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Rupture brutale des relations commerciales établies: la détermination de la durée du préavis

La brutalité d’une rupture commerciale, telle qu’appréhendée par l’article L. 442-1, II du Code de commerce, repose sur l’idée qu’une relation ne peut être rompue sans laisser un délai raisonnable à l’autre partie pour se réorganiser.

Cette obligation est le reflet d’un principe fondamental de prévisibilité et de continuité dans les relations d’affaires.

Comme affirmé par Marie Malaurie-Vignal « l’exigence d’un préavis suffisant vise à garantir que le partenaire économique ne soit pas placé dans une situation d’impréparation, ce qui compromettrait son activité »[3].

La brutalité, dans le contexte des relations commerciales, se définit ainsi par l’absence ou l’insuffisance d’un préavis adapté aux circonstances de la rupture.

A cet égard, la Cour de cassation a rappelé avec force dans un arrêt du 20 mars 2012 que « la résiliation à effet immédiat, dès lors qu’elle est injustifiée, est nécessairement brutale » (Cass. com., 20 mars 2012, n° 11-12.520).

Cette position découle de l’objectif visé par le texte, qui est de protéger la partie évincée en lui permettant de préparer les ajustements nécessaires.

Selon le professeur Terré, « la notion de préavis raisonnable n’est pas figée et s’apprécie au cas par cas, en tenant compte de l’ancienneté de la relation, de l’état de dépendance économique et des usages du secteur concerné »[4].

Ainsi, une rupture immédiate ou assortie d’un préavis dérisoire est présumée brutale et engage la responsabilité de son auteur.

La question qui alors se pose est de savoir ce que l’on doit entendre par “préavis raisonnable”, ce qui implique de déterminer une durée. C’est ce à quoi nous allons nous attacher dans les développements qui suivent.

1. Principe général

L’article L. 442-1, II, du Code de commerce impose qu’une rupture de relation commerciale établie soit précédée d’un préavis écrit suffisant. Ce préavis doit tenir compte de plusieurs éléments, notamment :

  • La durée de la relation commerciale ;
  • Les usages du commerce propres au secteur d’activité concerné ;
  • Les accords interprofessionnels, lorsqu’ils existent.

La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 24 octobre 2018 que ce préavis doit être « raisonnable ou suffisant », une appréciation laissée à la souveraine appréciation des juges du fond (Cass. com., 24 oct. 2018, n° 17-16.011).

Ces derniers doivent examiner in concreto la situation, en tenant compte de la durée de la relation commerciale, des usages en vigueur, et des autres circonstances pertinentes au moment de la rupture. Ce cadre permet de garantir que la partie évincée dispose du temps nécessaire pour se réorganiser ou trouver un nouveau partenaire commercial.

Il peut être observé que l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 a introduit une innovation majeure en établissant un seuil légal de sécurité dans l’appréciation de la durée du préavis.

Désormais, un préavis de 18 mois exonère automatiquement l’auteur de la rupture de toute responsabilité liée à une durée insuffisante.

Ce mécanisme, prévu expressément à l’article L. 442-1, II, répond à un double objectif :

  • Harmoniser la jurisprudence : avant cette réforme, les juges appréciaient la suffisance du préavis selon un faisceau d’indices, ce qui pouvait engendrer des décisions divergentes.
  • Offrir une sécurité juridique aux opérateurs économiques : les entreprises peuvent désormais sécuriser leurs décisions en respectant ce seuil minimal, sans craindre une réévaluation judiciaire.

Toutefois, cette disposition ne limite pas la possibilité de prévoir des préavis plus longs en fonction des spécificités de la relation commerciale.

Par exemple, des préavis supérieurs à 18 mois ont pu être exigés dans des relations de plus de 20 ans avant la réforme. Désormais, si un préavis de 18 mois est respecté, aucune responsabilité ne pourra être engagée au titre d’une durée insuffisante.

L’article L. 442-1, II, prévoit également des règles spécifiques pour certaines situations :

  • Produits sous marque de distributeur : lorsque la relation porte sur des produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est doublée par rapport aux produits standards. Cette protection vise à compenser la dépendance économique accrue de nombreux fournisseurs dans ce cadre.
  • Mise en concurrence par enchères à distance : en cas de rupture liée à des enchères à distance, la durée minimale de préavis est également doublée, avec un plancher d’au moins six mois dans les cas simples et d’au moins un an pour les situations plus complexes.

En tout état de cause, la jurisprudence récente a confirmé que ce seuil de 18 mois s’applique indépendamment de la durée de la relation ou des spécificités sectorielles.

Certains auteurs ont salué cette réforme comme un moyen de renforcer la sécurité juridique pour les opérateurs économiques, tout en évitant une intervention judiciaire excessive. Car en effet ce seuil de 18 mois favorise une régulation des litiges, notamment dans les relations commerciales déséquilibrées.

Cependant, d’autres considèrent que cette limite pourrait inciter les entreprises à systématiquement opter pour un préavis de 18 mois, même dans des relations où un délai plus court serait suffisant au regard des usages et des circonstances.

Une harmonisation excessive risque ainsi de rigidifier les pratiques, au détriment d’une appréciation adaptée à chaque relation.

2. Moment d’appréciation de la durée de préavis

La durée du préavis doit être appréciée au moment de la notification de la rupture. Ce principe, solidement ancré dans la jurisprudence, garantit une évaluation juste et cohérente des droits et obligations des parties.

La Cour de cassation a souligné que seuls les éléments existants à cette date peuvent être pris en compte pour évaluer le caractère suffisant du préavis (Cass. com., 6 nov. 2012, n° 11-24.570).

Dès lors, les événements survenus après la notification ne doivent pas être pris en compte pour apprécier la suffisance du préavis.

La jurisprudence distingue ici deux cas de figure :

  • Les événements favorables
    • Une reconversion rapide ou réussie de la victime après la fin du préavis ne peut justifier une durée insuffisante.
    • Par exemple, dans un arrêt du 9 juillet 2013, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait rejeté une demande de dommages-intérêts au motif que la victime avait rapidement trouvé une nouvelle activité et n’avait subi aucun préjudice significatif.
    • La Haute juridiction a rappelé que cette reconversion postérieure était sans incidence sur l’appréciation initiale de la brutalité de la rupture (Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-20.468).
  • Les événements défavorables
    • Inversement, des difficultés survenues après la notification, telles qu’une perte de clients ou une baisse du chiffre d’affaires, ne peuvent justifier un allongement rétroactif du préavis.
    • Ces éléments, intervenus après la rupture, ne modifient pas les conditions qui existaient au moment de la notification (Cass. com., 3 juill. 2019, n° 17-13.826).

Pour déterminer si la durée du préavis est suffisante, seuls les éléments contemporains de la notification doivent être pris en considération.

La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises que cette approche stricte renforce la prévisibilité des décisions et protège les parties contre des analyses biaisées par des événements ultérieurs (Cass. com., 17 mai 2023, n° 21-24.809).

Cependant, certains auteurs critiquent cette solution comme étant contraire à la ratio legis du préavis, qui vise à faciliter la reconversion, et au droit de la responsabilité, lequel évalue généralement le préjudice au jour du jugement.

3. Détermination de la durée du préavis

a. Les critères d’appréciation

L’appréciation de la durée du préavis nécessaire en cas de rupture d’une relation commerciale établie repose sur un faisceau d’indices, en l’absence d’usages reconnus ou d’accords interprofessionnels fixant un délai minimal.

Ces critères, consacrés par la jurisprudence et désormais encadrés par l’article L. 442-1, II du Code de commerce, permettent d’évaluer si le délai accordé est suffisant pour respecter les obligations légales et éviter une rupture qualifiée de brutale.

L’analyse se fait in concreto, en tenant compte des spécificités de la relation commerciale concernée.

==>Les circonstances pouvant être prises en compte

  • L’ancienneté de la relation commerciale
    • La durée de la relation commerciale est un élément central dans l’évaluation de la durée du préavis.
    • Plus la relation est ancienne, plus la rupture est susceptible d’engendrer des difficultés pour la partie évincée, nécessitant un préavis plus long.
    • Par exemple, un préavis de six mois a été jugé insuffisant pour une relation commerciale ayant duré 25 ans (CA Paris, 3 déc. 1999, n° 1997/18384).
    • De même, un préavis de trois mois a été considéré comme dérisoire pour une relation commerciale de 15 ans (CA Paris, 30 janv. 1998, n° 96/18679).
    • Une interruption temporaire de la relation commerciale peut compliquer l’appréciation de son ancienneté.
    • Ainsi, une relation reprise après une interruption, si celle-ci n’est imputable à aucune faute, ne peut être prise en compte pour calculer l’ancienneté (Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-25.472).
    • En revanche, lorsqu’une filiale reprend des relations antérieures entretenues par une autre filiale du même groupe, la durée totale de la relation doit être prise en compte (Cass. com., 25 sept. 2012, n° 11-24.301).
  • L’état de dépendance économique
    • La dépendance économique de la partie évincée joue un rôle essentiel dans l’évaluation de la durée du préavis.
    • Dans un arrêt du 10 novembre 2021 la Cour de cassation a jugé que cette dépendance est caractérisée par l’impossibilité, pour la victime de la rupture, de trouver une solution techniquement et économiquement équivalente dans un délai raisonnable (Cass. com., 10 nov. 2021, n° 20-13.385).
    • Dans cette affaire, un fournisseur de services de télécommunications a mis fin à sa relation commerciale avec un distributeur.
    • Ces relations, initialement fondées sur des accords standards, avaient évolué vers des contrats de distribution spécifiques.
    • En 2012, un différend est né concernant les conditions de renouvellement de leur collaboration.
    • Le fournisseur a notifié au distributeur un préavis de rupture de 13 mois, prenant fin au 31 décembre 2013.
    • Le distributeur, qui réalisait plus de 50 % de son chiffre d’affaires avec le fournisseur, a soutenu qu’il était en situation de dépendance économique et que la durée du préavis était insuffisante.
    • La cour d’appel a rejeté cet argument en considérant que :
      • Le distributeur n’était pas lié par une exclusivité contractuelle.
      • Il avait la possibilité de diversifier ses partenariats commerciaux.
    • La Cour de cassation a censuré cette décision, reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir examiné in concreto si le distributeur pouvait réellement trouver une alternative économiquement et techniquement équivalente dans le délai imparti.
    • La Chambre commerciale précise que l’analyse de la dépendance économique doit reposer sur deux critères essentiels :
      • Une analyse concrète des alternatives
        • Il ne suffit pas d’affirmer que l’absence de clause d’exclusivité permet au distributeur de diversifier ses partenariats.
        • Les juges doivent vérifier, dans les faits, si la configuration du marché et les caractéristiques de la relation commerciale permettent à la victime de trouver une solution équivalente.
        • En l’espèce, le distributeur opérait dans un marché très concentré où seulement quatre fournisseurs représentaient près de 90 % des parts de marché.
        • Cette structuration du marché limitait considérablement les options disponibles.
      • Une prise en compte des contraintes du marché
        • Les juges du fond auraient dû évaluer si, dans le délai de préavis accordé, le distributeur disposait de conditions réalistes pour établir des relations équivalentes avec un autre fournisseur.
        • En l’absence de solutions alternatives, un allongement du préavis aurait été nécessaire.
    • Deux enseignements peuvent être tirés de cet arrêt :
      • D’une part, la notion de dépendance économique ne se limite pas à une simple difficulté de diversification. Elle suppose une impossibilité réelle et objective d’assurer la continuité de l’activité dans des conditions comparables.
      • D’autre part, la situation de dépendance économique doit être évaluée au moment de la rupture, en fonction des circonstances spécifiques de la relation commerciale et du marché concerné.
    • Il peut être observé qu’une situation d’exclusivité, qu’elle soit contractuelle ou de fait, alourdit la dépendance économique et justifie un allongement du préavis.
    • Par exemple, une relation commerciale de 19 ans, dans un cadre de distribution exclusive, a justifié un préavis de 12 mois au lieu des huit initialement consentis (CA Paris, 5 févr. 2015, n° 14/23927).
    • A cet égard, si la partie évincée a négligé de diversifier ses sources de revenus, sa dépendance économique peut être atténuée et influer sur la réduction du préavis (CA Douai, 15 mars 2001).
  • Le chiffre d’affaires réalisé
    • L’importance relative du chiffre d’affaires généré par la relation commerciale est un autre critère déterminant.
    • Une relation représentant une part significative du chiffre d’affaires de la victime justifie généralement un préavis plus long.
    • Ainsi, une relation générant 90 % du chiffre d’affaires d’une entreprise a conduit les juges à allonger le préavis initialement fixé (CA Paris, 13 avr. 2016, n° 14/23927).
    • Par ailleurs, la jurisprudence est venue préciser que, lorsqu’une relation commerciale s’achève simultanément avec plusieurs entités relevant d’un même groupe, il incombe aux juges de distinguer soigneusement les relations propres à chacune d’elles.
    • Bien que ces entités puissent appartenir à une structure commune, leur autonomie juridique et commerciale doit être respectée, à moins qu’il ne soit établi qu’elles ont agi de concert.
    • En l’absence d’une telle démonstration, appliquer un préavis identique à ces entités constitue une erreur de droit, comme l’a rappelé la Cour de cassation (Cass. com., 6 oct. 2015, n° 14-19.499).
    • Dans cette affaire, un fournisseur de contrepoids en fonte (le vendeur) entretenait des relations commerciales avec deux sociétés autonomes d’un même groupe industriel (les clients).
    • Ces deux clients, bien qu’appartenant au même groupe, avaient des relations distinctes avec le vendeur.
    • L’une des sociétés avait commencé ses relations avec le vendeur en juin 2004, l’autre en septembre 2004. Ces relations portaient sur des produits identiques et des volumes similaires.
    • En 2009, les deux clients ont simultanément mis fin à leurs relations commerciales avec le vendeur, sans préavis, ce qui a engendré des difficultés pour ce dernier.
    • Le vendeur a alors assigné les deux sociétés pour rupture brutale de relations commerciales établies, demandant une réparation au titre de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
    • La cour d’appel, pour justifier sa décision, avait considéré que les deux clients devaient être assimilés en raison de la concomitance de leurs actions et des effets cumulatifs de leur départ.
    • Sur cette base, elle avait condamné les deux sociétés à accorder un préavis identique d’un an, estimant que la simultanéité des ruptures amplifiait le préjudice subi par le vendeur.
    • Cependant, la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision, en rappelant que l’évaluation de la durée du préavis en cas de rupture commerciale doit impérativement tenir compte de l’autonomie des relations entretenues par les parties.
    • Elle a souligné que, bien que les deux sociétés appartinssent au même groupe et avaient rompu leurs relations de manière concomitante, il n’avait pas été démontré qu’elles avaient agi de concert.
    • Pour la Cour de cassation, l’absence de preuve d’une concertation entre les deux entités imposait d’examiner chaque relation commerciale de manière distincte.
    • La Haute juridiction a rappelé que ces sociétés, bien qu’appartenant à une structure commune, disposaient d’une autonomie juridique et commerciale.
    • Leur appartenance à un même groupe ne suffisait donc pas à justifier un traitement unifié des préavis.
    • La cour d’appel aurait dû analyser séparément la durée des relations commerciales spécifiques à chaque société, le volume d’affaires réalisé avec chacune d’elles, ainsi que les conditions contractuelles propres à chaque relation.
    • En amalgamant les effets économiques des deux ruptures et en les considérant comme un tout, les juges du fond avaient commis une erreur de droit.
    • La Cour de cassation a fermement distingué les conséquences économiques cumulées, qui relèvent d’une analyse d’impact, et l’autonomie des relations contractuelles, qui nécessite une appréciation individualisée de chaque rupture.
    • Cet arrêt nous apporte plusieurs enseignements.
    • Tout d’abord, il consacre le principe selon lequel, lorsqu’une rupture concerne plusieurs sociétés d’un même groupe, seule la preuve d’une action concertée peut justifier un traitement unifié. À défaut, chaque relation commerciale doit être évaluée individuellement.
    • Ensuite, il réaffirme la nécessité pour les juges d’adopter une approche factuelle et détaillée, en tenant compte des éléments propres à chaque relation commerciale, tels que l’ancienneté, le volume d’affaires, et les conditions contractuelles applicables.
    • Enfin, la Cour de cassation insiste sur l’importance de distinguer entre les effets cumulatifs de plusieurs ruptures et l’autonomie des relations contractuelles. Les départs simultanés, même s’ils aggravent le préjudice subi par le cocontractant, ne peuvent justifier, à eux seuls, une harmonisation des préavis.
  • Le cycle de fabrication ou de distribution des produits
    • Le délai nécessaire pour adapter la production ou la distribution en fonction du cycle économique du secteur est également pris en compte.
    • Dans le domaine de la mode, où les cycles sont étroitement liés aux saisons, un préavis de six mois a été jugé raisonnable pour permettre une réorganisation (CA Paris, 25 juin 2003, n° 2002/05774).
    • En matière viticole, la spécificité du cycle de production peut également influer sur la durée du préavis (CA Versailles, 2012, n° 10/08577).
  • Les perspectives de reconversion et de réorganisation
    • Un préavis doit permettre à la victime de la rupture de se réorganiser et de trouver de nouveaux partenaires commerciaux.
    • Aussi, les juges du fond se fondent souvent sur le délai raisonnable nécessaire pour que la victime puisse réorienter son activité.
    • Une Cour d’appel a ainsi retenu qu’un préavis de 24 mois était justifié pour une relation de trois ans dans un marché captif, rendant toute reconversion immédiate impossible (CA Toulouse, 16 sept. 2009, n° 08/04848).
    • En cas de ruptures multiples intervenant à la même période, la durée du préavis peut être augmentée pour tenir compte des difficultés accrues de réorganisation (CA Douai, 6 juill. 2009, n° 09/00579).
  • Usages ou accords interprofessionnels
    • Même en présence d’accords interprofessionnels fixant une durée minimale de préavis, les juges doivent vérifier si le préavis respecte également les circonstances spécifiques de la relation commerciale en question.
    • Ainsi, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 3 mai 2012 que le respect d’un délai minimal fixé par un accord ne confère pas automatiquement un caractère suffisant au préavis, notamment si d’autres circonstances spécifiques de la relation imposent un délai plus long (Cass. com., 3 mai 2012, n° 11-10.544).
    • Dans cette affaire, un éditeur (le donneur d’ordre) avait mis fin à une collaboration de longue durée avec un prestataire spécialisé dans les travaux graphiques (le fournisseur).
    • L’éditeur avait accordé un préavis de quatorze semaines, conformément aux usages professionnels définis par les conditions générales de vente de la profession, puis l’avait prorogé à quatre mois.
    • Malgré cela, le fournisseur a engagé une action en justice, estimant que le préavis accordé ne tenait pas suffisamment compte de la durée des relations commerciales, qui s’étendaient sur douze années, ni de l’état de dépendance économique dans lequel il se trouvait.
    • La cour d’appel, puis la Cour de cassation, ont toutes deux retenu que le préavis de quatre mois, bien qu’en conformité avec les usages de la profession, était manifestement insuffisant au regard des circonstances spécifiques de l’espèce.
    • La haute juridiction a souligné que l’existence d’usages professionnels ne dispense pas le juge d’examiner si le préavis tient compte de la durée de la relation commerciale, de l’état de dépendance économique de l’entreprise évincée, ainsi que des autres circonstances pertinentes.
    • Cet arrêt met en lumière l’exigence d’une appréciation concrète et circonstanciée de la durée du préavis.
    • Le respect des usages ou des accords interprofessionnels constitue un point de référence, mais il ne suffit pas à garantir que le préavis est conforme aux exigences de l’article L. 442-1, II du Code de commerce.
    • Les juges doivent systématiquement prendre en compte les éléments factuels propres à chaque relation, comme la durée de la collaboration, le volume d’affaires réalisé, et les éventuelles situations de dépendance économique.

==>Les circonstances ne pouvant pas être prises en compte

Certaines circonstances ne peuvent pas être prises en compte dans l’appréciation de la durée du préavis, et ce principe est fermement établi par la jurisprudence.

Comme vu précédemment, les événements postérieurs à la notification de la rupture, qu’ils soient favorables ou défavorables à la partie évincée, sont systématiquement exclus de l’analyse.

Par exemple, dans un arrêt du 9 juillet 2013, la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait jugé qu’un préavis était suffisant en raison de la reconversion rapide et réussie de la victime (Cass. com., 9 juill. 2013, n° 12-20.468).

La haute juridiction a rappelé que l’évaluation de la durée du préavis devait exclusivement se faire au moment de la notification, sur la base des éléments factuels existants à cette date. Les faits ultérieurs, même s’ils démontrent une réorganisation réussie ou la conclusion d’un nouveau partenariat, ne peuvent donc influer sur cette analyse.

De même, les bénéfices ou pertes liés à la réorganisation post-rupture ne peuvent pas davantage justifier une révision de la durée du préavis. La jurisprudence insiste sur le fait que, bien que le préavis doive permettre une réorganisation raisonnable, le succès ou l’échec de cette dernière est indépendant de l’appréciation initiale.

Ainsi, dans l’arrêt précité du 3 juillet 2019, la Cour de cassation a exclu tout lien entre les résultats de la réorganisation et la suffisance du préavis, en soulignant que seule la situation existante à la date de la rupture devait être prise en compte (Cass. com., 3 juill. 2019, n° 17-13.826).

Dans cette affaire, un fournisseur de matériaux reprochait à son client principal une rupture brutale des relations commerciales, sans préavis suffisant.

La cour d’appel avait fixé à six mois la durée de préavis nécessaire en se fondant sur l’ancienneté de la relation commerciale, qui avait duré 14 ans, et en prenant en compte l’importance modérée des affaires réalisées entre les deux parties, correspondant à 15 à 20 % du chiffre d’affaires du fournisseur. Le client contestait cette évaluation, arguant que le fournisseur n’avait subi aucune perte de chiffre d’affaires et avait rapidement trouvé d’autres débouchés pour ses produits.

Cependant, la Cour de cassation a rejeté cet argument, en réaffirmant que la durée du préavis devait être évaluée uniquement au moment de la notification de la rupture. Les conséquences économiques postérieures, telles que l’écoulement de la production auprès d’autres partenaires ou l’absence de perte immédiate de chiffre d’affaires, ne sauraient être prises en compte pour déterminer le caractère suffisant du préavis.

La haute juridiction insiste sur le fait que ces éléments ultérieurs, bien qu’ils puissent atténuer le préjudice effectivement subi, ne modifient en rien l’analyse de la suffisance du préavis au regard des circonstances existantes à la date de la notification.

Cette décision illustre la rigueur de l’approche adoptée par la Cour de cassation pour garantir une évaluation équitable et prévisible des ruptures commerciales.

Elle repose sur une double exigence :

  • D’une part, la prise en compte exclusive des circonstances contemporaines de la notification, notamment la durée de la relation commerciale et l’état de dépendance économique de la victime
  • D’autre part, l’exclusion des faits postérieurs, qui relèvent d’une logique de réparation du préjudice, distincte de l’évaluation du préavis.

b. Formule de calcul du délai

Comme il est souvent d’usage lorsqu’il s’agit de fixer un montant ou un délai, le législateur se borne à énoncer des critères d’appréciation, laissant aux juges le soin d’en évaluer la portée.

Cette approche, guidée par la nécessité de préserver une marge d’appréciation aux juridictions, évite de figer des situations qui, par nature, appellent une analyse contextuelle et nuancée.

La question de la durée du préavis en cas de rupture de relations commerciales établies ne déroge pas à cette règle.

Bien qu’encadrée par l’article L. 442-1, II du Code de commerce et éclairée par une jurisprudence abondante, elle demeure intrinsèquement liée aux particularités de chaque relation contractuelle.

Pour autant, face à l’absence de barème ou de méthodologie précise, il est possible de dégager, à partir des enseignements jurisprudentiels et des principes généraux applicables, une tentative de modélisation.

Cette démarche vise à fournir une grille de lecture structurée, permettant d’appréhender de manière plus méthodique les critères influençant la détermination de la durée du préavis. Bien qu’il s’agisse d’une approche indicative, sans valeur contraignante, elle s’inscrit dans une logique pédagogique et pratique, utile aux acteurs économiques et à leurs conseils.

==>Proposition de formule de calcul d’une durée de prévis

D = D_base + f (N, L, E, X, V, U)

Cette proposition repose sur l’idée qu’il existe une durée de base minimale, à laquelle on ajoute des mois supplémentaires en fonction de divers paramètres.

  • D_base : il s’agit d’une durée de base, par exemple 1 à 2 mois, qui sert de socle. Cette durée minimale garantit qu’aucune relation ne peut être rompue sans un minimum de préavis, même si la relation est récente ou les enjeux limités.
  • N (ancienneté de la relation) : La jurisprudence considère qu’une relation stable et ancienne justifie un préavis plus long. Par exemple, pour chaque année de relation, on pourrait ajouter entre 0,5 et 1 mois supplémentaire. Une relation de 10 ans pourrait ainsi conduire à ajouter entre 5 et 10 mois à la durée de base.
  • L (dépendance économique) : plus la partie victime de la rupture dépend économiquement de l’autre, plus il faudra prolonger la durée du préavis afin de lui laisser le temps de se réorganiser. Si, par exemple, plus de 50 % du chiffre d’affaires de la victime dépendent du partenaire, on pourrait ajouter 2 ou 3 mois.
  • E (spécificités sectorielles / captivité du marché) : dans un secteur hautement concurrentiel, la victime pourra facilement trouver d’autres sources d’approvisionnement ou d’écoulement, limitant la nécessité d’allonger le préavis. À l’inverse, sur un marché captif, ou lorsque la reconversion est difficile, on pourrait ajouter 2 mois, voire davantage.
  • X (exclusivité) : si la relation est exclusive ou quasi-exclusive, la victime est souvent plus vulnérable. L’ajout de 2 mois supplémentaires en cas d’exclusivité est un exemple d’ajustement possible.
  • V (volume d’affaires ou notoriété) : un partenaire prestigieux, un volume d’affaires très important ou une marque reconnue sur le marché peuvent justifier un préavis plus long. On pourrait ajouter 1 ou 2 mois dans de tels cas.
  • U (usages et accords interprofessionnels) : certains secteurs ont édicté des accords fixant un seuil minimal. Si un accord professionnel impose un préavis de 6 mois, on s’y conforme d’abord, puis on ajoute, si nécessaire, des mois supplémentaires en fonction des autres facteurs.

NB : dans la formule présentée, le symbole « f » est utilisé pour indiquer une fonction. En d’autres termes, il ne s’agit pas d’une simple addition arithmétique, mais d’un ensemble de paramètres (N, L, E, X, V, U) que l’on va traiter de manière plus nuancée.

Cette fonction « f » permet de représenter la variété des critères à prendre en considération et de leur donner, chacun, une influence plus ou moins importante sur la durée finale du préavis.

Ainsi, « f(N, L, E, X, V, U) » signifie que la durée du préavis sera ajustée en fonction de la combinaison de plusieurs facteurs, sans qu’il y ait nécessairement de « formule linéaire » unique ou définitive.

Le « f » symbolise donc une démarche d’évaluation qualitative, une sorte de « règle de trois multidimensionnelle »où l’on pondère chaque élément.

Concrètement, le calcul proposé ne prétend pas aboutir à un chiffre fixe à la décimale près, mais à servir de guide méthodologique. L’idée est de partir d’une base et d’ajuster progressivement, en tenant compte des critères qui ont été dégagés par la jurisprudence. La démarche pourrait s’opérer en plusieurs étapes :

  • D_base (Durée de base) :
    • Par défaut : 2 mois pour toute relation, même courte.
  • N (Ancienneté de la relation) :
    • Pour chaque année pleine de relation, ajoutez 0,5 mois.
      • Ex. : 10 ans = 10 x 0,5 = 5 mois en plus.
    • Si la relation excède 15 ans, il est possible de majorer d’un mois supplémentaire pour chaque palier de 5 ans.
      • Ex. : 20 ans = 10 ans (5 mois) + 10 ans supplémentaires (5 mois) + bonus d’1 mois = total +11 mois.
  • L (Dépendance économique) :
    • Calculer le pourcentage du CA réalisé avec le partenaire.
      • Moins de 20 % : pas d’ajout.
      • Entre 20 % et 50 % : +1 mois.
      • Entre 50 % et 70 % : +2 mois.
      • Au-delà de 70 % : +3 mois.
    • Cette échelle propose un barème objectif, même s’il reste arbitraire.
  • E (Environnement / Marché) :
    • Si le secteur est très concurrentiel, offrant plusieurs alternatives : +0 mois.
    • Secteur modérément concurrentiel : +1 mois.
    • Secteur très captif, alternatives rares : +2 mois.
    • Ici, l’évaluation reste qualitative, mais peut se justifier par plusieurs critères : nombre de fournisseurs concurrentiels, barrières à l’entrée, spécificités techniques.
  • X (Exclusivité) :
    • En cas de relation exclusive ou quasi-exclusive (par exemple, si le partenaire empêche formellement la diversification) : +2 mois.
    • Si aucune clause d’exclusivité, +0 mois.
  • V (Volume d’affaires / Notoriété) :
    • Si le partenaire est un acteur majeur sur le marché (ex. leader du secteur) : +1 mois.
    • S’il s’agit d’un acteur parmi d’autres sans notoriété particulière : +0 mois.
  • U (Usages et accords interprofessionnels) :
    • Vérifier s’il existe un accord sectoriel qui prévoit un préavis minimal (ex. 6 mois).
    • Si votre total est inférieur à ce minimum, remontez-le au seuil prévu par l’accord.
    • Si vous êtes déjà au-dessus, vous n’avez pas besoin de rajuster.

Exemple d’application :

Relation de 10 ans, exclusivité, dépendance de 70 %, marché captif, partenaire très connu, aucun usage imposant un minimum.

  • D_base = 2 mois
  • N = 10 ans => 10 x 0,5 mois = +5 mois
  • L = 70 % => +2 mois
  • E = marché captif => +2 mois
  • X = exclusivité => +2 mois
  • V = partenaire majeur => +1 mois
  • Pas d’accord interprofessionnel imposant de minimum

Total = 2 (base) +5 (ancienneté) +2 (dépendance) +2 (marché) +2 (exclusivité) +1 (notoriété) + 0 (usages et accords interprofessionnels) = 14 mois.

Une fois ce calcul achevé, si le résultat final dépasse 18 mois, il convient de rappeler que l’article L. 442-1, II du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 24 avril 2019, prévoit qu’un préavis d’au moins 18 mois exonère l’auteur de la rupture de toute responsabilité liée à la durée insuffisante du préavis.

Autrement dit, même si l’estimation arithmétique suggère un délai supérieur, le plafond légal de 18 mois s’applique, offrant ainsi une limite maximale et sécurisante pour les acteurs économiques.

c. Clause contractuelle

Afin de prévenir tout contentieux et de renforcer la prévisibilité contractuelle, il peut s’avérer judicieux d’intégrer au contrat une clause de résiliation prévoyant la méthode d’estimation de la durée du préavis.

Bien qu’aucune formule ne contraigne les juges et qu’ils demeurent libres d’apprécier in concreto la suffisance du délai, une telle clause présente plusieurs avantages.

  • D’une part, elle permet aux parties de se positionner sur des critères objectivement définis (ancienneté de la relation, part du chiffre d’affaires réalisée avec le cocontractant, spécificités du secteur, exclusivité, etc.), favorisant ainsi la transparence et la compréhension mutuelle.
  • D’autre part, cette approche incite chacune d’elles à anticiper les conséquences d’une rupture, à évaluer plus sereinement la portée économique et stratégique de leurs engagements et, le moment venu, à négocier un préavis adapté sans se reposer exclusivement sur une appréciation judiciaire a posteriori.

==>Modèle de clause

Les Parties conviennent que le présent contrat, conclu pour une durée indéterminée, peut être résilié à tout moment par l’une ou l’autre, sans qu’un motif particulier ne soit exigé (résiliation pour convenance).

Cependant, la Partie à l’origine de la résiliation devra respecter un délai de préavis raisonnable, conforme à la législation et à la jurisprudence relative à la rupture brutale de relations commerciales établies, en particulier les dispositions de l’article L. 442-1, II du Code de commerce.

La Partie souhaitant mettre fin au présent contrat informera l’autre Partie de sa décision par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Cette notification précisera la date effective de la cessation des relations, ainsi que les éléments permettant de justifier que la résiliation n’est pas abusive (durée de la relation, dépendance économique éventuelle, spécificités du secteur, etc.).

En l’absence de barème légal ou officiel, et afin d’assurer une certaine transparence, les Parties reconnaissent qu’il est possible d’estimer la durée du préavis, à titre purement indicatif, en tenant compte des critères pertinents dégagés par la jurisprudence.

À ce titre, la durée du préavis (D) sera évaluée selon la formule suivante :

D = D_base + f (N, L, E, X, V, U)

Où :

  • D_base : Durée de base minimale (par exemple, 2 mois)
  • N : Ancienneté de la relation (ajout de 0,5 mois par année, avec majoration si la relation dépasse 15 ans)
  • L : dépendance économique (en fonction du pourcentage du CA réalisé avec ce partenaire, par exemple +0 mois si <20 %, +1 mois entre 20 et 50 %, +2 mois entre 50 et 70 %, +3 mois au-delà de 70 %)
  • E : conditions du marché (0 mois si marché ouvert, +1 si modérément concurrentiel, +2 si marché captif)
  • X : exclusivité (ajout de 2 mois si la relation est exclusive)
  • V: Notoriété/Volume d’affaires du partenaire (par exemple +1 mois en cas d’acteur majeur)
  • U : usages/accords interprofessionnels (respecter au minimum le délai prévu, s’il existe un accord professionnel imposant un seuil minimal, et le cas échéant, ajuster en conséquence)

Par exemple, pour une relation de 10 ans, avec 70 % de CA dépendant de ce partenaire, sur un marché captif, exclusive, et un partenaire majeur, sans accord professionnel imposant de minimum :

D = 2 (base) + 5 (ancienneté) + 2 (marché) + 2 (exclusivité) + 1 (notoriété) = 14 mois

Les Parties reconnaissent que l’article L. 442-1, II du Code de commerce prévoit qu’un préavis de 18 mois exonère l’auteur de la rupture de toute responsabilité liée à une durée insuffisante du préavis.

Dès lors, si l’application de la méthode indicative aboutit à une durée supérieure à 18 mois, celle-ci sera plafonnée à 18 mois.

En cas de non-respect du délai de préavis ainsi déterminé (ou d’un préavis moindre si les circonstances le justifient) ou si la résiliation est jugée brutale, la Partie lésée pourra prétendre à une indemnisation correspondant à l’intégralité du préjudice subi, calculée conformément à la jurisprudence et aux articles 1231 et suivants du Code civil, ainsi qu’aux principes relatifs à la rupture brutale de relations commerciales établies.

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