==>Domaine et caractère supplétif
L’article L. 121-8 figure parmi les « règles relatives aux assurances de dommages » : il s’applique donc aussi bien aux assurances de choses qu’aux assurances de responsabilité. Par principe, les pertes et dommages « occasionnés » par la guerre (étrangère ou civile), les émeutes ou les mouvements populaires sont exclus de la garantie, sauf convention contraire. Autrement dit, l’assureur peut décider de couvrir tout ou partie de ces risques (plafonds, franchises, conditions particulières), mais le régime probatoire du deuxième alinéa est d’ordre impératif dès lors que le contrat ne les couvre pas. À noter enfin que les anciennes exclusions légales prévues en assurances de personnes ont été abrogées par la loi du 31 décembre 1989 : la matière est désormais cantonnée aux assurances de dommages.
==>Répartition de la charge de la preuve
Le texte distingue nettement deux situations. En cas de guerre étrangère, la loi fait peser sur l’assuré la preuve que le sinistre résulte d’un fait autre qu’un fait de guerre ; la Cour de cassation l’a posé très tôt et de manière constante (Cass. civ., 18 mars 1946 ). À l’inverse, si le sinistre est imputé à une guerre civile, une émeute ou un mouvement populaire, c’est à l’assureur d’établir le rattachement causal au fait visé par l’article L. 121-8, al. 2. Précision utile : cette répartition, attachée au caractère non couvert du risque par le contrat, cède si les parties ont stipulé une garantie « guerre/émeutes » ; dans ce cas, on revient au droit commun de la preuve, conformément au caractère supplétif de l’alinéa 1er.
==>Lien de causalité requis
La jurisprudence exige un lien étroit entre le dommage et une opération de guerre ou un fait de troubles, sans exiger que ce soit la cause unique : il suffit que ce fait ait exercé sur la création ou l’aggravation du sinistre une influence déterminante (Cass. civ., 24 juill. 1945).
Ainsi, entre dans le champ de l’exclusion la destruction ou l’empêchement des moyens de secours due à la guerre, qui a permis la propagation d’un incendie ; l’influence des opérations militaires est alors décisive. De même, des accidents survenus au cours de l’exode de juin 1940, dans le désarroi d’une invasion, ont pu justifier l’exclusion au vu des circonstances (Cass. civ., 16 juill. 1947).
À l’inverse, un simple état de troubles ne suffit pas : un vol commis en Algérie durant la guerre civile ne peut être exclu sans fait particulier révélant l’emprise des événements sur la réalisation du sinistre (Cass. 1re civ., 23 févr. 1966). C’est cette même exigence de faits concrets qui a conduit la Cour à censurer un arrêt se bornant à constater la guerre civile au Liban pour justifier des avaries subies par des marchandises : il appartenait aux juges de relever des circonstances précises (blocage du port, impossibilité d’acheminer, etc.) ayant aggravé les dommages (Cass. 1re civ., 24 mars 1992).
Cette exigence de causalité joue aussi a contrario lorsque les dommages ne procèdent plus d’opérations de guerre à proprement parler : les sinistres provoqués après la fin des hostilités par l’explosion d’engins non désamorcés ne relèvent pas, en principe, de l’exclusion légale, sauf extension contractuelle (CA Bordeaux, 16 mai 1956, confirmé par Cass. civ., 29 juin 1967). La ligne directrice demeure la même : prouver qu’un fait de guerre, ou un fait étroitement lié aux troubles, a joué un rôle déterminant dans la survenance ou l’extension du sinistre.
==>Émeute et mouvement populaire : contours
À défaut de définition légale, la pratique et la doctrine retiennent l’idée d’une manifestation violente de la foule entraînant des désordres et des actes illégaux. La spontanéité n’est pas une condition : la qualification n’est pas exclue parce que le mouvement est organisé (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-24.116). Des piquets de grève bloquant l’accès des salariés, mis en place à l’instigation d’un meneur, peuvent ainsi constituer un « mouvement populaire » (Cass. civ., 11 déc. 1942).
En revanche, la Cour de cassation refuse que de simples considérations générales sur l’insécurité ambiante suffisent (Cass. 1re civ., 30 janv. 1967). À l’autre bout du spectre, la qualification a été admise lorsqu’une série d’agressions concertées contre des établissements bancaires procédait manifestement d’un plan d’ensemble subversif (Cass. 1re civ., 27 janv. 1969). Enfin, on relève des décisions plus discutées d’assimilation conventionnelle à la « guerre civile » d’actes commis par des groupuscules violents (Cass. 1re civ., 6 juin 1990) : elles illustrent que, si la police le prévoit, la qualification peut se jouer aussi sur le terrain contractuel, à charge pour les juges d’en contrôler la pertinence au regard des faits.
==>Effets pratiques en responsabilité civile
L’article L. 121-8 opère une délimitation par la cause du sinistre (guerre/émeutes/mouvements populaires) ; il ne module pas la garantie en fonction de la gravité d’une faute. C’est pourquoi son empire n’est pas contrarié par l’ordre public de l’article L. 121-2, qui, en responsabilité civile, interdit les clauses d’exclusion fondées sur la nature ou la gravité des fautes des personnes dont l’assuré répond. La Cour de cassation l’a expressément jugé : la règle spéciale de L. 121-8 prime et peut écarter la garantie, y compris en RC, sans heurter L. 121-2 (Cass. 2e civ., 22 nov. 2012). Autrement dit, l’article L. 121-8 prévoit — par défaut et sauf clause contraire — une exclusion liée à la cause du sinistre (guerre, émeutes, mouvements populaires). Ce n’est pas une exclusion fondée sur la faute ou sa gravité, celles-ci étant prohibées en responsabilité civile par l’article L. 121-2.
==>Justification économique et cohérence d’ensemble
La raison d’être de ce régime tient à l’assurabilité technique : guerres et grands troubles produisent des sinistres massifs et corrélés, incompatibles avec la mutualisation ordinaire. Le législateur laisse donc aux parties la liberté d’assurer ces risques (au besoin par des aménagements contractuels), et fixe la répartition de la preuve quand ces risques ne sont pas garantis : en cas de guerre étrangère, à l’assuré de démontrer que le sinistre a une cause différente ; en cas de guerre civile, d’émeute ou de mouvement populaire, à l’assureur d’établir que le sinistre en résulte. La construction demeure cohérente avec le régime spécifique des attentats/actes de terrorisme : ceux-ci font l’objet d’une garantie légale obligatoire en assurance de biens (C. assur., art. L. 126-2), tandis que les dommages corporels sont pris en charge par la solidarité nationale via le Fonds de garantie (C. assur., art. L. 126-1) — ce qui souligne, par contraste, que L. 121-8 organise une exclusion supplétive pour des événements d’une autre nature et d’une autre échelle.
