Le prêt à usage : notion

Présentation.- Le commodat, que l’on doit désormais appelé prêt à usage (Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 – art. 10), est le prêt d’une chose non consomptible au premier usage. Il s’agit, dans l’esprit des rédacteurs du code civil – et des romains qui l’ont inventé dès l’époque classique (env. – II ante christum + II s.) –, d’un service d’ami. Ceci le cantonne bien souvent au domaine du non-droit. Le prêt d’un code civil, d’un stylo ou d’un vêtement n’a normalement pas vocation à être porté devant les tribunaux. Du moins quand tout se passe bien et surtout lorsque la chose prêtée n’est pas trop précieuse…

Mais le prêt à usage tend aujourd’hui à sortir du cercle amical auquel ses origines l’avaient cantonné. Signe des temps, le prêt à usage de plus en plus prend place dans les relations d’affaires. Les magasins à grandes surfaces, pour ne citer qu’eux, nous prêtent bien le chariot à l’aide duquel nous faisons nos courses. Devons-nous pour autant les considérer comme nos amie ? Il faudra dire un mot de cette évolution et de ses répercussions.

Les choses que l’on peut prêter à usage.- On l’a dit, le commodat ne peut porter que sur des choses non consomptibles au premier usage. Ainsi du grain, des cigarettes, de l’argent ne peuvent-ils pas faire l’objet d’un tel contrat. Ces choses ressortissent du prêt de consommation (voy. l’article “Le prêt de consommation : notion”).

Il faut toutefois nuancer cette affirmation, dans la mesure où il est tout à fait possible de prêter à usage une chose consomptible si l’emprunteur promet de ne pas la consommer : le prêt d’un timbre ou d’une bouteille de vin en vue d’une exposition sont des prêts à usage et non des prêts de consommation (voy. l’article “Le(s) prêt(s) : vue d’ensemble”).

Au-delà, l’art. 1878 c.civ. dispose que tout ce qui est dans le commerce (…) peut faire l’objet d’une convention. Ainsi toute chose, meuble ou immeuble est susceptible d’être prêtée (v. déjà en ce sens art. 1128 anc. c.civ. : « il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions. Notion qui a été supprimée à la faveur de la réforme du droit commun des contrats mais qui figure toujours en bonne place (et à juste raison) en droit de la vente – contrat qui était le plus usité au jour de la codification napoléonienne art. 1598). On peut prêter sa maison à un ami, ou son cheval. De même, le prêt à usage concerne les choses corporelles comme incorporelles : il est tout à fait possible de prêter une marque ou un droit de chasse.

Mais l’objet du prêt se limite aux choses, à l’exclusion des personnes. On ne saurait donc prêter un joueur de foot par exemple. C’est un abus de langage. Le contrat de « prêt de main d’œuvre » n’est pas un prêt à usage. C’est un contrat d’entreprise dont la licéité est exceptionnelle.

« Simplification » du droit.- La loi no 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit a supprimé le mot « commodat » du code civil pour le remplacer par « prêt à usage ». La simplification, le mot est à la mode. Il importe de saluer cette extraordinaire performance simplificatrice du législateur moderne. Il faut encore féliciter ce dernier d’avoir mis les coconctractants à l’abri du changement de mode. Pourquoi cela ? Parce que le législateur a omis de rectifier le chapitre sous lequel la nature de ce contrat est détaillée, qui reste intitulé « Du prêt à usage ou du commodat ». Il faut bien dire que la mode, çà va, çà vient ! Plus sérieusement, il y aurait beaucoup à dire en terme de légistique… (ensemble des règles, principes et méthodes qui doivent être observés dans la préparation des textes normatifs. En bref : science de l’écriture de la loi).

Définition.- L’article 1875 c.civ. définit le commodat comme le contrat « par lequel l’une des parties livre une chose à l’autre pour s’en servir, à la charge de la rendre après s’en être servi ». L’article 1876 c.civ ajoute que « ce prêt est essentiellement gratuit », tandis que l’article 1877 c.civ. précise que « le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée », ce qui explique in fine que l’article 1878 c.civ. confirme que seules sont concernées les choses qui ne se consomment pas par l’usage.

De cette série de précisions se déduisent les caractères distinctifs de la notion de prêt à usage :

– l’usage, c’est à dire l’autorisation donnée à l’emprunteur de se servir de la chose (Section 1) ;

– la nécessité d’une restitution en nature, qui se déduit du fait que le prêteur reste propriétaire de la chose (ce qui serait différent avec une chose consomptible, dont la remise en vue de l’usage est nécessairement translative de propriété, v. infra) (section 2) ;

– la gratuité (section 3).

Section 1.- L’usage

L’emprunteur a le droit de se servir de la chose, c’est le but du contrat de prêt. Mais ceci ne l’autorise pas pour autant à en faire n’importe quoi. De même que dans le bail la chose louée possède une destination (voy. not. l’article “Le bail de droit commun : les obligations du preneur à bail”), la chose prêtée doit être utilisée pour l’usage convenu (ou à défaut son usage normal ; ex. une voiture routière roule sur la route, un cheval de course ne saurait être attelé pour travailler dans les champs – souvenez-vous de la nouvelle de Kleist « Michel Kohlhaas », etc…).

Ce droit d’usage distingue le prêt du dépôt et du gage avec dépossession (art. 2337, al. 2, c.civ.). Dans ces trois cas de figure, la chose est remise au dépositaire ou au gagiste, mais la loi leur fait interdiction d’en user (art. 1930 c.civ. – dépôt – art. 2344, al. 1, c.civ. – gage -).

Il est à noter que cet usage est facultatif pour l’emprunteur. Celui auquel la chose est prêtée peut s’en servir s’il veut. Mais il n’en a pas l’obligation. En réalité, un contrat aux termes duquel celui qui reçoit la chose, sans contrepartie monétaire, a l’obligation d’en user serait un contrat d’entreprise. Ex. du contrat de sponsoring.

Section 2.- La restitution en nature

Essentialia.- Le prêt à usage n’est pas un contrat translatif : le prêteur reste propriétaire, rappelle l’article 1877 c.civ. L’emprunteur doit donc restituer, et plus précisément restituer en nature : c’est la chose même qui lui a été prêtée qu’il doit rendre. Autrement dit, l’obligation de restitution est de l’essence du prêt à usage : sans restitution, pas de prêt.

Prêt et don manuel.- Le point peut faite difficulté en pratique, comme en témoigne l’abondant contentieux relatif aux bagues de fiançailles. La bague plus ou moins onéreuse achetée chez le bijoutier du coin ne pose guère de problème : la qualification de don manuel ne fait aucun doute. Mais quid des bijoux de famille au jour de la rupture du lien matrimonial ? L’intention du mari, était-elle de donner, ou bien de prêter pendant le temps où l’épouse ferait partie de la famille ? La jurisprudence semble bien considérer en ce cas qu’il s’agit d’un prêt : les bijoux de famille ne sont donc remis qu’à charge de restitution (Cass. 1ère civ., 30 oct. 2007, n° 05-14258, inédit).

Emballages consignés.- Autre difficulté, relative cette fois aux emballages consignés : sont-ils seulement prêtés au consommateur – la somme consignée s’analysant alors en un dépôt de garantie – ou font-ils l’objet d’une vente avec promesse d’achat ? La jurisprudence admet les deux solutions. Il semble cependant qu’il n’y ait là qu’une vente, dans la mesure où le consommateur ne semble aucunement débiteur d’une obligation de restitution. Après tout, celui-ci peut très bien garder la bouteille, ou la jeter à la poubelle, en acceptant de perdre la consigne. De plus, et l’on y reviendra, l’opération semble déroger à l’impératif de gratuité du prêt à usage (qui est un contrat essentiellement gratuit au sens de l’article 1876 c.civ.). Après tout, le prêt de l’emballage n’a pour objet que de permettre l’achat par le consommateur du produit qu’il contient. Peut être y a-t-il là pour la théorie des ensembles contractuels indivisibles un terrain d’expression insoupçonné…

Cuves de pétrole.- On se souvient qu’à l’époque de la « chasse à l’indétermination du prix » (dans les contrats cadre de distribution), les contrats de pompistes prévoyaient la mise à disposition de cuves de stockage de produits pétroliers par les fournisseurs à leurs clients. Il s’agissait alors d’un prêt un peu embarrassant dans la mesure où la fin du contrat entraînait logiquement l’obligation de les restituer… ce qui supposait en pratique de les extraire de la station-service qui avait été construite au-dessus d’elles. Les clauses imposant la restitution en nature furent finalement déclarées illicites au regard du droit de la concurrence (Com., 18 févr. 1992, n° 87-12844, Bull. civ. IV, n° 56) : le coût prohibitif de la restitution décourageait les pompistes de changer de compagnie, ce qui portait atteinte au libre jeu de la concurrence. Les compagnies durent alors commuer la restitution en nature en une restitution par équivalent (v. depuis l’art. 1227 nouv. c.civ. si l’exécution en nature est trop coûteuse alors le juge peut préférer une exécution par équivalent). Il n’est pas certain qu’il y ait encore un prêt dans ces conditions. Car si le pompiste peut restituer autre chose, c’est qu’il acquiert la propriété de ce qui lui a été remis. Mieux vaut certainement y voir un échange (cas où le contrat impose la restitution d’une autre cuve) ou une promesse de vente (cas où le contrat impose la restitution du prix de la cuve).

Section 3.- La gratuité

Service d’ami.- Le prêt à usage est traditionnellement un service d’ami, ce qui explique que la gratuité soit de son essence. Autrement dit, la stipulation d’un prix est exclusive de la qualification de commodat. Cette gratuité est du reste l’explication de la totalité de son régime : c’est parce qu’il est désintéressé que le prêteur est particulièrement favorisé par rapport au droit commun (responsabilité allégée, possibilité de restitution anticipée, impossibilité de se voir opposer un droit de rétention par l’emprunteur).

Cette gratuité distingue le prêt à usage du bail : la remise d’une chose non consomptible en vue de son usage en échange d’un prix est une location.

Évolution : les « amis » intéressés.- De plus en plus, le prêt à usage se départit « par la bande », si vous me passez l’expression, de son caractère de gratuité. Ainsi du « prêt » d’une cuve de pétrole par une compagnie pétrolière ou d’un chariot par une grande surface. En elles-mêmes, ces dispositions sont gratuites, mais elles ne sont absolument pas désintéressées. Si la grande surface prête un chariot, c’est pour que le consommateur ait les mains libres pour acheter plus.

Dans ces conditions, ces mises à dispositions sont-elles encore des prêts ? La jurisprudence ne se résigne pas à le contester. Mais elle adapte dans ces hypothèses le régime du prêt, en évinçant au profit de l’« emprunteur » toutes les règles favorables au prêteur qui ne se justifient que par son désintéressement et en particulier, le caractère allégé de sa responsabilité.

Peut être faut-il aller plus loin en disqualifiant ces conventions pour n’en faire qu’un élément accessoire – innomé – des opérations commerciales qu’elles permettent.

Le(s) prêt(s) : vue d’ensemble et consomptibilité

Premières vues.- L’idée de base est simple : le prêt est le contrat par lequel une personne, le prêteur, remet une chose à une autre, l’emprunteur, pour que celle-ci s’en serve puis la lui restitue.

Il s’agit d’un contrat très ancien : son ancêtre, le mutuum (une sorte de prêt de denrées ou d’argent), date de la fin de l’ancien droit romain, c’est à dire du début du IIIème siècle avant J.-C.

Le prêt ce sont : une chose, un prêteur, un emprunteur, un usage, une restitution… Malheureusement, l’analyse globale du contrat de prêt s’arrête là.

La législation qui nous occupe vient en droite ligne du droit romain, cela vient d’être dit. C’est à ce droit qu’on doit la grande distinction entre deux sortes de prêts (le commodatum et le mutuum) ainsi que leurs caractères essentiels. Le droit positif les a recueillis au terme d’une chaîne d’héritages sans déperdition ni rupture. L’Ancien droit a repris l’œuvre de Gaïus (jurisconsulte du IIe s., auteur des Institutes qui sont un manuel d’enseignement du droit romain à l’adresse des étudiants). Pothier a repris l’Ancien droit dans ses traités sur le prêt. Les rédacteurs du Code civil ont repris l’œuvre de Pothier. Les différences entre les enseignements de Pothier et les règles du Code civil sont rares et de peu d’importance. C’est dire que son traité demeure aujourd’hui encore une référence obligée chaque fois qu’il est nécessaire d’interpréter les dispositions du code ou d’en combler les silences (F. Grua, Juris-cl., art. 1874, Distinction entre le prêt à usage et le prêt de consommation).

Des branches, pas de tronc.- Le Code civil ne traite pas du prêt en général. Le titre X du Livre III du Code civil pourtant intitulé « Du prêt » au singulier ne comporte aucune disposition qui vaille de manière générale pour n’importe quel contrat de prêt. Au contraire, le législateur énonce d’emblée qu’il y a plusieurs sortes de prêts, en l’occurrence deux sortes de prêts : celui des choses que l’on peut user sans les détruire – le prêt à usage (ou commodat) – et celui des choses qui se consomment par l’usage qu’on en fait – le prêt de consommation (C.civ., art. 1874).

Le prêt est une opération pratique, commune et bien identifiée. Il consiste à remettre quelque chose à quelqu’un pour qu’il s’en serve, à charge de restitution. Et pourtant, il n’existe pas de droit commun du prêt, mais deux régimes différents, suivant que la chose prêtée est ou non consomptible. Le professeur Grua l’écrivait avec son sens de la formule : en la matière « il n’y a que des branches, il n’y a pas de tronc » (F. Grua, art. préc., n° 2).

Pour l’essentiel, le prêt à usage est conçu pour un service qui ne fait pas disparaître la chose prêtée, à la différence du prêt de consommation.

Critère de distinction – détermination. Le critère de la consomptibilité de la chose, retenu par le Code civil est douteux. Il correspond sans doute à ce que les parties ont le plus souvent voulu : lorsqu’une chose consomptible est prêtée, c’est généralement pour que l’emprunteur la consomme et, lorsqu’elle n’est pas consomptible, c’est généralement pour que l’emprunteur en fasse usage en épargnant la substance. Mais il y a des hypothèses où il n’en est pas ainsi. Il n’est pas impossible que la chose prêtée soit consomptible, mais que les parties aient préféré conclure un prêt à usage. Pothier cite l’exemple du comptable de deniers publics qui, pour pallier le déficit de sa caisse lorsque l’inspecteur passera, emprunte à un ami, à charge de restituer les mêmes espèces sitôt la vérification terminée. À l’inverse, il y a des hypothèses où la chose prêtée n’est pas consomptible, mais où pourtant les parties ont entendu se soumettre aux règles du prêt à la consommation. On cite ordinairement en ce sens, le cas du libraire qui emprunte un livre à un confrère pour ne pas manquer une vente (Marcadé, Explication théorique et pratique du Code civil, t. VIII, Des petites contrats, Delamotte, 2ème éd., 1877, n° 10).

Critère de distinction – fonction. La fonction du critère de distinction est de servir de présomption dans la recherche de la volonté des parties concertant les règles à appliquer au contrat qu’elles ont conclu. Telle est certainement la véritable signification de l’article 1874 : commander au juge de présumer que les parties ont entendu s’en remettre aux règles du code sur le prêt de consommation lorsque la chose prêtée est consomptible, ou aux règles sur le prêt à usage dans l’hypothèse contraire. Cela signifie que l’une ou l’autre des règles du code régissant le prêt peut être écartées toutes les fois que les parties l’ont exprimé ou qu’il s’en déduit clairement des circonstances.

Le critère de la consomptibilité peut donc être conservé, en dépit de son inexactitude, du moment qu’il correspond à la généralité des cas. Dans les hypothèses marginales où cette présomption n’exprime pas la vérité, cette dernière pourra être rétablie au moyen de la preuve de la volonté contraire des parties. À tout prendre, ce critère présomptif est certes approximatif, mais il vaut mieux que la recherche directe de la volonté des parties sur la nature du contrat que préconise un certain nombre d’auteurs, car il limite les risques d’interprétation divinatoire de cette volonté par les juges.