Le Droit dans tous ses états

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Représentation: le détournement de pouvoir

Quid de la sanction dans l’hypothèse où le représentant a agi en dépassement de son pouvoir, voire en le détournant ?

Les articles 1156 et 1157 du Code civil invitent à distinguer le défaut ou dépassement de pouvoir de son détournement. Nous nous focaliserons ici sur le second cas.

1. Détournement de pouvoir vs dépassement de pouvoir

L’article 1157 du Code civil établit une distinction entre le dépassement de pouvoir et le détournement de pouvoir, deux notions qu’il convient de ne pas confondre.

  • Le dépassement de pouvoir se produit lorsque le représentant agit au-delà des limites de son mandat ou des pouvoirs qui lui ont été conférés. Il outrepasse ses attributions, ce qui entraîne une inopposabilité de l’acte au représenté (art. 1156 C. civ.).
  • Le détournement de pouvoir, en revanche, survient lorsque le représentant reste formellement dans le cadre de ses pouvoirs, mais agit dans un intérêt personnel au détriment du représenté. Il utilise les pouvoirs qui lui sont confiés pour servir ses propres intérêts ou ceux d’un tiers, et non ceux du représenté.

Ainsi, le dépassement de pouvoir est une question de limites objectives, tandis que le détournement de pouvoir repose sur une appréciation subjective des intentions du représentant. Ce dernier peut, en apparence, respecter ses prérogatives, mais en réalité, il en abuse pour satisfaire des intérêts contraires à ceux du représenté.

Exemple :

Un dirigeant de société disposant du pouvoir de vendre un bien immobilier de l’entreprise décide de le céder à une société dont il est secrètement actionnaire, à un prix inférieur à sa valeur réelle. L’acte de vente reste dans les limites de son pouvoir, mais il est détourné de sa finalité légitime pour servir un intérêt personnel.

L’article 1157 du Code civil permet au représenté de demander l’annulation de l’acte, mais sous une condition essentielle : le tiers contractant doit avoir eu connaissance du détournement ou, à tout le moins, ne pouvait l’ignorer. Ce dispositif vise à protéger les tiers de bonne foi tout en permettant au représenté d’obtenir réparation en cas d’abus manifeste.

2. Les conditions de la nullité pour détournement de pouvoir

Pour qu’un acte entaché de détournement de pouvoir soit annulé, l’article 1157 du Code civil exige la réunion de deux conditions cumulatives. Il ne suffit pas d’établir l’intention frauduleuse du représentant : encore faut-il que le tiers contractant ait eu connaissance de cette manœuvre ou qu’il ne puisse légitimement l’ignorer.

==>Un acte accompli au détriment du représenté

La première condition tient à la nécessité de démontrer que l’acte accompli par le représentant a causé un préjudice réel au représenté.

Deux hypothèses doivent être distinguées :

  • Un acte conclu dans l’intérêt exclusif du représentant
    • Lorsque le représentant agit exclusivement pour son propre intérêt, le préjudice du représenté est en principe présumé.
    • L’intention frauduleuse est manifeste lorsque, par exemple, un dirigeant cède un actif de la société à une entreprise dont il est secrètement actionnaire ou conclut un contrat de prestation avec une société lui appartenant.
    • Dans ce cas, l’acte ne peut être justifié par une quelconque rationalité économique au bénéfice du représenté.
  • Un acte qui procure un avantage au représentant sans exclure celui du représenté
    • Si l’acte peut profiter aux deux parties, la preuve du détournement devient plus délicate.
    • Le seul fait que le représentant retire un avantage personnel ne suffit pas à établir l’existence d’un préjudice pour le représenté.
    • Il faudra prouver que :
      • L’acte aurait pu être conclu à des conditions plus favorables pour le représenté.
      • L’intérêt du représenté a été sacrifié au profit du représentant, soit en raison d’un prix anormalement bas, soit par l’existence d’une clause particulièrement déséquilibrée.
      • Le choix du cocontractant résulte d’un favoritisme injustifié et ne correspond pas à une gestion normale des affaires du représenté.

Exemple :

Un directeur général d’une société choisit comme fournisseur une entreprise dont il détient des parts, mais cette dernière propose des prix concurrentiels et des prestations de qualité identique aux autres acteurs du marché. L’intérêt personnel du dirigeant est évident, mais cela ne suffit pas à caractériser un détournement de pouvoir, faute de preuve d’un préjudice réel pour la société.

==>La connaissance du détournement par le tiers contractant

La nullité d’un acte pour détournement de pouvoir ne peut être demandée que si le tiers contractant avait connaissance du détournement ou ne pouvait l’ignorer.

L’objectif de cette exigence est d’assurer la sécurité des transactions, en évitant qu’un acte régulièrement conclu puisse être remis en cause par le simple fait que le représentant ait poursuivi un intérêt personnel.

La connaissance du détournement peut être établie de deux manières :

  • Une connaissance avérée
    • Le tiers a été directement informé du conflit d’intérêts par le représentant ou par d’autres éléments probants (correspondances, échanges internes, clauses contractuelles ambiguës, etc.).
  • Une connaissance présumée
    • Le tiers contractant ne peut se prévaloir de sa bonne foi si les circonstances étaient suffisamment évidentes pour qu’il ne puisse ignorer l’anormalité de la situation.
    • Cela peut être le cas lorsque :
      • L’acte a été conclu dans des conditions manifestement désavantageuses pour le représenté (prix dérisoire, absence de mise en concurrence, conditions contractuelles inhabituelles).
      • L’identité du cocontractant et son lien avec le représentant étaient connus.
      • Le tiers avait accès à des informations lui permettant d’identifier l’existence d’un détournement.

Exemple :

Si un investisseur acquiert un bien immobilier appartenant à une société, et que le prix de vente est manifestement sous-évalué par rapport aux prix du marché, il ne pourra prétendre ignorer que le représentant a agi en détournant ses pouvoirs.

En revanche, si le tiers prouve qu’il était de bonne foi et qu’il ignorait totalement l’existence d’un détournement de pouvoir, l’acte ne pourra pas être annulé. Dans ce cas, le représenté disposera uniquement d’un recours en responsabilité contre le représentant pour obtenir réparation de son préjudice.

Ainsi, la nullité de l’acte n’est pas automatique en cas de détournement de pouvoir : elle est conditionnée à la preuve de la mauvaise foi du tiers contractant.

3. Les sanctions du détournement de pouvoir

L’acte conclu par un représentant qui détourne ses pouvoirs ne reste pas sans conséquence. Deux types de sanctions sont envisageables : la nullité de l’acte et la mise en jeu de la responsabilité des parties impliquées.

a. L’annulation de l’acte irrégulier

Si les conditions posées par l’article 1157 du Code civil sont remplies, l’acte entaché de détournement de pouvoir peut être annulé. Cette nullité est relative, ce qui signifie qu’elle est réservée au seul représenté, qui pourra l’invoquer pour se libérer des obligations découlant de l’acte irrégulier.

L’annulation a pour effet d’anéantir rétroactivement l’acte, mais si celui-ci a déjà été exécuté (par exemple, si un bien a été vendu et livré), des restitutions seront nécessaires. Ces restitutions peuvent s’avérer complexes, en particulier si le bien a été cédé à un tiers de bonne foi.

b. La responsabilité du représentant

Le détournement de pouvoir constitue une faute, engageant la responsabilité du représentant à l’égard du représenté. Selon la nature du pouvoir exercé, cette responsabilité peut être de deux ordres :

  • Responsabilité contractuelle : lorsque le pouvoir du représentant découle d’un contrat (mandat, délégation de pouvoir, contrat de travail), le détournement constitue une violation des obligations contractuelles. Le représenté pourra alors demander réparation sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil.
  • Responsabilité délictuelle : lorsque le représentant tient ses pouvoirs de la loi ou des statuts d’une société, son détournement constitue une faute extra-contractuelle engageant sa responsabilité sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

Dans tous les cas, le représenté pourra réclamer une indemnisation à hauteur du préjudice subi, qui peut inclure la perte financière directe, les dommages indirects, et parfois des dommages-intérêts complémentaires.

c. La responsabilité du tiers contractant

Lorsque le tiers contractant a participé activement au détournement de pouvoir, il peut également voir sa responsabilité engagée. Cette complicité peut être caractérisée si le tiers :

  • Était informé du détournement et a néanmoins conclu l’acte.
  • A collaboré avec le représentant dans le but de nuire au représenté.
  • A tiré un avantage indu de la situation en exploitant la fraude du représentant.

Dans ces cas, le tiers peut être condamné à indemniser le représenté du préjudice subi.

d. La sanction pénale du détournement de pouvoir

Dans certaines circonstances, le détournement de pouvoir peut constituer une infraction pénale. En particulier :

  • L’abus de confiance (article 314-1 du Code pénal), qui sanctionne toute personne détournant des biens ou des droits qui lui ont été confiés.
  • L’abus de biens sociaux (articles L. 241-3 et L. 242-6 du Code de commerce), lorsque le dirigeant d’une société utilise les ressources de celle-ci à des fins personnelles.

Si le détournement de pouvoir présente une gravité suffisante, il peut donner lieu à des poursuites pénales et à des sanctions pouvant aller jusqu’à des peines d’emprisonnement et des amendes.

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