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Gestion de l’indivision: les actes soumis à la règle de la majorité

La gestion des biens indivis constitue un exercice délicat, particulièrement lorsqu’elle implique des décisions concernant les actes d’administration et de disposition. Ces actes, essentiels à la préservation, à l’exploitation et parfois à la transmission du patrimoine indivis, occupent une place centrale dans les relations entre indivisaires.

Historiquement, le principe de l’unanimité prévalait pour toute décision engageant les biens indivis. Cette règle, qui reflète l’idée d’une égalité de droits entre indivisaires, visait à protéger chacun d’eux contre des décisions prises unilatéralement par les autres.

Toutefois, cette exigence d’unanimité s’est rapidement heurtée à des difficultés pratiques, entravant parfois gravement la gestion de l’indivision et pouvant conduire à des situations de blocage.

Conscient de ces limites, le législateur a introduit des ajustements, notamment par les réformes des 23 juin 2006 et 12 mai 2009. Ces évolutions ont permis d’assouplir le régime applicable en instaurant, dans certains cas, une prise de décision à la majorité qualifiée.

Le régime actuel repose donc sur une dualité de principes :

  • D’une part, la règle de l’unanimité, prévue par l’alinéa 3 de l’article 815-3 du Code civil, demeure applicable aux actes les plus graves, tels que les ventes, donations ou hypothèques, ou encore à certains actes d’administration excédant l’exploitation normale des biens indivis.
  • D’autre part, la règle de la majorité, énoncée à l’alinéa 1er du même article, permet aux indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis de prendre des décisions concernant les actes relevant de l’exploitation normale des biens indivis.

Cette articulation vise à concilier deux objectifs fondamentaux :

  • Faciliter la gestion des biens indivis en évitant les blocages liés à la règle d’unanimité.
  • Garantir une protection efficace des indivisaires, notamment pour les décisions susceptibles d’affecter significativement leurs droits sur le patrimoine indivis.

Toutefois, la distinction entre actes soumis à l’unanimité et actes relevant de la majorité, ainsi que les critères permettant de les classifier, soulèvent encore des questions complexes, alimentées par la jurisprudence et les débats doctrinaux.

Afin d’éclairer ces enjeux, il convient, dans un premier temps, d’examiner les actes soumis à la règle de l’unanimité. Dans un second temps, seront analysés les actes soumis à la règle de la majorité.

Nous nous focaliserons ici sur les actes soumis à la règle de la majorité.

En matière d’indivision, le principe d’unanimité s’impose traditionnellement comme une garantie fondamentale du droit de propriété, requérant l’accord de tous les indivisaires pour toute décision relative à la gestion ou à la disposition des biens indivis.

Toutefois, la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 est venue assouplir cette rigueur en introduisant, à l’article 815-3 du Code civil, une règle de majorité permettant aux indivisaires détenteurs d’au moins deux tiers des droits indivis de prendre certaines décisions sans le consentement unanime de leurs coïndivisaires.

Cette innovation législative, conçue pour faciliter la gestion des indivisions, marque une rupture avec le régime classique et relativise l’égalité juridique entre indivisaires en lui substituant une pondération économique basée sur les parts détenues.

Néanmoins, ce mécanisme reste encadré par des limites strictes, tant dans son domaine d’application que dans ses modalités, afin de prévenir les abus de droit et de préserver les intérêts des indivisaires minoritaires.

1. La détermination des actes soumis à la règle de la majorité

L’article 815-3, al. 1er du Code civil prévoit que le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité :

  • Effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis ;
  • Donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ;
  • Vendre les meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision ;
  • Conclure et renouveler les baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

a. Les actes d’administration

Depuis la réforme introduite par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, les actes d’administration relatifs aux biens indivis peuvent être accomplis à la majorité des deux tiers des droits indivis.

La question qui alors se pose est alors de savoir en quoi consiste un acte d’administration. Quelles sont les opérations concernées ?

Si l’on se réfère au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, « constituent des actes d’administration les actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal. »

Il s’infère de cette définition que les actes d’administration se caractérisent par deux critères fondamentaux :

  • D’une part, ils visent à préserver et valoriser le patrimoine de manière ordinaire, dans le cadre d’une gestion conforme à sa destination économique. Ces actes doivent s’inscrire dans un usage courant, en tenant compte des besoins normaux de conservation et d’exploitation du bien, sans compromettre sa substance ni sa pérennité.
  • D’autre part, ils doivent être dépourvus de risques anormaux. Cela implique que les décisions prises ne doivent ni exposer le patrimoine à des pertes importantes ni engendrer des modifications substantielles de son contenu ou de sa valeur.

Cette approche trouve également écho dans la doctrine, qui considère que l’acte d’administration est intrinsèquement lié à une gestion normale et ordinaire du bien indivis, tout en s’inscrivant dans une logique économique respectueuse de sa destination et de sa substance.

En d’autres termes, il s’agit d’un acte qui tend à préserver, entretenir ou exploiter les biens sans altérer leurs caractéristiques essentielles.

A cet égard, la notion d’exploitation normale constitue un critère central pour délimiter les actes d’administration.

Selon les travaux préparatoires de la loi de 2006 et les interprétations doctrinales, elle se réfère à des actes qui :

  • S’inscrivent dans le cycle économique habituel : les opérations doivent viser à maintenir ou valoriser le bien dans sa destination usuelle, comme la mise en location d’un immeuble d’habitation ou la perception des revenus locatifs.
  • Respectent l’intégrité du bien : toute décision susceptible de porter atteinte à la substance du bien, que ce soit par une modification de sa substance ou de sa finalité économique, ne saurait être qualifiée d’acte d’administration.
  • Évitent tout risque anormal : un acte qui expose le patrimoine à des pertes potentielles ou à une dépréciation importante excède le cadre de l’administration.

Ainsi, des travaux d’entretien nécessaires, des réparations usuelles ou des améliorations utiles, comme la rénovation d’un immeuble pour en maintenir la valeur, répondent pleinement à ce critère.

En revanche, des actes transformant significativement la nature ou l’usage du bien, comme convertir un immeuble résidentiel en local commercial, seraient exclus du champ de l’administration normale.

Le décret précité, bien qu’applicable à la gestion des patrimoines des personnes protégées, offre des éclairages précieux pour la qualification des actes d’administration, notamment dans le contexte de l’indivision.

Selon ce texte, relèvent des actes d’administration :

  • Actes portant sur les immeubles
    • Convention de jouissance précaire (art. 426, al. 2, du code civil) ;
    • Conclusion et renouvellement d’un bail de neuf ans au plus en tant que bailleur (art. 595 et 1718 du code civil) ou preneur ;
    • Bornage amiable de la propriété de la personne protégée ;
    • Travaux d’améliorations utiles, aménagements, réparations d’entretien des immeubles de la personne protégée ;
    • Résiliation du bail d’habitation en tant que bailleur ;
    • Prêt à usage et autre convention de jouissance ou d’occupation précaire ;
    • Déclaration d’insaisissabilité des immeubles non professionnels de l’entrepreneur individuel (art. 1526-1 du code de commerce) ;
    • Mainlevée d’une inscription d’hypothèque en contrepartie d’un paiement.
  • Actes portant sur les meubles corporels et incorporels
    • Ouverture d’un premier compte ou livret au nom ou pour le compte de la personne protégée (art. 427, al. 4, du code civil) ;
    • Emploi et remploi de sommes d’argent qui ne sont ni des capitaux ni des excédents de revenus (art. 468 et 501 du code civil) ;
    • Emploi et remploi des sommes d’argent non judiciairement prescrits par le juge des tutelles ou le conseil de famille (art. 501 du code civil) ;
    • Perception des revenus ;
    • Réception des capitaux ;
    • Quittance d’un paiement ;
    • Demande de délivrance d’une carte bancaire de retrait ;
    • Paiements des dettes y compris par prélèvement sur le capital ;
    • Octroi de délai raisonnable en vue du recouvrement de créances ;
    • Résiliation d’un contrat de gestion de valeurs mobilières et instruments financiers (art. 500, al. 3, du code civil) ;
    • Actes de gestion d’un portefeuille, y compris les cessions de titres à condition qu’elles soient suivies de leur remplacement ;
    • Exercice du droit de vote dans les assemblées, sauf ce qui est dit à propos des ordres du jour particuliers ;
    • Demandes d’attribution, de regroupement ou d’échanges de titres ;
    • Vente des droits ou des titres formant rompus ;
    • Souscription à une augmentation de capital, sauf ce qui est dit sur le placement de fonds ;
    • Conversion d’obligations convertibles en actions admises à la négociation sur un marché réglementé ;
    • Louage-prêt-emprunt-vente-échange-dation et acquisition de meubles d’usage courant ou de faible valeur ;
    • Perception des fruits ;
    • Location d’un coffre-fort.

b. Le mandat général d’administration

L’article 815-3, al. 1er, 2 prévoit que « le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent, à cette majorité […] donner à l’un ou plusieurs des indivisaires ou à un tiers un mandat général d’administration ».

Pour mémoire, le mandat général d’administration s’inscrit dans une logique de représentation expresse permettant à un ou plusieurs indivisaires majoritaires de confier la gestion de l’indivision à un mandataire, qu’il s’agisse d’un indivisaire ou d’un tiers.

Cette délégation constitue une dérogation importante au principe de l’unanimité, traditionnellement applicable en matière d’administration des biens indivis.

Ce mécanisme poursuit deux objectifs majeurs?:

  • Fluidifier la gestion : en délégant la gestion quotidienne des biens à un mandataire, il devient possible de réaliser des actes nécessaires à l’administration courante sans nécessiter l’accord préalable de tous les indivisaires.
  • Préserver l’équilibre des droits : bien que la décision de confier un mandat général repose sur une majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis, les droits fondamentaux des indivisaires minoritaires sont protégés, notamment par des limites encadrant les actes susceptibles d’être réalisés sous ce mandat.

c. La vente de meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision

La faculté de vendre des meubles indivis à la majorité des deux tiers, prévue à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil, constitue une dérogation au principe de l’unanimité.

Elle répond à un objectif précis?: permettre le règlement des dettes et charges de l’indivision tout en évitant les blocages susceptibles de nuire à sa gestion.

==>Domaine

La règle énoncée à l’article 815-3, alinéa 1er, 3° vise la seule vente de meubles indivis, qu’ils soient corporels (mobilier, équipements, œuvres d’art) ou incorporels (parts sociales, créances).

Cette restriction reflète la volonté du législateur de réserver la majorité qualifiée à des biens facilement aliénables, tout en laissant aux indivisaires la possibilité de contester la pertinence de telles ventes si elles ne respectent pas les critères fixés par la loi.

Ainsi, tout bien meuble indivis peut être vendu dès lors que la finalité de la cession est de régler les dettes ou charges de l’indivision.

Par exemple, des parts sociales représentant une société civile immobilière ou des œuvres d’art indivises pourraient être cédées si les indivisaires majoritaires justifient que cette vente est nécessaire pour couvrir les frais afférents à l’indivision.

==>Conditions

La vente de meubles indivis ne peut être envisagée que pour des raisons spécifiques et impérieuses?: le paiement des dettes et charges de l’indivision.

Ces charges comprennent notamment :

  • Les frais d’entretien ou de réparation nécessaires à la préservation du patrimoine indivis, comme des travaux de rénovation ou d’aménagement?;
  • Les taxes et impôts liés au bien indivis, tels que la taxe foncière ou les taxes locales?;
  • Les dépenses courantes liées à l’exploitation du bien, telles que les frais de gestion locative ou les coûts d’assurance.

En revanche, toute vente motivée par des considérations étrangères à ces impératifs, comme la volonté de se débarrasser d’un meuble jugé encombrant ou inutile, excède le cadre légal.

De telles opérations nécessiteraient alors soit l’unanimité des indivisaires, soit le recours à des mesures conservatoires ou à une autorisation judiciaire prévue par l’article 815-5-1 du Code civil.

==>La majorité qualifiée

Pour qu’une vente soit réalisée, les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis doivent se prononcer en faveur de la cession.

Cette majorité, calculée en fonction des parts indivises et non du nombre d’indivisaires, permet d’assurer une certaine flexibilité tout en évitant qu’un indivisaire minoritaire puisse s’opposer de manière systématique à une opération indispensable.

Cependant, les indivisaires minoritaires conservent un droit de contrôle sur ces décisions.

Ils peuvent contester la vente si celle-ci excède le cadre de l’exploitation normale des biens indivis ou si elle ne respecte pas les critères légaux, notamment en termes de nécessité et de proportionnalité.

==>Procédure

La vente de meubles indivis en application de l’article 815-3 ne nécessite pas, en principe, l’intervention du juge.

Elle peut être réalisée à l’amiable, à condition que les indivisaires majoritaires respectent les obligations procédurales, notamment :

  • L’information préalable des indivisaires minoritaires: selon l’article 815-3, alinéa 2, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les autres indivisaires de la décision de vendre. Cette obligation garantit la transparence et permet aux indivisaires non consultés de contester l’opportunité de la vente si nécessaire.
  • Le respect du critère de proportionnalité : la vente ne doit porter que sur le montant strictement nécessaire au règlement des dettes et charges identifiées. Toute aliénation excédant ce besoin immédiat pourrait être remise en cause par les indivisaires minoritaires.

En permettant la vente de meubles indivis à la majorité qualifiée des deux tiers, l’article 815-3, alinéa 1er, 3° du Code civil introduit une souplesse bienvenue dans la gestion de l’indivision, tout en préservant les droits des indivisaires minoritaires grâce à des garanties procédurales et juridiques. Ce mécanisme, bien qu’exceptionnel, illustre une volonté de concilier efficacité et sécurité juridique dans un domaine marqué par des risques fréquents de blocage.

Cependant, cette faculté doit être exercée avec prudence. Une application abusive ou détournée de cette règle pourrait compromettre l’équilibre fragile entre les droits des indivisaires et la nécessité de gérer l’indivision de manière pragmatique et équitable.

d. La conclusion ou le renouvellement de baux autres que ceux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal

Traditionnellement, la conclusion ou le renouvellement de baux nécessitait l’accord unanime des indivisaires, conformément au principe posé à l’article 815-3, alinéa 3 du Code civil, qui impose l’unanimité pour tout acte excédant l’exploitation normale des biens indivis.

Toutefois, la réforme de 2006 a introduit une exception importante : les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis peuvent conclure ou renouveler des baux à cette majorité, à condition que ces baux ne concernent pas des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Cette exception reflète une distinction claire opérée par le législateur : les baux relatifs à des usages particuliers et stratégiques (agricole, commercial, industriel ou artisanal) restent soumis à l’unanimité en raison de leur impact potentiellement significatif sur le patrimoine indivis, tandis que les baux relatifs à des usages courants, tels que l’habitation, peuvent être régis par la règle de la majorité qualifiée.

==>Les baux concernés

Depuis la réforme introduite par la loi n° 2006-728, l’article 815-3, alinéa 1er, 4° du Code civil permet donc aux indivisaires représentant au moins deux tiers des droits indivis de conclure ou de renouveler certains baux.

Cette faculté, bien que conférant une souplesse bienvenue dans la gestion des biens indivis, est strictement limitée aux baux qui ne portent pas sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

  • Les baux d’habitation
    • Les baux d’habitation, par leur nature domestique et leur durée souvent limitée, relèvent des actes d’administration courante et peuvent donc être conclus ou renouvelés à la majorité des deux tiers.
    • Ces baux doivent toutefois respecter la destination initiale du bien et s’inscrire dans son exploitation normale.
  • Les baux à usage professionnel
    • Les baux à usage professionnel, régis notamment par l’article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, incluent des locaux utilisés par des professions libérales ou des bureaux.
    • Ces baux peuvent être conclus à la majorité des deux tiers, dès lors qu’ils ne confèrent pas au locataire des droits excessivement protecteurs, susceptibles d’affecter la valeur ou la gestion du bien indivis.
  • Les baux de biens meubles
    • Les baux portant sur des biens meubles indivis, tels que la location-gérance d’un fonds de commerce ou la mise en location d’équipements, sont également soumis à la règle majoritaire.

==>Les opérations concernées

En application de l’article 815-3, alinéa 1er, 4° du Code civil, seules la conclusion et le renouvellement de certains baux peuvent être décidées à la majorité des deux tiers des droits indivis, sous réserve qu’ils ne portent pas sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal.

Cependant, la jurisprudence a élargi cette règle pour inclure également des actes liés à l’administration des baux ainsi que la résiliation de certains baux spécifiques.

  • Conclusion et renouvellement des baux
    • L’article 815-3, alinéa 1er, 4°, introduit par la réforme de 2006, permet de conclure ou de renouveler des baux relevant de l’exploitation normale des biens indivis.
    • Cette faculté vise les baux à usage d’habitation, professionnel, ou portant sur des biens meubles, à l’exclusion des baux portant sur des immeubles à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal, qui restent soumis au principe d’unanimité.
  • Actes d’administration relatifs aux baux
    • Bien que non explicitement mentionnés par le texte, les actes d’administration relatifs aux baux, tels que la perception des loyers ou l’entretien des locaux loués, participent de l’exploitation normale des biens indivis.
    • Ces actes s’inscrivent logiquement dans la continuité des opérations de conclusion et de renouvellement et peuvent également être décidés à la majorité des deux tiers.
  • Résolution d’un bail rural
    • Sous l’empire du droit antérieur, la Cour de cassation avait décidé dans un arrêt du 19 juillet 1995, la résolution d’un bail rural pour défaut de paiement des fermages nécessitait l’accord unanime des indivisaires (Cass. 3e civ., 19 juillet 1995, n° 93-15.033).
    • Puis dans un arrêt du 29 juin 2011, elle est revenue sur sa position en admettant que les indivisaires titulaires des deux tiers des droits indivis puissent engager une action en résolution du bail pour non-paiement des fermages, considérant que cet acte s’inscrivait dans le cadre de l’exploitation normale des biens indivis (Cass. 3e civ., 29 juin 2011, n°09-70.894).
    • La Troisième chambre civile a, par suivante, confirmé cette solution dans un arrêt du 17 novembre 2016 (Cass. 3e civ. 17 nov. 2016, n°15-19.957).
  • Délivrance de congés
    • Bien que non expressément prévue par le texte, une réponse ministérielle a précisé que la délivrance d’un congé pour un bail relevant de l’article 815-3 pouvait être effectuée à la majorité qualifiée (JOAN, 30 mars 2010, p. 3627).
    • Cependant, cette possibilité demeure strictement limitée aux baux relevant de la gestion courante, à l’exclusion des baux agricoles ou commerciaux, qui continuent d’exiger l’unanimité.

2. Obligation d’information des coïndivisaires minoritaires

Si les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis peuvent désormais, en application de l’article 815-3 du Code civil, accomplir certains actes dérogeant à la règle de l’unanimité, cette prérogative demeure conditionnée au respect d’une obligation fondamentale : celle d’informer les coïndivisaires minoritaires.

Cette exigence d’information, introduite par la réforme de 2006, vise à garantir la transparence des décisions prises à la majorité qualifiée et à préserver les droits des indivisaires minoritaires, en leur permettant de contester, le cas échéant, la régularité ou l’opportunité des actes concernés.

a. Une obligation d’information au service de la transparence

L’article 815-3, alinéa 2, du Code civil prévoit que les indivisaires majoritaires ayant adopté l’une des décisions énumérées à l’alinéa 1er doivent en notifier les indivisaires minoritaires.

Cette obligation a pour finalité de permettre à ces derniers, souvent exclus des processus décisionnels en raison de leur position minoritaire, de prendre connaissance des actes susceptibles d’affecter leurs droits. Ils peuvent ainsi, le cas échéant, saisir le tribunal pour en contester la licéité ou l’opportunité.

L’information constitue donc une garantie procédurale essentielle, renforçant la légitimité des décisions majoritaires tout en prévenant les abus.

À cet égard, la jurisprudence souligne régulièrement que cette obligation est indissociable de la règle de la majorité, dont elle constitue le pendant nécessaire pour concilier efficacité et équité dans la gestion de l’indivision.

b. Les modalités de communication de l’information

Bien que l’article 815-3, alinéa 2, du Code civil n’impose pas de formalisme spécifique pour l’exécution de cette obligation, des principes directeurs peuvent être dégagés pour en assurer l’efficacité.

  • Les moyens d’information
    • La loi laisse une certaine latitude quant aux moyens utilisés pour informer les indivisaires minoritaires.
    • Cependant, pour des raisons probatoires, des moyens formels sont recommandés :
      • La lettre recommandée avec accusé de réception qui permet de démontrer la réalité et la date de l’information transmise ;
      • L’acte extrajudiciaire, qui peut être privilégié en cas de litiges ou lorsque des conflits sont susceptibles d’émerger.
    • Dans un souci de diligence, l’information doit être claire et suffisamment précise pour permettre aux indivisaires minoritaires de comprendre pleinement la portée des décisions adoptées.
  • Les cas particuliers
    • Lorsque certains indivisaires sont introuvables, la doctrine admet que l’obligation d’information peut être considérée comme remplie si les indivisaires majoritaires ont accompli toutes les diligences nécessaires pour les retrouver.
    • Cette tolérance vise à éviter les blocages injustifiés dans la gestion de l’indivision, bien qu’elle ne soit pas expressément consacrée par les textes.

c. Sanctions en cas d’absence d’information

Le défaut d’information des indivisaires minoritaires entraîne une sanction définie par l’article 815-3, al. 2e du Code civil : l’inopposabilité des décisions aux indivisaires non informés.

Cette sanction emporte des conséquences différentes selon qu’elle concerne les indivisaires ou des tiers.

  • À l’égard des indivisaires minoritaires
    • L’inopposabilité permet aux indivisaires minoritaires de contester les décisions prises à leur égard.
    • Ils peuvent, par exemple, solliciter en justice la remise en cause d’un bail conclu ou renouvelé sans notification préalable.
    • La jurisprudence insiste sur ce point, affirmant que les indivisaires minoritaires doivent avoir la possibilité de s’assurer que les actes en question respectent les critères de l’exploitation normale des biens indivis.
  • À l’égard des tiers
    • En revanche, l’inopposabilité n’affecte pas la validité des actes à l’égard des tiers.
    • Ainsi, les cocontractants conservent les droits issus des actes conclus, même en l’absence d’information des indivisaires minoritaires.

3. Régimes dérogatoires pour les indivisions en Corse et en outre-mer

La gestion des indivisions en Corse et dans les territoires d’outre-mer bénéficie de régimes dérogatoires spécifiques, instaurés respectivement par la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 et la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018.

Ces dispositifs visent à répondre à des contextes particuliers, tout en garantissant la protection des droits des indivisaires minoritaires.

==>Le régime applicable en Corse

La loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 a été adoptée pour remédier aux difficultés spécifiques liées à l’absence de titres de propriété réguliers en Corse.

Ce texte introduit un mécanisme facilitant l’assainissement cadastral et la régularisation des situations de propriété par la reconnaissance de la prescription acquisitive.

Ainsi, lorsqu’un acte notarié de notoriété établit une possession conforme aux conditions de l’usucapion, il fait foi, sauf preuve contraire, et ne peut être contesté que dans un délai de cinq ans après sa publication. Ce régime s’applique aux actes dressés avant le 31 décembre 2027.

Dans les indivisions constatées par un acte de notoriété notarié, les indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis peuvent accomplir les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du Code civil (actes d’administration courante).

Pour les actes dépassant l’exploitation normale des biens indivis ou relevant de la disposition, l’accord des indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis est requis.

Comme dans le régime de droit commun, les indivisaires majoritaires sont tenus d’informer les indivisaires minoritaires des décisions prises.

Cette obligation, essentielle dans un contexte où de nombreux indivisaires peuvent être absents ou introuvables, garantit la transparence et offre aux minoritaires une opportunité de contester les actes non conformes.

==>Le régime applicable en outre-mer

La loi n°2018-1244 du 27 décembre 2018 vise à faciliter la sortie de l’indivision successorale dans les départements et régions d’outre-mer, ainsi que dans certaines collectivités d’outre-mer (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon).

Ce dispositif s’applique aux successions ouvertes depuis plus de dix ans et permet, dans un cadre simplifié, de procéder à la vente ou au partage des biens immobiliers indivis.

Le texte permet aux indivisaires détenant plus de la moitié des droits indivis de passer les actes prévus aux 1° à 4° de l’article 815-3 du Code civil, sans nécessiter l’accord des deux tiers. Cependant, cette faculté est encadrée par des restrictions notables, notamment :

  • L’exclusion des locaux d’habitation où réside le conjoint survivant ;
  • La protection des indivisaires mineurs, majeurs protégés ou présumés absents, nécessitant une autorisation judiciaire.

Le notaire chargé de l’acte doit notifier le projet aux indivisaires concernés et le publier par divers moyens (journal d’annonces légales, affichage, site internet). Les indivisaires disposent d’un délai de trois à quatre mois pour faire opposition ou exercer un droit de préemption en cas de vente à un tiers.

En cas d’opposition, le tribunal judiciaire peut autoriser l’acte si l’aliénation ou le partage ne porte pas une atteinte excessive aux droits des indivisaires opposants. Ce contrôle juridictionnel garantit un équilibre entre la nécessité de fluidifier les partages et la protection des minoritaires.

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