Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 23-11.656, publié au bulletin :
Rejet de l’action en inopposabilité de la prise en charge d’une maladie professionnelle pour défaut de communication des certificats médicaux de prolongation d’arrêt de travail
Résumé.
La Cour de cassation confirme que les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail n’ont pas à être communiqués par la caisse à l’employeur. La raison invoquée : le certificat médical initial est suffisant pour apprécier la réunion des conditions d’un tableau de maladie professionnelle. La contestation qui perdure : les effets de la prise en charge par la branche AT/Mp sont inscrites au « compte employeur » or toutes les prestations sociales servies n’ont pas nécessairement à être couvertes de la sorte. Et pour le vérifier, il importe que soient communiqués lesdits certificats…ce qui est à nouveau refusé.
Commentaire.
A l’issue de ses investigations, une caisse primaire d’assurance maladie prend en charge, au titre de la législation professionnelle, la pathologie déclarée par un salarié. L’employeur, qui conteste la qualification juridique retenue, saisit une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d’un recours en inopposabilité. L’enjeu pour l’intéressé est d’échapper aux suites de la réalisation du risque assuré, à savoir la majoration de son taux brut de cotisation (pour le cas où l’entreprise ne relève pas de la tarification collective). Dans le cas particulier, l’employeur fait grief à la caisse d’avoir violé le principe du contradictoire et méconnu les prescriptions de l’article R. 441-14 du code de la sécurité sociale en ne lui ayant pas communiqué tous les certificats médicaux qu’elle détenait, à savoir : les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail, à la lumière desquels elle a pu forger son analyse.
Il faut bien voir qu’en raison de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie, toutes les prestations en espèce comme en nature ont vocation à être inscrites au « compte employeur ». Contester la décision de la caisse primaire, c’est espérer une déclaration d’inopposabilité de la prise en charge de la maladie initiale ou, à tout le moins, l’inopposabilité de la couverture par la branche AT/MP des nouveaux symptômes ou lésions qui ont justifié la prolongation de l’arrêt de travail.
Saisie, la cour d’appel de Nancy ne fait pas droit à cette demande, qui énonce que le dossier est complet et que l’obligation d’information mise à la charge de la caisse est respectée nonobstant le défaut de communication des certificats de prolongation des arrêts de travail. L’important pour les juges du fond : c’est que l’employeur a pu apprécier la réalisation des conditions du tableau de maladie professionnelle.
La Cour de cassation partage l’analyse et rejette le pourvoi après s’être déjà prononcée sur le sujet (Civ. 2, 16 mai 2024, n° 22-22.413 et n° 22-15.499). Elle reprend du reste un attendu de principe mot à mot. A l’évidence, la deuxième chambre civile peine à convaincre les employeurs concernés.
Il faut bien dire que formellement, l’article R. 441-14, 2° du code de la sécurité sociale dispose que le dossier constitué par la caisse primaire comprend « les divers certificats médicaux détenus par la caisse » sans plus d’indication. Considérer que seuls ceux qui ont vocation à faire grief doivent être communiqués c’est introduire une condition supplémentaire douteuse, qui force à la casuistique. Et refuser de communiquer les certificats médicaux de prolongation de soins et d’arrêts de travail, c’est empêcher l’employeur de contester éventuellement le lien de causalité entre les nouveaux symptômes ou lésions (qui ont imposé la prescription d’un nouvel arrêt de travail) et la maladie initiale. C’est donc laisser souffrir ce dernier d’une inscription sur le « compte employeur » de prestations sociales servies en regard possiblement injustifiées.
La Cour de cassation, après la cour d’appel, et conformément à sa jurisprudence, précise qu’il n’y a pas lieu de communiquer les certificats ou les avis de prolongation de soins ou arrêts de travail critiqués, délivrés après le certificat médical initial, parce qu’ils ne portent pas sur le lien entre l’affection, ou la lésion, et l’activité professionnelle. Et de limiter ce faisant les atteintes portées au secret médical dû à la victime, atteintes rendues (au passage) nécessaires pour que le procès soit équitable (art. 122-4, al. 1 ensemble art. 226-14 c. pén. V. not. Civ.2, 22 févr. 2005, n° 03-30.308, publié au bulletin). En complément des arrêts rendus au printemps 2024, la Cour de cassation précise que seul le certificat médical initial participe de l’objectivation de la maladie, les certificats médicaux de prolongation n’étant pas de nature à influer sur la caractérisation de la maladie mais sur les conséquences de celle-ci. Et d’ajouter que les pièces figurant au dossier informaient suffisamment l’employeur sur la pathologie déclarée et la réalisation des conditions du tableau.
C’est sur ce point précis que se cristallise le débat. Que le certificat médical initial renseigne l’agent causal d’une maladie professionnelle ou bien d’un accident de travail, personne n’en disconvient. Que le dossier constitué puis communiqué dans la foulée par la caisse permette à l’employeur d’apprécier le bien fondé de la qualification retenue et de faire connaître ses observations éventuelles (au sens de l’article R. 441-8, II, al. 1 c. sécu. soc.), personne ne le discute à hauteur de principe.
Mais il faut voir que consécutivement à la prise en charge de la maladie par la branche AT/MP, la charge financière de la couverture du risque est transférée à l’employeur ou bien à la communauté des employeurs (en cas de tarification collective du risque). Exiger la communication des certificats litigieux, c’est vérifier que les prestations sociales qui continuent d’être servies sont une suite directe du fameux agent causal princeps. Vérification qui est rendue d’autant plus nécessaire toutes les fois qu’un temps relativement long a pu s’écouler depuis que la victime est tombée malade.
En conclusion, refuser la communication de toutes les pièces du dossier, c’est d’une part, et nécessairement, accorder un pouvoir d’appréciation aux administrations de sécurité sociale quant à la question de savoir si les éléments en débat sont susceptibles de faire grief ou non ; c’est d’autre part, et possiblement, provoquer un appauvrissement injustifié de l’employeur.
Un rapport de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (déc. 2024, n° 1321) révèle que les arrêts pour accidents du travail et maladies professionnelles continuent de croître en nombre de jours et en montant (4,1 milliards d’euros). La branche AT/MP étant financée par les seules cotisations sociales patronales, il est entendable que les employeurs, qui ont la responsabilité de maximiser l’allocation des ressources, fassent feu de tout bois pour sinon renverser la présomption légale d’imputabilité (qui suppose une preuve souvent impossible à rapporter d’une cause totalement étrangère au travail), à tout le moins réduire les incidences financières du caractère professionnel de la maladie ou bien de l’accident. Et tandis que la législation sociale a été imaginée pour prévenir le contentieux, la juridictionnalisation du droit des accidents du travail et des maladies professionnelles questionne l’économie générale des règles sous étude.
Article publié in Dalloz actualité 5 mai 2025.
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