Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Le devoir de conseil lors de l’exécution du contrat d’assurance vie : l’actualisation périodique du conseil

L’innovation majeure de la loi du 23 octobre 2023 réside dans l’instauration d’un « devoir de conseil dans la durée » qui prolonge les obligations du distributeur au-delà de la formation du contrat. Cette évolution s’articule autour d’un mécanisme d’actualisation périodique du conseil et d’obligations spécifiques lors des opérations affectant le contrat.

Nous nous focaliserons ici sur l’actualisation périodique du conseil.

I. Le principe de l’évaluation quadriennale

L’innovation la plus remarquable de la loi du 23 octobre 2023 réside dans l’institution d’une obligation d’actualisation périodique du conseil qui révolutionne la temporalité de l’accompagnement en assurance vie. L’article L. 522-5, III, 2° du Code des assurances consacre désormais une démarche proactive d’évaluation qui transcende la logique traditionnelle du conseil ponctuel pour instituer un véritable suivi dans la durée.

La périodicité de l’obligation d’actualisation n’est pas uniforme : elle dépend du degré d’accompagnement offert par le distributeur, un délai réduit s’appliquant lorsque celui-ci fournit un service de recommandation personnalisée. Le législateur a ainsi prévu un délai de quatre ans pour les contrats bénéficiant d’un conseil standard, tandis que ce délai est ramené à deux ans dans le cas d’un service à haute valeur ajoutée. Cette distinction repose sur une gradation des obligations professionnelles en fonction de l’intensité du conseil initialement fourni. Plus l’analyse du distributeur s’est révélée poussée lors de la souscription, plus le devoir de suivi s’impose à échéance rapprochée. L’obligation de conseil s’inscrit ainsi dans une logique évolutive, proportionnée à l’implication du professionnel et à la sophistication du service délivré au client.

Cette modulation procède d’une logique à la fois incitative et économique. En récompensant l’excellence du conseil par un engagement renforcé dans la durée, le dispositif encourage les distributeurs à développer une approche patrimoniale sophistiquée, tout en leur permettant de justifier la valeur ajoutée de leurs prestations les plus élaborées. L’articulation entre la qualité du service et l’intensité du suivi constitue ainsi un mécanisme d’émulation professionnelle particulièrement habile.

Le choix de ces périodicités s’avère remarquablement adapté aux spécificités de l’épargne assurantielle. Le délai quadriennal épouse naturellement les caractéristiques intrinsèques de l’assurance vie : horizon d’investissement structurellement long, stabilité relative des objectifs patrimoniaux, et faible fréquence des interventions sur les contrats. Cette périodicité évite l’écueil d’une surveillance excessive qui risquerait de dégénérer en harcèlement commercial, tout en prévenant l’abandon de l’épargnant à un produit potentiellement devenu inadéquat.

L’arrêté du 12 juin 2024 organise la mise en œuvre pratique de cette révolution conceptuelle avec un pragmatisme bienvenu. En fixant le point de départ de la première période d’observation au 24 octobre 2024, il ménage une transition équilibrée : les premières actualisations concrètes n’interviendront qu’en octobre 2028 pour les contrats standards et dès octobre 2026 pour les services personnalisés. Cette phase transitoire permet aux distributeurs d’adapter progressivement leur organisation et leurs systèmes d’information à cette nouvelle contrainte.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 accompagne cette montée en charge en appelant les professionnels à entreprendre dès maintenant les chantiers préparatoires nécessaires. Cette anticipation témoigne de l’ampleur de la transformation organisationnelle que suppose l’effectivité de ce nouveau devoir.

L’actualisation ainsi instituée transcende la simple prise de contact pour exiger une véritable mise à jour de la connaissance client. Le distributeur doit identifier et évaluer toutes les évolutions susceptibles d’affecter la pertinence du contrat : modifications de la situation familiale, professionnelle ou patrimoniale, évolution des objectifs d’investissement, variation de la tolérance au risque et de la capacité à subir des pertes, mais aussi nouvelles préférences de durabilité. Cette exigence d’exhaustivité traduit l’ambition d’une adaptation continue du produit aux besoins évolutifs de l’épargnant.

Lorsque cette évaluation révèle une inadéquation, naît une obligation de conseil correctif qui constitue l’une des innovations les plus significatives du dispositif. Le distributeur doit alors informer son client des écarts constatés et lui recommander les adaptations nécessaires sur support durable. Cette démarche proactive consacre un nouveau paradigme professionnel : le distributeur ne peut plus se contenter du seul acte de vente mais devient comptable d’un accompagnement patrimonial continu.

Toutefois, ce devoir d’actualisation respecte scrupuleusement l’autonomie du souscripteur. Si celui-ci refuse de répondre aux sollicitations ou maintient un silence prolongé malgré relance, le distributeur se trouve libéré de son obligation. Ce mécanisme de sauvegarde prévient toute dérive vers le démarchage commercial abusif tout en préservant la liberté individuelle.

Cette mutation du devoir de conseil, d’acte ponctuel en processus continu, marque une transformation paradigmatique de la relation contractuelle en assurance vie. Elle impose aux distributeurs un changement à la fois culturel et opérationnel, les plaçant désormais au cœur d’un accompagnement patrimonial dynamique et responsable.

II. L’actualisation en cas d’évolution de la situation du client

L’article L. 522-5, III, 1° impose au distributeur d’actualiser son devoir de conseil « lorsqu’il est informé d’un changement dans la situation personnelle et financière du souscripteur ou dans ses objectifs d’investissement ». Cette obligation marque l’avènement d’un conseil véritablement dynamique qui rompt avec la conception traditionnelle limitant les obligations du distributeur à la phase précontractuelle. Elle institue un devoir de veille permanent qui transforme la relation contractuelle d’une logique de vente unique vers un modèle d’accompagnement continu.

L’aspect révolutionnaire de cette disposition réside dans sa dimension transversale. Cette obligation s’applique que l’information soit recueillie dans le cadre du contrat d’assurance vie lui-même ou « dans le cadre de la gestion d’un autre contrat d’assurance ou de produits et services bancaires ». Cette approche globale bouleverse l’organisation traditionnelle en silos pour imposer une vision client intégrée.

Concrètement, un changement de situation professionnelle signalé lors d’une demande de crédit immobilier doit déclencher un réexamen des contrats d’assurance vie. Une évolution familiale (mariage, divorce, naissance, décès) mentionnée pour un contrat d’assurance automobile doit entraîner une vérification de la clause bénéficiaire en assurance vie. Un départ en retraite dans le cadre d’un plan d’épargne entreprise doit questionner l’ensemble de la stratégie d’épargne du client.

Cette transversalité de l’information marque une évolution significative vers une approche globale de la relation client. Elle suppose une coordination entre les différents services du distributeur et une circulation fluide de l’information pertinente. Cette exigence impose une refonte organisationnelle majeure : coordination entre tous les services client, formation des collaborateurs à l’identification des informations pertinentes quel que soit leur contexte de recueil, adaptation des systèmes d’information pour centraliser et partager les données dans le respect du RGPD.

La recommandation ACPR 2024-R-03 du 21 novembre 2024 illustre cette obligation : «lorsqu’un distributeur est informé de la perte d’emploi de l’adhérent ou du souscripteur dans le cadre d’un contrat d’assurance-emprunteur, ou du départ en retraite à l’occasion de la liquidation d’un contrat de retraite supplémentaire». Ces événements, captés dans un contexte spécifique, peuvent bouleverser l’ensemble de la stratégie patrimoniale et justifier une révision complète des contrats d’assurance vie.

L’actualisation doit être proportionnée à l’ampleur du changement. Une modification mineure des revenus peut justifier une simple vérification de la capacité d’épargne, tandis qu’un bouleversement majeur (divorce, héritage, départ en retraite) nécessite une réévaluation globale incluant objectifs de transmission, préférences fiscales, et allocation d’actifs. Le distributeur doit adopter une approche patrimoniale globale tenant compte de l’impact sur l’ensemble de la situation du client.

Lorsque l’actualisation révèle une inadéquation, le distributeur doit informer le client de manière circonstanciée et lui conseiller les adaptations nécessaires : arbitrages, modification des versements, révision de la clause bénéficiaire, voire rachat ou souscription d’un nouveau contrat. Cette obligation de conseil correctif constitue la finalité du mécanisme et garantit une adaptation continue de la stratégie d’épargne aux évolutions de la vie du client.

 

  1. D. Langé, « Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005 », Mélanges Bigot, p. 259 ?
  2. J. Bigot, « L’obligation de conseil des intermédiaires », RGDA 2018, p. 445 ?
  3. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  4. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  5. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil (à propos du conseil en investissement assurantiel) », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  6. A. Pélissier, « Devoir de conseil de l’assureur et de la banque », RGDA 2019, n° 1169, p. 7 ?
  7. I. Monin-Lafin, « Le nouveau régime du conseil en assurance », Trib. ass. 2018, p. 45 ?
  8. J. Kullmann, « L’interprétation systémique en droit des assurances », RGDA 2019, p. 234 ?
  9. J. Bigot, « Les niveaux de conseil : clarification ou complexification ? », RGDA 2018, p. 445 ?
  10. L. Mayaux, « Les assurances de personnes », Traité, t. IV, n° 435 ?
  11. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008, n° 298 ?
  12. D. Langé, « La gradation des obligations de conseil », RGDA 2019, p. 156 ?
  13. P. Mayaux, « L’économie du conseil en assurance », Rev. dr. bancaire et fin. 2019, p. 23 ?
  14. H. Groutel, “Le devoir de conseil en assurance”, Risques 1990, n° 2, p. 89 ?
  15. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018 ?
  16. D. Lange, “Le devoir de conseil de l’intermédiaire en assurance après la loi du 15 décembre 2005”, Mélanges Bigot, p. 259. ?
  17. Y. Lequette, “L’obligation de renseignement et le droit commun du contrat”, in L’information en droit privé, LGDJ, 1978, p. 305 ?
  18. Directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers. ?
  19. Voir notamment A. Couret, H. Le Nabasque, “Valeurs mobilières”, Dalloz Action, 2020, n° 12.45 ?
  20. M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, “Droit des sociétés”, Litec, 31e éd., 2018, n° 452 ?
  21. Art. L. 111-1 du Code de la consommation ?
  22. H. Groutel, “L’évolution du devoir de conseil en assurance”, RCA 2019, étude 4 ?
  23. N. Reich, “Protection of Consumers’ Economic Interests by the EC”, Sydney Law Review, 1992, vol. 14, p. 23 ?
  24. Directive (UE) 2016/97 du 20 janvier 2016 sur la distribution d’assurances, considérant 31 ?
  25. Cass. 1re civ., 10 nov. 1964, RGAT 1965, p. 175, note A. Besson ?
  26. J. Lasserre Capdeville, “Le conseil en investissement”, Rev. dr. bancaire et fin. 2018, dossier 15 ?
  27. Directive 2014/65/UE du 15 mai 2014 concernant les marchés d’instruments financiers ?
  28. ACPR, Principes du conseil en assurance, juillet 2018, p. 12 ?
  29. Ph. Storck, “La transformation de l’intermédiation financière”, Rev. économie financière 2017, n° 127, p. 45 ?
  30. H. Groutel, Traité du contrat d’assurance terrestre, Litec, 2008 ?
  31. Malaurie Ph., Aynès L., Stoffel-Munck Ph., Droit des obligations, LGDJ ?
  32. J. Bigot, « Missions non traditionnelles : la responsabilité professionnelle du producteur d’assurances », L’Assureur Conseil, oct. 1987, p. 3 ?
  33. Cass. 1?? civ., 6 nov. 1984, RGAT 1985, p. 313 ?
  34. H. Groutel, « Le devoir de conseil en assurance », Risques 1990, n° 2, p. 89. ?
  35. Cass. 1?? civ., 10 nov. 1964, JCP G 1965, II, 13981, note PP ?
  36. P.-G. Marly, « Le mythe du devoir de conseil », Mél. Daigre, Lextenso, 2017, p. 561 ?
  37. J.-C. Heydel, « L’agent général d’assurance », LGDJ, 2019, n° 156 ?
  38. Cass. 1?? civ., 28 oct. 1986, RGAT 1986, p. 610 ?
  39. L. Mayaux, Les assurances de personnes, Traité, t. IV, n° 835 ?
  40. D. Lange, « Les limites du devoir de conseil », RGDA 2019, p. 456 ?
  41. J. Kullmann, Le contrat d’assurance, Traité, t. 3, n° 1262 ?
  42. L. Mayaux, « Les grands risques et la protection du consommateur », RGDA 2018, p. 234 ?
  43. H. Groutel, « L’exclusion des grands risques », RCA 2019, comm. 156 ?
  44. J. Bigot, D. Langé, J. Moreau et J.-L. Respaud, La distribution d’assurance, éd. LGDJ, 2020, n°1257. ?
  45. P. Maystadt, « Les assurances affinitaires », Argus, 2020, p. 45 ?
  46. J. Bigot, « Les courtiers grossistes », in Traité de droit des assurances, t. 6, n° 234 ?
  47. Cass. com., 18 avr. 2019, n° 18-11108 ?
  48. CA Lyon, 18 févr. 2003, RGDA 2003, p. 371, obs. J. Kullmann ?
  49. Cass. 1re civ., 31 mars 1981, Bull. civ. I, n° 108 ; D. 1982, IR, p. 97, note Berr et Groutel. ?

  • Découvrez un nouvel outil d’intelligence artificielle qui vous assiste dans la rédaction de vos courriers juridiques.
  • Gain de temps, précision accrue et efficacité assurée : transformez votre manière de travailler avec la puissance de l’IA.
Cliquez ici

No comment yet, add your voice below!


Add a Comment