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Contrat d’assurance: l’obligation de déclaration des risques

L’obligation d’information dans le contrat d’assurance est trop souvent envisagée à sens unique, comme s’il revenait exclusivement à l’assureur — ou à l’intermédiaire — d’éclairer le candidat à l’assurance sur la teneur des garanties, les exclusions, ou encore les modalités de souscription. Cette vision, largement influencée par les exigences de protection du consommateur et confortée par les textes récents issus de la directive sur la distribution d’assurances (notamment les articles L. 521-2 et L. 521-4 du Code des assurances), tend à reléguer au second plan un pan pourtant fondamental du droit des assurances : l’exigence d’un dialogue contractuel, dans lequel l’information circule dans les deux sens.

Car l’équilibre du contrat d’assurance ne repose pas uniquement sur l’obligation d’information et le devoir de conseil du professionnel. Il implique tout autant la participation active du preneur d’assurance, seul à même de révéler les éléments concrets de sa situation personnelle, professionnelle ou patrimoniale, sur lesquels l’assureur doit s’appuyer pour évaluer le risque proposé à la couverture. À défaut d’un tel apport d’informations, la formation du contrat ne saurait se faire dans des conditions de transparence et de confiance suffisantes pour justifier l’engagement de garantie. Le consentement de l’assureur, loin d’être abstrait, se construit sur la base de données spécifiques, parfois complexes, que lui seul ne peut recueillir sans le concours de son cocontractant.

C’est en ce sens que la doctrine contemporaine souligne l’originalité du droit des assurances: dans une matière dominée par l’incertitude et la probabilité, le contrat repose moins sur une stricte égalité d’information que sur une exigence de coopération loyale. Cette coopération impose au preneur d’assurance de contribuer activement à la constitution du contrat, en fournissant à l’assureur les éléments nécessaires à l’appréciation du risque. L’obligation d’information à sa charge s’enracine ainsi dans le principe de bonne foi et dans la logique propre au mécanisme assurantiel.

Nous nous focaliserons ici sur l’obligation de déclaration des risques.

A. Nécessité de la déclaration des risques

La formation du contrat d’assurance repose sur un échange d’informations destiné à garantir l’équilibre des engagements souscrits par les parties. Cet échange n’est pas unilatéral : il implique une participation active de chacun, afin de permettre une rencontre véritable des volontés autour d’un objet aussi évolutif que le risque. Si les textes récents ont souligné, à juste titre, l’importance des obligations d’information pesant sur l’assureur, il ne faut pas perdre de vue que l’efficacité même du contrat repose d’abord sur les déclarations du preneur d’assurance, seul véritable dépositaire des éléments constitutifs du risque qu’il entend faire garantir.

À cet égard, le droit positif consacre une obligation de déclaration à la charge de l’assuré, prévue à l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances. Cette obligation ne se réduit ni à une formalité, ni à une simple étape procédurale dans la souscription du contrat : elle constitue la contrepartie directe de l’engagement de couverture pris par l’assureur. Ce dernier ne peut apprécier l’opportunité de garantir un risque, ni fixer le montant de la prime et les modalités de la garantie, sans disposer d’informations précises, loyales et complètes sur la situation qu’on lui demande de couvrir. Loin d’être secondaire, l’obligation de déclaration constitue ainsi une condition essentielle de validité et d’équilibre du contrat.

Cette exigence trouve son fondement dans le principe de bonne foi, qui irrigue l’ensemble du droit des assurances. Contrairement au droit commun, où le silence peut, dans certaines circonstances, être tenu pour stratégique et légitime, le droit des assurances repose sur une logique inverse?: l’omission volontaire ou même négligente de certains éléments peut vicier le consentement de l’assureur et compromettre la loyauté du lien contractuel. L’assuré n’est pas seulement invité à répondre aux questions qu’on lui pose?; il est tenu d’informer spontanément l’assureur de tout fait de nature à influencer l’évaluation du risque. Le silence, en assurance, peut être fautif.

C’est pour favoriser cette transparence que la pratique a généralisé l’usage du questionnaire de déclaration des risques, par lequel l’assureur encadre les informations attendues. Ce dispositif, certes utile pour sécuriser les échanges, ne délimite cependant pas à lui seul l’étendue de l’obligation déclarative. La jurisprudence rappelle régulièrement que l’assuré reste tenu, indépendamment des questions posées, de révéler tout élément pertinent. Le formulaire n’en constitue que le support : c’est le principe de sincérité qui en définit la portée.

Surtout, cette obligation ne s’épuise pas à la formation du contrat. Parce que l’assurance est un contrat à exécution successive, les données initiales peuvent évoluer, et avec elles, la nature du risque garanti. D’où l’existence d’une obligation complémentaire, celle d’informer l’assureur en cas de circonstances nouvelles ou d’aggravation du risque. Le législateur a expressément encadré cette dimension temporelle, en étendant l’obligation de déclaration au-delà de la conclusion du contrat, et en prévoyant des sanctions en cas de manquement.

Il en résulte une asymétrie assumée?: le preneur d’assurance, précisément parce qu’il sollicite la protection d’un risque qu’il connaît mieux que son assureur, est tenu à un devoir actif de coopération. Ce devoir n’est pas accessoire. Il est au cœur du mécanisme assurantiel. Loin d’être un simple droit à l’information, comme en droit de la consommation, l’obligation de renseignement devient pour l’assuré une obligation déterminante, à la fois fondement du consentement de l’assureur, gage de loyauté contractuelle, et condition de stabilité du régime de garantie. Toute omission ou inexactitude altère l’équilibre du contrat et compromet le fonctionnement même de la mutualisation des risques.

B. Modalités de la déclaration des risques

1. Droit antérieur

Avant d’être réformé par la loi n°89-1014 du 31 décembre 1989, le droit des assurances imposait à l’assuré une obligation particulièrement rigoureuse : celle de déclarer, de sa propre initiative, toutes les circonstances dont il avait connaissance et qui étaient de nature à influencer l’appréciation du risque par l’assureur. Ce devoir, énoncé à l’ancien article L. 113-2, 2° du Code des assurances issu de la loi du 13 juillet 1930, s’inscrivait dans un régime que l’on qualifie classiquement de « déclaration spontanée ». Il commandait à l’assuré de se projeter dans la position de son cocontractant, pour deviner ce qui pourrait l’intéresser dans l’évaluation du risque, sans que celui-ci ait à lui poser la moindre question.

L’exigence pouvait sembler théoriquement cohérente dans un modèle fondé sur la bonne foi contractuelle, mais elle se révélait en pratique d’une redoutable sévérité. L’assuré, souvent profane, était contraint d’apprécier seul le périmètre de son obligation de déclaration, sous peine de s’exposer aux sanctions les plus lourdes, et notamment à la nullité du contrat en cas de réticence ou de fausse déclaration même intentionnelle (C. assur., art. L. 113-8). La jurisprudence elle-même soulignait que l’assuré devait révéler tout élément de nature à influencer l’opinion de l’assureur sur les risques qu’il prenait à sa charge (Cass. 1re civ., 2 nov. 1954). Ce dispositif traduisait une conception déséquilibrée du contrat d’assurance, en faisant peser sur l’assuré seul la double charge de l’initiative déclarative et de l’appréciation des éléments pertinents à révéler.

Certes, la pratique avait progressivement vu émerger l’usage de questionnaires de risques, mais ceux-ci n’avaient, aux yeux de la jurisprudence, qu’une valeur indicative. Ils ne réduisaient en rien la portée de l’obligation spontanée. Ainsi, la Cour de cassation considérait que les questions de l’assureur n’avaient d’autre fonction que d’attirer l’attention de l’assuré sur certaines circonstances, sans limiter pour autant l’étendue de son obligation de déclaration (Cass. 1re civ., 3 déc. 1974, n° 73-12.610). Le questionnaire ne servait donc pas à borner le champ de l’obligation, mais seulement à en rappeler la gravité.

Ce régime, par trop exigeant, était à bien des égards critiqué. La doctrine dénonçait la logique implicite d’un système dans lequel l’assuré, à défaut de disposer des compétences techniques de l’assureur, pouvait omettre des éléments essentiels sans mauvaise foi, simplement faute d’en avoir perçu la pertinence. Cette situation mettait en péril l’équité de la relation contractuelle, mais aussi le bon fonctionnement du mécanisme assurantiel fondé sur la mutualisation du risque. Comme l’écrivait Pierre Catala, la justice commutative au sein de la mutualité exigeait que l’assuré, même de bonne foi, puisse être sanctionné lorsqu’il avait involontairement minoré le risque déclaré, au détriment de l’équilibre économique de l’ensemble des contrats.

La rigueur du régime antérieur se doublait d’une incertitude jurisprudentielle quant aux conditions d’engagement de la responsabilité de l’assuré en cas d’omission. Bien que la charge de la preuve incombât en principe à l’assureur, notamment s’agissant de l’inexactitude ou du caractère déterminant de l’élément non déclaré, cette exigence probatoire demeurait insuffisante pour compenser l’asymétrie structurelle entre les parties. À l’assureur, professionnel aguerri, répondait un assuré le plus souvent profane, contraint d’anticiper, sans assistance, les attentes implicites de son cocontractant. Ce déséquilibre, à la fois technique et économique, expliquait l’instabilité d’un contentieux abondant et l’appel croissant à une réforme du dispositif légal.

C’est dans ce contexte que la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 est venue refonder les modalités de déclaration du risque. En substituant au modèle de la déclaration spontanée un mécanisme fondé sur l’interrogation explicite de l’assuré — via un questionnaire formalisé — le législateur a opéré un renversement du système mis en place depuis 1930. La logique déclarative, jusque-là spontanée et extensive, a cédé la place à une logique de réponse provoquée, délimitée par les seules questions posées. Cette réforme a profondément modifié les équilibres de la phase précontractuelle, en recentrant la responsabilité de l’information sur celui qui, seul, est en mesure d’identifier les éléments déterminants pour l’appréciation du risque.

2. Droit positif

a. Le principe du questionnaire : vers une déclaration provoquée

La loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989 a profondément modifié le régime de la déclaration des risques en assurance, en substituant au système de la déclaration spontanée un modèle fondé sur l’interrogation explicite de l’assuré. Cette réforme, introduite à l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances, impose désormais à l’assuré de « répondre exactement aux questions posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l’assureur l’interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». Cette substitution d’une logique de réponse à une logique de déclaration inaugure ce que la doctrine a qualifié de « déclaration provoquée », fondée sur un principe de questionnaire préalablement établi par le professionnel.

Ce renversement s’inscrit dans la reconnaissance d’un déséquilibre économique et technique : seul l’assureur, en sa qualité de professionnel du risque, est en mesure d’identifier les données nécessaires à l’évaluation du risque, tandis que l’assuré, généralement profane, ne dispose pas des moyens de discerner ce qui mérite d’être révélé. En effet, comme le soulignait déjà la Commission des clauses abusives dès 1985, l’assuré ne peut raisonnablement savoir quelles circonstances sont de nature à influencer l’appréciation du risque par l’assureur. Il revient donc à ce dernier de poser les questions pertinentes. Le rôle de l’assuré se limite dès lors à y répondre loyalement, avec exactitude et sincérité. Ce renversement de la charge de l’initiative est au cœur de la philosophie de la réforme.

Ainsi conçu, le questionnaire constitue la modalité centrale, sinon exclusive, de la déclaration initiale du risque. Il appartient à l’assureur d’élaborer un formulaire limitatif et précis, adapté aux spécificités du risque en cause. L’assuré, quant à lui, n’est tenu de déclarer que les circonstances expressément visées par ce questionnaire. Il en résulte qu’à défaut d’interrogation sur un point déterminé, même important, l’assuré ne saurait être sanctionné d’un défaut de révélation (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994, n°90-19.022).

Cette répartition des obligations n’exclut toutefois pas la recevabilité de déclarations effectuées spontanément par l’assuré, en dehors de tout questionnaire. La jurisprudence admet qu’un mensonge sur une circonstance révélée à l’initiative de l’assuré puisse engager sa responsabilité au titre de l’article L. 113-8 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n°15-13.850). Cette solution, confirmée à plusieurs reprises, conduit à considérer que le principe du questionnaire n’exclut pas toute prise en compte des déclarations spontanées, notamment lorsqu’elles s’avèrent mensongères. Néanmoins, en l’absence d’une telle mauvaise foi, aucune obligation autonome de déclaration spontanée ne saurait être invoquée à l’encontre de l’assuré.

Il importe également de souligner la portée exacte de l’obligation de réponse mise à la charge de l’assuré. Ce dernier n’est tenu de répondre qu’aux questions relatives aux circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge, selon les termes mêmes de l’article L. 113-2. Autrement dit, une omission ou une inexactitude ne peut être reprochée à l’assuré qu’à la condition que la circonstance en cause ait eu une incidence sur l’évaluation du risque garanti, et non d’un risque exclu ou étranger au contrat. La Cour de cassation a d’ailleurs évolué sur ce point, en jugeant qu’un mensonge portant sur un risque exclu peut néanmoins influencer l’opinion de l’assureur sur le risque couvert, et donc fonder une sanction (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n°00-12.419).

Enfin, la déclaration de l’assuré est conditionnée à la connaissance effective de la circonstance à révéler. La jurisprudence précise que l’assuré n’est pas tenu de répondre exactement à des questions sur des faits qu’il ignore (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). Elle reconnaît également que l’absence de conscience de devoir déclarer une circonstance, en raison par exemple de la confiance accordée aux affirmations médicales reçues, exclut la mauvaise foi (Cass. 1re civ., 26 mars 1996, n°93-21.727) et peut justifier l’absence de sanction même sur le fondement de l’article L. 113-9 du Code des assurances.

b. La technique du questionnaire fermé

La réforme de 1989 n’a pas seulement substitué à l’ancienne déclaration spontanée une déclaration provoquée?; elle a également consacré une technique spécifique : celle du questionnaire dit «?fermé?». Ce procédé, aujourd’hui au cœur de la phase précontractuelle en assurance, vise à structurer et à canaliser l’expression du risque à travers un support établi par l’assureur. Il en résulte un modèle de questions standardisé, reposant sur des questions fermées, précises et adaptées à la nature du contrat.

i. La contenu du questionnaire

Le questionnaire est aujourd’hui l’instrument central de la déclaration du risque. Son contenu, loin de relever d’un simple choix rédactionnel, obéit à un encadrement précis par les textes et la jurisprudence. C’est à l’assureur qu’il revient de formuler des questions claires, ciblées et adaptées, seules aptes à fonder l’obligation de réponse de l’assuré et, le cas échéant, à justifier les sanctions prévues en cas de fausse déclaration.

==>L’exigence de clarté et de précision

L’article L. 112-3, alinéa 4, du Code des assurances énonce un principe cardinal : l’assureur ne peut se prévaloir d’une réponse imprécise que s’il a lui-même posé une question claire. Ainsi, « lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit à l’assuré, notamment par un formulaire de déclaration du risque ou par tout autre moyen, il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise ». La jurisprudence a tiré toutes les conséquences de ce texte en exigeant des questions exemptes d’ambiguïté, dont la formulation permette à un assuré normalement avisé de comprendre l’étendue de son devoir déclaratif (Cass. 2e civ., 29 juin 2017, n° 16-18.975).

Cette exigence formelle a valeur probatoire, en ce qu’elle conditionne l’opposabilité des réponses données. L’assureur ne saurait invoquer une déclaration inexacte ou incomplète sans démontrer qu’elle répondait à une question suffisamment déterminée, au risque de voir sa prétention rejetée. Il lui appartient donc, dans un souci de loyauté contractuelle, de rédiger ses questions de manière intelligible et spécifique, en tenant compte du niveau d’information du souscripteur.

==>La formulation de questions fermées

Le questionnaire de déclaration repose sur une logique fermée : il ne s’agit pas de provoquer une narration libre des circonstances entourant le risque, mais de solliciter des réponses factuelles à des interrogations ciblées. Cette méthode suppose des formulations structurées, à visée binaire (oui/non), ou à tout le moins réductibles à des réponses objectives et vérifiables. L’objectif est de guider le souscripteur, d’orienter ses réponses, et ainsi de canaliser l’information utile à l’appréciation du risque par l’assureur.

La Cour de cassation admet qu’une question générale puisse être réputée précise lorsqu’elle ne laisse place à aucune incertitude, notamment si elle est accompagnée de compléments explicites (v. par ex., « êtes-vous atteint d’une affection quelconque ? laquelle?» : Cass. 1re civ., 27 janv. 2004, n° 00-19.402). En revanche, une formulation vague ou équivoque ne saurait fonder, en cas de réponse erronée, la mise en œuvre des sanctions prévues aux articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances (Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n° 17-28.093).

==>La diversité des questions posées

Le contenu du questionnaire peut porter tant sur des éléments objectifs relatifs au risque (nature du bien, conditions d’usage, antécédents de sinistre, situation géographique, etc.) que sur des données subjectives relatives au souscripteur (état de santé, situation familiale, profession, autres assurances souscrites). La Cour de cassation a d’ailleurs reconnu à l’assureur le droit de poser des questions relatives à des risques non garantis, dès lors que ces informations sont de nature à influencer son opinion sur le risque couvert (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).

Même en matière d’assurances de personnes, où le principe indemnitaire est inapplicable et où la possibilité de cumul contractuel est reconnue, l’assureur est en droit de solliciter la communication d’éventuels contrats antérieurs ou concomitants, dans la mesure où cette donnée peut éclairer l’acceptabilité du risque.

==>La personnalisation des questions

L’assureur, en sa qualité de professionnel, assume la responsabilité de formuler un questionnaire adapté à la nature du contrat et au profil du souscripteur. Cette exigence, bien que contraignante, s’explique par l’objectif poursuivi : fournir à l’assureur les informations pertinentes tout en ménageant un cadre protecteur pour l’assuré. En cas de contentieux, les juridictions n’hésitent pas à sanctionner l’imprécision ou l’absence de personnalisation, qu’il s’agisse d’une clause de style ou d’une formulation trop générale.

En définitive, la rigueur attendue dans la rédaction des questions n’est pas une simple exigence de forme : elle est le corollaire de la répartition équilibrée des charges déclaratives entre les parties. Dans le modèle issu de la réforme de 1989, l’assureur ne peut revendiquer une information qu’il n’a pas pris soin de solliciter avec suffisamment de précision.

ii. La forme du questionnaire

==>Questions orales

L’article L. 113-2, 2° du Code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi n° 89-1014 du 31 décembre 1989, oblige l’assuré à répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque ». L’usage de l’adverbe notamment traduit une volonté claire du législateur : celle de ne pas enfermer l’obligation déclarative dans la seule formalisation écrite. Autrement dit, le droit positif n’exige pas que les questions posées à l’assuré soient nécessairement couchées sur un support écrit, ni même qu’elles prennent la forme d’un questionnaire formel et standardisé.

Cette souplesse permet d’admettre, sous réserve de garanties suffisantes, la validité des interrogations verbales, y compris par téléphone ou en face-à-face. La Cour de cassation l’a expressément reconnu dans un arrêt du 4 février 2016, en affirmant que l’article L. 113-2 n’imposait nullement la remise d’un questionnaire écrit préalable (Cass. 2e civ., 4 févr. 2016, n° 15-13.850). L’obligation de l’assureur ne porte donc pas sur la forme du questionnement, mais sur sa substance : les questions doivent être précises, loyales et de nature à permettre à l’assuré d’y répondre utilement. C’est ce que rappelle également l’article L. 112-3, alinéa 4, qui vise les questions « par écrit », sans exclure d’autres procédés équivalents, pourvu que la preuve de leur existence soit rapportée.

Ainsi, la déclaration de risque peut valablement découler d’un échange oral, à condition que le souscripteur ait ensuite été mis en mesure de vérifier, de confirmer ou de corriger ses réponses. Tel fut le cas dans une affaire concernant une souscription téléphonique, où la haute juridiction a validé la procédure suivie dès lors que l’assuré avait signé, ultérieurement, les conditions particulières récapitulant les réponses fournies verbalement (Cass. 2e civ., 16 déc. 2010, n° 10-10.859). Cette possibilité est également transposable à d’autres supports, tels que les parcours numériques, où le questionnaire est rempli avant toute interaction directe avec l’assureur.

La reconnaissance de la validité des questions orales n’implique pas pour autant une absence de contrôle. Il appartient aux juges du fond de s’assurer que ces questions ont bien été posées, que leur contenu était compréhensible, et que l’assuré a pu y répondre de manière éclairée. À défaut, la nullité du contrat ne saurait être prononcée sur le fondement des articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances. La jurisprudence constante exige que la fausse déclaration ou la réticence reprochée procède de la réponse apportée à une question loyale, précise et intelligible, quelle que soit sa forme initiale.

==>Déclarations pré-rédigées

L’essor des pratiques de souscription standardisée a vu se généraliser l’usage de «déclarations pré-rédigées», insérées directement dans les conditions particulières des polices d’assurance. Ces clauses, par lesquelles l’assuré est réputé avoir fourni certaines informations déterminantes, posent la question de leur opposabilité en l’absence d’un véritable dialogue interrogatif. Le droit positif, éclairé par une abondante jurisprudence, en a progressivement précisé le régime.

Par un arrêt de principe du 7 février 2014, la Cour de cassation, siégeant en chambre mixte, a solennellement consacré les limites juridiques opposables aux déclarations pré-rédigées, lorsqu’elles sont invoquées par l’assureur à l’appui d’une demande de nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle (Cass. ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107). Saisi d’un litige opposant un assureur à un souscripteur auquel il reprochait une fausse déclaration intentionnelle quant à l’existence d’antécédents de retrait de permis, la Cour de cassation rappelle que la validité d’une telle sanction suppose, à peine de nullité, que les déclarations incriminées procèdent de réponses apportées à des questions précises posées lors de la phase précontractuelle, conformément aux articles L. 113-2, 2°, L. 112-3, alinéa 4 et L. 113-8 du Code des assurances.

Dans cette affaire, le contrat d’assurance automobile conclu par le souscripteur avait été établi sur la base de conditions particulières mentionnant notamment, sous une rubrique intitulée « Déclaration », que celui-ci n’avait pas fait l’objet, dans un certain délai, d’une suspension ou d’une annulation de permis. Ces mentions, pré-imprimées dans le corps du contrat, avaient été signées par le souscripteur avec la formule usuelle « lu et approuvé ». L’assureur, confronté à la révélation d’une annulation de permis antérieure à la souscription, avait opposé la nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle.

La Cour d’appel, accueillant cette argumentation, avait prononcé la nullité du contrat d’assurance, estimant que la déclaration inexacte, formalisée dans les conditions particulières, révélait l’intention frauduleuse du souscripteur. La Cour de cassation censure cette décision. Elle énonce que la réticence ou la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré ne peut être sanctionnée que si elle résulte des réponses qu’il a effectivement apportées à des questions précises posées par l’assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque utilisé lors de la conclusion du contrat.

Autrement dit, la seule présence d’une clause pré-rédigée dans les documents contractuels, fût-elle signée, ne saurait tenir lieu de réponse au sens des dispositions légales. Elle ne permet pas à l’assureur de justifier d’un manquement à l’obligation de déclaration de l’assuré, dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre d’un dialogue formalisé, structuré autour d’interrogations explicites.

Ce principe, désormais fermement établi, tranche une divergence ancienne entre la chambre criminelle — traditionnellement stricte sur l’exigence de questions préalables posées par écrit — et la deuxième chambre civile, plus encline à admettre la force probatoire des déclarations pré-imprimées. Il en résulte que l’assureur ne peut se prévaloir d’une fausse déclaration intentionnelle fondée sur une clause pré-rédigée si elle ne repose pas sur une interrogation individualisée et circonstanciée. La jurisprudence récente le confirme avec constance, tant en matière d’assurance automobile (Cass. 2e civ., 3 juill. 2014, n° 13-18.760) que d’assurance habitation (Cass. 2e civ., 26 mars 2015, n° 14-15.204) ou de prévoyance (Cass. 2e civ., 11 juin 2015, n° 14-14.336).

Pour être opposable, la déclaration pré-rédigée doit ainsi répondre à une double exigence : d’une part, elle doit découler d’un questionnaire effectivement soumis à l’assuré, d’autre part, celui-ci doit avoir été mis en mesure de lire, comprendre et éventuellement contester le contenu des affirmations portées à sa signature. Cette rigueur protectrice découle directement du principe de personnalisation de la déclaration du risque, qui fonde l’équilibre économique du contrat d’assurance.

L’exemple emblématique en la matière est celui de la « déclaration de bonne santé », fréquemment exigée en assurance emprunteur ou en prévoyance. L’assuré y atteste ne pas souffrir d’affection connue susceptible de modifier l’appréciation du risque. Toutefois, cette clause ne produit d’effet qu’à condition d’être rédigée en des termes compréhensibles, exempts d’ambiguïté, et accompagnée d’une information suffisante sur les conséquences d’une inexactitude. À défaut, l’assureur encourt la déchéance de son droit à se prévaloir de l’article L. 113-8 du Code des assurances.

Il appartient donc au juge du fond de vérifier, concrètement, si l’assuré a été placé en situation de consentir librement et en connaissance de cause aux déclarations mentionnées dans le contrat. Ce contrôle, empreint de pragmatisme, peut conduire à rejeter l’argument d’une déclaration mensongère lorsque l’assuré n’a pas eu l’opportunité réelle de répondre à une question individualisée, ou lorsque la clause se borne à reproduire des formules impersonnelles et générales.

Ce faisant, la jurisprudence renforce l’obligation de loyauté dans l’élaboration de l’instrumentum contractuel. Elle rappelle à l’assureur que la mise en œuvre du mécanisme déclaratif suppose non seulement la transparence du processus de souscription, mais également l’effectivité de la participation de l’assuré à la construction du contenu du contrat. Le procédé des déclarations pré-imprimées, s’il n’est pas interdit per se, demeure ainsi placé sous haute surveillance.

C. Déclaration provoquée et effets résiduels de la déclaration spontanée

L’instauration, par la loi du 31 décembre 1989, d’un système déclaratif fondé sur le questionnaire fermé n’a pas totalement exclu la prise en compte de déclarations spontanées. Si le législateur a entendu substituer à l’ancien régime — fondé sur une obligation générale de révélation des circonstances connues de l’assuré — un mécanisme plus encadré, il n’a pas pour autant banni les initiatives déclaratives émanant de l’assuré ou de son mandataire.

En principe, l’assureur ne peut se prévaloir d’une réticence ou d’une fausse déclaration que si elle résulte des réponses apportées par l’assuré aux questions qu’il lui a posées lors de la phase précontractuelle (C. assur., art. L. 113-2, 2° et L. 112-3, al. 4). Ce principe a été confirmé de manière constante par la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 15 févr. 2007, n° 05-20.865).

Toutefois, certaines juridictions du fond ont, sur le fondement de la bonne foi contractuelle, admis que des déclarations faites à l’initiative de l’assuré, même en l’absence de questionnaire, puissent engager ce dernier si elles s’avéraient mensongères (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n° 13-25.223). Dans ce cadre, la déclaration spontanée retrouve une certaine portée, à condition qu’elle ait été volontaire et qu’elle ait induit l’assureur en erreur.

Cette analyse est partiellement validée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui reconnaît que des déclarations spontanées peuvent fonder une nullité pour fausse déclaration intentionnelle, dès lors qu’elles sont inexactes et de nature à modifier l’appréciation du risque (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n° 15-13.500).

La jurisprudence admet ainsi qu’un assuré puisse, de sa propre initiative, formuler des révélations sur le risque, en complément ou en l’absence de questionnaire. Mais cette déclaration spontanée, pour produire des effets juridiques, doit émaner exclusivement de la volonté de l’assuré, sans y avoir été contraint. À défaut, l’assureur demeure tenu de poser les questions utiles à son appréciation du risque.

Ce faisant, le juge opère une distinction nette entre l’initiative de l’assureur et celle de l’assuré?: seul ce dernier peut choisir de révéler des circonstances sans y avoir été invité. En revanche, l’assureur ne peut s’exonérer de ses obligations en prétendant que l’assuré aurait dû déclarer spontanément une circonstance déterminée, si cette dernière n’a pas fait l’objet d’un questionnement formel.

L’acceptation résiduelle de la déclaration spontanée n’est pas sans limites. Elle ne saurait se substituer au dispositif du questionnaire dans les branches d’assurance soumises à ce régime impératif. Il en va différemment pour certaines catégories d’assurances, notamment les assurances maritimes et de transport, où l’article L. 172-2 du Code des assurances maintient le modèle déclaratif antérieur, en raison de la qualité d’« assuré averti » généralement reconnue aux souscripteurs.

Enfin, cette coexistence de la déclaration provoquée et de la déclaration spontanée appelle une vigilance accrue du juge. Celui-ci doit s’assurer que la déclaration non sollicitée, si elle est invoquée, ait été libre, intelligible et dénuée d’ambiguïté. Dans le cas contraire, l’assureur ne peut utilement s’en prévaloir pour invoquer une réticence ou une fausse déclaration.

D. Conditions d’opposabilité et efficacité du questionnaire

Le fondement de l’opposabilité du questionnaire réside dans sa fonction même : permettre à l’assureur de se forger une opinion éclairée sur le risque qu’il accepte de garantir. C’est en ce sens que l’article L. 113-2, 2° du Code des assurances impose à l’assuré de répondre exactement aux questions posées par l’assureur, « notamment dans le formulaire de déclaration du risque », dès lors qu’elles portent sur des « circonstances de nature à faire apprécier par l’assureur les risques qu’il prend en charge ». La jurisprudence y rattache fermement le sort du contrat, en ce qu’une réponse inexacte portant sur un élément pertinent altérant l’appréciation du risque est susceptible d’entraîner sa nullité (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n° 00-12.419).

À cet égard, la jurisprudence admet expressément que le questionnaire puisse porter sur des circonstances relatives à un risque exclu de la garantie, dès lors que l’information sollicitée est susceptible d’influer l’opinion de l’assureur sur les risques effectivement pris en charge. Ce lien fonctionnel est particulièrement saillant en assurance de personnes, où une affection médicalement exclue peut révéler une vulnérabilité favorisant la réalisation d’un autre sinistre couvert.

L’efficacité du questionnaire suppose, corrélativement, que les réponses apportées par l’assuré soient exactes, c’est-à-dire complètes, sincères et intelligibles. Il s’agit d’un prolongement naturel du principe de bonne foi consacré aux articles 1104 et 1112 du Code civil, et qui irrigue l’ensemble du processus précontractuel.

La réponse ne peut être tenue pour fautive si l’assuré ignorait la circonstance à déclarer — par exemple, une pathologie asymptomatique non diagnostiquée (Cass. 1re civ., 1er févr. 2000, n°97-11.539). De même, l’absence de conscience de devoir déclarer la circonstance, telle qu’une myopie ancienne ou des antécédents médicaux que l’assuré croyait sans incidence, exclut toute mauvaise foi (Cass. 1re civ., 6 janv. 1994, n°91-20.095).

Cette approche fondée sur la subjectivisation de l’obligation déclarative, désormais bien ancrée dans la jurisprudence, impose à l’assureur d’établir non seulement la connaissance de la circonstance, mais aussi la conscience de sa pertinence pour l’évaluation du risque.

L’efficacité du dispositif repose enfin sur la qualité du questionnaire lui-même. L’assureur ne peut se prévaloir d’une déclaration inexacte que si elle a été fournie en réponse à une question claire, précise et individualisée, formulée avant la conclusion du contrat. Tel est l’enseignement constant de la jurisprudence depuis l’arrêt de principe de la chambre mixte du 7 février 2014 (Cass., ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107), réaffirmé depuis lors par de nombreuses décisions, tant civiles que pénales (v. par ex. : Cass. 2e civ., 13 déc. 2018, n°17-28.093 ; Cass. crim., 18 mars 2014, n° 12-87.195).

L’article L. 112-3, alinéa 4 du Code des assurances en précise les contours : « Lorsque, avant la conclusion du contrat, l’assureur a posé des questions par écrit […], il ne peut se prévaloir du fait qu’une question exprimée en termes généraux n’a reçu qu’une réponse imprécise. » Autrement dit, l’imprécision de la question interdit toute sanction à l’encontre de l’assuré, fût-il de mauvaise foi (Cass. 1re civ., 16 févr. 1994).

Les clauses de déclaration pré-rédigée ne peuvent suppléer à cette exigence, sauf à démontrer l’existence de réponses effectivement données à des questions précises et antérieures à la conclusion du contrat. En l’absence de telles garanties procédurales, elles sont réputées non écrites et inopposables (Cass. 2e civ., 4 avr. 2024, n°22-18.176).

Aussi, il appartient à l’assureur d’établir, cumulativement :

Cette triple démonstration est d’autant plus rigoureuse que la jurisprudence admet, avec nuance, la prise en compte de déclarations spontanées (Cass. 2e civ., 17 janv. 2019, n°15-18.514), voire d’aveux, pour fonder la nullité du contrat (Cass. 2e civ., 3 mars 2016, n°15-13.500). Toutefois, de telles hypothèses restent dérogatoires et strictement encadrées.

Enfin, la signature du questionnaire (ou de ses transpositions dans les conditions particulières) constitue un élément probatoire fondamental, à condition qu’elle atteste d’un réel échange déclaratif et non d’un simple acquiescement à une formulation unilatérale.

E. Les limites du dispositif déclaratif

Si le modèle du questionnaire fermé a profondément renouvelé les équilibres de la phase précontractuelle, il n’échappe pas à de sérieuses limites pratiques, tant dans sa conception que dans sa mise en œuvre. Ces limites tiennent, d’une part, aux failles intrinsèques du support déclaratif lui-même et, d’autre part, aux contraintes juridiques, économiques et éthiques qui pèsent sur la collecte de certaines informations. Loin d’être marginales, ces tensions structurent une zone grise du droit des assurances, dans laquelle s’opèrent, à travers des arbitrages implicites, de délicats compromis entre la protection du consentement, la transparence du risque, et l’efficacité commerciale de l’opération d’assurance.

1. Les limites inhérentes au système du questionnaire

La première limite est d’ordre structurel : en dépit de ses vertus de clarté, le questionnaire demeure un outil imparfait, dont l’apparente exhaustivité masque mal les lacunes.

Conçu pour rationaliser la collecte d’informations, le questionnaire ne saurait prétendre à une couverture intégrale du champ du risque. Par définition fermé, il ne permet pas à l’assureur de sonder toutes les facettes de la situation à couvrir, ni à l’assuré de signaler spontanément les éléments que le questionnaire omet. Cette insuffisance fonctionnelle, souvent soulignée par la jurisprudence se manifeste particulièrement en matière d’assurances de personnes, où les questionnaires passent fréquemment sous silence l’existence de contrats antérieurs ou d’antécédents médicaux non directement interrogés.

La volonté d’exhaustivité se heurte à une autre exigence : celle de l’accessibilité du document pour un public de souscripteurs profanes. Une inflation des questions nuit à la lisibilité de l’offre, brouille la perception du risque, et expose l’assureur à des griefs sur le terrain du devoir de clarté contractuelle. Cet équilibre fragile est d’autant plus délicat à maintenir que les impératifs de conformité réglementaire (compliance) imposent des niveaux croissants de transparence et de traçabilité.

L’accompagnement du candidat à l’assurance dans le remplissage du questionnaire est un moment stratégique de la relation d’assurance, où se jouent à la fois l’exactitude de la déclaration et le respect du devoir de conseil. La jurisprudence souligne régulièrement la responsabilité de l’intermédiaire lorsqu’il contribue à une fausse déclaration, voire lorsqu’il ferme volontairement les yeux sur des omissions manifestes (Cass. 3e civ., 8 juill. 2015, n°13-25.223). La frontière est parfois ténue entre simple assistance et complicité passive, posant la question d’un éventuel devoir de vérification du courtier ou de l’agent.

2. Les limites tenant à la collecte de certaines informations

Si l’exigence d’exactitude de la déclaration du risque constitue l’un des piliers de la relation d’assurance, cette exigence se heurte à des bornes que le droit positif oppose à la collecte de certaines données personnelles. Ces limites, d’ordre juridique, déontologique ou constitutionnel, sont particulièrement sensibles en matière d’assurances de personnes, où l’appréhension du risque implique une connaissance fine de l’état de santé de l’assuré. Mais l’économie du contrat d’assurance ne saurait justifier la levée systématique de droits fondamentaux. À cet égard, le secret médical constitue le point de friction le plus emblématique entre l’impératif de sélection du risque et le respect du droit des personnes.

==>La limite du secret médical

Le secret médical est appréhendé en droit français comme une règle d’ordre public, d’une rigueur particulière. L’article L. 1110-4 du Code de la santé publique érige le secret en un principe général applicable à toute information relative à la santé, tandis que l’article L. 1141-1 interdit expressément aux organismes d’assurance de tenir compte, même avec l’accord de la personne concernée, des résultats d’examens génétiques. De surcroît, le secret s’impose au médecin à un double titre : en vertu du serment d’Hippocrate, mais également au regard du Code de déontologie médicale (art. R. 4127-4 CSP), qui prohibe toute communication non expressément autorisée.

La Cour de cassation rappelle avec constance que le médecin traitant ne saurait être tenu de transmettre à un assureur, même indirectement via son médecin-conseil, les données couvertes par le secret, sauf accord exprès, spécifique, et circonstancié de l’assuré ou de ses ayants droit (Cass. 1re civ., 6 janv. 1998, n°95-19.902 et 96-16.721). A cet égard, la clause par laquelle le souscripteur autorise cette transmission n’est licite qu’à la condition qu’elle respecte trois exigences cumulatives : elle doit écarter les données génétiques, être mise en œuvre par l’assuré lui-même, et ne pas contraindre le médecin à révéler ce que son statut de tiers au contrat l’empêche légalement de transmettre (Cass. 1re civ., 29 oct. 2002, n°99-17.187).

==>L’émergence prétorienne du critère d’intérêt légitime

Conscient des obstacles probatoires que peut représenter le secret médical en cas de fausse déclaration dolosive, le juge civil a introduit un tempérament : celui tenant à l’intérêt légitime. L’opposition à la levée du secret n’est recevable que si elle tend à préserver un intérêt moral digne de protection, et non si elle constitue une manœuvre pour faire échec à l’exécution de bonne foi du contrat.

L’arrêt de principe rendu par la première chambre civile le 15 juin 2004 est éclairant : il reconnaît au juge le pouvoir d’écarter l’exception de secret médical lorsque celle-ci a pour seul objet d’empêcher l’assureur d’établir une réticence intentionnelle (Cass. 1re civ., 15 juin 2004, n°01-02.338). De manière convergente, la cour d’appel de Douai a souligné, dans un arrêt du 12 avril 2007, que « le secret médical et l’obligation de sincérité sont deux intérêts également protégés par la loi » et qu’il n’est pas possible de faire systématiquement prévaloir le premier au détriment du second, sauf à priver d’effet l’article L. 113-8 du Code des assurances (CA Douai, 12 avr. 2007).

Cette position est reprise par les juridictions du fond et confortée par la doctrine selon laquelle le secret ne saurait être invoqué dans un dessein illégitime, tel que couvrir une fraude à l’assurance.

==>Le rôle du médecin-conseil

L’assureur ne peut, en aucun cas, recevoir directement les données de santé du souscripteur. Il doit obligatoirement passer par son médecin-conseil, dont la mission est strictement encadrée. Ce dernier ne peut recevoir des données médicales qu’à condition qu’elles lui soient adressées sous pli confidentiel, que son identité soit expressément mentionnée dans la demande, et que le consentement éclairé de l’assuré soit préalablement recueilli.

Dans sa recommandation n°MSP 2013-209 du 26 novembre 2013, le Défenseur des droits a rappelé avec force que « la loi n’a pas prévu de secret partagé entre les professionnels de santé et les sociétés d’assurances ou leurs médecins-conseils ». Dès lors, toute communication médicale à l’assureur ne peut intervenir que dans des conditions rigoureusement circonscrites, à l’exclusion de tout questionnaire préétabli transmis par l’assureur au médecin traitant. La communication doit être minimale, proportionnée et cantonnée aux informations strictement nécessaires à l’exécution du contrat (v. CE, 26 sept. 2005, n°270234).

Le médecin-conseil ne peut, en outre, se prévaloir de sa fonction pour transmettre à l’assureur des données confidentielles obtenues auprès du médecin traitant. Ce dernier, tenu par le secret, engage sa responsabilité civile, pénale et disciplinaire en cas de divulgation (Cass. 1re civ., 12 janv. 1999, n°96-20.580 ; CSP, art. R. 4127-4). Le secret médical, même dans l’assurance, demeure un verrou éthique et juridique majeur, dont le contournement ne saurait être admis sous prétexte de sélection du risque.

3. Les limites tenant aux aspects économiques et commerciaux

Au-delà des limites techniques et juridiques pesant sur la collecte des informations relatives au risque, le système déclaratif se trouve contraint, dans sa mise en œuvre concrète, par des logiques exogènes à la rationalité assurantielle. La quête de performance commerciale et la standardisation des parcours clients altèrent la qualité et la rigueur du recueil des déclarations. Il en résulte une tension structurelle entre l’exactitude souhaitée du dispositif et la simplicité revendiquée de l’offre.

Dans un marché libéralisé, où la rapidité de souscription, la simplicité perçue des démarches et la transparence tarifaire constituent des atouts décisifs pour capter la clientèle, les assureurs sont incités à alléger les questionnaires de déclaration du risque. Le souci de fluidifier l’expérience utilisateur l’emporte souvent sur l’exigence d’exhaustivité. Les questions sont alors simplifiées, voire volontairement édulcorées, afin de ne pas rebuter le prospect par un formalisme jugé excessif. Cette démarche, dictée par des considérations purement commerciales, affaiblit mécaniquement la rigueur du recueil déclaratif.

La dématérialisation croissante des parcours de souscription — via plateformes numériques, applications mobiles ou interfaces web — accentue ce phénomène. Le recours à des questionnaires dynamiques ou à des interfaces conversationnelles (chatbots) introduit une forme d’intermédiation algorithmique qui peut masquer la complexité du risque, voire escamoter certaines zones d’ombre. Le risque d’une déclaration lacunaire sans intention dolosive s’en trouve mécaniquement accru, comme l’a souligné la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 23 mai 2019, dans lequel l’assuré avait répondu de bonne foi à une question ambiguë, sans que cela suffise à caractériser sa mauvaise foi (Cass. 2e civ., 23 mai 2019, n°18-13.493).

Ce déséquilibre entre transparence attendue et lisibilité promise se traduit par un affaiblissement des garanties probatoires de la déclaration. Trop de questions nuisent à l’ergonomie du parcours de souscription?; trop peu conduisent à un défaut d’information substantielle. L’assureur, pris en étau entre l’obligation d’évaluer le risque et la nécessité de ne pas perdre son client, consent souvent à des compromis rédactionnels aux confins de l’insuffisance.

En cela, le questionnaire se révèle extensible à l’excès ou, inversement, résolument lacunaire. Il devient un instrument imparfait, écartelé entre fonction probatoire et exigence de fluidité. Comme le relève la doctrine, le questionnaire, s’il est utile, présente naturellement ses faiblesses. Il ne permet pas de tout renseigner. Il est le plus souvent muet quant à l’existence d’autres contrats. L’assureur ne pose pas toutes les questions ». À cette liste, il faut désormais ajouter l’effet délétère des arbitrages commerciaux, qui tendent à sacrifier la rigueur au nom de la conversion client.

Ce contexte rend d’autant plus crucial le rôle de l’intermédiaire d’assurance, tenu d’un devoir de conseil renforcé. À mesure que le processus déclaratif s’automatise, le professionnel de l’assurance devient, par contraste, le dernier garant de l’effectivité du recueil d’informations. Il lui revient non seulement de veiller à la bonne compréhension des questions posées, mais encore de solliciter toute précision utile de la part du souscripteur, même en l’absence d’ambiguïté apparente. Cette exigence de vigilance trouve à s’appliquer avec une particulière acuité dans les assurances de personnes ou les assurances de responsabilité, où les enjeux de sincérité déclarative sont majeurs.

Dans cette perspective, la jurisprudence invite à reconnaître un devoir de curiosité de l’intermédiaire — non au sens d’une obligation générale d’investigation, mais comme un corollaire du devoir de conseil. Ce devoir n’implique pas une obligation générale d’investigation, ni a fortiori un contrôle systématique de la sincérité des déclarations du souscripteur — sauf à disposer d’éléments objectifs de suspicion (Cass. 1re civ., 22 mai 2002, n°99-10.715). Il requiert néanmoins que l’intermédiaire veille à la bonne compréhension, par le souscripteur, de la portée et de la finalité des questions posées, et qu’il alerte ce dernier en cas d’ambiguïté manifeste ou d’erreur flagrante (Cass. 1re civ., 10 mai 2000, n° 98-10.033).

À défaut, l’intermédiaire peut engager sa responsabilité propre, non seulement en cas de manquement à son devoir de conseil, mais également lorsque son comportement contribue à une perception erronée du risque par l’assureur. Ainsi, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité d’un établissement ayant souscrit une assurance de groupe en omettant de signaler une discordance manifeste entre deux documents remis simultanément par l’adhérent (Cass. 1re civ., 14 oct. 1997, n° 95-14.336).

Plus grave encore est l’hypothèse dans laquelle l’intermédiaire, qu’il soit agent général ou courtier, a eu connaissance, voire a contribué, à une fausse déclaration. La jurisprudence considère que l’assureur ne saurait, dans ce cas, invoquer l’article L. 113-8 du Code des assurances pour se prévaloir d’une nullité du contrat. La connaissance de la réticence par le représentant — agent ou mandataire — est réputée être celle de l’assureur lui-même, en vertu d’une application rigoureuse du mécanisme de représentation (Cass. 1re civ., 7 oct. 1992, n° 90-16.111 et n° 90-16.589). Cette position, aujourd’hui bien établie (Cass. 1re civ., 23 nov. 1999, n° 97-15.319), repose sur la double idée que nul ne peut ignorer ce que sait son mandataire, et que l’assureur ne peut tirer parti d’une fraude à laquelle a participé son propre représentant.

Certes, cette solution n’est pas exempte de critiques. Elle revient à garantir à l’assuré — pourtant coauteur d’une fraude — le maintien du contrat et l’indemnisation du sinistre, sur la base de la seule turpitude du mandataire. Elle repose, en outre, sur une conception discutable du mandat, en confondant la connaissance personnelle du risque par l’assureur et la connaissance de ce risque par son représentant, ce qui revient à méconnaître les limites du lien de représentation.

Dans les cas les plus extrêmes, la jurisprudence évoque même la turpitude du mandataire pour écarter l’exception de nullité fondée sur la fausse déclaration (Cass. 2e civ., 4 févr. 2010, n° 09-11.464). Toutefois, là encore, la solution est discutable : ce n’est pas la propre turpitude de l’assureur qui lui est opposée, mais celle d’un tiers. Et si la maxime nemo auditur propriam turpitudinem allegans peut, dans certaines hypothèses, bloquer les restitutions, elle ne fait pas obstacle par principe à l’action en nullité.

Ainsi, le rôle de l’intermédiaire dans le recueil déclaratif est à double tranchant : auxiliaire du devoir de conseil lorsqu’il accompagne loyalement le souscripteur, il devient facteur de déstabilisation du contrat lorsqu’il outrepasse sa fonction ou ferme les yeux sur une fraude. À cette aune, l’exigence de loyauté contractuelle impose une vigilance renforcée à tous les stades de la formation du contrat.

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