Le Droit dans tous ses états

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Les droits conférés aux créanciers de l’indivision

En application de l’article 815-17 du Code civil, les créanciers de l’indivision sont investis de deux prérogatives : le prélèvement sur l’actif avant le partage et la saisie et vente des biens indivis.

1. Le droit de prélèvement sur l’actif avant partage

a. Notion de prélèvement

La notion de prélèvement, telle qu’envisagée à l’article 815-17 du Code civil, se distingue nettement de celle traditionnellement utilisée dans les opérations de partage entre indivisaires.

Contrairement au prélèvement classique, qui consiste pour un indivisaire à retirer un bien ou une somme d’argent de la masse indivise pour satisfaire ses droits lors du partage, le prélèvement prévu par cet article ne constitue pas une opération de partage à proprement parler.

Il s’agit ici d’un mécanisme juridique autonome, spécifiquement conçu pour garantir le règlement des créances sur l’indivision, avant toute répartition des parts entre coïndivisaires.

En substance, l’article 815-17 confère donc aux créanciers, y compris les tiers, un droit exclusif de prélèvement sur l’actif indivis. Cette prérogative leur permet de satisfaire leurs créances en priorité, avant que la masse indivise ne soit divisée et attribuée aux indivisaires.

Contrairement aux indivisaires, qui interviennent dans le cadre d’une opération de partage, les créanciers exercent un droit distinct, orienté non pas vers l’acquisition de droits sur les biens, mais vers leur liquidation en vue d’un paiement.

Ce prélèvement est ainsi un moyen de garantir la satisfaction des créanciers indépendamment des relations internes entre coïndivisaires. Ce principe reflète l’idée selon laquelle l’unité de la masse indivise doit subsister tant que les créanciers n’ont pas été payés, assurant ainsi une sécurité juridique renforcée pour ces derniers.

A cet égard, il est essentiel de souligner que le prélèvement prévu par l’article 815-17 ne confère pas au créancier un droit de propriété sur les biens indivis.

En effet, ce dernier n’est pas en mesure de « prélever » un bien comme s’il en était propriétaire. Il bénéficie plutôt d’un droit de gage indivisible sur l’ensemble des biens composant l’actif indivis.

Ce droit de gage repose sur le principe selon lequel les créances doivent être réglées sur la masse indivise dans son intégralité, sans fragmenter l’assiette du gage entre les parts des coïndivisaires.

Cette indivisibilité du gage garantit que les créanciers puissent obtenir le paiement de leurs créances soit par le biais des liquidités disponibles dans la masse indivise, soit, à défaut, par une procédure de saisie et de vente des biens indivis. Cette faculté de saisie s’exerce sur l’ensemble des biens indivis, sans qu’il soit nécessaire de déterminer au préalable la répartition des parts entre coïndivisaires.

Enfin, le mécanisme de prélèvement prévu par l’article 815-17 assure une satisfaction prioritaire des créanciers avant toute opération de partage entre les indivisaires.

Cette priorité s’inscrit dans une logique de préservation des droits des créanciers, en évitant que leurs créances soient diluées ou mises en péril par les aléas des opérations de partage.

En pratique, cela signifie que l’actif net de l’indivision, une fois les créances réglées, est ensuite réparti entre les coïndivisaires selon leurs droits respectifs.

b. L’indivisibilité du gage jusqu’au partage

L’un des fondements du droit de prélèvement reconnu aux créanciers de l’indivision réside dans l’indivisibilité du gage des créanciers. Les biens indivis forment une masse unique sur laquelle les créanciers exercent leurs droits, cette unité économique et juridique étant maintenue jusqu’au partage.

Cela implique que les créances sont réglées en priorité sur l’actif indivis, y compris sur les fruits et revenus générés par les biens, sans qu’il soit nécessaire de déterminer les droits individuels des coïndivisaires au préalable.

Dans un arrêt marquant du 13 mars 2007, la Cour de cassation a précisé que les créanciers doivent être réglés sur l’actif indivis avant tout partage.

Elle a ainsi censuré une décision des juges du fond qui imputait une créance sur la seule part d’un indivisaire, réaffirmant que l’indemnité due devait être déduite de l’actif net de l’indivision avant sa répartition entre coïndivisaires (Cass. 1re civ., 13 mars 2007, n° 05-13.320).

c. Moment et montant du prélèvement

Conformément à l’article 815-17 du Code civil, le prélèvement peut intervenir à tout moment durant l’indivision, sans attendre l’issue des opérations de partage.

Quan à son montant, il correspond précisément à la créance du créancier, indépendamment des fluctuations de la masse indivise ou des parts individuelles.

En l’absence de liquidités suffisantes, le prélèvement peut prendre la forme d’une saisie et vente des biens indivis, mais toujours en respectant l’indivisibilité du gage.

d. Absence de solidarité entre coindivisaires

En matière d’indivision, le principe est l’absence de solidarité entre les indivisaires pour les dettes nées du fonctionnement de l’indivision, sauf stipulation expresse ou disposition légale particulière.

Ce régime, propre à la structure même de l’indivision, reflète le fait que chaque indivisaire est tenu au prorata de sa quote-part dans l’indivision et que les créanciers ne peuvent exiger d’un indivisaire le paiement de plus que sa part contributive.

==>Principe

La solidarité, par sa nature, impose à chaque débiteur de répondre de l’intégralité de la dette, offrant ainsi une garantie accrue au créancier.

Toutefois, en l’absence de stipulation contractuelle expresse ou de texte législatif, ce mécanisme ne s’applique pas aux indivisaires.

Les dettes liées au fonctionnement de l’indivision, qu’il s’agisse des dépenses de conservation, des charges courantes ou des dettes contractées pour le compte de l’indivision, sont réparties entre les indivisaires au prorata de leurs droits indivis.

Ainsi, chaque indivisaire est tenu uniquement à hauteur de sa participation dans l’indivision, en fonction de la quote-part qu’il détient.

Cette absence de solidarité limite la responsabilité individuelle de chaque coïndivisaire et protège ses droits dans le cadre de la gestion collective des biens indivis.

==>Les conséquences pour les créanciers

L’absence de solidarité impose au créancier une contrainte majeure : il doit diviser ses poursuites entre les indivisaires et respecter la proportion des droits de chacun.

En pratique, cela signifie que le créancier ne peut réclamer qu’un pourcentage de sa créance à chaque indivisaire, correspondant à la part indivise détenue par ce dernier.

En cas d’insolvabilité d’un ou plusieurs indivisaires, le créancier supporte le risque de ne pas recouvrer la totalité de sa créance.

Contrairement à une obligation solidaire, où le créancier peut exiger le paiement intégral auprès d’un seul débiteur, ici, il devra supporter la perte liée à l’impossibilité de recouvrer les parts des indivisaires insolvables.

Cette situation est particulièrement défavorable dans les indivisions composées de nombreux indivisaires, dont certains peuvent être financièrement faibles ou insaisissables.

==>Stipulation expresse de la solidarité

La solidarité peut néanmoins être introduite par une clause expresse, souvent insérée dans des conventions ou règlements régissant l’indivision.

Dans ce cas, tous les indivisaires deviennent co-débiteurs solidaires, permettant au créancier de poursuivre n’importe lequel d’entre eux pour l’intégralité de la créance.

Une fois la dette réglée par l’un des indivisaires, ce dernier dispose alors d’un recours contre les autres coïndivisaires pour récupérer leurs parts contributives.

Cette solidarité contractuelle présente un double avantage : elle sécurise davantage les droits des créanciers et simplifie les recours en cas de défaillance d’un indivisaire.

Cependant, elle accroît les responsabilités individuelles des coïndivisaires, qui s’exposent à une obligation de paiement intégral même si leur quote-part dans l’indivision est modeste.

2. Le droit de saisie et de vente des biens indivis

L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil confère aux créanciers de l’indivision un droit de saisie et de vente des biens indivis, indépendamment des opérations de partage.

Cette prérogative, distincte du droit de prélèvement, leur permet de se faire payer sur le produit de la vente des biens indivis.

==>La prérogative de saisie des biens indivis

Les créanciers de l’indivision, contrairement aux créanciers personnels des indivisaires, bénéficient d’un droit spécifique leur permettant de poursuivre la saisie et la vente judiciaire des biens indivis.

Ces biens incluent non seulement ceux présents au moment de la formation de l’indivision, mais également ceux qui y sont intégrés ultérieurement par subrogation réelle, tels que les fruits et revenus produits par les biens indivis.

Toutefois, la sécurité des créanciers peut être affectée dans certaines situations. Par exemple, un immeuble acquis par un indivisaire en son nom propre avec des fonds indivis pourrait échapper au gage des créanciers de l’indivision, ceux-ci ne pouvant s’opposer aux droits du créancier personnel de cet indivisaire. Cette difficulté souligne l’importance de définir précisément l’assiette des biens indivis soumis au droit de saisie.

==>Modalités de la saisie et de la vente

La saisie des biens indivis doit être dirigée contre chaque indivisaire individuellement en raison de l’absence de personnalité juridique de l’indivision.

Les créanciers ne peuvent donc engager d’action contre « l’indivision » en tant qu’entité autonome.

La saisie peut viser des biens meubles ou immeubles, ainsi que des créances indivises. La vente s’effectue généralement par voie de licitation, sauf accord contraire entre les parties (Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n° 93-11.317).

==>La portée et les limites du droit de saisie

Le droit de saisie des créanciers de l’indivision s’applique jusqu’au moment du partage définitif.

Une fois les biens indivis aliénés ou attribués à des indivisaires dans le cadre d’un partage, ils cessent de faire partie du gage des créanciers de l’indivision et deviennent soumis aux droits des créanciers personnels des indivisaires concernés.

Toutefois, l’effet déclaratif du partage n’altère pas les droits acquis par les créanciers de l’indivision avant le partage. Ces derniers conservent leur capacité à poursuivre la réalisation des biens indivis tant que ces biens font partie de la masse indivise.

Il convient également de noter que ce droit de saisie ne confère pas au créancier un droit exclusif sur les biens indivis. Les créanciers doivent partager leur gage avec les autres créanciers de l’indivision et se conformer aux priorités fixées par la loi, notamment lorsque plusieurs créanciers revendiquent des droits concurrents sur le même bien.

==>Extinction du droit de saisie et de vente des biens indivis

Le droit de saisie des créanciers trouve ses limites dans deux circonstances principales : le partage définitif et l’aliénation des biens indivis.

  • Le partage définitif
    • Principe
      • Le partage constitue l’acte par lequel l’indivision prend fin et les biens indivis sont attribués en pleine propriété à chacun des indivisaires, selon leurs droits respectifs.
      • Dès lors qu’un partage définitif intervient, les biens sortent du régime de l’indivision et, par conséquent, des mécanismes spécifiques prévus par l’article 815-17 du Code civil, qui confèrent aux créanciers la possibilité de saisir les biens indivis.
      • Il en résulte que, une fois le partage réalisé, les biens indivis cessent de constituer le gage commun des créanciers de l’indivision.
      • Les créanciers ne peuvent plus exercer leurs droits sur l’ensemble des biens indivis, mais uniquement sur ceux attribués à l’indivisaire débiteur.
      • Par ailleurs, en vertu de l’article 883 du Code civil, le partage est censé rétroagir à la date d’ouverture de l’indivision.
      • Cela signifie que chaque indivisaire est réputé avoir toujours été propriétaire exclusif des biens qui lui sont attribués, ce qui peut compliquer la position des créanciers pour les actions intentées avant le partage.
    • Exception
      • Un partage provisionnel, qui organise simplement la jouissance des biens sans en modifier la propriété, ne constitue pas une véritable dissolution de l’indivision.
      • Dans ce cas, les créanciers conservent leur droit de saisie sur les biens indivis.
      • Par exemple, une convention attribuant temporairement la jouissance d’un immeuble indivis à l’un des indivisaires n’empêche pas les créanciers de poursuivre la saisie de ce bien.
  • L’aliénation des biens indivis
    • Lorsqu’un bien indivis est vendu ou transféré à un tiers, il sort du patrimoine indivis et, par conséquent, du gage commun des créanciers de l’indivision.
    • Les créanciers ne peuvent alors plus exercer leur droit de poursuite sur ce bien, sauf exceptions prévues par le droit commun.
    • La Cour de cassation a confirmé ce principe dans un arrêt du 15 mai 2002 aux termes duquel elle a jugé que les biens indivis transférés à des tiers ne peuvent plus être saisis par les créanciers de l’indivision (Cass. 1ère civ., 15 mai 2002, n°00-18.798).
    • Ces derniers doivent alors engager leurs poursuites contre les nouveaux propriétaires du bien ou contre le débiteur initial, mais sans bénéficier des mécanismes propres à l’indivision.
    • La conséquence pour les créanciers est alors double
      • Premier effet
        • Une fois le bien vendu, les créanciers doivent se tourner vers le produit de la vente si celui-ci est resté dans le patrimoine indivis, ou exercer leurs droits sur d’autres biens de l’indivision ou sur le patrimoine propre de l’indivisaire débiteur.
      • Second effet
        • Contrairement à certaines hypothèses en droit des sûretés, les créanciers ne disposent pas de mécanismes spécifiques pour revendiquer un bien indivis aliéné à un tiers, sauf si l’aliénation a été réalisée en fraude de leurs droits, auquel cas une action paulienne peut être envisagée (article 1341-2 du Code civil).

==>Cas particuliers

  • Le cas particulier des créanciers hypothécaires
    • Les créanciers hypothécaires jouissent d’un régime particulier lorsqu’ils ont consenti leur hypothèque sur des biens indivis.
    • L’hypothèque, quelle que soit sa nature (conventionnelle, judiciaire ou légale), échappe à l’effet déclaratif du partage.
    • Elle conserve ainsi sa pleine efficacité, même après l’attribution du bien grevé à un indivisaire spécifique ou sa licitation au profit d’un tiers.
    • Cela garantit au créancier hypothécaire une sécurité renforcée, bien que sa situation puisse différer de celle des créanciers de l’indivision selon les modalités de l’hypothèque.
  • Le cas particulier de l’attribution éliminatoire
    • L’attribution éliminatoire, qui permet à un indivisaire de prélever un bien précis en contrepartie d’une indemnité destinée à couvrir les droits des autres indivisaires, n’a pas pour effet de limiter le gage des créanciers sur les biens restant dans l’indivision.
    • La doctrine et la jurisprudence s’accordent à considérer que cette attribution n’affecte pas les droits des créanciers de l’indivision.
    • Aussi, les biens restant dans l’indivision continuent de constituer un gage pour les créanciers, préservant ainsi leurs droits sur l’ensemble des actifs indivis subsistants.
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