Les rapports juridiques entre l’indivision, les indivisaires et leurs créanciers s’inscrivent dans un cadre juridique singulier, fruit d’un équilibre minutieux entre les droits des tiers et ceux des coindivisaires.
Bien que l’indivision soit dépourvue de personnalité morale, elle jouit néanmoins d’une autonomie fonctionnelle, presque comptable, justifiée par les nécessités de gestion et de liquidation du patrimoine commun. Cet état particulier engendre un passif propre à l’indivision, qui coexiste avec celui des indivisaires, et appelle à distinguer rigoureusement deux catégories de créanciers : ceux de l’indivision et ceux des indivisaires pris individuellement.
L’article 815-17 du Code civil opère une dichotomie claire et structurante entre ces deux catégories de créanciers :
- D’une part, les créanciers de l’indivision, titulaires de créances nées de la gestion ou de la conservation des biens indivis, jouissent de prérogatives privilégiées leur permettant, notamment, d’obtenir paiement par prélèvement sur l’actif indivis avant le partage ou de provoquer la saisie et la vente des biens indivis.
- D’autre part, les créanciers personnels des indivisaires, en vertu d’un tout autre régime, peuvent exercer des actions dirigées exclusivement contre leur débiteur indivisaire, avec la possibilité de provoquer le partage dans le but de liquider ses droits, sans pour autant pouvoir prétendre à un droit direct sur les biens indivis eux-mêmes.
Cette distinction, consacrée par l’article précité, a été renforcée par une jurisprudence constante, en particulier par l’arrêt de la Cour de cassation du 3 décembre 1996, aux termes duquel cette dernière a affirmé que « l’action ouverte aux créanciers de la succession par l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, pour leur permettre d’être payés par prélèvement sur les biens indivis avant le partage, ne tend pas aux mêmes fins que la demande en partage propre aux créanciers d’un coïndivisaire, qui est destinée à faire cesser l’indivision » (Cass. 1re civ., 3 déc. 1996, n° 94-19.229).
Une telle confusion serait préjudiciable à l’ordonnancement des droits et obligations respectifs des parties.
Cette dualité appelle à une analyse distincte de chacune de ces catégories de créanciers.
Nous nous focaliserons ici sur les créanciers de l’indivision. Nous chercherons, plus précisément à les identifier.
L’article 815-17 distingue deux catégories de créanciers pouvant agir sur les biens indivis :
- Les créanciers dont la créance est antérieure à la naissance de l’indivision
- Les créanciers dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis.
1. Les créanciers antérieurs à la constitution de l’indivision
L’article 815-17, al. 1er du Code civil dispose que « les créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision peuvent poursuivre sur ces biens le recouvrement de leurs créances. »
Cette disposition reconnaît aux créanciers dont les créances sont antérieures à la constitution de l’indivision, le droit de maintenir leur droit de gage général sur les biens qui étaient déjà compris dans l’assiette de leur gage.
Ce dispositif ne crée donc pas un “nouveau” droit mais garantit simplement que l’indivision ne constitue pas un obstacle à la satisfaction des créances préexistantes, conformément au principe de l’article 2285 du Code civil selon lequel « quiconque s’est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. »
La règle énoncée à l’article 815-17, al. 1er du Code civil s’applique à toutes les formes d’indivisions : successorales, post-communautaires ou résultant d’acquisitions conjointes.
- Le cas des indivisions successorales
- Dans une indivision successorale, les créanciers du défunt conservent un droit de poursuite sur l’ensemble des biens composant le patrimoine successoral indivis.
- L’article 815-17, alinéa 1er du Code civil leur garantit que leur droit de gage général demeure intact, malgré la constitution de l’indivision.
- Cette continuité du droit de gage a été consacrée par la Cour de cassation dans un célèbre arrêt Frécon rendu le 24 décembre 1912.
- Aux termes de cette décision, elle a jugé que « le gage dont les créanciers du défunt jouissaient de son vivant continue, même après son décès, et ce jusqu’au partage, de subsister d’une manière indivisible sur l’hérédité tout entière. » (Cass. req., 24 déc. 1912).
- Ce principe a été confirmé par la loi du 31 décembre 1976, qui a étendu la protection des créanciers successoraux, leur permettant de poursuivre les biens indivis sans concurrence avec les créanciers personnels des héritiers.
- Le cas des indivisions post-communautaires
- Les indivisions post-communautaires, qui naissent souvent d’un divorce, permettent également aux créanciers des époux de poursuivre les biens indivis pour des dettes contractées avant la dissolution de la communauté.
- En vertu de l’article 1409 du Code civil, ces dettes sont considérées comme des dettes communes de la communauté, et le droit de gage des créanciers s’exerce sur les biens indivis.
- Ce principe a trouvé application dans un arrêt du 21 mai 1997, aux termes duquel la Cour de cassation a affirmé que « la liquidation judiciaire étant antérieure à la transcription du jugement de divorce, le liquidateur, qui représentait les créanciers, aurait pu agir sur l’immeuble litigieux avant la création de l’indivision post-communautaire ; qu’il était donc recevable, en application des dispositions de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, à poursuivre la vente forcée de cet immeuble » (Cass. 1re civ., 21 mai 1997, n° 95-14.102).
- Dans cette affaire, un jugement de divorce avait été prononcé le 15 février 1989 et transcrit le 3 juillet de la même année, entraînant la création d’une indivision post-communautaire.
- Toutefois, avant cette transcription, le mari avait été placé en liquidation judiciaire, le 27 février 1989.
- Par la suite, le liquidateur avait engagé, le 11 février 1992, une procédure de saisie immobilière visant un immeuble appartenant à l’indivision post-communautaire.
- L’épouse s’était opposée à cette procédure, en soutenant qu’un créancier personnel d’un indivisaire ne pouvait saisir un bien indivis.
- La Cour de cassation a rejeté cette argumentation en considérant que, puisque la liquidation judiciaire était intervenue avant la transcription du jugement de divorce, les créanciers représentés par le liquidateur auraient pu, en vertu de l’article 815-17, alinéa 1er, exercer leurs droits sur l’immeuble avant la création de l’indivision post-communautaire.
- Dès lors, le liquidateur était parfaitement légitime à poursuivre la vente forcée de cet immeuble.
- Cette décision met en lumière la protection particulière accordée par le législateur aux créanciers dont les droits existaient avant la constitution de l’indivision.
- Elle vient confirmer que ces derniers, titulaires d’un droit de gage général sur des biens ayant ultérieurement intégré l’indivision, conservent pleinement leur droit de poursuite afin de recouvrer leurs créances, sans que la modification du statut juridique de ces biens en biens indivis ne constitue un obstacle.
L’article 815-17 du Code civil ne se limite pas aux indivisions successorales ou post-communautaires, mais s’étend également aux indivisions issues d’une acquisition en commun, comme le confirme la jurisprudence (Cass. com., 18 févr. 2003, n°00-11.008).
Dans cette affaire, un créancier disposant d’une créance propter rem, attachée directement à un bien indivis, avait engagé une procédure de saisie immobilière pour recouvrer sa créance.
La Cour de cassation a censuré la cour d’appel, rappelant que ce créancier pouvait, en application de l’article 815-17, poursuivre la saisie et la vente du bien indivis avant tout partage, et ce, malgré la procédure collective engagée à l’encontre de l’un des coïndivisaires.
La Haute juridiction a ainsi affirmé que le partage de l’indivision, même contraint par le liquidateur dans le cadre d’une liquidation judiciaire, demeure sans effet sur les droits des créanciers de l’indivision, lesquels conservent leur droit de poursuite jusqu’à l’extinction de leur créance.
Cette décision éclaire un peu plus l’application de l’article 815-17 dans le contexte des indivisions résultant d’acquisitions communes, en réaffirmant que les créanciers ayant un lien direct avec le bien indivis, car titulaires d’une créance propter rem, disposent de la faculté d’exercer leurs droits indépendamment de l’évolution du statut juridique du bien ou des procédures subséquentes.
Par ailleurs, il est admis que l’article 815-17 s’applique aux indivisions post-sociétaires.
L’article 1844-9, alinéa 4, du Code civil prévoit en ce sens que « à la clôture de la liquidation, les associés ou certains d’entre eux peuvent demeurer dans l’indivision pour tout ou partie des biens sociaux, leurs rapports étant alors régis par les règles des dispositions relatives à l’indivision ».
Ainsi, les créanciers de la société dissoute peuvent exercer leurs droits sur les biens indivis maintenus en indivision par les associés.
2. Les créanciers postérieurs à la constitution de l’indivision
a. Principe général
L’article 815-17, alinéa 1er du Code civil, dispose que « les créanciers dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis peuvent poursuivre sur ces biens le recouvrement de leurs créances ».
Cette disposition s’inscrit dans une logique de protection et de pérennisation de l’indivision, en facilitant le financement des dépenses nécessaires à sa conservation et à son fonctionnement.
L’économie générale de ce texte repose sur l’idée que, pour garantir l’entretien et l’administration des biens indivis, il est impératif d’offrir aux créanciers des garanties suffisantes, même en l’absence de personnalité juridique de l’indivision.
Ce régime spécial favorise ainsi l’engagement de dépenses indispensables tout en consolidant la sécurité juridique des transactions effectuées dans l’intérêt collectif des indivisaires.
La finalité de ce dispositif est double :
- Préserver les biens indivis en permettant leur gestion optimale.
- Renforcer la crédibilité financière des indivisaires en incitant les tiers créanciers à traiter avec eux.
b. Domaine d’application
i. Créances concernées
L’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil prévoit que les créanciers dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis peuvent se prévaloir d’un droit de poursuite sur ces biens pour le recouvrement de leurs créances.
Si le texte semble limiter son champ d’application aux seules dépenses de « conservation et de gestion », la jurisprudence en a élargi l’étendue en admettant que toutes les créances liées au fonctionnement de l’indivision peuvent bénéficier de ce régime de faveur.
==>S’agissant des dépenses de conservation
Les dépenses de conservation, expressément visées par le texte, concernent celles qui sont nécessaires pour préserver l’intégrité physique et juridique des biens indivis.
Il s’agit notamment :
- des réparations urgentes visant à éviter une détérioration des biens indivis (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n°98-13.006).
- du paiement des taxes foncières ou autres prélèvements obligatoires relatifs aux biens indivis lesquels sont considérées comme des dépenses nécessaires pour éviter toute procédure de recouvrement ou saisie pouvant affecter l’intégrité de l’indivision (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n°07-12.224).
- Des primes d’assurance visant à garantir le bien indivis contre les risques affectant les biens indivis, tels que l’incendie ou les catastrophes naturelles
Ces dépenses, qui assurent la pérennité des biens indivis, bénéficient ainsi de la protection prévue par l’article 815-17, permettant à leurs créanciers d’agir sur l’ensemble des biens indivis.
==>S’agissant des dépenses de gestion
Les dépenses de gestion couvrent les frais nécessaires à l’administration des biens indivis, notamment :
- Les honoraires d’un gérant désigné : que la désignation émane d’un accord entre indivisaires ou d’une décision judiciaire, le gérant peut réclamer le remboursement des frais liés à l’administration des biens indivis, tels que la tenue de comptes, la représentation dans des actes juridiques ou la gestion des revenus locatifs (CA Versailles, 7 janv. 2010, JCP 2010, I, 487).
- Les charges de copropriété : si l’un des biens indivis est un lot en copropriété, les charges courantes (entretien des parties communes, travaux votés en assemblée générale) constituent des dépenses de gestion imputables à l’ensemble des indivisaires (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n°07-12.224).
- Les frais relatifs à la location des biens indivis : cela inclut les dépenses engagées pour louer les biens, comme les commissions d’agence immobilière, les frais de rédaction des contrats de bail, et les coûts liés à l’établissement des diagnostics techniques obligatoires pour la mise en location.
- Les coûts liés à la perception des revenus : les frais bancaires pour la gestion d’un compte dédié aux revenus locatifs ou encore les honoraires d’un comptable chargé de la répartition des revenus entre indivisaires peuvent être qualifiés de dépenses de gestion.
- Les frais de recouvrement des loyers impayés : si un locataire ne règle pas son loyer, les coûts engagés pour recouvrer les sommes dues (honoraires d’huissier, procédure judiciaire) sont également imputables à l’indivision.
Ces dépenses, qui relèvent d’une gestion des biens indivis, sont également protégées par le texte, car elles permettent d’assurer la mise en valeur des biens ou leur exploitation.
==>S’agissant des créances liées au fonctionnement de l’indivision
Si l’article 815-17 mentionne explicitement les créances résultant de la conservation ou de la gestion, la jurisprudence a adopté une interprétation plus large en intégrant toutes les dépenses nécessaires au fonctionnement de l’indivision.
Cette approche repose sur une lecture finaliste de la règle, visant à favoriser l’administration efficace des biens indivis.
Ainsi, au-delà des dépenses strictement liées à la conservation ou à la gestion, peuvent être considérés comme relevant du fonctionnement de l’indivision :
- Les travaux d’amélioration, tels que l’installation d’un ascenseur ou la modernisation des équipements, permettant d’accroître la valeur ou l’utilité des biens indivis.
- Les frais liés à des contentieux concernant l’indivision, par exemple les honoraires d’avocats ou d’experts engagés pour défendre les droits de l’indivision ou pour résoudre des différends entre indivisaires (Cass. 1re civ., 4 juill. 2007, n°06-13.770).
- Les primes d’assurances spécifiques, couvrant des risques particuliers, comme une assurance dommage-ouvrage pour des travaux entrepris sur un bien indivis.
- Les dépenses fiscales exceptionnelles, incluant les amendes, intérêts de retard ou pénalités fiscales nécessaires à la régularisation de la situation juridique de l’indivision.
- Les frais liés à la mise en valeur du bien, tels que des campagnes publicitaires, des diagnostics techniques avancés ou des honoraires d’agences immobilières en vue d’une mise en vente.
- Les frais bancaires et financiers, par exemple ceux liés à des emprunts contractés pour financer des projets communs dans l’intérêt de l’indivision.
- Les indemnités compensatoires ou transactions amiables, comme les montants versés à un locataire pour résilier un bail commercial et libérer les lieux dans une optique de revalorisation du bien.
ii. Créances exclues
Les créances personnelles d’un indivisaire, qui ne profitent pas directement ou indirectement à l’indivision dans son ensemble, sont exclues du régime de faveur prévu par l’article 815-17, alinéa 1er du Code civil.
Ces créances, nées d’un usage privatif ou de décisions unilatérales d’un indivisaire, ne peuvent engager les autres indivisaires.
Ainsi, lorsqu’un indivisaire bénéficie de l’usage exclusif d’un bien indivis, les dépenses qu’il engage pour son propre intérêt (par exemple, des travaux de rénovation entrepris pour son confort personnel ou des charges locatives afférentes à l’usage exclusif du bien) ne relèvent pas des créances de l’indivision.
Ces dépenses sont à sa charge exclusive, conformément au principe selon lequel la gestion privative n’engage pas l’ensemble des indivisaires (Cass. 1ère civ., 25 oct. 2005, n°03-20.382).
Les dépenses superflues, non nécessaires à la conservation ou au bon fonctionnement des biens indivis, sont également exclues.
Par exemple, l’installation d’équipements non essentiels, tels qu’une piscine ou un espace de loisirs, à l’initiative d’un indivisaire, ne peut être mise à la charge de l’indivision, sauf accord exprès de tous les indivisaires.
Dans certains cas, des dépenses qui, à première vue, semblent personnelles peuvent être réintégrées dans le régime de faveur si elles profitent objectivement à l’ensemble des indivisaires.
Cette exception repose sur l’existence d’un intérêt collectif manifeste.
Par exemple, si les travaux réalisés par un indivisaire augmentent la valeur du bien indivis de manière significative et objective (exemple : rénovation d’une façade ou travaux d’embellissement nécessaires à la vente), ils peuvent être requalifiés en créances de l’indivision, sous réserve de l’approbation ou du constat de cet intérêt collectif par une décision judiciaire.
De même, une dépense initialement privée peut être assimilée à une créance de l’indivision si elle permet de préserver ou de valoriser un bien indivis à long terme.
En tout état de cause, les créances personnelles d’un indivisaire restent à sa charge exclusive, et leur remboursement par l’indivision n’est pas envisageable.
Les tiers créanciers ayant traité directement avec cet indivisaire ne peuvent exercer aucun droit de poursuite sur les biens indivis.
Par ailleurs, l’indivisaire débiteur reste soumis à une obligation de contribution aux charges de l’indivision, et toute créance privée doit être clairement distinguée des créances collectives pour éviter les conflits entre coïndivisaires.
c. Conditions d’application
L’article 815-17 du Code civil, bien qu’offrant un régime favorable aux créanciers de l’indivision, exige que certaines conditions soient remplies pour que la créance soit opposable à l’ensemble des indivisaires.
Ces conditions, qui visent à encadrer les engagements susceptibles d’affecter l’indivision, se rapportent notamment à la nature de la dépense, à sa validité et à son intérêt collectif.
i. Valabilité de la dépense engagée
Pour qu’une créance puisse être qualifiée de créance de l’indivision, la dépense à son origine doit avoir été valablement engagée.
Cette exigence implique le respect des règles régissant la gestion des biens indivis, notamment celles prévues par l’article 815-3 du Code civil.
- Dépenses de conservation : les actes conservatoires, nécessaires pour préserver l’intégrité physique ou juridique des biens indivis, peuvent être entrepris unilatéralement par tout indivisaire. Par exemple, un indivisaire ayant réalisé des réparations urgentes pour prévenir la dégradation d’un immeuble indivis pourra opposer sa créance à l’ensemble des coïndivisaires (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).
- Dépenses résultant d’actes d’administration : ces actes, qui dépassent la simple gestion courante, nécessitent l’autorisation préalable des indivisaires représentant au moins deux tiers des parts indivises. À défaut d’une telle autorisation, les créanciers ne peuvent invoquer l’article 815-17, sauf ratification expresse ou implicite par les indivisaires.
- Dépenses résultant d’actes de disposition : ces actes, ayant pour effet de modifier substantiellement la consistance du patrimoine indivis, requièrent l’unanimité des indivisaires. Toute dépense engagée sans cette unanimité est inopposable à l’indivision, sauf décision judiciaire l’autorisant en vertu de l’article 815-5 du Code civil.
Lorsque la dépense est engagée par un tiers ou par un indivisaire agissant en qualité de gérant, le respect des règles du mandat est essentiel.
Aussi, le gérant doit disposer d’un mandat exprès ou tacite pour engager valablement l’indivision.
Par exemple, un indivisaire mandaté pour régler les charges de copropriété ou conclure un contrat de location engage valablement l’indivision.
Si des indivisaires conviennent de laisser à l’un d’entre eux la jouissance privative d’un bien indivis en vertu de l’article 815-9 du Code civil, les dépenses liées à cette gestion restent personnelles à cet indivisaire.
Toutefois, si ces dépenses concernent la conservation du bien (ex. réparations urgentes), elles peuvent être opposées à l’ensemble des indivisaires.
ii. Intérêt commun des indivisaires
Pour être opposable à l’indivision, la dépense doit répondre à un intérêt collectif et non individuel.
Une dépense engagée dans le cadre d’une jouissance privative par un indivisaire, même utile, ne saurait être opposable à l’indivision à moins qu’elle ne profite directement à l’ensemble des indivisaires (Cass. 1re civ., 25 oct. 2005, n° 03-20.382).
Ainsi, les charges liées à l’usage exclusif d’un bien indivis ou les travaux entrepris pour le confort personnel d’un indivisaire restent à la charge exclusive de ce dernier.
En revanche, lorsqu’un indivisaire ou un tiers entreprend des dépenses bénéfiques à l’ensemble des coïndivisaires, comme le règlement d’impôts fonciers ou la réalisation de travaux indispensables pour louer un bien indivis, ces créances peuvent être opposées à l’indivision.
iii. Difficultés de mise en œuvre
==>Difficultés liées à la qualité d’indivisaire d’un créancier
La qualité d’indivisaire n’empêche nullement un coïndivisaire d’être également créancier de l’indivision.
Cette situation se rencontre notamment lorsqu’un indivisaire, dans l’intérêt commun, a engagé des dépenses nécessaires pour la conservation ou la gestion des biens indivis.
En pareil cas, l’indivisaire créancier dispose des mêmes droits que tout autre créancier, y compris la possibilité de saisir les biens indivis pour obtenir le recouvrement de sa créance, sans attendre le partage.
La jurisprudence a affirmé ce principe, précisant que l’indivisaire créancier pouvait demander le remboursement des sommes avancées dès lors qu’elles étaient justifiées par l’intérêt collectif.
Ainsi, dans un arrêt du 20 février 2001, la Cour de cassation a validé l’action d’un indivisaire ayant réglé avec ses propres fonds des dettes liées à l’activité d’une entreprise successorale, en considérant qu’il pouvait poursuivre la saisie des biens indivis avant le partage (Cass. 1re civ., 20 févr. 2001, n° 98-13.006).
L’indivisaire peut faire valoir plusieurs types de créances, parmi lesquelles figurent notamment :
- Les dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis : ces dépenses incluent, par exemple, des réparations urgentes visant à prévenir la détérioration des biens indivis ou le paiement des impôts locaux afférents à ces biens.
- Les dépenses relatives à la gestion des biens indivis : L’indivisaire peut être remboursé des charges de copropriété ou des honoraires d’un gérant si ces frais ont été engagés pour l’intérêt collectif.
De plus, la jurisprudence reconnaît que les dépenses excédant la stricte conservation ou gestion peuvent également donner lieu à des créances, pour autant qu’elles soient nécessaires au bon fonctionnement de l’indivision (Cass. 1re civ., 16 avr. 2008, n° 07-12.224).
L’indivisaire créancier bénéficie d’un droit de paiement immédiat, sans attendre la liquidation de l’indivision. Cette possibilité découle de la nature particulière de sa créance, qui, bien qu’inscrite dans le compte d’indivision, peut être recouvrée séparément.
L’indivisaire créancier se trouve alors dans une position comparable à celle d’un créancier ordinaire, bénéficiant des prérogatives conférées par l’article 815-17 du Code civil.
Par exemple, dans le cas où un indivisaire a assumé seul le paiement des charges de copropriété d’un immeuble indivis, la juridiction compétente a reconnu qu’il disposait d’une créance opposable à l’indivision, ces charges incombant à tous les indivisaires (CA Versailles, précité).
De même, un indivisaire ayant réglé les échéances d’un prêt contracté pour l’acquisition d’un bien indivis peut demander le remboursement immédiat de sa créance avant le partage (Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n°12-11.818).
Pour exercer ses droits, l’indivisaire créancier doit remplir certaines conditions :
- La créance doit résulter d’une dépense engagée dans l’intérêt commun de tous les indivisaires.
- Lorsque la créance découle d’un acte de gestion nécessitant l’autorisation des indivisaires représentant une majorité des parts, cette autorisation doit avoir été obtenue conformément à l’article 815-3 du Code civil.
==>Difficultés liées à la constitution de sûretés
Lorsqu’un bien immobilier est acquis en indivision, des questions peuvent se poser quant à l’assiette et à l’efficacité des sûretés constituées sur ce bien.
Ces difficultés sont particulièrement visibles dans le cas où une sûreté est établie en garantie d’un emprunt contracté par un seul des indivisaires pour financer sa propre quote-part indivise.
La problématique réside alors dans la délimitation de l’assiette de la sûreté : doit-elle se limiter à la part indivise du débiteur ou s’étendre à l’intégralité du bien indivis ?
Dans un arrêt du 9 janvier 2019 la Cour de cassation a tranché cette question, en adoptant une position favorable aux créanciers (Cass. 1re civ., 9 janv. 2019, n°17-27.411).
Dans cette affaire, l’emprunt contracté par l’un des indivisaires pour financer sa part dans l’acquisition d’un bien indivis, était garanti par un privilège de prêteur de deniers.
Toutefois, ce privilège avait été inscrit sur la seule quote-part de l’emprunteur, ce qui soulevait une difficulté : la banque prêteuse pouvait-elle exercer ses droits sur l’intégralité du bien indivis ?
La Cour de cassation a répondu par l’affirmative en affirmant, dans une formulation particulièrement claire, que « même dans l’hypothèse où un prêt est souscrit par l’un seulement des acquéreurs d’un bien immobilier, pour financer sa part, l’assiette du privilège de prêteur de deniers est constituée par la totalité de l’immeuble et le prêteur, titulaire d’une sûreté légale née antérieurement à l’indivision, peut se prévaloir des dispositions de l’article 815-17, alinéa 1er, du code civil ».
Il ressort de cette décision que l’assiette du privilège de prêteur de deniers, bien qu’établie à l’initiative d’un seul indivisaire, s’étend nécessairement à la totalité du bien indivis.
Cette solution repose sur le principe de l’unité du bien indivis, lequel empêche de fragmenter la sûreté entre les différentes parts des indivisaires. Le bien indivis est appréhendé comme une entité unique sur laquelle le créancier peut exercer ses prérogatives, indépendamment des fractions de propriété détenues par chaque indivisaire.
En s’appuyant sur l’indivisibilité du bien, la Cour de cassation a entendu renforcer la sécurité juridique des créanciers.
Ces derniers peuvent agir sur la totalité du bien indivis sans être entravés par les complexités ou aléas liés au partage.
Cette approche pragmatique et protectrice s’inscrit pleinement dans les finalités de l’article 815-17, alinéa 1er, du Code civil, en offrant aux créanciers des garanties solides tout en préservant l’intégrité juridique et économique du bien indivis.
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