En matière d’indivision, le principe d’unanimité s’impose traditionnellement comme une garantie fondamentale du droit de propriété, requérant l’accord de tous les indivisaires pour toute décision relative à la gestion ou à la disposition des biens indivis.
Toutefois, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 est venue assouplir cette rigueur en introduisant, à l’article 815-3 du Code civil, une règle de majorité permettant aux indivisaires détenteurs d’au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions sans le consentement unanime de leurs coïndivisaires.
Cette innovation législative, conçue pour faciliter la gestion des indivisions, marque une rupture avec le régime classique et relativise l’égalité juridique entre indivisaires en lui substituant une pondération économique basée sur les parts détenues.
A cet égard, l’article 815-3, al. 1er du Code civil prévoit que le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :
- Effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis ;
- Donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ;
- Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision ;
- Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
Nous nous focaliserons ici sur la conclusion ou le renouvellement de baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
Traditionnellement, la conclusion ou le renouvellement de baux nécessitait l’accord unanime des indivisaires, conformément au principe posé à l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil, qui impose l’unanimité pour tout acte excédant l’exploitation normale des biens indivis.
Toutefois, la réforme de 2006 a introduit une exception importante : les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis peuvent conclure ou renouveler des baux à cette majorité, à condition que ces baux ne concernent pas des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
Cette exception reflète une distinction claire opérée par le législateur : les baux relatifs à des usages particuliers et stratégiques (agricole, commercial, industriel ou artisanal) restent soumis à l’unanimité en raison de leur impact potentiellement significatif sur le patrimoine indivis, tandis que les baux relatifs à des usages courants, tels que l’habitation, peuvent être régis par la règle de la majorité qualifiée.
==>Les baux concernés
Depuis la réforme introduite par la loi n° 2006-728, l’article 815-3, alinéa 1er, 4° du Code civil permet donc aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de conclure ou de renouveler certains baux.
Cette faculté, bien que conférant une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, est strictement limitée aux baux qui ne portent pas sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
- Les baux d’habitation
- Les baux d’habitation, par leur nature domestique et leur durée souvent limitée, relèvent des actes d’administration courante et peuvent donc être conclus ou renouvelés à la majorité des deux tiers.
- Ces baux doivent toutefois respecter la destination initiale du bien et s’inscrire dans son exploitation normale.
- Les baux à usage professionnel
- Les baux à usage professionnel, régis notamment par l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, incluent des locaux utilisés par des professions libérales ou des bureaux.
- Ces baux peuvent être conclus à la majorité des deux tiers, dès lors qu’ils ne confèrent pas au locataire des droits excessivement protecteurs, susceptibles d’affecter la valeur ou la gestion du bien indivis.
- Les baux de biens meubles
- Les baux portant sur des biens meubles indivis, tels que la location-gérance d’un fonds de commerce ou la mise en location d’équipements, sont également soumis à la règle majoritaire.
==>Les opérations concernées
En application de l’article 815-3, alinéa 1er, 4° du Code civil, seules la conclusion et le renouvellement de certains baux peuvent être décidées à la majorité des deux tiers des droits indivis, sous réserve qu’ils ne portent pas sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
Cependant, la jurisprudence a élargi cette règle pour inclure également des actes liés à l’administration des baux ainsi que la résiliation de certains baux spécifiques.
- Conclusion et renouvellement des baux
- L’article 815-3, alinéa 1er, 4°, introduit par la réforme de 2006, permet de conclure ou de renouveler des baux relevant de l’exploitation normale des biens indivis.
- Cette faculté vise les baux à usage d’habitation, professionnel, ou portant sur des biens meubles, à l’exclusion des baux portant sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, qui restent soumis au principe d’unanimité.
- Actes d’administration relatifs aux baux
- Bien que non explicitement mentionnés par le texte, les actes d’administration relatifs aux baux, tels que la perception des loyers ou l’entretien des locaux loués, participent de l’exploitation normale des biens indivis.
- Ces actes s’inscrivent logiquement dans la continuité des opérations de conclusion et de renouvellement et peuvent également être décidés à la majorité des deux tiers.
- Résolution d’un bail rural
- Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait décidé dans un arrêt du 19 juillet 1995, la résolution d’un bail rural pour défaut de paiement des fermages nécessitait l’accord unanime des indivisaires (Cass. 3e civ., 19 juillet 1995, n° 93-15.033).
- Puis dans un arrêt du 29 juin 2011, elle est revenue sur sa position en admettant que les indivisaires titulaires des deux tiers des droits indivis puissent engager une action en résolution du bail pour non-paiement des fermages, considérant que cet acte s’inscrivait dans le cadre de l’exploitation normale des biens indivis (Cass. 3e civ., 29 juin 2011, n°09-70.894).
- La Troisième chambre civile a, par suivante, confirmé cette solution dans un arrêt du 17 novembre 2016 (Cass. 3e civ. 17 nov. 2016, n°15-19.957).
- Délivrance de congés
- Bien que non expressément prévue par le texte, une réponse ministérielle a précisé que la délivrance d’un congé pour un bail relevant de l’article 815-3 pouvait être effectuée à la majorité qualifiée (JOAN, 30 mars 2010, p. 3627).
- Cependant, cette possibilité demeure strictement limitée aux baux relevant de la gestion courante, à l’exclusion des baux agricoles ou commerciaux, qui continuent d’exiger l’unanimité.
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