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Le financement de la sécurité sociale par les marchés financiers et la loi spéciale

Résumé.

Après que l’Assemblée nationale a voté la censure du Gouvernement, il est affirmé que les pouvoirs publics peuvent tout à fait se passer d’une loi de financement de la sécurité sociale. C’était mal connaître les modalités de financement de notre système de sécurité sociale et le rôle décisif des banques centrales et des marchés financiers.

Article.

Après que la responsabilité du Gouvernement sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 a été engagée le 04 décembre 2024 et que la motion de censure a été adoptée, nous avons renoué, pour la troisième fois depuis 1958, avec un government shutdown à la française, qui signale sinon un arrêt des activités gouvernementales à tout le moins un ralentissement net à la suite d’un désaccord sur le budget à l’exception des services dits essentiels à savoir, pour ce qui nous concerne, la sécurité sociale.

Pour prévenir l’aggravation de la crise politique et rassurer tout un chacun, les pouvoirs publics affirment qu’il n’y a pas lieu de s’alarmer, que les engagements contractés par les administrations de sécurité sociale seraient tenus, que les professionnels de santé seraient payés de leurs diligences, que les usagers seraient remboursés. Et d’ajouter que l’absence de LFSS n’est pas si problématique qu’on l’imagine dans la mesure où il s’agit techniquement moins de voter les recettes et les dépenses que leur hauteur probable et souhaitable. La précision est certes vraie. Seulement voilà les prestations de sécurité sociale ne peuvent être servies avec le produit des seules cotisations, impôts et taxes affectés ni les dépenses de fonctionnement assumées malgré l’ingénierie tout à fait remarquable qui a été inventée pour garantir au quotidien l’alimentation en trésorerie des organismes (art. D. 225-1 et s. css). Pour le dire autrement, le modèle de protection sociale que nous avons choisi ne peut se passer de tiers financeurs, à savoir les banques centrales et les opérateurs de marchés financiers (ni des organismes complémentaires d’assurance maladie qui seront mis à plus forte contribution encore sur la période). Or l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), qui pilote la trésorerie des caisses (art. L. 225-1 css), ne peut se fournir en argent sur les marchés (au moyen de l’émission de dettes à terme) qu’avec l’autorisation du Parlement (art. LO 111-3-4, e et L. 139-3 css). Où l’on constate que prester ou payer à crédit complique passablement l’affaire dans le contexte.

Après qu’il a fallu s’assurer qu’un Gouvernement démissionnaire avait la capacité juridique de procéder (CE, avis, 9 déc. 2024, n° 409081, points 5 et 6)., une loi spéciale aux fins de continuation de la vie nationale et du fonctionnement régulier des services publics est adoptée en urgence (Ass. natio., 12 déc. 2024, rapport de Courson, n° 719). Pareille loi ne remplace certes pas le budget mais elle autorise la perception des impôts et des ressources publiques nécessaires au financement des dépenses publiques essentielles. En application de l’articles 47, alinéa 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l’article 45 de la LOLF, des organismes de sécurité sociale sont autorisés à « recourir à des ressources non permanentes dans la seule mesure nécessaire à la couverture de leurs besoins de trésorerie » (loi n° 2024-1188 du 20 déc. 2024 spéciale prévue par l’article 45 de la loi organique du 1er aout 2001 rel. aux lois de finances, art. 4. Loi faite à Mamoudzou où quand une crise chasse l’autre). Pour l’année 2025, et pour ce qui concerne l’ACOSS, le projet de loi de financement de la sécurité sociale fixe le plafond d’emprunts à 65 milliards d’euros (art. 13). A titre de comparaison, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 avait plafonné l’encourt à 45 milliards d’euros (art. 35 de la loi n° 2023-1250 du 26 déc. 2023).

La « financiarisation » est le troisième levier d’abondement en argent des organismes, institutions et opérateurs de sécurité sociale avec le prélèvement de cotisations sociales et l’imposition. Ce n’est pas toujours bien su mais la France est l’un des premiers émetteurs mondiaux de titres financiers. C’est la raison pour laquelle il importe de rassurer les bailleurs de fonds, qui sont sensibles aux évaluations qui sont faites des risques contractés par la France (Moody’s, Standard and poor’s, Fitch) et à la volonté politique de contenir la dette publique dans laquelle la dette des administrations de sécurité pèse près de 10 %. Bailleurs tout à fait avisés du patrimoine économique national, qui se monte tout de même à plus de 18 600 milliards d’euros (https://www.insee.fr/fr/statistiques/8305990).

L’abondement en argent des organismes de sécurité sociale et des organismes partenaires (900 en tout) est quotidien car la thésaurisation des caisses prestataires est proscrite (art. D. 225-1 et D. 225-2-1, al. 2 c. sécu. soc.). C’est par voie de conséquence une préoccupation qui oblige. S’il arrivait que la résilience de l’assureur public des risques et charges de l’existence était prise en défaut, que la garantie des travailleurs et de leurs familles, souscrite le 04 octobre 1945 par l’Etat, devait être défaillante, que les employeurs n’étaient plus accompagnés dans leurs efforts de développement économique, la confiance serait rompue et la paix sociale vacillante. Il importe donc aux femmes et hommes en responsabilité de trouver les fonds en toute circonstance (aux meilleures conditions) peu important que l’environnement soit incertain, que les risques pleuvent tous azimuts : risques géopolitiques du fait de l’augmentation des conflits ; risques économiques du fait de l’inflation ; risques financiers du fait de la variation des taux d’intérêt et du stress des opérateurs et des marchés.

Il faut se rendre compte que l’ACOSS a la responsabilité de plus de 2.500 milliards d’euros de flux annuels, de 750 millions d’opérations réalisés par un pool bancaires constitué de 20 partenaires. Charge pour chacun des partenaires concernés d’assurer la couverture des risques : prévention du défaut de liquidités et de la défaillance des systèmes d’information financiers. Un enjeu : sécuriser la trésorerie quelques semaines durant. Où l’on comprend alors combien le transfert du gros de la dette, qui a été accumulée, vers la CADES est également pensé pour améliorer ladite trésorerie.

L’on pense assez souvent que la Caisse d’amortissement de la caisse sociale fonctionnerait à la manière d’un compte en banque sur lequel les éléments d’actif et de passif enregistrés se compenseraient simplement. Seulement voilà le produit de la contribution au remboursement de la dette sociale, qui est affecté à la caisse nationale est très insuffisant pour couvrir l’encours de dette. Aux instruments de financement de la dette (que sont notamment les obligations), il faut alors ajouter les instruments de placements financiers dont les rendements ont précisément pour objet l’extinction de la dette sociale. Au résultat, La CADES a désormais amorti 258 milliards d’euros sur les 396 milliards d’euros repris depuis sa création en 1996, soit les deux tiers de la dette sociale qui lui a été transférée.

En résumé, aussi importante que soit la dette sociale, qui a été accumulée (276,6 milliards d’euros / 2024T1), elle n’est structurellement pas un empêchement rédhibitoire car elle tient pour une bonne part à des considérations très conjoncturelles et qu’en tout état de cause les pouvoirs publics ont les moyens de l’amortir, à tout les moins les ont-ils encore.

(Article publié in l’Argus de l’assurance, janv. 2025)

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