La rupture brutale des relations commerciales établies constitue un contentieux récurrent en droit commercial, régie par l’article L. 442-1, II du Code de commerce. Ce texte, d’ordre public, vise à préserver la stabilité et la prévisibilité des relations entre partenaires commerciaux, tout en sanctionnant les comportements brutaux susceptibles de fragiliser le tissu économique.
Pour engager la responsabilité de l’auteur d’une rupture brutale, plusieurs conditions cumulatives doivent être réunies. Ces conditions tiennent:
- D’une part, à la relation commerciale
- D’autre part, à la rupture de la relation
Nous nous focaliserons ici sur la première condition.
A) L’existence d’une relation
L’une des conditions préalables à l’application de l’article L. 442-1, II du Code de commerce est l’existence d’une relation commerciale établie.
Ce concept, distinct d’une simple relation contractuelle, a été conçu par le législateur comme une notion pragmatique, permettant d’appréhender des situations variées dans lesquelles les interactions commerciales entre parties ont acquis une certaine régularité ou une intensité suffisante.
==>Notion
Contrairement à une conception strictement juridique, la relation visée par l’article L. 442-1, II n’exige pas l’existence d’un contrat dûment formalisé.
En effet, la jurisprudence a considérablement élargi la portée de la notion de relation commerciale, la distinguant de manière nette de la relation contractuelle formelle.
L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 mars 2010 illustre parfaitement cette approche. Il consacre l’idée que des relations commerciales peuvent exister et se prolonger, même après la cessation de tout contrat, dès lors qu’une continuité économique est identifiable entre les parties (Cass. com., 9 mars 2010, n°09-10.216).
Dans cette affaire, une société, liée par divers contrats successifs à une autre société, avait vu son dernier contrat prendre fin en octobre 2006, sans renouvellement. La société ayant vu ses contrats expirer a alors engagé une action contre l’autre partie, invoquant une rupture brutale des relations commerciales.
Une question s’est alors posée : une relation commerciale pouvait-elle subsister après la cessation formelle du contrat, et si oui, dans quelle mesure le régime de l’article L. 442-6, I, 5° (devenu L. 442-1, II) s’appliquait-il ?
La Cour de cassation a répondu en affirmant que les relations commerciales entre deux sociétés ne se limitent pas nécessairement à leurs engagements contractuels formalisés.
La relation économique globale, résultant d’échanges récurrents ou d’une collaboration prolongée, peut se poursuivre au-delà de la résiliation ou de l’expiration d’un contrat.
Ainsi, même en l’absence de lien contractuel formel, l’existence d’interactions économiques significatives entre les parties est suffisante pour caractériser une relation commerciale.
Dans sa décision, la Cour de cassation souligne que la notion de relation commerciale établie dépasse le cadre strict des relations contractuelles.
Elle se fonde sur une réalité économique, matérialisée par la régularité et la stabilité des échanges entre les parties. Cette approche reconnaît qu’une collaboration commerciale peut perdurer après l’échéance d’un contrat, et ce, même en l’absence de stipulations écrites ou de garanties spécifiques.
Ce raisonnement a permis à la Chambre commerciale d’écarter l’application d’une clause attributive de juridiction insérée dans le contrat initial, celle-ci étant limitée aux différends relatifs à la formation, l’exécution ou la cessation du contrat. En revanche, la rupture brutale des relations commerciales établies, au sens de l’article L. 442-6, I, 5°, s’inscrit dans un cadre plus large, qui n’est pas régi exclusivement par les termes contractuels.
Aussi, cette décision élargit la portée de l’article L. 442-1, II en reconnaissant que des relations commerciales peuvent exister sans formalisation contractuelle stricte.
Elle confirme :
- D’une part, qu’une relation commerciale peut subsister malgré l’absence d’un contrat formel, pourvu qu’elle repose sur des échanges économiques réguliers et significatifs.
- D’autre part, que la rupture de telles relations peut être qualifiée de brutale, même en dehors d’un cadre contractuel, dès lors que la continuité économique entre les parties est démontrée.
==>Les relations précontractuelles et postcontractuelles
L’interprétation élargie de la notion de relation commerciale par la jurisprudence ne se limite pas aux relations contractuelles formelles ou aux collaborations expressément encadrées.
Elle englobe également des situations atypiques, telles que les relations précontractuelles et postcontractuelles.
Ainsi, des négociations prolongées ou des pourparlers avancés peuvent suffire à établir une relation commerciale lorsqu’ils traduisent une collaboration concrète, même en l’absence de contrat définitif (Cass. com., 5 mai 2009, n°08-11.916).
De manière similaire, des interactions commerciales peuvent persister au-delà de la fin d’un contrat principal.
Par exemple, des commandes répétées passées après l’expiration d’un contrat formel peuvent suffire à caractériser une relation commerciale établie. Ainsi, dans un arrêt du 24 novembre 2009, la Cour de cassation a jugé que l’absence de contrat renouvelé n’excluait pas la persistance d’un lien commercial significatif (Cass. com., 24 nov. 2009, n°07-19.248).
En l’espèce, après la fin d’un contrat de franchise à durée déterminée, le franchisé avait continué à passer des commandes auprès du franchiseur.
La Chambre commerciale a reproché à la cour d’appel de ne pas avoir pris en compte l’intégralité de la relation commerciale, incluant la période contractuelle et postcontractuelle, pour évaluer l’application de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (désormais L. 442-1, II).
Cette décision illustre la nécessité d’une analyse globale des échanges économiques pour caractériser une relation commerciale.
==>Continuité de la relation malgré la diversité des contrats
La jurisprudence reconnaît que la nature hétérogène des contrats conclus entre deux parties n’empêche pas la qualification de relation commerciale établie, dès lors qu’ils s’inscrivent dans une logique économique commune. Cette approche pragmatique reflète une volonté d’appréhender la relation dans sa globalité, au-delà des distinctions formelles entre les différents types de contrats.
Ainsi, dans une affaire emblématique, la Cour de cassation a jugé que la succession de contrats de nature différente, en l’espèce des accords de distribution suivis d’un contrat de commission, devait être appréhendée comme un continuum commercial (Cass. com., 29 janv. 2008, n°07-12.039). L’analyse de la relation ne peut se limiter à un examen isolé du dernier contrat, mais doit inclure l’ensemble des engagements successifs, dès lors qu’ils traduisent une continuité économique et une collaboration pérenne entre les parties.
La Chambre commerciale a également souligné que la diversité des contrats n’affecte pas la qualification de relation commerciale établie si ces contrats répondent à une finalité commune.
Par exemple, une entreprise qui modifie la structure juridique de ses accords pour s’adapter aux évolutions du marché ou aux besoins de son partenaire conserve néanmoins une relation économique stable avec ce dernier. Ce lien commercial ne peut être artificiellement fragmenté en raison des différences de qualification juridique entre les contrats.
Cette approche est guidée par un souci de protection des partenaires économiques et de préservation de la stabilité des relations commerciales. Elle permet d’éviter que des ruptures brutales soient justifiées par un changement dans la nature des contrats. La continuité économique prime ainsi sur la discontinuité formelle.
==>Changement de l’une des parties
La jurisprudence admet qu’une relation commerciale puisse subsister malgré un changement de l’une des parties, notamment dans des situations de cession d’entreprise ou de fusion-absorption.
Toutefois, cette continuité n’est pas automatique et nécessite la démonstration d’une volonté commune des parties de maintenir la relation commerciale initiale.
Pour qu’une telle continuité soit reconnue, il est indispensable d’établir l’intention des parties de poursuivre la collaboration sous une nouvelle configuration.
Cette intention peut être mise en évidence par divers indices :
- Clauses contractuelles spécifiques : par exemple, des stipulations qui font expressément référence à la relation antérieure ou qui prévoient un transfert des droits et obligations liés à celle-ci.
- Références explicites à la collaboration passée : ces éléments peuvent figurer dans les préambules ou annexes des nouveaux contrats, soulignant la volonté des parties de s’inscrire dans la continuité de leur partenariat commercial (Cass. com., 25 sept. 2012, n°11-24.301).
La reconnaissance de cette continuité permet d’assurer la protection des parties contre des ruptures abusives, en prenant en compte l’ensemble de la durée de la relation commerciale, y compris celle qui a précédé le changement d’entité.
En l’absence de preuve tangible d’une intention de maintenir la relation, la jurisprudence considère chaque nouvelle relation comme autonome.
Ainsi, les relations établies avec une nouvelle entité seront analysées de manière distincte, sans rattachement à celles antérieures. Cette approche s’applique notamment lorsque :
- Les contrats conclus ne font aucune référence à la collaboration antérieure.
- La continuité des échanges n’est pas démontrée ou ne repose que sur des éléments insuffisants, comme un simple transfert d’activité sans stipulation contractuelle claire.
B) L’existence d’une relation commerciale
1. La notion de relation commerciale
==>Eléments de définition
L’article L. 442-1, II du Code de commerce, en visant la « relation commerciale », semble, à première vue, renvoyer à la commercialité telle qu’envisagée par le Code de commerce. Ce lien conceptuel pourrait suggérer une restriction aux seules relations impliquant des actes de commerce ou des relations entre commerçants.
Toutefois, une analyse approfondie de la lettre et de l’esprit de l’article, ainsi que de son interprétation jurisprudentielle et doctrinale, démontre une acception bien plus large et fonctionnelle de la notion de relation commerciale.
La commercialité, dans sa conception classique, désigne les actes de commerce par nature, énumérés aux articles L. 110-1 et L. 110-2 du Code de commerce, tels que l’achat pour revente, les opérations de banque, ou encore les actes de courtage. Elle peut également inclure des actes de commerce par accessoire, effectués par des non-commerçants mais rattachés à une activité commerciale principale. Cette approche, dans sa stricte application, limiterait le champ de l’article L. 442-1, II aux échanges formels entre commerçants ou aux activités strictement commerciales.
Cependant, réduire la « relation commerciale » à cette seule acception ne correspond ni à la lettre de l’article, ni à l’évolution de son interprétation. En effet, la notion de relation commerciale dépasse aujourd’hui les limites de la commercialité classique pour s’adapter aux réalités économiques contemporaines.
La jurisprudence a très tôt rejeté une conception étroite de la relation commerciale, considérant qu’elle ne se limite pas aux relations formelles entre commerçants ou aux actes de commerce.
La Cour de cassation a ainsi affirmé que la notion s’applique à toute relation économique stable, indépendamment du statut juridique des parties ou de la qualification de leurs actes (Cass. com., 23 avr. 2003, n° 01-11.664).
Dans cette affaire, une société spécialisée dans la sécurité entretenait depuis onze ans des relations commerciales avec une entreprise de grande distribution.
À la suite d’une rupture brutale, la société spécialisée a engagé une action en réparation sur le fondement de l’article précité.
La Cour de cassation a écarté l’argument selon lequel les dispositions légales relatives à la rupture brutale ne pourraient s’appliquer qu’aux relations tripartites entre producteurs, distributeurs et clients, soulignant que le texte vise toutes les relations économiques, y compris celles relevant d’échanges bilatéraux entre partenaires économiques.
La Haute juridiction a également rejeté l’idée que les juges du fond auraient outrepassé leurs prérogatives en s’immisçant dans la stratégie commerciale de l’entreprise de grande distribution.
Au contraire, elle a validé l’analyse selon laquelle la relation économique entre les deux parties répondait aux critères d’une « relation commerciale établie » justifiant l’application de l’article.
Ce faisant, elle a affirmé que la durée et la stabilité des échanges constituaient des indices majeurs de cette qualification, sans qu’il soit nécessaire de s’attacher à la nature des prestations (produits ou services).
En définitive, cet arrêt illustre une lecture large et pragmatique de la notion de relation commerciale, s’écartant de toute exigence de formalisme pour privilégier une approche fondée sur la continuité et la régularité des échanges économiques.
Il démontre également que le texte s’applique à toute relation économique stable, indépendamment du type de produits ou de services échangés, renforçant ainsi la protection des partenaires commerciaux contre des ruptures injustifiées ou brutales.
Cette lecture extensive de la notion de relation commerciale a été confirmée dans une décision ultérieure de la Cour de cassation, qui a encore élargi son champ d’application.
Dans un arrêt du 16 décembre 2008, la Haute juridiction a consacré l’idée que la relation commerciale ne se limite pas aux activités strictement commerciales ou aux échanges entre commerçants, mais s’étend à toutes les relations économiques stables, y compris celles impliquant des prestations intellectuelles.
Dans cette affaire, un professionnel exerçant en tant qu’architecte a initié une action contre une entreprise ayant cessé de recourir à ses services après deux années de collaboration. La cour d’appel avait rejeté sa demande, considérant que l’activité d’architecte, par essence civile, échappait au champ d’application de l’article L. 442-6-1, 5° du Code de commerce. Toutefois, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en affirmant que « toute relation commerciale établie, qu’elle porte sur la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service, entre dans le champ d’application de l’article précité ».
Cet arrêt confirme que la nature juridique de l’activité — civile ou commerciale — n’est pas déterminante. Ce qui importe, c’est l’existence d’une relation économique caractérisée par une stabilité et une continuité dans les échanges. La Cour a ainsi rejeté une distinction stricte entre activités civiles et commerciales, affirmant que les prestations de services intellectuels, tout comme les activités industrielles ou artisanales, peuvent s’inscrire dans une relation commerciale au sens de l’article L. 442-1, II.
La décision met en avant deux éléments clés pour qualifier une relation commerciale :
- La régularité et la stabilité des échanges : la collaboration de deux années entre les parties était suffisante pour établir une relation commerciale, même en l’absence de contrat formel ou d’une activité qualifiée de commerciale.
- L’impact économique de la relation : la Cour de cassation privilégie une approche fonctionnelle qui se concentre sur la finalité et l’importance économique de la relation pour les parties, plutôt que sur la qualification juridique des prestations fournies.
En élargissant la définition de la relation commerciale aux prestations intellectuelles, la jurisprudence offre une protection accrue aux acteurs économiques contre les ruptures brutales. Cet arrêt illustre une volonté de garantir l’équilibre des relations d’affaires en tenant compte des réalités économiques contemporaines.
En conclusion, la notion de relation commerciale, telle qu’interprétée par la Cour de cassation, dépasse les cadres rigides de la commercialité classique.
Elle englobe toute relation économique stable, qu’elle porte sur des produits ou des services, et qu’elle implique des commerçants ou non.
==>Les activités comprises dans la notion
L’article L. 442-1, II du Code de commerce prévoit, pour mémoire, que « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie. »
Interprétée de manière extensive, cette disposition permet d’embrasser un vaste spectre d’activités économiques, témoignant ainsi d’une volonté jurisprudentielle de conférer à la notion de relation commerciale une portée particulièrement large.
Elle reflète ainsi une ambition claire du législateur : protéger des relations économiques essentielles qui, bien que parfois non formalisées, participent au dynamisme des échanges et à la stabilité des partenariats commerciaux. L’absence d’exigence de lucrativité ou de qualification purement commerciale confirme cette ouverture.
Au nombre des activités relevant du domaine d’application de l’article L. 442-1, II du Code de commerce on compte :
- Les activités de production
- Les activités de production recouvrent un champ étendu, intégrant non seulement les industries manufacturières mais également les secteurs agricoles et artisanaux.
- La Cour de cassation, au moyen d’une lecture inclusive de l’article L. 442-1, II du Code de commerce, a reconnu que ces activités participent à des échanges économiques essentiels, sans exiger qu’elles répondent au critère de la commercialité au sens du droit commercial.
- Ainsi, un producteur agricole ou un artisan, bien que relevant d’un statut civil, peut être considéré comme partie à une relation commerciale protégée, à condition que ses activités relèvent d’une dynamique pérenne (V. en ce sens Cass. com., 23 avr. 2003, n°01-11.664).
- Activités de distribution
- Les activités de distribution englobent toutes les opérations relatives à la mise à disposition de produits.
- Cette catégorie d’activités intègre les grossistes, les détaillants et les intermédiaires, mais également des modèles de distribution spécifiques tels que la franchise ou la distribution sélective.
- Ces derniers reposent souvent sur des relations économiques complexes, parfois informelles, mais néanmoins protégées par l’article L. 442-1, II du Code de commerce.
- En effet, la jurisprudence a souligné que même en l’absence de formalisme contractuel, les échanges récurrents entre un fournisseur et un distributeur peuvent suffire à établir une relation commerciale (Cass. com., 24 nov. 2009, n°07-19.248). Cette interprétation large assure une protection aux acteurs des circuits de distribution, quels que soient leurs rôles dans la chaîne économique.
- Activités de services
- L’article L. 442-1, II du Code de commerce vise également les prestations de services, y compris celles à caractère intellectuel, technique ou public.
- Par exemple, des prestations fournies par une société d’assurance mutuelle, une fédération sportive ou une entité publique dans le cadre d’une délégation de service public peuvent relever du champ de l’article.
- La Cour de cassation a ainsi affirmé qu’une société d’assurance mutuelle, bien que qualifiée de non commerciale par l’article L. 322-26-1 du Code des assurances, exerce une activité de service éligible à la protection prévue par l’article L. 442-1, II (Cass. com., 14 sept. 2010, n° 09-14.322).
- Cette extension aux prestations à caractère intellectuel inclut également les professions réglementées dès lors qu’elles exercent des activités de nature économique, comme cela a été admis dans certaines hypothèses impliquant des prestataires de services techniques ou spécialisés.
L’un des aspects remarquables de l’article L. 442-1, II du Code de commerce réside dans son applicabilité aux activités dépourvues de finalité lucrative.
Ainsi, des entités publiques ou des organisations à vocation non commerciale peuvent parfaitement relever de son champ d’application, dès lors qu’elles proposent un service à caractère économique.
À titre d’exemple, la gestion d’un service délégué par une entité publique ou l’activité économique d’une fédération sportive ont été reconnues comme répondant aux critères posés par cet article (Cass. com., 14 sept. 2010, préc.).
Cette approche qui dissocie la notion de relation commerciale de toute exigence de lucrativité, élargit substantiellement la portée du texte. Elle permet d’harmoniser la définition de la relation commerciale avec les réalités économiques modernes, où la valeur des échanges ne se mesure pas exclusivement à l’aune de leur objectif lucratif.
==>Les activités exclus par le jeu de dispositions spéciales
Certaines relations, bien que qualifiables de “commerciales” au sens large, sont exclues du champ de l’article L. 442-1, II en raison de textes spéciaux qui fixent des régimes spécifiques, notamment s’agissant de la durée de préavis ou des conditions de rupture.
- Relations entre agent commercial et mandant
- Les relations entretenues par une agence commerciale sont régies par l’article L. 134-11 du Code de commerce, qui prévoit une durée de préavis spécifique fondée sur la durée de la relation.
- Ce régime exclut donc l’application de l’article L. 442-1, II à ces relations (Cass. com., 3 avr. 2012, n° 11-13.527).
- Rupture de crédits bancaires
- Les relations entre établissements de crédit et emprunteurs sont régies par l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier, qui impose un préavis minimal de 60 jours en cas de rupture de crédit.
- Ce régime prévaut sur les dispositions générales relatives à la rupture brutale (Cass. com., 25 oct. 2017, n°16-16.839).
- Relations internes à un groupement
- Les relations internes entre les membres d’un groupement, tel qu’une coopérative, sont également exclues, sauf si la rupture concerne des relations commerciales externes (Cass. com., 18 oct. 2017, n°16-18.864).
2. Les parties intéressées à la relation commerciale
L’article L. 442-1, II du Code de commerce, en visant toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, repose sur une conception extensive quant à l’identification des parties susceptibles d’être concernées par la rupture d’une relation commerciale établie.
A cet égard, cette disposition soulève deux interrogations fondamentales :
- D’une part, elle invite à déterminer qui peut être considéré comme l’auteur de la rupture, c’est-à-dire la personne dont la responsabilité pourrait être recherchée en cas de manquement.
- D’autre part, elle conduit à s’interroger sur l’identité de la victime, autrement dit, sur les personnes habilitées à agir en réparation du préjudice subi. Cette victime peut être directement impliquée dans la relation commerciale ou, dans des cas plus rares, un tiers indirectement affecté.
C’est là tout l’enjeu d’une analyse approfondie des parties intéressées à la relation commerciale.
a. L’auteur de la rupture
La détermination de l’auteur de la rupture, au sens de l’article L. 442-1, II du Code de commerce, revêt une importance capitale, dans la mesure où c’est sur cette personne que repose la responsabilité de la rupture brutale et qu’elle sera, à ce titre, susceptible de faire l’objet d’une action en réparation.
Cette qualification détermine donc non seulement l’imputabilité du manquement, mais également l’identification des acteurs économiques concernés par le champ d’application de cette disposition.
L’article L. 442-1, II du Code de commerce définit l’auteur de la rupture comme « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services ». Cette rédaction, volontairement large, recouvre aussi bien les opérateurs classiques du commerce que des entités dont l’activité n’est pas nécessairement qualifiée de commerciale.
Ainsi, comme vu précédemment, la Cour de cassation a-t-elle jugé qu’une société d’assurance mutuelle, bien que son activité soit expressément qualifiée de non commerciale par l’article L. 322-26-1 du Code des assurances, pouvait néanmoins être considérée comme l’auteur d’une rupture brutale, dès lors qu’elle exerce une activité de service (Cass. com., 14 sept. 2010, n°09-14.322).
De même, une fédération sportive constituée sous forme d’association peut, lorsqu’elle propose des prestations économiques, entrer dans le champ d’application de l’article L. 442-1, II (CA Paris, 24 sept. 2021, n° 18/02209).
Cependant, il est essentiel que l’auteur de la rupture exerce une véritable activité économique. Cette exigence a permis, par exemple, d’écarter du champ d’application une chambre nationale des huissiers de justice, dont les activités ne répondaient pas à cette condition (TGI Paris, 4 janv. 2011, n° 09/11289).
À l’inverse, des entités publiques ou des syndicats de copropriétaires, pour autant qu’ils proposent des prestations de service pour les besoins d’une activité économique, peuvent être inclus dans la définition (Cass. com., 28 juin 2023, n°21-16.940).
Enfin, la responsabilité au titre de l’article 442-1, II du Code de commerce peut également être étendue aux auteurs indirects.
Une société mère, par exemple, peut être tenue responsable de la rupture si elle a dicté les décisions de ses filiales en matière de relations commerciales, privant ainsi celles-ci de toute autonomie (Cass. com., 5 juill. 2016, n° 14-27.030).
Cette extension souligne la volonté jurisprudentielle d’imputer la responsabilité à l’entité réelle derrière les décisions stratégiques.
b. La victime de la rupture
i. La partie victime de la rupture
La détermination des personnes susceptibles d’être qualifiées de victimes au sens de l’article L. 442-1, II du Code de commerce revêt une importance essentielle.
En effet, seules celles qui peuvent se prévaloir de cette qualité seront en mesure d’engager la responsabilité de l’auteur de la rupture et de solliciter réparation pour le préjudice subi.
Cette qualification constitue donc un préalable fondamental à toute action en responsabilité fondée sur cette disposition.
==>Une approche extensive de la notion de victime
Contrairement à l’auteur de la rupture, expressément visé par l’article L. 442-1, II du Code de commerce comme étant « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services », le texte demeure silencieux quant à la qualité de la victime.
Cette absence de précision a conduit à une interprétation jurisprudentielle extensive, visant à élargir le champ des bénéficiaires de la protection contre les ruptures brutales de relations commerciales.
La Cour de cassation a ainsi affirmé que la responsabilité de l’auteur pouvait être engagée « quel que soit le statut juridique de la victime du comportement incriminé » (Cass. com., 6 févr. 2007, n°03-20.463).
Dans cette affaire, une association organisant des événements pour une société exploitant un musée, a vu sa collaboration brutalement interrompue.
La Cour d’appel avait écarté son action en responsabilité au motif que les associations ne pouvaient habituellement accomplir des prestations commerciales.
En censurant cette position, la Cour de cassation a clairement établi que le statut juridique de la victime ne constituait pas un critère pertinent, dès lors qu’une relation commerciale établie pouvait être démontrée.
==>Les personnes exclues de la qualification de victime
Si l’interprétation de l’article L. 442-1, II du Code de commerce s’attache à une définition large de la qualité de victime, elle trouve toutefois ses limites lorsqu’il s’agit de professionnels soumis à des interdictions légales ou réglementaires d’exercer des activités commerciales.
Ces exclusions, issues de règles spécifiques souvent fondées sur des considérations déontologiques, justifient l’inapplicabilité de cette disposition à certaines professions. Ainsi, un notaire, à qui toute activité commerciale est interdite en vertu de l’article 13, 1° du décret du 19 décembre 1945, ne peut se prévaloir de l’article L. 442-1, II pour contester la rupture d’une relation d’affaires avec une banque (Cass. com., 20 janv. 2009, n° 07-17.556). De même, les avocats, en vertu de l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, sont exclus du champ d’application de cette disposition. La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un avocat ne pouvait invoquer cet article contre un client, y compris lorsque ce client est une banque commerciale (Cass. com., 24 nov. 2015, n° 14-22.578). Les conseils en propriété industrielle, soumis à une règle analogue par l’article L. 422-12 du Code de la propriété intellectuelle, relèvent également de cette exclusion (Cass. com., 3 avr. 2013, n° 12-17.905).
D’autres professions, comme celle de médecin, sont également concernées. La Cour de cassation a estimé qu’un médecin ne pouvait engager la responsabilité d’une clinique en raison de la rupture brutale d’une relation d’affaires, la profession médicale devant être exercée en dehors de tout cadre commercial (Cass. com., 23 oct. 2007, n°06-16.774).
Ces exclusions ne se fondent pas exclusivement sur l’interdiction légale ou réglementaire d’exercer une activité commerciale. Elles reposent également sur la nature des relations entre ces professionnels et leurs clients, lesquelles sont souvent caractérisées par leur intuitu personae. Ces relations, bâties sur la confiance mutuelle, sont intrinsèquement précaires et ne présentent pas la stabilité requise pour être qualifiées de relations commerciales établies au sens de l’article L. 442-1,
ii. Le tiers victime de la rupture
Si le principe général veut qu’une « relation commerciale établie s’entende d’échanges commerciaux conclus directement entre les parties » (Cass. com., 7 oct. 2014, n° 13-20.390), la jurisprudence admet néanmoins que des tiers puissent invoquer un préjudice découlant d’une rupture brutale, à condition de démontrer un préjudice personnel distinct et direct.
Dans la plupart des cas, les actions intentées par des tiers reposent sur le fondement de la responsabilité délictuelle de droit commun.
Ainsi, un distributeur indirect, affecté par la cessation des relations entre son fournisseur principal et un partenaire commercial, peut rechercher la responsabilité de l’auteur de la rupture, sous réserve d’établir un préjudice spécifique qui lui est propre (Cass. com., 6 sept. 2011, n°10-11.975).
Dans cette affaire, un tiers impliqué dans la chaîne de distribution avait subi des conséquences économiques directes liées à l’arrêt brutal des approvisionnements en amont. La Cour de cassation a confirmé que le tiers pouvait agir en réparation sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, dès lors que le préjudice invoqué était autonome et causé directement par la rupture.
De même, les associés d’une société coopérative ont été autorisés à agir pour les préjudices spécifiques qu’ils ont subis en raison d’une rupture affectant leur structure (Cass. com., 26 nov. 2013, n°12-26.015). Ces situations mettent en lumière le caractère potentiellement étendu des effets économiques de la rupture, touchant des personnes autres que les parties directement engagées dans la relation.
La situation des sous-traitants est particulièrement intéressante. Bien qu’ils ne soient pas directement liés au donneur d’ordre, leur situation peut néanmoins justifier une protection particulière.
Dans une affaire marquante, la Cour de cassation a reconnu que, dans certains cas exceptionnels, un sous-traitant pouvait agir sur le fondement de l’article L. 442-1, II du Code de commerce (Cass. com., 18 mai 2010, n°08-21.681).
En l’espèce, un donneur d’ordre avait conclu un contrat principal avec un prestataire, lequel prévoyait explicitement l’intervention d’un sous-traitant pour l’exécution de certaines prestations. Ce sous-traitant, bien que n’étant pas directement lié contractuellement au donneur d’ordre, était mentionné dans les accords comme un acteur essentiel de l’exécution des prestations, avec une rémunération directement assurée par le donneur d’ordre.
Face à une rupture brutale des relations commerciales, le sous-traitant a engagé une action conjointe avec le prestataire principal. Il a démontré qu’il réalisait un chiffre d’affaires propre en lien direct avec le donneur d’ordre, justifiant ainsi d’un intérêt à agir. La Cour d’appel, confirmée sur ce point par la Cour de cassation, a validé cette recevabilité, estimant que le lien entre le donneur d’ordre et le sous-traitant, bien que non contractuel, était suffisamment structurant pour l’activité de ce dernier.
La reconnaissance de cet intérêt à agir repose sur la spécificité des prestations fournies par le sous-traitant et sur leur intégration dans la relation commerciale entre le donneur d’ordre et le prestataire principal. La Haute juridiction a souligné que le sous-traitant avait subi un préjudice propre, résultant directement de la rupture brutale, et que ce préjudice était distinct de celui du prestataire principal.
Cette dernière a toutefois rappelé que la protection offerte par l’article L. 442-1, II ne s’applique pas de manière automatique. Dans cette même affaire, elle a critiqué l’analyse de la Cour d’appel, qui n’avait pas suffisamment examiné si la relation commerciale présentait une stabilité suffisante pour justifier l’application de cet article. La Chambre commerciale a ainsi mis en avant l’importance de la prévisibilité et de la pérennité des relations pour caractériser une relation commerciale établie.
C) L’existence d’une relation commerciale établie
1. Définition de la notion de relation commerciale établie
La notion de « relation commerciale établie », bien que non définie par les textes, repose sur une interprétation essentiellement jurisprudentielle, influencée par des considérations économiques.
La Cour de cassation l’a précisée dans son rapport annuel de 2008 : il y a relation commerciale établie dans les cas « où la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l’interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial ».
Il ressort de cette définition que la relation commerciale établie dépasse la simple existence de contrats ou d’échanges ponctuels entre les parties. Elle repose sur des éléments objectifs et subjectifs qui traduisent une prévisibilité et une régularité dans les échanges, permettant de fonder une attente légitime quant à la pérennité du partenariat.
La notion s’articule autour de trois éléments fondamentaux. Le premier réside dans le caractère suivi, stable et habituel des échanges entre les parties, traduisant une collaboration durable. Le deuxième repose sur l’attente légitime qu’une partie peut nourrir quant à la pérennité de la relation, cette anticipation étant fondée sur des comportements ou engagements explicites ou implicites. Enfin, le troisième élément porte sur la régularité et le caractère significatif des échanges, lesquels permettent d’apprécier l’importance économique et stratégique de la relation. Ces trois axes, éclairés par la jurisprudence, permettent de qualifier une relation de commerciale établie.
==>Caractère suivi, stable et habituel des échanges
Une relation commerciale établie suppose tout d’abord des échanges réguliers et stables, traduisant une collaboration durable. Ce caractère suivi et habituel ne nécessite pas une permanence des échanges, mais implique une continuité suffisante pour instaurer une prévisibilité.
Dans une affaire concernant une société de sous-traitance opérant pour un donneur d’ordre au Turkménistan, la Cour de cassation a jugé que l’absence de contrat-cadre, d’exclusivité ou de garantie de chiffre d’affaires, combinée à la liberté laissée au donneur d’ordre de consulter d’autres prestataires pour chaque projet, excluait le caractère suivi et stable de la relation (Cass. com., 16 déc. 2008, n°07-15.589).
À l’inverse, la régularité des participations d’un négociant en vin à un salon pendant plus de quinze ans, même limitée à quelques jours par an, a permis de qualifier la relation de suivie et stable. La Cour de cassation a notamment relevé la fourniture constante de services connexes, tels que des prestations promotionnelles ou des assurances, qui témoignaient d’une relation durable (Cass. com., 15 sept. 2009, n° 08-19.200).
==>Anticipation raisonnable de continuité
Le deuxième élément de la définition de relation commerciale établie réside dans l’attente légitime qu’une partie peut nourrir quant à la pérennité de la relation. Cette croyance, fondée sur des comportements ou engagements explicites ou implicites, est appréciée in concreto par la jurisprudence.
Dans l’affaire concernant la sous-traitance au Turkménistan, la liberté totale du donneur d’ordre de choisir ses prestataires, combinée à des consultations régulières de concurrents, a conduit la Chambre commerciale à exclure toute possibilité pour le sous-traitant de nourrir une croyance légitime en la continuité des relations (Cass. com., 16 déc. 2008, n°07-15.589).
En revanche, dans l’affaire relative au négociant en vin, la participation constante et sans interruption pendant plus de quinze ans, bien qu’aucun contrat-cadre ou engagement explicite ne l’ait formalisée, a légitimé une attente raisonnable de continuité. La régularité des interactions et leur impact stratégique ont suffi pour fonder une anticipation légitime de la pérennité de la relation (Cass. com., 15 sept. 2009, n° 08-19.200).
==>Régularité et caractère significatif des échanges
Enfin, une relation commerciale ne peut être qualifiée d’établie que si les échanges sont suffisamment réguliers et significatifs. Cette régularité peut s’apprécier indépendamment de leur fréquence, dès lors qu’ils traduisent une relation économique durable et impactante pour les parties.
Dans l’affaire relative au sous-traitant, la Cour a constaté que chaque contrat dépendait des projets spécifiques obtenus par le donneur d’ordre. Cette absence de régularité et de continuité économique a conduit à écarter le caractère établi de la relation (Cass. com., 16 déc. 2008, n°07-15.589).
À l’opposé, une collaboration annuelle et continue, bien que limitée à quelques jours par an, combinée à des prestations connexes régulières tout au long de l’année, a suffi à établir une relation commerciale suivie et significative dans l’affaire Comexpo Paris (Cass. com., 15 sept. 2009, n° 08-19.200. La Cour de cassation a ainsi retenu que la régularité des interactions, renforcée par leur impact stratégique, était un critère déterminant.
2. Critères du caractère établi de la relation commerciale
La notion de relation commerciale établie repose sur plusieurs critères précis que la jurisprudence a progressivement dégagés, permettant d’apprécier si les interactions entre les parties revêtent un caractère suffisamment structuré et pérenne pour bénéficier de la protection offerte par l’article L. 442-1, II du Code de commerce.
a. Durée de la relation
La durée constitue un critère essentiel dans l’appréciation du caractère établi d’une relation commerciale, bien qu’elle ne puisse à elle seule suffire à cette qualification.
Les juridictions doivent analyser cette durée en tenant compte de la constance des échanges et de la pérennité de la relation, tout en contextualisant cette durée dans les spécificités des relations entre les parties.
Une relation commerciale prolongée, marquée par une continuité des interactions et une régularité des échanges, tend à renforcer la confiance dans sa pérennité. La chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi reconnu le caractère établi d’une relation ayant duré plus de 15 ans, malgré des échanges limités à un événement annuel.
Dans cette affaire, la régularité des participations et la fourniture de prestations annexes tout au long de l’année, comme des services promotionnels, ont suffi à caractériser une collaboration durable et stable (Cass. com., 16 déc. 2008, n°07-15.589).
À l’inverse, une durée brève empêche de qualifier une relation de commerciale « établie ». Dans une affaire relative à la commercialisation de logiciels, la Cour de cassation a jugé que des relations ayant duré seulement quelques mois étaient insuffisantes pour établir une collaboration stable et durable. La brièveté de cette relation ne permettait pas au partenaire de nourrir une croyance légitime en sa continuité, même en présence de plusieurs interactions commerciales (Cass. com., 18 déc. 2007, n° 06-10.390).
De même, la cour d’appel de Paris a récemment estimé qu’une relation commerciale d’un an, bien qu’accompagnée de plusieurs échanges contractuels, ne présentait pas une stabilité suffisante pour être qualifiée d’établie. La juridiction a souligné qu’une telle brièveté exclut une prévisibilité permettant d’instaurer un climat de confiance entre les parties (CA Paris, 30 juin 2023, n° 21/17252).
Lorsque la relation commerciale repose sur une succession de contrats, les juridictions doivent prendre en compte l’ensemble de la durée des relations, et non se limiter à l’examen du dernier contrat en date.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rappelé que cette approche globale est nécessaire pour éviter de priver une décision de base légale. Ainsi, dans une affaire où la relation commerciale invoquée s’étendait sur plusieurs années, la juridiction a censuré un arrêt d’appel qui s’était borné à analyser la durée d’un contrat unique sans tenir compte des relations antérieures (Cass. com., 16 févr. 2022, n° 20-18.844)).
b. Continuité et caractère suivi des échanges
La continuité, traduisant un caractère suivi et stable des interactions, est un autre critère clé dans l’évaluation d’une relation commerciale établie.
Elle ne suppose pas nécessairement une permanence des échanges, mais plutôt une régularité suffisante pour instaurer une prévisibilité.
La jurisprudence reconnaît qu’une succession de contrats ponctuels, dès lors qu’elle s’inscrit dans une dynamique régulière et prévisible, peut suffire à établir le caractère suivi de la relation. Par exemple, la fourniture de prestations limitées à quelques jours par an mais renouvelées sur une période de 14 ans a été jugée suffisante pour établir une relation commerciale (Cass. com., 15 sept. 2009, n° 08-19.200).
A l’inverse, la précarité des relations, liée à une succession de contrats indépendants, peut exclure le caractère suivi. Dans une affaire concernant une société de sous-traitance dans le secteur de l’habillement, la fluctuation et l’irrégularité des commandes inhérentes au secteur ont conduit à écarter toute continuité, reflétant une instabilité économique (Cass. com., 27 mars 2019, n° 17-18.047).
Le recours systématique à des appels d’offres ou à des consultations régulières de concurrents fragilise également la continuité. Dans une affaire où chaque mission était soumise à une mise en concurrence, la Cour d’appel de Versailles a jugé que cette pratique excluait toute permanence garantie et plaçait la relation dans une perspective de précarité certaine (CA Versailles, 24 mars 2005, n° 03/08306).
c. Caractère significatif des échanges
Le caractère significatif des échanges se mesure principalement à l’aune de leur importance économique et stratégique pour les parties. Une relation significative reflète une contribution notable aux activités des parties, sans pour autant exiger une situation de dépendance économique.
La jurisprudence considère que le caractère significatif peut être établi lorsqu’une relation représente une part substantielle du chiffre d’affaires d’une des parties. Par exemple, la fourniture régulière de prestations représentant jusqu’à 30 % du chiffre d’affaires d’un fournisseur a été jugée comme un indice de relation significative (CA Caen, 2 juin 2005).
A l’inverse, des relations économiquement insignifiantes ou caractérisées par de faibles volumes de transactions ne permettent pas de fonder une qualification de relation commerciale établie. La Cour d’appel de Bordeaux a ainsi exclu une relation basée sur des commandes limitées à une trentaine de caisses de vin par an (CA Bordeaux, 30 avr. 2009).
Le développement progressif des relations constitue un critère clé pour caractériser une relation commerciale établie, notamment lorsqu’il traduit une intensification des échanges et une structuration croissante du courant d’affaires.
La jurisprudence reconnaît que l’accumulation de contrats successifs, couplée à une montée en puissance des échanges, peut témoigner d’un courant d’affaires significatif et durable.
Ainsi, dans une affaire examinée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, impliquant une société de production et un diffuseur, il a été jugé que la constance et l’importance des échanges, bien que fondés sur des contrats indépendants, justifiaient la qualification de relation commerciale établie (Cass. com., 25 sept. 2012, n°11-24.425).
Pendant près de sept ans, les collaborations avaient abouti à la réalisation de cinq séries de magazines, quatre documentaires et un programme court comprenant 260 modules. Ces projets s’inscrivaient dans une succession ininterrompue de contrats dont l’exécution avait généré un courant d’affaires atteignant plusieurs millions d’euros par an. La diversité des projets, leur régularité et l’ampleur des montants engagés reflétaient une collaboration à la fois stable, suivie et habituelle.
La Cour de cassation a également souligné que la stabilité perçue par les sociétés collaboratrices était renforcée par des éléments contextuels tels que la signature d’un protocole d’accord et la continuité des propositions d’émissions conformes à la ligne éditoriale du partenaire. Ces éléments, bien que non formalisés par un accord-cadre ou des engagements explicites, avaient légitimement conduit les entreprises à croire en la pérennité de leur relation.
Cette décision illustre que l’évolution progressive et significative d’une relation commerciale, évaluée à l’aune de sa régularité et de son impact économique, peut suffire à établir son caractère durable, indépendamment de la nature unique ou distincte de chaque contrat.
d. Stabilité de la relation
La stabilité de la relation, souvent issue de la réunion des critères précédents, constitue un élément fondamental dans la caractérisation d’une relation commerciale établie. Elle permet d’écarter l’hypothèse d’une précarité économique ou juridique.
Certaines relations commerciales sont, par leur nature ou en raison du secteur d’activité, marquées par une instabilité structurelle qui empêche leur qualification de relation « établie ».
Cette précarité peut être objective, liée aux caractéristiques des prestations ou des contrats liant les parties. Ainsi, dans une affaire relative à l’exploitation de stations-service autoroutières, la chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que la relation commerciale entre une société mandataire et son donneur d’ordre ne pouvait être qualifiée d’« établie ».
En effet, les contrats liant les parties, bien que successifs, étaient à durée déterminée et subordonnés à la concession autoroutière détenue par le donneur d’ordre. La Haute juridiction a relevé que cette concession arrivant à son terme, la relation commerciale ne présentait pas une stabilité suffisante pour faire naître une anticipation légitime de continuité. L’absence de renouvellement de la concession, condition essentielle à la poursuite des contrats, excluait toute croyance raisonnable en une pérennité des relations (Cass. com., 27 mai 2021, n° 19-19.595).
Outre cette précarité objective, les parties peuvent volontairement introduire des éléments de précarité dans leurs relations par le biais de clauses contractuelles ou de pratiques spécifiques. L’insertion de clauses excluant formellement toute reconduction tacite d’un contrat est un exemple classique. Cette démarche contractuelle a été jugée suffisante pour empêcher la partie cocontractante de nourrir une croyance légitime en la stabilité ou la pérennité de la relation.
Ainsi, la cour d’appel de Paris a estimé que l’absence de reconduction tacite instaurait une instabilité manifeste, incompatible avec la qualification de relation commerciale établie (CA Paris, 29 mai 2008, n° 05/0010).
Toutefois, il convient de noter que la qualification d’une relation commerciale comme « établie » dépend également des comportements adoptés par les parties au-delà des clauses inscrites dans leurs contrats.
Une clause de non-reconduction peut être écartée si les pratiques des parties démontrent une volonté implicite de poursuivre la relation de manière pérenne et stable. Les juges du fond doivent alors rechercher si la relation concrète entre les parties a pu légitimement faire naître une attente de continuité, même en présence d’éléments contractuels contraires.
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