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Le devoir de conseil au stade de la souscription du contrat d’assurance: l’assistance à la conclusion effective du contrat

Au-delà du conseil portant sur le choix du produit d’assurance, l’intermédiaire conserve un rôle d’accompagnement déterminant lors de la phase de souscription proprement dite. Cette étape, qui marque la transition entre la simple proposition et la conclusion effective du contrat, revêt une importance particulière car elle conditionne l’efficacité future de la garantie. Comme l’observe justement la Cour de cassation, « une obligation générale de vérification pèse sur l’agent général d’assurances au titre des devoirs de sa profession », obligation qui va se décliner aux différentes phases du processus de formation du contrat (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

Le devoir de conseil au stade de la souscription se distingue donc du conseil préalable par son caractère opérationnel et technique. Il ne s’agit plus seulement d’orienter le souscripteur vers le produit adapté à ses besoins, mais de l’assister concrètement dans la mise en œuvre de cette décision. Cette assistance revêt trois dimensions essentielles : l’accompagnement dans la déclaration du risque, la vérification de l’adéquation des garanties retenues, et l’encadrement des formalités de conclusion.

Nous nous focaliserons ici sur l’assistance à la conclusion effective du contrat.

La phase de souscription ne s’achève pas avec la délivrance du conseil et la signature de la proposition d’assurance. L’intermédiaire demeure tenu d’accompagner le processus de formation du contrat jusqu’à sa conclusion effective, en s’assurant que toutes les conditions nécessaires à la prise d’effet des garanties sont réunies.

I. La transmission et le suivi de la proposition

L’intermédiaire qui reçoit une proposition d’assurance doit la transmettre à l’entreprise d’assurance dans les plus brefs délais et vérifier que l’assureur a effectivement accepté la proposition. Cette obligation trouve son fondement dans la définition légale de l’activité de distribution d’assurance, qui consiste notamment à « présenter, proposer ou aider à conclure des contrats d’assurance » au sens de l’article L. 511-1 du Code des assurances.

La jurisprudence sanctionne avec rigueur les manquements à cette obligation. Dans un arrêt du 9 décembre 2004, la Cour de cassation a ainsi retenu la responsabilité de courtiers qui, «saisis d’une demande de garantie dans les termes de la proposition qu’ils avaient transmise, ont accepté le paiement de la prime correspondante en affirmant de concert que le navire était assuré, y compris pour son annexe alors qu’aucun contrat n’était intervenu avec l’assureur » (Cass. 1re civ., 9 déc. 2004, n° 99-21.391).

En l’espèce, un acquéreur de voilier avait sollicité un premier courtier, lequel s’était adressé à un second courtier qui avait obtenu une proposition du Bureau de souscription d’assurances. Après acquisition du navire et remise du chèque correspondant au montant de la proposition, les courtiers avaient confirmé « la validité de l’assurance du navire y compris son annexe ». Lorsque le navire fut endommagé par un cyclone, l’assureur refusa la prise en charge au motif qu’« aucune garantie d’assurances n’avait été conclue ». La Cour de cassation retient que les courtiers « ont induit [l’acquéreur] en erreur, l’empêchant de souscrire une garantie valable ».

Cette décision illustre que l’acceptation du paiement de la prime et l’affirmation de l’effectivité de la couverture créent une apparence trompeuse dont les intermédiaires doivent répondre lorsqu’aucun contrat n’a été effectivement conclu avec l’assureur.

L’obligation de transmission de la proposition de d’assuarnce s’accompagne d’un devoir de suivi qui impose à l’intermédiaire de s’assurer de l’aboutissement positif de la démarche. Il doit notamment vérifier que l’assureur a donné une suite favorable à la proposition et, dans le cas contraire, en informer rapidement le client. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un intermédiaire manque à ses obligations s’il omet d’informer sans délai l’assuré de ce que sa proposition d’assurance n’a pas été acceptée par l’assureur (Cass. 1re civ., 3 mars 1987).

En cas de refus de l’assureur, l’intermédiaire doit non seulement informer le client de ce refus, mais également l’assister dans la recherche d’une solution alternative. Cette exigence découle du fait que l’intermédiaire, professionnel de l’assurance, dispose des compétences et des relations nécessaires pour orienter son client vers d’autres assureurs susceptibles d’accepter le risque.

II. La vérification des conditions de prise d’effet des garanties

L’assistance lors de la souscription comprend la vérification de l’accomplissement de toutes les formalités nécessaires à la prise d’effet des garanties. Cette vérification porte notamment sur la signature de la police par le souscripteur et, le cas échéant, sur le paiement de la première prime lorsque la prise d’effet des garanties est subordonnée à ce paiement.

L’intermédiaire d’assurance engage ainsi sa responsabilité s’il délivre une attestation d’assurance sans s’être préalablement assuré de l’effectivité de la couverture. Il ne peut ainsi faire naître dans l’esprit du souscripteur une apparence de garantie non encore acquise.

A cet égard, dans un arrêt du 7 juin 1979, la Cour de cassation a jugé fautif le comportement d’un agent général qui avait remis à un client une attestation mentionnant un numéro de note de couverture ainsi qu’une période de validité, alors qu’aucune note de couverture n’avait été établie à ce stade, et que l’assureur n’avait pas été avisé (Cass. 1re civ., 7 juin 1979).

La Haute juridiction a considéré qu’en délivrant un tel document, l’intermédiaire avait induit le souscripteur en erreur sur l’existence d’une couverture immédiate, faisant ainsi naître un préjudice du fait de la confiance légitime accordée à l’attestation.

De même, un intermédiaire manque à ses obligations s’il laisse subsister une incertitude sur l’effectivité de la couverture. La première chambre civile a ainsi sanctionné un courtier qui avait informé son client de ce qu’il était régulièrement assuré pour le risque envisagé, alors que la police n’avait pas encore été signée et ne couvrait qu’une partie des risques (Cass. 1re civ., 13 oct. 1987, n°86-13.736).

Au bilan, l’obligation de vérification s’étend aux conditions techniques de mise en œuvre des garanties. L’intermédiaire doit s’assurer que le souscripteur respecte les obligations qui conditionnent l’effectivité de sa couverture. À titre d’exemple, si la garantie est subordonnée à des conditions techniques de protection du risque, il doit vérifier que ces conditions sont effectivement réunies.

III. L’information sur les modalités d’exécution

Au moment de la souscription, l’intermédiaire doit informer le souscripteur des modalités pratiques d’exécution du contrat, notamment en ce qui concerne le paiement des primes et la déclaration des sinistres. Cette information, distincte du conseil sur le choix du produit, vise à assurer une exécution efficace du contrat.

==>L’information sur le paiement des primes

L’intermédiaire doit d’abord renseigner le souscripteur sur les échéances et modalités de paiement des primes. Cette information revêt une importance particulière car le défaut de paiement peut entraîner la suspension ou la résiliation du contrat, privant l’assuré de sa couverture au moment où il en a le plus besoin.

L’obligation d’information porte notamment sur les conséquences du non-paiement dans les délais contractuels. L’intermédiaire doit expliquer clairement que le défaut de paiement d’une prime peut conduire à la mise en demeure de l’assuré et, à défaut de régularisation, à la résiliation du contrat. Cette information préventive permet au souscripteur d’organiser ses paiements en conséquence et d’éviter une rupture de garantie.

Lorsque la prise d’effet du contrat est subordonnée au paiement de la première prime ou d’un acompte, l’intermédiaire doit alerter expressément le client sur cette condition suspensive. L’assuré doit comprendre qu’aucune garantie ne prendra effet tant que ce paiement n’aura pas été effectué, même si la police a été signée.

==>L’information sur les procédures de déclaration des sinistres

L’intermédiaire doit également informer le souscripteur des modalités de déclaration des sinistres. Cette information technique est essentielle car le non-respect des procédures contractuelles peut entraîner des déchéances de garantie préjudiciables à l’assuré.

L’information porte d’abord sur les délais de déclaration. L’intermédiaire doit expliquer que la déclaration doit intervenir dans un délai déterminé à compter de la survenance du sinistre ou du moment où l’assuré en a eu connaissance. Il doit également préciser les conséquences d’une déclaration tardive, qui peut conduire à une réduction de l’indemnité si l’assureur établit qu’il a subi un préjudice du fait de ce retard.

L’information concerne ensuite les formalités à accomplir. L’intermédiaire doit indiquer les documents à fournir, les justificatifs à rassembler et les démarches à effectuer auprès de l’assureur. Cette information pratique permet d’accélérer le traitement du dossier et d’éviter les demandes de pièces complémentaires qui retardent l’indemnisation.

Enfin, l’intermédiaire doit expliquer les obligations de l’assuré en cas de sinistre, notamment son devoir de collaboration avec l’assureur et l’obligation de prendre toutes mesures conservatoires pour limiter l’aggravation des dommages.

==>L’information sur les obligations déclaratives en cours de contrat

L’intermédiaire doit informer le souscripteur des obligations déclaratives qui pèsent sur lui pendant toute la durée du contrat. Cette information porte principalement sur l’obligation de déclaration des aggravations de risques, fondamentale pour préserver l’équilibre du contrat d’assurance.

L’assuré doit comprendre qu’il a l’obligation de déclarer à son assureur toute circonstance nouvelle de nature à aggraver les risques ou à en créer de nouveaux. L’intermédiaire doit expliquer que cette obligation s’impose même lorsque l’aggravation résulte de circonstances indépendantes de la volonté de l’assuré.

L’information doit également porter sur les conséquences du défaut de déclaration d’une aggravation de risques. Selon la gravité du manquement et son caractère intentionnel ou non, l’assureur peut soit résilier le contrat, soit maintenir la garantie moyennant une augmentation de prime, soit réduire l’indemnité en cas de sinistre.

Cette information préventive permet d’assurer la sincérité des déclarations et de maintenir la confiance mutuelle nécessaire au bon fonctionnement du contrat d’assurance. Elle contribue également à préserver l’équilibre technique du contrat en permettant à l’assureur d’adapter sa tarification à l’évolution réelle du risque.

 

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