Le Droit dans tous ses états

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Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 23-11.731, publié au bulletin : Reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie psychique, saisine d’un CRRMP et non contestabilité du taux prévisible

Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 23-11.731, publié au bulletin :

Reconnaissance du caractère professionnel d’une maladie psychique, saisine d’un CRRMP et non contestabilité du taux prévisible

Résumé.

Les maladies psychiques, qui sont encore à ce jour hors tableau, peuvent être reconnues d’origine professionnelle à la condition qu’un critère de gravité soit rempli. Il s’avère que le médecin-conseil de la caisse peut se contenter d’un taux « prévisible » pour justifier la saisine d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles par la caisse de sécurité sociale. C’est un taux que l’employeur n’est toujours pas fondé à remettre en cause… peu important qu’à la fin de l’histoire le taux définitif soit très en-deçà des 25 % exigés par la loi aux fins de saisine du CRRMP.

Commentaire.

Une salariée formule une demande de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie (hors tableau), en l’occurrence un état dépressif, des insomnies et des cauchemars. Aux termes d’une expertise effectuée par un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), saisi par la caisse (art. D.461-30 c. sécu. soc.), il est notifiée à la victime et à son employeur la prise en charge de la pathologie au titre de la législation professionnelle. La victime saisit dans la foulée une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, qui se défend.

L’employeur, qui ne semble pas contester que la maladie a été essentiellement et directement causé par le travail habituel de la victime (au sens de l’article L. 461-1 c. sécu. soc.), soutient en revanche que la condition de gravité de la maladie exigée par les articles L. 461-1 et R. 461-8 du code de la sécurité sociale aux fins de saisine du CRRMP n’est pas remplie ; qu’il était insuffisant pour la caisse de se contenter du taux « prévisible » fixé par le médecin-conseil. Et de soutenir subsidiairement que l’avis de ce dernier professionnel de santé, à la lumière duquel la caisse s’est prononcée, ne lie pas la juridiction.

Saisie, la cour d’appel ne fait pas droit à sa demande. Quant au pourvoi, et conformément à une jurisprudence de la deuxième chambre civile bien fixée (v. déjà en ce sens, Civ. 2, 19 janv. 2017, n° 15-26.655 – 21 oct. 2021, n° 20-13.889), il est rejeté. La Cour de cassation ne convainc donc toujours pas. Il faut bien convenir qu’il y a matière à douter.

Le taux d’incapacité permanente partielle de travail de 25 % est un sérieux obstacle à la saisine du CRRMP, qui suppose que la victime souffre d’une maladie relativement grave. C’est ce sur quoi le service du contrôle médical de la caisse doit se prononcer (au vu de l’article L. 434-2 c. sécu. soc.) peu important que la maladie expertisée ne soit renseignée dans aucun tableau de maladie professionnelle. Pour ce faire, et aux fins de saisine, le médecin-conseil est prié de fixer un taux dit « prévisible ». Pour le dire autrement, le taux est déterminé peu important que la maladie psychique ne soit pas consolidée. Ceci pour bien faire comprendre qu’il est tout à fait possible qu’une fois l’expertise réalisée par le comité, un taux d’IPP inférieur à 25 % puisse être arrêté. En bref, l’entreprise peut se voir opposer une décision de prise en charge d’une maladie aux moindres conséquences qu’il ne semblait de prime abord, qui n’aurait pas fondé l’imputation du sinistre au « compte employeur ».

Il y a donc une différence nette entre les conditions de la saisine du CRRMP et ses effets en termes de reconnaissance du préjudice séquellaire, qui est contestée dans le cas d’espèce et qui n’est pas toujours bien comprise ou acceptée.

Il faut convenir que si l’affection n’est pas stabilisée, que son évolution est imprévisible, que donc le taux d’incapacité permanente partielle ne peut être arrêté, la caisse devrait en toute rectitude adresser au demandeur un refus d’ordre médical, à charge pour l’intéressé de saisir la commission médicale de recours amiable (art. L. 142-1, 5° et R. 142-8 c. sécu. soc.). C’est le triste lot de nombreuses maladies psychiatriques dont la gradation est un exercice qui tient de la gageure. En guise de réponse apportée à la difficulté d’évaluer le retentissement de ce type de maladie, les pouvoirs publics ont demandé aux caisses de retenir une interprétation souple de l’article L. 461-1, alinéa 4 du code de la sécurité sociale, afin de fixer un taux d’incapacité « prévisible » à la date de la demande, sans exiger que l’état de la victime ne soit stabilisé (v. en ce sens, l’instruction adressée par la Direction de la sécurité sociale du ministère chargé des affaires sociales – DSS/SD3A/2012/98 du 13 mars 20122012 – à la caisse nationale, qui l’a répercutée dans une lettre-réseau LR/DRP n° 17/2012 de la CNAMTS du 12 avr. 2012. V. not. sur le sujet : Ch. Willmann, Lexbase, 22 oct. 2015). Plus tard, et sur cette pente, le législateur s’est appliqué à édicter une procédure dérogatoire de reconnaissance du caractère professionnel des maladies psychiques (loi n° 2015-994 du 17 août 2015), qui aura concrètement consisté à autoriser le médecin-conseil (ou le comité) à faire appel, chaque fois qu’il l’estime utile, à l’avis d’un médecin spécialiste ou compétent en psychiatrie (art. D. 461-27 c. sécu. soc.).

Où l’on voit le biais qui est dénoncé dans cette affaire.

Qu’il faille attendre la consolidation, voire à tout le moins une stabilisation, c’est sûrement trop demander pour que l’instruction d’une demande de prise en charge d’une maladie hors tableau ne soit faite. Des années peuvent s’écouler sans que jamais le droit putatif de la victime à une couverture du risque maladie par la branche AT/MP ne soit sanctionné et que les prestations sociales susceptibles d’être servies en regard ne soient accordées. De ce point de vue, la détermination d’un taux d’incapacité permanente partielle de travail « prévisible » est de nature à éviter que la lettre de l’article L. 461-1 du code de la sécurité ne reste morte. Mais que le taux arrêté aux fins de saisine du CRRMP soit laissée à l’appréciation discrétionnaire du médecin-conseil (dans la mesure où la Cour de cassation après la cour d’appel refuse à l’employeur le droit de le contester) est discutable. Ce d’autant plus que ce dernier ne s’est peut-être pas fait assister d’un psychiatre, ce qui est une hypothèse qu’il faut avoir en tête tant la médecine psychiatrique souffre d’un manque de praticiens (les consultations augmentent tandis que la spécialité n’est pas assez choisie par les jeunes médecins au regard des besoins).

Le défaut de parallélisme des formes interroge dans le cas particulier. Tandis qu’en cas de rejet de la saisine du CRRMP par la caisse, la victime est fondée à saisir le comité médical de recours amiable ; en cas d’admission en revanche, l’employeur est interdit de toute contestation.

Au vu 1° de la juridictionnalisation du contentieux des accidents et des maladies professionnelles ; 2° de la tentation forte de saisir un juge en reconnaissance du caractère inexcusable de la faute commise par l’employeur aussitôt qu’une prise en charge du risque professionnel par la branche idoine est notifiée ; 3° de la gradation ex post du taux par le comité, qui peut être très en-deçà du taux exigé aux fins de saisine ; 4° de la présentation du dossier devant le comité par le médecin-conseil qui a examiné la victime ou qui a statué sur son taux d’incapacité permanente (art. D. 461-30 c. sécu. soc.), qui est de nature à influencer le comité d’experts ; 5° du poids des prestations sociales servies qui est déplacé sur l’employeur concerné ou bien la communauté des employeurs (en cas de tarification collective), il ne semblait pas inéquitable de dire l’employeur incriminé (en fin de compte) bien fondé à discuter le taux dit « prévisible », voire à lui accorder le bénéfice d’une inopposabilité de la prise en charge de la pathologie au titre de la législation toutes les fois que le taux définitivement arrêté se situe en deçà dudit taux « prévisible » (v. sur le refus de cette hypothèse : Civ. 2, 19 janv. 2017, préc.), charge alors aux tutelles et au Conseil d’orientation des conditions de travail de reprendre la main et de définir un nouveau tableau de maladies professionnelles, en l’occurrence un tableau des maladies de nature psychique (art. L. 461-2 c. sécu. soc.).

La solution a néanmoins le mérite d’assouplir le régime de la réparation des maladies professionnelles dans un contexte de discrimination des travailleurs devant le risque, de résistance à l’édiction d’un tableau idoine et du classement de la France parmi les plus mauvais élèves en termes de dépressions liées aux risques psychosociaux, si l’on en croit les résultats d’une recherche qui a été présentée à la fin du mois de janvier dernier devant le Conseil de l’Union européenne (Leïla Comarmond, Les Echos, 28 avr. 2025 ; https://actualites.uqam.ca/2024/risques-psychosociaux-au-travail).

Article publié in Dalloz actualité mai 2025.

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