L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.
L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.
Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.
A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.
Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.
Nous nous focaliserons ici sur l’autorisation donnée par le juge à un indivisaire de percevoir des fonds indivis.==>Principe
L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil confère au juge la faculté d’« autoriser un indivisaire à percevoir des débiteurs de l’indivision ou des dépositaires de fonds indivis une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l’emploi. »
Ce dispositif vise à prévenir les préjudices pouvant résulter de l’absence de consensus entre indivisaires ou de l’inertie collective dans la gestion des biens indivis.
==>Conditions
Pour que le juge puisse accorder une telle autorisation, deux conditions doivent être remplies :
- L’urgence des besoins
- Le caractère urgent des besoins à satisfaire constitue la condition essentielle de l’intervention judiciaire.
- L’urgence se définit comme la nécessité d’agir sans délai pour prévenir un dommage imminent ou irrémédiable, tel que le paiement de frais d’obsèques, de dettes fiscales, ou d’autres dépenses immédiates indispensables à la préservation des intérêts de l’indivision.
- Pour exemple, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé la perception de fonds indivis pour régler des droits de succession lorsque les délais fiscaux imposent une solution rapide (Cass. 1ère civ. 16 févr. 1988, n°86-16.489).
- La pertinence de la provision
- Le montant de la provision doit être strictement limité à ce qui est nécessaire pour couvrir les besoins identifiés.
- Le juge peut, à cet égard, prescrire des conditions d’emploi précises pour encadrer l’utilisation des fonds perçus.
==>Modalités pratiques de mise en œuvre
Lorsqu’il va rendre sa décision, le juge peut :
- Identifier les débiteurs ou dépositaires concernés : les fonds indivis peuvent être détenus par des institutions financières, des locataires ou tout autre débiteur de l’indivision. Le juge doit alors clairement désigner les personnes tenues de remettre les sommes à l’indivisaire autorisé.
- Préciser les conditions d’emploi : pour garantir la bonne utilisation de la provision, le juge peut imposer des modalités spécifiques, telles que l’affectation des fonds à des dépenses déterminées ou la nécessité d’en rendre compte ultérieurement.
- Protéger les droits des autres indivisaires : la décision judiciaire ne modifie pas les droits de chacun sur les fonds indivis et n’affecte pas la qualité d’indivisaire, notamment pour le conjoint survivant ou les héritiers.
==>Portée de l’autorisation
L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil, tout en conférant au juge le pouvoir d’autoriser un indivisaire à percevoir des fonds pour répondre à des besoins urgents, prévoit explicitement une limitation importante quant à la portée de cette autorisation :
Le texte précise, en effet, que « cette autorisation n’entraîne pas prise de qualité pour le conjoint survivant ou pour l’héritier. »
Cette précision vise à encadrer rigoureusement les effets de l’autorisation délivrée par le juge, afin de préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires et d’éviter toute dérive.
La règle s’applique notamment dans situations distinctes :
- Première situation
- Lorsqu’un conjoint survivant est autorisé à percevoir des fonds indivis pour faire face à des dépenses urgentes, cette faculté n’implique pas reconnaissance implicite de droits préférentiels dans l’indivision, en particulier dans les successions complexes où les droits entre héritiers et conjoint doivent être strictement délimités.
- Seconde situation
- L’héritier autorisé à percevoir des fonds agit au titre d’une mission temporaire et encadrée, et ne peut en tirer aucun avantage dans la répartition future des biens.
- Cela garantit l’impartialité et l’équité dans l’administration et le partage de l’indivision.
Ainsi, la règle énoncée à l’article 815-6, al. 2 in fine vise à éviter toute confusion entre l’exercice d’une mission ponctuelle et les droits patrimoniaux ou personnels des indivisaires, ces derniers restant strictement définis par les dispositions légales applicables (articles 815 et suivants du Code civil).
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