Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

Les règles encadrant le contenu du contrat d’assurance

Le contrat d’assurance, classiquement présenté comme une émanation de l’autonomie de la volonté, semble, à première vue, s’inscrire dans l’orbite du droit commun des obligations. Mais cette représentation, héritée d’un individualisme juridique dépassé, se heurte à la réalité d’un droit profondément marqué par l’intervention du législateur. À rebours du modèle contractuel classique, le contrat d’assurance ne laisse que peu de place à une véritable négociation : il s’agit, dans la grande majorité des cas, d’un contrat d’adhésion, rédigé unilatéralement par l’assureur, dont la puissance économique et la technicité confèrent une supériorité structurelle dans la relation contractuelle.

Face à cet acteur professionnel aguerri, l’assuré – qu’il soit un consommateur ou une entreprise – est souvent placé dans une position de vulnérabilité. La technicité des clauses, l’opacité du langage assurantiel, l’asymétrie d’information et la standardisation des produits concourent à priver la partie faible de toute capacité réelle de discussion ou d’amendement des termes du contrat. Cette dissymétrie, identifiée depuis longtemps par la doctrine[1], a conduit le législateur à intervenir de manière croissante, au nom de la protection de l’intérêt général et de l’équilibre contractuel.

Dès la loi fondatrice du 13 juillet 1930, une politique normative volontariste a été mise en œuvre, visant à empêcher que la garantie d’assurance ne soit vidée de sa substance par le biais de clauses de déchéance, d’exclusion ou de nullité, souvent défavorables à l’assuré. Le mouvement s’est intensifié au fil des décennies, au point que le contrat d’assurance apparaît aujourd’hui comme l’un des instruments juridiques les plus rigoureusement encadrés, tant dans sa formation que dans son exécution. Le phénomène est tel que l’on peut légitimement se demander ce qu’il reste, en ce domaine, de la liberté contractuelle. Celle-ci, sans être entièrement effacée, se voit strictement balisée, dans un souci de protection, de prévisibilité et de loyauté.

Dans certains secteurs de l’assurance – l’assurance maladie ou l’assurance construction, par exemple – la liberté contractuelle tend même à se réduire à peau de chagrin, tant le contenu du contrat est dicté par des normes impératives ou des clauses-types imposées. Comme le note Jérôme Kullmann, le droit des assurances opère ainsi une transformation du contrat en un acte normé, « où l’expression de la volonté des parties s’efface derrière la volonté du législateur »[2].

Dans cette perspective, deux axes majeurs structurent l’architecture contemporaine du contrat d’assurance. Le premier réside dans l’édiction de règles légales à caractère substantiellement impératif, qui s’imposent aux parties et cantonnent strictement les marges de négociation contractuelle. Le second relève d’un interventionnisme administratif croissant, qui se manifeste tant par l’imposition de clauses-types que par le contrôle, a posteriori, de la régularité des documents contractuels. Ces deux dimensions – législative et administrative – forment un tout cohérent, destiné à assurer la protection de l’assuré sans exclure toute souplesse, dans un équilibre subtil entre impérativité et liberté résiduelle.

I) L’encadrement du contenu du contrat d’assurance par la loi

Le contrat d’assurance se distingue de nombreux autres instruments juridiques par le degré élevé de contrainte normative qui pèse sur lui. Cette spécificité s’explique avant tout par l’inégalité structurelle des parties : d’un côté, l’assureur, professionnel aguerri, conçoit seul les stipulations contractuelles dans le cadre d’un contrat d’adhésion?; de l’autre, l’assuré, souvent profane, se trouve dans l’impossibilité matérielle de négocier les termes du contrat et, plus encore, d’en saisir pleinement la portée juridique et technique. Ce déséquilibre a conduit le législateur à intervenir de manière proactive, dans le but de garantir une protection effective de la partie faible et de rétablir une certaine équité contractuelle.

C’est dans cette logique que s’inscrit l’article L. 111-2 du Code des assurances, dont la portée est absolument fondamentale. Il dispose : « les prescriptions des titres Ier, II, III et IV du présent livre ne peuvent être modifiées par convention, sauf celles d’entre elles qui donnent aux parties une simple faculté. La liste de ces prescriptions figure dans les articles L. 112-1, L. 112-5, L. 112-6, L. 113-10, L. 121-5 à L. 121-8, L. 121-12, L. 121-14, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-6, L. 124-1, L. 124-2, L. 127-6, L. 132-1, L. 132-10, L. 132-15 et L. 132-19. »

Ce texte érige donc une distinction structurante entre les dispositions impératives, auxquelles il est strictement interdit de déroger, et les dispositions supplétives, que les parties peuvent aménager par convention. Cette distinction irrigue l’ensemble du droit des assurances et confère au contrat d’assurance une structure largement encadrée, tant lors de sa formation que pendant son exécution ou à l’occasion de sa cessation.

A. Principe

Le contrat d’assurance est marqué par la présence de nombreuses règles impératives, destinées à encadrer strictement la liberté contractuelle et à garantir l’effectivité de la couverture. Cet encadrement trouve sa justification dans l’objectif de protection de l’assuré, considéré comme la partie faible de la relation contractuelle. Il s’agit d’éviter que le jeu des stipulations contractuelles, souvent élaborées unilatéralement par l’assureur, ne conduise à priver la garantie de toute substance.

Comme l’a expliqué Hubert Groutel, le recours à l’ordre public dans le droit des assurances ne vise pas à exclure toute autonomie des parties, mais à encadrer les mécanismes contractuels, à proscrire certaines pratiques (notamment l’enrichissement sans cause dans les assurances de dommages, interdit par l’article L. 121-1 du Code des assurances), et à canaliser les litiges dans un cadre légal protecteur (Le contrat d’assurance, op. cit., p. 7). Autrement dit, il ne s’agit pas de nier la liberté contractuelle, mais de la soumettre à des bornes rigoureuses dès lors qu’elle touche à des éléments essentiels de la relation assurantielle.

Ce principe s’incarne avec force dans la jurisprudence. La Cour de cassation a ainsi annulé des clauses qui méconnaissaient des dispositions impératives du Code des assurances, quand bien même ces clauses figuraient dans des polices librement acceptées par l’assuré. Par exemple, une clause dispensant l’assureur de mise en demeure en cas de non-paiement des primes a été jugée contraire à l’article L. 113-3 et déclarée nulle (Cass. 1re civ., 8 juin 1959). De même, toute tentative de modifier par convention le délai de prescription biennale des actions dérivant du contrat, en violation des articles L. 114-1 et L. 111-2, est systématiquement sanctionnée (Cass. 1re civ., 2 juin 1964).

Plus encore, la Haute juridiction affirme que l’ordre public s’impose indépendamment de sa transcription dans la police d’assurance. Ainsi, même si une stipulation illégale n’est pas expressément identifiée comme telle dans le contrat, elle demeure nulle de plein droit si elle contrevient à une règle impérative (Cass. 1re civ., 19 déc. 1983). C’est ce que certains auteurs ont désigné comme un « usage intensif de l’ordre public » : une exigence de conformité à la loi qui dépasse la seule volonté des parties et s’impose à elles dans un souci de justice contractuelle.

Cette logique protectrice conduit même à écarter certaines clauses lorsque, bien que favorables en apparence à l’assuré, elles remettent en cause l’équilibre général du contrat tel que voulu par le législateur. Tel fut le cas d’une clause portant le délai de préavis de résiliation d’une mutuelle de deux à six mois : bien qu’elle procurât plus de temps à l’adhérent pour anticiper la fin du contrat, elle a été déclarée nulle car contraire à l’article L. 221-10 du Code de la mutualité (Cass. 2e civ., 16 sept. 2011, n° 10-23.837). Comme l’explique Hubert Groutel, la protection légale n’est pas seulement un droit pour l’assuré, mais une garantie de stabilité et de lisibilité du cadre contractuel.

Enfin, l’encadrement des clauses d’exclusion illustre parfaitement l’objectif de sécurité juridique poursuivi par le législateur. L’article L. 113-1 du Code des assurances impose que toute clause d’exclusion de garantie soit « formelle et limitée », c’est-à-dire clairement exprimée et précise dans sa portée. À défaut, la clause est réputée non écrite. Cette exigence, qui vise à garantir une information loyale et compréhensible de l’assuré, a été expressément consacrée par la jurisprudence. Ainsi, la Cour de cassation a censuré des clauses d’exclusion jugées trop générales ou ambiguës, telles que celle invoquée dans un arrêt rendu le 9 juillet 2003, aux termes de laquelle l’assuré était déchu de tout droit à garantie en cas de comportement inexcusable (Cass. 1re civ., 9 juill. 2003, n° 00-19.113). Cette clause ne répondait pas aux critères de clarté et de précision exigés par la loi et risquait, en pratique, de priver l’assuré de toute protection en des circonstances imprévisibles.

B. Limites

Si le droit des assurances repose sur un socle de dispositions impératives, il n’exclut pas totalement les aménagements contractuels, dès lors qu’ils interviennent dans le strict respect des limites posées par la loi. Le législateur et la jurisprudence ont en effet reconnu des marges de dérogation et de renonciation, mais sous réserve de conditions exigeantes, tant sur le fond que sur la forme.

1. Les dispositions supplétives

L’article L. 111-2 du Code des assurances dispose que « les prescriptions des titres Ier, II, III et IV du présent livre ne peuvent être modifiées par convention, sauf celles d’entre elles qui donnent aux parties une simple faculté. La liste de ces prescriptions figure dans les articles L. 112-1, L. 112-5, L. 112-6, L. 113-10, L. 121-5 à L. 121-8, L. 121-12, L. 121-14, L. 122-1, L. 122-2, L. 122-6, L. 124-1, L. 124-2, L. 127-6, L. 132-1, L. 132-10, L. 132-15 et L. 132-19. »

Cette liste limitative, qui s’apparente à une enclave de contractualisme dans un droit largement dominé par l’ordre public, regroupe essentiellement des dispositions techniques ou organisationnelles, dont l’aménagement conventionnel ne remet pas en cause l’équilibre structurel du contrat d’assurance.

On peut en dégager les principales catégories :

  • Les règles relatives à la conclusion du contrat d’assurance et à son bénéficiaire
    • Article L. 112-1 : permet la souscription d’une assurance pour le compte d’autrui, voire « pour compte de qui il appartiendra ». Cette faculté, largement supplétive, laisse aux parties une marge d’organisation quant à l’identification du bénéficiaire et à l’étendue des droits qui lui sont conférés.
    • Article L. 112-5 : autorise la rédaction de la police à ordre ou au porteur, notamment pour les assurances autres que sur la vie, avec une ouverture à la dématérialisation depuis la loi du 13 juin 2024.
    • Article L. 112-6 : prévoit que l’assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers les exceptions qu’il aurait pu faire valoir contre le souscripteur initial.
  • Les règles relatives à l’assiette de la prime
    • Article L. 113-10 : prévoit la possibilité de stipuler une indemnité en cas d’erreur ou d’omission dans les éléments de calcul de la prime, plafonnée à 50?% de la prime omise. Il est également permis d’exclure la garantie en cas d’erreurs frauduleuses. Ces clauses sont laissées à la libre appréciation des parties.
  • Les dispositions relatives aux assurances de dommages
    • Article L. 121-5 : admet que l’assuré supporte une quote-part du dommage en cas de surassurance, sauf convention contraire.
    • Article L. 121-6 : autorise l’assurance de toute personne ayant un intérêt à la conservation de la chose. Cette définition ouverte de l’« intérêt assurable » est modulable par les parties.
    • Article L. 121-7 : exonère l’assureur, sauf convention contraire, des pertes liées au vice propre de la chose.
    • Article L. 121-8 : prévoit, sauf stipulation contraire, l’exclusion des dommages résultant de la guerre, des émeutes ou des mouvements populaires.
  • Les mécanismes de subrogation et de délaissement
    • Article L. 121-12 : subroge l’assureur dans les droits de l’assuré contre le tiers responsable, tout en permettant à ce dernier d’y renoncer envers certains proches (tels que les membres du foyer ou les préposés).
    • Article L. 121-14 : prohibe par principe le délaissement des objets assurés, sauf clause contraire.
  • Les clauses techniques en matière d’assurance incendie
    • Article L. 122-1 : limite la garantie aux incendies, sauf convention contraire.
    • Article L. 122-2 : prévoit les conditions d’indemnisation et les délais d’expertise, modulables par les parties.
    • Article L. 122-6 : exclut de plein droit certains cataclysmes naturels, sauf stipulation contraire.
  • Les règles de déclenchement de la garantie en matière de responsabilité
    • Article L. 124-1 : ne lie la garantie que si une réclamation est formulée par la victime, sauf aménagement.
    • Article L. 124-2 : permet une liberté dans la détermination du fait générateur et de l’étendue temporelle de la garantie.
  • Les régimes spécifiques d’assurance
    • Article L. 127-6 : exclut certaines assurances maritimes et de responsabilité des règles de la protection juridique, sauf volonté contraire des parties.
  • Les assurances sur la vie et leurs effets patrimoniaux
    • Article L. 132-1 : permet la souscription d’une assurance sur la tête d’un tiers ou de manière croisée.
    • Article L. 132-10 : autorise le nantissement de la police dans des conditions fixées par les parties, avec certaines limitations.
    • Article L. 132-15 : admet la cession du bénéfice du contrat sous certaines conditions.
    • Article L. 132-19 : prévoit que tout intéressé peut payer la prime à la place du souscripteur, pratique souvent utilisée dans les assurances emprunteur.

Ces dispositions traduisent une volonté claire du législateur de préserver une certaine plasticité contractuelle dans des domaines où la négociation est possible sans affecter l’équilibre général du contrat. Elles laissent subsister une autonomie résiduelle de la volonté, au sein d’un ordre juridique très largement contraint.

Néanmoins, toute dérogation à une disposition impérative demeure illicite, même si elle est favorable à l’assuré. Cette position a été confirmée dans un arrêt de la deuxième chambre civile du 16 septembre 2011 : une mutuelle ne peut valablement insérer dans un contrat collectif une clause portant de deux à six mois le délai de préavis de résiliation, même si ce délai plus long semble protecteur de l’adhérent (Cass. 2e civ., 16 sept. 2011, n° 10-23.837). Comme l’observe ce dernier, la protection de l’assuré ne se confond pas avec son intérêt ponctuel : elle suppose le respect d’un cadre normatif d’ensemble, garant d’un équilibre contractuel stable.

2. La faculté de renonciation

Si le droit des assurances est dominé par l’impérativité des règles protectrices, il n’exclut pas toute forme d’autonomie a posteriori. Une fois les effets de la règle réalisés, l’assureur — et dans une moindre mesure l’assuré — conserve, dans certains cas, la faculté d’y renoncer. Toutefois, cette renonciation n’est admise qu’à des conditions strictes, posées avec constance par la jurisprudence et saluées par la doctrine.

La Cour de cassation admet, de longue date, que l’on ne peut renoncer par avance à une règle d’ordre public destinée à protéger l’assuré. En revanche, la renonciation aux effets déjà produits d’une telle règle est concevable, à condition qu’elle résulte d’un acte postérieur, clair et dénué d’ambiguïté. Cette position de principe a été affirmée dans un arrêt du 17 mars 1998 : la Haute juridiction y rappelle que seule une renonciation survenue après la mise en œuvre de la protection peut produire effet (Cass. 1re civ., 17 mars 1998, n°96-12.249).

Cette jurisprudence permet notamment à l’assureur de renoncer aux sanctions prévues par les articles L. 113-2, L. 113-3, L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances — par exemple en cas de déclaration inexacte ou de non-paiement des primes — lorsqu’il adopte, en connaissance de cause, un comportement incompatible avec leur application. La perception continue des primes, ou encore l’indemnisation d’un sinistre malgré la connaissance d’une irrégularité, peuvent en constituer les indices.

A cet égard, certains comportements ont été expressément consacrés par le Code des assurances comme manifestant une renonciation. L’article L. 113-17 dispose en ce sens que « l’assureur qui prend la direction d’un procès intenté à l’assuré est censé aussi renoncer à toutes les exceptions dont il avait connaissance lorsqu’il a pris la direction du procès ». De même, l’article L. 113-4, alinéa 4 précise que l’assureur informé d’une aggravation du risque et qui continue néanmoins à encaisser les primes sans réagir dans le délai d’un mois est réputé avoir renoncé aux mesures prévues par la loi.

Dans un registre proche, l’article R. 113-10 interdit à l’assureur de résilier le contrat après un sinistre s’il a accepté le paiement d’une prime afférente à une période postérieure audit sinistre, une fois écoulé le délai d’un mois après avoir eu connaissance du sinistre.

Au-delà de ces textes, la jurisprudence s’est attachée à tracer les contours de la renonciation implicite. Elle exige qu’elle résulte d’« actes positifs et non équivoques » (Cass. ch. mixte, 26 avr. 1974, n°72-10.770). À défaut, la simple perception d’une prime, lorsqu’elle intervient dans un contexte contraint — par exemple dans le cadre d’un prélèvement couplé à un prêt bancaire — ne saurait suffire à caractériser une volonté claire de renonciation (Cass. 2e civ., 16 déc. 2010, n° 10-30.206).

Dans tous les cas, la charge de la preuve repose sur celui qui invoque la renonciation (Cass. 1re civ., 17 mars 1993).

Enfin, si la renonciation de l’assureur constitue un mécanisme admis — bien que strictement encadré — la renonciation de l’assuré à des droits qui lui sont reconnus à titre protecteur soulève des interrogations bien plus vives. En l’absence d’intérêt objectif à agir contre soi-même, la doctrine demeure sceptique quant à la validité de telles initiatives. En pratique, le contentieux se cristallise presque exclusivement sur les hypothèses où l’assuré tente de faire reconnaître qu’une clause ou une pratique de l’assureur constitue une renonciation implicite à ses droits.

II) L’encadrement du contenu du contrat d’assurance par l’administration

Aux côtés de la législation impérative, le contrat d’assurance fait l’objet d’un encadrement croissant par l’administration, dont l’intervention s’inscrit dans une logique de protection normative de l’intérêt général. Ce contrôle s’exerce par deux vecteurs complémentaires : l’imposition de clauses-types à valeur réglementaire, d’une part, et l’instauration d’un contrôle a posteriori des documents contractuels, d’autre part. Ce mouvement traduit une dilution progressive de la frontière entre contrat et norme, révélatrice d’un processus d’objectivisation du contrat d’assurance.

A. L’édiction de clauses-types

L’article L. 111-4 du Code des assurances autorise l’administration à imposer l’usage de clauses-types dans les contrats d’assurance, dès lors que l’intérêt général le commande. Cette faculté, exercée par voie d’arrêté ministériel, marque une véritable incursion de la puissance publique dans le domaine contractuel privé. Elle confère à l’autorité administrative la capacité de fixer un cadre normatif contraignant, applicable à certaines stipulations essentielles du contrat : objet de la garantie, modalités de déclenchement, exclusions, plafonds d’indemnisation, durée de couverture, etc.

L’usage de telles clauses est particulièrement fréquent dans les assurances obligatoires, telles que l’assurance construction (art. A. 243-1 C. assur., annexes I et II) ou l’assurance automobile (art. A. 121-1, relatif au système de bonus-malus). Il s’étend également à des assurances facultatives présentant des caractéristiques spécifiques, comme les contrats souscrits pour une durée excédant trois ans (art. A. 113-1). Comme le souligne Jérôme Kullmann, ces clauses, qui s’imposent indépendamment du consentement des parties, « relèvent moins du contrat que de la loi », tant leur intégration est automatique et leur portée impérative.

La jurisprudence fait écho à cette analyse en affirmant que toute stipulation contractuelle ayant pour effet d’altérer, même partiellement, le contenu ou la portée d’une clause-type doit être réputée non écrite (Cass. 1re civ., 7 juill. 1998, n° 96-18.608). Il en résulte que l’assureur ne peut ni restreindre la portée d’une garantie imposée par voie réglementaire, ni y déroger, fût-ce en prétendant renforcer la protection de l’assuré.

Cependant, ce pouvoir administratif n’est pas sans limite. Le Conseil d’État a, à plusieurs reprises, censuré des clauses-types qui excédaient le champ de compétence de l’autorité réglementaire. Ainsi, dans l’arrêt Beule du 29 décembre 2000, il a annulé une clause-type imposant un régime de déclaration de sinistre incompatible avec le droit commun des contrats tel qu’interprété par la Cour de cassation (CE, 29 déc. 2000, n° 212338). Cette dernière avait en effet jugé, sur le fondement de l’ancien article 1131 du Code civil, que l’absence de cause faisait obstacle à l’opposabilité d’une clause permettant à l’assureur de refuser sa garantie après résiliation du contrat, en cas de réclamation postérieure du tiers lésé (Cass. 1re civ., 19 déc. 1990, n° 87-15.834).

Cette jurisprudence témoigne d’une volonté claire de rappeler que, malgré leur caractère obligatoire, les clauses-types doivent respecter la hiérarchie des normes et ne sauraient remettre en cause les principes fondamentaux du droit des obligations, relevant du domaine de la loi (art. 34 Const.).

Une fois leur légalité établie, les clauses-types s’imposent pleinement aux parties. Non seulement elles doivent être respectées, mais toute clause dérogeant à leur contenu, y compris à titre prétendument plus favorable pour l’assuré, est proscrite. L’objectif poursuivi est d’assurer l’uniformité des garanties offertes à tous les souscripteurs soumis à une même obligation d’assurance, et d’éviter les distorsions contractuelles liées à des interprétations divergentes.

Cette exigence est expressément affirmée à l’article A. 243-1 du Code des assurances, qui dispose que « toute clause du contrat ne peut avoir pour effet d’altérer, d’une quelconque manière, le contenu ou la portée des clauses-types ». L’article L. 243-8, quant à lui, précise que les polices d’assurance construction sont réputées comporter les garanties prévues par les clauses-types, « nonobstant toute clause contraire ». La Cour de cassation reprend cette formule à l’identique, en l’érigeant en critère de contrôle des stipulations insérées dans les polices (Cass. 3e civ., 9 nov. 1994, n° 92-20.769).

Lorsque le contrat contient une clause non conforme, seule cette stipulation est écartée, le reste du contrat demeurant valide. La substitution de la clause-type peut intervenir spontanément, à l’initiative de l’administration, sans qu’une décision judiciaire soit nécessaire (Cass. 1re civ., 25 oct. 1989, n° 87-18.391).

Dès lors, la clause-type ne se limite pas à une technique de rationalisation du contenu contractuel : elle constitue un vecteur d’harmonisation normative, qui révèle l’influence croissante de l’État dans la structuration des relations d’assurance. Sans éradiquer toute liberté contractuelle, elle en balise les contours avec précision, au nom de la protection de l’assuré et de la sécurité juridique.

B. Les pouvoirs de contrôle de l’administration

Parallèlement à l’imposition de clauses-types, l’administration dispose d’un pouvoir de contrôle sur les documents contractuels diffusés par les assureurs, qui s’inscrit dans une logique de régulation de marché au service de l’intérêt général. Longtemps exercé a priori, ce contrôle a été profondément réformé par l’ordonnance n° 2001-350 du 19 avril 2001, qui l’a transformé en un contrôle a posteriori, plus souple mais non moins rigoureux.

Ce pouvoir trouve aujourd’hui sa source dans l’article L. 310-8, alinéa 2 du Code des assurances, aux termes duquel « le ministre chargé de l’économie peut exiger la communication des documents à caractère contractuel ou publicitaire ayant pour objet une opération d’assurance ou de capitalisation. Il peut, après avis du Comité consultatif du secteur financier, sauf en cas d’urgence, en interdire la diffusion ou exiger leur modification s’ils sont contraires aux dispositions législatives ou réglementaires. »

Ce texte confère à l’administration un rôle de gardien de la conformité contractuelle, en lui permettant d’intervenir lorsque les stipulations contractuelles méconnaissent l’ordre public législatif ou réglementaire. L’objectif poursuivi est double : garantir la transparence de l’offre d’assurance et préserver les droits de l’assuré contre des pratiques potentiellement abusives.

Cette faculté a notamment été mobilisée pour retirer du marché certains produits atypiques, tels que les contrats d’« assurance retrait de permis de conduire », jugés contraires à l’essence du contrat d’assurance, en ce qu’ils incitaient indirectement à adopter un comportement fautif en échange d’une prise en charge financière.

L’effectivité de ce dispositif est renforcée par l’action de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), qui, bien qu’elle ne soit pas formellement mentionnée à l’article L. 310-8, exerce une mission analogue en vertu de l’article L. 612-1 du Code monétaire et financier. Elle dispose d’un pouvoir de sanction à l’égard des professionnels qui méconnaîtraient leurs obligations légales ou réglementaires.

Une illustration particulièrement significative de la rigueur attachée au respect des règles formelles en matière contractuelle se trouve dans une décision rendu par l’ACPR le 7 février 2017[4]. Dans cette affaire, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a infligé une sanction pécuniaire de trois millions d’euros à un assureur, en raison de la diffusion d’avenants contractuels non signés par les assurés. Ce manquement constituait une violation manifeste de l’article L. 112-3 du Code des assurances, selon lequel « toute addition ou modification au contrat d’assurance primitif doit être constatée par un avenant signé des parties. »

Par cette décision, l’ACPR rappelle avec force que le formalisme imposé par le Code des assurances n’est pas une simple exigence formelle, mais bien une garantie essentielle de la protection de l’assuré. En l’absence de signature, aucune modification contractuelle ne saurait produire d’effet, y compris lorsqu’elle ne semble pas, à première vue, défavorable à l’assuré. La rigueur de cette jurisprudence administrative illustre ainsi le refus de toute dérive unilatérale de l’assureur dans la formation ou l’évolution du lien contractuel.

Enfin, si les recommandations émises par l’ACPR ne sont pas dotées d’une force juridique contraignante – le Conseil d’État ayant rappelé qu’elles relèvent de la soft law (CE, 20 juin 2016, n°384297) – elles constituent néanmoins des référentiels d’exigences professionnelles, souvent suivis par les opérateurs pour éviter des risques de contentieux ou de sanctions. Elles participent ainsi d’un processus de normalisation douce, qui tend à orienter les pratiques contractuelles dans un sens conforme aux objectifs de protection des assurés.

 

[1] V. notamment H. Groutel, qui souligne que le droit des assurances tend à « domestiquer » la liberté contractuelle pour éviter qu’elle ne se retourne contre le contractant le plus faible.

[2] J. Kullmann, Mélanges Cabrillac, Litec, 2000, p. 278

[3] F. Chapuisat, La renonciation de l’assureur dans le cadre de la loi de 1930, RGAT 1974, p. 443.

[4] Décision de la Commission des sanctions n°2016-02 du 7 février 2017 à l’égard de la société ACMN VIE

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