces deux règles ont ensuite été reprises par décret n°75-1123 du 5 décembre 1975 qui les a transposées dans le nouveau Code de procédure civile à l’article 1.

Cette disposition prévoit, sensiblement dans les mêmes termes que l’article 10 du Code civil, que :

  • En premier lieu, les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus.
  • En second lieu, si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime.

Des auteurs ont immédiatement vu dans ces dispositions introduites dans le Code civil et dans le Code de procédure civile la reconnaissance par le législateur d’un véritable « droit à la preuve ».

Cette thèse a été particulièrement développée par Gilles Goubeaux dans un article aux termes duquel il identifie les deux aspects du droit à la preuve[5].

Cet auteur met notamment en exergue le fait que le droit à la preuve comprend :

  • Le droit d’apporter une preuve que l’on détient
  • Le droit d’obtenir une preuve que l’on ne détient pas

Cette approche a, par suite, été reprise par de nombreux auteurs, dont Aurélie Bergeaud qui y consacrera sa thèse.

Dans ce travail de recherche, elle y définit le droit à la preuve comme « un droit subjectif processuel qui confère à l’auteur d’une offre ou d’une demande de preuve le pouvoir d’exiger du juge l’accomplissement d’une prestation processuelle consistant en une acceptation de l’initiative, pouvoir dont la reconnaissance est conditionnée à l’existence d’un intérêt probatoire légitime et dont la mise en œuvre s’inscrit dans la limite fixée par le respect de l’ordre public ou des droits d’autrui »[6].

Cet auteur relève que, en l’état des textes, le droit à la preuve n’est pas reconnu en tant que droit subjectif ; il s’infère seulement d’un devoir juridiquement protégé : l’obligation pour les parties de concourir à la manifestation de la volonté.

Elle souligne en outre que, si le droit à la preuve comporte deux aspects – la demande de preuve et l’offre de preuve – seul le premier est abordé par la loi.

Quant au second aspect, l’offre de preuve, il n’est envisagé, ni par le Code civil, ni par le Code de procédure civile, ce qui est de nature à rendre incertain le périmètre du droit à la preuve.

?Consécration du « droit à la preuve »

Bien que la thèse du droit à la preuve soit toujours contestée par une partie de la doctrine au motif que le juge demeure libre d’ordonner des mesures d’administration judiciaire, elle a fait l’objet d’une consécration par la jurisprudence, d’abord européenne, puis française.

Dans un premier arrêt du 27 octobre 1993, la Cour Européenne des Droits de l’Homme affirme que « dans les litiges opposant des intérêts privés, “l’égalité des armes” implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause – y compris ses preuves – dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire » (CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer BV c/ Pays-Bas, n° 14448/88, § 33)

Si cette décision ne reconnaît pas explicitement « le droit à la preuve », elle en porte néanmoins le germe.

Il faudra attendre près de treize années pour que le droit à la preuve soit consacré par les juges strasbourgeois.

Dans un arrêt du 10 octobre 2006 la Cour Européenne des Droits de l’Homme a, en effet, eu à se prononcer sur l’admission, dans le cadre d’une procédure en divorce, de documents médicaux produits par une épouse qui cherchait à établir une corrélation entre le caractère violent de son mari avec son alcoolisme pathologique.

Tout en reconnaissant que cette production constitue une atteinte à la vie privée de ce dernier, la Cour a jugé que cette ingérence poursuivait un but légitime « en l’occurrence le droit à la preuve du conjoint aux fins de faire triompher ses prétentions » (CEDH 10 oct. 2006, LL c/ France, n° 7508/02, § 40).

Ainsi, pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la nécessité pour une partie au procès d’établir les faits allégués justifie que lui soit reconnu un véritable droit à la preuve, lequel doit être concilié avec d’autres droits subjectifs auxquels il se heurterait, au cas particulier, le droit au respect de la vie privée.

La position adoptée par la juridiction Européenne n’est pas sans avoir inspiré la Cour de cassation qui par un arrêt de principe du 5 avril 2012 reconnaîtra, à son tour, le droit à la preuve.

Aux termes de cette décision, il est reproché à une Cour d’appel d’avoir écarté des débats, dans le cadre d’un litige relatif à une succession, une lettre missive rédigée par le défunt au motif que sa production violait l’intimité de sa vie privée et le secret de ses correspondances.

Les juges du fond auraient toutefois dû rechercher, dit la Première chambre civile, « si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence ».

C’est la première fois que la Cour de cassation reconnaît le droit à une partie de produire un élément de preuve, alors même que cette production portait atteinte au droit au respect à la vie privée (Cass. 1ère civ. 5 avr. 2012, n°11-14-177).

Cass. 1ère civ. 5 avr. 2012

Sur le premier moyen :

Vu les articles 9 du Code civil et du code de procédure civile, ensemble, les articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

Attendu que pour retirer des débats une lettre écrite par M. Jean X… aux époux Y…, ses beaux-parents, trouvée après leurs décès dans leurs papiers par M. Pierre Y…, leur fils, gérant de l’indivision successorale, et par laquelle ce dernier prétendait établir une donation immobilière rapportable faite en faveur de Mme Marie-Agnès Y…, épouse Jean X…, l’arrêt retient qu’il produit cette missive sans les autorisations de ses deux soeurs ni de son rédacteur, violant ainsi l’intimité de sa vie privée et le secret de ses correspondances ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans rechercher si la production

litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve, et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 6 décembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Amiens ;

La Cour de cassation a réaffirmé cette position dans un arrêt du 25 février 2016. Au visa de l’article 9 du Code civil, ensemble les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et 9 du code de procédure civile, elle a affirmé que « le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2016, n°15-12.403).

Cette solution sera reprise, sensiblement dans les mêmes termes par la Chambre commerciale dans un arrêt du 4 juillet 2018 (Cass. com. 4 juill. 2018, n°17-10.158), de sorte qu’il y a lieu de considérer que le « droit à la preuve » est désormais bien ancré en jurisprudence, à telle enseigne qu’il est invoqué dans de plus en plus de contentieux.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il est systématiquement fait droit aux plaideurs qui s’en prévalent. L’exercice du droit de la preuve est subordonné à la réunion de conditions. À cet égard, il appartient au juge de procéder à la conciliation des intérêts en présence.

I) Les conditions générales d’exercice du droit à la preuve

L’analyse de la jurisprudence révèle que pour primer sur les intérêts antagonistes auxquels le droit à la preuve est susceptible d’être opposé, deux conditions cumulatives doivent être réunies.

  • Première condition : le caractère indispensable de la production de la preuve litigieuse
    • Pour qu’un élément probatoire portant atteindre à un intérêt antagoniste soit recevable en justice, sa production doit être indispensable à l’exercice du droit à la preuve.
    • Autrement dit, il doit s’agir du seul moyen dont dispose le plaideur pour prouver ses allégations.
    • Si dès lors, il existe d’autres alternatives permettant d’établir la vérité, le juge devra faire primer l’intérêt antagoniste sur le droit à la preuve dont se prévaut le plaideur.
  • Seconde condition : l’exigence de proportionnalité de l’atteinte au but poursuivi
    • Pour que la preuve litigieuse soit recevable, il ne suffit pas que sa production soit indispensable à l’établissement de la vérité, il faut encore que l’atteinte qu’elle porte aux intérêts antagonistes en présence soit proportionnée au but poursuivi.
    • Il s’agit là d’une exigence posée initialement par la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a été reprise par la Cour de cassation.
    • Pratiquement, l’exigence de proportionnalité implique pour le juge de vérifier que l’atteinte résultant de la production de la preuve litigieuse ne soit pas disproportionnée par rapport à l’intérêt défendu.
    • Comme souligné par un auteur, « selon que l’intérêt servi par le droit à la preuve est particulier, collectif ou général, les atteintes portées à la vie privée du contradicteur seront jugées avec plus ou moins de sévérité »[7].
    • Le juge sera, en effet, toujours plus enclin à faire primer le droit à la preuve sur le droit antagoniste auquel il est opposé lorsqu’il sert un intérêt collectif (V. en ce sens Cass. 1ère 31 oct. 2012, n°11-17.476).

II) La conciliation du droit de la preuve avec certains droits antagonistes spéciaux

À mesure que le droit à la preuve s’est imposé en jurisprudence, il s’est propagé dans des contentieux de plus en plus nombreux.

A) Droit à la preuve et au droit au respect à la vie privée

L’un des principaux moyens soulevés par les plaideurs qui s’opposent à la production d’une preuve en justice est l’atteinte portée à leur vie privée.

La Cour de cassation rappelle néanmoins régulièrement depuis 2012 que le droit à la preuve peut l’emporter sur cet intérêt antinomique, nonobstant sa protection par la loi et par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, à la condition que « production [de la preuve litigieuse] soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. 1ère civ. 25 févr. 2016, n°15-12.403).

Le droit au respect à la vie privée ne constitue donc plus une barrière infranchissable faisant obstacle à l’établissement de la vérité.

Le moyen tiré de l’exercice de ce droit peut être écarté lorsque l’intérêt défendu par le plaideur qui invoque le droit à la preuve est supérieur et qu’il ne dispose pas d’autres alternatives pour prouver ses allégations.

Plusieurs contentieux ont donné lieu à une conciliation entre le droit à la preuve et le droit au respect à la vie privée.

  • Contentieux social
    • La jurisprudence a reconnu le droit à la preuve afin d’admettre la recevabilité de documents produits par des représentants du personnel qui les avaient obtenus dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
    • Dans un arrêt du 9 novembre 2016 la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’article L. 3171-2 du Code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice ; que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi » (Cass. soc. 9 nov. 2016, n°15-10.203).
  • Contentieux du divorce
    • La Cour de cassation admet que, dans le cadre d’une instance en divorce un époux puisse produire des éléments de preuve portant atteinte à la vie privée de son conjoint, pourvu que ces éléments n’aient pas été obtenus par violence ou fraude.
    • Dans un arrêt du 29 janvier 1997, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens, au visa des anciens articles 259 et 259-1 du Code civil, que, « en matière de divorce, la preuve se fait par tous moyens ; que le juge ne peut écarter des débats tous documents dont un conjoint entend faire usage que s’ils ont été obtenus par violence ou fraude » (Cass. 2e civ. 29 janv. 1997, n°95-15.255).
    • Cette position a été confirmée par le législateur lors de l’adoption de la loi 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce.
    • Le nouvel article 259-1 du Code civil prévoit, en effet, que la seule limite qui interdit un époux de verser aux débats dans le cadre de l’instance en divorce un élément de preuve c’est l’obtention de cet élément par la fraude ou la violence.

B) Droit à la preuve et protection du secret professionnel

Autre moyen soulevé par les plaideurs pour faire échec au droit à la preuve : la protection du secret professionnel.

Pour mémoire, il est un certain nombre de personnes auxquelles il est fait interdiction de révéler des informations obtenues dans le cadre de l’exercice de leur activité professionnelle, sous peine de sanction pénale.

Tel est le cas des médecins, des notaires, des avocats, des huissiers de justice, des experts-comptables, des assistantes sociales ou encore des banquiers.

L’instauration d’un secret professionnel au bénéfice de ces professions vise à permettre l’établissement d’une relation de confiance entre la personne qui a besoin de se confier et le professionnel qui la reçoit.

Émile Garçon écrivait en ce sens à la fin du XIXe siècle dans son commentaire de l’ancien article 378 du Code pénal que « le bon fonctionnement de la société veut que le malade trouve un médecin, le catholique un confesseur ; mais ni le médecin, ni l’avocat, ni le prêtre ne pourraient accomplir leur mission, si les confidences qui leur sont faites n’étaient assurées d’un secret inviolable. Il importe donc à l’ordre social que ces confidents nécessaires soient astreints à a discrétion et que le silence leur soit imposé sans condition ni réserve, car personne n’oserait plus s’adresser à eux si on pouvait craindre la divulgation du secret confié ».

Compte tenu de ce que certaines personnes ont l’obligation de ne pas divulguer les informations qui leur ont été confiées dans le cadre de l’exercice de leur profession, la question se pose de savoir si l’exercice du droit à la preuve peut contraindre ces dernières à lever le secret auquel elles sont tenues.

À l’analyse, la solution retenue par la jurisprudence diffère selon les professionnels concernés.

?Avocats

Régulièrement, la Cour de cassation rappelle que le secret professionnel auquel sont tenus les avocats est absolu.

À cet égard, l’article 2.1 du Règlement Intérieur National (RIN) de la profession d’avocat prévoit que « le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps. »

Le texte précise que cette obligation de confidentialité couvre en toute matière, dans le domaine du conseil ou celui de la défense, et quels qu’en soient les supports, matériels ou immatériels (papier, télécopie, voie électronique.

Il en résulte que la protection des informations échangées entre un avocat et son client ne saurait, par principe, céder sous l’exercice du droit à la preuve.

?Notaires

Le secret professionnel auquel sont tenus les notaires est pareillement à celui des avocats : absolu.

Aussi, dans un arrêt du 4 juin 2014, la Cour de cassation a jugé « le droit à la preuve découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme ne peut faire échec à l’intangibilité du secret professionnel du notaire, lequel n’en est délié que par la loi, soit qu’elle impose, soit qu’elle autorise la révélation du secret » (Cass. 1ère civ. 4 juin 2014, n°12-21.244).

?Médecins

Le secret médical présente également un caractère absolu dit la jurisprudence.

La primauté de la protection du secret médical sur le droit à la preuve s’évince, par exemple, d’un arrêt du 7 décembre 2004 rendu par la Cour de cassation.

Dans cette décision, la Première chambre civile considère que « si le juge civil a le pouvoir d’ordonner à un tiers de communiquer à l’expert les documents nécessaires à l’accomplissement de sa mission, il ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique, contraindre un établissement de santé à lui transmettre des informations couvertes par le secret sans l’accord de la personne concernée ou de ses ayants droits, le secret médical constituant un empêchement légitime que l’établissement de santé a la faculté d’invoquer ; qu’il appartient au juge saisi sur le fond d’apprécier, en présence de désaccord de la personne concernée ou de ses ayants droit, si celui-ci tend à faire respecter un intérêt légitime ou à faire écarter un élément de preuve et d’en tirer toute conséquence quant à l’exécution du contrat d’assurance » (Cass. 1ère civ. 7 déc. 2004, n°02-12.539).

Dans le même sens, elle a décidé, dans un arrêt du 11 juin 2009, que « le juge civil ne peut, en l’absence de disposition législative spécifique l’y autorisant, ordonner une expertise judiciaire en impartissant à l’expert une mission qui porte atteinte au secret médical sans subordonner l’exécution de cette mission à l’autorisation préalable du patient concerné, sauf à tirer toutes conséquences du refus illégitime » (Cass. 1ère civ. 11 juin 2009, n°08-12.742).

On peut encore évoquer une décision rendue le 28 juin 2012 aux termes de laquelle la Cour de cassation a jugé que « si l’avocat est délié du secret professionnel auquel il est normalement tenu, lorsque les strictes exigences de sa propre défense en justice le justifient, ce fait justificatif ne s’étend pas aux documents couverts par le secret médical qui ont été remis à l’avocat par la personne concernée et qui ne peuvent être produits en justice qu’avec l’accord de celle-ci » (Cass. 1ère civ. 28 juin 2012, n°11-14.486).

?Banquiers

En application de l’article L. 511-33 du Code monétaire et financier le banquier et tenu au secret professionnel.

Est-ce à dire que ce dernier peut refuser de communiquer en justice toute information couverte par ce secret ?

L’analyse de la jurisprudence conduit à distinguer deux situations :

  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est un tiers à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère de façon constante que le secret bancaire est opposable au juge civil ou commercial.
    • Le secret bancaire est ainsi considéré comme constituant un motif légitime justifiant le refus du banquier de communiquer les informations par le secret.
    • Dans un arrêt du 13 juin 1995, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le secret professionnel auquel est tenu un établissement de crédit constitue un empêchement légitime opposable au juge civil » (Cass. com. 13 juin 1995, n°93-16.317).
  • L’établissement bancaire à qui il est demandé de produire des pièces couvertes par le secret bancaire est partie à l’instance
    • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a, dans un premier temps, considéré que le secret bancaire constituait un motif légitime susceptible d’être opposé au juge civil et commercial, quand bien même la banque était partie à l’instance.
    • Dans un arrêt du 25 février 2003, la chambre commerciale a ainsi affirmé, au visa des articles L. 511 du Code monétaire et financier et 10 du Code civil que « le pouvoir du juge civil d’ordonner à une partie ou à un tiers de produire tout document qu’il estime utile à la manifestation de la vérité, est limité par l’existence d’un motif légitime tenant notamment au secret professionnel » (Cass. com. 25 févr. 2003, n°00-21.184).
    • Puis, la Cour de cassation a semblé revenir sur cette position dans un arrêt du 29 novembre 2017.
    • Elle a effet jugé dans cette décision que « « le secret bancaire institué par l’article L. 511-33 du code monétaire et financier ne constitue pas un empêchement légitime au sens de l’article 145 du code de procédure civile lorsque la demande de communication de documents est dirigée contre l’établissement de crédit non en sa qualité de tiers confident mais en celle de partie au procès intenté contre lui en vue de rechercher son éventuelle responsabilité dans la réalisation de l’opération contestée » (Cass. com. 29 nov. 2017, n°16-22.060)
    • Selon la chambre commerciale un établissement bancaire ne pourrait donc pas opposer le secret bancaire lorsque sa levée est sollicitée dans le cadre d’une action en justice dirigée contre ce dernier.
    • Au regard de la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation semble retenir, en l’espèce, une solution inverse à celle qui avait été adoptée en 2003.
    • Est-ce à dire que la chambre commerciale opère ici un revirement de jurisprudence ? Une lecture attentive des décisions antérieures permet d’en douter.
    • En effet, lorsque la banque est partie à l’instance, il convient de distinguer selon que l’information couverte par le secret professionnel concerne un tiers ou selon qu’elle est nécessaire, soit à la résolution du litige, soit à sa propre défense :
      • L’information couverte par le secret bancaire concerne un tiers
        • Dans cette hypothèse, il n’est pas douteux que le secret bancaire demeure opposable au juge civil ou commercial, quand bien même la banque est partie à l’instance.
        • La Cour de cassation a notamment statué en ce sens dans un arrêt du 25 janvier 2005 (Cass. com., 25 janv. 2005, n°03-14.693).
      • L’information couverte par le secret bancaire est nécessaire à la résolution du litige ou à la défense de la banque
        • Dans cette hypothèse, la Cour de cassation a toujours considéré que le secret bancaire ne constituait pas un motif légitime susceptible de faire échec à une injonction du juge.
        • Cette solution a été retenue notamment dans un arrêt du 19 juin 1990 (Cass. com. 19 juin 1990, n°88-19.618).
        • Plus récemment, elle a estimé que « dès lors qu’il appartient au banquier d’établir l’existence et le montant de la créance dont il réclame le paiement à la caution ou à ses ayants droit, ceux-ci sont en droit d’obtenir la communication par lui des documents concernant le débiteur principal nécessaires à l’administration d’une telle preuve, sans que puisse leur être opposé le secret bancaire » (Cass. com. 16 déc. 2008, n°07-19.777).
    • La solution adoptée par la chambre commerciale dans l’arrêt du 19 novembre 2017 s’inscrit indéniablement dans le second cas de figure.
    • Les pièces sollicitées auprès de la banque étaient, en effet, nécessaires à la résolution du litige, d’où l’impossibilité pour cette dernière de se prévaloir du secret bancaire.
    • Au bilan, cette décision ne constitue nullement un revirement de jurisprudence, mais seulement une confirmation des solutions antérieures.
  1. C. Marraud, « Le droit à la preuve ; la production forcée des preuves en justice », JCP, 1973, I, 2572 ?
  2. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°587, p. 546 ?
  3. F. Gény, Des droits sur les lettres missives, t II, Sirey, Paris, 1911, p. 106 ?
  4. M. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Librairie générale de Paris, 1923, t. 2, n°43 ?
  5. G. Goubeaux, Le droit à la preuve, in La preuve en droit, Études publiées par C. Perelman et P. Foriers, Bruylant, Bruxelles, 1981, p. 277 s. ?
  6. A. Bergeaud, Le droit à la preuve, éd. LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », t. 525, 2010, n°638 ?
  7. G. Lardeux, Preuve : règles de preuve, Dalloz, rép. n°303 ?

Les contrats sur la preuve: régime

?Problématique

Pendant longtemps la question s’est posée de savoir si, au titre de la liberté contractuelle qui préside à la conclusion des conventions, les parties étaient autorisées à aménager les règles relatives à la preuve.

Cette incertitude est née de l’absence dans le Code civil de dispositions sur les contrats relatifs à la preuve.

Tout au plus, l’ancien article 1316-2 prévoyait que « lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support. »

Compte tenu du manque de clarté de cette disposition, toutes les thèses pouvaient potentiellement être envisagées. Nous nous limiterons à exposer les deux principales :

  • La thèse du caractère impératif des règles de preuve
    • Une partie de la doctrine a soutenu que les règles relatives à la preuve présentaient un caractère impératif, compte tenu de ce qu’elles se rapportent au déroulement du procès.
    • Or on toucherait là aux fonctions régaliennes de l’État, lesquelles fonctions ne peuvent s’exercer qu’au moyen de règles d’ordre public.
    • Pour cette raison, il ne pourrait être dérogé aux règles gouvernant la preuve par convention contraire.
  • La thèse du caractère supplétif des règles de preuve
    • Prenant le contrepied de la première thèse, des auteurs – majoritaires – ont défendu que les règles relatives à la preuve fussent supplétives.
    • Pour les tenants de cette thèse, « ces règles visent essentiellement à la protection des intérêts du plaideur qui échappe au risque de la preuve et il est possible de renoncer à un système protecteur d’intérêts privés, du moins tant que sont en jeu des droits dont les titulaires peuvent disposer »[1].

?Consécration

Entre les deux thèses, la jurisprudence a opté pour la seconde. Très tôt, elle a en effet admis que les parties puissent déroger aux règles gouvernant la preuve (V. en ce sens Cass. req. 1er avr. 1862 ; Cass. req. 27 févr. 1928).

Dans deux arrêts particulièrement remarqués rendus le 8 novembre 1989, la Cour de cassation a jugé très explicitement que « pour les droits dont les parties ont la libre disposition, [les] conventions relatives à la preuve sont licites » (Cass. 1ère civ. 8 nov. 1989, n°86-16.196 et 86-16.197).

Prenant acte de cette position bien établie en jurisprudence, le législateur l’a consacrée à l’occasion de la réforme du droit des contrats opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1356, al. 1er du Code civil prévoit désormais que « les contrats sur la preuve sont valables lorsqu’ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Il ressort de cette disposition que les parties sont libres d’aménager, par voie contractuelle, les règles de preuve.

I) Le principe de licéité des contrats aménageant les règles de preuve

?Énoncé du principe

L’article 1356, al. 1er du Code civil consacre donc la liberté contractuelle en matière de preuve.

Cette consécration s’inscrit en rupture avec le droit antérieur qui ne connaissait aucune disposition sur les contrats relatifs à la preuve, hormis l’ancien article 1316-2 du Code civil.

La reconnaissance du caractère supplétif des règles de preuve emporte deux principales conséquences :

  • Première conséquence
    • Les parties sont-elles libres d’aménager les règles de preuve, soit d’y déroger par convention contraire

?Champ d’application du principe

L’article 1356 du Code civil ne prévoit aucune restriction quant à son domaine d’application, de sorte que sont visés, par principe, tous les contrats, pourvu qu’ils portent « sur des droits dont les parties ont la libre disposition ».

Aussi, les parties sont-elles libres d’aménager les règles relatives à la charge de la preuve, à l’objet de la preuve, aux modes de preuve ou encore à la force probante.

  • S’agissant des contrats aménageant la charge de la preuve
    • En application de l’article 1356 du Code civil, les contrats aménageant la charge de la preuve sont licites
    • Cela signifie, concrètement, que les parties sont autorisées à inverser la charge de la preuve par le jeu d’une clause contractuelle.
    • Dans un arrêt du 30 octobre 2007, la Première chambre civile a ainsi décidé à propos d’un contrat de dépôt que « les parties à un tel contrat sont libres de convenir de mettre à la charge du déposant, qui entend se prévaloir d’un manquement du dépositaire à l’obligation de moyens qui lui incombe, la preuve de ce manquement » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 2007, n°06-19.390).
  • S’agissant des contrats aménageant les modes de preuve
    • Ces contrats visent à autoriser les parties à déterminer contractuellement quels seront les modes de preuves admis pour faire la preuve d’un droit ou d’une obligation.
    • Aussi, ces dernières sont libres, tant d’étendre les modes de preuve admissibles (Cass. req. 6 janv. 1936) ; que de les restreindre (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1995, n°92-18.013).
    • Cela consistera à écarter des modes de preuve légalement admissibles lorsque la preuve est libre ou à rendre admissible des modes de preuve que la loi écarte.
  • S’agissant des contrats aménageant la force probante
    • Bien que les auteurs soient partagés sur la licéité des contrats aménageant la force probante des modes de preuve, ils sont licites.
    • Cette licéité a été reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt du 8 novembre 1989 (Cass.1ère civ. 8 nov. 1989, 86-16.197).
  • S’agissant des contrats aménageant l’objet de la preuve
    • Ces contrats visent à déplacer l’objet de la preuve en stipulant une présomption.
    • L’aménagement de l’objet de la preuve se rencontre fréquemment dans les contrats d’abonnement téléphoniques ou d’énergie (Cass. 3e civ. 7 févr. 2019, n°17-21.568).
    • Il est courant qu’un opérateur stipule que la preuve de la consommation sera présumée avoir été rapportée sur la base des seuls relevés de consommation émis, sauf preuve contraire (Cass. 1ère civ. 28 janv. 2003, n°00-17.553).

II) Les limites au principe de licéité des contrats aménageant les règles de preuve

A) Les limites tenant à l’objet du contrat sur la preuve

La liberté conférée aux parties d’aménager les règles de preuve n’est pas sans limites ; l’article 1356 du Code civil subordonne la validité des conventions sur la preuve à la libre disponibilité des droits des parties.

La question qui alors se pose est de savoir quels sont les droits susceptibles de faire l’objet d’une convention sur la preuve.

Part hypothèse, la ligne de démarcation serait celle qui distingue les droits patrimoniaux des droits extra-patrimoniaux.

Pour mémoire, tandis que les premiers sont des droits appréciables en argent et, à ce titre, peuvent faire l’objet d’opérations translatives, les seconds n’ont pas de valeur pécuniaire, raison pour laquelle on dit qu’ils sont hors du commerce ou encore indisponibles.

Ainsi, selon cette distinction, les seuls contrats visés par l’article 1356 du Code civil seraient ceux portant sur des droits patrimoniaux.

Quant aux droits extrapatrimoniaux, que l’on retrouve notamment en droit des personnes ou en droit de la famille, ils ne pourraient donc faire l’objet d’aucune convention sur la preuve.

Bien que constituant un point d’ancrage permettant d’identifier les contrats relevant du domaine de l’article 1356 du Code civil, la distinction entre les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux est parfois écartée, tantôt par le législateur, tantôt par la jurisprudence, à la faveur de solutions guidées par le souci de protection de la partie la plus faible.

Pour exemple, l’article R. 212-1, 12° du Code de la consommation prévoit que « dans les contrats conclus entre des professionnels et des consommateurs, sont de manière irréfragable présumées abusives, au sens des dispositions des premier et quatrième alinéas de l’article L. 212-1 et dès lors interdites, les clauses ayant pour objet ou pour effet de […] imposer au consommateur la charge de la preuve, qui, en application du droit applicable, devrait incomber normalement à l’autre partie au contrat. »

De son côté, la Cour de cassation a confirmé la nullité d’une clause de non-concurrence figurant dans un contrat de travail qui inversait la charge de la preuve en ce qu’elle subordonnait le paiement de la contrepartie financière due au salarié au titre de cette clause à la preuve par ce dernier de la non-violation de son obligation.

Au soutien de sa décision, elle affirme « qu’il appartient à l’employeur de rapporter la preuve d’une éventuelle violation de la clause de non-concurrence et que la cour d’appel a décidé à bon droit que la clause contractuelle disposant du contraire était inopérante » (Cass. soc. 25 mars 2009, n°07-41.894).

Au bilan, il apparaît que toutes les conventions sur la preuve portant sur des droits patrimoniaux ne sont pas nécessairement licites. Il est des cas où, par souci de protection de la partie faible, il est fait interdiction aux parties de renverser la charge de la preuve.

B) Les limites tenant à la force probante de certains modes de preuve

L’article 1356, al. 2e du Code civil prévoit que les contrats sur la preuve « ne peuvent contredire les présomptions irréfragables établies par la loi, ni modifier la foi attachée à l’aveu ou au serment. Ils ne peuvent davantage établir au profit de l’une des parties une présomption irréfragable. »

Il ressort de cette disposition qu’il est des aménagements portant sur la force probante de certains modes de preuve qui sont prohibés.

Au nombre de ces aménagements, le texte vise les clauses :

  • Qui contredisent les présomptions irréfragables établies par la loi
  • Qui modifient la foi attachée à l’aveu ou au serment
  • Qui établissent une présomption irréfragable au profit de l’une des parties
  1. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1977, n°584, p.460 ?

Le serment supplétoire ou déféré d’office: régime

?Vue générale

Dans son acception courante le serment se définit comme l’« affirmation ou promesse en prenant à témoin Dieu, ou ce que l’on regarde comme saint, comme divin.»[1].

Le serment présente ainsi la particularité de comporter une dimension spirituelle, sinon divine. À cet égard, le mot « serment » vient du latin « sacramentum », soit la promesse faite en prenant à témoin Dieu, un être ou un objet sacré.

En prêtant serment, le jureur s’en remet en quelque sorte à une puissance supérieure qui, en cas de parjure, est susceptible de lui infliger un châtiment dont les conséquences sont bien plus graves que celles attachées aux lois humaines.

Ce qui se joue avec le serment, c’est, au-delà des sanctions civiles et pénales auxquelles s’expose le jureur, son honneur, sa dignité, sa réputation et, plus encore, selon certaines croyances, son sort après la mort.

Quelles que soient les croyances ou valeurs sur lesquelles repose le serment, comme souligné par un auteur, « le plus petit commun dénominateur du mot serment réside dans l’expression solennelle d’une parole »[2].

Classiquement, on distingue deux sortes de serments : le serment promissoire et le serment probatoire.

  • S’agissant du serment promissoire
    • Le serment promissoire est défini comme « l’engagement de remplir les devoirs de sa charge ou de son état selon les règles déontologiques (serment professionnel des magistrats, avocats, médecins, etc.), soit dans la promesse d’accomplir au mieux l’acte qui est demandé (le témoin juge de dire la vérité, l’expert d’agir avec conscience et objectivité »[3].
    • Ce type de serment vise ainsi à prendre un engagement pour le futur et plus précisément à promettre d’adopter une conduite conforme à celle attendue par l’autorité devant laquelle on prête serment.
  • S’agissant du serment probatoire
    • Le serment probatoire est défini comme « la déclaration par laquelle un plaideur affirme, d’une manière solennelle et devant un juge, la réalité d’un fait qui lui est favorable »[4].
    • Ce serment, qualifié également de judiciaire, se distingue du serment promissoire en ce que consiste, non pas à s’engager pour le futur, mais à attester de la véracité d’un fait passé.

Nous ne nous focaliserons ici que sur le serment probatoire dont l’origine est lointaine.

?Origines du serment probatoire

Le serment est l’un des modes de preuve les plus anciens. Dès l’Antiquité il a été utilisé comme un moyen de résoudre les litiges et d’établir la vérité.

Il a notamment occupé une place importante dans le système judiciaire de la Rome antique. On y distinguait trois sortes de serments probatoires :

  • Le serment nécessaire
    • Celui-ci consistait pour une partie à intimer, au cours du procès, à son adversaire de prêter serment.
    • Le prêteur intervenait alors pour contraindre ce dernier à s’exécuter.
    • S’il prêtait serment, il était réputé de bonne foi, ce qui avait pour effet de rendre irrecevable la prétention du demandeur.
    • Si, au contraire, la partie à laquelle le serment était déféré refusait de se soumettre à l’invitation qui lui était faite il perdait le procès ; d’où le caractère nécessaire du serment.
  • Le serment volontaire
    • Ce serment ne pouvait résulter que d’un pacte conclu entre les parties, lequel pacte pouvait intervenir, tout autant en dehors du procès, qu’au cours de l’instance.
    • La seule exigence était que les parties s’entendent sur le recours à ce mode de preuve.
    • Le serment volontaire avait pour effet de mettre définitivement un terme au litige.
  • Le serment supplétoire
    • En cas d’insuffisance de preuve, le juge avoir le pouvoir de déférer à une partie de prêter serment.
    • Il ne pouvait toutefois être utilisé que pour des actions bien délimitées.

Ce dispositif de preuve, construit autour du serment, a, par suite, été repris au Moyen-Âge, lorsque les juristes ont redécouvert le droit romain.

On connaissait à cette époque trois sortes de serments :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit du serment qui était déféré par une partie à l’autre dans le cadre d’une instance pour en faire dépendre la décision de la cause. Il était analysé comme un pacte, une transaction conclue entre les parties.
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit ici du serment déféré par le juge à une partie. Cette faculté conférée au juge était toutefois enfermée dans des conditions strictes.
  • Le serment purgatoire
    • Il s’agit d’un serment, issu des traditions franques, qui permettait à un plaideur de se disculper d’une accusation lorsque la preuve de son innocence était impossible à rapporter

Bien que le serment comportât sous l’Ancien Régime une dimension éminemment religieuse, ce mode de preuve est reconduit par les rédacteurs du Code civil.

La sécularisation du droit a seulement eu pour effet d’écarter le serment purgatoire du système probatoire.

Le serment décisoire et le serment supplétoire ont quant à eux été introduits dans le Code Napoléon.

?Le serment probatoire dans le Code civil

Le serment comme mode de preuve est régi aux articles 1357 à 1369 du Code civil. Là ne sont pas les seules dispositions qui traitent du serment. Celui-ci est également encadré, pour l’aspect procédural, par les articles 317 à 322 du Code civil.

À la différence de l’aveu, qui a fait l’objet d’une définition à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, le serment n’a pas fait l’objet du même traitement.

Pour certains auteurs, il ne s’agit nullement d’un oubli. Pour eux, « la définition générale du serment aurait peut-être été inopportune, puisque ses usages ne se limitent pas au seul terrain probatoire »[5].

Il faut en effet compter avec le serment promissoire qui remplit une fonction totalement étrangère au serment probatoire ; d’où le choix qui a été fait par le législateur

En tout état de cause, ce qui frappe lorsque l’on envisage le serment comme mode de preuve institué par le Code civil, c’est qu’il heurte le principe général d’interdiction de preuve à « soi-même » énoncé par l’article 1363 de ce même Code.

Pour mémoire, cette disposition prévoit que « nul ne peut se constituer de titre à soi-même. »

Cela signifie que pour être recevable, une preuve ne saurait émaner de la partie qui s’en prévaut.

C’est pourtant ce que fait le plaideur auquel le serment est déféré : il affirme un fait qui lui est favorable au soutien de sa propre prétention.

Le serment ne devrait dès lors pas être admis comme mode de preuve. Reste que le législateur en a décidé tout autrement. La raison en est que le serment ne repose plus seulement sur les croyances religieuses des justiciables, qui ne craignent plus désormais d’encourir des sanctions divines.

À une époque où la société s’est laïcisée, le serment repose sur un dispositif de sanctions pénales de nature à dissuader les plaideurs de se parjurer.

À cet égard, l’article 437-17 du Code pénal prévoit que « le faux serment en matière civile est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

?Serment décisoire et serment supplétoire

Faute de définir le serment probatoire, l’article 1384 du Code civil énonce les deux sortes de serment admis comme mode de preuve.

Cette disposition prévoit que le serment peut être, soit décisoire, soit supplétoire :

  • Le serment décisoire
    • Il s’agit de celui qu’une partie défère à l’autre pour en faire dépendre le jugement de la cause (art. 1384 C. civ.) :
      • Si le plaideur auquel le serment est déféré accepte le « défi », alors il gagne le procès.
      • Si en revanche, il renonce à prêter serment craignant notamment la sanction attachée au parjure, alors il succombe.
    • La particularité du serment décisoire est qu’il « peut être déféré sur quelque espèce de contestation que ce soit et en tout état de cause. »
    • Autrement dit, il peut intervenir aux fins de prouver, tant un acte juridique, qu’un fait juridique.
    • À cet égard, à l’instar de l’aveu judiciaire, le serment décisoire présente l’avantage de lier le juge à la déclaration du plaideur.
    • Il devra donc tenir pour vrai ce que ce dernier déclare, à tout le moins dès lors la déclaration porte sur un fait personnel, soit d’un fait qu’il a personnellement vécu ou constaté (art. 1385-1 C. civ.).
  • Le serment supplétoire
    • Il s’agit de celui qui est déféré d’office par le juge à l’une ou à l’autre des parties.
    • Contrairement au serment décisoire, le serment supplétoire ne peut pas jouer en toutes matières ; il obéit à des conditions de recevabilité énoncées à l’article 1386-1 du Code civil.
    • Cette disposition prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »
    • Autrement dit, le juge ne pourra recourir au serment supplétoire que pour parfaire son intime conviction.
    • Il s’agit, en quelque, sorte d’une mesure d’instruction qui ne peut ni pallier la carence de preuves, ni intervenir pour combattre une preuve parfaite.
    • La recevabilité du serment décision est ainsi conditionnée à la vraisemblance de la prétention qu’il vise à confirmer ou infirmer.
    • Si cette condition est remplie, le juge pourra y recourir afin d’établir la réalité du paiement discutée par les parties.

Nous nous focaliserons ici sur le seul serment supplétoire.

I) Économie générale du serment décisoire

A) Notion

Le serment supplétoire est présenté par l’article 1386, al.1er du Code civil comme le serment que le juge peut déférer à l’une des parties.

À la différence du serment décisoire, le serment supplétoire, qualifié également de serment déféré d’office, procède de l’initiative, non pas d’une partie, mais du juge.

C’est le juge qui, ici, est, à la manœuvre et qui détermine s’il y a lieu de déférer ou non un serment à l’une des parties.

À cet égard, le serment supplétoire est défini classiquement comme le « serment que le juge peut, dans le doute, déférer d’office à l’une des parties au procès en d’une meilleure connaissance de la cause, dont il apprécie souverainement la valeur probante […] et qui constitue […] une simple mesure d’instruction »[6].

Aussi, le juge pourra être porté à recourir au serment supplétoire lorsque les preuves fournies par les parties s’avéreront insuffisantes.

Au fond, le serment supplétoire vise à compléter les éléments de preuve produits aux débats et éclairer le juge sur les faits litigieux.

B) Nature

Le serment déféré d’office s’analyse en une mesure d’instruction ; raison pour laquelle il relève du monopole du juge.

Seul le juge est donc investi du pouvoir de déférer le serment supplétoire à l’une des parties.

Il ne pourra toutefois exercer cette faculté que si les conditions énoncées par l’article 1386-1 du Code civil sont réunies.

II) Conditions du serment supplétoire

?Conditions tenant aux pouvoirs du juge

Tout d’abord, le serment supplétoire est réservé à l’usage du juge. Plus précisément, il relève de son pouvoir discrétionnaire, comme jugé par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 juillet 1968 (Cass. 3e civ. 4 juill. 1968).

Cela signifie :

  • D’une part, que le juge est investi du pouvoir d’apprécier souverainement l’opportunité de recourir au serment supplétoire
  • D’autre part, que le juge n’est pas tenu de motiver son refus de déférer le serment supplétoire à une partie.

Ensuite, le juge est libre de déterminer la partie à laquelle il entend déférer le serment supplétoire, sauf disposition légale contraire.

L’article 1716 du Code civil qui prévoit, par exemple, que « lorsqu’il y aura contestation sur le prix du bail verbal dont l’exécution a commencé, et qu’il n’existera point de quittance, le propriétaire en sera cru sur son serment, si mieux n’aime le locataire demander l’estimation par experts »

À l’inverse, l’article 1386, al. 2e du Code civil interdit à l’autre partie de référer le serment à celle à laquelle il a été déféré par le juge.

Enfin, le juge ne choisit pas seulement la partie à laquelle il entend déférer le serment supplétoire, il détermine également les faits sur lequel celui-ci devra porter.

Plus précisément, comme prévu par l’article 318 du Code de procédure civile, c’est à lui de définir les faits pertinents « sur lesquels il sera reçu ».

?Conditions tenant à la mise en œuvre du serment supplétoire

L’article 1386-1 du Code civil prévoit que « le juge ne peut déférer d’office le serment, soit sur la demande, soit sur l’exception qui y est opposée, que si elle n’est pas pleinement justifiée ou totalement dénuée de preuves. »

Il ressort de cette disposition que la faculté pour le juge de déférer le serment à une partie n’est pas absolue ; elle est subordonnée au respect d’une condition de recevabilité.

Pour que le juge puisse déférer à une partie le serment, il est nécessaire que la demande soit, au moins, partiellement fondée, ou « pas totalement dénuée de preuve ».

Autrement dit, il doit exister un commencement de preuve rendant vraisemblable les faits allégués.

Aussi, le serment supplétoire ne saurait être utilisé par le juge aux fins de pallier la carence totale des parties dans l’administration de la preuve (V. en ce sens Cass. soc. 26 janv. 1981, n°79-11.091).

Cette mesure d’instruction vise seulement à obtenir un complément de preuve, lorsque les preuves jusque-là produites sont insuffisantes.

III) Force probante du serment supplétoire

L’article 1386, al. 3 du Code civil prévoit que la valeur probante du serment supplétoire est laissée à l’appréciation du juge.

Cela signifie que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrai le fait sur lequel le serment a été déféré. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée du serment, peu importe qu’il ait été prêté ou refusé.

Le juge demeure toujours libre de lui reconnaître ou de lui dénier une force probante (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 15 oct. 1975, n°73-11.059 ; Cass. com. 4 oct. 1988, n°86-13.156).

Aussi cette force probante dépend-elle entièrement de l’intime conviction du juge. C’est là une différence majeure avec le serment décisoire qui s’impose à ce dernier.

Il n’en reste pas moins que la partie qui a juré dans le cadre d’un serment supplétoire s’expose à une sanction pénale (art. 434-17 C. pén.).

  1. Dictionnaire Littré ?
  2. D. Guével, « Preuve par serment », JurisClasseur, Code civil, art. 1384 à 1386-1, n°2 ?
  3. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1825, p. 625 ?
  4. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction au droit, éd. LGDJ, 1990, n°660, p. 635. ?
  5. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1273, p. 1121. ?
  6. G. Cornu, Vocabulaire Juridique, éd. Puf, 2005, V. Serment, p. 844 ?

L’aveu extrajudiciaire: régime

?Notion

Les rédacteurs du Code civil n’avaient, en 1804, pas jugé nécessaire de définir la notion d’aveu.

Pourtant il a été désigné comme la probatio probatissima, soit la plus décisive des preuves.

Faute de définition dans le Code civil, c’est à la doctrine qu’est revenue la tâche de pourvoir à cette carence.

Selon Aubry et Rau, « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai et comme devant être tenu pour avérée à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques »[1].

La définition proposée par Planiol et Ripert était quelque peu différente. Pour ces auteurs l’aveu ne serait caractérisé qu’en présence de « déclarations accidentelles, faites après coup, par lesquelles une partie laisse échapper la reconnaissance du fait ou de l’acte qu’on lui oppose »[2].

La raison en est que l’apposition d’une signature sur un acte pourrait en quelque sorte s’analyser en la reconnaissance par le signataire de la véracité du contenu de cet acte. Or la signature est une composante de la preuve littérale et non de l’aveu.

Aussi, pour les distinguer, il y aurait lieu de considérer que, d’une part, l’aveu présente un caractère « accidentel », par opposition à la preuve littérale qui est préconstituée, et, d’autre part, qu’il interviendrait nécessairement « après coup », soit après la réalisation du fait à prouver.

Bien que séduisante, cette approche n’a pas été retenue par la jurisprudence qui lui a préféré la définition proposée par Aubry et Rau. Dans un arrêt du 4 mai 1976, la Cour de cassation a ainsi jugé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Puis dans le cadre de l’avant-projet relatif à la réforme du régime des obligations et des quasi-contrats porté par François Terré, l’aveu a été défini, dans le droit fil des définitions précédentes, comme « la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai, et comme devant être tenu pour avéré à son égard, un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

Le législateur a consacré cette définition de l’aveu à l’occasion de la réforme du droit de la preuve opérée par l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Le nouvel article 1383 du Code civil prévoit que « l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques ».

?Nature de l’aveu

La nature de l’aveu a fait l’objet d’une discussion doctrinale ayant donné lieu à la confrontation de trois thèses différentes :

  • Première thèse
    • Pour certains auteurs, l’aveu s’analyserait en le fait générateur d’un renversement de charge de la preuve.
    • En principe, la charge de la preuve pèse sur le demandeur à l’allégation.
    • Aussi, en formulant un aveu le défendeur dispenserait le demandeur de l’obligation de prouver son allégation.
  • Deuxième thèse
    • D’autres auteurs soutiennent que l’aveu reposerait sur une présomption, en ce sens que lorsqu’une personne reconnaît la véracité d’un fait, en ayant conscience que cette déclaration est susceptible de produire des conséquences juridiques qui lui sont défavorables, il y a tout lieu de penser qu’elle dit la vérité et donc de tenir pour vrai ce qui a été avoué.
  • Troisième thèse
    • Le Professeur Chevalier a soutenu que, en réalité, l’aveu ne constituerait pas un mode de preuve[3].
    • Pour cet auteur, il aurait seulement pour effet de circonscrire l’objet de la preuve.
    • En effet, pour mémoire, ne doivent en principe être prouvés que les faits qui sont contestés ou contestables.
    • Aussi, dès lors qu’un fait n’est pas contesté par le défendeur, la preuve de ce fait n’a pas à être rapportée.
    • L’aveu a donc pour effet de réduire le périmètre de l’objet de la preuve et donc, par voie de conséquence, de limiter l’office du juge dont la mission est précisément de se prononcer sur les seuls faits litigieux.
    • Au regard de cette définition, il y aurait donc lieu de considérer que l’aveu judiciaire et l’aveu extrajudiciaire n’auraient pas la même nature.

?Aveu judiciaire et aveu extrajudiciaire

L’article 1383, al. 2e du Code civil prévoit que l’aveu « peut être judiciaire ou extrajudiciaire ».

Ainsi existe-t-il deux formes d’aveu :

  • L’aveu judiciaire
    • Il s’agit de la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.
    • La particularité de ce mode de preuve est qu’il est recevable en toutes matières, y compris lorsqu’un écrit est exigé.
    • Autrement dit, il peut servir à établir, tant un fait juridique, qu’un acte juridique : il n’est donc pas besoin qu’il soit corroboré par un autre mode de preuve, à la différence par exemple du témoignage ou du commencement de preuve par écrit.
    • La raison en est qu’il « fait foi contre celui qui l’a fait » (art. 1382, al. 2e C. civ.)
    • À cet égard, l’aveu judiciaire s’impose au juge ; lequel ne peut donc pas l’écarter dès lors qu’il répond aux conditions fixées par la loi.
  • L’aveu extrajudiciaire
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est défini par aucun texte.
    • Aussi, est-il d’usage de le présenter négativement par rapport à l’aveu judiciaire.
    • Classiquement, il est en effet défini comme la déclaration faite par une partie au procès en dehors du prétoire.
    • Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire n’est recevable que « dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen » (art. 1383-1, al. 1er C. civ.).
    • Par ailleurs, l’article 1383-1, al. 2e du Code civil prévoit que « sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. »
    • Ainsi, l’aveu extrajudiciaire ne s’impose pas au juge qui conserve sa liberté d’appréciation.

Nous nous focaliserons ici sur l’aveu extrajudiciaire.

I) L’admissibilité de l’aveu extrajudiciaire

L’article 1383-1 du Code civil prévoit que « l’aveu extrajudiciaire purement verbal n’est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen ».

Il ressort de cette disposition que les conditions d’admission en justice de l’aveu extrajudiciaire diffèrent selon qu’il est oral ou écrit.

  • L’aveu extrajudiciaire est oral
    • Dans cette hypothèse, il ne sera admissible que pour les seuls cas où la preuve est libre.
    • Autrement dit, il ne pourra être invoqué que pour prouver :
      • Un fait juridique
      • Un acte judiciaire dont le montant est inférieur à 1500 euros
      • Un acte de commerce accompli par le défendeur, à la condition qu’il endosse la qualité de commerçant
    • En dehors de ces cas, l’aveu extrajudiciaire « purement verbal » ne pourra pas être admis par le juge.
  • L’aveu extrajudiciaire est écrit
    • Dans cette hypothèse, il pourra être admis, tant lorsque la preuve est libre, que lorsque la preuve littérale (par écrit) est exigée.
    • La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 7 mars 1973 (Cass. 3e civ. 7 mars 1973, n°71-12.595).
    • Est-ce à dire que l’aveu extrajudiciaire suffirait à faire la preuve d’un acte juridique dont le montant est supérieur à 1 500 euros, à l’instar d’une preuve parfaite ?
    • Tel n’est pas de l’avis des auteurs qui soutiennent que l’aveu judiciaire ne peut venir qu’en complément d’un commencement de preuve par écrit (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 29 oct. 2002, n°00-15.834).
    • L’article 1361 du Code civil abonde en ce sens en disposant que « il peut être suppléé à l’écrit par l’aveu judiciaire, le serment décisoire ou un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve. »

II) Les conditions de l’aveu extrajudiciaire

A) Les conditions de fond

Il ressort de la combinaison des articles 1383 et 1383-2 du Code civil que deux conditions de fond doivent être réunies pour qu’un aveu judiciaire soit caractérisé.

La première condition tient à la déclaration exprimant l’aveu, tandis que la seconde condition tient à l’objet de l’aveu.

1. La déclaration exprimant l’aveu

a. Une manifestation de volonté

Fondamentalement, l’aveu consiste en une manifestation de volonté. Plus précisément, il s’analyse, selon la Cour de cassation, en un « acte unilatéral » (Cass. 3e civ. 26 janv. 1972, n°70-13.603).

Il en résulte que la validité de l’aveu est subordonnée à l’observation des mêmes conditions que celles auxquelles sont soumis les actes juridiques.

Ces conditions tiennent :

  • D’une part, au consentement de l’auteur de l’aveu
  • D’autre part, à la capacité juridique de l’auteur de l’aveu

b. Le consentement de l’auteur de l’aveu

Pour produire ses effets, l’aveu doit résulter d’une manifestation de volonté devant répondre à trois exigences :

  • En premier lieu, elle ne doit pas être viciée
  • En deuxième lieu, elle doit avoir été exprimée en conscience
  • En dernier lieu, elle doit être univoque

?Une volonté exempte de vice

La volonté de l’auteur de l’aveu doit donc être exempte de tout vice, ce qui signifie qu’elle doit avoir été exprimée de façon libre et éclairée.

Concrètement, cela signifie que l’aveu doit ne pas avoir été obtenu sous la contrainte ou au moyen de manœuvres dolosives.

?Une volonté exprimée en conscience

La question s’est posée de savoir si, pour être valable, l’aveu devait avoir été exprimé en conscience.

Autrement dit, l’auteur de l’aveu doit-il avoir eu conscience que sa déclaration serait susceptible de produire des conséquences juridiques préjudiciables pour lui à la faveur de son adversaire ?

À l’analyse, la jurisprudence n’est pas totalement fixée sur ce point.

Tandis que certaines décisions semblent exiger que l’aveu ait été donné en toute conscience, d’autres ne font pas de l’existence de cette conscience chez celui qui avoue une condition de recevabilité de l’aveu.

Dans un arrêt du 25 octobre 1972, la Cour de cassation a, par exemple, jugé recevable un aveu après avoir constaté qu’il avait été fait « en connaissance de l’utilisation qui pourrait en être faite comme preuve de l’obligation litigieuse » (Cass. 1ère civ. 25 oct. 1972, n°71-10.129).

À l’inverse, dans un arrêt du 21 février 1978, la Première chambre civile a admis qu’un aveu puisse produire ses effets, alors même que son auteur n’avait pas nécessairement eu conscience de la portée de ses agissements (Cass. 3e civ. 21 févr. 1978, n°76-14.185).

?Une manifestation de volonté univoque

Parce qu’il emporte des conséquences juridiques préjudiciables pour son auteur, l’aveu doit être univoque, en ce sens qu’il ne doit pas être sujet à interprétation.

En d’autres termes, la volonté de celui qui avoue ne doit susciter aucune ambiguïté quant à ses intentions.

Cette exigence a été exprimée par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 mai 1976. Aux termes de cette décision, elle a affirmé que « l’aveu exige de la part de son auteur une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre lui des conséquences juridiques » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Depuis lors, la Haute juridiction a réaffirmé à plusieurs reprises sa position (V. par exemple Cass. com. 19 juin 2001, n°98-18.333 ; Cass. 3e civ., 27 janv. 2010, n° 08-19.763).

L’aveu devant être univoque pour produire ses effets, la question s’est posée de savoir s’il pouvait être implicite.

Dans certaines décisions, la Cour de cassation l’a admis. Dans un arrêt du 27 décembre 1963 elle a par exemple jugé que « l’attitude du demandeur constituait un aveu implicite de la réalité et de la sincérité de l’engagement pris par lui » (Cass. 1ère civ. 27 déc. 1963, n°62-11.811).

La Troisième chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 11 décembre 1969. Dans cette décision, elle reprochait aux juges du fond de n’avoir pas recherché si de la passivité de l’une des parties à l’instance sur un élément de fait qui leur était soumis n’équivalait pas à un aveu (Cass. 3e civ. 11 déc. 1969).

Dans un arrêt du 23 juin 1970, la Chambre commerciale a pareillement estimé que « l’attitude adoptée en justice par dame y…, constituant un aveu implicite du défaut de paiement » (Cass. com. 23 juin 1970, n°68-12.376).

Dans le sens inverse, dans l’arrêt du 4 mai 1976 cité précédemment, la Cour de cassation a jugé que « ne pouvait constituer un aveu extrajudiciaire le comportement passif des consorts b… à l’égard d’une désignation de confront figurant dans un acte qui n’avait pas pour objet de déterminer les droits de voisins étrangers audit acte » (Cass. 3e civ. 4 mai 1976, n°75-10.452).

Au bilan, s’il est admis que l’aveu puisse être implicite et notamment résulter d’agissements positifs, c’est à la condition qu’il soit univoque. Or cette condition n’est pas satisfaite en cas de silence gardé par une partie au procès.

c. La capacité de l’auteur de l’aveu

Il est admis que celui qui avoue doit justifier de la capacité juridique. Il s’agit là d’une traduction de l’adage « qui non potest domar, non potest confiteri » qui signifie « celui qui ne peut donner ou aliéner ne peut avouer ou faire un aveu ».

Faisant application de ce principe, dans un arrêt du 19 décembre 1960, la Cour de cassation a jugé qu’un mineur « ne pouvait, par lui-même ni par ses représentants, émettre un aveu qui lui fut opposable » (Cass. 2e civ. 19 déc. 1960).

La Première chambre civile a retenu la même solution dans un arrêt du 2 avril 2008 à la faveur d’un majeur placé sous une mesure de tutelle.

Aux termes de cette décision elle a affirmé « qu’une déclaration émanant du représentant légal [d’un majeur] alors placé sous le régime de la tutelle, ne pouvait valoir aveu opposable à ce dernier » (Cass. 1ère civ. 2 avr. 2008, n°07-15.820).

Quant au majeur placé sous une mesure de curatelle, il devra nécessairement se faire assister par son curateur.

2. L’objet de l’aveu

Il s’infère de l’article 1383 du Code civil que l’aveu ne peut porter que sur :

  • D’une part, un fait
  • D’autre part, un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre la personne qui avoue

?Un fait

Pour produire ses effets, l’aveu doit nécessairement porter sur un élément de fait. La notion de fait doit être prise dans son sens large. Autrement dit, l’aveu permet de faire la preuve, tant des faits juridiques, que des actes juridiques.

Peuvent ainsi être prouvés au moyen d’un aveu la remise d’une somme d’argent, la délivrance d’une chose, la falsification d’un écrit, un adultère, le paiement d’une dette, l’occupation d’un immeuble ou encore l’envoi d’un courrier.

Dans un arrêt du 26 mai 1982, la Cour de cassation a précisé que « l’aveu contenu dans les conclusions de première instance des consorts x… ne pouvait porter que sur des faits antérieurs à celles-ci et non sur des faits postérieurs » (Cass. com. 26 mai 1982, n°80-16.101).

L’aveu ne peut donc porter que sur des faits qui se sont produits antérieurement à l’instance au cours de laquelle il est réalisé ; il ne permet pas de prouver des faits qui interviendraient postérieurement à cette instance.

Si donc l’aveu permet de faire la preuve d’éléments de faits, il ne saurait, à l’inverse, porter sur des points de droit. La raison en est que la règle de droit, contrairement aux faits qui dépendent des parties, est l’affaire du juge.

En effet, l’office du juge ne se limite pas à dire le droit, il lui appartient également de le « donner ».

Cette règle est exprimée par l’adage « da mihi factum, da tibi jus » qui signifie littéralement : « donne-moi les faits, je te donnerai le droit ».

Les parties n’ont ainsi nullement l’obligation de prouver la règle de droit dont elles entendent se prévaloir. C’est au juge qu’il incombe de trancher le litige qui lui est soumis au regard de la règle de droit applicable.

Aussi, parce que la tâche des parties se cantonne dans le procès à prouver les faits qu’elles allèguent, on comprend que l’aveu ne puisse avoir pour objet la règle de droit.

Cette règle est régulièrement rappelée par la Cour de cassation. Dans un arrêt du 28 mars 1966, la Deuxième chambre civile a par exemple affirmé que « la déclaration d’une partie ne peut être retenue contre elle, comme constituant un aveu, que si elle porte sur des points de fait et non sur des points de droit » (Cass. 2e civ. 28 mars 1966).

La Troisième chambre civile a statué sensiblement dans les mêmes termes dans un arrêt du 22 juin 2017 (Cass. 3e civ. 22 juin 2017, n°16-16.653).

La Chambre sociale a récemment emprunté une voie identique dans un arrêt du 25 novembre 2020 (Cass. soc. 25 nov. 2020, n°19-20.097).

Si la distinction entre « points de droit » et « points de fait », à laquelle la jurisprudence a pris l’habitude de se référer, ne paraît pas a priori soulever de difficulté, en réalité elle a donné lieu à un abondant contentieux.

Comme souligné par des auteurs « c’est que bien souvent, l’aveu déborde la reconnaissance du fait en anticipant sur une qualification juridique »[4].

Or la qualification juridique d’une situation participe de l’entreprise à donner le droit. Or cela relève de l’office du juge.

Pour cette raison, la jurisprudence considère que l’aveu est sans effet lorsqu’il consiste à proposer une qualification ou une analyse juridique. L’admettre reviendrait à accepter qu’il puisse être empiété sur l’office du juge.

Dans un arrêt du 27 janvier 2015, la Cour de cassation a ainsi affirmé que « la déclaration d’une partie portant sur des points de droit, tels que l’existence de sa qualité de locataire d’un bail commercial, ne constitue pas un aveu, lequel ne peut avoir pour objet qu’un point de fait » (Cass. com. 27 janv. 2015, n°13-25.302).

Dans un arrêt du 7 juin 1995, il a encore été jugé qu’un aveu ne pouvait pas porter sur l’existence d’une solidarité entre débiteurs d’une même obligation (Cass. 1ère civ. 7 juin 1995, n°92-21.961).

Dans un arrêt du 23 novembre 1982, la Première chambre civile a estimé, s’agissant de la reconnaissance par une partie à la faveur de son adversaire d’un droit de propriété indivis sur un immeuble, que « les déclarations retenues […] portaient, non pas sur des points de fait, mais sur l’analyse des rapports juridiques existant entre les parties » de sorte que l’aveu exprimé étant impuissant à produire ses effets (Cass. 1ère civ. 23 nov. 1982, n°81-15.904).

On peut enfin évoquer une décision rendue par la Deuxième chambre civile en date du 28 février 2023, aux termes de laquelle elle a décidé que « la reconnaissance par l’assureur de son obligation à garantie ne pouvait constituer un aveu » (Cass. 2e civ. 28 févr. 2013, n°11-27.807).

De façon générale, sont envisagées par la jurisprudence comme des points de droit, les déclarations relatives à :

Comme observé par la doctrine, la distinction entre « points de droit » et « point de faits » peut s’avérer pour le moins subtile, sinon artificielle.

Ainsi, tandis que l’aveu ne devrait pas pouvoir porter sur l’existence d’une obligation, car intéressant la qualification de l’acte juridique constatant cette obligation, il permet en revanche de prouver son contenu.

Dans un arrêt du 8 juillet 2003, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si les déclarations d’une partie ayant pour objet l’analyse juridique de ses rapports avec une autre partie, ou avec des tiers, ne peuvent constituer un aveu car elles portent sur des points de droit, les déclarations concernant le contenu d’un contrat, comme c’est le cas en l’espèce, portent sur des points de fait et sont, dès lors, susceptibles de constituer des aveux » (Cass. 1ère civ. 8 juill. 2003, 00-17.779).

Dans le droit fil de cette décision, la Cour de cassation a jugé recevable, dans un arrêt du 30 octobre 1984, un aveu au motif que son auteur « admettait avoir effectivement bénéficié de plusieurs prêts consentis par [la partie adverse] et contestait seulement leur montant et le solde de la dette dont elle restait redevable » (Cass. 1ère civ. 30 oct. 1984, n°83-15.342).

L’aveu a ici été retenu par la Première chambre civile car il intéressait, non pas l’existence d’une dette, mais son montant et plus précisément le montant restant dû par la partie défenderesse.

L’aveu ne peut donc se rapporter qu’aux seules circonstances de fait entourant une situation opposant les parties au procès à l’exclusion de la qualification juridique de cette situation.

?Un fait de nature à produire des conséquences juridiques contre la personne qui avoue

Pour que l’aveu soit recevable, il doit porter sur un fait de nature à produire contre son auteur des conséquences juridiques défavorables.

Aussi, la déclaration faite par l’avouant doit-elle nécessairement profiter à la seule partie adverse. L’aveu ne saurait permettre à son auteur de se placer dans une meilleure situation que s’il n’avait pas avoué.

Dans un arrêt du 11 février 1998, la Cour de cassation a ainsi jugé que « ne pouvaient constituer un aveu extrajudiciaire, des conclusions additionnelles aux termes desquelles l’épouse, après avoir dénié toute espèce de faute de sa part, ne sollicitait le prononcé du divorce aux torts partagés qu’à titre ” infiniment subsidiaire ” et seulement dans l’hypothèse où la cour d’appel, ” par impossible “, viendrait à retenir à son encontre des fautes constitutives de causes de divorce au sens de l’article 242 du Code civil » (Cass. 2e civ. 11 févr. 1998, n°96-19.106).

B) Les conditions de forme

Comme souligné précédemment, l’aveu extrajudiciaire se définit négativement par rapport à l’aveu judiciaire.

Aussi, présente-t-il la particularité d’avoir été formalisé en dehors du procès. Pothier écrivait en ce sens que « la confession extrajudiciaire est celle qui se fait hors justice »[5].

Pourront ainsi être qualifiées d’aveu extrajudiciaire des déclarations reçues par un huissier de justice dans le cadre d’une sommation interpellative (Cass. 1ère civ., 28 oct. 1970, n° 68-14.135), par un policier dans le cadre d’une enquête de police (Cass. 1ère civ. 2 févr. 1970, n°65-13.778), par un expert (Cass. 3e civ., 29 mai 1973, n°72-11.625) ou encore par un notaire (Cass. 1ère civ. 4 mars 1986, n°84-16.862).

Il a, par ailleurs, été admis qu’un aveu formulé dans le cadre d’une instance antérieure à celle durant de laquelle il est invoqué constituait un aveu extrajudiciaire (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 30 oct. 1984, n°83-15.342).

De façon générale, l’aveu sera donc qualifié d’extrajudiciaire dès lors qu’il est réalisé en dehors de l’instance en cours. Il pourra être contenu dans un document de toute nature (lettre, contrat etc.) ou procéder d’une simple déclaration orale.

III) Les effets de l’aveu extrajudiciaire

A) La force probante de l’aveu extrajudiciaire

L’article 1381-1 du Code civil prévoit que la valeur probante de l’aveu extrajudiciaire « est laissée à l’appréciation du juge ».

Cela signifie que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrai le fait avoué. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée de l’aveu extrajudiciaire invoqué.

Le juge demeure toujours libre de lui reconnaître ou de lui dénier une force probante (V. en ce sens Cass. 3e civ. 17 déc. 1969 ; Cass. 1ère civ. 4 mars 1986, n°84-16.862).

Aussi cette force probante dépend-elle entièrement de l’intime conviction du juge. C’est là une différence majeure avec l’aveu judiciaire qui s’impose à la juridiction saisie.

La Cour de cassation exerce néanmoins son contrôle sur la dénaturation de l’aveu extrajudiciaire par les juges du fond. Autrement dit, elle s’assure que ces derniers ont correctement interprété l’aveu invoqué devant eux.

B) Divisibilité de l’aveu extrajudiciaire

Contrairement à l’aveu judiciaire, l’aveu extrajudiciaire est divisible. Cela signifie que le juge n’a pas l’obligation de recevoir en bloc les déclarations constitutives de l’aveu.

Il est autorisé à sélectionner certains fragments de ces déclarations et à en écarter d’autres.

Dans un arrêt du 14 décembre 1964, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si le principe de l’indivisibilité de l’aveu n’a été pose par l’article 1356 que pour l’aveu judiciaire, il est loisible aux juges du fond, qui disposent d’un pouvoir souverain pour apprécier la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis, dès lors, comme en l’espèce, qu’ils n’en dénaturent ni le sens ni la portée, d’en transposer l’application lorsqu’ils ont à déterminer leur conviction par un aveu extrajudiciaire » (Cass. 2e civ. 14 déc. 1961).

La Troisième chambre civile a statué dans le même sens dans un arrêt du 16 novembre 1971 (Cass. 3e civ. 16 nov. 1971, n°70-12.084).

Cette position a également été adoptée, dans les mêmes termes, par la Chambre commerciale (Cass. com. 19 avr. 1985, n°83-16.449).

C) Révocabilité de l’aveu extrajudiciaire

Si, en application de l’article 1383-2 du Code civil, il est de principe que l’aveu judiciaire soit irrévocable, le doute est permis s’agissant de l’aveu extrajudiciaire.

Le Code civil est, en effet, silencieux sur ce point. Quant à la doctrine, elle est partagée : tandis que certains auteurs soutiennent que l’aveu extrajudiciaire peut toujours être rétracté[6], d’autres avancent la thèse inverse[7].

  • Thèse en faveur de la révocabilité de l’aveu
    • Cette thèse se fonde sur le pouvoir d’appréciation conféré au juge qui est libre d’admettre ou d’écarter l’aveu invoqué devant lui.
    • Ce pouvoir l’autoriserait à librement apprécier la révocabilité de l’aveu
  • Thèse en faveur de l’irrévocabilité de l’aveu
    • Cette thèse repose sur la nature de l’aveu qui s’analyse en un acte unilatéral
    • Un acte unilatéral présente, en effet, la particularité d’être irrévocable à compter du moment où il est porté à la connaissance de son destinataire

Aujourd’hui, la Cour de cassation n’a encore jamais tranché expressément en faveur de l’une ou l’autre thèse.

  1. Aubry et Rau, Droit civil français, t. XII, 6e éd. : Librairies techniques, 1958, § 751, p. 91. ?
  2. Planiol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, Partie II, LGDJ, 1954, n°1563. ?
  3. J. Chevalier, Cours de droit approfondi, La charge de la preuve, Cours de droit, 1958-1959, p. 110 ?
  4. G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, éd. Dalloz, 2018, n°1260, p. 1113. ?
  5. R.J. Pothier, Traité des obligations, 1764, Dalloz 2011, 2011, n°835 p.406 ?
  6. F. Terré, Introduction générale au droit, éd. Dalloz, 2000, n°592, p. 591 ?
  7. M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Obligations, LGDJ, 1954, n°1566. ?

La force probante de la preuve par témoins

Parce que la preuve testimoniale relève de la catégorie des modes de preuve imparfaits, sa force probante est laissée à l’appréciation souveraine du juge.

Un auteur souligne ainsi que « avec la preuve témoins, on sort de la catégorie des preuves légales en ce sens que la loi ne détermine pas la valeur que le juge doit accorder au témoignage : la preuve par témoins est une preuve morale dont la force probante est abandonnée à l’intime conviction du Tribunal […] »[5].

Cela signifie donc que le juge n’est pas contraint de tenir pour vrais les faits relatés dans les dépositions des témoins. Il lui appartient seulement, en toute conscience, d’apprécier la valeur et la portée des témoignages qui lui sont soumis sur les circonstances de la cause.

Cette liberté d’appréciation des témoignages conférée au juge est régulièrement rappelée par la Cour de cassation (V. par exemple Cass. 2e civ. 18 févr. 1970, n°69-10.560 ; Cass. 2e civ. 3 mars 2011, n°10-30.175).

À cet égard, en raison de l’abolition de l’ancienne règle « testis unis, testis nullus », il est désormais permis au juge de fonder sa décision sur un témoignage unique.

Dans la pratique, il apparaît que les juridictions sont plutôt réticentes à reconnaître aux témoignages une grande force probante en raison de leur caractère éminemment subjectif.

Il est toujours très compliqué d’apprécier la crédibilité des déclarations formulées par un témoin qui, en raison des liens qu’il est susceptible d’entretenir avec une partie, peut être partial.

C’est d’ailleurs l’une des raisons premières qui conduisent les juges à écarter un témoignage des débats (V. en ce sens Cass. 1ère civ. 21 oct. 1975, n°74-12.739).

En tout état de cause, comme précisé par la Cour de cassation dans un ancien arrêt rendu le 31 mai 1965, les juges du fond ne sont nullement tenus de préciser les raisons pour lesquelles ils décident de retenir ou de ne pas retenir un témoignage (Cass. 2e civ. 31 mai 1965, n°63-12.954).

  1. Art. 54 de l’ordonnance de Moulins adoptée en février 1566 : « pour obvier à la multiplication de faicts que l’on a veu cy-deuant estre mis en avant en jugement, subjects à preuve de tesmoings, et reproche d’iceux dont adviennent plusieurs inconveniens et involutions de procez : avons ordonné et ordonnons que d’oresnavant de toute choses excédant la somme ou valeur de cent livres pour une fois payer, seront passez contracts pardevant notaires et tesmoings par lesquels contracts seulement sera faicte et receue toute preuve esdictes matieres sans recevoir aucune preuve par tesmoings outre le contenu au contract ne sur ce qui seroit allégué avoir esté dit ou convenu avant iceluy lors et depuis. En quoy n’entendons exclurre les preuves des conventions particulieres et autres qui seraient faictes par les parties soubs leurs seings, seaux et escriptures privées. » ?
  2. J. Ghestin et G. Goubeaux, Droit civil – Introduction générale, éd. LGDJ, 1990, n°645, p. 620. ?
  3. F. Terré, Droit civil – Introduction générale au droit, éd. Dalloz, éd. 2000, n°580, p. 584. ?
  4. Planiol, Traité élémentaire de droit civil, Paris, 1900, t. 2, n°22, p. 7. ?
  5. H. Roland et L. Boyer, Introduction au droit, éd. Litec, 2002, n°1777, p. 611. ?

Le recueil du témoignage par voie d’enquête: régime

En application de l’article 199 du Code de procédure civile, les déclarations formulées par les témoins « sont faites par attestations ou recueillies par voie d’enquête selon qu’elles sont écrites ou orales. »

Il ressort de cette disposition que les témoignages peuvent être recueillis selon deux modalités différentes :

  • Soit au moyen d’une attestation
  • Soit par voie d’enquête

Nous nous focaliserons ici sur le recueil du témoignage par voie d’enquête.

La procédure d’enquête est donc la seconde voie procédurale susceptible d’être mise en œuvre aux fins de recueillir les témoignages.

S’analysant en une mesure d’instruction, l’enquête consiste en une audition par le juge du témoin. Il en résulte qu’elle est régie :

  • D’une part, par les règles de droit commun applicables à toutes les mesures d’instruction (art. 143 à 284-1 CPC)
  • D’autre part, par les règles propres aux témoignages (art. 204 à 231 CPC)

S’agissant de ces dernières, elles prévoient qu’il y a lieu de distinguer deux sortes d’enquêtes :

  • L’enquête ordinaire
  • L’enquête sur-le-champ

I) L’enquête ordinaire

A) L’ouverture de l’enquête

?L’initiative de l’ouverture de l’enquête

À l’instar de n’importe quelle mesure d’instruction, l’enquête peut être :

    • Soit sollicitée par les parties
      • Pour qu’il soit accédé à une demande d’audition de témoins, il devra être démontré par le demandeur que le témoignage sollicité permettra d’éclairer le juge sur les faits dont dépend la solution du litige (art. 143 CPC).
    • Soit ordonnée par le juge
      • Le juge peut toujours ordonner d’office une enquête aux fins d’audition de témoins, peu importe qu’il statue au fond ou en référé.
      • Pour actionner cette voie procédurale, il doit néanmoins ne pas disposer d’éléments suffisant pour statuer (art. 144 CPC)
      • À cet égard, le texte précité précise qu’une mesure d’instruction peut toujours être prise « en tout état de cause », ce qui signifie que le juge peut ordonner une enquête pendant toute la phase de mise en état, soit tant que les débats n’ont pas été clôturés par une ordonnance de clôture.

En pratique, il peut être observé que ce sont les parties qui, le plus souvent, seront à l’initiative de l’ouverture de l’enquête.

?La demande de contre-enquête

  • Principe
    • L’article 204 du Code de procédure civile prévoit que « lorsque l’enquête est ordonnée, la preuve contraire peut être rapportée par témoins sans nouvelle décision. »
    • Il ressort de cette disposition que, en cas d’ouverture d’une enquête aux fins d’audition de témoins à la demande d’une partie, la partie adverse peut solliciter l’adoption de la même mesure sans qu’il soit besoin qu’une décision soit prise par le juge.
    • En d’autres termes, le défendeur pourra demander l’audition de témoins sans avoir à obtenir un accord de la juridiction ; .la demande de contre-enquête est de droit.
  • Tempérament
    • Par exception, le défendeur devra formuler une demande d’ouverture d’enquête auprès du juge dans l’hypothèse où il solliciterait l’établissement de faits différents de ceux articulés par l’autre partie.
    • Parce que cette demande porte sur des faits non visés dans l’enquête initiale, elle requiert l’adoption d’une nouvelle décision.
    • Pareille mesure d’instruction ne doit pas être confondue avec la contre-enquête : elle porte le nom d’enquête respective.
    • À cet égard, pour qu’il soit fait droit à une demande d’enquête respective, la partie adverse devra alléger des faits suffisamment précis, faute de quoi le juge sera fondé à la débouter de sa demande (Cass. 2e civ. 18 juin 1975, n°74-11.316).

?La détermination des faits à prouver

Selon que l’enquête est ouverte à l’initiative des parties ou à l’initiative du juge, l’exigence tenant aux faits à prouver diffère :

  • L’enquête est ouverte à l’initiative d’une partie
    • Dans cette hypothèse, l’article 222, al. 1er du Code de procédure civile prévoit que « la partie qui demande une enquête doit préciser les faits dont elle entend rapporter la preuve. »
    • Il appartient donc au demandeur d’exposer dans sa demande d’ouverture d’enquête les faits sur lesquels portera le témoignage sollicité.
    • Cette exigence poursuit deux objectifs :
      • Premier objectif
        • Elle permet au juge d’apprécier la nécessité de la déposition et plus précisément de déterminer si elle est susceptible d’avoir une incidence sur la solution du litige.
        • Dans un arrêt du 27 avril 1977, la Deuxième chambre civile a jugé en ce sens que l’exposé des faits sur lesquels le témoignage sollicité a vocation à porter doit permettre au juge, dans l’exercice de son pouvoir souverain, d’une part, d’apprécier la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui sont soumis et, d’autre part, l’admissibilité des faits articulés à l’appui de la demande d’enquête (Cass. 2e civ. 27 avr. 1977, n°76-12.720).
      • Second objectif
        • L’exigence d’exposé des faits dans la demande d’enquête doit permettre à la partie adverse de préparer au mieux sa défense et de mobiliser le cas échéant toutes les ressources utiles aux fins d’apporter la contradiction au demandeur.
        • Dans un arrêt du 30 janvier 1974, la Cour de cassation a, par exemple, approuvé une Cour d’appel qui avait rejeté une demande d’enquête au motif que les faits énoncés étaient vagues et imprécis, de sorte que l’enquête sollicitée placerait le défendeur « dans l’impossibilité de préparer utilement sa défense » (Cass. 2e civ. 30 janv. 1974, n°73-10.462).
  • L’enquête est ouverte à l’initiative du juge
    • Dans cette hypothèse, l’article 222, al. 2e du Code de procédure civile prévoit qu’« il appartient au juge qui ordonne l’enquête de déterminer les faits pertinents à prouver. »
    • Cette disposition introduit manifestement une véritable dérogation au monopole des parties quant à l’allégation des faits.
    • Elle autorise, en effet, le juge à étendre son pouvoir d’instruction au-delà du périmètre des faits allégués par les parties.
    • Les faits visés par le juge doivent néanmoins être « pertinents » dit le texte ce qui signifie que le juge ne saurait solliciter une audition de témoins sur des faits dont ne dépendrait pas la solution du litige.
    • Aussi, le juge ne peut-il contraindre une personne à témoigner que si la déposition attendue est de nature à l’éclairer sur les faits litigieux.

En tout état de cause, dans la mesure où l’opportunité de diligenter une enquête relève du pouvoir souverain d’appréciation du juge, la décision finale d’ordonner une enquête lui revient.

Dans ces conditions, rien ne l’oblige à faire droit à une demande d’ouverture d’enquête émanant des parties.

?La désignation des témoins

Deux situations doivent être distinguées s’agissant de la désignation des témoins

  • L’enquête est ouverte à l’initiative des parties
    • L’article 223 du Code de procédure civile prévoit que « il incombe à la partie qui demande une enquête d’indiquer les nom, prénoms et demeure des personnes dont elle sollicite l’audition. »
    • Le texte poursuit en précisant que la même charge incombe aux adversaires qui demandent l’audition de témoins sur les faits dont la partie prétend rapporter la preuve
    • Dans l’hypothèse où les parties seraient dans l’impossibilité d’indiquer d’emblée les personnes à entendre, conformément à l’article 224 du Code de procédure civile, le juge peut, malgré tout, les autoriser :
      • soit à se présenter sans autres formalités à l’enquête avec les témoins qu’elles désirent faire entendre
      • soit à faire connaître au greffe de la juridiction, dans le délai qu’il fixe, les nom, prénoms et demeure des personnes dont elles sollicitent l’audition.
    • Si le juge opte pour la seconde option, la partie qui aura été autorisée à adresser au greffe les noms et coordonnées des témoins qu’elle entend faire déposer devra s’exécuter dans un certain délai sous peine de forclusion, c’est-à-dire d’irrecevabilité de sa demande.
    • Néanmoins, elle pourra toujours introduire auprès du juge une requête en relevé de forclusion qui donnera lui à une décision autorisant ou refusant la poursuite de la procédure d’enquête.
  • L’enquête est ouverte à l’initiative du juge
    • Dans cette hypothèse, l’article 223 du Code de procédure civile prévoit que « la décision qui prescrit l’enquête énonce les nom, prénoms et demeure des personnes à entendre. »
    • L’article 224 précise que lorsque l’enquête est ordonnée d’office, le juge, s’il ne peut indiquer dans sa décision le nom des témoins à entendre, enjoint aux parties de procéder comme il est dit à l’alinéa précédent.
    • Il dispose donc de la faculté de leur intimer :
      • soit de se présenter sans autres formalités à l’enquête avec les témoins qu’elles désirent faire entendre
      • soit de faire connaître au greffe de la juridiction, dans le délai qu’il fixe, les nom, prénoms et demeure des personnes dont elles sollicitent l’audition.
    • À l’analyse, il existe une troisième voie susceptible d’être empruntée par le juge ; il peut, en effet, choisir d’exercer le pouvoir qui lui est conféré par l’article 218 du Code de procédure civile.
    • Cette disposition prévoit que « le juge qui procède à l’enquête peut, d’office ou à la demande des parties, convoquer ou entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité. »

?La fixation des modalités de l’enquête

  • Désignation du juge en charge de l’enquête
    • L’article 225 du Code de procédure civile prévoit que « la décision qui ordonne l’enquête précise si elle aura lieu devant la formation de jugement, devant un membre de cette formation ou, en cas de nécessité, devant tout autre juge de la juridiction. »
    • Il ressort de cette décision que le juge qui est saisi de la demande d’ouverture d’enquête peut :
      • Soit y procéder lui-même
      • Soit désigner un autre juge pour assurer cette tâche
    • En tout état de cause, seul un juge peut être commis à la conduite de l’enquête ; il ne peut s’agir d’aucune autre personne, peu importe sa qualification ou sa profession.
    • Ne saurait donc être désigné pour entendre les témoins un huissier, un notaire ou encore un expert.
    • Par ailleurs, mention doit être faite dans la décision ordonnant l’enquête de la désignation du juge chargé d’y procéder.
    • Le juge désigné exercera alors la fonction de juge-commissaire ou de juge-enquêteur.
  • Lieu, date et heure de l’enquête
    • Il ressort de la combinaison des articles 226 et 227 que le calendrier de l’enquête est susceptible de différer selon que le juge désigné pour y procéder appartient ou non à la formation de jugement qui l’a ordonnée ou siège dans une autre juridiction.
    • Trois situations doivent être distinguées :
      • L’enquête est conduite par le jugé qui l’a ordonnée ou devant l’un des membres de la formation de jugement
        • Dans cette hypothèse, la décision ordonnant l’enquête doit mentionner les jours, heure et lieu où il y sera procédé (art. 226 CPC).
      • L’enquête est conduite par un juge qui n’appartient pas à la formation de jugement qui l’a ordonnée
        • Dans cette hypothèse, la décision qui ordonne l’enquête peut se borner à indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé (art. 227, al. 1er CPC).
      • L’enquête est conduite par un juge qui ne siège pas dans la juridiction d’où émane la décision qui l’a ordonnée
        • Dans cette hypothèse, la décision qui ordonne l’enquête doit préciser le délai dans lequel il devra être procédé à l’enquête (art. 227, al. 2e CPC).
        • Ce délai peut être prorogé par le président de la juridiction commise qui en informe le juge ayant ordonné l’enquête.
    • En tout état de cause, le juge commis pour conduire l’enquête doit fixer les jour, heure et lieu où il y sera procédé (art. 227, al. 3e CPC).
    • L’article 217 du Code de procédure civile précise que « si un témoin justifie qu’il est dans l’impossibilité de se déplacer au jour indiqué, le juge peut lui accorder un délai ou se transporter pour recevoir sa déposition. »

?Convocation des témoins

En application de l’article 228 du Code de procédure civile, « les témoins sont convoqués par le greffier de la juridiction huit jours au moins avant la date de l’enquête. »

Les convocations qui leur sont adressés doivent comporter deux séries de mentions :

  • Première série de mentions
    • La convocation doit mentionner les nom et prénoms des parties
  • Seconde série de mentions
    • La convocation doit reproduire les dispositions des deux premiers alinéas de l’article 207 du Code de procédure aux termes desquelles :
      • Les témoins défaillants peuvent être cités à leurs frais si leur audition est jugée nécessaire.
      • Les témoins défaillants et ceux qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros.
    • Ces deux mentions visent à rappeler aux témoins qu’ils ont l’obligation de prêter serment.
    • L’article 211 du Code de procédure civile prévoit en ce sens que les personnes qui sont entendues en qualité de témoins prêtent serment de dire la vérité.
    • A cet égard il appartient au juge de rappeler aux témoins qu’ils encourent des peines d’amende et d’emprisonnement en cas de faux témoignage.
    • S’agissant des personnes qui seraient entendues sans prestation de serment, elles sont informées de leur obligation de dire la vérité.

Les personnes qui seraient entendues sans prestation de serment, en raison de l’incapacité de témoigner dont elles seraient frappées, sont informées de leur obligation de dire la vérité.

S’agissant des parties, l’article 230 du Code de procédure civile prévoit qu’elles sont « avisées de la date de l’enquête verbalement ou par lettre simple. »

Cette information faite aux parties se justifie car, en application du principe du contradictoire, elles doivent pouvoir assister aux auditions.

B) Le déroulement de l’enquête

?Auditions

  • Ordre des auditions
    • Le juge entend les témoins en leur déposition séparément et dans l’ordre qu’il détermine (art. 208, al. 1er CPC).
  • Personnes présentes aux auditions
    • L’article 208 du Code de procédure civile prévoit que les témoins sont entendus en présence des parties ou celles-ci appelées.
    • Ainsi, les parties sont-elles autorisées à assister aux auditions.
    • La raison en est, l’observation du principe du contradictoire.
    • L’alinéa 2 du texte précise toutefois que, par exception, « le juge peut, si les circonstances l’exigent, inviter une partie à se retirer sous réserve du droit pour celle-ci d’avoir immédiatement connaissance des déclarations des témoins entendus hors sa présence. »
    • Si donc une partie n’est pas autorisée par le juge à assister à une audition, elle a néanmoins le droit d’obtenir la communication des déclarations formulées en dehors de sa présence, là encore par souci du respect du principe du contradictoire.
    • À la liste des personnes autorisées à assister aux auditions des témoins, il y a lieu d’ajouter également :
      • Les défendeurs de toutes les parties (art. 209 CPC)
      • Le ministère public (art. 163 CPC)
      • Les techniciens (art. 215 CPC)
  • Déroulement de l’audition
    • L’audition des témoins se déroule en plusieurs phases :
      • Identité
        • En application de l’article 210 du Code de procédure civile les témoins doivent déclarer :
          • leurs nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession
          • s’il y a lieu, leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles
        • Dans un arrêt du 16 mars 2010, la Cour de cassation a jugé que le mensonge d’un témoin sur l’un de ces éléments pouvait s’analyser en une escroquerie au jugement (Cass. crim. 16 mars 2010, n°09-86.403).
      • Prestation de serment
        • L’article 211 du Code de procédure civile poursuit en précisant que les personnes qui sont entendues en qualité de témoins ont l’obligation de prêter serment de dire la vérité.
        • À cet égard, le juge leur rappelle qu’elles encourent des peines d’amende et d’emprisonnement en cas de faux témoignage.
        • Pour rappel, en application de l’article 207 du Code de procédure civile, les témoins qui, sans motif légitime, refusent de déposer ou de prêter serment peuvent être condamnés à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros.
        • Quant aux personnes qui sont entendues sans prestation de serment, soit celles frappées d’une incapacité de témoigner, elles sont informées de leur obligation de dire la vérité.
      • Dépositions
        • Il s’infère de l’article 212 du Code de procédure civile que les dépositions des témoins doivent être orales et spontanées puisque, dit le texte, ils « ne peuvent lire aucun projet ».
        • L’article 214 précise, par ailleurs, que les parties ne doivent ni interrompre ni interpeller ni chercher à influencer les témoins qui déposent, ni s’adresser directement à eux, à peine d’exclusion.
        • Tout au plus, elles peuvent soumettre au juge des questions qu’il lui appartiendra de poser, s’il l’estime nécessaire, au témoin (art. 214, al. 2e CPC)
        • S’agissant précisément du juge, il peut entendre ou interroger les témoins sur tous les faits dont la preuve est admise par la loi, alors même que ces faits ne seraient pas indiqués dans la décision prescrivant l’enquête (art. 213 CPC).
        • À cet égard, à moins qu’il ne leur ait été permis ou enjoint de se retirer après avoir déposé, les témoins restent à la disposition du juge jusqu’à la clôture de l’enquête ou des débats.
        • Par ailleurs, ils peuvent, jusqu’à ce moment, apporter des additions ou des changements à leur déposition (art. 216 CPC).
        • Enfin, le juge peut, s’il le souhaite, entendre à nouveau les témoins, les confronter entre eux ou avec les parties ; le cas échéant, il procède à l’audition en présence d’un technicien (art. 215 CPC).

?Procès-verbal d’enquête

  • Établissement d’un procès-verbal
    • Principe
      • L’article 219 du Code de procédure civile prévoit que les dépositions doivent être consignées dans un procès-verbal.
    • Exception
      • Si les dépositions des témoins sont recueillies au cours des débats et non à l’occasion d’une audition dédiée, l’établissement d’un procès-verbal n’est pas nécessaire dit le second alinéa de l’article 219.
      • Il sera seulement fait mention dans le jugement du nom des personnes entendues et du résultat de leurs dépositions lorsque l’affaire doit être immédiatement jugée en dernier ressort.
      • S’agissant de l’exigence d’immédiateté de prononcé de la décision énoncée par l’article 219, la Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 22 février 1991 que cette exigence n’imposait pas que la décision soit rendue, après débats, à la même audience (Cass. ch. Mixte, 22 févr. 1991, n°86-41.309).
  • Contenu du procès-verbal
    • L’article 220 du Code de procédure civile prévoit que le procès-verbal doit faire mention :
      • de la présence ou de l’absence des parties
      • des nom, prénoms, date et lieu de naissance, demeure et profession des personnes entendues
      • s’il y a lieu, du serment par elles prêté et de leurs déclarations relatives à leur lien de parenté ou d’alliance avec les parties, de subordination à leur égard, de collaboration ou de communauté d’intérêts avec elles
    • Le juge peut consigner dans ce procès-verbal ses constatations relatives au comportement du témoin lors de son audition.
    • Les observations des parties sont consignées dans le procès-verbal, ou lui sont annexées lorsqu’elles sont écrites.
    • Les documents versés à l’enquête sont également annexés.
  • Signature du procès-verbal
    • Chaque personne entendue doit signer le procès-verbal de sa déposition, après lecture, ou le certifier conforme à ses déclarations, auquel cas mention en est faite au procès-verbal.
    • Le cas échéant, il est mentionné au procès-verbal si un témoin a refusé de le signer ou de le certifier conforme.
    • Enfin, le procès-verbal est daté et signé par le juge et, s’il y a lieu, par le greffier.

II) L’enquête sur-le-champ

Parce que l’enquête ordinaire suppose, pour être menée à bien, la mise en œuvre d’un formalisme rigoureux, ce qui dès lors est de nature à considérablement rallonger la durée de l’instruction de l’affaire, le législateur a institué, en 1973, l’enquête dite « sur-le-champ ».

Cette voie procédurale offre au juge une alternative à l’enquête ordinaire lui permettant de procéder de façon accélérée à l’audition de témoins.

Ainsi, l’article 231 du Code de procédure civile prévoit que « le juge peut, à l’audience ou en son cabinet, ainsi qu’en tout lieu à l’occasion de l’exécution d’une mesure d’instruction, entendre sur-le-champ les personnes dont l’audition lui paraît utile à la manifestation de la vérité. »

L’enquête sur-le-champ présente ainsi la particularité de pouvoir être mise en œuvre sans qu’il soit nécessaire d’observer les formalités préalables propres à l’enquête ordinaire, telles que la détermination du mode et du calendrier de l’enquête ou encore l’observation d’un délai de 8 jours avant l’audition des témoins.

Elle demeure en revanche soumise aux dispositions générales énoncées aux articles 201 à 221 du Code de procédure civile, lesquelles sont applicables à toutes les formes d’enquête.

Les personnes susceptibles d’assister à l’enquête sur-le-champ sont ainsi les mêmes que celles pouvant être présentes à l’enquête ordinaire (art. 208 et 209 CPC).

Il en va de même pour le déroulement de l’audition des témoins qui doit également donner lieu à l’établissement d’un procès-verbal.

Surtout, le juge devra s’assurer que le principe du contradictoire est respecté, ce qui implique que les parties puissent discuter les dépositions des témoins entendus.