L’innovation majeure de la loi du 23 octobre 2023 réside dans l’instauration d’un « devoir de conseil dans la durée » qui prolonge les obligations du distributeur au-delà de la formation du contrat. Cette évolution s’articule autour d’un mécanisme d’actualisation périodique du conseil et d’obligations spécifiques lors des opérations affectant le contrat.
Nous nous focaliserons ici sur le conseil devant accompagner les opérations affectant le contrat d’assurance vie.
Au-delà de l’actualisation périodique, la loi du 23 octobre 2023 complète le dispositif en instaurant une obligation de conseil déclenchée par certaines opérations. L’article L. 522-5, III, 3° du Code des assurances soumet désormais le distributeur à un devoir de conseil « à l’occasion de toute opération susceptible d’affecter le contrat de façon significative ».
Cette disposition révèle une logique nouvelle : elle fait de chaque intervention importante sur le contrat l’occasion d’une réévaluation de son adéquation. Contrairement au conseil périodique qui intervient selon un calendrier prédéterminé, ce conseil « à la demande » se déclenche au gré des initiatives de l’épargnant, transformant chaque versement, arbitrage ou rachat substantiel en moment de vérification de la pertinence du contrat.
Cette innovation marque une rupture conceptuelle majeure. Là où l’épargnant pouvait jusqu’alors modifier librement son contrat, toute opération d’ampleur devient désormais prétexte à un nouvel examen de ses besoins et de la cohérence de sa stratégie patrimoniale.
I. La définition des opérations déclenchant l’obligation de conseil
Il faut définir quelles opérations justifient ce nouveau conseil. L’arrêté du 12 juin 2024 établit des seuils chiffrés pour éviter qu’un distributeur soit tenu de conseiller à chaque micro-opération.
Le système retenu distingue selon l’importance du contrat. Pour les contrats de moins de 100 000 euros, toute opération de 2 500 euros minimum et représentant au moins 20 % de l’encours déclenche l’obligation. Pour les contrats plus importants (100 000 euros et plus), les seuils montent à 30 000 euros et 25 % de l’encours.
Cette graduation s’explique aisément : une opération de 5 000 euros sur un contrat de 25 000 euros (soit 20 %) peut bouleverser significativement la stratégie d’épargne, tandis que la même somme sur un contrat de 500 000 euros demeure marginale.
Le dispositif prévoit une exception notable : tout investissement dans les actifs non cotés visés à l’article L. 132-5-4 déclenche automatiquement le conseil, quel que soit le montant. Cette règle absolue traduit la méfiance du législateur envers ces supports complexes et souvent illiquides, dont les risques justifient un accompagnement systématique.
II. La différenciation du conseil selon la nature de l’opération
Le contenu du conseil varie selon le type d’opération envisagée.
==>Pour les versements et arbitrages
Le distributeur doit justifier ses préconisations. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 l’oblige à « exposer les raisons qui ont motivé la préconisation des supports et de l’allocation proposés au regard du profil de risque de l’adhérent ». En pratique, cela signifie qu’il ne peut plus se contenter de proposer un placement : il doit expliquer pourquoi ce placement convient à ce client précis.
Cette exigence atteint son intensité maximale pour les unités de compte non cotées. Ces supports, par leur complexité et leur illiquidité potentielle, appellent un devoir d’alerte renforcé. Le distributeur doit alors exposer clairement les risques spécifiques de ces placements : absence de cotation quotidienne, difficultés de sortie, volatilité accrue, ou encore opacité des actifs sous-jacents. Cette vigilance particulière s’inscrit dans une jurisprudence constante qui impose une information adaptée à la sophistication du produit proposé.
==>Pour les rachats
Les rachats appellent une attention particulière car leurs conséquences sont souvent irréversibles. L’ACPR impose trois obligations principales:
- D’abord, lorsque le rachat intervient avant huit ans, le distributeur doit informer de ses conséquences fiscales. Cette obligation répond à une logique patrimoniale évidente : l’assurance vie constituant souvent un instrument d’optimisation fiscale, un rachat prématuré peut anéantir l’avantage recherché et compromettre la stratégie globale de l’épargnant.
- Ensuite, duand le rachat concerne une unité de compte bénéficiant d’une garantie en capital, le distributeur doit avertir de la perte irréversible de cette protection. Cette vigilance se justifie pleinement : la garantie perdue ne peut être reconstituée, et sa disparition peut contrarier fondamentalement les objectifs de sécurisation poursuivis par l’épargnant.
- Enfin, pour les unités de compte non cotées, le distributeur doit révéler l’existence d’éventuelles pénalités de rachat. Ces indemnités, parfois substantielles, peuvent considérablement réduire le produit de l’opération et doivent être intégrées dans l’évaluation de son opportunité.
==>Pour les changements d’orientation de gestion
Toute modification de la stratégie d’investissement exige une justification circonstanciée qui transcende la simple recommandation commerciale. Le distributeur doit expliquer les raisons qui motivent le conseil de cette nouvelle orientation au regard de la capacité à subir des pertes de l’adhérent et de son profil de risque.
Cette obligation suppose une démarche méthodique en plusieurs étapes. Le distributeur doit d’abord actualiser le profil du client, en vérifiant que ses caractéristiques patrimoniales, ses objectifs et sa tolérance au risque n’ont pas évolué. Il doit ensuite analyser l’adéquation de la nouvelle stratégie avec cette situation actualisée, en démontrant que le changement préconisé améliore effectivement la correspondance entre le contrat et les besoins de l’épargnant.
Cette approche révèle l’ambition du législateur de transformer chaque intervention sur le contrat en occasion de vérification de sa pertinence globale. Le distributeur ne peut plus concevoir les modifications de manière isolée mais doit les inscrire dans une vision patrimoniale cohérente et évolutive.
III. Les exigences organisationnelles
L’effectivité du conseil dans la durée impose aux distributeurs une profonde transformation de leur organisation. Cette mutation dépasse la simple adaptation réglementaire pour questionner l’ensemble des processus commerciaux et des outils de gestion de la relation client.
Le défi principal réside dans la conciliation de deux exigences apparemment contradictoires: fournir un conseil approfondi tout en préservant la fluidité des opérations. La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 impose au distributeur de « mettre en place des moyens suffisants et proportionnés pour permettre la fourniture d’un conseil dans un délai permettant de ne pas retarder l’opération ou entraîner la réalisation de l’opération dans des conditions moins favorables ».
Cette contrainte s’avère particulièrement critique pour les opérations de marché. Un versement différé ou un arbitrage retardé peut faire perdre à l’épargnant le bénéfice d’une conjoncture favorable ou l’exposer à une évolution défavorable des cours. Le conseil, conçu pour protéger l’épargnant, ne doit pas se retourner contre lui par excès de formalisme.
Face à cette équation complexe, la digitalisation s’impose comme une solution incontournable. L’ACPR préconise le développement d’« outils en ligne qui permettent d’automatiser l’actualisation des informations » et la mise en place de « formulaires permettant de collecter les informations nécessaires ».
Cette transformation technologique suppose la mise en place de questionnaires en ligne adaptatifs, capables de cibler les informations pertinentes selon le type d’opération envisagée. Elle exige également le développement d’algorithmes de scoring permettant d’évaluer rapidement l’adéquation de l’opération avec le profil client actualisé.
L’enjeu dépasse la simple efficacité opérationnelle pour toucher à la qualité même du conseil. Les outils numériques doivent permettre une personnalisation fine des recommandations, en intégrant l’ensemble des paramètres patrimoniaux et familiaux de l’épargnant. Cette ambition suppose des investissements technologiques substantiels et une refonte complète des systèmes d’information.
Toutefois, cette logique d’efficacité connaît une limite absolue que pose l’ACPR : « la formalisation du conseil ne peut jamais conduire au non-respect des exigences contractuelles et réglementaires en matière de délais de règlement et de valorisation ». Cette priorité accordée aux délais traduit un équilibre délicat entre protection renforcée et fluidité opérationnelle.
En pratique, cette contrainte impose aux distributeurs de concevoir des processus de conseil suffisamment agiles pour s’adapter aux urgences opérationnelles. Elle suppose également la mise en place de procédures dégradées permettant de traiter les demandes lorsque le conseil complet ne peut être délivré dans les délais impartis.
Cette évolution dessine les contours d’une nouvelle organisation de la distribution d’assurance vie. Le distributeur traditionnel, organisé autour de la vente ponctuelle, doit se transformer en conseiller patrimonial permanent, capable d’accompagner l’évolution des besoins de ses clients sur la durée.
Cette mutation suppose une révision complète des modèles économiques, des compétences requises et des outils de travail. Elle exige également une adaptation des systèmes de rémunération, pour valoriser l’accompagnement dans la durée autant que l’acte de vente initial.
L’enjeu final demeure la capacité des distributeurs à concilier excellence du service client et efficacité commerciale, dans un environnement réglementaire de plus en plus exigeant et complexe.
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