==>Ordre juridictionnel
L’article L. 442-4, I du Code de commerce confère compétence aux juridictions judiciaires pour statuer sur les litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence, y compris les ruptures brutales de relations commerciales établies.
Toutefois, cette règle souffre d’une exception importante : lorsque le contrat à l’origine de la relation est un contrat administratif. Dans ce cas, la compétence revient exclusivement aux juridictions administratives.
Ainsi, le Tribunal des conflits a confirmé que les litiges relatifs à la cessation d’un contrat administratif – même invoquant les dispositions du Code de commerce – doivent être portés devant le juge administratif (T. confl., 8 févr. 2021, n° 4201).
Cette solution s’applique également en cas de rupture brutale de relations résultant d’une convention d’occupation du domaine public par un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) (T. confl., 5 juill. 2021, n° 4213).
==>Compétence civile ou commerciale
L’article L. 442-4 du Code de commerce dispose que les litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence peuvent être portés devant les juridictions civiles ou commerciales compétentes.
Cette disposition a suscité des divergences d’interprétation quant à la nature des actes en cause et, par conséquent, au choix entre tribunal judiciaire et tribunal de commerce.
Dans un premier temps, certaines juridictions, s’alignant sur l’interprétation adoptée par l’administration, ont considéré que l’article L. 442-4 du Code de commerce permettait au demandeur de choisir librement entre le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire pour introduire son action (TGI Nanterre, 26 avr. 1989, inédit ; TGI Paris, 6 juin 1989, RCC 1989, obs. Bravard).
Cette approche se fondait sur l’idée que le texte instituait un régime dérogatoire, offrant une alternative quant à la compétence juridictionnelle.
Toutefois, cette approche a été abandonnée lorsque la jurisprudence a qualifié les conventions concernées d’actes de commerce, conférant ainsi une compétence exclusive aux tribunaux de commerce (CA Paris, 30 mars 1994).
Cette position a été confirmée par la Cour de cassation, qui a jugé dans un arrêt du 27 juin 1995 que les litiges fondés sur l’article L. 442-4 relèvaient, par nature, des tribunaux de commerce (Cass. com., 27 juin 1995, n° 94-15.257).
==>Nature délictuelle ou contractuelle de l’action
La nature de la responsabilité de la responsabilité en cas de rupture brutale de relations commerciales établies constitue un autre critère déterminant.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation a traditionnellement considéré que l’action exercée sur le fondement de l’article L. 442-4 du Code de commerce revêtait une nature délictuelle.
En conséquence, le demandeur bénéficierait de l’option de compétence prévue par l’article 46 du Code de procédure civile, lui permettant de saisir, au choix, le tribunal du domicile du défendeur, celui du lieu du fait dommageable ou encore celui dans le ressort duquel le dommage a été subi (Cass. com., 13 janv. 2009, n° 08-13.971). Cette approche rend également inopérantes les clauses attributives de compétence incluses dans les contrats de distribution en ce qui concerne l’application de l’article L. 442-4.
Cependant, cette analyse n’a pas toujours fait consensus. La première chambre civile de la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, adopté une position divergente en qualifiant l’action de contractuelle, estimant qu’elle reposait sur des relations tacites établies entre les parties (Cass. civ., 1ère, 22 oct. 2008, n°07-15.823). Cette divergence trouve un écho particulier lorsque la relation entre les parties révèle des indices concordants d’un engagement tacite, tels que la régularité des transactions, leur évolution temporelle, ou encore la correspondance échangée.
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est intervenue sur ce point dans l’arrêt Granarolo. Elle a jugé qu’une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale pouvait relever de la matière contractuelle si une relation tacite et continue existait entre les parties. Elle a précisé que cette relation devait être démontrée à l’aide d’un faisceau d’indices tels que l’ancienneté des relations, la bonne foi entre les parties, ou encore les accords implicites sur les prix ou les rabais (CJUE, 14 juill. 2016, C-196/15, Granarolo, EU:C:2016:559)).
La Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est par la suite alignée sur cette position, reconnaissant que l’existence d’une relation contractuelle tacite pouvait justifier une qualification contractuelle de l’action en réparation, dès lors que les éléments établissant cette relation sont suffisamment probants (Cass. com., 20 sept. 2017, n° 16-14.812).
Ce revirement, marqué par une convergence avec le droit européen, illustre la complexité et l’enjeu stratégique de la qualification de la responsabilité dans ce type de contentieux, qui influence directement le choix des juridictions compétentes.
==>Compétence des juridictions spécialisées
L’article L. 442-4, III du Code de commerce, combiné à l’article D. 442-3 et ses annexes, institue une spécialisation juridictionnelle en matière de pratiques restrictives de concurrence, y compris les litiges relatifs à la rupture brutale de relations commerciales établies.
Ce dispositif confère compétence à huit juridictions de première instance, réparties entre tribunaux de commerce et tribunaux judiciaires, situées à Marseille, Bordeaux, Tourcoing, Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes.
La cour d’appel de Paris est, quant à elle, seule compétente pour connaître des recours formés contre les décisions rendues par ces juridictions spécialisées.
La spécialisation, introduite par le décret du 11 novembre 2009 (D. n° 2009-1384), a été consolidée par le décret du 24 février 2021. Elle s’applique tant aux actions au fond qu’aux procédures en référé, comme le souligne la jurisprudence (CA Rennes, 25 mars 2014, n° 13/10436). Ces règles de compétence ne peuvent être contournées par des clauses attributives de juridiction.
Traditionnellement, la méconnaissance de ces règles de spécialisation était sanctionnée par une fin de non-recevoir, pouvant être soulevée d’office par les juges en tout état de cause (Cass. com., 21 juin 2016, n° 14-27.056). Cependant, dans un arrêt de principe du 18 octobre 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a opéré un revirement en affirmant que la compétence des juridictions spécialisées en matière de pratiques restrictives constituait désormais une règle de compétence d’attribution exclusive, et non une fin de non-recevoir (Cass. com., 18 oct. 2023, n° 21-15.378).
Cette requalification a des conséquences procédurales importantes. Désormais, toute exception d’incompétence doit être soulevée in limine litis, à peine d’irrecevabilité, conformément à l’article 74 du Code de procédure civile. En revanche, une demande introduite devant une juridiction incompétente produit un effet interruptif de prescription (art. 2241 du Code civil). Ce changement vise à renforcer la sécurité juridique des parties et à clarifier les conditions de mise en œuvre des règles de compétence.
==>Les clauses attributives de juridiction
Les règles de compétence énoncées par l’article L. 442-4, III du Code de commerce, combiné aux articles D. 442-3 et D. 442-4, revêtent un caractère d’ordre public, interdisant toute tentative de les écarter par voie contractuelle. Ainsi, une clause attributive de juridiction désignant une autre juridiction que celles prévues par ces textes est réputée inopérante, même si elle résulte d’un accord entre les parties (Cass. 1re civ., 1er mars 2017, n° 15-22.675). Cette exclusion traduit la volonté de préserver l’ordre public économique et de garantir une cohérence dans l’application des règles relatives aux pratiques restrictives de concurrence.
Le caractère impératif des règles de compétence n’exclut pas la stipulation de clauses attributives de juridiction dans les contrats, sous réserve qu’elles respectent le cadre légal.
Une clause bien rédigée, couvrant explicitement les litiges relatifs à la cessation ou à l’exécution des contrats, peut trouver application, y compris en cas de rupture brutale.
À titre d’illustration, une clause désignant une juridiction spécialisée compétente pour statuer sur la conclusion et la cessation d’un contrat a été jugée valable (CA Paris, 21 oct. 2014, n° 14/09739). En revanche, toute clause qui ne renverrait pas vers les juridictions désignées par les articles D. 442-3 et D. 442-4 du Code de commerce demeure inopérante.
No comment yet, add your voice below!