Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 22-18.173, publié au bulletin
Titre.
Rente majorée, restitution de l’indu et précisions quant à la théorie de l’autorité de la chose décidée
Résumé.
Après qu’une caisse a procédé à quelques vérifications ex post, elle notifie pour le passé un indu de plusieurs milliers d’euros à un crédit-rentier et rectifie pour l’avenir son erreur de calcul. La théorie de l’autorité de la chose décidée n’aura été d’aucun secours tandis que le droit de la restitution de l’indu aurait pu dispenser pour partie la victime de la dette de remboursement.
Commentaire.
En l’espèce (Civ. 2, 10 avr. 2025, n° 22-18.173), après que la faute inexcusable de l’employeur, qui a concouru à l’accident du travail de la victime, a été reconnue par une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale, la majoration de la rente allouée a été fixée au maximum. Consécutivement à une vérification survenue 7 années plus tard, la caisse constate une erreur de calcul de la majoration et un trop-perçu, réduit le montant annuel de la rente de plus de 22 % et notifie à la victime un indu de plusieurs milliers d’euros (sur le fondement de l’article L. 133-4-1, al. 1er c. sécu. soc.). Celle-ci conteste l’action en restitution. La demande ayant été rejetée par la commission de recours amiable, la victime saisit le juge de la sécurité sociale.
La lecture de l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens (n° RG 20/02006, qui n’est pas accessible sur Legifrance ni Jurilibre mais sur l’application d’un éditeur privé) renseigne que le pôle social du tribunal judiciaire de Lille (10 oct. 2017, n° 20162467/6320) a condamné la victime à rembourser le trop-perçu (plus de 15 000 euros).
Saisie, la cour d’appel d’Amiens fait droit à la demande de la victime, qui soutient que la décision attributive de la rente majorée présente un caractère définitif lui conférant l’autorité de la chose jugée laquelle, en l’absence de fraude de la victime ou bien de révision de son taux d’incapacité, fait obstacle à toute modification du montant de la rente et, par voie de conséquence, à la notification de l’indu litigieux. En bref, la victime excipe la théorie de l’autorité de la chose décidée.
La deuxième chambre civile entre en voie de cassation (partielle), rappelle formellement les principes et indique les limites qu’elle pose au jeu de la théorie précitée. Au visa de l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale, il est rappelé que le versement de prestations indues ouvre droit (pour le passé) à restitution au profit de la caisse solvens dans les limites de la prescription applicable (laquelle prescription biennale n’est pour mémoire pas applicable en cas de fraude ou de fausse déclaration de l’assuré). Il est également indiqué que rien ne s’oppose (pour l’avenir) à la rectification de la décision affectée de l’erreur.
La théorie de la chose décidée est une construction jurisprudentielle qui a été commencée à la fin des années soixante, concomitamment à l’élaboration de la théorie de la garantie contre les changements de doctrine, qui est une théorie propre au droit administratif. Le principe formulé par la Cour de cassation, que reprend à son compte l’auteur du pouvoir dans son moyen, est le suivant : dès lors qu’une décision a été régulièrement notifiée et qu’elle n’a donné lieu, dans les délais, à aucun recours contentieux, elle revêt un caractère définitif. Partant, l’organisme de sécurité sociale ne peut prononcer son retrait, c’est-à-dire y mettre fin rétroactivement, à moins que la décision n’ait été acquise au bénéfice de la fraude (Soc., 5 mars 1992, CPAM de la Dordogne c./ Ambulances Archambault, RJS 3/94, n° 300). Pour le dire autrement, une décision définitive peut être abrogée pour l’avenir ; elle ne peut être retirée rétroactivement (Soc., 20 juin 1995, Société Safer c./ URSSAF du Nord-Finistère, Bull. civ. V, n° 225, X. Prétot, Les grands arrêts du droit de la sécurité sociale, 2e éd., Dalloz, 1998, p. 46 et s.).
La théorie de la chose décidée est volontiers excipée par les parties au soutien de leur pourvoi en cassation. La deuxième chambre civile n’en fait pourtant jamais mention dans ses arrêts. La consultation de Legifrance l’atteste : l’expression exacte « autorité de la chose décidée » n’est renseignée en tout et pour tout qu’à 18 reprises parmi les arrêts rendus et publiés par la deuxième chambre civile (en cochant également dans la requête les arrêts rendus par la chambre sociale, le score augmente un petit peu toutefois). Exception est donc faite à la règle en l’espèce en ce sens que la Cour de cassation prend soin de reproduire la décision de la cour d’appel, qui a repris à son compte les conclusions de la victime relativement au jeu de la théorie de la chose décidée (point n° 11), pour casser dans la foulée l’arrêt rendu.
En bref, et nonobstant l’impérieuse nécessité de garantir la sécurité juridique des créanciers de prestations sociales, l’organisme de sécurité sociale est fondé à demander la restitution de l’indu, à prévenir l’enrichissement sans cause d’un assuré et à protéger ainsi la communauté toute entière des cotisants d’un appauvrissement injustifié. L’organisme est encore fondé, pour prévenir dans le futur un trop-perçu, à rectifier la décision affectée de l’erreur. Tout est distinctement explicité dans l’arrêt.
Ceci étant dit, la restitution de l’indu, qui est une figure particulière de la théorie de l’enrichissement injustifié, ne saurait exonérer le débiteur de la faute commise dans le paiement. Il sera rappelé qu’il appartient à celui qui doit payer l’obligation de faire montre de la meilleure des diligences aux fins de parfaite libération. Dans le cas particulier, l’organisme de sécurité sociale a mis des années avant de s’apercevoir de l’erreur de calcul, lequel calcul est sa responsabilité propre. Entendons que le crédit-rentier n’a que bien peu de moyens pour connaître, de son côté, le montant précis de sa rente et de ses droits à prestation. Si cela avait été le cas, l’organisme aurait pu lui opposer l’article 1302-1 du code civil, qui dispose que « celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l’a indûment reçu ». Au résultat, et en raison de l’erreur grossière commise par l’organisme de sécurité sociale (erreur de calcul ab initio et modalités de contrôle insuffisantes ex post), le crédit-rentier est obligé de rembourser plus de 15 000 euros tandis que ses revenus de remplacement sont plafonnés à 1600 euros. En conséquence, l’article 1302-3, al. 2 du code, qui dispose que la restitution peut être réduite si le paiement procède d’une faute, aurait très certainement gagné à être appliqué dans la cas particulier, ce que les parties n’ont pas demandé aux juges successivement saisis (v. également l’octroi du délai de grâce de l’article 1343-5, al.1 du code civil).
Article publié in Dalloz actualité mai 2025
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