Le Droit dans tous ses états

LE DROIT DANS TOUS SES ETATS

La gestion de l’indivision: régime

Dans le cadre d’une l’indivision, chaque indivisaire détient des droits concurrents sur un même bien, sans pouvoir exclusif ni attribution matérielle distincte.

Cette coexistence de droits identiques impose la nécessité de concilier les intérêts de chacun pour assurer une gestion harmonieuse du bien indivis.

En effet, tant qu’aucun partage n’a été opéré, l’exercice individuel de ces droits se heurte inévitablement aux prérogatives similaires des autres co-indivisaires. Cette réalité rend la gestion de l’indivision complexe, d’autant que toute initiative unilatérale risque de porter atteinte aux droits des autres indivisaires.

Face à ce constat, le législateur a établi un cadre strict, fondé sur le principe de l’unanimité. L’article 815-3 du Code civil issu de la loi du 31 décembre 1976, prévoyait en ce sens que « les actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires ».

En instituant cette règle, le législateur entendait limiter les conflits en garantissant que chaque décision affectant le bien indivis soit prise avec l’accord unanime des indivisaires, préservant ainsi à la fois l’intérêt individuel et collectif. Cependant, cette rigueur se révélait parfois paralysante, rendant difficile l’accomplissement d’actes essentiels lorsque des désaccords persistaient entre indivisaires.

Conscient des limites de ce système, le législateur a, par la loi du 23 juin 2006, introduit des aménagements destinés à assouplir la gestion de l’indivision. Cette réforme a notamment instauré une règle de majorité pour certaines catégories d’actes, permettant désormais à une majorité représentant deux tiers des droits indivis de décider d’actes d’administration courante. Ce changement, bien que progressif, a ouvert la voie à une gestion plus efficace tout en maintenant le principe fondamental de l’unanimité pour les décisions les plus importantes.

Ainsi, les indivisaires peuvent aujourd’hui accomplir différents types d’actes selon des modalités adaptées à la nature de chaque décision.

Les actes conservatoires, visant la sauvegarde immédiate du bien, peuvent être réalisés par un indivisaire seul, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’accord des autres.

En revanche, les actes d’administration et de disposition, touchant plus directement à la pérennité et à la valeur du bien, nécessitent, pour certains, l’adhésion de la majorité des deux tiers des indivisaires, voire l’unanimité. Cette distinction permet de préserver un équilibre entre l’autonomie des indivisaires et le respect de l’intérêt commun, tout en assurant la continuité et la protection du patrimoine indivis.

Enfin, lorsque les divergences persistent et que l’unanimité ou la majorité requise ne peuvent être atteintes, l’intervention du juge devient parfois indispensable.

Le juge peut, à la demande d’un indivisaire, autoriser certains actes ou imposer des mesures de gestion visant à pallier les blocages. Ce recours judiciaire constitue un mécanisme de sauvegarde essentiel pour garantir une gestion conforme aux intérêts de tous les indivisaires et prévenir une paralysie totale de l’indivision.

§1: Les actes accomplis par les indivisaires

La gestion des biens indivis suit des règles qui varient selon la nature des actes accomplis par les indivisaires.

Les articles 815-2 et 815-3 du Code civil distinguent ainsi entre trois types de gestion : individuelle, majoritaire, et commune.

Tandis que les mesures conservatoires peuvent être prises librement par chaque indivisaire pour protéger le bien, les actes d’administration et de disposition, touchant plus directement l’avenir de l’indivision, nécessitent une concertation plus large, parfois jusqu’à l’unanimité.

Cette distinction des régimes de gestion permet de concilier l’autonomie de chacun avec l’intérêt collectif, assurant ainsi une administration ordonnée et équilibrée du patrimoine indivis.

I) Les mesures conservatoires

A) La détermination des mesures conservatoire

1. Notion

La notion de mesure conservatoire, bien que non explicitement définie par le Code civil, trouve son fondement dans l’article 815-2, alinéa 1er, qui permet à chaque indivisaire de prendre des mesures nécessaires à la préservation du bien indivis sans le consentement des autres.

Ce texte, modifié par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006, marque une rupture avec la jurisprudence antérieure, en supprimant la condition de péril imminent qui restreignait les possibilités d’action individuelle des indivisaires.

En conséquence, toute mesure destinée à protéger le bien contre la détérioration ou la perte, sans nécessairement relever d’une situation d’urgence, peut désormais être prise par un seul indivisaire, à condition qu’elle soit strictement nécessaire et proportionnée.

==>Distinction avec les actes conservatoires

Les mesures conservatoires prises dans le cadre d’une indivision doivent être distinguées des actes conservatoires au sens général du droit civil, qui visent la protection d’un bien ou d’un droit mais peuvent également concerner des domaines hors indivision.

Claude Brenner a proposé des critères permettant de qualifier un acte de conservatoire : il doit être nécessaire, urgent, de faible coût par rapport à la valeur du bien, et ne pas engager l’avenir du bien[1]. Ces actes peuvent consister, par exemple, en la réalisation de réparations urgentes ou en l’inscription d’une hypothèque, l’objectif visé étant toujours la sauvegarde, tant physique, que juridique du bien.

==>L’abandon de la condition de péril Imminent

Avant la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006, la jurisprudence imposait la condition de péril imminent pour qualifier un acte de mesure conservatoire.

Dans un arrêt du 25 janvier 1983 la Cour de cassation a jugé en ce sens que les mesures conservatoires « s’entendent des actes matériels ou juridiques ayant pour objet de soustraire le bien indivis a un péril imminent sans compromettre sérieusement le droit des indivisaires » (Cass. 3e civ., 25 janv. 1983, n°80-15.132).

Cette condition de péril imminent, définie comme une menace immédiate et concrète pour l’intégrité matérielle ou juridique du bien, était manifestement de nature à entraver l’action individuelle d’un indivisaire quant à la préservation du bien indivis.

Par exemple, un indivisaire souhaitant supprimer des poutres sur un mur non mitoyen s’est vu refuser le droit d’agir seul, car la solidité de l’immeuble n’était pas compromise (Cass. 3e civ., 25 janv. 1983, n°80-15.132).

De même, l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre ne pouvait être entreprise par un indivisaire seul, en l’absence de menace imminente justifiant cette mesure (Cass. 1ère civ. 25 nov. 2003, n°01-10.639).

Avec la loi du 23 juin 2006, le législateur a modifié cette exigence en supprimant la condition de péril imminent, élargissant ainsi considérablement la portée des mesures conservatoires en matière d’indivision.

L’article 815-2, alinéa 1er du Code civil, dispose désormais que toute mesure « nécessaire à la conservation des biens indivis » peut être prise par un indivisaire seul, même sans caractère d’urgence.

Cette suppression de l’exigence du péril imminent autorise donc une approche préventive, où l’accent est placé sur la nécessité et la pertinence de l’acte en vue de préserver l’intérêt commun.

En effet, cet assouplissement introduit une flexibilité qui permet aux indivisaires d’agir de manière proactive, anticipant ainsi des risques futurs sans attendre que le bien soit directement menacé.

Désormais, toute mesure visant à garantir l’intégrité physique, matérielle ou juridique du bien indivis, pour autant qu’elle ne compromette pas les droits des autres indivisaires, peut être entreprise par un seul indivisaire.

2. Typologie

Classiquement on distingue trois sortes de mesures conservatoires :

  • Les actes matériels
  • Les actes juridiques
  • Les actions en justice

a. Les actes matériels

Un acte matériel se définit comme une intervention physique effectuée sur un bien, ayant pour objectif d’en assurer la sécurité et d’éviter sa détérioration.

Pour qu’un acte matériel soit reconnu comme une mesure conservatoire au sens de l’article 815-2, alinéa 1er du Code civil, il doit répondre à plusieurs critères : la nécessité de l’acte, la proportionnalité des coûts engagés et la préservation de l’intérêt commun de l’indivision. Ces critères garantissent que l’acte matériel vise uniquement la conservation du bien et respecte les droits de tous les indivisaires.

==>La nécessité de l’acte

L’acte matériel doit avant tout être indispensable à la préservation physique ou matérielle du bien indivis.

Il s’agit d’interventions concrètes, physiques, qui visent à prévenir une dégradation ou un risque potentiel.

La jurisprudence a ainsi reconnu la remise en état d’une toiture, lorsque des tuiles menaçaient de tomber et de causer des accidents, comme un acte nécessaire à la conservation du bien.

Cet acte est justifié par le péril que représente le défaut d’entretien pour la sécurité des tiers et des occupants (Cass. 1ère civ., 11 juin 1996, n°94-18.382).

De même, l’élagage de branches d’arbres surplombant une propriété indivise constitue un acte matériel nécessaire, surtout si ces branches, provenant d’un fonds voisin, risquent de causer des dommages matériels ou de compromettre la sécurité des occupants ou des tiers (Cass. 3e civ., 18 févr. 2021, n°20-11.080).

Ces exemples illustrent la nécessité d’interventions immédiates pour éviter un risque de dégradation ou un danger concret.

==>La proportionnalité des coûts

En matière d’indivision, les actes matériels qualifiés de mesures conservatoires doivent non seulement être nécessaires, mais également proportionnés en termes de coûts par rapport à la valeur du bien indivis.

Le principe de proportionnalité impose que les dépenses engagées soient raisonnables et en adéquation avec l’intérêt de l’indivision.

Ainsi, des actes impliquant des dépenses élevées, alors que des alternatives plus économiques sont disponibles, ne peuvent être qualifiés de mesures conservatoires.

Par exemple, la Cour d’appel de Paris a refusé de considérer l’installation d’un coûteux système d’alarme comme une mesure conservatoire, estimant qu’un garde-meuble aurait pu remplir le même rôle de préservation pour un coût bien moindre (CA Paris, 24 janv. 1990, n° 89/02105).

==>L’intérêt commun de l’indivision

Enfin, l’acte matériel conservatoire doit répondre à l’intérêt de l’ensemble de l’indivision et non à celui d’un indivisaire particulier.

Ainsi, dans une affaire où les travaux de réparation d’une installation d’eau visaient à améliorer uniquement la consommation d’un indivisaire, sans justification de vétusté générale, la Cour de cassation a conclu que ces travaux ne pouvaient être qualifiés de conservatoires (Cass. 3e civ., 10 mai 2001, n°99-17.901).

De même, des travaux de rénovation intérieure, comme le débarras ou la démolition de cloisons non porteuses, ont été jugés par la Cour d’appel de Paris comme relevant de l’intérêt individuel d’un indivisaire et non de la conservation du bien indivis (CA Paris, 19 mai 1998, n°97/03457).

Comme le soulignent des auteurs, cet équilibre entre autonomie individuelle et intérêt collectif préserve la solidarité de l’indivision tout en permettant une réactivité face aux besoins de conservation du bien[2].

b. Les actes juridiques

En droit civil, un acte juridique peut être défini comme une manifestation de volonté destinée à produire des effets de droit, soit en créant, modifiant, ou éteignant des droits et obligations.

Aussi, l’acte juridique se distingue de l’acte matériel par sa nature essentiellement déclarative ou intentionnelle et par l’objectif qu’il poursuit, qui est souvent de garantir la sécurité juridique des rapports entre les parties ou vis-à-vis des tiers.

Lorsqu’ils sont accomplis dans le cadre d’une indivision, les actes juridiques visent non seulement à protéger les droits des indivisaires mais aussi à sauvegarder la situation juridique dans laquelle se trouve le bien indivis vis-à-vis des tiers.

==>Les actes juridiques conservatoires traditionnels

Dans le cadre de l’indivision, certaines mesures juridiques sont traditionnellement reconnues comme présentant un caractère conservatoire.

C’est le cas de la confection d’un inventaire ou de l’apposition de scellés. Ces actes visent à assurer la sécurité des biens indivis en établissant un état détaillé du patrimoine et en empêchant tout détournement ou toute dégradation. Ils permettent de figer la situation matérielle et financière de l’indivision, garantissant ainsi que les droits de chaque indivisaire soient protégés et qu’aucune partie du bien indivis ne puisse être soustraite ou altérée sans justification. En sécurisant l’intégrité du patrimoine, ces actes facilitent les actions futures, notamment en cas de partage ou de liquidation de l’indivision.

Autre exemple d’acte conservatoire : la déclaration de créance dans le cadre d’une procédure collective. Cet acte permet à un indivisaire d’assurer que les créances de l’indivision seront reconnues et priorisées dans la procédure, protégeant ainsi les droits de l’indivision face à un débiteur en difficulté. La jurisprudence considère cet acte comme conservatoire, car il vise à défendre la position de l’indivision par rapport aux autres créanciers et à prévenir la dilution de ses droits (V. en ce sens Cass. com. 11 juin 2003, n°00-11.913).

Dans les situations de bail commercial, la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire constitue également un acte conservatoire. Il permet à un indivisaire d’agir seul pour prévenir le risque de non-paiement des loyers, qui pourrait compromettre les revenus de l’indivision.

Dans un arrêt du 9 juillet 2014, la Cour de cassation a en ce sens affirmé qu’un indivisaire peut délivrer seul un commandement de payer, sans l’accord des autres coïndivisaires, afin de sauvegarder les droits de l’indivision (Cass. 1re civ., 9 juill. 2014, n°13-21.463).

Ce type d’intervention garantit la perception des revenus locatifs, permettant ainsi de sécuriser la rentabilité du bien indivis. La Haute juridiction justifie cette faculté pour un indivisaire à agir seul par la nécessité d’une réponse rapide aux défaillances potentielles, afin de minimiser les risques financiers pour l’indivision.

De manière similaire, la mise en demeure pour recouvrer des loyers ou fermages impayés est également considérée comme une mesure conservatoire. Dans un arrêt du 6 novembre 1986, la Cour de cassation a validé la démarche d’un indivisaire ayant seul adressé une mise en demeure à un fermier en retard de paiement (Cass. 3e civ., 6 nov. 1986, n° 85-12.354).

L’assurance des biens indivis constitue également un acte conservatoire crucial. Selon le Professeur Catala, cela couvre le renouvellement des polices, le paiement des primes, ainsi que la déclaration des sinistres, voire la souscription du contrat initial.

Ces démarches sont essentielles pour protéger l’indivision contre les risques de perte ou de dégradation. En assurant une couverture adéquate pour les biens indivis, les indivisaires anticipent et atténuent les impacts financiers des éventuels sinistres, garantissant ainsi que le bien indivis conserve sa valeur.

Au nombre des autres actes juridiques relevant de la catégorie des mesures conservatoires, on compte :

  • L’opposition à partage qui permet de bloquer temporairement les opérations de division du patrimoine indivis, préservant ainsi les droits de chaque indivisaire en cas de conflits d’intérêt ou de désaccord.
  • La saisie conservatoire qui vise à geler certains actifs de l’indivision pour éviter leur dispersion ou leur perte de valeur.
  • Les actes interruptifs de prescription qui protègent les droits de l’indivision sur une créance en suspendant les délais de déchéance, permettant ainsi de maintenir la validité de la créance.

Enfin, la conclusion d’une convention d’occupation précaire peut, dans certaines situations, être considérée constituant un acte conservatoire.

Bien que cette qualification ne soit pas automatique, elle est admise lorsque la convention vise à protéger un bien indivis contre des risques de détérioration ou de squattérisation.

En effet, en permettant une occupation temporaire du bien indivis, ces conventions assurent que le bien demeure entretenu et en sécurité, ce qui est particulièrement pertinent pour des immeubles non utilisés. La jurisprudence reste toutefois prudente sur ce point et privilégie une appréciation au cas par cas.

c. Les actions en justice

En principe, les actions en justice relèvent de la catégorie des actes d’administration, voire, dans certaines situations, des actes de disposition. Engager une action en justice implique en effet la prise de décisions qui, de par leur nature, sont susceptibles d’affecter de manière significative les droits des parties en indivision, nécessitant ainsi l’accord des indivisaires détenant la majorité des droits, voire, exceptionnellement, leur unanimité.

Néanmoins, il est admis que certaines actions en justice échappent à la règle et puissent être qualifiées de mesures conservatoires. Il en va ainsi lorsque l’action vise spécifiquement à préserver le bien indivis face à un péril imminent, sans porter atteinte de manière substantielle aux droits de chacun des indivisaires.

Aussi, dans le cadre d’une l’indivision, certaines actions en justice peuvent être exercées par un indivisaire agissant seul. Ces actions, motivées par la nécessité de prévenir une détérioration ou une perte de valeur du patrimoine indivis, n’exigent donc pas le consentement préalable des autres indivisaires.

Pour être qualifiée de mesure conservatoire, une action en justice doit toutefois répondre à certaines conditions qui tiennent à la nature de l’action engagée, à l’urgence de la situation et aux effets potentiels de l’action sur les droits des autres indivisaires.

==>Actions tendant à la sauvegarde du droit de propriété du bien indivis

Parmi les actions en justice qui relèvent de la catégorie des mesures conservatoire, on compte l’action en revendication de la propriété indivise.

Cette action permet à un indivisaire d’agir seul pour défendre le patrimoine collectif contre des tiers qui pourraient contester le droit de propriété des indivisaires.

Dans un arrêt du 17 avril 1991 la Cour de cassation a ainsi considéré que l’action en revendication « entrait dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul » (Cass. 3e civ. 17 avr. 1991, n°89-15.898).

Elle a réaffirmé sa position dans un arrêt du 24 octobre 2019 aux termes duquel elle a jugé sensiblement dans les mêmes termes que « l’action en revendication de la propriété indivise et en contestation d’actes conclus sans le consentement des indivisaires a pour objet la conservation des droits de ceux-ci et entre dans la catégorie des actes conservatoires que chacun d’eux peut accomplir seul » (Cass. 3e ci. 24 oct. 2019, n°18-20.068).

Aux côtés de l’action en revendication, il a été admis que l’action visant à interrompre une prescription pouvait être qualifiée d’acte conservatoire.

Il est, en effet, des cas où le droit de propriété indivis est susceptible de se prescrire.

L’action en interruption de prescription vise alors à garantir que les droits des indivisaires sur le bien demeurent juridiquement protégés et ne se perdent pas par l’écoulement du temps.

Cette action présente un caractère conservatoire dès lors qu’elle prévient l’extinction de droits susceptibles de sécuriser la propriété indivise ou de la valoriser à terme.

==>Actions tendant à la sauvegarde juridique du bien indivis

Le domaine des actes conservatoires s’étend également à des actions judiciaires qui visent à assurer la sauvegarde juridique du bien indivis.

Parmi ces actions, on compte notamment l’action en annulation du jugement d’adjudication d’un bien saisi dans le cadre d’une procédure antérieure à un divorce.

Dans un arrêt du 1er juin 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens que dans la mesure où « postérieurement à la dissolution de la communauté par le divorce, chacun des époux peut engager seul une action tendant à la réintégration d’un bien commun dans l’actif de l’indivision post-communautaire », il doit être admis qu’un indivisaire puisse intenter seul une action en nullité du jugement d’adjudication (Cass. 1re civ., 1er juin 1994, n°92-15.833).

==>Actions tendant à la sauvegarde matérielle du bien indivis

Outre les actions visant la préservation juridique du bien, la jurisprudence reconnaît également un caractère conservatoire à certaines actions qui tendent à assurer la conservation matérielle du bien indivis.

C’est le cas, par exemple, de l’action tendant à faire cesser des voies de fait (Cass. 3e civ. 7 avr. 1994, n°92-14.148) ou à obtenir des dommages et intérêts pour des dégradations causées par des tiers au bien indivis (V. en ce sens CA Versailles, 1er avr. 1994).

Constitue également une mesure conservation, l’action en résiliation d’un bail rural lorsqu’il est établi que le preneur néglige l’entretien des bâtiments indivis, compromettant ainsi leur conservation matérielle (CA Dijon, 5 nov. 1996).

De même, une demande de liquidation d’astreinte visant à contraindre un tiers à réaliser des travaux de remise en état d’un bien indivis peut être initiée par un indivisaire seul, dès lors que l’action tend à préserver l’intégrité du bien (Cass. 1ère civ., 23 sept. 2015, n° 14-19.098).

==>Actions liées aux servitudes et droits de passage

La jurisprudence reconnaît le caractère conservatoire de l’action en revendication d’une servitude de passage au profit d’un bien indivis.

Ainsi, lorsqu’une servitude permettant l’accès au bien indivis est contestée, tout indivisaire peut engager une action pour en maintenir l’exercice (V. en ce sens Cass. 3e civ. 4 déc. 1991, n°89-19.989).

En agissant seul, l’indivisaire protège non seulement son propre accès, mais aussi celui des autres coïndivisaires, garantissant ainsi la préservation de la valeur et de l’utilité du bien. Une telle action vise à éviter l’enclavement du bien, situation qui pourrait le dévaloriser ou limiter son potentiel d’exploitation.

L’action visant à constater une aggravation d’une servitude de passage, telle qu’une obstruction partielle ou une limitation du droit de passage, peut également être qualifiée de conservatoire. Dans ce contexte, l’indivisaire agit pour que la servitude reste effective et complète, évitant ainsi une diminution de l’accès au bien indivis ou un obstacle au libre usage du passage. Cette action permet de maintenir les conditions d’accessibilité initiales, ce qui contribue à la préservation de la fonctionnalité et de la valeur du bien indivis (Cass. 3e civ. 11 juin 1986)

Il convient toutefois de distinguer les actions conservatoires des demandes qui n’ont pas un impact direct sur la conservation matérielle ou l’accessibilité du bien indivis.

Par exemple, si l’accès au bien peut être assuré par des chemins alternatifs ou si une voie de dégagement reste ouverte sans compromettre l’accès principal, une demande de rétablissement d’une voie d’accès n’aura pas un caractère conservatoire.

La jurisprudence ne considère pas ce type de demande comme un acte conservatoire lorsqu’il s’agit de dégagements ponctuels ou d’intérêts personnels qui n’affectent pas directement l’accès ou la valeur globale du bien indivis (V. en ce sens Cass. 3e civ. 19 mai 1999)

==>Actions tendant à la protection des droits locatifs

En matière de gestion locative, certaines actions judiciaires sont qualifiées de conservatoires lorsqu’elles visent à protéger les intérêts économiques de l’indivision.

C’est le cas, par exemple, de l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre (V. en ce sens Cass. 3e civ. 17 avr. 1991, n°89-15.898). Cette mesure permet de libérer le bien de toute occupation illégale qui pourrait en compromettre la rentabilité ou la valeur patrimoniale.

La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises sa position, considerant que l’indivisaire peut exercer seul cette action pour garantir la jouissance paisible et la disponibilité économique du bien (Cass. 1ère civ., 4 juill. 2012, n°10-21.967).

S’agissant des baux commerciaux, il a été jugé par la cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2014 que « le commandement de payer visant la clause résolutoire constitue un acte conservatoire qui n’implique donc pas le consentement d’indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis » (Cass. 1ère civ. 9 juill. 2014, n°13-21.463).

B) La mise en œuvre des mesures conservatoires

1. L’initiative de la mesure conservatoire

==>Principe

L’article 815-2 du Code civil reconnaît à chaque indivisaire un droit d’initiative individuelle aux fins de prendre des mesures conservatoires.

Le premier alinéa de ce texte prévoit en ce sens qu’« un indivisaire peut prendre seul les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis ».

Il ressort de cette disposition que chaque indivisaire, quel que soit son pourcentage de participation dans l’indivision (même s’il ne détient qu’une part infime), peut agir sans le consentement préalable des autres.

Cette règle garantit que l’intérêt collectif prime sur les éventuelles inerties ou divergences entre indivisaires. L’objectif est clair : éviter que des biens indivis ne se dégradent, soient perdus ou menacés par une absence d’initiative concertée.

==>Limites

La liberté d’initiative conférée aux indivisaires quant à l’adoption de mesures conservatoires n’est pas sans limites. Elle est conditionnée par la nécessité de justifier que la mesure prise répond à un besoin réel de conservation.

Cela implique que l’indivisaire doit démontrer que la mesure entreprise vise à préserver le bien indivis d’une dégradation, d’une perte matérielle ou d’une atteinte juridique.

Historiquement, la jurisprudence imposait une double condition pour qu’une mesure conservatoire soit valable : elle devait être non seulement nécessaire, mais également urgente.

Cette exigence d’urgence impliquait la démonstration d’un péril imminent menaçant directement l’intégrité matérielle ou juridique du bien indivis.

Ainsi, des mesures telles que des actions en bornage ou des travaux sur des biens indivis ont parfois été jugées irrecevables faute de satisfaire à cette condition stricte.

Cependant, la réforme opérée par la loi du 23 juin 2006 a marqué un tournant significatif dans le régime des mesures conservatoires en supprimant l’exigence d’urgence.

Désormais, seule la nécessité suffit à justifier l’initiative d’un indivisaire. Cet allègement des conditions de mise en œuvre des mesures conservatoires reflète une volonté de simplifier la gestion des biens indivis et de renforcer la protection de l’intérêt commun, en permettant aux indivisaires d’agir plus librement pour préserver les biens.

À titre d’exemple, des actions telles que l’expulsion d’occupants sans droit ni titre ou encore la liquidation d’une astreinte pour la remise en état d’un bien indivis sont désormais admises, même en l’absence de danger immédiat.

Pour autant, le critère de nécessité reste au cœur de l’analyse. Une mesure conservatoire doit répondre à un besoin réel et objectif de sauvegarde du bien indivis.

Ce critère s’apprécie in concreto, en tenant compte de la situation spécifique du bien et des circonstances environnantes. Par exemple, une réparation destinée à éviter l’effondrement imminent d’un mur ou l’expulsion d’un occupant illégal susceptible de causer des dégradations supplémentaires constitue typiquement une mesure nécessaire.

En revanche, une mesure qui n’est ni indispensable ni directement liée à la conservation du bien pourrait être considérée comme non conforme au cadre fixé par l’article 815-2 du Code civil.

Par exemple, des travaux visant à améliorer le bien ou des actes modifiant sa destination excèdent les prérogatives reconnues aux indivisaires et encourent une requalification en actes d’administration ou de disposition, nécessitant alors l’accord de tous les indivisaires.

2. Le contrôle des mesures conservatoires

La mise en œuvre des mesures conservatoires par un indivisaire, bien que largement encadrée par l’article 815-2 du Code civil, reste soumise à des mécanismes de contrôle visant à garantir leur conformité avec l’objectif de conservation des biens indivis.

Ce contrôle s’exerce à plusieurs niveaux, qu’il s’agisse de la contestation par les coindivisaires ou encore de l’intervention du juge en cas de litige.

==>Le contrôle exercé par les coindivisaires

Les coindivisaires disposent d’un droit de regard sur les mesures conservatoires prises par l’un des leurs.

Ce contrôle intervient généralement a posteriori, lors de l’établissement du compte d’indivision.

À cette occasion, ils peuvent examiner les actes réalisés et les dépenses engagées, afin d’évaluer leur conformité avec les critères de nécessité et de proportionnalité.

A cet égard, lorsqu’un indivisaire dépasse le cadre des mesures conservatoires en entreprenant des actes qui modifient substantiellement la destination ou l’usage du bien, les coindivisaires peuvent demander une requalification de la mesure en acte d’administration ou de disposition.

Cette requalification peut intervenir pour :

  • Des travaux visant à améliorer le bien, par exemple en transformant un bâtiment en espace commercial.
  • Toute décision ayant pour effet de modifier la destination ou la valeur du bien de manière significative.

Dans ces cas, les actes ne peuvent être qualifiés de conservatoires, car ils n’ont pas pour but exclusif de préserver le bien, mais plutôt d’en tirer un avantage ou de modifier son état.

Ces décisions nécessitent l’accord unanime de tous les indivisaires, conformément au principe de gestion collective.

Si les coindivisaires estiment qu’une mesure conservatoire doit être requalifiée en acte d’administration ou de disposition, ils peuvent contester sa validité.

Une mesure conservatoire jugée injustifiée ou excessive peut être exclue des comptes de l’indivision. Les frais engagés pour sa réalisation ne seront alors pas supportés par l’ensemble des indivisaires, mais exclusivement par celui qui l’a entreprise.

Par exemple, un indivisaire ayant financé des travaux de rénovation coûteux, sans lien direct avec la conservation du bien, devra en assumer seul les coûts.

Ce contrôle par les coindivisaires agit comme un garde-fou, empêchant les abus d’un indivisaire au détriment des intérêts collectifs.

==>Le contrôle exercé par le juge

Lorsque le désaccord entre indivisaires persiste ou que la validité d’une mesure conservatoire est sérieusement contestée, le juge peut être saisi pour trancher la question.

Le contrôle judiciaire, exercé a posteriori, porte principalement sur deux aspects : la qualification de l’acte et le bienfondé de la mesure conservatoire.

  • Qualification de l’acte
    • Le juge analyse si l’acte accompli relève véritablement d’une mesure conservatoire ou s’il constitue un acte d’administration ou de disposition.
    • Il procède à une analyse in concreto de la nature de l’acte et de ses conséquences.
    • Par exemple, des travaux de grande ampleur ou la modification de l’usage d’un bien peuvent être requalifiés en acte d’administration, même si l’indivisaire prétend agir dans le cadre de la conservation du bien.
  • Nécessité et proportionnalité de la mesure
    • Le juge contrôle également si la mesure conservatoire répondait aux critères de nécessité et de proportionnalité :
      • La nécessité : la mesure était-elle indispensable pour préserver le bien indivis contre une dégradation ou une menace imminente ? Une mesure inutile ou superfétatoire pourrait être annulée.
      • La proportionnalité : les dépenses engagées étaient-elles raisonnables au regard de l’objectif poursuivi ? Une mesure jugée disproportionnée, comme des travaux somptuaires pour un bien de faible valeur, pourra être remise en cause.

Si le juge conclut que la mesure prise ne répond pas à ces exigences, il peut en prononcer l’annulation.

L’indivisaire à l’origine de l’acte pourrait alors être tenu de supporter les conséquences financières de ses actions, y compris les éventuels dommages subis par les autres indivisaires.

3. Cas particulier des mesures affectant l’usufruit

La mise en œuvre de mesures conservatoires dans le cadre de l’usufruit soulève des questions spécifiques en raison de la répartition des droits et obligations entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.

L’article 815-2 du Code civil, qui prévoit la possibilité pour un indivisaire de prendre seul des mesures nécessaires à la conservation d’un bien indivis, trouve une application particulière dans les situations où un usufruit grève le bien concerné.

==>Opposabilité des mesures conservatoires à l’usufruitier

L’article 815-2, alinéa 4 du Code civil prévoit que les mesures conservatoires prises par un indivisaire sont opposables à l’usufruitier, mais uniquement dans la mesure où celui-ci est tenu des réparations concernées.

La répartition des charges entre usufruitier et nu-propriétaire est précisée par les articles 605 et 606 du Code civil :

  • Réparations d’entretien : ces travaux incombent à l’usufruitier (art. 605, al. 1er). Si un indivisaire nu-propriétaire réalise une mesure conservatoire pour effectuer de telles réparations, l’usufruitier ne pourra s’y opposer et pourra être tenu de rembourser les frais engagés.
  • Grosses réparations : ces travaux relèvent de la responsabilité du nu-propriétaire (art. 606). Une mesure conservatoire visant de telles réparations ne peut, en principe, être imposée à l’usufruitier, sauf disposition contraire ou accord entre les parties.

Ce régime garantit une répartition équitable des charges tout en permettant la mise en œuvre rapide des mesures nécessaires à la préservation du bien indivis.

Les pouvoirs conférés aux indivisaires par les trois premiers alinéas de l’article 815-2 (prise de mesures nécessaires, utilisation des fonds de l’indivision, obligation des autres indivisaires à contribuer) s’appliquent également lorsque le bien est grevé d’un usufruit.

En conséquence :

  • L’usufruitier ne peut s’opposer à des réparations nécessaires, même si elles affectent temporairement sa jouissance du bien.
  • Un indivisaire peut obliger l’usufruitier à financer sur ses propres deniers des réparations d’entretien dont il est responsable.

Cette opposabilité des mesures conservatoires vise à pallier les carences éventuelles de l’usufruitier et à préserver l’intégrité du bien, dont il reste le principal bénéficiaire.

==>Les mesures conservatoires prises par l’usufruitier

L’usufruitier, bien que détenteur d’un droit réel distinct, peut également prendre des mesures conservatoires sur le bien dont il a l’usufruit, même lorsque la nue-propriété est indivise.

Cette faculté, longtemps ignorée, trouve désormais son fondement à l’article 815-2, alinéa 4 du Code civil.

Puisque ce texte autorise les indivisaires à opposer des mesures conservatoires à l’usufruitier, il semble logique de reconnaître à ce dernier le pouvoir d’agir de manière symétrique.

Avant la réforme de 1976, cette possibilité était écartée en raison de l’absence d’indivision entre usufruitiers et nus-propriétaires.

Cependant, cette solution était peu pratique, l’usufruitier étant souvent le mieux placé pour intervenir rapidement afin d’assurer la conservation du bien.

L’usufruitier peut désormais, comme un indivisaire, prendre des mesures conservatoires nécessaires à la préservation du bien. Ces mesures doivent toutefois respecter les obligations de réparation pesant sur lui en vertu de l’article 605 du Code civil.

Par exemple :

  • Réparations d’entretien pour éviter la détérioration du bien.
  • Actions visant à protéger le bien contre des tiers menaçant son intégrité.

Les mesures prises par l’usufruitier seront opposables aux indivisaires, à condition qu’elles respectent le cadre défini par la loi et qu’elles s’inscrivent dans le champ de ses obligations.

==>Le cas particulier de l’usufruit universel

Lorsque le bien indivis est grevé d’un usufruit universel, les règles se complexifient.

En principe, il n’existe pas d’indivision entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, l’usufruit étant un droit distinct de la pleine propriété.

Par conséquent, l’article 815-2 du Code civil, qui s’applique spécifiquement aux indivisaires, ne régit pas directement les rapports entre usufruitiers et nus-propriétaires.

Toutefois, certains auteurs soutiennent que, dans un souci de préservation de l’intérêt collectif, l’usufruitier devrait également pouvoir prendre des mesures conservatoires, même s’il n’a pas la qualité d’indivisaire. Cet argument repose sur deux fondements principaux :

  • L’existence d’intérêts communs entre les usufruitiers et les nus-propriétaires, notamment en matière de conservation du bien.
  • La symétrie des droits : si l’usufruitier peut être tenu par les mesures conservatoires prises par le nu-propriétaire, il devrait également pouvoir en prendre lui-même pour préserver le bien.

Malgré ces arguments, en l’absence d’indivision, ce sont les textes régissant spécifiquement les rapports entre usufruitiers et nus-propriétaires qui s’appliquent.

En particulier, l’article 578 du Code civil impose à l’usufruitier l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour conserver la substance du bien soumis à usufruit.

4. Les obligations de l’indivisaire

L’indivisaire qui prend l’initiative d’une mesure conservatoire agit dans l’intérêt commun des indivisaires.

Toutefois, ce pouvoir s’accompagne d’obligations strictes visant à garantir la transparence, la proportionnalité des dépenses et la répartition équitable des coûts entre les indivisaires.

A cet égard, conformément à l’article 815-8 du Code civil, l’indivisaire qui agit pour accomplir une mesure conservatoire doit tenir un compte précis de l’origine et de l’utilisation des fonds engagés.

Cette exigence s’applique indépendamment de la source des fonds, qu’ils proviennent de l’indivision elle-même ou des ressources personnelles de l’indivisaire.

  • Détail des opérations : ce compte doit mentionner toutes les informations pertinentes concernant les dépenses, telles que les factures, les contrats ou les justificatifs des paiements effectués.
  • Communication aux coindivisaires : l’indivisaire a l’obligation de mettre ce registre à la disposition des autres indivisaires. Cela permet aux coindivisaires d’exercer un contrôle sur les mesures entreprises et de vérifier que les dépenses étaient nécessaires, proportionnées et conformes à l’intérêt commun.

Cette obligation de transparence contribue à prévenir les litiges et à assurer une gestion harmonieuse de l’indivision.

==>Le recours contre les coindivisaires

Lorsqu’un indivisaire finance personnellement une mesure conservatoire, il dispose d’un droit de recours immédiat contre ses coindivisaires pour obtenir le remboursement des frais engagés.

Ce recours est proportionnel aux parts respectives de chaque indivisaire dans l’indivision.

  • Droit au remboursement : l’indivisaire peut exiger que les autres indivisaires contribuent aux dépenses engagées, sauf s’ils prouvent que la mesure était inutile ou qu’elle dépassait les strictes nécessités de conservation.
  • Responsabilité en cas de faute : si la nécessité de la mesure conservatoire découle de la faute d’un indivisaire (par exemple, un manquement à une obligation de réparation ou un usage inapproprié du bien indivis), cet indivisaire fautif sera tenu de supporter seul les frais correspondants. Cette règle vise à protéger les autres indivisaires contre les conséquences d’un comportement négligent ou abusif.

Ce mécanisme garantit une répartition juste des charges tout en responsabilisant chaque indivisaire dans la gestion de l’indivision.

C) Le financement des mesures conservatoires

S’agissant du financement des mesures conservatoires, l’article 815-2 du Code civil envisage deux situations :

  • L’emploi des fonds indivis par l’indivisaire auteur de la dépense
  • La contribution des coïndivisaires à la dépense nécessaire

1. L’emploi des fonds indivis

L’article 815-2, alinéa 2, du Code civil confère à tout indivisaire le droit d’utiliser les fonds de l’indivision qu’il détient pour financer des mesures conservatoires.

Cette disposition repose sur une présomption légale de libre disposition à l’égard des tiers, empêchant toute contestation de la part des coindivisaires ou des tiers concernant l’utilisation de ces fonds.

a. Fonds indivis détenus par l’indivisaire

Lorsqu’un indivisaire détient des fonds issus de l’indivision, il dispose d’un pouvoir lui permettant de les mobiliser directement pour financer des mesures conservatoires nécessaires à la préservation des biens indivis. Cette prérogative, consacrée par l’article 815-2, alinéa 2, du Code civil, repose sur une présomption légale de libre disposition, conférant à l’indivisaire une autonomie dans la gestion des fonds, tout en assurant la protection des intérêts communs.

==>Principe et portée de la présomption de libre disposition

L’article 815-2, alinéa 2, instaure une présomption irréfragable selon laquelle l’indivisaire détenteur des fonds indivis est réputé en avoir la libre disposition vis-à-vis des tiers.

Cette présomption, inspirée des dispositions de l’article 221 du Code civil relatives aux comptes bancaires détenus par les époux, vise à simplifier les opérations financières liées à l’indivision.

Ainsi, l’indivisaire peut, sans avoir à solliciter l’autorisation des autres indivisaires, employer les fonds indivis pour couvrir les dépenses inhérentes aux mesures conservatoires. Par exemple, le paiement d’une facture relative à des réparations urgentes nécessaires à la préservation d’un immeuble indivis échappe à toute contestation, sauf en cas d’abus manifeste ou de comportement fautif de l’indivisaire.

==>Conditions d’application : détention légitime des fonds

Le pouvoir conféré à l’indivisaire s’exerce dans des situations où les fonds indivis sont légitimement entre ses mains.

Ces fonds peuvent avoir été reçus à la suite :

  • d’un mandat délivré par les coindivisaires,
  • d’une opération réalisée dans l’intérêt de l’indivision (par exemple, le produit d’une location ou la vente d’actifs indivis),
  • ou encore d’un héritage, dans lequel les fonds du défunt, constituant l’actif indivis, ont été confiés à l’indivisaire.

Toutefois, cette présomption de libre disposition connaît des limites. Si les fonds sont détenus en qualité de dépositaire ou de séquestre, la mobilisation des fonds indivis par l’indivisaire est soumise à des règles spécifiques.

Dans de telles circonstances, l’indivisaire ne peut agir de son propre chef et doit obtenir l’autorisation expresse des autres indivisaires ou, en cas de désaccord, l’approbation du juge.

==>Obligations attachées à l’utilisation des fonds

En mobilisant ces ressources, l’indivisaire agit en qualité de gestionnaire et s’engage à rendre compte de leur emploi.

Cette obligation de reddition de comptes, essentielle au règlement ultérieur de l’indivision, garantit la transparence et protège les droits des coindivisaires.

À ce titre, l’indivisaire doit être en mesure de justifier que les fonds ont été employés exclusivement pour financer des mesures conservatoires nécessaires.

Par exemple, dans le cadre d’une indivision immobilière, les dépenses visant à empêcher la détérioration du bien (réparation d’une toiture, consolidation des fondations) sont considérées comme légitimes, à condition qu’elles soient strictement proportionnées aux besoins de conservation.

==>Conséquences

La présomption de pouvoir protège l’indivisaire contre d’éventuelles oppositions des coindivisaires ou des tiers.

Toutefois, lors du règlement des comptes de l’indivision, l’utilisation des fonds sera prise en considération afin de garantir une répartition équitable des charges entre les indivisaires.

Il convient également de noter que cette faculté peut, dans certaines circonstances, engendrer des tensions entre indivisaires, notamment si l’un d’eux estime que les fonds ont été employés à des fins non conformes à l’intérêt commun.

Ces différends pourront alors être tranchés par le juge au moment de l’établissement du compte final de l’indivision.

==>Rapport avec les tiers

Sur le plan pratique, la présomption de libre disposition protège également l’indivisaire contre les revendications des tiers.

Ceux-ci ne peuvent exiger une justification quant à l’emploi des fonds, à condition que l’opération apparaisse clairement comme une mesure conservatoire. Cette sécurité juridique renforce la fluidité des relations entre l’indivision et les tiers, en permettant aux indivisaires de conclure des actes nécessaires à la préservation des biens sans entraves.

b. Fonds indivis détenus par des tiers

Dans le cadre d’une indivision, il peut arriver que les fonds nécessaires à la conservation des biens soient détenus non par un indivisaire mais par un tiers.

Dans ce cas, l’indivisaire se trouve confronté à des obstacles pratiques qui nécessitent une intervention judiciaire pour débloquer ces ressources et les affecter aux besoins urgents de l’indivision.

L’article 815-6 du Code civil offre un cadre légal permettant de surmonter ces difficultés.

==>Principe de l’autorisation judiciaire

L’article 815-6, alinéa 2, du Code civil autorise tout indivisaire à solliciter du tribunal judiciaire l’autorisation de percevoir les fonds indivis détenus par des tiers, tels qu’une banque, un notaire ou tout autre dépositaire. Ces fonds peuvent être issus de diverses sources : produits locatifs, actifs liquides provenant de la succession ou sommes placées sur un compte indivis.

La finalité de cette disposition est de permettre à l’indivisaire d’obtenir rapidement une provision destinée à couvrir les dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis. Cette procédure vise à protéger les intérêts de l’indivision tout en évitant qu’une situation d’urgence, comme un sinistre ou des travaux indispensables, ne soit compromise par l’inertie ou l’opposition de certains indivisaires ou dépositaires.

==>Procédure devant le Président près le Tribunal judiciaire

Pour obtenir cette autorisation, l’indivisaire doit présenter une requête devant le Président près le Tribunal judiciaire.

Conformément à l’article à l’article 1380 du Code de procédure civile il doit être statué sur cette demande selon la procédure accélérée au fond, remplaçant l’ancienne procédure « en la forme des référés ».

A cet égard, la requête présentée au Président du Tribunal judiciaire doit établir que les fonds demandés sont strictement nécessaires à la préservation des biens indivis.

L’indivisaire doit également préciser l’usage qui sera fait de ces fonds, en justifiant leur emploi à des fins conservatoires.

Par exemple, une demande visant à financer des travaux de consolidation sur un immeuble indivis serait recevable, tandis qu’une demande visant à financer des dépenses de gestion courante pourrait être rejetée.

==>Contrôle judiciaire de l’utilisation des fonds

L’autorisation accordée par le juge ne confère pas à l’indivisaire une liberté absolue dans l’utilisation des fonds perçus.

Ceux-ci doivent être affectés exclusivement à la réalisation des mesures conservatoires définies dans la requête. Toute déviation dans leur usage pourrait engager la responsabilité de l’indivisaire, tant vis-à-vis des autres indivisaires que des tiers.

Le tribunal veille également à s’assurer que les conditions d’emploi des fonds respectent l’intérêt commun des indivisaires.

Par exemple, si un indivisaire cherche à mobiliser des fonds pour effectuer des travaux non indispensables, cette demande pourrait être rejetée, car elle excéderait les limites du pouvoir conservatoire.

==>Cas spécifiques : opposition des tiers et succession bloquée

La procédure prévue par l’article 815-6 trouve une application particulière dans deux situations fréquentes :

  • Première situation
    • En cas de décès d’un indivisaire, lorsque les fonds de l’indivision sont temporairement bloqués par un établissement financier ou un notaire, la procédure prévue à l’article 815-6 du Code civil permet de débloquer rapidement les ressources nécessaires à la conservation des biens, sans attendre la fin des opérations successorales.
  • Seconde situation
    • En cas d’opposition des tiers, tels que des créanciers de l’indivision ou des ayants droit contestataires, l’intervention du juge garantit que les fonds sont utilisés exclusivement à des fins conservatoires, prévenant ainsi tout abus.

==>Conséquences pratiques

L’intervention du juge confère procure une double garantie pour les indivisaires et pour les tiers :

  • Pour les indivisaires, elle assure une utilisation juste et transparente des fonds, dans l’intérêt de l’indivision.
  • Pour les tiers, elle sécurise leur situation en excluant toute utilisation non autorisée des fonds qu’ils détiennent.

Enfin, il convient de souligner que cette procédure, bien qu’efficace, demeure exceptionnelle.

Elle ne s’applique qu’en cas d’obstruction ou de nécessité impérieuse, l’objectif étant de favoriser une gestion concertée des biens indivis, en limitant le recours au juge aux seuls cas de blocage avéré.

2. La contribution des coindivisaires à la dépense nécessaire

Lorsque l’utilisation des fonds indivis se révèle impossible ou insuffisante pour couvrir les dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis, il incombe aux coindivisaires de prendre part au financement.

Ce principe repose sur la logique de l’intérêt commun qui sous-tend l’indivision. Deux situations peuvent alors se présenter : l’avance des deniers personnels par un indivisaire avec droit au remboursement ou la contribution forcée des coindivisaires à la dépense.

a. L’avance sur deniers personnels et le droit au remboursement

Lorsqu’un indivisaire décide de financer seul une mesure conservatoire en mobilisant ses propres deniers, l’article 815-2 du Code civil il confère un droit à remboursement de la dépense exposée.

==>Fondement juridique du droit au remboursement

L’article 815-13 dispose que l’indivisaire ayant engagé des dépenses nécessaires pour la conservation des biens indivis doit obtenir compensation.

Ce droit au remboursement s’applique même si ces dépenses n’ont pas directement amélioré le bien, tant qu’elles ont permis de le préserver. L’objectif est d’éviter qu’un indivisaire, agissant pour l’intérêt commun, supporte seul une charge qui incombe collectivement aux coindivisaires.

Le texte confère à l’indivisaire qui agit un statut de créancier vis-à-vis de l’indivision, lui permettant de réclamer le remboursement des sommes avancées, qu’il s’agisse de frais d’entretien, de réparations urgentes ou d’autres dépenses conservatoires.

==>Calcul de la somme remboursable

La Cour de cassation, dans un arrêt du 11 mai 2012, a précisé les modalités de remboursement des dépenses engagées par un indivisaire pour la conservation d’un bien indivis (Cass. 1ère civ. 11 mai 2012, n°11-17.497).

Elle a jugé que l’indivisaire doit être remboursé de la plus élevée des deux sommes suivantes :

  • Le montant de la dépense réellement engagée : il s’agit de la somme effectivement déboursée par l’indivisaire pour couvrir la dépense nécessaire.
  • Le profit subsistant généré par la dépense : si la mesure conservatoire a permis une valorisation ou une amélioration notable du bien, la somme remboursable peut inclure ce bénéfice. Cette approche vise à préserver une équité entre l’indivisaire ayant agi et les autres coindivisaires.

La notion de profit subsistant est toutefois modulée par un impératif d’équité, permettant d’ajuster le remboursement pour éviter un enrichissement indu de l’indivisaire à l’origine de la dépense.

==>Moment du remboursement

Dans un arrêt du 11 juin 1996, la Cour de cassation a jugé que l’indivisaire qui a exposé la dépense nécessaire était légitimement en droit de réclamer immédiatement son remboursement auprès de ses coindivisaires, sans qu’il soit besoin d’attendre le partage de l’indivision.

En effet, pour cette dernière, l’article 815-12 « ne prévoit pas que le remboursement des dépenses nécessaires, réalisées par un indivisaire, soit reporté “au temps du partage”; qu’un tel report consisterait à ajouter à l’article 815-2 susvisé une disposition qu’il ne comporte pas » (Cass. 1ère civ. 11 juin 1996, n°94-18.382).

==>Cas particulier en présence d’un usufruitier

Lorsque les biens indivis sont grevés d’un usufruit, la répartition des charges entre usufruitiers et nus-propriétaires vient complexifier le droit au remboursement.

L’article 815-2, alinéa 4, du Code civil précise que les dépenses conservatoires prises en charge par un indivisaire ne sont opposables à l’usufruitier que si elles relèvent des réparations dont il est normalement tenu (par exemple, les réparations d’entretien).

À l’inverse, si ces dépenses concernent des grosses réparations imputables au nu-propriétaire, l’indivisaire peut obtenir le remboursement de ce dernier.

Dans ces cas, la jurisprudence et la doctrine convergent pour admettre que l’indivisaire peut immédiatement exercer son recours, sans attendre l’extinction de l’usufruit, en se fondant sur les règles de l’indivision.

b. La contribution forcée des coindivisaires

En l’absence de fonds suffisants dans l’indivision ou d’un financement volontaire des coindivisaires, l’article 815-2, alinéa 3, du Code civil autorise un indivisaire à contraindre les autres indivisaires à participer aux dépenses nécessaires à la conservation des biens indivis.

==>Mise en demeure préalable

Avant d’engager une action judiciaire, l’indivisaire souhaitant obtenir la contribution des coindivisaires doit d’abord les mettre en demeure.

Cette mise en demeure doit clairement préciser :

  • La nature de la dépense : il s’agit de démontrer que les fonds sollicités seront utilisés pour des mesures conservatoires, c’est-à-dire des actions nécessaires à la préservation ou à l’intégrité du bien indivis.
  • L’objet et le montant des sommes demandées : l’indivisaire doit justifier l’utilité des dépenses et leur adéquation avec l’objectif de conservation.

Si les coindivisaires restent silencieux ou expriment un refus, une sommation interpellative, signifiée par commissaire de justice, peut formaliser leur position et constituer une preuve essentielle en cas de litige ultérieur.

==>Répartition proportionnelle des charges

Conformément à l’article 815-10 du Code civil, chaque indivisaire doit contribuer à la dépense proportionnellement à sa part dans l’indivision.

Cette règle, qui repose sur le principe d’équité, assure une juste répartition des charges entre les indivisaires, en fonction de leurs droits respectifs.

Si certains indivisaires sont insolvables, les autres devront temporairement assumer leur part. Cette charge additionnelle pourra être compensée lors du règlement définitif des comptes de l’indivision.

Les indivisaires peuvent, d’un commun accord, décider de répartir la dépense selon des modalités différentes si elles conviennent mieux à la situation.

==>Recours judiciaire

Lorsque les tentatives amiables échouent et que le désaccord entre indivisaires persiste, l’article 815-2, alinéa 3, du Code civil offre à l’indivisaire la possibilité de saisir le juge.

  • Les modalités de saisine du juge
    • Le recours judiciaire peut être introduit selon deux procédures principales :
      • Le référé (article 835 du Code de procédure civile)
        • Cette procédure rapide permet d’obtenir une décision provisoire, en cas d’urgence ou de blocage qui pourrait causer un préjudice imminent.
        • Le juge des référés peut notamment statuer sur des mesures conservatoires ou sur une provision, en fonction des justificatifs apportés.
      • La procédure accélérée au fond (article 815-6 du Code civil)
        • Depuis la réforme issue du décret n° 2019-1419, cette procédure remplace la précédente dite « en la forme des référés ».
        • Elle permet au juge de statuer sur le fond dans des délais raccourcis, tout en rendant une décision qui a autorité de chose jugée.
    • Dans les deux cas, l’indivisaire doit démontrer que toutes les démarches préalables ont été entreprises (mise en demeure, sommation interpellative) et présenter des justificatifs précis des dépenses projetées.
  • L’appréciation du juge
    • Le rôle du juge est déterminant dans l’évaluation des demandes. Il doit notamment s’assurer que :
      • La dépense répond aux critères d’une mesure conservatoire : les dépenses sollicitées doivent être strictement nécessaires à la préservation ou à l’intégrité du bien indivis. À titre d’exemple, des réparations urgentes pour éviter une dégradation irréversible ou des actions pour sauvegarder un titre de propriété pourraient être considérées comme des mesures conservatoires.
      • Les sommes demandées sont justifiées : l’indivisaire requérant doit fournir des devis, factures ou tout autre document démontrant l’exactitude des montants réclamés. Cela inclut également des explications sur l’urgence ou l’importance des travaux.
      • La charge financière est répartie équitablement : le juge veille à ce que la contribution de chaque coindivisaire respecte leur quote-part dans l’indivision, conformément à l’article 815-10 du Code civil. Si certains coindivisaires sont insolvables, le juge peut organiser une compensation lors du partage ou un remboursement différé.
  • Les décisions du juge
    • En fonction des éléments présentés et de l’urgence des besoins, le juge peut :
      • Ordonner le paiement immédiat : si les dépenses sont reconnues nécessaires, le juge peut contraindre les coindivisaires à verser leur contribution proportionnelle sans attendre.
      • Autoriser des mesures conservatoires provisoires : en cas d’urgence, une décision provisoire peut permettre à l’indivisaire d’engager les dépenses, avec un règlement ultérieur organisé par le juge.
      • Rejeter la demande : si les justificatifs sont insuffisants ou si les dépenses ne répondent pas à la qualification de mesure conservatoire, le juge peut estimer que la charge ne doit pas être supportée par les coindivisaires.

II) Les actes d’administration et de disposition

La gestion des biens indivis constitue un exercice délicat, particulièrement lorsqu’elle implique des décisions concernant les actes d’administration et de disposition. Ces actes, essentiels à la préservation, à l’exploitation et parfois à la transmission du patrimoine indivis, occupent une place centrale dans les relations entre indivisaires.

Historiquement, le principe de l’unanimité prévalait pour toute décision engageant les biens indivis. Cette règle, qui reflète l’idée d’une égalité de droits entre indivisaires, visait à protéger chacun d’eux contre des décisions prises unilatéralement par les autres.

Toutefois, cette exigence d’unanimité s’est rapidement heurtée à des difficultés pratiques, entravant parfois gravement la gestion de l’indivision et pouvant conduire à des situations de blocage.

Conscient de ces limites, le législateur a introduit des ajustements, notamment par les réformes des 23 juin 2006 et 12 mai 2009. Ces évolutions ont permis d’assouplir le régime applicable en instaurant, dans certains cas, une prise de décision à la majorité qualifiée.

Le régime actuel repose donc sur une dualité de principes :

  • D’une part, la règle de l’unanimité, prévue par l’alinéa 3 de l’article 815-3 du Code civil, demeure applicable aux actes les plus graves, tels que les ventes, donations ou hypothèques, ou encore à certains actes d’administration excédant l’exploitation normale des biens indivis.
  • D’autre part, la règle de la majorité, énoncée à l’alinéa 1er du même article, permet aux indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis de prendre des décisions concernant les actes relevant de l’exploitation normale des biens indivis.

Cette articulation vise à concilier deux objectifs fondamentaux :

  • Faciliter la gestion des biens indivis en évitant les blocages liés à la règle d’unanimité.
  • Garantir une protection efficace des indivisaires, notamment pour les décisions susceptibles d’affecter significativement leurs droits sur le patrimoine indivis.

Toutefois, la distinction entre actes soumis à l’unanimité et actes relevant de la majorité, ainsi que les critères permettant de les classifier, soulèvent encore des questions complexes, alimentées par la jurisprudence et les débats doctrinaux.

Afin d’éclairer ces enjeux, il convient, dans un premier temps, d’examiner les actes soumis à la règle de l’unanimité. Dans un second temps, seront analysés les actes soumis à la règle de la majorité.

A) Les actes soumis à la règle de l’unanimité

1. Principe de la règle de l’unanimité

En matière d’indivision, la règle de l’unanimité occupe une place centrale. Cette règle, énoncée par l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil, impose que certaines décisions soient prises avec le consentement de tous les indivisaires. Si cette règle vise à protéger les droits de chacun, elle n’est pas sans poser des difficultés pratiques, notamment en cas de mésentente ou d’éloignement des indivisaires. La présente analyse se propose d’exposer les contours de ce principe, ses applications, ses tempéraments ainsi que ses sanctions, tout en mettant en lumière son évolution à travers la doctrine et la jurisprudence.

a. Le champ d’application du principe

En application de l’article 815-3, al. 3, la règle de l’unanimité ne s’applique qu’à deux types d’actes bien précis :

  • Les actes qui ne ressortissent pas à l’exploitation normale des biens indivis
  • Les actes de disposition autres que la destinée à régler les dettes ou charges de l’indivision

i. S’agissant des actes qui ne ressortissent pas à l’exploitation normale des biens indivis

L’expression « exploitation normale des biens indivis » n’est pas définie par le Code civil. Son interprétation relève donc de l’appréciation des circonstances propres à chaque situation.

Elle a toutefois pour vocation à distinguer les actes qui s’inscrivent dans le cadre d’une gestion courante et ordinaire des biens indivis, des actes qui, en raison de leur importance ou de leurs conséquences, nécessitent l’aval de tous les indivisaires.

Ainsi, des actes comme la gestion des récoltes dans le cadre d’une exploitation agricole indivise ou l’entretien régulier d’un immeuble indivis peuvent relever de l’exploitation normale.

En revanche, des actes affectant profondément la structure ou la destination des biens indivis, tels que la vente d’un bien immobilier indivis, ne sauraient être considérés comme « normaux » au sens de cette disposition.

Plusieurs éléments peuvent être pris en compte pour déterminer si un acte ressortit ou non à l’exploitation normale des biens indivis :

  • L’importance des sommes engagées : les actes impliquant des dépenses conséquentes ou susceptibles d’affecter significativement la valeur du patrimoine indivis nécessitent généralement l’unanimité.
  • L’utilité objective de l’acte : un acte est qualifié de normal lorsqu’il est manifestement dans l’intérêt de la gestion ordinaire du bien indivis.
  • La nature de l’acte (administration ou disposition) : si certains actes de disposition peuvent s’intégrer dans une exploitation normale (par exemple, la vente de récoltes agricoles), la plupart d’entre eux, comme une donation ou une vente d’immeuble, échappent à cette qualification en raison de leur incidence sur le patrimoine indivis.

En tout état de cause, la notion d’« exploitation normale » doit faire l’objet d’une interprétation stricte afin de garantir que les indivisaires minoritaires ne soient pas lésés par des décisions prises à la majorité.

En effet, le droit de propriété de chaque indivisaire sur une quote-part indivise impose que seules les décisions relevant d’une gestion courante puissent être prises sans leur consentement.

Face à l’imprécision de cette notion, les juges jouent un rôle déterminant pour apprécier, au cas par cas, si un acte relève ou non de l’exploitation normale.

À ce titre, la jurisprudence tend à restreindre les situations où des actes peuvent être considérés comme normaux, afin de ne pas dénaturer la règle d’unanimité prévue à l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil.

ii. S’agissant des actes de disposition autres que la vente de meubles indivis destinée à régler les dettes ou charges de l’indivision

==>Principe

Les actes de disposition se définissent comme ceux qui, par leur nature et leur portée, engagent le patrimoine d’une personne ou d’un groupement, que ce soit pour le présent ou l’avenir.

Ces actes se caractérisent par :

  • Une modification importante du contenu du patrimoine : ils peuvent affecter de manière substantielle la consistance ou la structure des biens.
  • Une dépréciation significative de la valeur en capital : ils peuvent entraîner une diminution durable de la valeur patrimoniale des biens.
  • Une altération durable des prérogatives du titulaire : ils modifient ou réduisent les droits et pouvoirs exercés sur le bien concerné.

Cette définition, tirée du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes protégées, peut parfaitement être transposée aux actes accomplis dans le cadre d’une indivision.

Par leur nature même, ces actes, qui engagent durablement les droits des indivisaires, se distinguent des actes d’administration, lesquels s’inscrivent dans la gestion courante du patrimoine indivis.

A cet égard, la frontière entre actes d’administration et actes de disposition repose sur des critères précis, élaborés par la jurisprudence et la doctrine.

  • La gravité des conséquences patrimoniales
    • Un acte qui modifie significativement le patrimoine indivis, comme une aliénation ou une constitution de droits réels, est qualifié d’acte de disposition.
  • L’atteinte durable aux prérogatives des indivisaires
    • Tout acte qui altère les droits des indivisaires sur le bien, qu’il s’agisse de la propriété ou de l’usage, entre dans la catégorie des actes de disposition.
  • La nature de l’opération
    • Les actes qui sortent de la gestion courante des biens indivis ou qui affectent la propriété elle-même, même indirectement, sont soumis à l’unanimité.
    • Par exemple, l’acceptation de la notification mettant en œuvre une condition résolutoire dans une vente immobilière constitue un acte de disposition (Cass. 3e civ., 23 mai 1995, n°93-10.617)

==>Exception

En principe, tous les actes de disposition, compte tenu de leur gravité et de leur impact durable sur le patrimoine indivis, sont soumis à la règle de l’unanimité.

Cependant, une exception est prévue par l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil : la vente de meubles indivis destinée à régler les dettes ou charges de l’indivision peut être décidée à la majorité des deux tiers des droits indivis.

Cette dérogation à la règle de l’unanimité trouve sa justification dans la nécessité de garantir la bonne gestion de l’indivision, en évitant que celle-ci ne se trouve paralysée par l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires.

Les dettes ou charges de l’indivision – telles que les frais de conservation, les taxes foncières ou les emprunts souscrits pour financer des travaux – constituent des obligations financières incontournables. Leur non-paiement risquerait non seulement de compromettre la conservation des biens indivis, mais aussi d’exposer l’ensemble des indivisaires à des risques juridiques et financiers, comme des poursuites ou des saisies.

Ainsi, permettre la vente de meubles indivis pour s’acquitter de ces obligations répond à un impératif pratique : assurer la continuité de la gestion de l’indivision sans que l’unanimité, parfois difficile à obtenir, ne bloque les décisions urgentes et nécessaires.

Toutefois, cette exception est strictement encadrée pour préserver l’équilibre des droits des indivisaires et éviter les abus. En particulier, la vente ne peut être décidée à la majorité que si les conditions suivantes sont réunies :

  • Destination des fonds : les fonds issus de la vente doivent être exclusivement affectés au règlement des dettes ou charges de l’indivision. Cette affectation garantit que l’opération est réalisée dans l’intérêt commun des indivisaires.
  • Absence de liquidités suffisantes : la vente ne peut être envisagée que s’il n’existe pas, parmi les biens indivis, des liquidités suffisantes pour couvrir les dettes ou charges. Il convient dès lors d’explorer d’abord des solutions moins intrusives avant de procéder à une aliénation.
  • Caractère immédiat des dettes : les dettes doivent être immédiatement exigibles, justifiant ainsi une intervention rapide pour éviter des conséquences préjudiciables à l’ensemble de l’indivision.

b. La mise en œuvre du principe

La règle de l’unanimité dans l’indivision protège les coïndivisaires contre les décisions unilatérales pouvant affecter leurs droits indivis.

A l’analyse, cette règle s’applique à une grande variété d’actes au nombre desquels figurent notamment, les actes de disposition, certains actes de gestion locative, les actes constitutifs de sûreté, les actes d’affectation d’un bien indivis à une activité professionnelle ou encore les actions en justice.

i. Les actes de disposition

Les actes de disposition, en raison de leur gravité, nécessitent unanimité, qu’ils soient à titre onéreux ou gratuit.

==>Les actes de disposition à titre onéreux

En vertu de l’article 815-3 du Code civil, l’accomplissement d’actes de disposition à titre onéreux concernant un bien indivis exige le consentement unanime de tous les indivisaires.

Ces actes, par leur nature, impliquent une modification durable ou définitive des droits sur le bien indivis, ce qui justifie l’application stricte de la règle.

Parmi les actes concernés, on peut notamment citer :

  • La vente d’un bien indivis
    • Acte de disposition par excellence, la vente entraîne la transmission de la propriété du bien ou d’une partie de celui-ci.
    • En l’absence d’accord de tous les indivisaires, la vente ne peut produire d’effets à leur égard.
  • L’échange
    • L’échange d’un bien indivis, consistant à céder le bien ou une partie de celui-ci en contrepartie d’un autre bien, modifie également les droits des indivisaires.
    • Cet acte nécessite donc l’unanimité.
  • La constitution de servitudes
    • La constitution d’une servitude, qu’elle soit active ou passive, affecte durablement l’usage et la valeur du bien indivis.
    • Par conséquent, elle ne peut être réalisée qu’avec l’accord unanime des indivisaires.
  • La dissolution d’une société propriétaire d’un bien indivis
    • Si l’indivision porte sur des parts sociales ou des droits dans une société, une demande de dissolution de cette société, qui équivaut à une disposition des actifs indivis, exige également l’unanimité.

==>Les actes de disposition à titre gratuit

Les actes de disposition à titre gratuit concernant un bien indivis, tels que la donation ou le legs, sont également soumis à la règle de l’unanimité prévue par l’article 815-3 du Code civil.

Ces actes, qui traduisent une intention de transférer sans contrepartie tout ou partie d’un bien indivis, affectent les droits des coïndivisaires et nécessitent par conséquent leur accord unanime.

  • La donation portant sur un bien indivis
    • La donation d’un bien indivis, acte de disposition à titre gratuit, est soumise à la règle de l’unanimité prévue par l’article 815-3 du Code civil.
    • Cette exigence vise à protéger les droits des coïndivisaires en empêchant un indivisaire de disposer unilatéralement d’un bien commun.
    • En l’absence d’accord unanime, la donation n’est pas nulle, mais son efficacité est limitée : elle ne produit d’effet qu’à hauteur de la quote-part appartenant au donateur.
    • Ainsi, un indivisaire peut valablement donner ses droits indivis, et le donataire devient alors titulaire d’une quote-part dans l’indivision.
    • Cependant, la donation ne peut affecter les droits des autres coïndivisaires sans leur consentement.
    • Cette règle, confirmée par la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 4 juill. 1984, n°83-10.020), garantit l’équilibre et la stabilité de l’indivision.
    • En effet, un acte unilatéral pourrait compromettre l’intégrité du bien indivis ou introduire un tiers non souhaité au sein de l’indivision, créant des tensions ou des déséquilibres.
    • En pratique, le sort du bien donné dépendra du partage : si le bien est attribué au donateur lors des opérations de partage, la donation produira ses pleins effets en faveur du donataire.
    • À défaut, la donation sera inopposable pour la partie excédant les droits du donateur.
  • Le legs d’un bien indivis
    • Le legs, autre acte de disposition à titre gratuit, obéit également à des règles spécifiques lorsqu’il concerne un bien indivis.
    • Un indivisaire peut léguer ses droits indivis à un tiers, mais la validité et l’efficacité de ce legs dépendent en grande partie du partage.
    • Si, lors du partage, le bien légué est attribué au testateur ou à sa succession, le legs pourra s’exécuter en nature.
    • Dans un arrêt du 2 juin 1987, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « le legs par un indivisaire d’un bien indivis peut s’exécuter en nature si par l’événement du partage le bien légué tombe au lot de cet indivisaire ou de sa succession » (Cass. 1re civ., 2 juin 1987, n°85-16.269).
    • En revanche, si le bien indivis est attribué à un autre coïndivisaire, le legs est considéré comme portant sur la chose d’autrui, et le légataire ne pourra pas en bénéficier directement.
    • Ce principe découle de l’idée selon laquelle le testateur ne peut léguer que ce qu’il possède effectivement.
    • A l’analyse, trois situations sont susceptibles de se rencontrer :
      • Le legs portant sur un bien indivis isolé
        • Cette hypothèse concerne les cas où le testateur est propriétaire d’une fraction indivise d’un bien spécifique.
        • Le legs est pleinement valable pour la quote-part détenue par le testateur.
        • Si, lors du partage, le bien est attribué au légataire, celui-ci devra généralement indemniser les coïndivisaires pour la partie excédant les droits du testateur.
      • Le legs comportant un bien indivis au sein d’une universalité
        • Dans ce cas, le bien légué fait partie d’une masse indivise intégrée dans une universalité (par exemple, un patrimoine successoral global).
        • L’incertitude réside dans la possibilité pour le légataire d’obtenir le bien légué en nature.
        • Si le bien n’est pas attribué à la succession du testateur, la jurisprudence admet que le légataire puisse demander une compensation en valeur (Cass. 1ère civ., 28 mars 2006, n°04-10.596).
      • Le legs portant sur la fraction revenant au testateur dans un bien indivis isolé ou dans un ensemble présentant un caractère d’universalité
        • Dans cette hypothèse, le testateur lègue uniquement la quote-part lui revenant dans l’indivision, que ce soit sur un bien spécifique ou dans un ensemble patrimonial ayant un caractère d’universalité.
        • Ce type de legs est valable par nature et s’exécute en fonction des résultats du partage.
        • Si le bien ou l’ensemble légué est attribué à la succession du testateur, le légataire reçoit alors sa quote-part en nature ou en équivalent, selon les clauses testamentaires.
        • À défaut, le légataire peut demander à obtenir une compensation financière ou matérielle équivalente, sous réserve de l’existence d’une volonté explicite du testateur.
    • Dans le cadre d’une indivision post-communautaire, la situation se complexifie encore.
    • Si un époux dispose de droits indivis issus de la communauté dissoute, le legs portant sur un bien indivis ne peut produire d’effets qu’à hauteur de ces droits.
    • Toute disposition excédant cette quote-part risque d’être requalifiée en legs de la chose d’autrui, sauf à prévoir des clauses spécifiques dans le testament.
    • Lorsque le bien légué est attribué à la succession du testateur, le legs s’exécute en nature.
    • Si tel n’est pas le cas, le légataire peut demander une compensation, que ce soit par la valeur du bien ou par une attribution équivalente dans la masse successorale.
    • La jurisprudence reconnaît également que le testateur peut imposer à ses héritiers la charge de fournir au légataire la propriété du bien légué ou une compensation équivalente, sous réserve que cette intention soit clairement exprimée dans le testament (Cass. 1ère civ., 8 oct. 2014, n°13-19.399).
    • Le régime juridique du legs dans l’indivision vise à protéger les coïndivisaires contre toute atteinte à leurs droits.
    • En permettant au légataire de remplacer le testateur dans l’indivision, tout en limitant les effets du legs à la quote-part du testateur, ce régime garantit l’équilibre de l’indivision. Il évite notamment l’introduction d’un tiers non souhaité sans l’accord des coïndivisaires.
    • Lorsque les actes de disposition à titre gratuit sont réalisés sans l’accord des coïndivisaires, ils sont inopposables pour la partie excédant les droits de l’indivisaire disposant.
    • Cette inopposabilité limite les effets de l’acte, protégeant ainsi les droits des autres indivisaires.
    • En d’autres termes, le donataire ou le légataire ne peut se prévaloir d’un droit sur la totalité du bien indivis, mais uniquement sur la quote-part appartenant au disposant.

ii. La constitution de sûretés

La constitution de sûretés sur un bien indivis (nantissement, gage, hypothèque) est soumise à des règles strictes en raison des implications qu’elle peut avoir sur les droits de tous les coïndivisaires. La règle de l’unanimité, prévue par l’article 815-3 du Code civil, joue ici un rôle central pour garantir la protection des intérêts des indivisaires non constituants.

==>Nantissement

Le nantissement, en tant que sûreté réelle portant sur un bien incorporel (tel qu’un fonds de commerce, des droits d’exploitation, ou des créances), peut être constitué sur un bien indivis.

Toutefois, pour être valable et pleinement opposable, tous les coïndivisaires doivent y consentir.

En effet, le nantissement est un acte de disposition. Or, en indivision, tout acte de disposition nécessite l’accord unanime des indivisaires afin de protéger leurs droits indivis et éviter tout déséquilibre patrimonial.

Lorsque tous les coïndivisaires consentent à la constitution d’un nantissement, celui-ci produit ses effets indépendamment des résultats du partage.

Ainsi, le créancier titulaire de la sûreté pourra exercer ses droits, y compris par voie d’exécution forcée, sans attendre le partage.

Lorsque le nantissement est constitué par un seul indivisaire, sans l’accord des autres, sa validité est limitée et conditionnée au résultat du partage.

En effet, en l’absence de consentement unanime, le nantissement n’oblige que le constituant et est inopposable aux autres coïndivisaires.

Dans un arrêt du 26 avril 2000, la Cour de cassation a jugé en ce sens qu’un nantissement sur un fonds de commerce indivis, constitué par un seul indivisaire sans l’accord des autres, était dépourvu d’efficacité (Cass. 1ère civ., 26 avril 2000, n°97-10.616).

Cette solution protège les indivisaires non parties à l’acte de constitution du nantissement.

Si, néanmoins, le bien indivis grevé par le nantissement est attribué au constituant lors du partage, la sûreté est rétroactivement consolidée.

En revanche, si le bien est attribué à un autre indivisaire, la sûreté devient caduque, car le constituant n’a jamais eu la pleine propriété de l’objet grevé.

==>Gage

Pour constituer un gage valable sur un bien indivis, l’accord unanime des coïndivisaires est requis.

A l’instar du nantissement, le gage est un acte de disposition, car il vient grever une charge sur le bien indivis et expose potentiellement celui-ci à une exécution forcée en cas de défaillance du débiteur.

Lorsque tous les indivisaires consentent à la constitution du gage, celui-ci est pleinement opposable aux tiers et aux coïndivisaires.

Le créancier gagiste pourra alors saisir le bien grevé en cas de non-paiement de la créance garantie, sans attendre le partage.

Lorsque, en revanche, le gage est constitué par un seul indivisaire, sans l’accord des autres, sa portée est limitée et il devient inopposable aux coïndivisaires non consentants.

Dans cette hypothèse, le gage ne joue que pour la part indivise du constituant.

En d’autres termes, le créancier gagiste ne pourra exiger l’exécution forcée de la sûreté que sur la fraction indivise détenue par l’indivisaire constituant.

Enfin, il peut être observé que l’efficacité complète du gage dépend directement de l’attribution du bien grevé lors du partage.

Si le bien grevé est attribué à l’indivisaire ayant consenti le gage lors des opérations de partage, la sûreté est consolidée rétroactivement.

Dans ce cas, le créancier pourra exercer ses droits sur le bien grevé, conformément au principe de l’effet déclaratif du partage.

Si toutefois le bien est attribué à un autre indivisaire, le gage devient inopposable.

Le créancier ne pourra alors se prévaloir de la sûreté, le constituant n’ayant jamais été le propriétaire exclusif du bien.

==>Hypothèque

Lorsqu’une hypothèque est constituée sur un bien indivis, trois situations peuvent se présenter :

  • Hypothèque consentie par tous les coïndivisaires pour une dette commune
    • Constitution et validité
      • En application de l’article 2412 du Code civil, une hypothèque peut être constituée sur un bien indivis par tous les indivisaires aux fins de garantir une dette commune.
      • Pour ce faire, chaque indivisaire doit consentir à l’hypothèque mais également reconnaître la dette commune à garantir.
      • A cet effet, les indivisaires doivent disposer de leur pleine capacité juridique et du pouvoir de consentir, notamment lorsqu’ils agissent dans le cadre d’une représentation.
    • Effets avant et après le partage
      • L’article 2412 du Code civil prévoit que « l’hypothèque d’un immeuble indivis conserve son effet quel que soit le résultat du partage si elle a été consentie par tous les indivisaires. »
      • Il en résulte que le créancier peut faire valoir son droit sur le bien grevé, y compris avant le partage (Cass. com., 28 juin 2005, n°02-20.452).
      • En cas de défaillance du débiteur, le créancier peut saisir le bien sans attendre la fin de l’indivision.
      • Contrairement à l’ancien privilège du copartageant, remplacé par l’hypothèque légale spéciale (art. 2402, 4° C. civ.), l’hypothèque ne rétroagit pas à la date de création de l’indivision. Elle prend rang à compter de son inscription.
  • Hypothèque consentie par tous les coïndivisaires pour la dette d’un indivisaire
    • Principe
      • Il est permis aux coïndivisaires de consentir à une hypothèque grevant l’ensemble d’un bien indivis afin de garantir la dette personnelle de l’un d’entre eux.
      • Une telle hypothèque se rencontrera, le plus souvent, dans le cadre d’acquisitions immobilières indivises.
      • Par exemple, lorsqu’un indivisaire contracte un emprunt pour financer une acquisition, les autres coïndivisaires peuvent autoriser la constitution d’une hypothèque sur l’ensemble du bien indivis aux fins de garantir la dette souscrite.
      • A l’analyse, les coïndivisaires non débiteurs, en autorisant l’acte, jouent le rôle de cautions réelles, engageant leurs droits indivis sans s’obliger personnellement au remboursement de la dette garantie.
      • Reste que ces derniers doivent expressément consentir à l’hypothèque.
      • Par leur accord, ils autorisent l’affectation du bien indivis en garantie, mais ils ne s’engagent pas personnellement au paiement de la dette.
      • Leur obligation est limitée à leur part dans l’indivision.
      • Aussi, l’hypothèque engage les droits des coïndivisaires proportionnellement à leur quote-part dans le bien indivis.
      • En cas de défaillance du débiteur, l’immeuble peut être saisi et vendu, affectant alors les droits de tous les indivisaires.
    • Effets
      • L’hypothèque consentie par tous les coïndivisaires pour garantir la dette personnelle de l’un d’entre eux produit des effets similaires à ceux d’une hypothèque constituée pour une dette commune.
      • Conformément à l’article 2412 du Code civil, cette hypothèque conserve son plein effet, quel que soit le résultat du partage.
      • Le créancier hypothécaire peut exercer son droit de préférence et saisir le bien grevé avant que l’indivision ne soit liquidée (Cass. com., 28 juin 2005, n°02-20.452).
      • Les coïndivisaires non débiteurs ne sont toutefois pas tenus personnellement de rembourser la dette.
      • Leur part dans le bien indivis constitue la seule garantie accordée au créancier.
      • A cet égard, si la vente forcée du bien grevé est réalisée, le produit de la vente est réparti entre le créancier hypothécaire et les coïndivisaires en fonction de leurs droits respectifs.
  • Hypothèque consentie par un indivisaire agissant seul
    • Constitution par un seul indivisaire
      • Un indivisaire peut, sous certaines conditions, constituer une hypothèque portant sur sa seule quote-part dans un bien indivis.
      • Cette hypothèque, bien que permise, est juridiquement limitée et subordonnée à l’issue du partage, conformément à l’article 2412 du Code civil.
      • L’hypothèque constituée par un indivisaire agissant seul ne peut grever que ses droits indivis dans le bien.
      • Elle est inopposable aux autres indivisaires et n’a aucun effet sur la totalité du bien indivis.
      • Aussi, l’efficacité finale de cette hypothèque est conditionnée au résultat des opérations de partage.
      • Tant que le partage n’a pas attribué le bien au constituant, les effets de l’hypothèque demeurent aléatoire et suspendus.
      • Cette hypothèque, bien que valable entre le créancier et le constituant, est donc tributaire du devenir du bien dans l’indivision.
    • Effets du partage sur l’hypothèque
      • Le sort de l’hypothèque constituée par un seul indivisaire est déterminé par l’effet déclaratif du partage, qui rétroagit à la date d’ouverture de l’indivision.
      • Si le bien hypothéqué est attribué à l’indivisaire constituant au terme du partage, l’hypothèque est consolidée rétroactivement.
      • Cette rétroactivité confère au créancier un droit de préférence sur le bien, le plaçant en position de force pour recouvrer sa créance.
      • Dans un arrêt du 1er octobre 2020, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’hypothèque d’un immeuble indivis conserve son effet quel que soit le résultat du partage si elle a été consentie par tous les indivisaires. Dans le cas contraire, elle ne conserve son effet que dans la mesure où l’indivisaire qui l’a consentie est, lors du partage, alloti du ou de ces immeubles indivis ou, lorsque l’immeuble est licité à un tiers, si cet indivisaire est alloti du prix de la licitation. » (Cass. 3e civ. 1er oct. 2020, n°19-20.007).
      • Il se déduit de cette décision que, si, à l’inverse, le bien est attribué à un autre indivisaire, l’hypothèque devient caduque.
      • Le créancier ne dispose alors d’aucun moyen juridique pour exiger le paiement sur ce bien.
      • Cette situation s’explique par l’effet déclaratif du partage en ce sens que l’indivisaire est réputé n’avoir jamais été propriétaire du bien attribué à autrui.

==>La fiducie

La fiducie, mécanisme juridique introduit en droit français par la loi n°2007-211 du 19 février 2007, est un acte de disposition qui consiste à transférer temporairement un bien à un fiduciaire, à charge pour ce dernier de le gérer dans un but déterminé.

Lorsqu’elle concerne un bien indivis, la constitution d’une fiducie est strictement encadrée.

Tout d’abord, l’accord de tous les coïndivisaires est indispensable pour transférer le bien indivis dans le patrimoine fiduciaire.

À défaut de cet accord, l’acte de fiducie sera inopposable aux indivisaires non consentants.

Ensuite, la fiducie, en tant qu’acte de disposition, suit le même régime que les autres actes de cette nature.

Ainsi, si un seul indivisaire tente de constituer une fiducie sur l’intégralité d’un bien indivis, cette dernière ne produira d’effet que pour sa quote-part.

S’agissant des effets de la fiducie sur un bien indivis, ils dépendent du sort du bien lors du partage.

Si le bien mis en fiducie est attribué au constituant lors du partage, la fiducie est rétroactivement consolidée et produit tous ses effets.

Dans l’hypothèse, en revanche, où le bien indivis est attribué à un autre indivisaire, la fiducie devient inefficace, car le constituant n’a jamais été pleinement propriétaire du bien transféré.

Le fiduciaire devra alors restituer le bien à l’indivisaire auquel il est attribué.

iii. Gestion Locative

La gestion locative d’un bien indivis soulève des questions complexes, notamment en raison de l’application stricte de la règle de l’unanimité prévue par l’article 815-3 du Code civil.

Cette règle s’applique aussi bien lorsque les indivisaires sont propriétaires du bien donné à bail que lorsqu’ils sont locataires indivis d’un bien.

α: Les indivisaires sont propriétaires du bien indivis loué

==>Conclusion du Bail

La conclusion d’un bail portant sur un bien indivis requiert généralement l’unanimité des indivisaires, sauf pour certains baux soumis à des régimes spécifiques.

  • Principe de l’unanimité
    • Les baux portant sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal sont considérés comme des actes de disposition en raison de l’importance des droits conférés au preneur.
    • Aussi, conformément à l’article 815-3 du Code civil, la décision de conclure un tel bail nécessite l’accord unanime des coïndivisaires.
    • À défaut, le bail est inopposable aux indivisaires non signataires.
    • La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 27 octobre 1992, que « le bail d’un bien indivis consenti par un seul des indivisaires n’est pas nul ; il est seulement inopposable aux autres indivisaires et son efficacité est subordonnée aux résultats du partage » (Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n°90-21.173).
  • Exception
    • En application de l’article 815-3 « les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal » peuvent être conclus par un ou des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis, sous réserve d’information préalable des autres indivisaires.

==>Actes intervenant en cours de bail

Pendant la durée du bail, différentes demandes émanant du locataire peuvent intervenir.

Ces demandes sont soumises à des règles de majorité ou d’unanimité selon leur nature et leurs conséquences sur l’indivision.

  • Demandes de travaux ou d’aménagements
    • Les demandes de travaux ou d’aménagements par le locataire sont soumises à des règles qui diffèrent selon leur impact sur le bien indivis.
    • En application de l’article 815-3, alinéa 2 du Code civil, les actes de gestion courante, tels que des travaux mineurs ou nécessaires à l’entretien du bien, peuvent être décidés par une majorité des indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Lorsque, en revanche, les travaux proposés touchent à la structure même du bien (modifications substantielles) ou entraînent un changement de destination, ils ne relèvent pas de l’exploitation normale des biens indivis et nécessitent dès lors le consentement unanime des indivisaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil.
  • Demande de sous-location ou de cession du bail
    • Une sous-location ou une cession de bail confère des nouveaux droits au locataire.
    • A ce titre, cette opération constitue un acte sortant de l’exploitation normale du bien indivis.
    • Pour cette raison, il est admis qu’elle nécessite une décision unanime des indivisaires.
  • Demande de révision du loyer
    • La révision du loyer est traditionnellement considérée comme un acte d’administration.
    • Aussi, conformément à l’article 815-3, alinéa 2 du Code civil, une telle demande peut être traitée par les indivisaires représentant deux tiers des droits indivis.

==>Fin du bail

La fin du bail peut donner lieu à deux issues différentes : la poursuivre des rapports locatifs ou leur cessation.

  • La poursuite des rapports locatifs
    • Renouvellement du bail
      • Le renouvellement explicite d’un bail obéit aux mêmes règles que celles encadrant sa conclusion :
      • Lorsque le renouvellement du bail intéresse un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, alors il s’analyse en un acte de disposition.
      • L’acte de renouvellement requiert dès lors une décision prise à l’unanimité des indivisaires (V. en ce sens Cass. 3e civ. 18 avr. 1985, n°84-10.083).
      • Dans l’hypothèse, en revanche, où il s’agit de renouveler un bail ne portant pas sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, alors l’acte de renouvellement peut être accompli par le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis
    • Prorogation du bail
      • La prorogation du bail se définit comme le report volontaire du terme du contrat, convenu entre les parties, permettant de prolonger les relations locatives au-delà de l’échéance initialement fixée.
      • Cette prorogation peut intervenir à la demande explicite des parties ou découler de l’absence de résiliation au terme du bail.
        • La prorogation explicite
          • Il est admis, en application de l’article 815-3 du Code civil, que la prorogation du bail s’analyse en un acte d’administration.
          • Il en résulte qu’elle peut être décidée, en principe, par une majorité représentant au moins deux tiers des droits indivis.
          • Toutefois, dans l’hypothèse où la prorogation consentie conduirait à un report de longue durée ou à une modification significative des conditions du bail, alors elle pourrait être considérée comme constituant un acte étranger à l’exploitation normal du bien indivis.
          • Dans ce cas, l’unanimité des indivisaires serait alors requise, sauf à obtenir une autorisation judiciaire sur le fondement de l’article 815-5 du Code civil.
          • Il peut être observé qu’une prorogation qui aurait été décidée unilatéralement par un indivisaire pourrait être ratifiée a posteriori sur le fondement de la gestion d’affaires (article 1301 et suivants du Code civil), à condition qu’elle soit démontrée utile à tous les indivisaires (V. en ce sens Cass. 3e civ., 5 mai 1999, n°97-17.570).
        • La tacite reconduction ou prorogation implicite
          • La tacite reconduction, bien que distincte de la prorogation, peut s’analyser en une prolongation implicite du bail lorsque les parties poursuivent leurs relations locatives sans opposition à l’échéance du contrat.
          • Aussi, elle obéit aux mêmes règles que la prorogation explicite :
          • En principe, la tacite reconduction s’analyse en un acte d’administration, de sorte qu’elle n’est pas soumise à la règle de l’unanimité (V. en ce sens Cass. com. 22 mai 1973, n°71-12.731).
          • En revanche, si elle donne lieu à la prolongation du bail pour une durée qui dépasse le cadre de l’exploitation normale du bien indivis, alors elle ne peut être accordée qu’à la condition que tous les indivisaires y aient consenti.
  • La Cessation des rapports locatifs
    • Résiliation par le locataire
      • Le locataire doit notifier son congé à tous les indivisaires pour qu’il soit valide.
      • Dans un arrêt du 11 juillet 2007, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « lorsqu’un bail commercial a été consenti par des propriétaires indivis et hormis le cas où l’un de ceux-ci a reçu mandat du ou des autres indivisaires, le congé donné par le preneur doit, pour être valable, avoir été délivré à chacun des propriétaires indivis » (Cass. 3e civ. 11 juill. 2007, n°06-12.210).
      • Cette exigence découle du principe selon lequel tous les coïndivisaires ont des droits égaux sur le bien indivis et doivent être informés des actes pouvant affecter ces droits.
    • Congé donné par les indivisaires
      • La résiliation d’un bail par les indivisaires nécessite une analyse au cas par cas pour déterminer s’il s’agit d’un acte d’administration ou de disposition.
        • Actes d’administration
          • Il est admis que le congé relève de la catégorie des actes d’administration, lorsqu’il n’affecte pas de façon substantielle les droits des indivisaires.
          • Il en va ainsi pour un congé donné avec offre de renouvellement pour un bail d’habitation soumis à la loi du 6 juillet 1989.
          • Tel est encore le cas pour un congé donné avec refus de renouvellement d’un bail professionnel, sans indemnité d’éviction.
          • La jurisprudence a admis que ces situations s’inscrivaient dans le cadre d’une gestion normale des biens indivis, ne nécessitant pas l’unanimité dès lors que l’acte n’entraîne pas de conséquences préjudiciables pour l’indivision.
        • Actes de disposition
          • Un congé peut être regardé comme constituant un acte de disposition, lorsqu’il affecte de manière significative la valeur ou l’usage du bien indivis.
          • En pareil hypothèse, le congé requiert l’adoption d’une décision à l’unanimité des indivisaires.
          • Tel sera le cas, par exemple, pour un congé portant sur un bail commercial, agricole, industriel ou artisanal, particulièrement en cas de paiement d’une indemnité d’éviction.
          • Il en va également ainsi en cas de délivrance d’un congé assorti d’une offre de vente du bien indivis.
      • Dans un arrêt du 9 juin 2011, la Cour de cassation a précisé que, dans la mesure où l’indivision est dépourvue de la personnalité juridique, l’acte doit être délivré au nom de chacun des indivisaires (Cass. 2e civ. 9 juin 2011, n°10-19.241).
      • Il peut toutefois être observé que, en l’absence de mention des noms de tous les indivisaires, l’irrégularité peut être couverte par la saisie de la juridiction par chaque indivisaire pris individuellement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2001, n°00-10.731).
      • De façon générale, l’irrégularité résultant de la délivrance d’un congé qui aurait été pris en violation de la règle de l’unanimité ou de la majorité peut être couverte par la ratification a posteriori des indivisaires non consentants.
      • Cette ratification peut être tout autant expresse (V. en ce sens Cass. 3e civ. 11 juin 1970, n°67-13.761) que tacite (Cass. soc. 6 mai 1965).
      • Dans un arrêt du 12 mars 1970, la Cour de cassation a précisé que « le congé donné par un coindivisaire sans l’accord des autres est nul, s’il n’a pas été ratifié ou confirmé ; que cette confirmation doit être certaine et ne peut se présumer » (Cass. 3e civ. 12 mars 1970, n°69-10.161).
    • Expulsion et mesures conservatoires
      • L’expulsion d’un locataire d’un bien indivis est un acte dont la nature juridique dépend des circonstances entourant la demande.
      • Elle peut constituer un acte d’administration, nécessitant l’accord de plusieurs indivisaires, ou une mesure conservatoire, justifiant une initiative unilatérale dans des situations spécifiques.
        • L’expulsion comme acte d’administration
          • Conformément à l’article 815-3, alinéa 2 du Code civil, il est admis que l’acte d’expulsion relève du cadre de l’exploitation normal du bien indivis.
          • A ce titre, l’expulsion d’un locataire, s’analyse en un acte d’administration qui, dès lors, peut être pris à la majorité des indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis.
          • A cet égard dans un arrêt du 16 novembre 2017, la Cour de cassation a jugé que « la délivrance d’un commandement de quitter les lieux, signifié en exécution d’un titre d’expulsion, constitue une mesure nécessaire à la conservation du bien indivis qui n’implique donc pas le consentement d’indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis » (Cass. 2e civ. 16 nov. 2017, n°16-23.173).
        • L’expulsion comme mesure conservatoire
          • Lorsque la situation présente un caractère urgent ou une menace immédiate pour les droits collectifs des indivisaires, elle justifie qu’un indivisaire seul puisse prendre une mesure conservatoire.
          • Dans un arrêt du 4 juillet 2012, la Cour de cassation a admis que l’acte d’expulsion pris par un indivisaire agissant seul puisse être qualifié de mesure conservatoire.
          • Aux termes de cette décision, elle a affirmé que « ‘action engagée par le mandataire-liquidateur tendant à l’expulsion d’occupants sans droit ni titre et au paiement d’une indemnité d’occupation, qui avait pour objet la conservation des droits des coïndivisaires, entrait dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul, sans avoir à justifier d’un péril imminent » (Cass. 1ère civ. 4 juill. 2012, n°10-21.967).

β: Les Indivisaires sont titulaires d’un droit au bail en indivision

Il est des cas où le droit au bail sera détenu en indivision. Cette situation peut résulter notamment du décès du locataire. La question qui alors se pose est de savoir comment s’opère la répartition des obligations pesant sur les coindivisaires, mais également comment il peut être mis fin au bail.

==>Les obligations des locataires indivis

Les locataires indivis sont tenus par une obligation conjointe, ce qui signifie que chaque indivisaire est débiteur à proportion de sa quote-part dans l’indivision, sauf disposition contractuelle contraire.

Cette règle limite la responsabilité de chacun à la fraction des droits qu’il détient dans le bien loué.

Ainsi, un indivisaire possédant un quart des droits indivis n’est tenu que pour 25 % des loyers ou des frais de réparations locatives.

Toutefois, certaines obligations inhérentes à la nature même de la location, en raison de leur caractère indivisible, s’imposent à tous les indivisaires, sans distinction de leurs parts respectives.

En effet, certaines obligations revêtent un caractère indivisible et engagent tous les indivisaires en tant qu’unité :

  • L’entretien des parties communes, essentiel à la conservation de l’immeuble, incombe à l’ensemble des locataires indivis, qui doivent agir collectivement pour garantir la pérennité des lieux ;
  • La destination des lieux, dont la modification requiert l’accord unanime des indivisaires, constitue une obligation commune, en ce qu’elle préserve l’usage du bien conformément aux stipulations contractuelles.

Lorsqu’une clause de solidarité est stipulée dans le contrat de bail, les indivisaires locataires deviennent débiteurs solidaires.

Cette clause permet au bailleur de réclamer la totalité des loyers ou des frais de réparations à un seul indivisaire, lequel dispose ensuite d’un droit de recours contre ses co-locataires pour obtenir le remboursement des sommes versées au-delà de sa quote-part.

==>Le renouvellement et la résiliation du bail

  • Résiliation par un indivisaire
    • Un indivisaire, agissant seul, ne peut valablement mettre fin au bail indivis.
    • Cette restriction découle de l’article 815-3 du Code civil, qui impose l’unanimité pour tout acte qui ne relève pas de l’exploitation normale du bien indivis.
    • Parce que la résiliation d’un bail affecte de façon significative les droits de tous les indivisaires, elle s’analyse en un acte de disposition qui requiert l’unanimité.
    • Dans un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de cassation a jugé en ce sens « qu’à défaut d’autorisation de justice, chacun des coïndivisaires ne pouvait mettre fin au bail qu’avec l’accord de tous » (Cass. 3e civ. 23 mars 1994, n°92-10.360).
    • Est-ce à dire que, en cas de désaccord, l’indivisaire souhaitant mettre fin au bail reste prisonnier ?
    • Il n’en est rien. Il est admis que le congé donné par un indivisaire produira ses effets pour lui-même sans mettre fin au bail.
    • La Cour de cassation en a tiré la conséquence que ce dernier ne sera plus tenu au paiement des loyers dus postérieurement à la date de prise d’effet du congé (Cass. 3e civ. 21 nov. 1990, 89-14.827), sauf à ce que le bail comporte une clause de solidarité.
  • Renouvellement du bail
    • S’agissant du renouvellement d’un bail qui donne lieu à la naissance d’un nouveau contrat, il y a lieu de distinguer selon que le bail concerné porte ou non sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.
      • Le bail porte sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal
        • Dans cette hypothèse, l’acte de renouvellement du bail est soumis à la règle de l’unanimité ; tous les indivisaires doivent consentir à l’opération.
      • Le bail ne porte pas sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal
        • Dans cette hypothèse, l’acte de renouvellement peut être accompli par des indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis.
    • En cas de violation de la règle de l’unanimité ou de la majorité, l’acte de renouvellement est réputé inopposable aux indivisaires non consentants.

iv. Construction sur un bien indivis

Toute transformation affectant la substance d’un bien indivis s’analyse en un acte de disposition, dépassant ainsi le simple cadre d’un acte de gestion courante.

Tel est notamment le cas de l’édification d’une construction sur le bien indivis, qui constitue une modification substantielle de son état. Une telle action requiert dès lors le consentement unanime des indivisaires, faute de quoi elle peut être regardée comme une atteinte portée au bien d’autrui.

Cette règle est ancienne ; elle a été affirmée par la Cour de cassation dès la fin du XIXe siècle (Cass. civ., 28 févr. 1894, S. 1896. 1. 209, note C. Lyon-Caen). Elle a, par suite, été réaffirmée par la Troisième chambre civile dans un arrêt du 22 février.1984 (Cass. 3e civ. 22 févr. 1984).

L’unanimité des coïndivisaires est donc un préalable indispensable à toute construction affectant le bien indivis, sous peine de nullité.

Lorsqu’une construction est édifiée sur un terrain indivis sans l’accord unanime des coïndivisaires, plusieurs questions juridiques se posent, tant sur la propriété des constructions que sur leur sort futur.

==>Propriété des constructions

Il est de jurisprudence constante que, en l’absence d’une convention contraire, les constructions édifiées sur un terrain indivis deviennent elles-mêmes indivises dans les mêmes proportions que celles du terrain (V. en ce sens Cass. 3e civ., 9 mars 1994, n°92-12.971).

Ainsi, l’indivisaire ayant réalisé seul la construction ne peut revendiquer de droit exclusif sur celle-ci. Ce principe repose sur la théorie de l’accession prévue par l’article 551 du Code civil.

Aussi, la propriété indivise s’étend aux constructions, sans distinction entre le terrain et les édifications qu’il supporte.

Il peut être observé que les règles générales applicables aux constructions sur un bien indivis ne trouvent pas à s’appliquer dans le cadre spécifique d’un régime matrimonial de communauté.

En effet, l’article 1406, alinéa 1er, du Code civil, introduit par la loi du 13 juillet 1965, énonce une règle dérogatoire aux termes de laquelle les biens édifiés sur un terrain propre à l’un des époux sont considérés comme des biens propres.

La jurisprudence a fait application de cette règle à plusieurs reprises, notamment en jugeant que le principe d’accession prévu à l’article 552 du Code civil s’applique en faveur de l’époux propriétaire du terrain.

Ainsi, les constructions réalisées sur un bien propre ne tombent pas en communauté. Dans un arrêt du 6 juin 1990, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’immeuble bâti sur le terrain propre à l’un des époux pendant la durée du mariage et à l’aide de fonds provenant de la communauté constitue lui-même un bien propre » (Cass. 1ère civ. 6 juin 1990, n°88-10.532).

Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence plus ancienne, qui reconnaissait déjà le caractère propre des constructions érigées sur un terrain propre (Cass. 1re civ., 24 oct. 1960).

Plus récemment, la Cour de cassation a réaffirmé cette règle, laquelle s’applique y compris dans le cas où le bien est utilisé conjointement par les époux (Cass. com. 24 juin 2003, n°00-14.645).

==>Sort des constructions

Le sort des constructions édifiées sans l’accord des coïndivisaires dépend des circonstances dans lesquelles elles ont été réalisées.

Deux options s’offrent aux coindivisaires non consentants : la démolition ou la conservation.

  • La démolition de la construction
    • Les coïndivisaires peuvent solliciter la démolition des constructions non autorisées.
    • A cet égard, la démolition est souvent considérée comme une mesure conservatoire nécessaire pour mettre fin à un trouble illicite (Cass. 3e, 24 oct. 1990, n°88-18.233).
    • Par ailleurs, il peut être observé que, dans une affaire emblématique, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’exigence de démolition d’une construction édifiée sans autorisation ne constituait pas une violation du droit de propriété, mais servait un « intérêt général légitime » en préservant le bon fonctionnement de l’indivision (CEDH, 24 juin 2003, A. c/ S., req. n° 35179/97).
  • La conservation de la construction
    • À défaut de demande de démolition, les constructions deviennent automatiquement des biens indivis.
    • Dans un arrêt du 9 mars 1994n la Cour de cassation a ainsi affirmé que « les constructions élevées sur un immeuble indivis par l’un des propriétaires deviennent propriété commune des coïndivisaires si leur démolition n’est pas demandée » (Cass. 3e civ. 9 mars 1994, n°92-12.971).
    • Cette intégration de la construction dans l’indivision repose sur le principe de l’accession (art. 551 C. civ.), qui confère à la communauté indivise la propriété des édifications.
    • Toutefois, l’indivisaire constructeur peut, sous certaines conditions, demander une indemnisation au titre des impenses utiles ou nécessaires, en application de l’article 815-13 du Code civil.
    • Cette indemnité est calculée en fonction de l’enrichissement de l’indivision ou de la valeur des dépenses engagées.

v. Affectation d’un bien indivis à une activité professionnelle

==>Principe général : l’accord unanime des coïndivisaires

L’affectation d’un bien indivis à une activité professionnelle constitue un acte dépassant le cadre d’un acte de gestion courante.

En vertu de l’article 815-3 du Code civil, de tels actes relèvent de la catégorie des actes de disposition et nécessitent l’accord unanime de tous les indivisaires. À défaut, une telle affectation est inopposable aux coïndivisaires non consentants.

L’application de la règle de l’unanimité trouve sa justification dans la transformation significative de la destination initiale du bien indivis qu’implique son affectation à une activité professionnelle.

Ce changement peut exposer l’ensemble des indivisaires aux risques inhérents à l’activité, y compris les poursuites des créanciers professionnels de l’indivisaire entrepreneur.

==>Le cadre spécifique de l’EIRL (avant sa suppression en 2022)

La loi n° 2010-658 du 15 juin 2010 avait introduit le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL), permettant à un entrepreneur d’affecter certains biens à son patrimoine professionnel tout en protégeant ses biens personnels.

Pour les biens indivis, l’article L. 526-11 du Code de commerce exigeait expressément l’accord unanime des coïndivisaires pour une telle affectation.

Toutefois, l’EIRL souffrait de plusieurs limites :

  • Formalités contraignantes : la déclaration d’affectation devait être réalisée auprès d’un registre professionnel, avec un modèle type d’accord des coïndivisaires.
  • Risques pour les coïndivisaires : bien que le bien indivis restât juridiquement partagé, l’affectation conférait aux créanciers professionnels de l’EIRL un droit de poursuite exclusif sur le bien affecté.

En cas d’absence d’accord des coïndivisaires ou de non-respect des formalités, l’affectation était sanctionnée par une inopposabilité, rendant l’acte inefficace à l’égard des autres indivisaires.

==>La réforme de 2022 : suppression de l’EIRL et instauration d’un nouveau cadre pour l’entrepreneur individuel

La loi n° 2022-172 du 14 février 2022, entrée en vigueur le 15 mai 2022, a supprimé le régime de l’EIRL.

Désormais, le régime unifié de l’entrepreneur individuel, prévu à l’article L. 526-22 du Code de commerce, consacre une séparation automatique entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur, sans nécessiter les formalités auparavant imposées.

Points notables de la réforme :

  • Séparation patrimoniale automatique : les créanciers professionnels ne peuvent agir que sur le patrimoine professionnel, tandis que les créanciers personnels sont limités au patrimoine personnel.
  • Absence de dispositions spécifiques sur les biens indivis : contrairement au régime de l’EIRL, le nouveau cadre ne prévoit pas expressément les modalités d’affectation des biens indivis. Dès lors, le droit commun de l’indivision retrouve son application, impliquant l’exigence d’un accord unanime pour affecter un bien indivis à une activité professionnelle.

Sans l’accord unanime des coïndivisaires, l’affectation d’un bien indivis est inopposable. Cela protège les droits des indivisaires non consentants et empêche les créanciers professionnels d’exercer des poursuites sur ce bien.

Par ailleurs, l’affectation ne modifie pas le statut indivis du bien. En cas de partage ultérieur, le bien reste soumis aux règles de l’indivision, à moins que l’entrepreneur n’en devienne le propriétaire exclusif par effet déclaratif du partage.

Si l’affectation est déclarée inopposable, les créanciers professionnels de l’entrepreneur ne peuvent exercer leur droit de poursuite sur le bien indivis. Ils devront alors se limiter au patrimoine personnel de l’entrepreneur ou au reste de son patrimoine professionnel.

vi. Actions en justice

==>Le principe d’unanimité

L’action en justice impliquant un bien indivis relève, en principe, de la catégorie des actes nécessitant l’accord unanime de tous les coïndivisaires.

Ce principe découle de la nécessité de protéger les intérêts collectifs de l’indivision et de préserver les droits de chaque indivisaire (art. 815-3 C. civ.).

Ainsi, toute procédure affectant substantiellement l’indivision, telle qu’une action en suppression d’ouvrages irrégulièrement édifiés ou une demande d’annulation de bail, requiert la participation ou l’accord explicite de l’ensemble des indivisaires.

Toutefois, cette règle connaît des tempéraments, notamment dans les hypothèses où l’action exercée ne compromet pas les droits de l’ensemble des indivisaires ou vise à sauvegarder des intérêts particuliers.

==>Les exceptions au principe d’unanimité

  • Les actions conservatoires
    • Un indivisaire peut agir seul pour accomplir des actes conservatoires, c’est-à-dire ceux destinés à prévenir un péril imminent ou à préserver le bien indivis.
    • Ces actions, par nature urgentes, ne nécessitent pas l’unanimité dès lors qu’elles visent à protéger le patrimoine commun sans altérer de manière significative les droits des autres indivisaires.
    • Par exemple, un indivisaire peut mettre en demeure un locataire de régler un loyer impayé ou agir en réparation pour préserver l’intégrité du bien indivis (art. 815-2 C. civ.).
  • Les actions en défense d’un intérêt personnel
    • Lorsqu’un indivisaire agit pour protéger un intérêt personnel, il peut le faire sans avoir à obtenir l’accord des autres coïndivisaires.
    • Ce principe est régulièrement affirmé par la jurisprudence.
    • Dans un arrêt du 15 juin 1994, la Cour de cassation a ainsi jugé que « tout indivisaire, pour assurer la protection de ses droits indivis, peut agir seul en justice à l’encontre d’un autre coïndivisaire ayant passé un acte sans son consentement et au mépris des dispositions de l’article 815-3 du Code civil » (Cass. 3e civ. 15 juin 1994, n°92-15.608).
    • Dans ce cas, l’action vise à faire respecter les droits individuels de l’indivisaire sans engager directement l’indivision dans son ensemble.
  • Les actions ayant pour objet le respect des règles d’ordre public
    • Lorsqu’un indivisaire agit pour garantir le respect d’une disposition d’ordre public, il ne s’agit pas d’un acte affectant directement l’indivision mais d’une démarche visant à prévenir une atteinte grave à un principe essentiel.
    • En ce sens, ces actions transcendent les considérations propres à l’indivision.
    • C’est la raison pour laquelle, la jurisprudence a admis que la protection des règles d’ordre public justifie que tout indivisaire puisse intervenir seul en justice.
    • Par exemple, dans un arrêt du 17 mars 1992, la Cour de cassation a affirmé qu’un indivisaire pouvait agir seul pour obtenir l’annulation d’un acte entaché de fraude, au motif que « la fraude corrompt tout » et que le respect de ce principe constitue une exigence d’ordre public (Cass. 1ère civ. 17 mars 1992, n°90-14.547).
    • Il est également admis qu’un indivisaire peut agir seul pour exiger l’application de sanctions prévues par la loi.
    • Par exemple, si un tiers occupe illégalement un bien indivis, un indivisaire peut demander en justice l’expulsion de ce dernier, même sans l’accord des autres coïndivisaires, dès lors que l’occupation illégale constitue un trouble à l’ordre public.
    • Les actions visant à garantir le respect de règles impératives, telles que les règles d’urbanisme, relèvent également de cette catégorie.
    • Un indivisaire pourrait ainsi agir de son propre chef pour contester des travaux réalisés sur le bien indivis en méconnaissance des autorisations administratives nécessaires.
    • Bien que ces actions puissent être engagées par un seul indivisaire, elles doivent rester compatibles avec l’intérêt commun de l’indivision.
    • Toute action manifestement abusive ou contraire à cet intérêt pourrait être contestée par les autres coïndivisaires.
    • Cependant, en l’absence de preuve, la nature impérative des règles en question prime sur les exigences procédurales de l’indivision.
    • Enfin, il peut être observé que les décisions rendues dans le cadre de ces actions ont vocation à s’imposer non seulement aux coïndivisaires mais également aux tiers concernés. Ainsi, un jugement annulant un acte illicite ou ordonnant une mesure conservatoire protège à la fois les droits de l’indivision et l’intégrité du cadre légal.

==>Aspects procéduraux

L’indivision, bien que regroupant des indivisaires autour d’un patrimoine commun, ne constitue pas une entité juridique distincte.

Contrairement aux sociétés ou aux associations, elle ne bénéficie d’aucune personnalité juridique.

Cette spécificité a des conséquences majeures sur la capacité d’agir en justice pour défendre ou représenter les intérêts attachés au patrimoine indivis.

Il en résulte que ce sont les indivisaires eux-mêmes qui doivent, en leur nom propre, ester en justice, que ce soit en demande ou en défense.

  • Les indivisaires en demande
    • L’indivision étant dépourvue de personnalité juridique, une action en justice concernant un bien indivis ne saurait être exercée au nom et pour le compte de cette dernière.
    • Ce sont donc les indivisaires qui doivent agir, individuellement ou collectivement, en fonction de la nature de l’action envisagée.
    • A cet égard, si une action est intentée sans respecter les règles de majorité ou d’unanimité, elle peut être déclarée inopposable aux autres indivisaires.
    • La Cour de cassation a jugé, en ce sens, que l’absence de consentement unanime rendait l’action juridiquement inefficace à l’égard des indivisaires non représentés (Cass. 3e civ., 25 avr. 2001, n°99-14.368).
  • Les indivisaires en défense
    • Une action en justice intentée contre l’indivision doit viser tous les indivisaires.
    • L’absence de mise en cause de certains indivisaires rend la décision rendue inopposable à ces derniers
    • Dans un arrêt du 12 juin 2013, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’action introduite contre un seul indivisaire est recevable, la décision rendue sur celle-ci étant inopposable aux autres indivisaires à défaut de mise en cause de ceux-ci » (Cass. 1ère civ. 12 juin 2013, n°11-23.137).

c. Les sanctions en cas de violation du principe

Le principe d’unanimité, édicté à l’article 815-3 alinéa 3 du Code civil, impose que tout acte de disposition ou tout acte étranger à l’exploitation normale des biens indivis soit soumis au consentement de tous les indivisaires.

Toutefois, si le législateur a clairement énoncé ce principe comme une règle cardinale de l’indivision, il n’a pas corrélativement précisé les sanctions applicables en cas de violation.

La question s’est alors rapidement posée de savoir quelle devait être la sanction applicable.

==>L’exclusion de la nullité comme sanction de principe

La nullité, qui constitue traditionnellement la sanction de la méconnaissance des conditions de validité d’un acte juridique, pourrait sembler, au premier abord, la réponse appropriée à la violation du principe d’unanimité énoncé à l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil.

Cependant, cette solution radicale a été écartée par la jurisprudence et la doctrine pour mieux s’adapter aux spécificités de l’indivision.

Deux considérations majeures justifient ce choix : d’une part, la nature particulière du droit indivis, et d’autre part, l’effet déclaratif du partage, qui confère une dynamique singulière au régime de l’indivision.

  • La nature particulière du droit indivis
    • L’indivision repose sur une articulation subtile entre droits individuels et propriété collective.
    • Chaque indivisaire est titulaire d’un droit de propriété sur sa quote-part indivise, ce qui lui confère une légitimité à agir, même en l’absence de consentement unanime des autres.
    • Il ne peut donc être assimilé à un tiers entièrement dépourvu de droits sur le bien indivis.
    • Cette spécificité distingue fondamentalement l’indivisaire de l’auteur d’un acte irrégulier dans un contexte juridique classique.
    • Ainsi, l’acte accompli par un indivisaire sans le consentement de ses coïndivisaires ne saurait être considéré comme totalement nul.
    • Il conserve une validité restreinte, limitée à la portion indivise de l’auteur de l’acte.
    • Cette approche procède du principe selon lequel nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en détient.
    • L’acte, bien qu’irrégulier, n’est pas intrinsèquement dépourvu d’effet, mais sa portée est circonscrite.
    • L’exclusion de la nullité vise également à protéger les tiers cocontractants, qui, agissant de bonne foi, ne doivent pas voir leurs droits systématiquement anéantis par l’irrespect du principe d’unanimité.
    • En conséquence, dans les rapports entre l’auteur de l’acte et le cocontractant, la validité partielle de l’acte préserve une certaine sécurité juridique, tout en laissant aux coïndivisaires la possibilité de contester son opposabilité à leur égard.
  • L’effet déclaratif du partage
    • Le partage, en tant que mécanisme de dissolution de l’indivision, exerce une influence décisive sur le sort des actes passés pendant la période d’indivision.
    • En vertu de son effet déclaratif, tel qu’énoncé à l’article 883 du Code civil, le partage attribue à chaque indivisaire la propriété exclusive des biens compris dans son lot, avec une rétroactivité remontant à l’ouverture de l’indivision.
    • Autrement dit, chaque indivisaire est juridiquement réputé avoir toujours été le seul propriétaire des biens qui lui sont attribués lors du partage.
    • Cette rétroactivité ne constitue pas une simple fiction juridique, mais un principe qui redéfinit en profondeur les droits des indivisaires et les actes qu’ils ont pu accomplir.
    • Elle confère une singularité aux actes passés par un indivisaire seul, en conditionnant leur validité ou leur efficacité au résultat du partage.
    • En effet, ces actes, bien qu’irréguliers au regard du principe d’unanimité, ne sont pas définitivement remis en cause : leur sort dépend de l’attribution des biens dans le cadre du partage.
    • Si le bien objet de l’acte est attribué à l’auteur lors du partage, l’acte irrégulier est rétroactivement consolidé.
    • Ce mécanisme couvre alors l’irrégularité initiale en attribuant à l’auteur une propriété exclusive sur le bien concerné, validant ainsi l’acte dès son origine.
    • En revanche, si le bien est attribué à un autre indivisaire, l’acte est anéanti rétroactivement, comme s’il n’avait jamais existé.
    • Ce mécanisme permet de préserver les droits des indivisaires tout en assurant la sécurité des tiers cocontractants, qui bénéficient ainsi d’une stabilisation juridique de l’acte dans les cas où l’attribution rétroactive vient en confirmer la légitimité.

==>L’inopposabilité comme sanction adaptée

Dans le cadre de l’indivision, la violation de la règle de l’unanimité n’emporte pas la nullité de l’acte accompli par un seul indivisaire.

La jurisprudence privilégie la sanction de l’inopposabilité, distinguant ainsi les effets de l’acte selon les parties concernées.

  • Entre l’auteur de l’acte et son cocontractant
    • Dans les relations entre l’indivisaire auteur d’un acte irrégulier et son cocontractant, l’acte demeure valable, mais sa portée est limitée à la quote-part détenue par l’auteur sur le bien indivis.
    • Ce principe découle de la nature du droit indivis, qui confère à chaque indivisaire une propriété partielle sur la chose commune.
    • Aussi, cela permet à l’indivisaire d’accomplir des actes juridiques valables à hauteur de ses droits, même en l’absence de consentement unanime des autres indivisaires.
      • Validité partielle de l’acte : une application du principe nemo plus juris
        • Lorsqu’un indivisaire agit seul pour conclure un acte de disposition, comme une vente, ou un acte d’administration, comme un bail, l’acte conserve une existence juridique dans les limites des droits que l’auteur peut légitimement transférer.
        • Ce principe, inspiré de la règle nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet (nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en détient), garantit la validité partielle de l’acte pour la quote-part indivise de l’auteur.
        • Ainsi, le tiers cocontractant, agissant de bonne foi, bénéficie d’une sécurité juridique relative, à condition que l’acte ne dépasse pas les droits que l’indivisaire pouvait transférer.
      • Illustration jurisprudentielle : la cession d’un bien indivis
        • La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt du 21 septembre 2016 (Cass. 1ère civ. 21 sept. 2016, n°15-24.023).
        • Dans cette décision, elle a jugé que « la cession d’un bien indivis par un seul indivisaire est opposable aux coïndivisaires à concurrence de la quote-part de son auteur ».
        • Cet arrêt illustre le fait qu’un acte passé par un indivisaire seul conserve sa validité pour la fraction du bien correspondant à sa part indivise, tout en respectant les droits des autres indivisaires par le biais de l’inopposabilité.
      • Application spécifique aux baux conclus par un indivisaire
        • Concernant les baux, la Cour de cassation a également confirmé ce principe.
        • Dans un arrêt du 12 avril 1995, elle a jugé qu’un bail consenti par un indivisaire seul est valide dans les relations entre le preneur et l’indivisaire bailleur, mais inopposable aux autres indivisaires qui n’ont pas donné leur consentement (Cass. 3e civ., 12 avr. 1995, n°92-20.732).
        • Cette distinction garantit la stabilité des rapports contractuels entre l’indivisaire et le preneur, tout en protégeant les droits des coïndivisaires.
  • Entre l’auteur de l’acte et les autres indivisaires
    • Dans le régime de l’indivision, un acte accompli par un seul indivisaire sans le consentement des autres coïndivisaires est frappé d’inopposabilité à l’égard de ces derniers.
    • Cette sanction spécifique, alternative à la nullité, vise à préserver les droits des indivisaires non consentants tout en laissant l’acte subsister entre l’auteur et son cocontractant.
      • L’inopposabilité : une protection des droits des coïndivisaires
        • L’inopposabilité a pour effet de neutraliser les effets de l’acte à l’égard des indivisaires non consentants, sans en remettre en cause la validité dans les rapports entre l’auteur de l’acte et le tiers cocontractant.
        • Cette distinction permet d’éviter qu’un acte irrégulier ne porte atteinte aux droits indivis des coïndivisaires, tout en assurant une certaine sécurité juridique au tiers ayant contracté avec l’indivisaire.
        • La Cour de cassation a illustré ce principe dans un arrêt du 12 avril 1995 aux termes duquel elle a jugé qu’un bail consenti par un indivisaire seul, sans l’accord des autres, même s’il bénéficie d’une date certaine, est inopposable aux autres indivisaires (Cass. 3e civ., 12 avr. 1995, n°92-20.732).
        • Cet arrêt souligne que l’absence de consentement unanime rend l’acte inopposable à ceux dont les droits pourraient être affectés, tout en maintenant la validité du bail dans les relations entre le bailleur et le preneur.
      • L’effet suspensif de l’inopposabilité jusqu’au partage
        • L’inopposabilité neutralise les effets de l’acte jusqu’à l’issue du partage.
        • Si, à l’issue du partage, le bien concerné est attribué à l’indivisaire auteur de l’acte, celui-ci est consolidé rétroactivement.
        • À l’inverse, si le bien est attribué à un autre indivisaire, l’acte demeure inopposable et ses effets sont définitivement écartés à l’égard des coïndivisaires non consentants.
        • La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt du 15 juin 1994 où elle a jugé que la vente d’un bien indivis conclue par un seul indivisaire sans le consentement des autres est inopposable à ces derniers, son efficacité étant subordonnée au résultat du partage (Cass. 1ère civ., 15 juin 1994, n°91-20.633)
      • Application pratique aux baux et ventes
        • Dans un arrêt du 3 février 2016, la Cour de cassation a jugé qu’un bail consenti par un indivisaire sans le consentement des autres coïndivisaires est inopposable à ces derniers (Cass. 1ère civ. 3 févr. 2016, n°14-26.060).
        • Cet arrêt confirme que l’acte, bien que valide dans les rapports entre l’auteur et le preneur, ne peut produire d’effets à l’égard des autres indivisaires.
        • De même, en matière de vente, la Première chambre civile a précisé dans un arrêt du 27 octobre 1992, que la cession d’un bien indivis par un seul indivisaire, sans accord unanime, est inopposable aux coïndivisaires, sauf ratification ultérieure (Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n°90-21.173).

==>Cas particulier du décès de l’auteur de l’acte irrégulier

Si l’indivisaire auteur de l’acte décède, ses héritiers, en acceptant la succession, sont tenus de garantir les obligations nées de l’acte et ne peuvent en contester la validité.

En tant que successeurs universels, ils assument les engagements pris par le défunt. Dans un arrêt du 15 mai 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si un indivisaire, après avoir consenti seul des baux sur des biens indivis, décède en laissant pour héritiers ses coïndivisaires, ceux-ci sont tenus, s’ils acceptent purement et simplement la succession, de garantir les conventions passées par leur auteur, peu important qu’ils aient eu la volonté de ratifier cet acte » (Cass. 3e civ. 15 mai 2008, n°07-14.655).

2. Tempéraments à la règle de l’unanimité

La règle de l’unanimité n’est pas de portée absolue, elle souffre de tempéraments au nombre desquels figurent :

  • D’une part, la représentation
  • D’autre part, la gestion d’affaires

a. La représentation

Le principe de l’unanimité, consacré à l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil, constitue une garantie essentielle pour la protection des droits de chaque indivisaire.

Cependant, son application stricte peut engendrer des blocages, notamment en cas de désaccords entre coïndivisaires, rendant parfois difficile, voire impossible, une gestion efficace des biens indivis.

Pour remédier à cet écueil, le législateur a instauré des mécanismes de représentation, permettant de confier la gestion de l’indivision à un mandataire agissant au nom et pour le compte des indivisaires, sans nécessiter leur consentement unanime.

Ces mécanismes, véritables outils d’assouplissement de la règle de l’unanimité, peuvent revêtir deux formes principales : la représentation conventionnelle, qu’elle soit expresse (article 813 du Code civil) ou tacite (article 815-3, alinéa 4 du Code civil).

Par la représentation expresse, les indivisaires peuvent désigner un mandataire pour accomplir des actes de gestion, selon un mandat général ou spécial, offrant ainsi une flexibilité adaptée aux besoins de l’indivision.

Quant à la représentation tacite, elle permet de présumer l’existence d’un mandat lorsque l’un des indivisaires prend en main la gestion des biens indivis avec la connaissance et sans opposition des autres.

En complément, la possibilité d’une représentation judiciaire est prévue par l’article 815-4, alinéa 1er du Code civil, bien que cette option concerne des situations spécifiques et fera l’objet d’un traitement distinct.

Ces divers dispositifs, en conciliant efficacité et préservation des droits des indivisaires, s’inscrivent dans une volonté d’éviter l’immobilisme tout en respectant l’équilibre nécessaire à une gestion équitable de l’indivision.

i. La représentation expresse

==>Le principe du recours à la représentation expresse

Le recours à la représentation expresse constitue une dérogation majeure au principe d’unanimité traditionnellement applicable en matière de gestion des biens indivis.

Ce mécanisme, consacré par l’article 815-3 du Code civil, permet aux indivisaires de déléguer la gestion de l’indivision à l’un d’entre eux ou à un tiers, facilitant ainsi l’accomplissement des actes nécessaires à l’administration des biens.

La représentation expresse repose sur l’idée que l’unanimité peut être contournée, soit par un mandat général d’administration couvrant les actes de gestion courante, soit par un mandat spécial visant des opérations spécifiques.

Ce principe, renforcé par la réforme de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, vise à fluidifier la gestion des indivisions souvent bloquées par des désaccords entre coïndivisaires, tout en préservant les droits fondamentaux des parties concernées.

==>Les conditions du recours à la représentation expresse

  • Majorité requise
    • Conformément à l’article 815-3, alinéa 1er, 2° du Code civil, « le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité […] donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ».
    • Cette règle marque une évolution par rapport à l’exigence d’unanimité antérieurement prévue, sauf en matière d’administration de parts sociales, où l’unanimité reste requise (Cass. 1re civ., 15 déc. 2010, n° 09-10.140).
    • En matière successorale, l’article 813 du Code civil impose également un commun accord des héritiers pour la désignation d’un mandataire, ce qui n’est pas sans être en contradiction avec la règle de majorité énoncée à l’article 815-3, al. 1er, 2° du Code civil.
    • La doctrine majoritaire considère toutefois que l’unanimité prévue à l’article 813 doit prévaloir, en raison de son caractère plus protecteur des droits des indivisaires minoritaires.
  • Typologie de mandat
    • Dans le silence des textes, le mandat donné par les indivisaires en vertu de l’article 815-3, alinéa 1er du Code civil peut être général ou spécial, selon l’objet des actes à accomplir et leur portée sur le patrimoine indivis.
      • Mandat général
        • Le mandat général confère au mandataire le pouvoir d’accomplir tous les actes d’administration courante relatifs aux biens indivis.
        • Ces actes, définis comme ceux qui n’altèrent pas de manière significative la structure ou la valeur du patrimoine indivis, incluent notamment :
          • La gestion locative, telle que la perception des loyers, la gestion des relations avec les locataires ou encore la délivrance de quittances ;
          • Les travaux d’entretien, nécessaires à la conservation des biens et à leur exploitation normale, comme le nettoyage ou les petites réparations.
        • Ce mandat présente l’avantage de ne pas nécessiter la régularisation d’un nouveau mandat pour chaque acte à accomplir par le mandataire.
        • Un seul mandat général, établi une fois pour toutes, suffit à couvrir l’ensemble des actes d’administration courante, qu’ils soient présents ou futurs, dans les limites fixées par la volonté des indivisaires.
      • Mandat spécial
        • Les actes de disposition, en raison de leur gravité et de leurs implications patrimoniales, nécessitent un mandat spécial, conformément aux articles 1984 et 1988 du Code civil.
        • Ce mandat doit définir avec précision :
          • La nature des actes autorisés, tels que la vente d’un bien indivis, l’hypothèque d’un immeuble ou encore la conclusion de baux commerciaux dépassant le cadre d’une gestion normale ;
          • L’étendue des pouvoirs conférés au mandataire, incluant les limites éventuelles à l’exercice de ces pouvoirs.
        • Les actes de disposition ne peuvent être accomplis qu’avec une autorisation explicite, afin de préserver les droits des indivisaires et d’éviter tout abus.
        • La jurisprudence veille également à encadrer ces mandats pour garantir la protection des indivisaires minoritaires.
        • Ainsi, la Cour de cassation a jugé que la vente d’un bien indivis ne peut être valablement réalisée qu’en vertu d’un mandat spécial (Cass. 1re civ., 12 juin 2013, n° 12-17.419).
        • À la différence du mandat général, un mandat spécial doit être régularisé chaque fois qu’un acte de disposition est envisagé, ou, à tout le moins, chaque fois que les indivisaires entendent recourir au mécanisme de la représentation expresse pour accomplir un tel acte.
  • Formalisme et preuve
    • Mandat général
      • Aucun formalisme spécifique n’est imposé par les textes pour le mandat général.
      • Il peut être établi verbalement ou par écrit, mais un écrit est vivement conseillé pour prévenir tout litige, notamment afin de clarifier les intentions des parties et d’éviter les contestations ultérieures.
      • La preuve d’un mandat verbal reste néanmoins admise dans certaines circonstances, particulièrement dans un cadre familial ou commercial, comme l’a reconnu la Cour de cassation dans un arrêt du 16 juin 1987 (Cass. 1re civ., 16 juin 1987, n° 84-17.840).
    • Mandat spécial
      • Contrairement au mandat général, le mandat spécial nécessite un formalisme plus strict.
      • Un écrit est indispensable, car il permet de définir précisément la nature des actes autorisés et l’étendue des pouvoirs conférés au mandataire.
      • Cette exigence garantit la protection des droits des indivisaires, en particulier pour les actes de disposition qui peuvent avoir des répercussions importantes sur le patrimoine indivis.
      • L’absence d’écrit pourrait exposer le mandat à des contestations, notamment sur l’interprétation des pouvoirs conférés ou sur la validité des actes accomplis.
  • Révocation
    • Le mandat, qu’il soit général ou spécial, peut être révoqué par les indivisaires mandants à tout moment.
    • Toutefois, lorsqu’il s’agit d’un mandat d’intérêt commun – notamment lorsque le mandat a été confié à un indivisaire ou à un tiers pour protéger un intérêt partagé par tous les indivisaires – la révocation requiert également le consentement du mandataire (CA Paris, 18 déc. 1998, n° 1996/84624.
    • Cette limitation vise à éviter que la révocation unilatérale ne porte atteinte à l’équilibre des intérêts en jeu dans la gestion de l’indivision.

==>Le domaine du recours à la représentation expresse

Le domaine d’application de la représentation expresse s’étend à de nombreux actes juridiques :

  • Les actes d’administration
    • Le mandat général confère au mandataire la possibilité de réaliser des actes relevant de l’administration ordinaire des biens indivis.
    • Cela inclut, par exemple, l’encaissement des loyers, la gestion des relations locatives ou la prise en charge des travaux d’entretien.
    • Ces actes sont directement rattachés à l’exploitation normale des biens indivis et ne requièrent pas l’unanimité des indivisaires (article 815-3, alinéa 1er).
  • Les actes de disposition
    • Les actes qui modifient de manière significative la structure du patrimoine indivis, tels que la vente ou l’hypothèque d’un bien, nécessitent un mandat spécial, en vertu de l’article 1988 du Code civil.
    • Ces actes, en raison de leur gravité, doivent répondre à des exigences de forme strictes pour être valables.
  • Particularités en indivision successorale
    • L’article 813 du Code civil prévoit un cadre spécifique pour la désignation d’un mandataire en indivision successorale.
    • Si les héritiers peuvent confier un mandat à l’un d’eux ou à un tiers, la désignation d’un mandataire judiciaire est requise lorsque l’un des héritiers a accepté la succession à concurrence de l’actif net (article 813, alinéa 2).
    • Cette exigence vise à garantir une gestion impartiale dans des contextes potentiellement conflictuels.
  • Mandat confié à un tiers
    • Le recours à un tiers comme mandataire est désormais expressément admis par les articles 813 et 815-3 du Code civil.
    • Cette option présente l’avantage de garantir une gestion neutre et impartiale, particulièrement dans les indivisions conflictuelles.
    • La jurisprudence avait déjà validé cette possibilité avant la réforme entreprise par la loi du 23 juin 2006 (Cass. 1re civ., 16 juin 1987, n° 84-17.840).

ii. La représentation tacite

==>Reconnaissance légale de la représentation tacite

La représentation tacite, bien qu’ayant donné lieu à des débats doctrinaux au XIXe siècle, est reconnue par l’article 815-3, alinéa 4 du Code civil, introduit par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976.

Cette disposition établit une présomption légale permettant à un indivisaire de représenter les autres sans qu’un mandat exprès soit nécessaire, dès lors que certaines conditions sont réunies.

Le texte prévoit en ce sens que « si un indivisaire prend en main la gestion des biens indivis, au su des autres et néanmoins sans opposition de leur part, il est censé avoir reçu un mandat tacite, couvrant les actes d’administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux ».

Cette règle s’inspire des mécanismes déjà présents en matière de régimes matrimoniaux, notamment dans les articles 1432 et 1540 du Code civil, qui prévoient des présomptions similaires entre époux. Elle introduit ainsi une flexibilité dans la gestion des indivisions, permettant de contourner les rigidités inhérentes à la règle de l’unanimité.

==>Notion de représentation tacite

La représentation tacite repose sur une présomption légale, ce qui la distingue du mandat exprès.

Elle se caractérise par l’absence de manifestation formelle de volonté entre les indivisaires, tant pour le mandant que pour le mandataire.

L’article 815-3, alinéa 4, institue une fiction juridique selon laquelle un indivisaire, ayant pris en main la gestion des biens indivis au vu et au su des autres sans opposition de leur part, est réputé avoir reçu un mandat tacite.

==>Les conditions de la représentation tacite

La mise en œuvre de la représentation tacite repose sur deux conditions cumulatives clairement définies par l’article 815-3, alinéa 4 du Code civil : la connaissance des coïndivisaires et l’absence d’opposition.

  • La connaissance des autres indivisaires
    • L’établissement d’un mandat tacite suppose, en premier lieu, que les coïndivisaires soient informés des actes accomplis par l’indivisaire qui prend en main la gestion des biens indivis.
    • Cette condition repose sur une exigence de transparence et d’information, nécessaire pour éviter tout abus de la part du mandataire tacite.
    • L’article 815-3, alinéa 4, souligne l’importance que les actes de gestion soient réalisés « au su des autres », c’est-à-dire de manière visible et connue de tous.
    • La connaissance peut résulter d’une information directe ou d’une simple constatation des actes posés par l’indivisaire mandataire.
    • Il n’est pas nécessaire que les coïndivisaires soient consultés ou qu’ils aient expressément approuvé les actes, mais leur silence doit être fondé sur une prise de conscience de la gestion en cours.
    • Par exemple, dans un arrêt du 12 mars 1997, la Cour de cassation a admis l’existence d’un mandat tacite dans une situation où un indivisaire avait représenté les autres lors d’assemblées générales de copropriété, sans opposition explicite de leur part (Cass. 3e civ., 12 mars 1997, n°94-16.766).
    • Si les autres indivisaires n’ont pas été informés ou n’ont pas eu la possibilité de prendre connaissance des actes réalisés, la présomption de mandat tacite ne peut être retenue.
    • Dans un arrêt du 12 juin 2013, la Cour de cassation a ainsi précisé que l’absence de preuve d’une information suffisante empêchait de considérer qu’un mandat tacite avait été conféré (Cass. 1ère civ., 12 juin 2013, n°12-17.419).
  • L’absence d’opposition
    • La deuxième condition de validité du mandat tacite est l’absence d’opposition des coïndivisaires à la gestion entreprise par l’indivisaire.
    • Cette absence d’opposition constitue une forme de consentement tacite, permettant à l’indivisaire gestionnaire d’agir sans formalisation préalable d’un mandat exprès.
    • L’opposition doit être claire, non équivoque et portée à la connaissance de l’indivisaire gestionnaire.
    • Une opposition implicite ou un simple désaccord non exprimé ne suffisent pas à faire obstacle à la présomption de mandat.
    • L’opposition peut intervenir à tout moment et met immédiatement fin à la représentation tacite pour l’avenir.
    • Dans un arrêt du 11 octobre 2000 a jugé en ce sens que l’opposition exprimée avant l’exécution des actes éteignait la présomption de mandat tacite (Cass. 3e civ., 11 oct. 2000, n°99-10.216).
    • Une fois les actes réalisés, un coïndivisaire ne peut revenir sur son absence d’opposition pour contester rétroactivement la validité des actes.
    • A cet égard, il est admis que l’opposition n’a pas à être renouvelée pour chaque acte si elle vise une gestion globale ou un domaine spécifique.
    • En revanche, si l’opposition porte uniquement sur un bien indivis déterminé, le mandat tacite peut subsister pour les autres biens (V. en ce sens Cass. 3e civ., 12 avril 1995, n° 92-20.732)

==>Domaine de la représentation tacite

La représentation tacite, prévue par l’article 815-3, alinéa 4 du Code civil, repose donc sur une présomption légale permettant à un indivisaire de gérer les biens indivis pour le compte de tous, sous réserve de certaines conditions.

Ce texte, introduit par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976, prévoit expressément que le mandat tacite « couvre les actes d’administration mais non les actes de disposition ni la conclusion ou le renouvellement des baux ».

Aussi, tous les actes ne sont pas couverts par le mandat tacite, l’objectif recherché par le législateur étant de préserver un équilibre entre la souplesse de gestion des biens indivis et la protection des droits des coïndivisaires.

  • Actes couverts par le mandat tacite
    • Conformément à l’article 815-3, alinéa 4 du Code civil, seuls les actes d’administration relèvent du domaine du mandat tacite.
    • Ces actes, indispensables à la gestion courante, comprennent notamment :
      • Travaux de conservation et d’amélioration
        • Les travaux visant à maintenir ou améliorer l’état des biens indivis relèvent des actes d’administration.
        • Dans un arrêt du 10 octobre 1995, la Cour de cassation a jugé que de tels travaux, entrepris par un indivisaire au su des autres et sans opposition de leur part, étaient valablement couverts par un mandat tacite.
        • Les coïndivisaires, en l’espèce, ont été tenus solidairement au paiement des frais engagés (Cass. 1re civ., 10 oct. 1995, n° 93-14.788).
      • Perception des loyers et entretien courant
        • Les opérations régulières, telles que la perception des revenus issus des biens indivis ou leur entretien, entrent également dans le cadre du mandat tacite.
        • Ces actes visent à assurer la continuité de la gestion et à préserver la valeur des biens indivis.
      • Paiement des charges et taxes
        • Le règlement des dépenses liées à l’entretien ou aux charges fiscales constitue un acte d’administration nécessaire, dès lors qu’il s’inscrit dans l’intérêt commun des coïndivisaires.
  • Actes exclus par le mandat tacite
    • L’article 815-3, alinéa 4 précise que les actes de disposition, ainsi que la conclusion ou le renouvellement des baux, ne peuvent être accomplis sans un mandat exprès.
      • Actes de disposition
        • Les actes modifiant de manière significative la structure patrimoniale de l’indivision, tels que la vente d’un bien indivis ou la souscription d’une hypothèque, sont exclus du mandat tacite.
        • Dans un arrêt du 23 mai 1995 la Cour de cassation a ainsi considéré que l’acceptation d’une notification relative à une condition résolutoire stipulée dans un acte de vente ne relevait pas d’un acte d’administration (Cass. 3e civ., 23 mai 1995, n° 93-10.617).
        • Ce type d’acte exige un mandat exprès, garantissant une décision éclairée et concertée des indivisaires.
      • Conclusion et renouvellement de baux
        • En raison des droits conférés aux preneurs et de leurs conséquences sur la jouissance et la valorisation des biens, la conclusion ou le renouvellement de baux nécessite un mandat spécial exprès.
        • La Cour de cassation a fait application de cette règle dans un arrêt du 25 octobre 2005 aux termes duquel elle a rappelé qu’un mandat tacite ne permettait pas de couvrir la conclusion d’un bail rural (Cass. 1ère civ., 25 oct. 2005, n°03-14.320).
  • Actes soulevant des difficultés de qualification
    • L’article 815-3, alinéa 4 du Code civil dispose que le mandat tacite ne couvre que les actes d’administration, à l’exclusion des actes de disposition, ainsi que de la conclusion ou du renouvellement de baux.
    • Cette distinction, en apparence claire, peut toutefois poser des difficultés dans certaines situations, en raison de la nature hybride de certains actes, nécessitant une appréciation au cas par cas.
    • Cette difficulté de qualification peut être illustrée par un arrêt de la Cour de cassation rendu le 23 mai 1995 (Cass. 3e civ., 23 mai 1995, n°93-10.617).
    • Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer si l’acceptation d’une notification mettant en œuvre une condition résolutoire pouvait être couverte par un mandat tacite.
    • Deux indivisaires avaient vendu un bien indivis sous condition résolutoire stipulant qu’aucun recours contre le permis de construire ne devait être engagé.
    • Un recours ayant été formé, l’acquéreur notifia cette condition à l’un des indivisaires, qui avait pris en charge la gestion de la vente au su de l’autre, sans opposition.
    • La Cour d’appel considéra que cet acte était bien couvert par un mandat tacite, car se limitant à porter à la connaissance du vendeur l’existence d’un fait juridique.
    • Cependant, la Cour de cassation cassa cette décision considérant que l’acceptation d’une notification mettant en œuvre une condition résolutoire constituait un acte de disposition, lequel ne saurait être couvert par un mandat tacite. Un mandat exprès était donc nécessaire.
    • Un autre exemple révélateur des difficultés de qualification concerne l’emprunt contracté dans le cadre d’une indivision.
    • La Cour de cassation a eu à connaître de cette question dans un arrêt du 12 novembre 1986 (Cass. 1re civ., 12 nov. 1986, n° 85-12.238).
    • Dans cette affaire, deux indivisaires, anciens époux, étaient copropriétaires d’une exploitation agricole acquise durant leur mariage sous le régime de la séparation de biens.
    • Pendant la période d’indivision, l’un des indivisaires, le mari, avait emprunté des fonds auprès de ses parents pour régler une partie du passif de l’exploitation agricole.
    • Après leur divorce, l’autre indivisaire, l’ex-épouse, fut condamnée à rembourser la moitié de cet emprunt, au titre de sa part dans l’indivision.
    • La question posée ici portait sur la qualification juridique d’un emprunt contracté par un indivisaire : cet acte pouvait-il être considéré comme un acte d’administration, susceptible d’être couvert par un mandat tacite, ou devait-il être qualifié d’acte de disposition, nécessitant alors l’établissement préalable d’un mandat exprès ?
    • L’hypothèse de l’acte d’administration repose sur la finalité de l’emprunt, qui visait ici à financer les frais indispensables à la gestion courante de l’exploitation agricole indivise. Dans ce cadre, un mandat tacite pourrait être reconnu, l’acte s’inscrivant dans le prolongement des opérations nécessaires à la préservation et à l’administration des biens indivis.
    • L’hypothèse de l’acte de disposition, en revanche, trouve appui sur les conséquences financières importantes et durables d’un emprunt, lesquelles justifient traditionnellement qu’il soit qualifié d’acte de disposition, excluant de fait la possibilité de recourir à un mandat tacite.
    • Entre ces deux approches, la Cour de cassation a retenu la première, celle adoptée par les juges du fond, qui avaient implicitement retenu l’existence d’un mandat tacite conféré par l’ex-épouse à son coïndivisaire.
    • Cette dernière a, en effet, estimé que, bien que l’emprunt soit par nature un acte grave, il pouvait, au regard des circonstances spécifiques, être rattaché à l’administration de l’indivision.
    • Cette solution repose sur le constat que l’emprunt avait pour objet de régler le passif de l’exploitation agricole, une opération jugée nécessaire pour assurer la gestion et la pérennité des biens indivis.
    • Elle doit toutefois être appréhendée avec prudence.
    • La Cour de cassation n’a nullement établi un principe général selon lequel un emprunt pourrait être systématiquement couvert par un mandat tacite.
    • La qualification demeure étroitement liée aux circonstances de chaque affaire, et un mandat exprès reste requis dans les cas où l’emprunt dépasse les besoins de la gestion courante de l’indivision.

b. La gestion d’affaires

L’article 815-4, alinéa 2, du Code civil institue un mécanisme subsidiaire permettant de régir les actes accomplis par un indivisaire en l’absence de mandat ou d’habilitation judiciaire.

Ce mécanisme repose sur les règles générales de la gestion d’affaires énoncées aux articles 1301 et suivants du Code civil.

==>Le principe du recours à la gestion d’affaires

L’article 815-4, alinéa 2, du Code civil prévoit que « à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice, les actes faits par un indivisaire en représentation d’un autre ont effet à l’égard de celui-ci, suivant les règles de la gestion d’affaires. »

Cette disposition, introduite par la loi du 31 décembre 1976, confère la faculté à un indivisaire d’agir pour le compte des autres sans autorisation préalable formalisée, en s’appuyant sur les règles générales de la gestion d’affaires, codifiées aux articles 1301 et suivants du Code civil.

Ce mécanisme trouve son fondement dans l’idée qu’il est parfois impératif d’agir rapidement pour préserver les intérêts communs, notamment face à des circonstances urgentes ou imprévues.

Pour mémoire, la gestion d’affaires, définie à l’article 1301 du Code civil, repose sur l’intervention spontanée d’une personne dans les affaires d’autrui, « sans y être tenue », mais en agissant « sciemment et utilement […] à l’insu ou sans opposition du maître de cette affaire ».

Elle se distingue ainsi par trois caractéristiques essentielles :

  • Une initiative volontaire : le gérant agit sans y être contraint et sans avoir reçu un mandat.
  • Un objectif d’utilité : les actes accomplis doivent répondre à l’intérêt du maître de l’affaire.
  • L’absence d’opposition : le maître de l’affaire ne doit pas s’être opposé à l’intervention.

Le mécanisme de la gestion d’affaires combine une logique individualiste – interdisant toute immixtion injustifiée dans les affaires d’autrui – et une logique sociale, qui valorise les interventions désintéressées lorsqu’elles répondent à une nécessité impérieuse.

A cet égard, la gestion d’affaires ne peut intervenir qu’à titre subsidiaire, lorsqu’aucun autre mécanisme légal ou conventionnel n’est disponible.

L’emploi des termes « à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice » souligne cette vocation d’ultime recours, destinée à pallier l’inertie ou la paralysie de l’indivision.

Ainsi, se distingue-t-elle du mandat, qui repose sur un accord de volontés, ou de l’habilitation judiciaire, qui nécessite l’intervention d’un juge.

Ce caractère subsidiaire justifie que la gestion d’affaires soit encadrée par des conditions strictes, visant à prévenir les abus tout en assurant la protection des intérêts collectifs des indivisaires.

==>Les conditions du recours à la gestion d’affaires

Pour que la gestion d’affaires puisse être mise en œuvre, plusieurs conditions doivent être réunies :

  • Absence de pouvoir légal ou conventionnel
    • La gestion d’affaires n’intervient qu’à défaut de solutions conventionnelles ou légales.
    • L’article 815-4, alinéa 2, du Code civil précise que ce mécanisme n’est mobilisable qu’« à défaut de pouvoir légal, de mandat ou d’habilitation par justice ».
    • Cette vocation résolument subsidiaire de la gestion d’affaires est destinée à éviter la paralysie de l’administration des biens indivis lorsque les moyens habituels de représentation font défaut.
    • Par exemple, en l’absence d’un mandat conféré à l’un des indivisaires ou d’une décision judiciaire habilitant un gérant, un indivisaire peut agir spontanément pour pallier une situation critique.
    • Ce caractère supplétif garantit que la gestion d’affaires reste une exception et non un substitut régulier aux dispositifs prévus par la loi ou les conventions.
  • Intérêt collectif des indivisaires
    • Le gérant d’affaires doit agir exclusivement dans l’intérêt commun de l’indivision et non pour des motifs personnels.
    • Les actes accomplis doivent être utiles à l’ensemble des indivisaires et répondre à une nécessité collective
    • À titre d’exemple, des travaux de conservation ou d’entretien visant à éviter la dégradation d’un bien indivis sont typiquement couverts par ce mécanisme (V. en ce sens Cass. 1re civ., 15 mai 1974, n°72-11.417).
    • Toutefois, si le gérant agit dans son seul intérêt ou détourne son intervention à des fins personnelles, les autres indivisaires peuvent contester la validité de ses actes.
  • Nécessité et opportunité des actes
    • La gestion d’affaires s’applique uniquement aux actes nécessaires ou opportuns.
    • Ces derniers doivent viser à répondre à une urgence ou à préserver les intérêts patrimoniaux de l’indivision.
    • Par exemple :
      • Actes justifiés
        • La réalisation de travaux urgents pour prévenir des dommages, tels que réparer une toiture endommagée, constitue un acte indispensable couvert par la gestion d’affaires.
        • Ces actions visent à éviter une perte de valeur ou une détérioration irréversible du bien.
      • Actes non justifiés
        • En revanche, des actes tels que la conclusion d’un bail à un prix dérisoire avec un proche ou la vente d’un bien indivis sans l’accord des autres indivisaires excèdent le cadre de la gestion d’affaires.
        • Ces actes, s’ils sont contraires à l’intérêt collectif ou réalisés dans des conditions préjudiciables à l’indivision, peuvent être contestés et annulés.
    • Cette exigence de nécessité et d’opportunité impose également au gérant d’agir avec diligence et prudence, en accomplissant ses actes dans le respect des circonstances et des besoins réels de l’indivision.

==>Les effets de la gestion d’affaires

Les actes réalisés par un indivisaire dans le cadre de la gestion d’affaires, lorsqu’ils respectent les conditions prévues par la loi, produisent des effets obligatoires à l’égard de tous les coïndivisaires.

Ces derniers se trouvent liés par ces actes, dans la mesure où ils ont été accomplis dans l’intérêt commun de l’indivision et en conformité avec les principes de nécessité et d’utilité.

  • Obligation de remboursement des dépenses engagées
    • Conformément à l’article 1301-2 du Code civil, les coïndivisaires sont tenus de rembourser au gérant d’affaires les dépenses qu’il a engagées pour la conservation ou la gestion des biens indivis, dès lors qu’elles s’avèrent nécessaires ou utiles.
    • La jurisprudence a ainsi reconnu que des travaux urgents, tels que la réparation d’une toiture pour éviter des infiltrations ou des dépenses destinées à prévenir la détérioration d’un bien indivis, relèvent de cette catégorie.
    • Ces actions, indispensables pour préserver la valeur des biens, imposent une obligation de remboursement aux coïndivisaires.
    • Le remboursement couvre non seulement les frais engagés pour les travaux ou les réparations, mais aussi les dépenses accessoires nécessaires à leur réalisation, à condition qu’elles soient proportionnées à l’intérêt commun.
  • Limites et possibilité de contestation
    • Les coïndivisaires peuvent contester les actes du gérant d’affaires si ceux-ci ne respectent pas l’intérêt collectif ou causent un préjudice à l’indivision.
    • La jurisprudence admet, par exemple, qu’un acte manifestement désavantageux pour l’indivision, comme la conclusion d’un bail à un prix inférieur au marché avec un proche du gérant, puisse être annulé.
    • Une telle situation constitue un manquement à l’obligation de loyauté et au devoir de préserver l’intérêt commun.
    • En cas de préjudice avéré, le gérant d’affaires fautif peut être tenu de réparer le dommage causé.
    • Cette responsabilité repose sur le principe selon lequel la gestion doit être exercée de manière prudente et raisonnable.
  • Exigence de diligence et responsabilité du gérant
    • L’article 1301-1 du Code civil impose au gérant d’affaires d’accomplir sa mission « avec les soins d’une personne raisonnable ».
    • Cette exigence implique notamment que les actes réalisés répondent aux nécessités de la situation et ne dépassent pas l’exploitation normale des biens indivis.
    • Si le gérant agit de manière imprudente ou excessive, il peut être privé du droit au remboursement des dépenses engagées. De surcroît, sa responsabilité civile peut être engagée s’il a causé un préjudice aux autres indivisaires.

B) Les actes soumis à la règle de la majorité

En matière d’indivision, le principe d’unanimité s’impose traditionnellement comme une garantie fondamentale du droit de propriété, requérant l’accord de tous les indivisaires pour toute décision relative à la gestion ou à la disposition des biens indivis.

Toutefois, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 est venue assouplir cette rigueur en introduisant, à l’article 815-3 du Code civil, une règle de majorité permettant aux indivisaires détenteurs d’au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions sans le consentement unanime de leurs coïndivisaires.

Cette innovation législative, conçue pour faciliter la gestion des indivisions, marque une rupture avec le régime classique et relativise l’égalité juridique entre indivisaires en lui substituant une pondération économique basée sur les parts détenues.

Néanmoins, ce mécanisme reste encadré par des limites strictes, tant dans son domaine d’application que dans ses modalités, afin de prévenir les abus de droit et de préserver les intérêts des indivisaires minoritaires.

1. La détermination des actes soumis à la règle de la majorité

L’article 815-3, al. 1er du Code civil prévoit que le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :

  • Effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis ;
  • Donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ;
  • Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision ;
  • Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

a. Les actes d’administration

Depuis la réforme introduite par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, les actes d’administration relatifs aux biens indivis peuvent être accomplis à la majorité des deux tiers des droits indivis.

La question qui alors se pose est alors de savoir en quoi consiste un acte d’administration. Quelles sont les opérations concernées ?

Si l’on se réfère au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, « constituent des actes d’administration les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal. »

Il s’infère de cette définition que les actes d’administration se caractérisent par deux critères fondamentaux :

  • D’une part, ils visent à préserver et valoriser le patrimoine de manière ordinaire, dans le cadre d’une gestion conforme à sa destination économique. Ces actes doivent s’inscrire dans un usage courant, en tenant compte des besoins normaux de conservation et d’exploitation du bien, sans compromettre sa substance ni sa pérennité.
  • D’autre part, ils doivent être dépourvus de risques anormaux. Cela implique que les décisions prises ne doivent ni exposer le patrimoine à des pertes importantes ni engendrer des modifications substantielles de son contenu ou de sa valeur.

Cette approche trouve également écho dans la doctrine, qui considère que l’acte d’administration est intrinsèquement lié à une gestion normale et ordinaire du bien indivis, tout en s’inscrivant dans une logique économique respectueuse de sa destination et de sa substance.

En d’autres termes, il s’agit d’un acte qui tend à préserver, entretenir ou exploiter les biens sans altérer leurs caractéristiques essentielles.

A cet égard, la notion d’exploitation normale constitue un critère central pour délimiter les actes d’administration.

Selon les travaux préparatoires de la loi de 2006 et les interprétations doctrinales, elle se réfère à des actes qui :

  • S’inscrivent dans le cycle économique habituel : les opérations doivent viser à maintenir ou valoriser le bien dans sa destination usuelle, comme la mise en location d’un immeuble d’habitation ou la perception des revenus locatifs.
  • Respectent l’intégrité du bien : toute décision susceptible de porter atteinte à la substance du bien, que ce soit par une modification de sa substance ou de sa finalité économique, ne saurait être qualifiée d’acte d’administration.
  • Évitent tout risque anormal : un acte qui expose le patrimoine à des pertes potentielles ou à une dépréciation importante excède le cadre de l’administration.

Ainsi, des travaux d’entretien nécessaires, des réparations usuelles ou des améliorations utiles, comme la rénovation d’un immeuble pour en maintenir la valeur, répondent pleinement à ce critère.

En revanche, des actes transformant significativement la nature ou l’usage du bien, comme convertir un immeuble résidentiel en local commercial, seraient exclus du champ de l’administration normale.

Le décret précité, bien qu’applicable à la gestion des patrimoines des personnes protégées, offre des éclairages précieux pour la qualification des actes d’administration, notamment dans le contexte de l’indivision.

Selon ce texte, relèvent des actes d’administration :

  • Actes portant sur les immeubles
    • Convention de jouissance précaire (art. 426, al. 2, du code civil) ;
    • Conclusion et renouvellement d’un bail de neuf ans au plus en tant que bailleur (art. 595 et 1718 du code civil) ou preneur ;
    • Bornage amiable de la propriété de la personne protégée ;
    • Travaux d’améliorations utiles, aménagements, réparations d’entretien des immeubles de la personne protégée ;
    • Résiliation du bail d’habitation en tant que bailleur ;
    • Prêt à usage et autre convention de jouissance ou d’occupation précaire ;
    • Déclaration d’insaisissabilité des immeubles non professionnels de l’entrepreneur individuel (art. 1526-1 du code de commerce) ;
    • Mainlevée d’une inscription d’hypothèque en contrepartie d’un paiement.
  • Actes portant sur les meubles corporels et incorporels
    • Ouverture d’un premier compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (art. 427, al. 4, du code civil) ;
    • Emploi et remploi de sommes d’argent qui ne sont ni des capitaux ni des excédents de revenus (art. 468 et 501 du code civil) ;
    • Emploi et remploi des sommes d’argent non judiciairement prescrits par le juge des tutelles ou le conseil de famille (art. 501 du code civil) ;
    • Perception des revenus ;
    • Réception des capitaux ;
    • Quittance d’un paiement ;
    • Demande de délivrance d’une carte bancaire de retrait ;
    • Paiements des dettes y compris par prélèvement sur le capital ;
    • Octroi de délai raisonnable en vue du recouvrement de créances ;
    • Résiliation d’un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (art. 500, al. 3, du code civil) ;
    • Actes de gestion d’un portefeuille, y compris les cessions de titres à condition qu’elles soient suivies de leur remplacement ;
    • Exercice du droit de vote dans les assemblées, sauf ce qui est dit à propos des ordres du jour particuliers ;
    • Demandes d’attribution, de regroupement ou d’échanges de titres ;
    • Vente des droits ou des titres formant rompus ;
    • Souscription à une augmentation de capital, sauf ce qui est dit sur le placement de fonds ;
    • Conversion d’obligations convertibles en actions admises à la négociation sur un marché réglementé ;
    • Louage-prêt-emprunt-vente-échange-dation et acquisition de meubles d’usage courant ou de faible valeur ;
    • Perception des fruits ;
    • Location d’un coffre-fort.

b. Le mandat général d’administration

L’article 815-3, al. 1er, 2 prévoit que « le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité […] donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ».

Pour mémoire, le mandat général d’administration s’inscrit dans une logique de représentation expresse permettant à un ou plusieurs indivisaires majoritaires de confier la gestion de l’indivision à un mandataire, qu’il s’agisse d’un indivisaire ou d’un tiers.

Cette délégation constitue une dérogation importante au principe de l’unanimité, traditionnellement applicable en matière d’administration des biens indivis.

Ce mécanisme poursuit deux objectifs majeurs?:

  • Fluidifier la gestion : en délégant la gestion quotidienne des biens à un mandataire, il devient possible de réaliser des actes nécessaires à l’administration courante sans nécessiter l’accord préalable de tous les indivisaires.
  • Préserver l’équilibre des droits : bien que la décision de confier un mandat général repose sur une majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis, les droits fondamentaux des indivisaires minoritaires sont protégés, notamment par des limites encadrant les actes susceptibles d’être réalisés sous ce mandat.

c. La vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision

La faculté de vendre des meubles indivis à la majorité des deux tiers, prévue à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil, constitue une dérogation au principe de l’unanimité.

Elle répond à un objectif précis?: permettre le règlement des dettes et charges de l’indivision tout en évitant les blocages susceptibles de nuire à sa gestion.

==>Domaine

La règle énoncée à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° vise la seule vente de meubles indivis, qu’ils soient corporels (mobilier, équipements, œuvres d’art) ou incorporels (parts sociales, créances).

Cette restriction reflète la volonté du législateur de réserver la majorité qualifiée à des biens facilement aliénables, tout en laissant aux indivisaires la possibilité de contester la pertinence de telles ventes si elles ne respectent pas les critères fixés par la loi.

Ainsi, tout bien meuble indivis peut être vendu dès lors que la finalité de la cession est de régler les dettes ou charges de l’indivision.

Par exemple, des parts sociales représentant une société civile immobilière ou des œuvres d’art indivises pourraient être cédées si les indivisaires majoritaires justifient que cette vente est nécessaire pour couvrir les frais afférents à l’indivision.

==>Conditions

La vente de meubles indivis ne peut être envisagée que pour des raisons spécifiques et impérieuses?: le paiement des dettes et charges de l’indivision.

Ces charges comprennent notamment :

  • Les frais d’entretien ou de réparation nécessaires à la préservation du patrimoine indivis, comme des travaux de rénovation ou d’aménagement?;
  • Les taxes et impôts liés au bien indivis, tels que la taxe foncière ou les taxes locales?;
  • Les dépenses courantes liées à l’exploitation du bien, telles que les frais de gestion locative ou les coûts d’assurance.

En revanche, toute vente motivée par des considérations étrangères à ces impératifs, comme la volonté de se débarrasser d’un meuble jugé encombrant ou inutile, excède le cadre légal.

De telles opérations nécessiteraient alors soit l’unanimité des indivisaires, soit le recours à des mesures conservatoires ou à une autorisation judiciaire prévue par l’article 815-5-1 du Code civil.

==>La majorité qualifiée

Pour qu’une vente soit réalisée, les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis doivent se prononcer en faveur de la cession.

Cette majorité, calculée en fonction des parts indivises et non du nombre d’indivisaires, permet d’assurer une certaine flexibilité tout en évitant qu’un indivisaire minoritaire puisse s’opposer de manière systématique à une opération indispensable.

Cependant, les indivisaires minoritaires conservent un droit de contrôle sur ces décisions.

Ils peuvent contester la vente si celle-ci excède le cadre de l’exploitation normale des biens indivis ou si elle ne respecte pas les critères légaux, notamment en termes de nécessité et de proportionnalité.

==>Procédure

La vente de meubles indivis en application de l’article 815-3 ne nécessite pas, en principe, l’intervention du juge.

Elle peut être réalisée à l’amiable, à condition que les indivisaires majoritaires respectent les obligations procédurales, notamment :

  • L’information préalable des indivisaires minoritaires: selon l’article 815-3, alinéa 2, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les autres indivisaires de la décision de vendre. Cette obligation garantit la transparence et permet aux indivisaires non consultés de contester l’opportunité de la vente si nécessaire.
  • Le respect du critère de proportionnalité : la vente ne doit porter que sur le montant strictement nécessaire au règlement des dettes et charges identifiées. Toute aliénation excédant ce besoin immédiat pourrait être remise en cause par les indivisaires minoritaires.

En permettant la vente de meubles indivis à la majorité qualifiée des deux tiers, l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil introduit une souplesse bienvenue dans la gestion de l’indivision, tout en préservant les droits des indivisaires minoritaires grâce à des garanties procédurales et juridiques. Ce mécanisme, bien qu’exceptionnel, illustre une volonté de concilier efficacité et sécurité juridique dans un domaine marqué par des risques fréquents de blocage.

Cependant, cette faculté doit être exercée avec prudence. Une application abusive ou détournée de cette règle pourrait compromettre l’équilibre fragile entre les droits des indivisaires et la nécessité de gérer l’indivision de manière pragmatique et équitable.

d. La conclusion ou le renouvellement de baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal

Traditionnellement, la conclusion ou le renouvellement de baux nécessitait l’accord unanime des indivisaires, conformément au principe posé à l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil, qui impose l’unanimité pour tout acte excédant l’exploitation normale des biens indivis.

Toutefois, la réforme de 2006 a introduit une exception importante : les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis peuvent conclure ou renouveler des baux à cette majorité, à condition que ces baux ne concernent pas des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Cette exception reflète une distinction claire opérée par le législateur : les baux relatifs à des usages particuliers et stratégiques (agricole, commercial, industriel ou artisanal) restent soumis à l’unanimité en raison de leur impact potentiellement significatif sur le patrimoine indivis, tandis que les baux relatifs à des usages courants, tels que l’habitation, peuvent être régis par la règle de la majorité qualifiée.

==>Les baux concernés

Depuis la réforme introduite par la loi n° 2006-728, l’article 815-3, alinéa 1er, 4° du Code civil permet donc aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de conclure ou de renouveler certains baux.

Cette faculté, bien que conférant une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, est strictement limitée aux baux qui ne portent pas sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

  • Les baux d’habitation
    • Les baux d’habitation, par leur nature domestique et leur durée souvent limitée, relèvent des actes d’administration courante et peuvent donc être conclus ou renouvelés à la majorité des deux tiers.
    • Ces baux doivent toutefois respecter la destination initiale du bien et s’inscrire dans son exploitation normale.
  • Les baux à usage professionnel
    • Les baux à usage professionnel, régis notamment par l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, incluent des locaux utilisés par des professions libérales ou des bureaux.
    • Ces baux peuvent être conclus à la majorité des deux tiers, dès lors qu’ils ne confèrent pas au locataire des droits excessivement protecteurs, susceptibles d’affecter la valeur ou la gestion du bien indivis.
  • Les baux de biens meubles
    • Les baux portant sur des biens meubles indivis, tels que la location-gérance d’un fonds de commerce ou la mise en location d’équipements, sont également soumis à la règle majoritaire.

==>Les opérations concernées

En application de l’article 815-3, alinéa 1er, 4° du Code civil, seules la conclusion et le renouvellement de certains baux peuvent être décidées à la majorité des deux tiers des droits indivis, sous réserve qu’ils ne portent pas sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Cependant, la jurisprudence a élargi cette règle pour inclure également des actes liés à l’administration des baux ainsi que la résiliation de certains baux spécifiques.

  • Conclusion et renouvellement des baux
    • L’article 815-3, alinéa 1er, 4°, introduit par la réforme de 2006, permet de conclure ou de renouveler des baux relevant de l’exploitation normale des biens indivis.
    • Cette faculté vise les baux à usage d’habitation, professionnel, ou portant sur des biens meubles, à l’exclusion des baux portant sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, qui restent soumis au principe d’unanimité.
  • Actes d’administration relatifs aux baux
    • Bien que non explicitement mentionnés par le texte, les actes d’administration relatifs aux baux, tels que la perception des loyers ou l’entretien des locaux loués, participent de l’exploitation normale des biens indivis.
    • Ces actes s’inscrivent logiquement dans la continuité des opérations de conclusion et de renouvellement et peuvent également être décidés à la majorité des deux tiers.
  • Résolution d’un bail rural
    • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait décidé dans un arrêt du 19 juillet 1995, la résolution d’un bail rural pour défaut de paiement des fermages nécessitait l’accord unanime des indivisaires (Cass. 3e civ., 19 juillet 1995, n° 93-15.033).
    • Puis dans un arrêt du 29 juin 2011, elle est revenue sur sa position en admettant que les indivisaires titulaires des deux tiers des droits indivis puissent engager une action en résolution du bail pour non-paiement des fermages, considérant que cet acte s’inscrivait dans le cadre de l’exploitation normale des biens indivis (Cass. 3e civ., 29 juin 2011, n°09-70.894).
    • La Troisième chambre civile a, par suivante, confirmé cette solution dans un arrêt du 17 novembre 2016 (Cass. 3e civ. 17 nov. 2016, n°15-19.957).
  • Délivrance de congés
    • Bien que non expressément prévue par le texte, une réponse ministérielle a précisé que la délivrance d’un congé pour un bail relevant de l’article 815-3 pouvait être effectuée à la majorité qualifiée (JOAN, 30 mars 2010, p. 3627).
    • Cependant, cette possibilité demeure strictement limitée aux baux relevant de la gestion courante, à l’exclusion des baux agricoles ou commerciaux, qui continuent d’exiger l’unanimité.

2. Obligation d’information des coïndivisaires minoritaires

Si les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent désormais, en application de l’article 815-3 du Code civil, accomplir certains actes dérogeant à la règle de l’unanimité, cette prérogative demeure conditionnée au respect d’une obligation fondamentale : celle d’informer les coïndivisaires minoritaires.

Cette exigence d’information, introduite par la réforme de 2006, vise à garantir la transparence des décisions prises à la majorité qualifiée et à préserver les droits des indivisaires minoritaires, en leur permettant de contester, le cas échéant, la régularité ou l’opportunité des actes concernés.

a. Une obligation d’information au service de la transparence

L’article 815-3, alinéa 2, du Code civil prévoit que les indivisaires majoritaires ayant adopté l’une des décisions énumérées à l’alinéa 1er doivent en notifier les indivisaires minoritaires.

Cette obligation a pour finalité de permettre à ces derniers, souvent exclus des processus décisionnels en raison de leur position minoritaire, de prendre connaissance des actes susceptibles d’affecter leurs droits. Ils peuvent ainsi, le cas échéant, saisir le tribunal pour en contester la licéité ou l’opportunité.

L’information constitue donc une garantie procédurale essentielle, renforçant la légitimité des décisions majoritaires tout en prévenant les abus.

À cet égard, la jurisprudence souligne régulièrement que cette obligation est indissociable de la règle de la majorité, dont elle constitue le pendant nécessaire pour concilier efficacité et équité dans la gestion de l’indivision.

b. Les modalités de communication de l’information

Bien que l’article 815-3, alinéa 2, du Code civil n’impose pas de formalisme spécifique pour l’exécution de cette obligation, des principes directeurs peuvent être dégagés pour en assurer l’efficacité.

  • Les moyens d’information
    • La loi laisse une certaine latitude quant aux moyens utilisés pour informer les indivisaires minoritaires.
    • Cependant, pour des raisons probatoires, des moyens formels sont recommandés :
      • La lettre recommandée avec accusé de réception qui permet de démontrer la réalité et la date de l’information transmise ;
      • L’acte extrajudiciaire, qui peut être privilégié en cas de litiges ou lorsque des conflits sont susceptibles d’émerger.
    • Dans un souci de diligence, l’information doit être claire et suffisamment précise pour permettre aux indivisaires minoritaires de comprendre pleinement la portée des décisions adoptées.
  • Les cas particuliers
    • Lorsque certains indivisaires sont introuvables, la doctrine admet que l’obligation d’information peut être considérée comme remplie si les indivisaires majoritaires ont accompli toutes les diligences nécessaires pour les retrouver.
    • Cette tolérance vise à éviter les blocages injustifiés dans la gestion de l’indivision, bien qu’elle ne soit pas expressément consacrée par les textes.

c. Sanctions en cas d’absence d’information

Le défaut d’information des indivisaires minoritaires entraîne une sanction définie par l’article 815-3, al. 2e du Code civil : l’inopposabilité des décisions aux indivisaires non informés.

Cette sanction emporte des conséquences différentes selon qu’elle concerne les indivisaires ou des tiers.

  • À l’égard des indivisaires minoritaires
    • L’inopposabilité permet aux indivisaires minoritaires de contester les décisions prises à leur égard.
    • Ils peuvent, par exemple, solliciter en justice la remise en cause d’un bail conclu ou renouvelé sans notification préalable.
    • La jurisprudence insiste sur ce point, affirmant que les indivisaires minoritaires doivent avoir la possibilité de s’assurer que les actes en question respectent les critères de l’exploitation normale des biens indivis.
  • À l’égard des tiers
    • En revanche, l’inopposabilité n’affecte pas la validité des actes à l’égard des tiers.
    • Ainsi, les cocontractants conservent les droits issus des actes conclus, même en l’absence d’information des indivisaires minoritaires.

3. Régimes dérogatoires pour les indivisions en Corse et en outre-mer

La gestion des indivisions en Corse et dans les territoires d’outre-mer bénéficie de régimes dérogatoires spécifiques, instaurés respectivement par la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 et la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018.

Ces dispositifs visent à répondre à des contextes particuliers, tout en garantissant la protection des droits des indivisaires minoritaires.

==>Le régime applicable en Corse

La loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 a été adoptée pour remédier aux difficultés spécifiques liées à l’absence de titres de propriété réguliers en Corse.

Ce texte introduit un mécanisme facilitant l’assainissement cadastral et la régularisation des situations de propriété par la reconnaissance de la prescription acquisitive.

Ainsi, lorsqu’un acte notarié de notoriété établit une possession conforme aux conditions de l’usucapion, il fait foi, sauf preuve contraire, et ne peut être contesté que dans un délai de cinq ans après sa publication. Ce régime s’applique aux actes dressés avant le 31 décembre 2027.

Dans les indivisions constatées par un acte de notoriété notarié, les indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis peuvent accomplir les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du Code civil (actes d’administration courante).

Pour les actes dépassant l’exploitation normale des biens indivis ou relevant de la disposition, l’accord des indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis est requis.

Comme dans le régime de droit commun, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les indivisaires minoritaires des décisions prises.

Cette obligation, essentielle dans un contexte où de nombreux indivisaires peuvent être absents ou introuvables, garantit la transparence et offre aux minoritaires une opportunité de contester les actes non conformes.

==>Le régime applicable en outre-mer

La loi n°2018-1244 du 27 décembre 2018 vise à faciliter la sortie de l’indivision successorale dans les départements et régions d’outre-mer, ainsi que dans certaines collectivités d’outre-mer (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon).

Ce dispositif s’applique aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et permet, dans un cadre simplifié, de procéder à la vente ou au partage des biens immobiliers indivis.

Le texte permet aux indivisaires détenant plus de la moitié des droits indivis de passer les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du Code civil, sans nécessiter l’accord des deux tiers. Cependant, cette faculté est encadrée par des restrictions notables, notamment :

  • L’exclusion des locaux d’habitation où réside le conjoint survivant ;
  • La protection des indivisaires mineurs, majeurs protégés ou présumés absents, nécessitant une autorisation judiciaire.

Le notaire chargé de l’acte doit notifier le projet aux indivisaires concernés et le publier par divers moyens (journal d’annonces légales, affichage, site internet). Les indivisaires disposent d’un délai de trois à quatre mois pour faire opposition ou exercer un droit de préemption en cas de vente à un tiers.

En cas d’opposition, le tribunal judiciaire peut autoriser l’acte si l’aliénation ou le partage ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires opposants. Ce contrôle juridictionnel garantit un équilibre entre la nécessité de fluidifier les partages et la protection des minoritaires.

§2: L’intervention du juge

L’indivision, régie par les articles 815 et suivants du Code civil, repose sur un principe fondamental : l’unanimité des indivisaires. Cependant, cette règle, garante de l’équilibre entre les droits de chacun, peut devenir source d’inertie, voire d’impasse, en présence de désaccords, d’incapacités ou de comportements dilatoires.

Pour prévenir de tels blocages et préserver l’intérêt commun, le législateur a prévu des mécanismes d’intervention judiciaire qui se déploient sous deux formes distinctes.

D’une part, le juge peut lever les obstacles liés à l’unanimité en délivrant des habilitations ou autorisations judiciaires. Ces dernières, encadrées par les articles 815-4 et 815-5 du Code civil, permettent de suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire ou de surmonter un refus compromettant l’intérêt collectif des indivisaires.

D’autre part, le juge peut intervenir directement dans la gestion des biens indivis en adoptant des mesures de sauvegarde, prévues aux articles 815-6 et 815-7. Ces mesures, empreintes d’un caractère impératif, visent à préserver l’intégrité du patrimoine indivis face à des situations d’urgence ou à des menaces pesant sur sa pérennité.

Ainsi, le rôle du juge dans l’indivision oscille entre l’autorisation et l’intervention directe, deux prérogatives complémentaires que nous analyserons successivement dans le cadre de cet article.

I) La délivrance d’habilitations ou d’autorisations judiciaires aux fins d’accomplissement d’un acte

La loi prévoit que le juge peut intervenir, par la délivrance d’habilitations ou d’autorisations, dans trois situations bien distinctes, chacune répondant à des nécessités spécifiques et visant à garantir la sauvegarde des intérêts indivis.

D’une part, il peut habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsqu’il est hors d’état de manifester sa volonté, qu’il s’agisse d’une incapacité juridique, physique ou d’une absence matérielle, entravant ainsi la prise de décisions collectives.

D’autre part, le juge peut autoriser un indivisaire à accomplir seul un acte nécessitant, en principe, l’unanimité, lorsque le refus d’un ou plusieurs coindivisaires met en péril l’intérêt commun, et compromet ainsi la gestion harmonieuse de l’indivision.

Enfin, il peut autoriser la vente d’un bien indivis, sous réserve que les conditions légales soient réunies, notamment lorsque cette cession apparaît nécessaire à la valorisation ou à la préservation du patrimoine commun.

Ces mécanismes, loin d’être anodins, permettent de surmonter les blocages potentiels et de préserver l’intégrité des biens et des droits en indivision.

A) La délivrance d’une habilitation judiciaire en présence d’un indivisaire se trouvant hors d’état de manifester sa volonté

L’article 815-4 du Code civil confère au juge la prérogative d’habiliter un indivisaire à représenter un coindivisaire lorsque ce dernier est dans l’impossibilité de manifester sa volonté.

Ce dispositif, issu d’une transposition des mécanismes prévus aux articles 217 et 219 du Code civil, vise à surmonter les blocages liés à l’incapacité, à l’éloignement ou à l’absence d’un indivisaire, tout en respectant les intérêts de l’indivision et des coindivisaires. Il s’agit d’une mesure d’exception, conçue pour garantir la continuité de la gestion des biens indivis tout en encadrant strictement les conditions et effets de l’habilitation.

1. Le principe

L’article 815-4 du Code civil dispose que « si l’un des indivisaires se trouve hors d’état de manifester sa volonté, un autre peut se faire habiliter par justice à le représenter, d’une manière générale ou pour certains actes particuliers, les conditions et l’étendue de cette représentation étant fixées par le juge ».

Ce texte offre une solution pragmatique pour faire face aux situations d’incapacité affectant un indivisaire, en habilitant un coindivisaire à le représenter. Ce dispositif s’inscrit dans une logique de sauvegarde des intérêts collectifs et individuels, tout en préservant l’équilibre entre les droits de chacun.

L’habilitation judiciaire vise avant tout à garantir la continuité dans la gestion des biens indivis. En effet, l’incapacité d’un indivisaire, qu’elle résulte d’une situation matérielle (éloignement, inaccessibilité) ou juridique (incapacité légale, altération des facultés), pourrait provoquer une paralysie décisionnelle.

Or, une gestion efficace et rationnelle des biens indivis exige de surmonter de telles impasses pour préserver les intérêts de l’ensemble des indivisaires. En conférant au juge le pouvoir de désigner un représentant, ce dispositif assure une gestion fluide tout en respectant les principes fondamentaux qui régissent l’indivision.

Parallèlement, ce mécanisme garantit la protection des droits de l’indivisaire empêché. L’intervention du juge perme de garantir que les décisions prises dans le cadre de l’indivision respectent l’intérêt de la personne empêchée, tout en limitant la portée de l’habilitation à ce qui est strictement nécessaire pour préserver l’intégrité du patrimoine indivis. Loin d’altérer les prérogatives de l’indivisaire hors d’état de manifester sa volonté, cette mesure vise à sauvegarder son patrimoine dans une logique d’équité et de justice.

Il peut être observé que ce dispositif emprunte directement aux mécanismes déjà éprouvés en matière matrimoniale, tels que ceux prévus par les articles 217 et 219 du Code civil. Ces dispositifs, conçus pour résoudre les crises de gestion patrimoniale au sein des couples mariés, partagent avec l’habilitation judiciaire en matière d’indivision un objectif commun : permettre à un tiers d’agir pour une personne empêchée, dans un cadre strictement encadré par le juge.

Cependant, l’habilitation prévue à l’article 815-4 présente une particularité notable : elle repose sur un mandat judiciaire de représentation, et non sur une autorisation d’agir en son propre nom.

Ainsi, l’indivisaire habilité agit exclusivement au nom et pour le compte de l’indivisaire incapable, engageant ce dernier comme s’il avait personnellement accompli l’acte.

Cette spécificité confère à l’habilitation un caractère temporaire et supplétif, destiné à pallier l’absence de volonté exprimée par l’indivisaire empêché.

A cet égard, l’article 815-4 confère au juge un rôle central dans la mise en œuvre de cette mesure. C’est lui qui définit, au cas par cas, les conditions et l’étendue de l’habilitation, qu’elle soit générale ou limitée à certains actes spécifiques.

Ce pouvoir discrétionnaire conféré au juge vise à prévenir tout abus et à garantir que les intérêts de l’indivision et de l’indivisaire empêché restent protégés.

2. Les conditions

La délivrance d’une habilitation judiciaire repose sur des conditions strictes, tant quant aux circonstances justifiant la représentation que quant aux actes pouvant être accomplis.

==>Conditions relatives aux circonstances

L’article 815-4 du Code civil prévoit que l’habilitation judiciaire peut être accordée lorsqu’un indivisaire est « hors d’état de manifester sa volonté ».

Cette notion recouvre des hypothèses variées, allant de l’incapacité juridique à l’impossibilité matérielle, en passant par l’absence au sens juridique du terme.

  • L’incapacité juridique
    • L’incapacité juridique constitue l’un des motifs les plus évidents justifiant le recours à l’habilitation judiciaire prévue à l’article 815-4 du Code civil.
    • Cette situation vise les indivisaires placés sous un régime de protection tel que la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice (articles 425 et suivants du Code civil), qui se trouvent privés de la capacité de manifester une volonté libre et éclairée.
    • La question s’est toutefois posée en doctrine de savoir si le dispositif de l’article 815-4 du Code civil conservait une utilité lorsque l’indivisaire empêché fait l’objet d’une mesure de protection.
    • En effet, dans un tel cas, le droit commun prévoit déjà que c’est le représentant légal — tuteur ou curateur — qui agit au nom et pour le compte de la personne protégée.
    • Certains auteurs ont ainsi considéré que l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 apparaîtrait comme superfétatoire, voire redondante avec les mécanismes institués par les articles 457 et suivants du Code civil.
    • Cependant, d’autres auteurs ont défendu l’utilité résiduelle de ce dispositif, soulignant qu’il peut exister des circonstances où le représentant légal est empêché, absent ou défaillant.
    • Dans ces hypothèses, l’habilitation judiciaire permettrait de pallier les insuffisances des dispositifs classiques, en confiant temporairement la représentation à un autre indivisaire.
    • La Cour de cassation a mis fin au débat en admettant que l’habilitation judiciaire prévue à l’article 815-4 puisse jouer même en présence d’un représentant légal, sous certaines conditions.
    • Dans un arrêt du 24 février 2016, la Haute juridiction a considéré que l’habilitation judiciaire pouvait être envisagée lorsqu’il était démontré que le représentant légal d’un indivisaire empêché était lui-même inapte ou incapable de remplir ses fonctions (Cass. 1ère civ., 24 févr. 2016, n° 15-14.887).
    • Ainsi, le mécanisme de l’article 815-4 s’affirme comme une mesure supplétive, venant compléter les dispositifs existants pour garantir la gestion optimale des biens indivis.
    • Ce faisant, la jurisprudence reconnaît au juge un pouvoir d’appréciation souverain pour déterminer si les circonstances justifient l’application de l’article 815-4, même en présence d’un régime de protection légale.
  • L’impossibilité matérielle
    • L’impossibilité matérielle constitue l’un des motifs légitimes permettant de recourir au mécanisme d’habilitation judiciaire prévu par l’article 815-4 du Code civil.
    • Ce motif couvre les situations où un indivisaire, bien qu’ayant pleine capacité juridique, est temporairement empêché, pour des raisons objectives, de manifester sa volonté.
    • Cette impossibilité peut notamment découler d’un éloignement géographique, d’une maladie grave ou de toute circonstance rendant sa participation active à la gestion des biens indivis impraticable.
    • Dans un arrêt rendu le 18 février 1981, la Cour de cassation a admis qu’un indivisaire se trouvant temporairement éloigné et, de ce fait, dans l’impossibilité matérielle de donner son consentement, pouvait être valablement représenté par un autre indivisaire habilité par le juge (Cass. 1ère civ., 18 févr. 1981, n° 80-10.403).
    • Dans cette affaire, l’indivisaire empêché résidait dans une localité éloignée, rendant impossible sa participation directe à une décision essentielle pour la gestion des biens indivis.
    • La Haute juridiction a souligné que l’article 815-4 du Code civil était précisément conçu pour pallier ce type de difficultés pratiques, en permettant une représentation judiciaire pour surmonter les obstacles temporaires et garantir la continuité de la gestion.
    • Cet arrêt met en lumière le rôle essentiel du juge dans l’appréciation des circonstances justifiant une habilitation judiciaire. Le juge doit, en effet, s’assurer que l’empêchement invoqué est réel, sérieux et suffisamment caractérisé.
    • À cet égard, l’éloignement géographique doit être tel qu’il empêche toute communication ou participation efficace à la gestion des biens indivis dans un délai raisonnable.
    • De même, une maladie grave, qu’elle soit physique ou mentale, peut justifier une demande d’habilitation judiciaire, à condition que son impact sur la capacité de l’indivisaire à exprimer une volonté soit établi par des preuves concrètes, telles qu’un certificat médical ou d’autres éléments probants.
    • Le juge dispose ainsi d’un pouvoir d’appréciation souverain pour évaluer, au cas par cas, si la situation justifie le recours à l’article 815-4 du Code civil, tout en veillant à préserver l’intérêt commun des indivisaires et l’équilibre patrimonial de l’indivision.
    • Dans ce contexte, le juge dispose d’un pouvoir d’appréciation souverain pour évaluer si l’impossibilité matérielle alléguée justifie l’intervention judiciaire.
    • Il appartient donc au demandeur de démontrer, de manière convaincante, que l’empêchement invoqué entrave effectivement la gestion de l’indivision.
    • La jurisprudence exige par ailleurs que cette mesure reste proportionnée à la situation, et que l’habilitation soit circonscrite aux besoins strictement nécessaires à la sauvegarde des intérêts indivis.
  • L’absence
    • Lorsqu’un indivisaire est présumé absent, au sens des articles 112 et suivants du Code civil, l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 permet de pallier les conséquences de cette absence sur la gestion des biens indivis.
    • L’absence, lorsqu’elle est légalement constatée, peut rapidement créer une situation de paralysie dans la prise de décisions qui requièrent l’accord de tous les indivisaires, notamment pour des actes importants tels que les actes de disposition.
    • Pour mémoire, la présomption d’absence est établie lorsque, conformément à l’article 112 du Code civil, une personne a cessé de paraître à son domicile ou lieu de résidence sans que l’on ait de nouvelles de sa part.
    • Cette situation doit être constatée par le juge des tutelles, à la demande des parties intéressées ou du ministère public.
    • Une fois la présomption d’absence déclarée, le gestionnaire désigné pour représenter la personne présumée absente est habilité à agir pour son compte.
    • Toutefois, lorsque ce gestionnaire n’est pas désigné ou lorsque des mesures spécifiques doivent être prises dans le cadre d’une indivision, l’habilitation judiciaire en vertu de l’article 815-4 peut être sollicitée.

==>Conditions relatives aux actes

Lorsqu’une habilitation judiciaire est accordée en vertu de l’article 815-4 du Code civil, elle peut porter soit sur des actes d’administration, nécessaires à la gestion courante des biens indivis, soit sur des actes de disposition, qui touchent plus profondément à l’intégrité du patrimoine commun.

Ces deux catégories d’actes répondent à des besoins distincts mais complémentaires, chacun étant soumis à un encadrement rigoureux pour préserver l’équilibre des droits des indivisaires.

  • Les actes d’administration
    • Les actes d’administration concernent les décisions nécessaires à la gestion ordinaire des biens indivis, ayant pour objectif principal leur conservation et leur exploitation.
    • Ces actes, bien que généralement moins controversés, peuvent requérir une habilitation judiciaire lorsque l’accord de tous les indivisaires est indispensable et qu’un blocage survient en raison de l’incapacité de l’un d’eux.
    • Parmi les actes d’administration les plus courants, on retrouve :
      • L’entretien et la conservation des biens : cela inclut les réparations nécessaires pour préserver la valeur des biens indivis, telles que la réfection d’une toiture ou la maintenance d’installations dégradées.
      • La location des biens indivis : la conclusion ou le renouvellement d’un bail, qu’il soit à usage d’habitation ou commercial, constitue un autre exemple fréquent d’acte d’administration. Ces démarches permettent d’assurer une exploitation économique du bien indivis, générant des revenus pour l’ensemble des indivisaires.
    • La jurisprudence rappelle que ces actes doivent avant tout servir l’intérêt commun de l’indivision, c’est-à-dire concilier la préservation du patrimoine avec les attentes légitimes des indivisaires.
    • Par conséquent, le juge veille à ce que les décisions prises dans le cadre de l’habilitation restent proportionnées aux besoins de l’indivision et respectent les droits de chacun.
  • Les actes de disposition
    • Les actes de disposition, en raison de leur impact significatif sur le patrimoine indivis, font l’objet d’un encadrement encore plus strict.
    • Ces actes, qui modifient de manière durable la consistance ou la propriété des biens, requièrent une justification spécifique et une attention particulière de la part du juge.
    • Exemples d’actes de disposition nécessitant une habilitation judiciaire :
      • La vente d’un bien indivis : elle peut être autorisée lorsque la nécessité est clairement démontrée, par exemple pour apurer les dettes de l’indivision, pour prévenir une saisie ou encore pour financer des dépenses urgentes.
      • L’hypothèque d’un bien indivis : cette mesure, bien que rare, peut être envisagée lorsqu’elle permet de garantir un prêt destiné à financer des travaux essentiels ou à répondre à une situation financière critique.
    • En raison des enjeux qu’ils représentent, les actes de disposition exigent du juge une analyse approfondie des circonstances.
    • L’autorisation ne sera accordée que si l’acte est justifié par l’intérêt commun de l’indivision, c’est-à-dire qu’il ne doit ni favoriser un indivisaire au détriment des autres, ni compromettre les droits patrimoniaux de l’ensemble des coindivisaires.

3. Etendue de l’habilitation

L’habilitation judiciaire délivrée en application de l’article 815-4 du Code civil peut revêtir deux formes distinctes, selon son étendue et les besoins spécifiques de l’indivision : l’habilitation générale, qui confère des pouvoirs étendus, et l’habilitation spéciale, strictement limitée à un ou plusieurs actes déterminés.

Cette distinction reflète la volonté du législateur de concilier souplesse et contrôle, en adaptant l’intervention judiciaire aux circonstances particulières de chaque affaire.

  • L’habilitation générale : une délégation étendue mais encadrée
    • L’habilitation générale permet à l’indivisaire habilité de représenter l’indivisaire empêché pour l’ensemble des actes nécessaires à la gestion des biens indivis, qu’ils relèvent de l’administration ou, dans certains cas, de la disposition.
    • Cette forme d’habilitation, bien qu’exceptionnelle, s’avère indispensable lorsque l’indivisaire empêché est durablement hors d’état de manifester sa volonté, comme dans le cas d’une incapacité prolongée ou d’une absence prolongée.
    • En raison des pouvoirs étendus qu’elle confère, l’habilitation générale est strictement encadrée.
    • Le juge doit s’assurer que cette délégation est justifiée par les besoins de l’indivision et qu’elle ne risque pas de porter atteinte aux droits des autres indivisaires.
    • Reste que même en cas d’habilitation générale, le représentant ne peut agir que dans l’intérêt commun des indivisaires.
    • Tout acte contraire à cet intérêt pourrait être contesté et annulé.
  • L’habilitation spéciale : une intervention ciblée et précise
    • L’habilitation spéciale constitue la forme la plus courante de représentation judiciaire.
    • Contrairement à l’habilitation générale, elle est strictement limitée à un ou plusieurs actes déterminés, définis par le juge en fonction des besoins spécifiques de l’indivision et des circonstances du blocage.
    • L’habilitation spéciale permet de répondre à une situation d’urgence ou à un besoin spécifique, sans conférer au représentant des pouvoirs excédant l’acte pour lequel l’habilitation a été accordée.
    • Le juge délimite précisément les contours de l’habilitation, en précisant l’acte autorisé, ses modalités d’exécution et, le cas échéant, les conditions à respecter.
    • Par exemple, il peut autoriser la vente d’un bien indivis à un prix minimum, ou imposer l’affectation des fonds à un objectif précis, tel que le règlement des dettes de l’indivision.
    • Cette forme d’habilitation réduit le risque d’abus en limitant le champ d’intervention du représentant, qui ne peut agir au-delà des pouvoirs conférés.
    • Exemples fréquents d’habilitation spéciale :
      • La vente d’un bien indivis pour éviter une saisie ou financer des travaux urgents.
      • La conclusion d’un bail commercial pour valoriser un immeuble indivis.
      • L’accomplissement d’un acte administratif, tel que le renouvellement d’une assurance ou la régularisation d’une taxe foncière impayée.

La distinction entre habilitation générale et habilitation spéciale repose avant tout sur une analyse de l’intérêt de l’indivision.

Tandis que l’habilitation générale est privilégiée lorsque l’indivisaire empêché est durablement indisponible, l’habilitation spéciale répond à des besoins ponctuels et spécifiques.

Dans les deux cas, le juge exerce un contrôle pour s’assurer que les actes réalisés dans le cadre de l’habilitation respectent les droits et intérêts de l’ensemble des indivisaires.

4. La procédure

L’article 815-4 du Code civil est silencieux quant à la procédure applicable pour obtenir une habilitation judiciaire.

Ce silence législatif a conduit la doctrine à suggérer un raisonnement par analogie avec le dispositif prévu à l’article 219 du Code civil, lequel régit la représentation judiciaire dans le cadre des régimes matrimoniaux.

==>La saisine du juge des tutelles

En l’absence de dispositions spécifiques prévues à l’article 815-4, les demandes d’habilitation judiciaire doivent être présentées devant le juge des tutelles près le Tribunal judiciaire compétent.

La procédure, de nature gracieuse, est introduite par une requête écrite, que le requérant doit appuyer par des éléments probants démontrant l’incapacité de l’indivisaire concerné et la nécessité de l’habilitation pour le bon fonctionnement de l’indivision.

==>Les éléments à fournir au soutien de la requête

  • Preuve de l’empêchement
    • Un certificat médical en cas d’incapacité physique ou mentale?;
    • Une décision de justice constatant une présomption d’absence, conformément aux articles 112 et suivants du Code civil?;
    • Tout autre document établissant une impossibilité matérielle, comme une attestation d’éloignement géographique ou une déclaration circonstanciée sous serment.
  • Justification de la nécessité de l’habilitation
    • Une description des actes envisagés (administration ou disposition)?;
    • La démonstration que ces actes sont nécessaires pour préserver l’intérêt commun des indivisaires.

==>L’instruction de la demande

Une fois la requête déposée, le juge des tutelles engage une instruction destinée à vérifier la légitimité et l’opportunité de l’habilitation demandée.

Cette phase de la procédure obéit aux principes d’équité et de respect des droits de toutes les parties concernées.

  • Étapes de l’instruction
    • Le juge peut convoquer les indivisaires pour recueillir leurs observations. Cette étape est essentielle pour garantir le respect du contradictoire, bien qu’elle puisse être omise si les pièces fournies permettent de statuer sans audience.
    • En cas de doute, le juge peut :
      • Ordonner la production de pièces supplémentaires?;
      • Solliciter l’avis d’experts, par exemple pour évaluer l’incapacité de l’indivisaire ou l’opportunité des actes envisagés.
  • Analyse des intérêts en présence
    • Le juge évalue les motifs avancés, s’assure que l’habilitation répond à un besoin réel et vérifie que les actes envisagés respectent les droits de l’indivisaire empêché.

==>La décision du juge

Au terme de l’instruction, le juge rend une décision sous forme d’ordonnance, laquelle précise les contours de l’habilitation accordée.

Contenu de l’ordonnance :

  • Durée de l’habilitation
    • Elle peut être temporaire, limitée à un ou plusieurs actes, ou accordée pour une durée indéterminée en cas d’empêchement prolongé.
  • Étendue des pouvoirs conférés
    • Les actes autorisés doivent être clairement définis : actes d’administration (entretien, location) ou actes de disposition (vente, hypothèque).
    • Le juge peut imposer des conditions, telles que l’affectation des fonds à un objectif précis ou la fixation d’un prix minimum en cas de vente.
  • Garanties
    • Le juge peut exiger du représentant habilité qu’il rende compte de sa gestion, notamment pour des actes d’importance, afin d’éviter tout abus.

5. Les effets

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets, tant à l’égard de l’indivisaire représenté qu’à l’égard de l’ensemble des indivisaires.

L’acte accompli par le représentant habilité engage directement le patrimoine de l’indivisaire empêché, comme si ce dernier l’avait personnellement réalisé.

Toutefois, ce mécanisme reste encadré par des limites strictes, fixées par le juge, garantissant l’équilibre entre l’intérêt collectif de l’indivision et la protection des droits individuels.

==>Effets à l’égard de l’indivisaire représenté

L’indivisaire empêché, bien qu’incapable de manifester sa volonté, est pleinement engagé par les actes accomplis en son nom par le représentant habilité.

Ce mécanisme repose sur le principe selon lequel le représentant agit pour le compte et au nom de la personne représentée, conférant ainsi aux actes réalisés une opposabilité directe à cette dernière.

  • Effet principal : l’opposabilité des actes
    • L’acte accompli par le représentant habilité engage juridiquement l’indivisaire représenté.
    • Celui-ci est réputé avoir consenti à l’acte, qui lui est opposable comme s’il l’avait personnellement exécuté.
    • Cette opposabilité garantit la continuité de la gestion de l’indivision, en évitant tout blocage lié à l’empêchement d’un indivisaire.
  • Limitation des effets : respect des conditions fixées par le juge
    • Le mandat conféré au représentant est strictement limité aux conditions fixées par l’ordonnance du juge.
    • Toute action entreprise en dehors de ces limites serait nulle et sans effet à l’égard de l’indivisaire représenté.
    • Cette restriction vise à éviter tout abus et à préserver les droits patrimoniaux de la personne empêchée.

==>Effets à l’égard des autres indivisaires

L’acte accompli par le représentant habilité engage non seulement l’indivisaire empêché, mais également l’ensemble des indivisaires.

Ce mécanisme assure la cohérence et la stabilité juridique des décisions prises dans l’intérêt collectif de l’indivision.

  • Engagement collectif
    • L’acte réalisé dans les conditions de l’habilitation s’impose à tous les indivisaires, dans la mesure où il vise à préserver ou à valoriser le patrimoine indivis.
    • Par exemple, une vente autorisée par le juge pour rembourser une dette de l’indivision liera tous les indivisaires, y compris celui qui a été représenté.
  • Possibilité de contestation
    • Les autres indivisaires conservent toutefois le droit de contester les actes réalisés si ceux-ci excèdent les pouvoirs conférés par l’habilitation ou s’ils portent atteinte à leurs droits.
    • Cette garantie renforce la protection des indivisaires contre les abus éventuels.

==>Effets à l’égard des tiers

L’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4 du Code civil produit des effets qui s’étendent au-delà de la sphère des indivisaires et engagent également les tiers qui entrent en relation avec le représentant habilité.

  • Opposabilité des actes aux tiers
    • Les actes accomplis par le représentant habilité en vertu de l’article 815-4 sont opposables aux tiers.
    • Cela signifie que ces derniers ne peuvent remettre en cause la validité des actes, à condition que ceux-ci aient été réalisés dans les limites du mandat conféré par le juge.
  • Opposabilité directe
    • Le représentant agit au nom et pour le compte de l’indivisaire empêché.
    • Par conséquent, les actes qu’il accomplit dans ce cadre lient l’indivisaire représenté, et cette obligation s’étend aux tiers avec lesquels ces actes sont conclus.
  • Sécurité des transactions
    • Pour garantir la sécurité des transactions, les tiers peuvent se prévaloir de l’ordonnance judiciaire d’habilitation, qui précise les contours du mandat du représentant.
    • Cette ordonnance, souvent annexée aux actes de disposition (tels qu’une vente ou une hypothèque), permet aux tiers de vérifier que l’acte accompli respecte les limites fixées par le juge.

Il peut être observé que les tiers qui contractent avec le représentant habilité sont présumés de bonne foi, sauf preuve contraire.

Par conséquent, un acte accompli par un représentant en dehors des limites fixées par le juge peut être opposable à l’indivisaire représenté si le tiers n’avait pas connaissance de l’excès de pouvoir.

En revanche, un tiers qui contracte en connaissance d’une fraude ou d’un excès de pouvoir s’expose à la nullité de l’acte.

  • Fraude avérée
    • Si un tiers agit de connivence avec le représentant habilité pour réaliser un acte contraire aux intérêts de l’indivisaire représenté ou de l’indivision, cet acte pourra être annulé sur demande des indivisaires.
    • Cette règle vise à décourager toute tentative d’abus de la part du représentant habilité en collaboration avec un tiers.
  • Preuve de la fraude
    • Il incombe aux indivisaires lésés de démontrer que le tiers avait connaissance de l’excès de pouvoir ou qu’il a participé à une fraude.
    • Cette preuve, souvent difficile à établir, constitue une barrière protectrice pour les tiers de bonne foi.

Les tiers, bien que protégés, doivent s’assurer que l’acte qu’ils concluent est conforme aux dispositions de l’habilitation judiciaire.

Avant de conclure un acte de disposition, les tiers doivent vérifier les termes de l’ordonnance judiciaire d’habilitation. Cette diligence leur permet de s’assurer que le représentant agit dans les limites de ses pouvoirs et que l’acte est juridiquement valable.

Pour certains actes, notamment ceux portant sur des biens immobiliers, la publicité foncière permet de sécuriser les droits des tiers. L’inscription de l’ordonnance d’habilitation au fichier immobilier garantit la validité des actes de disposition à l’égard des tiers.

B) La délivrance d’une autorisation judiciaire à accomplir un acte en cas de refus d’un indivisaire mettant en péril l’intérêt commun

1. Indivision en pleine propriété

a. Principe

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil prévoit que « un indivisaire peut être autorisé par justice à passer seul un acte pour lequel le consentement d’un coïndivisaire serait nécessaire, si le refus de celui-ci met en péril l’intérêt commun ».

Le mécanisme d’autorisation judiciaire institué par cette disposition vise à résoudre les situations de blocage dans l’indivision, lorsque l’unanimité requise par l’article 815-3, alinéa 1er, du Code civil pour certains actes ne peut être obtenue en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires.

Contrairement à l’habilitation judiciaire prévue par l’article 815-4, qui intervient pour suppléer l’absence ou l’incapacité d’un indivisaire, l’article 815-5 repose sur une logique différente.

Ici, il ne s’agit pas de représenter l’indivisaire opposant en agissant en son nom, mais de passer outre son refus au moyen d’une autorisation judiciaire.

L’objectif est de trancher un conflit né de divergences entre les indivisaires, en permettant la réalisation d’un acte nécessaire à la préservation ou à la valorisation du patrimoine indivis.

La spécificité de l’article 815-5 réside donc dans sa finalité?: il ne confère pas un mandat permettant à un indivisaire d’agir pour le compte d’un autre, mais autorise un indivisaire à agir malgré le refus d’un coïndivisaire.

Aussi, il ne s’agit pas ici de combler une incapacité mais à prévenir les effets d’un veto susceptible de compromettre l’intérêt commun.

A l’analyse, le dispositif institué à l’article 815-5 du Code civil est directement inspiré de celui prévu à l’article 217, lequel permet à un époux d’être autorisé par le juge à accomplir seul un acte lorsque le refus de son conjoint met en péril l’intérêt familial.

Si les deux dispositifs partagent une structure commune, leurs finalités diffèrent : l’article 217 vise la protection de la cellule familiale, tandis que l’article 815-5 cible la préservation du patrimoine indivis et l’équilibre des droits des indivisaires.

En tout état de cause, pour délivrer une autorisation judiciaire une analyse approfondie des intérêts en présence devra être conduite par le juge.

Celui-ci, en tant qu’arbitre, n’intervient que lorsque le refus d’un indivisaire met en péril l’intérêt commun.

Cette mise en péril, qui constitue une condition essentielle, est appréciée au cas par cas, en fonction des circonstances. L’objectif est de prévenir les conséquences dommageables pour le patrimoine indivis tout en respectant, autant que possible, les droits du coïndivisaire opposant.

b. Conditions

==>Refus d’un ou plusieurs indivisaires

L’application de l’article 815-5 du Code civil s’étend aux actes qui, en vertu des règles de l’indivision, nécessitent soit l’unanimité des indivisaires, soit une majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis.

Ces situations reflètent les différentes modalités de prise de décision au sein de l’indivision.

  • Actes concernés
    • Actes nécessitant l’unanimité des indivisaires
      • L’unanimité est exigée pour les actes qui excèdent l’exploitation normale des biens indivis ou pour les actes de disposition ne relevant pas des exceptions prévues à l’article 815-3 du Code civil.
      • Parmi ces actes, on peut citer?:
        • La vente d’un bien indivis?;
        • L’hypothèque d’un bien indivis?;
        • Toute opération entraînant une modification substantielle de la nature ou de la destination des biens indivis.
      • Ces actes, de par leur impact significatif sur le patrimoine indivis, requièrent l’accord de l’ensemble des indivisaires pour être valablement exécutés.
    • Actes soumis à la majorité qualifiée des deux tiers
      • Dans certains cas, l’article 815-3 du Code civil permet une prise de décision à la majorité des deux tiers des droits indivis, notamment pour des actes essentiels à la bonne gestion ou à la valorisation du patrimoine commun.
      • Il s’agit notamment?:
        • De l’aliénation d’un bien indivis, justifiée par des motifs économiques ou patrimoniaux?;
        • De la réalisation d’opérations visant à préserver ou accroître la valeur globale des biens indivis.
      • Lorsque cette majorité des deux tiers ne peut être atteinte en raison de l’opposition d’un ou plusieurs indivisaires, le recours à l’article 815-5 permet de surmonter ce blocage en sollicitant l’intervention judiciaire.
      • Le juge, en se substituant au consentement des indivisaires opposants, autorise l’accomplissement de l’acte lorsqu’il est établi que le refus met en péril l’intérêt commun.
    • Cas particulier des actes conservatoires
      • Pour mémoire, les actes conservatoires, par leur nature même, visent à préserver l’intégrité ou la valeur des biens indivis.
      • Conformément à l’article 815-2 du Code civil, tout indivisaire est habilité à les accomplir unilatéralement, sans nécessiter l’accord des autres.
      • Ces actes, qui répondent à une urgence ou à une nécessité immédiate, échappent donc, en principe, au champ d’application de l’article 815-5.
      • Cependant, des situations ambiguës peuvent survenir lorsque le caractère conservatoire d’une mesure est sujet à interprétation.
      • Cette incertitude peut découler de la nature de l’acte envisagé ou des conséquences potentielles sur le patrimoine indivis.
      • Dans ces cas, l’indivisaire initiateur de l’acte peut légitimement craindre une contestation ultérieure de la mesure par les coïndivisaires.
      • Une telle contestation pourrait conduire à l’invalidation de l’acte et engager la responsabilité de l’indivisaire ayant agi unilatéralement.
      • Aussi, afin de prévenir tout litige, l’indivisaire prudent peut choisir de solliciter au préalable l’accord des coïndivisaires sur l’acte envisagé.
      • Cet accord formel sécurise l’acte en le plaçant sous le sceau du consentement unanime ou, à défaut, de la majorité qualifiée prévue par l’article 815-3 du Code civil.
      • Toutefois, si les coïndivisaires opposent un refus explicite ou demeurent silencieux malgré une sollicitation formelle, la situation peut alors être qualifiée de blocage.
      • Dans ce contexte, l’article 815-5 peut être invoqué pour lever l’opposition.
      • L’indivisaire initiateur pourra saisir le tribunal judiciaire afin d’obtenir une autorisation judiciaire de passer l’acte.
      • La démarche est justifiée par la nécessité de protéger l’intérêt commun des indivisaires, souvent menacé par une abstention ou une opposition injustifiée.
  • Refus explicite ou implicite
    • L’article 815-5 du Code civil mentionne la possibilité pour un indivisaire de saisir le juge en cas de refus d’un coïndivisaire de donner son consentement à un acte nécessaire, sans préciser si ce refus doit être explicite ou implicite.
    • Cette absence de précision textuelle ouvre la voie à une interprétation large, permettant de considérer tant les refus exprimés clairement que ceux déduits du comportement de l’indivisaire.
    • En effet, ce qui importe au regard de l’article 815-5, c’est d’établir de manière probante qu’un blocage existe, peu importe sa forme.
      • Le refus explicite : une opposition clairement manifestée
        • Le refus explicite est celui qui se manifeste de manière claire et indiscutable.
        • Il peut prendre diverses formes :
          • Déclarations écrites : une lettre, un e-mail ou tout autre support écrit où l’indivisaire indique de manière formelle son opposition à l’acte projeté.
          • Sommation interpellative : une opposition officialisée par un commissaire de justice, qui notifie à l’indivisaire la nécessité de se prononcer et consigne sa réponse ou son refus explicite.
          • Déclaration notariée : le désaccord peut être consigné dans un acte notarié, renforçant ainsi sa valeur probante.
        • Ces formes explicites de refus présentent l’avantage de lever toute ambiguïté sur la position de l’indivisaire.
        • Elles permettent au demandeur de se fonder sur des preuves matérielles et incontestables pour justifier la saisine du juge en vue de lever le blocage.
      • Le refus implicite : l’opposition déduite du comportement
        • Le refus implicite, en revanche, est déduit du comportement de l’indivisaire, notamment lorsque ce dernier observe un silence prolongé ou adopte une attitude passive face à une sollicitation formelle.
        • Toutefois, ce silence ne peut être interprété comme un refus qu’à certaines conditions :
          • Tout d’abord, l’indivisaire doit avoir été dûment informé de la nécessité de se prononcer sur l’acte envisagé. Cette information doit être claire et compréhensible, indiquant les enjeux de l’acte.
          • Ensuite, l’indivisaire doit avoir eu un délai raisonnable pour se prononcer. Un silence dû à des circonstances extérieures, telles qu’une absence prolongée non imputable à l’indivisaire, ne saurait être considéré comme un refus.
          • Enfin, en cas de silence, il appartient au juge d’apprécier souverainement si ce silence équivaut à un refus. Cette évaluation tiendra compte des circonstances particulières, telles que la nature de l’acte, l’importance des délais ou l’existence de précédents laissant supposer une opposition.
    • L’absence précision à l’article 815-5 quant à la forme du refus requis, implique que le refus implicite est admis au même titre que le refus explicite.
    • La condition essentielle demeure la capacité à prouver l’existence d’un blocage.
    • Ainsi, le demandeur devra démontrer que l’opposition de l’indivisaire, qu’elle soit exprimée directement ou inférée de son comportement, est à l’origine de l’impossibilité de réaliser l’acte.
  • Refus collectif ou individuel
    • L’article 815-5 du Code civil mentionne le refus d’un «?coindivisaire?» comme condition permettant de solliciter une autorisation judiciaire.
    • Cependant, cette formulation ne saurait être interprétée de manière restrictive.
    • Une lecture stricte réduirait considérablement l’efficacité de ce dispositif en excluant les situations où plusieurs indivisaires, par une opposition conjointe, font obstacle à un acte nécessaire à la préservation de l’intérêt commun.
    • Bien que le texte mentionne expressément un «?coindivisaire?», la doctrine et la jurisprudence reconnaissent que cette disposition doit s’appliquer également en cas de refus collectif.
    • En effet :
      • D’une part, l’objectif de l’article 815-5 est de lever les blocages en indivision?: il serait contraire à cet esprit de limiter son application aux cas d’opposition isolée.
      • D’autre part, certaines indivisions impliquent plusieurs indivisaires, et les désaccords peuvent résulter de coalitions formées par une partie des indivisaires contre d’autres. Refuser l’application de l’article 815-5 dans de telles situations reviendrait à pérenniser ces blocages.
    • Par conséquent, l’opposition d’un ou de plusieurs indivisaires peut être prise en compte pour justifier une intervention judiciaire.
    • A cet égard, lorsque plusieurs indivisaires s’unissent pour refuser un acte, leur opposition peut s’appuyer sur des motifs variés, parfois légitimes, mais souvent stratégiques.
    • Le juge, saisi sur le fondement de l’article 815-5, devra donc apprécier la situation avec soin pour déterminer :
    • Si le refus collectif met réellement en péril l’intérêt commun?: le juge évaluera si cette opposition compromet la gestion efficace du patrimoine indivis ou empêche un acte nécessaire.
    • Si l’opposition reflète un abus de droit?: par exemple, des indivisaires minoritaires pourraient tenter d’exercer un droit de veto abusif en bloquant des décisions favorables à l’intérêt collectif.
  • Preuve du refus
    • Parce que l’on est en présence d’un fait juridique, la preuve du refus peut être rapportée par tout moyen, notamment :
      • Correspondance : lettres recommandées, e-mails ou toute communication écrite attestant du refus.
      • Sommations : actes notifiés par un commissaire de justice pour solliciter explicitement le consentement de l’indivisaire récalcitrant.
      • Actes notariés : procès-verbaux établis par un notaire consignant l’opposition exprimée par un indivisaire lors d’une tentative de signature d’un acte.
  • Situation de blocage et intervention judiciaire
    • Le refus d’un indivisaire, qu’il s’exprime de manière explicite ou implicite, peut engendrer une situation de blocage au sein de l’indivision.
    • Ce blocage, en paralysant la gestion des biens indivis, est susceptible de mettre en péril l’intérêt commun des indivisaires.
    • L’intervention judiciaire devient alors nécessaire, conformément aux dispositions de l’article 815-5 du Code civil, pour permettre la réalisation d’un acte dont l’opposition compromet la préservation ou la valorisation du patrimoine indivis.

==>Mise en péril de l’intérêt commun

L’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil subordonne la délivrance d’une autorisation judiciaire à la démonstration que le refus d’un ou plusieurs indivisaires met en péril l’intérêt commun.

Cette condition essentielle appelle une réflexion approfondie, car elle impose de cerner avec précision deux notions fondamentales : d’une part, celle de « mise en péril », qui implique l’identification d’un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis, et, d’autre part, celle d’« intérêt commun », qui exige une approche distincte des intérêts individuels des indivisaires et de l’intérêt général.

  • La notion de mise en péril
    • La mise en péril, condition sine qua non de l’application de l’article 815-5, alinéa 1er, du Code civil, s’entend d’une menace sérieuse et concrète pesant sur l’intérêt commun des indivisaires.
    • Elle implique l’existence d’un risque tangible pour le patrimoine indivis, qui ne peut être évité qu’en passant outre le refus d’un ou plusieurs coïndivisaires.
    • Cette notion dépasse le simple désaccord entre indivisaires et requiert que le refus opposé ait des conséquences susceptibles de compromettre l’intégrité ou la valorisation du bien indivis.
    • Selon le professeur Jean Patarin, la mise en péril renvoie à une « atteinte significative à l’intérêt commun, résultant de circonstances dans lesquelles le maintien du statu quo ou le refus de l’acte envisagé crée une menace grave pour la conservation ou la valorisation du patrimoine indivis ».
    • De son côté, Philippe Simler précise que le péril doit être « certain et sérieux », excluant les risques hypothétiques ou purement éventuels.
    • La jurisprudence s’accorde ainsi pour reconnaître que la mise en péril ne se limite pas à des situations d’urgence (Cass. 1ère civ. 12 juill. 2001, n°99-14.202), mais suppose une évaluation objective des conséquences potentielles du refus sur l’indivision.
    • Pour exemple, dans un arrêt du 14 février 1984, la Cour de cassation a estimé que le refus d’un indivisaire de vendre un bien indivis pour payer les droits de succession constituait une mise en péril de l’intérêt commun, dès lors que cette situation exposait les indivisaires à des pénalités financières importantes (Cass. 1ère civ., 14 févr. 1984, n°82-16.526).
    • Dans cette affaire, le péril résultait directement de l’impossibilité de satisfaire aux obligations fiscales, ce qui menaçait la pérennité du patrimoine indivis.
    • De même, dans un arrêt du 3 mars 1992, la Cour de cassation a jugé que le refus de céder un bail rural à un enfant commun, dans une indivision post-communautaire, constituait une mise en péril de l’intérêt commun.
    • En l’espèce, le refus privait l’indivision d’une opportunité essentielle de valoriser le bien et de préserver sa viabilité économique (Cass. 1ère civ., 3 mars 1992, n° 90-16.420).
    • A l’analyse, plusieurs critères doivent être réunies pour que la mise en péril soit caractérisée :
      • Un risque sérieux et concret : la mise en péril ne peut se fonder sur une menace hypothétique ou abstraite. Elle doit reposer sur des éléments factuels démontrant un danger imminent ou inévitable pour le patrimoine indivis.
      • Une nécessité contraignante : la jurisprudence exclut les actes purement opportunistes ou simplement avantageux. Il a ainsi été jugé que le refus de modifier un placement financier, bien qu’il puisse être bénéfique, ne constitue pas une mise en péril dès lors que le statu quo n’entraîne pas une dévalorisation grave du capital (CA Amiens, 7 janv. 1997).
  • La notion d’intérêt commun
    • La doctrine s’est longuement penchée sur cette notion, qui ne se confond pas avec une simple somme des intérêts individuels des indivisaires. Jean Patarin la définit comme « l’ensemble des intérêts inhérents à l’indivision et aux biens qui la composent, pris dans une perspective patrimoniale unifiée ».
    • De son côté, Philippe Simler souligne que l’intérêt commun reflète « l’équilibre nécessaire entre la préservation du bien indivis et les droits patrimoniaux des indivisaires, en évitant toute subjectivisation excessive ».
    • Ainsi, l’intérêt commun vise à concilier les aspirations des indivisaires tout en assurant une gestion saine et équitable du patrimoine indivis.
    • Il s’inscrit dans une perspective patrimoniale, orientée vers la conservation et la valorisation des biens indivis pour le bénéfice de l’ensemble des indivisaires.
    • La jurisprudence a clarifié les contours de cette notion en insistant sur sa dimension patrimoniale et objective.
    • Dans un arrêt du 6 novembre 1990, la Cour de cassation a ainsi affirmé en substance que l’intérêt commun correspond à l’intérêt patrimonial de l’indivision, pris globalement et non à travers les seuls intérêts individuels des indivisaires (Cass. 1re civ., 6 nov. 1990, n°89-13.220).
    • Cette décision illustre que l’intérêt commun ne peut être réduit aux préférences personnelles des indivisaires, mais doit refléter la gestion optimale du patrimoine indivis.
    • À l’inverse, la jurisprudence exclut l’application de l’article 815-5 lorsqu’un refus, bien que désavantageux, ne compromet pas gravement l’intérêt commun.
    • Par exemple, un refus de modifier un placement financier, bien que jugé opportun par certains indivisaires, n’a pas été considéré comme contraire à l’intérêt commun en l’absence de preuve d’un risque concret de dévalorisation (CA Amiens, 7 janv. 1997).
    • Aussi, l’intérêt commun repose sur des critères objectifs, notamment la conservation, la valorisation et l’intégrité du patrimoine indivis.
    • Il ne s’agit pas d’un intérêt collectif abstrait, mais d’un standard permettant d’assurer une gestion conforme à la nature et à la vocation des biens indivis.
    • A cet égard, les juges doivent s’assurer que l’acte envisagé respecte un équilibre entre les droits des indivisaires et ne privilégie pas indûment l’un d’entre eux au détriment des autres.
    • La Cour de cassation a, par exemple, rappelé en ce sens que l’intérêt commun ne saurait justifier un acte contraire à l’intérêt légitime d’un indivisaire particulier (Cass. 1ère civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).
    • Par ailleurs, l’intérêt commun implique une prise en compte des perspectives futures, notamment en termes de valorisation du patrimoine.
    • Une vente ou une cession envisagée doit être jugée conforme à cet objectif, sous peine de rejet par les juridictions compétentes.
    • En revanche, l’intérêt commun ne saurait être invoqué pour justifier des actes opportunistes ou simplement avantageux.
    • Par exemple, un refus de réaliser des travaux d’amélioration non indispensables sur un bien indivis ne met pas en péril l’intérêt commun s’il n’est pas prouvé que ces travaux sont nécessaires pour préserver l’intégrité du bien (CA Montpellier, 4 mars 1986).

==>Appréciation du juge

Dans le cadre de l’article 815-5 du Code civil, le rôle du juge ne se limite pas à une constatation formelle de la mise en péril de l’intérêt commun. Il s’étend également à une évaluation minutieuse de la nécessité et de la proportionnalité de l’acte envisagé, afin de garantir un équilibre entre les droits des indivisaires et la préservation du patrimoine indivis.

Aussi, le juge doit-il s’assurer que l’autorisation demandée répond aux exigences posées par l’article 815-5, al. 1er du Code civil.

Cela implique deux appréciations distinctes mais complémentaires :

  • Constatation de la mise en péril de l’intérêt commun : il incombe au demandeur de démontrer que le refus opposé par un ou plusieurs indivisaires entraîne un risque concret et sérieux pour le patrimoine indivis. Ce risque peut prendre diverses formes, telles qu’une dévalorisation du bien, l’impossibilité de répondre à une obligation financière ou encore la perte d’une opportunité exceptionnelle.
  • Proportionnalité de l’autorisation demandée : le juge doit évaluer si l’acte envisagé est strictement nécessaire pour remédier au risque identifié, sans porter une atteinte excessive aux droits des indivisaires opposants. Cette évaluation repose sur un principe de balance des intérêts, visant à préserver l’équilibre patrimonial de l’indivision tout en respectant les droits individuels de chaque indivisaire.

La jurisprudence a rappelé à plusieurs reprises que l’autorisation judiciaire ne peut être accordée que dans les limites prévues par le législateur.

En ce sens, la Cour de cassation a censuré une décision d’appel qui avait conditionné l’application de l’article 815-5 à une exigence d’urgence non mentionnée dans le texte légal (Cass. 1re civ., 12 juill. 2001, n°99-14.202).

En outre, le juge doit se garder d’ajouter des critères non prévus par le texte, sous peine de voir sa décision annulée pour excès de pouvoir.

c. Procédure

==>Compétence

L’article 815-5 ne désigne pas expressément la juridiction compétente. Cependant, conformément aux principes généraux de répartition des compétences, la Cour de cassation a jugé que le tribunal judiciaire, en tant que juridiction de droit commun en matière civile, est seul compétent pour statuer sur les demandes formées sur le fondement de cet article (V. en ce sens Cass. 1re civ., 15 févr. 2012, n°10-21.457).

La Cour de cassation a précisé dans cette décision que dans l’hypothèse où le Président du tribunal judiciaire était saisi en référé, alors l’ordonnance rendue serait dépourvue de l’autorité de la chose jugée au fond.

==>Une procédure contradictoire

Contrairement à d’autres mécanismes d’intervention judiciaire en matière d’indivision, la procédure sur requête ou devant le juge des référés est expressément écartée.

La Cour de cassation a précisé que cette autorisation relève du droit commun et exige une procédure contradictoire permettant aux indivisaires opposants de faire valoir leurs arguments (Cass. 3e civ., 28 nov. 2012, n°11-19.585).

Le caractère contradictoire de la procédure garantit que toutes les parties concernées soient entendues.

L’indivisaire à l’initiative de la demande doit démontrer que le refus des coïndivisaires met en péril l’intérêt commun, tandis que les indivisaires opposants disposent d’un droit de réponse pour exposer leurs motifs.

==>Moment de la demande

La demande d’autorisation doit impérativement être introduite avant la réalisation de l’acte projeté.

En effet, l’article 815-5 ne prévoit pas de mécanisme de régularisation a posteriori, mais une procédure préventive destinée à pallier l’absence de consentement préalable.

La Cour de cassation a clairement affirmé cette exigence, rejetant les demandes d’autorisation visant à valider des actes déjà réalisés (Cass. 1re civ., 29 nov. 1988, n°86-14.496?).

d. Effets

L’autorisation judiciaire rend l’acte opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant refusé de consentir.

Conformément à l’article 815-5, alinéa 3, du Code civil, l’acte autorisé est considéré comme valablement réalisé, comme si tous les indivisaires avaient donné leur accord.

Bien qu’ils soient tenus de respecter les effets de l’acte autorisé, les indivisaires opposants ne sont pas personnellement engagés par celui-ci.

Par exemple, en cas de vente d’un bien indivis, ils ne pourront être tenus responsables des garanties légales à l’égard des tiers, comme la garantie des vices cachés.

Par ailleurs, l’acte autorisé met fin au droit des indivisaires opposants sur le bien cédé. Ainsi, un indivisaire ne peut plus revendiquer l’usage ou la jouissance du bien vendu.

Enfin, il a été décidé par la Cour de cassation dans un arrêt du 30 juin 1992 que le prix de cession remplace dans l’indivision le bien aliéné, sans que cela entraîne un partage (Cass. 1re civ., 30 juin 1992, n°90-19.052). Il en résulte que les règles encadrant le partage ne sont pas applicables.

2. Indivision en nue-propriété

Le démembrement de propriété, par sa nature, ne se confond pas avec l’indivision. Tandis que l’indivision implique une pluralité de titulaires partageant un même droit sur un bien (propriété indivise), le démembrement attribue des droits distincts à différentes parties : l’usufruitier détient un droit d’usage et de jouissance, tandis que le nu-propriétaire conserve la propriété dépouillée de son utilité économique.

Cette situation créée par le démembrement de la propriété rend problématique la possibilité, pour des nus-propriétaires indivis, d’imposer à un usufruitier unique ou indivis la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

La question se pose alors : dans l’hypothèse d’un bien indivis grevé d’un usufruit, les nus-propriétaires peuvent-ils, par le jeu d’une autorisation judiciaire, forcer la vente de la pleine propriété contre la volonté de l’usufruitier??

Cette problématique a donné lieu à des évolutions législatives et jurisprudentielles notables que l’on peut retracer en plusieurs étapes.

a. Droit antérieur à 1976

Avant l’adoption de la loi du 31 décembre 1976, aucune disposition légale spécifique ne régissait la problématique du démembrement de propriété en cas d’indivision.

La résolution des conflits entre nus-propriétaires et usufruitiers relevait donc exclusivement de la jurisprudence, dont les solutions variaient selon que l’usufruit était indivis ou appartenait à un seul titulaire.

==>En présence d’un usufruit indivis

Lorsque l’usufruit était lui-même réparti entre plusieurs usufruitiers en indivision, la jurisprudence admettait la possibilité de procéder à la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit.

Cette solution reposait sur l’idée qu’une cession conjointe de l’usufruit et de la nue-propriété permettait de maximiser la valorisation économique du bien, au bénéfice de tous les titulaires de droits sur celui-ci.

Dans un arrêt de principe du 20 juillet 1932, la Cour de cassation a ainsi estimé que la vente de la pleine propriété était conforme à l’intérêt commun dès lors qu’elle permettait de dénouer des situations complexes (Cass. req., 20 juill. 1932).

Cette position, réaffirmée par la suite (Cass. civ., 20 juin 1954), traduisait une volonté de favoriser des solutions pragmatiques, notamment dans le cas de biens difficilement partageables ou de droits en concurrence susceptibles de paralyser leur utilisation ou leur cession.

==>En l’absence d’usufruit indivis

À l’inverse, lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la jurisprudence adoptait une position protectrice, interdisant la vente forcée de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit sans le consentement de l’usufruitier.

Cette règle trouvait son fondement dans la distinction des droits en présence : l’usufruitier unique n’étant pas en indivision avec les nus-propriétaires, il jouissait d’une protection renforcée contre toute atteinte à son droit d’usage et de jouissance.

Dans un ancien arrêt, la Cour de cassation avait ainsi établi que la licitation de la pleine propriété ne pouvait être ordonnée que si l’usufruitier unique y consentait (Cass. req., 27 juill. 1869).

Cette solution s’inscrivait dans une logique de préservation des droits de l’usufruitier, particulièrement lorsque celui-ci était un conjoint survivant bénéficiant d’un droit d’usufruit sur le logement familial (Cass. civ., 20 déc. 1889).

La jurisprudence visait ici à garantir la sécurité juridique et la stabilité patrimoniale des usufruitiers, tout en prenant en compte leur dépendance économique à l’égard du bien grevé d’usufruit, souvent essentiel à leur subsistance.

b. La réforme de 1976

La loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 a enrichi le cadre du démembrement de propriété en introduisant, au sein de l’article 815-5 du Code civil, la règle suivante :

« le juge ne peut toutefois, sinon aux fins de partage, autoriser la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

Par cette intervention, le législateur entendait dissiper les incertitudes et harmoniser les divergences jurisprudentielles ayant marqué l’interprétation antérieure.

Cette règle, tout en consolidant les solutions dégagées par les tribunaux, venait préciser les contours de la licitation de la pleine propriété, réservant son autorisation à des hypothèses strictement définies.

Deux configurations distinctes étaient ainsi envisagées : celle d’un usufruitier unique, excluant toute licitation sans son consentement, et celle d’une indivision en usufruit, où la vente en pleine propriété pouvait être justifiée par l’intérêt commun poursuivi dans un cadre de partage.

==>Présence d’un usufruitier unique

Lorsque l’usufruit appartenait à un seul titulaire, la loi réaffirmait la solution jurisprudentielle antérieure : la vente forcée de la pleine propriété demeurait impossible sans le consentement de l’usufruitier unique.

Cette règle s’explique par la nature différente des droits entre usufruitier et nus-propriétaires, qui ne forment pas une indivision à proprement parler.

Le législateur entendait ainsi préserver les droits fondamentaux de l’usufruitier, particulièrement lorsqu’il s’agissait du conjoint survivant jouissant de son logement familial.

En consolidant la jurisprudence (V. notamment Cass. req., 27 juill. 1869 et Cass. civ., 20 déc. 1889), la loi garantissait la stabilité de la jouissance du bien grevé d’usufruit, évitant que celui-ci ne soit aliéné contre la volonté de son titulaire.

==>Présence de plusieurs usufruitiers indivis

En revanche, la loi ouvrait la possibilité d’ordonner une licitation de la pleine propriété dans l’hypothèse d’une double indivision : lorsque le bien était grevé à la fois d’une indivision en usufruit et en nue-propriété.

Dans ce cas particulier, le texte autorisait la vente forcée «?aux fins de partage?», dès lors qu’elle apparaissait conforme à l’intérêt commun des parties.

Cette disposition visait à faciliter le dénouement de situations complexes où l’indivision rendait l’administration et la valorisation du bien difficile, voire impossible.

En autorisant la réunion des droits d’usufruit et de nue-propriété dans le patrimoine d’un même propriétaire, la loi permettait de maximiser la valeur du bien et d’apporter une solution pragmatique à ces situations.

==>Une précision textuelle mais des limites évidentes

Si la loi de 1976 apportait une clarification bienvenue, elle restait néanmoins tributaire de la complexité des relations entre usufruitier(s) et nus-propriétaires.

La distinction entre la présence d’un usufruitier unique et celle d’une double indivision introduisait une hiérarchie des droits où les prérogatives de l’usufruitier unique étaient davantage protégées.

En revanche, dans les cas de pluralité d’usufruitiers, l’ouverture aux licitations pouvait générer des tensions, notamment si certains usufruitiers s’opposaient à la vente.

Ainsi, tout en consolidant la jurisprudence antérieure, la loi n° 76-1286 instaurait une nouvelle architecture juridique, dont l’application pratique serait sujette à interprétations et ajustements jurisprudentiels. Ces limites allaient rapidement apparaître dans la période postérieure à son entrée en vigueur.

c. La jurisprudence postérieure à 1976

Dans un arrêt controversé du 11 mai 1982, la Cour de cassation a adopté une interprétation particulièrement large de l’article 815-5, alinéa 2, dans sa version de 1976.

Elle a en effet jugé que « le partage peut toujours être ordonné et qu’à cette fin, selon l’article 815-5 du code civil qui est applicable en la cause, la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit peut être judiciairement ordonnée contre la volonté de l’usufruitier » (Cass. 1ère civ. 11 mai 1982, n°81-13.055).

Cette solution généralisait la possibilité de vente forcée, même en présence d’un usufruitier unique, au motif que le partage pouvait être sollicité par tout indivisaire.

Cette jurisprudence a été largement critiquée pour plusieurs raisons?:

  • Sur le plan théorique : elle méconnaissait l’absence d’indivision entre usufruitier unique et nus-propriétaires.
  • Sur le plan pratique? : elle portait atteinte aux droits de l’usufruitier, notamment lorsqu’il s’agissait d’un conjoint survivant.

d. La réforme de 1987

Face aux critiques doctrinales et pratiques, la loi n° 87-498 du 6 juillet 1987 est venue corriger l’interprétation jurisprudentielle de 1982 en modifiant l’article 815-5, alinéa 2.

Désormais, le texte dispose que « le juge ne peut, à la demande d’un nu-propriétaire, ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté de l’usufruitier. »

La nouvelle rédaction de l’article 815-5, alinéa 2, réintroduit ainsi la solution jurisprudentielle antérieure à 1976, en établissant des principes clairs :

  • Interdiction de la vente forcée sans consentement de l’usufruitier unique
    • Le juge ne peut ordonner la vente de la pleine propriété d’un bien grevé d’usufruit contre la volonté d’un usufruitier unique.
    • Cette règle garantit que l’usufruitier conserve la jouissance de son droit, indépendamment des revendications des nus-propriétaires.
  • Application aux situations d’indivision en nue-propriété
    • La règle s’applique également lorsque plusieurs nus-propriétaires sont en indivision et cherchent à sortir de cette indivision.
    • Même dans ce cas, la vente forcée de la pleine propriété reste impossible sans l’accord de l’usufruitier.
  • Suppression de la notion de fins de partage
    • La suppression de cette mention a pour effet de limiter les situations dans lesquelles une licitation peut être ordonnée.
    • En l’absence d’un accord unanime entre les titulaires de droits, la vente forcée de la pleine propriété est exclue.

La réforme entreprise par la loi du 6 juillet 1987 visait à renforcer la sécurité juridique en clarifiant les limites du pouvoir du juge face à des intérêts divergents entre nus-propriétaires et usufruitiers.

Elle consacre la protection des droits de l’usufruitier, que ce dernier soit unique ou qu’il existe une indivision en usufruit.

De plus, elle met fin aux interprétations larges de la jurisprudence qui avaient permis des ventes forcées préjudiciables à l’équilibre des droits en présence.

S’agissant de l’application de loi dans le temps, le législateur a expressément prévu une application immédiate des nouvelles dispositions aux usufruits en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi, sauf en cas de décision judiciaire passée en force de chose jugée ou d’accord amiable antérieur (article 2 de la loi du 6 juillet 1987).

La Cour de cassation a confirmé cette application rétroactive dans plusieurs décisions ultérieures, consolidant ainsi la portée de la réforme (Cass. 1re civ., 2 févr. 1999, n°96-22.563).

Au total, en supprimant toute ambiguïté textuelle, la loi de 1987 a permis de restaurer une cohérence dans le régime juridique du démembrement, en préservant les droits fondamentaux de l’usufruitier tout en encadrant strictement les possibilités de sortie de l’indivision.

e. Application jurisprudentielle postérieure à 1987

Dès 1989, la première chambre civile de la Cour de cassation a réaffirmé que l’article 815-5, alinéa 2, du Code civil interdisait au juge de substituer son autorisation au consentement de l’usufruitier pour ordonner une vente en pleine propriété.

Dans un arrêt rendu le 29 mars 1989, la Cour de cassation a précisé que même la satisfaction des créanciers des nus-propriétaires ne justifiait pas une telle vente forcée (Cass. 1ère civ., 29 mars 1989, n°87-12.187). Cette position, conforme à la lettre et à l’esprit de la réforme de 1987, a mis un terme aux interprétations antérieures trop larges de la notion de partage.

Dans une décision plus récente, la Cour a confirmé cette stricte application de la règle. Elle a jugé que, même en cas de pluralité de nus-propriétaires souhaitant sortir de l’indivision, la volonté de l’usufruitier prime sur celle des nus-propriétaires indivis (Cass. 1re civ., 13 juin 2019, n° 18-17.347).

f. Portée actuelle de la règle

La règle actuelle, telle qu’elle résulte de la réforme opérée par la loi du 6 juillet 1987, vise avant tout à garantir le respect du droit de jouissance de l’usufruitier, cœur de son droit réel sur le bien grevé d’usufruit.

En empêchant les nus-propriétaires de l’impliquer dans une vente qu’il n’aurait pas approuvée, l’article 815-5, alinéa 2, préserve l’autonomie et la stabilité juridique de l’usufruit.

Cette stabilité est particulièrement nécessaire dans des situations où l’usufruitier est un conjoint survivant, souvent légataire de l’usufruit du logement familial. Une vente forcée compromettrait directement son usage du bien et le mettrait en situation de précarité.

Au-delà de la jouissance, la règle protège également l’intégrité des droits patrimoniaux de l’usufruitier. Imposer une vente en pleine propriété contre son gré aurait pour effet de priver l’usufruitier de sa participation dans le démembrement, en substituant son droit réel sur le bien à une simple créance sur le prix de vente.

Une telle substitution, non consentie, pourrait porter atteinte à l’équilibre patrimonial entre les parties, en particulier si l’usufruitier estime que ses intérêts ne seraient pas suffisamment garantis par le produit de la vente.

L’interdiction s’applique aussi bien lorsqu’il existe un usufruitier unique que dans le cas d’une indivision en usufruit.

En effet, la règle ne distingue pas selon la pluralité des usufruitiers ou des nus-propriétaires : dans tous les cas, le consentement de l’usufruitier demeure une condition incontournable pour autoriser une vente en pleine propriété.

Au fond, l’article 815-5, alinéa 2, reflète une solution équilibrée entre le principe du droit au partage – dont disposent les indivisaires – et la protection du démembrement de propriété.

En maintenant cette interdiction, le législateur a reconnu que le droit de l’usufruitier ne saurait être réduit à une position subalterne face à la volonté collective des nus-propriétaires.

Cette disposition garantit que le démembrement, par nature transitoire, ne devient pas une source d’insécurité ou de déséquilibre pour l’usufruitier.

La Cour de cassation a largement confirmé cette interprétation stricte, réitérant l’impossibilité de contraindre l’usufruitier à céder ses droits sans son accord explicite.

Ces décisions, loin de constituer des restrictions arbitraires, renforcent un cadre juridique cohérent et protecteur, assurant que le droit de propriété démembré reste un mécanisme respectueux des intérêts mutuels des parties.

C) La délivrance d’une autorisation judiciaire à vendre un bien indivis

L’article 815-5-1 établit une faculté nouvelle pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.

Ces derniers peuvent, en cas de blocage, solliciter une autorisation judiciaire pour aliéner un bien indivis, sans qu’il soit nécessaire de démontrer un péril menaçant l’intérêt commun, comme l’exige l’article 815-5.

L’objectif affiché de cette disposition est double : lever les blocages tout en respectant les droits des indivisaires minoritaires par l’intermédiaire d’un contrôle judiciaire rigoureux.

Ainsi, l’intervention du tribunal judiciaire n’a pas pour vocation de préserver l’intégrité du bien indivis dans l’intérêt de tous, mais de donner effet à la volonté de la majorité qualifiée, en permettant une gestion plus souple et rationnelle des situations conflictuelles.

1. Les conditions d’application

==>Conditions négatives

L’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil est strictement encadrée par deux conditions négatives, qui visent à protéger des situations spécifiques où les droits ou intérêts de certains indivisaires pourraient être compromis.

Ces restrictions traduisent une volonté d’équilibre entre l’efficacité de la gestion des biens indivis et la sauvegarde des droits des parties les plus vulnérables.

  • L’exclusion en cas de démembrement de propriété
    • Le texte exclut toute application de l’article 815-5-1 lorsqu’un bien indivis est grevé d’un démembrement de propriété, tel que l’usufruit ou la nue-propriété.
    • Cette interdiction repose sur une préoccupation fondamentale : préserver les droits de l’usufruitier, dont la jouissance effective du bien pourrait être mise en péril par une vente imposée.
    • En effet, dans le cadre d’un démembrement, la propriété se scinde en droits distincts et complémentaires — l’usufruit et la nue-propriété —, dont les titulaires ne partagent pas les mêmes intérêts ni obligations.
    • L’aliénation forcée de la pleine propriété, bien qu’initiée par les nus-propriétaires majoritaires, risquerait d’emporter des conséquences disproportionnées pour l’usufruitier.
    • Celui-ci, souvent désigné en raison de sa situation personnelle (par exemple, un conjoint survivant jouissant du logement familial), se verrait contraint de renoncer à un droit essentiel, sa jouissance, sans possibilité de s’y opposer pleinement.
    • Ainsi, cette restriction constitue un garde-fou pour éviter que les équilibres inhérents au démembrement ne soient rompus au détriment des parties les plus exposées.
  • L’exclusion en présence d’un indivisaire protégé ou éloigné
    • La seconde limitation, tout aussi significative, interdit le recours à l’article 815-5-1 lorsque l’un des indivisaires se trouve dans l’une des situations énoncées à l’article 836 du Code civil :
      • Présomption d’absence,
      • Impossibilité de manifester sa volonté en raison d’un éloignement,
      • Placement sous un régime de protection juridique.
    • Cette disposition vise à garantir que les indivisaires les plus vulnérables, incapables d’exprimer leur consentement ou de défendre leurs intérêts, ne soient pas lésés par une décision prise en leur absence.
    • Le législateur a ainsi voulu prévenir le risque d’abus ou d’iniquité, notamment dans des contextes où les autres indivisaires pourraient exploiter une telle situation pour imposer une aliénation.
    • Cependant, cette condition négative, si elle protège les droits des indivisaires concernés, peut également engendrer des blocages prolongés.
    • Par exemple, la vente d’un bien indivis pourrait être retardée pendant plusieurs années en cas de présomption d’absence, au détriment de l’intérêt collectif.
    • De même, un indivisaire sous protection juridique pourrait, malgré la présence d’un curateur ou d’un tuteur, faire obstacle à une aliénation pourtant bénéfique à tous.

==>Conditions positives

Pour que l’autorisation judiciaire prévue à l’article 815-5-1 du Code civil puisse être délivrée, deux conditions positives doivent être simultanément réunies. Ces critères, à la fois pragmatiques et protecteurs, visent à concilier la volonté des indivisaires majoritaires avec le respect des droits des minoritaires.

  • Majorité des deux tiers des droits indivis : la prééminence de la majorité économique
    • La première condition impose que la demande d’autorisation émane d’un ou plusieurs indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis.
    • Ce seuil, établi sur la proportion des droits et non sur le nombre d’indivisaires, consacre la prédominance de la majorité économique.
    • Ainsi, un indivisaire unique possédant plus des deux tiers des droits peut, à lui seul, initier la procédure, même si les autres indivisaires sont numériquement supérieurs.
    • Cette règle, inspirée des mécanismes propres aux entités dotées de personnalité morale, introduit une forme de gouvernance majoritaire dans le cadre de l’indivision.
    • Elle vise à limiter les blocages, en permettant aux indivisaires majoritaires de surmonter l’opposition d’une minorité.
    • Toutefois, cette prééminence de la majorité économique interroge sur son adéquation avec les principes fondamentaux du droit de propriété.
    • En effet, l’article 815-5-1 confère aux indivisaires majoritaires le pouvoir d’imposer une aliénation, potentiellement contraire à la volonté des minoritaires, ce qui peut apparaître comme une forme d’expropriation privée.
    • Si cette disposition a été jugée conforme aux exigences constitutionnelles, elle n’en demeure pas moins sujette à débat, notamment en ce qu’elle remet en question l’unanimité comme garantie traditionnelle des droits de chacun.
  • Absence d’atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires : une protection nuancée
    • La seconde condition impose que l’aliénation envisagée ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Ce critère, d’apparence simple, recèle une complexité d’interprétation qui en limite la portée pratique.
      • Une approche subjective : le préjudice moral ou affectif
        • Une lecture subjective de l’atteinte excessive pourrait conduire le juge à examiner l’impact moral ou affectif de l’aliénation sur les indivisaires minoritaires.
        • Cette approche pourrait, par exemple, tenir compte de l’attachement personnel à un bien familial ou des conséquences psychologiques d’une vente forcée.
        • Toutefois, une telle interprétation risque de priver d’effectivité le mécanisme de l’article 815-5-1, dans la mesure où toute opposition des minoritaires repose, par hypothèse, sur des raisons personnelles.
      • Une approche objective : le respect des garanties procédurales
        • À l’inverse, une lecture objective de la notion d’atteinte excessive pourrait limiter l’examen du juge aux seules garanties procédurales, telles que la régularité de la procédure ou l’équité dans la répartition des fruits de la vente.
        • Si cette approche permet de préserver l’efficacité du dispositif, elle réduit toutefois considérablement la protection offerte aux indivisaires minoritaires, en négligeant les dimensions émotionnelles et sociales de leur opposition.
    • En définitive, le juge doit trouver un équilibre délicat entre ces deux approches, afin de garantir une application à la fois efficace et équitable de l’article 815-5-1.
    • Ce critère, bien que fondamental pour préserver les droits des minoritaires, reflète les tensions inhérentes à toute tentative de concilier les intérêts divergents au sein d’une indivision.

2. La procédure d’autorisation

L’article 815-5-1 du Code civil, issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, instaure une procédure dérogatoire à la règle de l’unanimité en matière d’indivision.

Ce texte permet à un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis de demander l’autorisation judiciaire de vendre un bien indivis, même en cas d’opposition des indivisaires minoritaires.

Cette procédure se déploie en deux phases distinctes, chacune encadrée par des règles spécifiques.

==>La phase devant notaire

La procédure débute obligatoirement devant notaire, dont le rôle est central dans la mise en œuvre du mécanisme d’aliénation.

  • Déclaration d’intention d’aliéner par les indivisaires majoritaires
    • Selon l’alinéa 2 de l’article 815-5-1, les indivisaires majoritaires doivent exprimer devant notaire leur intention de procéder à l’aliénation du bien indivis.
    • Cette déclaration, formalisée dans un acte notarié, constitue le point de départ de la procédure et marque la volonté des majoritaires de passer outre l’opposition des minoritaires.
  • Notification aux indivisaires minoritaires
    • L’alinéa 3 de l’article 815-5-1 impose au notaire de notifier cette déclaration aux indivisaires minoritaires dans un délai d’un mois.
    • La notification, effectuée par ministère d’huissier, informe les minoritaires de l’intention d’aliéner et leur ouvre un délai pour réagir.
  • Réponse des indivisaires minoritaires
    • À compter de la notification, les indivisaires minoritaires disposent d’un délai de trois mois pour manifester leur opposition ou donner leur consentement à l’aliénation, conformément à l’alinéa 4 de l’article 815-5-1. Le silence des minoritaires vaut opposition implicite, renforçant ainsi leur droit de ne pas se prononcer activement.
  • Procès-verbal de difficultés
    • Si une opposition est exprimée ou si les indivisaires minoritaires demeurent silencieux, le notaire dresse un procès-verbal de difficultés.
    • Ce document consigne les désaccords ou l’absence de réponse, formalisant ainsi l’échec de la phase notariale.
    • Ce procès-verbal est indispensable pour initier la phase judiciaire.

==>La phase devant le juge

Lorsque l’opposition persiste, la procédure se poursuit devant le tribunal judiciaire, conformément à l’alinéa 5 de l’article 815-5-1.

  • Saisine du tribunal
    • Les indivisaires majoritaires, disposant du procès-verbal de difficultés, saisissent le tribunal judiciaire pour obtenir une autorisation d’aliéner le bien indivis.
    • Cette saisine déclenche l’examen juridictionnel des conditions posées par la loi.
  • Examen des conditions par le juge
    • Aux termes de l’alinéa 5 de l’article 815-5-1, le tribunal doit s’assurer que :
      • Les demandeurs détiennent au moins deux tiers des droits indivis.
      • L’aliénation ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires minoritaires.
    • Le tribunal peut également tenir compte des circonstances particulières de l’affaire, telles que les motifs d’opposition des minoritaires ou l’intérêt collectif à l’aliénation.
  • Autorisation et licitation
    • Si les conditions légales sont remplies, le tribunal autorise la vente, qui doit s’effectuer par voie de licitation, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.
    • Ce mode de vente garantit la transparence et l’égalité de traitement entre les indivisaires, en attribuant le bien au plus offrant lors d’une vente aux enchères.
  • Opposabilité de la décision
    • Une fois l’autorisation délivrée, l’aliénation devient opposable à tous les indivisaires, y compris à ceux ayant exprimé leur opposition.
    • L’alinéa 7 de l’article 815-5-1 précise que cette opposabilité s’étend également aux indivisaires qui n’auraient pas été formellement notifiés, sous réserve du respect des conditions procédurales.

3. Les effets de l’autorisation judiciaire

==>À l’égard des indivisaires

L’autorisation délivrée par le tribunal s’impose à tous les indivisaires, qu’ils aient donné leur consentement ou exprimé leur opposition à la vente. En vertu de l’alinéa 7 de l’article 815-5-1, cette décision rend l’aliénation opposable à chacun d’eux, ce qui signifie que le transfert de propriété s’opère comme si tous avaient consenti à l’acte.

Cependant, cette opposabilité ne crée pas d’obligation personnelle pour les indivisaires minoritaires.

En d’autres termes, ces derniers ne sont pas considérés comme parties à l’acte de vente et ne peuvent être tenus responsables, par exemple, des garanties attachées à la chose vendue (telle que la garantie des vices cachés).

Ils demeurent juridiquement tiers à l’acte, même s’ils doivent en supporter les conséquences pratiques, notamment la perte de leurs droits sur le bien vendu.

==>À l’égard des tiers

Pour les tiers acquéreurs, l’autorisation judiciaire constitue une garantie essentielle de sécurité juridique.

Elle certifie que la vente est opposable à tous les indivisaires, qu’ils aient consenti ou non à l’aliénation. Cette opposabilité protège les tiers contre toute contestation ultérieure pouvant émaner des indivisaires minoritaires.

En pratique, cela signifie que le tiers acquéreur peut être certain de la validité de son titre de propriété et de l’impossibilité pour les indivisaires minoritaires de remettre en cause la vente.

Cette sécurité renforce l’attractivité économique du bien, en favorisant des ventes rapides et à des conditions avantageuses, tout en évitant les litiges postérieurs à l’aliénation.

==>Sur le produit de la vente

L’autorisation judiciaire ne met pas un terme à l’indivision, mais transforme le bien vendu en une somme d’argent répartie entre les indivisaires selon leurs droits respectifs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 815-5-1.

Ce mécanisme de subrogation permet de maintenir l’équilibre des droits de chaque indivisaire, tout en facilitant la gestion du produit de la vente.

  • Répartition entre les indivisaires
    • Le prix obtenu est réparti proportionnellement aux droits indivis de chacun.
    • Cette répartition reflète les parts initiales détenues dans l’indivision et garantit une juste compensation pour chaque indivisaire, qu’il ait consenti ou non à la vente.
  • Interdiction du remploi pour une nouvelle indivision
    • Afin d’éviter la reconstitution des blocages qui avaient motivé l’aliénation, l’article 815-5-1 prohibe le remploi des fonds pour l’acquisition d’un nouveau bien indivis.
    • Cette interdiction vise à encourager les indivisaires à sortir définitivement de l’indivision et à privilégier des solutions individuelles.
  • Paiement des dettes et charges
    • Une exception à l’interdiction de remploi est toutefois prévue pour le règlement des dettes et charges liées à l’indivision.
    • Cette obligation qui pèse sur les indivisaires permet de solder les dettes communes avant la distribution du reliquat entre les indivisaires, renforçant ainsi la sécurité juridique et financière de l’opération.

II) L’adoption de mesures judiciaires aux fins de sauvegarder les biens indivis

L’article 815-6 du Code civil constitue une pierre angulaire du régime de l’indivision en instaurant un mécanisme permettant au Président du tribunal judiciaire, saisi en référé, de prescrire ou d’autoriser des mesures d’urgence nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt commun.

Ce texte répond à la difficulté de réunir l’unanimité des indivisaires lorsque des circonstances impérieuses exigent une intervention rapide pour éviter une atteinte aux biens indivis ou pour préserver leur valeur.

Par cette disposition, le législateur a entendu pallier les risques inhérents à la paralysie décisionnelle qui peut découler des désaccords entre indivisaires, tout en conférant au juge un rôle subsidiaire et exceptionnel.

Toutefois, cette faculté suscite plusieurs interrogations quant à son champ d’application. En effet, les mesures d’urgence, bien que dictées par une nécessité objective, doivent respecter l’équilibre délicat entre la préservation de l’intérêt commun et les droits individuels des coïndivisaires.

La portée des mesures susceptibles d’être autorisées par le juge reste à interpréter à la lumière de la jurisprudence.

Ces mesures, qui peuvent inclure des actes conservatoires ou des décisions de gestion, doivent s’inscrire dans la stricte nécessité, sans excéder ce qui est indispensable pour préserver l’intégrité ou la valeur du patrimoine indivis.

Une lecture stricte de cette disposition est ainsi indispensable pour éviter qu’elle ne se transforme en une voie détournée permettant de contourner les règles de majorité requises pour les actes de gestion ou de disposition prévues aux articles 815-3 et suivants du Code civil.

Cette intervention juridictionnelle d’exception, bien que prévue par la loi, appelle donc une mise en œuvre prudente afin de respecter l’esprit même du régime de l’indivision, qui repose sur un équilibre entre le principe d’unanimité et les mécanismes correcteurs nécessaires pour garantir l’efficacité et la protection des biens indivis.

A) Les conditions de l’intervention du juge

Il ressort de l’article 815-6 du Code civil que deux conditions doivent être réunies pour que le juge puisse être saisi aux fins d’adoption de mesures de sauvegarde : l’urgence de la mesure sollicitée et l’intérêt commun.

1. L’urgence

La notion d’urgence, au cœur de l’application de l’article 815-6 du Code civil, désigne une situation caractérisée par une nécessité d’agir sans délai afin de prévenir un dommage imminent ou irréversible, mettant en péril les intérêts de l’indivision.

L’urgence constitue donc une condition sine qua non de l’intervention du juge en matière d’indivision, et son appréciation relève d’une analyse circonstancielle et souveraine par les juridictions compétentes.

==>Définition

L’urgence s’entend d’une situation où l’inaction pourrait entraîner des conséquences dommageables pour les biens indivis ou pour les indivisaires eux-mêmes.

Il peut s’agir, par exemple :

  • D’une dégradation physique ou matérielle d’un bien indivis (ex. : immeuble menaçant ruine)?;
  • D’une échéance imminente menaçant l’équilibre économique de l’indivision (ex. : créances échues, pénalités financières)?;
  • D’une obligation légale ou administrative dont le non-respect entraînerait des sanctions ou des pertes irrémédiables (ex. : paiement de droits fiscaux).

Cette urgence doit être objectivement démontrée et ne saurait résulter de la seule volonté d’un indivisaire d’accélérer une prise de décision.

==>Appréciation de l’urgence

La jurisprudence a joué un rôle prépondérant dans la délimitation de la notion d’urgence, les juges évaluant au cas par cas la réalité et l’intensité du danger invoqué.

À titre d’illustration, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé l’autorisation donnée par un juge à un indivisaire de vendre des titres indivis pour régler des droits de succession.

Dans cette affaire, les délais fiscaux impartis pour le paiement de ces droits rendaient toute autre solution impraticable, constituant ainsi une situation d’urgence justifiant une intervention judiciaire (Cass. 1ère civ., 16 févr. 1988, n°86-16.489)

De manière générale, la jurisprudence met l’accent sur deux éléments fondamentaux :

  • L’imminence du préjudice? : il doit exister une menace actuelle et sérieuse, sans laquelle l’intérêt commun de l’indivision serait compromis.
  • L’absence d’alternative viable : l’intervention judiciaire n’est justifiée que si aucun autre mécanisme ou accord entre indivisaires ne permet de surmonter la difficulté.

Toutefois, l’appréciation de l’urgence ne doit pas conduire à une instrumentalisation de cette notion pour contourner les règles normales de gestion de l’indivision, notamment celles requérant l’unanimité ou la majorité qualifiée selon la nature des actes.

Les mesures autorisées par le juge en urgence doivent ainsi rester proportionnées et strictement nécessaires pour prévenir le dommage imminent.

De plus, les décisions prises dans le cadre de l’urgence sont généralement à caractère provisoire?: elles n’ont pas vocation à régir durablement la gestion de l’indivision, qui doit revenir dans le cadre normal des délibérations entre indivisaires dès que les conditions le permettent.

2. L’intérêt commun

L’intérêt commun se distingue des intérêts individuels des indivisaires : il vise la protection et la pérennité de l’indivision elle-même en tant que cadre juridique et économique.

Il peut inclure, à titre d’exemples :

  • La préservation de la valeur des biens indivis (ex. : entretien, réparations nécessaires, prévention de leur dégradation)?;
  • La sauvegarde des droits collectifs des indivisaires (ex. : protection contre des actes ou des omissions susceptibles de nuire à l’indivision)?;
  • La gestion efficace des obligations liées à l’indivision (ex. : règlement des dettes ou des charges communes).

L’intérêt commun ne suppose pas nécessairement l’unanimité ou l’accord des indivisaires. Il peut exister même en cas de désaccord, dès lors que l’action envisagée bénéficie à l’indivision dans son ensemble.

Ainsi, dans un arrêt du 13 novembre 1984, la Cour de cassation a affirmé « que l’existence, en la personne de certains indivisaires, d’intérêts divergents nés d’une circonstance étrangère a l’indivision n’implique pas l’absence d’intérêt commun » (Cass. 1re civ., 13 nov. 1984, n°83-13.999).

Cette décision souligne que l’intérêt commun transcende les conflits individuels et justifie l’intervention judiciaire pour prévenir des actions ou des abstentions préjudiciables à l’indivision.

Ainsi, même lorsque certains indivisaires expriment des oppositions ou refusent de participer à des décisions collectives, l’intérêt commun peut prévaloir pour protéger les biens indivis.

Le juge est alors habilité à prescrire des mesures nécessaires, dès lors qu’elles répondent à une logique de préservation ou de valorisation de l’ensemble des actifs indivis.

L’invocation de l’intérêt commun doit toutefois être justifiée par des éléments objectifs, démontrant que l’action ou la mesure envisagée est indispensable pour éviter un préjudice à l’indivision.

Le juge exerce un contrôle rigoureux sur la réalité de cet intérêt commun, notamment pour éviter que cette notion ne soit utilisée abusivement pour favoriser des intérêts individuels ou masquer des conflits personnels.

De plus, les mesures prises au nom de l’intérêt commun doivent respecter le principe de proportionnalité : elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre leur objectif. Ainsi, l’intervention judiciaire, bien que légitime, doit rester mesurée et encadrée par le respect des droits des indivisaires.

B) Les mesures susceptibles d’être prises par le juge

L’article 815-6 du Code civil investit le juge de larges prérogatives pour intervenir dans les situations d’indivision, en vue de préserver l’intérêt commun des indivisaires.

L’emploi de l’adverbe « notamment » dans le texte de loi illustre le caractère non limitatif des mesures que le juge peut prescrire. Cependant, ces mesures doivent impérativement répondre à deux exigences fondamentales : l’urgence et l’intérêt commun.

Ces deux critères conditionnent l’intervention judiciaire et encadrent l’étendue des pouvoirs conférés au magistrat.

A cet égard, l’article 815-6 énumère certaines mesures spécifiques que le juge peut prendre, sans toutefois épuiser les possibilités d’intervention judiciaire.

Ces mesures s’avèrent particulièrement adaptées à des situations fréquentes dans le cadre des indivisions successorales ou familiales.

1. Perception de fonds indivis

==>Principe

L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil confère au juge la faculté d’« autoriser un indivisaire à percevoir des débiteurs de l’indivision ou des dépositaires de fonds indivis une provision destinée à faire face aux besoins urgents, en prescrivant, au besoin, les conditions de l’emploi. »

Ce dispositif vise à prévenir les préjudices pouvant résulter de l’absence de consensus entre indivisaires ou de l’inertie collective dans la gestion des biens indivis.

==>Conditions

Pour que le juge puisse accorder une telle autorisation, deux conditions doivent être remplies :

  • L’urgence des besoins
    • Le caractère urgent des besoins à satisfaire constitue la condition essentielle de l’intervention judiciaire.
    • L’urgence se définit comme la nécessité d’agir sans délai pour prévenir un dommage imminent ou irrémédiable, tel que le paiement de frais d’obsèques, de dettes fiscales, ou d’autres dépenses immédiates indispensables à la préservation des intérêts de l’indivision.
    • Pour exemple, dans un arrêt du 16 février 1988, la Cour de cassation a validé la perception de fonds indivis pour régler des droits de succession lorsque les délais fiscaux imposent une solution rapide (Cass. 1ère civ. 16 févr. 1988, n°86-16.489).
  • La pertinence de la provision
    • Le montant de la provision doit être strictement limité à ce qui est nécessaire pour couvrir les besoins identifiés.
    • Le juge peut, à cet égard, prescrire des conditions d’emploi précises pour encadrer l’utilisation des fonds perçus.

==>Modalités pratiques de mise en œuvre

Lorsqu’il va rendre sa décision, le juge peut :

  • Identifier les débiteurs ou dépositaires concernés : les fonds indivis peuvent être détenus par des institutions financières, des locataires ou tout autre débiteur de l’indivision. Le juge doit alors clairement désigner les personnes tenues de remettre les sommes à l’indivisaire autorisé.
  • Préciser les conditions d’emploi : pour garantir la bonne utilisation de la provision, le juge peut imposer des modalités spécifiques, telles que l’affectation des fonds à des dépenses déterminées ou la nécessité d’en rendre compte ultérieurement.
  • Protéger les droits des autres indivisaires : la décision judiciaire ne modifie pas les droits de chacun sur les fonds indivis et n’affecte pas la qualité d’indivisaire, notamment pour le conjoint survivant ou les héritiers.

==>Portée de l’autorisation

L’article 815-6, alinéa 2 du Code civil, tout en conférant au juge le pouvoir d’autoriser un indivisaire à percevoir des fonds pour répondre à des besoins urgents, prévoit explicitement une limitation importante quant à la portée de cette autorisation :

Le texte précise, en effet, que « cette autorisation n’entraîne pas prise de qualité pour le conjoint survivant ou pour l’héritier. »

Cette précision vise à encadrer rigoureusement les effets de l’autorisation délivrée par le juge, afin de préserver l’équilibre entre les droits des indivisaires et d’éviter toute dérive.

La règle s’applique notamment dans situations?distinctes :

  • Première situation
    • Lorsqu’un conjoint survivant est autorisé à percevoir des fonds indivis pour faire face à des dépenses urgentes, cette faculté n’implique pas reconnaissance implicite de droits préférentiels dans l’indivision, en particulier dans les successions complexes où les droits entre héritiers et conjoint doivent être strictement délimités.
  • Seconde situation
    • L’héritier autorisé à percevoir des fonds agit au titre d’une mission temporaire et encadrée, et ne peut en tirer aucun avantage dans la répartition future des biens.
    • Cela garantit l’impartialité et l’équité dans l’administration et le partage de l’indivision.

Ainsi, la règle énoncée à l’article 815-6, al. 2 in fine vise à éviter toute confusion entre l’exercice d’une mission ponctuelle et les droits patrimoniaux ou personnels des indivisaires, ces derniers restant strictement définis par les dispositions légales applicables (articles 815 et suivants du Code civil).

2. Désignation d’un administrateur provisoire

==>Exposé du principe

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère au président du tribunal judiciaire le pouvoir de désigner un administrateur provisoire ou un séquestre pour assurer la gestion des biens indivis dans l’intérêt commun.

Le texte prévoit en ce sen que le juge « peut également soit désigner un indivisaire comme administrateur en l’obligeant, s’il y a lieu, à donner caution, soit nommer un séquestre. Les articles 1873-5 à 1873-9 du présent code s’appliquent en tant que de raison aux pouvoirs et aux obligations de l’administrateur, s’ils ne sont autrement définis par le juge.?»

La désignation d’un administrateur provisoire ou d’un séquestre vise à répondre à des situations de crise, dans lesquelles l’unanimité ou la gestion collégiale des indivisaires devient impossible ou inefficace.

Ces situations peuvent procéder :

  • De conflits internes?: désaccords persistants empêchant la prise d’actes nécessaires à la gestion des biens indivis.
  • D’une urgence : nécessité d’accomplir rapidement des actes pour protéger les biens, comme la réalisation de travaux, la perception de revenus ou la vente de biens.

La finalité de la règle énoncée à l’article 815-6, al. 3e du Code civil est parfaitement bien illustrée dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1993.

Dans cette affaire, la Première chambre civile a confirmé la désignation d’un indivisaire en qualité d’administrateur des biens indivis dans une situation marquée par un désaccord entre les coïndivisaires, l’absence de convention relative à la gestion de l’indivision, et des désordres de gestion nécessitant une intervention urgente.

En l’espèce, à la suite du décès d’un coïndivisaire, une seconde indivision successorale avait vu le jour entre le père survivant et ses deux enfants, légataires universels.

L’un des indivisaires, invoquant l’inertie dans la gestion des biens indivis et les difficultés qui en découlaient, avait obtenu du juge des référés sa désignation en qualité d’administrateur provisoire.

La Cour de cassation a approuvé cette décision en retenant que :

  • D’une part, l’urgence et l’intérêt commun justifiaient l’intervention du juge, en raison de l’absence d’accord entre les indivisaires sur les modalités de gestion ;
  • D’autre part, les dispositions de l’article 815-6 du Code civil s’appliquent à toutes les indivisions, qu’elles soient successorales ou d’une autre nature, permettant ainsi de remédier aux situations de blocage.

Cette décision met en lumière la vocation de l’administrateur provisoire à répondre efficacement aux crises de gestion dans l’indivision, en particulier lorsqu’aucune organisation conventionnelle n’a été prévue et que les dissensions entre indivisaires compromettent la préservation de leurs intérêts communs.

==>Les personnes pouvant être désignées comme administrateur

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit expressément que le juge peut désigner un indivisaire comme administrateur, tout en lui imposant, si nécessaire, de fournir une caution.

Toutefois, bien que cette disposition semble limiter la désignation à un indivisaire, la doctrine et la jurisprudence ont progressivement élargi cette faculté pour inclure également la possibilité de désigner un tiers lorsque les circonstances l’exigent.

  • La désignation d’un indivisaire
    • La désignation d’un indivisaire comme administrateur est généralement privilégiée, car elle présente plusieurs avantages pratiques :
      • Connaissance des biens indivis : en tant que copropriétaire, l’indivisaire connaît généralement la nature et les caractéristiques des biens indivis, ce qui facilite leur gestion.
      • Alignement d’intérêts : l’indivisaire désigné agit dans l’intérêt commun, ce qui réduit le risque de conflit entre les parties.
    • Cependant, cette désignation peut être problématique lorsque les indivisaires sont en désaccord profond ou si l’indivisaire pressenti manque des compétences nécessaires pour gérer efficacement les biens indivis.
  • La désignation d’un tiers
    • Dans certains cas, la désignation d’un tiers comme administrateur est admise par la jurisprudence et peut s’avérer plus appropriée.
    • Cette solution se justifie notamment dans les situations suivantes :
      • Lorsque les relations entre les indivisaires sont marquées par une méfiance ou un conflit exacerbé, un tiers impartial est souvent préférable pour éviter que la gestion des biens ne devienne un enjeu de discorde supplémentaire.
      • Si aucun indivisaire ne possède les compétences ou les qualités nécessaires pour assumer la fonction d’administrateur, le juge peut se tourner vers une personne extérieure qualifiée.
    • La Cour de cassation a admis cette possibilité de désigner un tiers comme administrateur de l’indivision dans un arrêt du 6 février 2001 (Cass. 1ère civ., 6 févr. 2001, n°98-19.060).
    • Dans cette affaire, il s’agissait de la désignation d’un indivisaire en usufruit comme administrateur dans le cadre d’une indivision portant sur des droits en usufruit et en nue-propriété.
    • La Haute juridiction a jugé que l’administrateur doit appartenir à l’indivision concernée et que, en cas de superposition de plusieurs indivisions, une désignation parmi les indivisaires pourrait ne pas convenir si les intérêts divergent fortement.
    • Cette solution ouvre implicitement la possibilité de désigner un tiers en tant qu’administrateur, à condition que le juge motive cette décision, notamment en mettant en avant :
      • Soit l’inaptitude des indivisaires à gérer les biens dans l’intérêt commun ;
      • Soit l’urgence et la nécessité d’une intervention extérieure pour préserver les biens indivis.
    • La désignation d’un tiers n’étant pas expressément prévue par l’article 815-6, alinéa 3, elle repose sur une interprétation extensive du texte, guidée par l’objectif de préserver l’intérêt commun des indivisaires.
    • Ainsi, le juge doit motiver sa décision en démontrant que :
      • La désignation d’un indivisaire est impossible ou inopportune ;
      • L’intervention d’un tiers est indispensable pour garantir une gestion neutre et efficace des biens indivis.

==>Missions et pouvoirs de l’administrateur

L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil confère à l’administrateur des pouvoirs définis par le juge, ou, à défaut, par les articles 1873-5 à 1873-9, applicables par analogie aux indivisions conventionnelles.

Ces dispositions permettent une gestion adaptée à chaque situation, garantissant l’administration efficace des biens indivis dans l’intérêt commun des indivisaires.

  • Les missions générales de l’administrateur
    • L’administrateur exerce un rôle pivot dans la gestion des biens indivis.
    • Ses missions principales comprennent :
      • La gestion courante
        • L’administrateur veille à l’administration ordinaire des biens indivis, ce qui comprend notamment :
          • L’entretien et la préservation des biens ;
          • La perception des revenus générés, comme les loyers ou les dividendes ;
          • La gestion locative, incluant la conclusion et le renouvellement de baux nécessaires à l’exploitation des biens indivis.
      • La réalisation d’actes urgents
        • L’administrateur est habilité à accomplir les actes indispensables pour éviter la dégradation des biens indivis ou répondre à des besoins pressants.
        • Ces actes, souvent conservatoires, permettent de prévenir un préjudice imminent pour l’indivision.
      • La représentation en justice
        • L’administrateur représente les indivisaires dans les procédures judiciaires nécessaires à la défense ou à la préservation des intérêts de l’indivision.
          • Aux termes de l’article 1873-6, alinéa 1er, il peut agir en justice tant en demande qu’en défense, dans la limite de ses pouvoirs.
          • Il ne peut cependant intenter des actions personnelles propres aux indivisaires, comme les actions liées à la filiation ou au mariage (Cass. 1re civ., 11 mars 1980, n°78-13.927).
  • Les pouvoirs spécifiques conférés par le juge
    • L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil prévoit que, en l’absence de définition expresse des pouvoirs conférés à l’administrateur par le juge, les dispositions des articles 1873-5 à 1873-9, relatives aux indivisions conventionnelles, s’appliquent « en tant que de raison ».
    • Toutefois, ce renvoi à ces articles ne lie pas le juge, qui peut, selon les besoins de l’affaire et les circonstances particulières, accorder des pouvoirs allant bien au-delà de ceux prévus dans ces dispositions.
    • En effet, bien que les articles 1873-5 à 1873-9 constituent un cadre supplétif de référence pour l’administration des biens indivis, ils ne limitent pas l’étendue des pouvoirs que le juge peut attribuer.
    • La Cour de cassation a affirmé en ce sens dans un arrêt du 10 juin 2015 que ces dispositions devaient être appliquées uniquement dans la mesure où le juge n’a pas spécifiquement précisé les missions et prérogatives de l’administrateur dans son ordonnance de désignation (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
    • Ainsi, le juge conserve une grande latitude pour adapter les pouvoirs de l’administrateur aux besoins propres à chaque indivision.
    • A cet égard, le juge peut, lorsqu’il l’estime nécessaire pour protéger l’intérêt commun ou répondre à des situations d’urgence, conférer des pouvoirs qui dépassent les actes de gestion courante.
    • Ces pouvoirs exceptionnels doivent être strictement justifiés par les circonstances, notamment lorsque les biens indivis nécessitent une administration active ou des décisions rapides pour éviter un préjudice.
    • Aussi, par exemple, la Cour de cassation a admis que le juge pouvait autoriser un administrateur à procéder à la vente de biens indivis, même lorsqu’il s’agit d’un acte de disposition normalement soumis à l’unanimité des indivisaires (Cass. 1re civ., 10 juin 2015, n°14-18.944).
    • Une telle mesure, bien que exceptionnelle, répondant à une situation d’urgence et était conforme à l’intérêt commun de l’indivision.
    • De manière similaire, le juge pourrait autoriser un administrateur à conclure des baux nécessitant normalement le consentement unanime des indivisaires, dès lors que ces actes sont jugés nécessaires à la préservation ou à la valorisation des biens indivis.
  • Limites aux pouvoirs de l’administrateur
    • L’administrateur désigné en vertu de l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil exerce des pouvoirs définis par le juge, mais ceux-ci ne sont pas illimités.
    • Deux principales limites encadrent ses actions : l’interdiction d’intenter des actions personnelles attachées aux indivisaires et l’obligation de respecter leur volonté unanime.
      • Interdiction d’exercer des actions personnelles
        • L’administrateur provisoire ne peut agir sur des droits strictement attachés à la personne des indivisaires, même si ces droits ont des conséquences patrimoniales.
        • Cette restriction repose sur le principe selon lequel les actions personnelles relèvent exclusivement de l’initiative des individus concernés.
        • Aussi, par exemple, les actions portant sur l’état civil ou familial des indivisaires échappent au champ d’intervention de l’administrateur.
        • Dans un arrêt du 11 mars 1980, la Cour de cassation a ainsi jugé qu’un administrateur d’indivision successorale ne pouvait se substituer aux indivisaires pour exercer une action en nullité de mariage, celle-ci étant éminemment personnelle malgré ses implications patrimoniales (Cass. 1ère civ., 11 mars 1980, n° 78-13.927).
        • Même lorsque ces actions personnelles ont un impact direct sur les biens indivis, comme dans le cas de l’annulation d’un mariage pouvant affecter les droits successoraux, elles restent hors du périmètre d’intervention de l’administrateur. Cette interdiction vise à préserver le caractère personnel et privé de telles démarches.
      • Respect de la volonté unanime des indivisaires
        • L’administrateur provisoire ne peut agir contre l’unanimité des indivisaires, cette unanimité constituant une expression de leur accord collectif, essentielle dans le cadre de l’indivision.
        • En effet, lorsque les indivisaires s’entendent pour accomplir un acte particulier, l’administrateur n’a plus vocation à intervenir.
        • Par exemple si tous les indivisaires conviennent de vendre un bien indivis, l’administrateur ne peut contester cette décision ni agir en leur nom pour imposer un autre choix.
        • De même, si une décision commune met fin à un litige, l’administrateur ne peut engager d’action judiciaire allant à l’encontre de cette volonté.
        • La jurisprudence a précisé que la mission de l’administrateur devient caduque dès lors qu’une unanimité des indivisaires est constatée, l’article 815-3 du Code civil leur conférant le pouvoir de gérer et disposer des biens par un consentement unanime.
        • A cet égard, la fonction de l’administrateur est avant tout de pallier les désaccords ou l’inertie des indivisaires.
        • En cas d’accord unanime, son intervention devient superflue et sa mission limitée à d’autres actes non couverts par cet accord.
        • Cela garantit que l’administrateur ne se substitue pas à la volonté collective des indivisaires lorsqu’elle peut s’exprimer.

==>Cessation des fonctions de l’administrateur

La cessation des fonctions de l’administrateur désigné pour gérer une indivision peut intervenir de plein droit, par décision judiciaire, ou à l’initiative des indivisaires.

  • Cessation de plein droit
    • La mission de l’administrateur prend fin automatiquement lorsque l’échéance fixée par le juge dans l’ordonnance de désignation est atteinte.
    • Conformément à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, cette échéance est déterminée en fonction des besoins spécifiques de l’indivision.
    • L’objectif est d’encadrer temporellement la gestion pour éviter toute prolongation indue de la mission, sauf si une reconduction est expressément décidée par le juge à la demande des parties.
  • Cessation par décision judiciaire
    • Le juge peut mettre un terme à la mission de l’administrateur avant l’échéance prévue dans deux situations principales :
      • Fin de nécessité de la mission
        • Lorsque les circonstances ayant justifié la désignation de l’administrateur disparaissent, notamment en cas de résolution des conflits entre indivisaires ou de disparition de l’urgence ayant motivé l’intervention, le juge peut révoquer l’administrateur.
        • Par exemple, si un accord est trouvé pour gérer collectivement les biens indivis, la mission de l’administrateur devient superflue.
      • Faute de gestion ou manquements
        • En cas de carence, de mauvaise gestion, ou d’actes contraires à l’intérêt commun des indivisaires, le juge peut prononcer la révocation de l’administrateur.
        • Cette décision doit reposer sur une analyse des faits, tels que des malversations, un conflit d’intérêts manifeste, ou l’inaptitude à exécuter les actes nécessaires à la préservation ou à la mise en valeur des biens indivis.
  • Cessation par accord des indivisaires
    • L’unanimité des indivisaires constitue une limite essentielle aux pouvoirs de l’administrateur.
    • Si tous les indivisaires s’accordent pour demander la cessation de la mission de l’administrateur, cette demande doit être soumise au juge pour validation.
    • Bien que l’accord unanime des indivisaires témoigne d’une volonté collective, le juge demeure compétent pour apprécier si cette cessation ne porte pas préjudice à l’intérêt commun, notamment dans les cas où des dettes restent à régler ou des actes urgents à accomplir.

==>Désignation d’un séquestre

La désignation d’un séquestre, prévue à l’article 815-6, alinéa 3 du Code civil, constitue une mesure exceptionnelle destinée à garantir la préservation des biens indivis dans les situations où l’intérêt commun des indivisaires est menacé.

À la différence de l’administrateur provisoire, le séquestre est souvent envisagé lorsque des fonds ou des biens nécessitent une gestion neutre et impartiale pour prévenir des conflits ou des abus.

  • Fondement et finalité de la mesure
    • L’article 815-6, alinéa 3 du Code civil permet au Président du tribunal judiciaire de nommer un séquestre dans les cas où la préservation de l’intérêt commun des indivisaires l’exige.
    • Cette mesure s’applique principalement lorsque l’urgence ou l’existence de différends entre indivisaires empêche une gestion efficace des biens ou des fonds indivis.
    • La désignation d’un séquestre vise plusieurs objectifs :
      • Prévenir les risques de dissipation des biens ou des fonds indivis?: lorsqu’un indivisaire est soupçonné de détourner ou de dilapider des biens communs, le séquestre assure leur conservation dans des conditions sécurisées.
      • Gérer temporairement les biens indivis?: le séquestre peut percevoir les revenus générés par les biens ou assurer leur entretien, en attendant une résolution amiable ou judiciaire des différends entre les indivisaires.
      • Garantir la neutralité de la gestion?: contrairement à l’administrateur provisoire, souvent désigné parmi les indivisaires, le séquestre est généralement un tiers impartial, ce qui réduit les risques de conflit d’intérêts.
  • Conditions de désignation
    • Pour qu’un séquestre puisse être désigné, deux conditions essentielles doivent être réunies :
      • Existence d’un risque pour les biens indivis
        • La mesure est ordonnée lorsque l’absence de gestion efficace ou des conflits entre indivisaires mettent en péril les biens indivis ou leur valeur.
        • Cela peut concerner, par exemple, des revenus issus de la location d’un immeuble indivis ou des fonds résultant de la vente d’un bien.
      • Intérêt commun des indivisaires
        • La désignation d’un séquestre est justifiée lorsque l’intérêt collectif des indivisaires ne peut être préservé autrement.
        • Le séquestre agit au nom de tous les indivisaires, indépendamment de leurs intérêts individuels divergents.
  • Personnes pouvant être désignées comme séquestre
    • Contrairement à l’administrateur provisoire, qui est souvent un indivisaire, le séquestre est généralement choisi parmi des tiers, en raison de la neutralité requise pour remplir cette fonction.
    • Il peut s’agir :
      • D’un notaire, souvent désigné pour gérer des fonds ou superviser des opérations complexes, telles que le partage successoral?;
      • D’un avocat ou d’un administrateur judiciaire, dans les cas nécessitant des compétences spécifiques?;
      • De toute personne qualifiée, dont l’impartialité et les compétences sont reconnues par le juge.
    • La doctrine admet cependant la possibilité de désigner un indivisaire comme séquestre, sous réserve que cette désignation ne soulève pas de conflits d’intérêts.
  • Pouvoirs du séquestre
    • Les pouvoirs du séquestre ne sont pas expressément définis par l’article 815-6 du Code civil. Ils sont donc librement fixés par le juge en fonction des besoins de l’indivision.
    • Ils peuvent comprendre :
      • La conservation et la gestion des fonds indivis, comme leur placement en attente d’un partage?;
      • La perception des revenus générés par les biens, tels que les loyers?;
      • L’exécution d’actes urgents nécessaires à la préservation des biens ou de leur valeur.
    • Le séquestre doit rendre compte de sa gestion aux indivisaires et au juge, selon les modalités définies par ce dernier.

==>Cessation de la mission

La mission du séquestre prend fin :

  • De plein droit : à l’échéance fixée par le juge lors de sa désignation?;
  • Par décision judiciaire : le juge peut révoquer le séquestre en cas de faute ou lorsque la mission devient inutile?;

À l’issue de l’objectif fixé?: Lorsque les biens ou fonds placés sous séquestre peuvent être répartis ou gérés directement par les indivisaires.

3. Interdiction de déplacer des meubles corporels

L’article 815-7 du Code civil prévoit une mesure particulière qui permet au Président du tribunal judiciaire d’interdire le déplacement des meubles corporels indivis.

Cette disposition, bien que distincte de l’article 815-6, alinéa 1er , en constitue une application concrète, s’inscrivant dans le cadre des mesures urgentes destinées à préserver l’intérêt commun des indivisaires.

==>Fondement et finalité

L’article 815-7 dispose?que « le président du tribunal peut aussi interdire le déplacement des meubles corporels sauf à spécifier ceux dont il attribue l’usage personnel à l’un ou à l’autre des ayants droit, à charge pour ceux-ci de donner caution s’il l’estime nécessaire. »

Ce texte, directement inspiré de l’article 220-1, alinéa 2 du Code civil, relatif aux régimes matrimoniaux, a pour objectif de préserver les biens corporels indivis en cas de risques de dissipation, de détournement ou de mésentente entre indivisaires.

Toutefois, il s’en distingue par plusieurs particularités propres au régime de l’indivision?:

  • D’une part, le juge peut imposer une caution à l’indivisaire auquel l’usage personnel d’un bien est attribué, afin de protéger les intérêts des coïndivisaires.
  • D’autre part, aucune limitation de durée n’est prévue pour la mesure, contrairement à ce qui est prévu dans le cadre des régimes matrimoniaux.

==>Conditions

La mise en œuvre de cette interdiction est subordonnée aux conditions générales prévues par l’article 815-6 :

  • Urgence : la mesure doit être justifiée par la nécessité de préserver les biens indivis contre un risque imminent.
  • Intérêt commun : l’interdiction doit viser à protéger l’ensemble des indivisaires, et non à privilégier les intérêts d’un seul.

L’interdiction de déplacer les meubles corporels est généralement appliquée dans des contextes où les conflits entre indivisaires entraînent une menace pour la conservation des biens indivis.

Elle peut concerner divers types de biens?: mobilier, bijoux, titres au porteur ou véhicules.

==>Etendue de l’interdiction

Le juge dispose d’une large latitude dans la mise en œuvre de l’interdiction :

  • Interdiction générale : la mesure peut s’appliquer à l’ensemble des meubles corporels indivis, comme des meubles meublants ou des objets de valeur.
  • Interdiction partielle : le juge peut limiter l’interdiction à certains biens spécifiques, en fonction des besoins et des circonstances.
  • Attribution d’un bien à un indivisaire en particulier : dans certains cas, le juge peut attribuer l’usage exclusif de certains biens à un indivisaire, sous réserve de la constitution d’une caution ou de toute autre garantie destinée à préserver les droits des autres indivisaires.

==>Sanctions

Bien que l’article 815-7 ne prévoie pas de mesures de publicité ou de sanctions pénales spécifiques, plusieurs mécanismes peuvent renforcer son efficacité?:

En cas de non-respect de l’interdiction, l’indivisaire fautif peut être condamné à des dommages et intérêts, notamment en cas de détournement ou de vente des biens protégés.

Si l’indivisaire enfreint l’interdiction, une saisie conservatoire ou une mesure équivalente peut être mise en œuvre pour garantir la conservation des biens.

La doctrine recommande parfois d’associer cette interdiction à une mesure de séquestre, ce qui permettrait d’engager la responsabilité pénale de l’indivisaire en cas de détournement (art. 314-5 C. pen.).

4. Autorisation d’effectuer des travaux d’amélioration, de réhabilitation et de restauration des immeubles d’habitation situés dans les départements d’outre-mer

L’article 815-7-1 du Code civil, introduit par la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, constitue un dispositif spécifique destiné à faciliter la remise sur le marché locatif des immeubles indivis vacants situés dans les départements d’outre-mer (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) et dans la collectivité de Saint-Martin.

Ce texte permet à un indivisaire, sous certaines conditions, de réaliser des travaux et actes administratifs sans l’accord des autres indivisaires.

==>Finalité du dispositif

La mesure vise à répondre à un enjeu spécifique : lutter contre la vacance prolongée des immeubles indivis dans ces territoires, souvent caractérisée par des mésententes entre coïndivisaires ou une gestion déficiente.

L’objectif est de permettre à un indivisaire d’engager des travaux d’amélioration, de réhabilitation ou de restauration, afin de rendre le bien éligible à la location à usage d’habitation principale.

La règle énoncée à l’article 815-7-1 du Code civil reflète une volonté législative de revitaliser le parc immobilier locatif dans les départements d’outre-mer.

Comme indiqué dans les travaux parlementaires, cette mesure permet à un indivisaire de passer outre l’absence d’accord des coïndivisaires, facilitant ainsi les démarches nécessaires à la mise en location de biens vacants.

==>Conditions d’application

La mise en œuvre de l’article 815-7-1 est soumise à la réunion de plusieurs conditions :

  • Conditions relatives à l’immeuble
    • L’immeuble doit être situé en Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion ou Saint-Martin.
    • Il doit être à usage d’habitation ou à usage mixte (habitation et professionnel).
    • L’immeuble doit être vacant ou inoccupé depuis plus de deux années civiles.
  • Conditions relatives aux travaux et actes autorisés
    • Les travaux doivent être de nature à améliorer, réhabiliter ou restaurer l’immeuble.
    • Les actes juridiques, tels que les formalités d’administration et de publicité, doivent viser exclusivement à permettre la location du bien à titre d’habitation principale.

==>Régime

L’article 815-7-1 prévoit que l’autorisation judiciaire est donnée «?dans les conditions prévues aux articles 813-1 à 813-9 du Code civil?», qui régissent la désignation d’un mandataire successoral.

Ce renvoi emporte plusieurs conséquences :

  • Compétence juridictionnelle : le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la demande.
  • Mandat judiciaire : l’indivisaire autorisé agit comme un mandataire judiciaire, disposant des pouvoirs nécessaires pour accomplir les actes requis.
  • Harmonisation avec les règles successorales : bien que le texte ne limite pas son champ d’application aux seules indivisions successorales, le renvoi aux règles du mandat successoral suscite certaines interrogations, notamment quant à l’applicabilité de ces dispositions dans d’autres contextes d’indivision.

C) La procédure

1. Compétence juridictionnelle

==>Compétence du Président du Tribunal judiciaire

L’article 815-6 du Code civil confie expressément la compétence au président du Tribunal judiciaire pour prescrire ou autoriser des mesures urgentes nécessaires à la préservation de l’intérêt commun des indivisaires.

Ce dernier a pour mission de trancher les situations de blocage dans la gestion des biens indivis, en répondant aux exigences de rapidité et d’efficacité.

La compétence est exclusivement civile. Ainsi, même si l’indivision porte sur des parts de société, il revient au tribunal judiciaire de statuer, et non au tribunal de commerce (CA Versailles, 11 mars 1987).

De même, le juge aux affaires familiales n’intervient pas, même lorsque l’indivision est issue d’une séparation ou d’un divorce (circulaire du 16 juin 2010).

==>Nature des pouvoirs du Président du Tribunal judiciaire

La question de la nature exacte des pouvoirs conférés au président du tribunal judiciaire en application de l’article 815-6 du Code civil a longtemps été débattue.

Deux approches peuvent être adoptées :

  • Le Président du Tribunal judiciaire statue-t-il en référé??
    • Certains auteurs et juridictions ont initialement considéré que le Président du Tribunal judiciaire, saisi sur le fondement de l’article 815-6, exerçait des pouvoirs de référé (articles 834 et 835 du Code de procédure civile).
    • Cette position s’appuyait sur le critère d’urgence inhérent à cette procédure.
    • Cependant, cette interprétation limite les prérogatives du juge, qui, en référé, ne peut toucher au fond du litige ni autoriser des actes de disposition comme la vente de biens indivis.
    • Cette restriction rendait la procédure inadéquate pour répondre aux besoins complexes de l’indivision.
  • Le Président du Tribunal judiciaire statue-t-il au fond??
    • Une approche concurrente soutenait que le président, dans le cadre de l’article 815-6, statue “en la forme des référés” (ancienne procédure avant 2019 devenue la procédure accélérée au fond), lui permettant d’intervenir directement sur le fond des litiges liés à l’indivision.
    • Cette interprétation élargit considérablement les pouvoirs du président, qui peut ainsi autoriser des actes dépassant la simple administration courante, comme la vente d’un bien indivis.

La Cour de cassation a tranché ce débat en faveur de la seconde interprétation. Dans plusieurs décisions, elle a affirmé que le Président du Tribunal judiciaire, lorsqu’il est saisi en application de l’article 815-6, le fait dans un cadre procédural lui permettant de statuer au fond (V. notamment en ce sens Cass. 1re civ., 16 févr. 1988, n°86-16.489)

Cette position a été confirmée avec l’introduction de la procédure accélérée au fond par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019, désormais régie par l’article 481-1 du Code de procédure civile.

Cette procédure remplace l’ancienne “forme des référés” et autorise le président à trancher directement le fond des litiges. Elle est particulièrement adaptée aux situations où l’intérêt commun des indivisaires exige une intervention immédiate et décisive.

Statuer au fond permet au président d’autoriser des actes de disposition, comme la vente de biens indivis pour régler des dettes ou effectuer des travaux urgents, dans des délais rapides et sans nécessiter un recours ultérieur au tribunal.

Toutefois, les pouvoirs du président restent limités aux mesures urgentes nécessaires à la sauvegarde de l’intérêt commun des indivisaires.

Il ne saurait intervenir dans des domaines étrangers à cette finalité, tels que, par exemple, le droit viager au logement du conjoint survivant, qui relève de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (Cass. 1ère civ., 24 oct. 2012, n° 11-17.094).

==>Saisine et instruction

La saisine du président du tribunal judiciaire ne peut être initiée que par un indivisaire ayant intérêt à agir, excluant toute intervention d’office du juge.

La demande peut également être formée par un créancier agissant par voie d’action oblique, lorsque les mesures requises visent à protéger indirectement ses intérêts (ex.?: vente d’un bien indivis pour régler des dettes).

A cet égard, la saisine se fait par assignation, et non par voie de requête, conformément à l’article 493 du Code de procédure civile.

Cette disposition prévoit, en effet, qu’il ne peut être opté pour la procédure sur requête que « dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse », ce qui ici n’est pas le cas.

En tout état de cause, le demandeur doit démontrer l’urgence de la mesure et son caractère nécessaire pour préserver l’intérêt commun. Ces deux conditions sont cumulatives et appréciées souverainement par le juge.

Enfin, une fois saisi, le Président du Tribunal examine si les mesures sollicitées sont conformes aux exigences légales. Les pièces justificatives doivent établir non seulement la réalité des biens indivis, mais aussi l’urgence et les risques encourus en cas d’inaction.

  1. Cl. Brenner, L’acte conservatoire, LGDJ, préf. P. Catala, 1999 ?
  2. F. Chabas, Leçons de droit civil – Introduction à l’étude du droit, 11e éd., Montchrestien, 1996, p. 377. ?

 

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