Le principe d’unanimité, édicté à l’article 815-3 alinéa 3 du Code civil, impose que tout acte de disposition ou tout acte étranger à l’exploitation normale des biens indivis soit soumis au consentement de tous les indivisaires.
Toutefois, si le législateur a clairement énoncé ce principe comme une règle cardinale de l’indivision, il n’a pas corrélativement précisé les sanctions applicables en cas de violation.
La question s’est alors rapidement posée de savoir quelle devait être la sanction applicable.
==>L’exclusion de la nullité comme sanction de principe
La nullité, qui constitue traditionnellement la sanction de la méconnaissance des conditions de validité d’un acte juridique, pourrait sembler, au premier abord, la réponse appropriée à la violation du principe d’unanimité énoncé à l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil.
Cependant, cette solution radicale a été écartée par la jurisprudence et la doctrine pour mieux s’adapter aux spécificités de l’indivision.
Deux considérations majeures justifient ce choix : d’une part, la nature particulière du droit indivis, et d’autre part, l’effet déclaratif du partage, qui confère une dynamique singulière au régime de l’indivision.
- La nature particulière du droit indivis
- L’indivision repose sur une articulation subtile entre droits individuels et propriété collective.
- Chaque indivisaire est titulaire d’un droit de propriété sur sa quote-part indivise, ce qui lui confère une légitimité à agir, même en l’absence de consentement unanime des autres.
- Il ne peut donc être assimilé à un tiers entièrement dépourvu de droits sur le bien indivis.
- Cette spécificité distingue fondamentalement l’indivisaire de l’auteur d’un acte irrégulier dans un contexte juridique classique.
- Ainsi, l’acte accompli par un indivisaire sans le consentement de ses coïndivisaires ne saurait être considéré comme totalement nul.
- Il conserve une validité restreinte, limitée à la portion indivise de l’auteur de l’acte.
- Cette approche procède du principe selon lequel nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet : nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en détient.
- L’acte, bien qu’irrégulier, n’est pas intrinsèquement dépourvu d’effet, mais sa portée est circonscrite.
- L’exclusion de la nullité vise également à protéger les tiers cocontractants, qui, agissant de bonne foi, ne doivent pas voir leurs droits systématiquement anéantis par l’irrespect du principe d’unanimité.
- En conséquence, dans les rapports entre l’auteur de l’acte et le cocontractant, la validité partielle de l’acte préserve une certaine sécurité juridique, tout en laissant aux coïndivisaires la possibilité de contester son opposabilité à leur égard.
- L’effet déclaratif du partage
- Le partage, en tant que mécanisme de dissolution de l’indivision, exerce une influence décisive sur le sort des actes passés pendant la période d’indivision.
- En vertu de son effet déclaratif, tel qu’énoncé à l’article 883 du Code civil, le partage attribue à chaque indivisaire la propriété exclusive des biens compris dans son lot, avec une rétroactivité remontant à l’ouverture de l’indivision.
- Autrement dit, chaque indivisaire est juridiquement réputé avoir toujours été le seul propriétaire des biens qui lui sont attribués lors du partage.
- Cette rétroactivité ne constitue pas une simple fiction juridique, mais un principe qui redéfinit en profondeur les droits des indivisaires et les actes qu’ils ont pu accomplir.
- Elle confère une singularité aux actes passés par un indivisaire seul, en conditionnant leur validité ou leur efficacité au résultat du partage.
- En effet, ces actes, bien qu’irréguliers au regard du principe d’unanimité, ne sont pas définitivement remis en cause : leur sort dépend de l’attribution des biens dans le cadre du partage.
- Si le bien objet de l’acte est attribué à l’auteur lors du partage, l’acte irrégulier est rétroactivement consolidé.
- Ce mécanisme couvre alors l’irrégularité initiale en attribuant à l’auteur une propriété exclusive sur le bien concerné, validant ainsi l’acte dès son origine.
- En revanche, si le bien est attribué à un autre indivisaire, l’acte est anéanti rétroactivement, comme s’il n’avait jamais existé.
- Ce mécanisme permet de préserver les droits des indivisaires tout en assurant la sécurité des tiers cocontractants, qui bénéficient ainsi d’une stabilisation juridique de l’acte dans les cas où l’attribution rétroactive vient en confirmer la légitimité.
==>L’inopposabilité comme sanction adaptée
Dans le cadre de l’indivision, la violation de la règle de l’unanimité n’emporte pas la nullité de l’acte accompli par un seul indivisaire.
La jurisprudence privilégie la sanction de l’inopposabilité, distinguant ainsi les effets de l’acte selon les parties concernées.
- Entre l’auteur de l’acte et son cocontractant
- Dans les relations entre l’indivisaire auteur d’un acte irrégulier et son cocontractant, l’acte demeure valable, mais sa portée est limitée à la quote-part détenue par l’auteur sur le bien indivis.
- Ce principe découle de la nature du droit indivis, qui confère à chaque indivisaire une propriété partielle sur la chose commune.
- Aussi, cela permet à l’indivisaire d’accomplir des actes juridiques valables à hauteur de ses droits, même en l’absence de consentement unanime des autres indivisaires.
- Validité partielle de l’acte : une application du principe nemo plus juris
- Lorsqu’un indivisaire agit seul pour conclure un acte de disposition, comme une vente, ou un acte d’administration, comme un bail, l’acte conserve une existence juridique dans les limites des droits que l’auteur peut légitimement transférer.
- Ce principe, inspiré de la règle nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet (nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en détient), garantit la validité partielle de l’acte pour la quote-part indivise de l’auteur.
- Ainsi, le tiers cocontractant, agissant de bonne foi, bénéficie d’une sécurité juridique relative, à condition que l’acte ne dépasse pas les droits que l’indivisaire pouvait transférer.
- Illustration jurisprudentielle : la cession d’un bien indivis
- La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt du 21 septembre 2016 (Cass. 1ère civ. 21 sept. 2016, n°15-24.023).
- Dans cette décision, elle a jugé que « la cession d’un bien indivis par un seul indivisaire est opposable aux coïndivisaires à concurrence de la quote-part de son auteur ».
- Cet arrêt illustre le fait qu’un acte passé par un indivisaire seul conserve sa validité pour la fraction du bien correspondant à sa part indivise, tout en respectant les droits des autres indivisaires par le biais de l’inopposabilité.
- Application spécifique aux baux conclus par un indivisaire
- Concernant les baux, la Cour de cassation a également confirmé ce principe.
- Dans un arrêt du 12 avril 1995, elle a jugé qu’un bail consenti par un indivisaire seul est valide dans les relations entre le preneur et l’indivisaire bailleur, mais inopposable aux autres indivisaires qui n’ont pas donné leur consentement (Cass. 3e civ., 12 avr. 1995, n°92-20.732).
- Cette distinction garantit la stabilité des rapports contractuels entre l’indivisaire et le preneur, tout en protégeant les droits des coïndivisaires.
- Validité partielle de l’acte : une application du principe nemo plus juris
- Entre l’auteur de l’acte et les autres indivisaires
- Dans le régime de l’indivision, un acte accompli par un seul indivisaire sans le consentement des autres coïndivisaires est frappé d’inopposabilité à l’égard de ces derniers.
- Cette sanction spécifique, alternative à la nullité, vise à préserver les droits des indivisaires non consentants tout en laissant l’acte subsister entre l’auteur et son cocontractant.
- L’inopposabilité : une protection des droits des coïndivisaires
- L’inopposabilité a pour effet de neutraliser les effets de l’acte à l’égard des indivisaires non consentants, sans en remettre en cause la validité dans les rapports entre l’auteur de l’acte et le tiers cocontractant.
- Cette distinction permet d’éviter qu’un acte irrégulier ne porte atteinte aux droits indivis des coïndivisaires, tout en assurant une certaine sécurité juridique au tiers ayant contracté avec l’indivisaire.
- La Cour de cassation a illustré ce principe dans un arrêt du 12 avril 1995 aux termes duquel elle a jugé qu’un bail consenti par un indivisaire seul, sans l’accord des autres, même s’il bénéficie d’une date certaine, est inopposable aux autres indivisaires (Cass. 3e civ., 12 avr. 1995, n°92-20.732).
- Cet arrêt souligne que l’absence de consentement unanime rend l’acte inopposable à ceux dont les droits pourraient être affectés, tout en maintenant la validité du bail dans les relations entre le bailleur et le preneur.
- L’effet suspensif de l’inopposabilité jusqu’au partage
- L’inopposabilité neutralise les effets de l’acte jusqu’à l’issue du partage.
- Si, à l’issue du partage, le bien concerné est attribué à l’indivisaire auteur de l’acte, celui-ci est consolidé rétroactivement.
- À l’inverse, si le bien est attribué à un autre indivisaire, l’acte demeure inopposable et ses effets sont définitivement écartés à l’égard des coïndivisaires non consentants.
- La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt du 15 juin 1994 où elle a jugé que la vente d’un bien indivis conclue par un seul indivisaire sans le consentement des autres est inopposable à ces derniers, son efficacité étant subordonnée au résultat du partage (Cass. 1ère civ., 15 juin 1994, n°91-20.633)
- Application pratique aux baux et ventes
- Dans un arrêt du 3 février 2016, la Cour de cassation a jugé qu’un bail consenti par un indivisaire sans le consentement des autres coïndivisaires est inopposable à ces derniers (Cass. 1ère civ. 3 févr. 2016, n°14-26.060).
- Cet arrêt confirme que l’acte, bien que valide dans les rapports entre l’auteur et le preneur, ne peut produire d’effets à l’égard des autres indivisaires.
- De même, en matière de vente, la Première chambre civile a précisé dans un arrêt du 27 octobre 1992, que la cession d’un bien indivis par un seul indivisaire, sans accord unanime, est inopposable aux coïndivisaires, sauf ratification ultérieure (Cass. 1re civ., 27 oct. 1992, n°90-21.173).
- L’inopposabilité : une protection des droits des coïndivisaires
==>Cas particulier du décès de l’auteur de l’acte irrégulier
Si l’indivisaire auteur de l’acte décède, ses héritiers, en acceptant la succession, sont tenus de garantir les obligations nées de l’acte et ne peuvent en contester la validité.
En tant que successeurs universels, ils assument les engagements pris par le défunt. Dans un arrêt du 15 mai 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « si un indivisaire, après avoir consenti seul des baux sur des biens indivis, décède en laissant pour héritiers ses coïndivisaires, ceux-ci sont tenus, s’ils acceptent purement et simplement la succession, de garantir les conventions passées par leur auteur, peu important qu’ils aient eu la volonté de ratifier cet acte » (Cass. 3e civ. 15 mai 2008, n°07-14.655).
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