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Indivision: le droit d’obtenir une avance en capital

L’avance en capital prévue par l’article 815-11, alinéa 4 du Code civil, constitue une innovation majeure de la loi du 31 décembre 1976.

Elle permet à un indivisaire de percevoir une somme d’argent par anticipation, avant le partage des biens indivis, tout en préservant la pérennité de l’indivision.

Cet instrument juridique offre une alternative souple à l’indivisaire en besoin immédiat de liquidités, sans qu’il soit contraint de demander le partage du bien ou de céder ses droits dans l’indivision.

1. Le principe de l’avance en capital

Le principe de l’avance en capital, tel que prévu par l’article 815-11, alinéa 4, du Code civil, constitue une innovation majeure de la loi du 31 décembre 1976.

En effet, avant cette réforme, l’indivisaire qui avait besoin de liquidités était souvent contraint de provoquer le partage des biens indivis ou de céder ses droits dans l’indivision, des solutions qui pouvaient être radicales et préjudiciables à la cohésion du groupe d’indivisaires.

L’avance en capital vient donc corriger cette rigidité, permettant à un indivisaire de percevoir une somme par anticipation, sans remettre en cause la pérennité de l’indivision.

En d’autres termes, l’indivisaire n’a plus besoin de choisir entre maintenir l’indivision tout en supportant des contraintes financières ou y mettre fin brutalement pour percevoir sa part. Désormais, grâce à l’avance en capital, il est possible de concilier le maintien de l’indivision avec les besoins de trésorerie d’un indivisaire.

L’avance en capital se distingue donc de la répartition annuelle des bénéfices (prévue par l’article 815-11, alinéa 1er, du Code civil), laquelle ne porte que sur les revenus générés par les biens indivis.

Cette répartition peut être insuffisante pour répondre aux besoins immédiats d’un indivisaire qui souhaite obtenir une somme plus substantielle.

C’est là qu’intervient l’avance en capital, laquelle repose sur une portion du capital indivis lui-même. L’indivisaire peut ainsi percevoir une somme qui correspond à une fraction de ses droits dans le partage définitif à venir.

Toutefois, il est important de souligner que, contrairement à la répartition des bénéfices, l’avance en capital n’est pas un droit de l’indivisaire : elle dépend de l’accord des coïndivisaires et, le cas échéant, de la décision du juge. Elle doit, par ailleurs, respecter un certain nombre de conditions dont celle tenant à la disponibilité des fonds.

Cette avance en capital, qui permet de répondre aux besoins d’un indivisaire sans provoquer la dissolution de l’indivision, est susceptible de présenter un grand intérêt dans des situations particulières.

Par exemple, elle peut permettre à un indivisaire de s’acquitter des droits fiscaux de mutation ou de faire face à des dépenses urgentes sans avoir à attendre le partage ou la vente des biens indivis.

Cela permet ainsi d’éviter les situations de blocage où un indivisaire serait contraint de demander le partage uniquement pour accéder à des liquidités nécessaires.

2. Les conditions d’obtention de l’avance en capital

Pour qu’un indivisaire puisse obtenir une avance sur capital, il doit réunir deux conditions cumulatives :

a. La disponibilité des fonds

En application de l’article 815-11, al. 4e du code civil, un indivisaire ne peut réclamer une avance sur capital qu’« à concurrence des fonds disponibles ».

Autrement dit, ces fonds doivent être présents au sein de l’indivision. Par fonds disponibles, il faut entendre une grande variété de ressources, allant des liquidités issues des fruits et revenus générés par les biens indivis, jusqu’aux sommes résultant de la vente de certains actifs indivis.

En d’autres termes, la disponibilité des fonds ne se limite pas uniquement à l’argent immédiatement accessible, mais comprend toutes les valeurs qui peuvent rapidement être mobilisées pour répondre aux besoins des indivisaires.

Les ressources disponibles peuvent provenir, par exemple, des loyers perçus par un indivisaire pour un bien indivis.

A cet égard, dans un arrêt du 24 mai 2018, la Cour de cassation a jugé que des loyers non redistribués par un indivisaire devaient être considérés comme des fonds disponibles pour l’indivision (Cass. 1ère civ. 24 mai 2018, n°17-17.846).

Cette solution jurisprudentielle vise à empêcher que certains coïndivisaires s’approprient des ressources communes sans juste compensation.

Aussi, lorsqu’un indivisaire perçoit des loyers pour le compte de l’indivision, mais retient ces fonds à son profit personnel, cela ne fait nullement obstacle à ce qu’un autre indivisaire obtienne une avance en capital à partir de ces sommes non partagées.

La jurisprudence a ainsi adopté une approche extensive de la notion de « fonds disponibles ».

Dans certains cas, une indivision peut sembler être dépourvue de fonds, non pas à cause d’une véritable absence de liquidités, mais en raison du comportement d’un ou plusieurs indivisaires qui retiennent indûment les ressources communes. Cela n’empêchera pas pour autant le juge de considérer ces ressources comme disponibles.

C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 2006, où les héritiers qui avaient accaparé la totalité des biens indivis ont été contraints de verser une avance en capital à l’un des indivisaires lésés (Cass. 1ère civ. 20 juin 2006, n°05-14.281).

b. L’imputation sur la part de l’indivisaire

L’obtention d’une avance sur capital implique que les fonds prélevés s’imputent sur la part de l’indivisaire dans le partage à intervenir.

Cette règle, prévue par l’article 815-11, alinéa 4 du Code civil, garantit que l’avance perçue par l’indivisaire ne puisse en aucun cas excéder sa quote-part dans l’indivision.

Il s’agit, autrement dit, d’éviter tout déséquilibre au détriment des autres coïndivisaires, en empêchant que l’indivisaire bénéficiaire d’une avance ne reçoive une somme supérieure à ce qui lui reviendra au moment du partage définitif.

Le mécanisme de l’avance en capital repose sur l’idée que l’indivisaire peut accéder à une partie de sa future part de manière anticipée, mais cette anticipation doit nécessairement être proportionnelle à ses droits dans l’indivision.

Si cette condition n’est pas respectée, cela pourrait entraîner un préjudice pour les autres indivisaires, notamment si les actifs indivis voient leur valeur diminuer avant le partage ou si la quote-part de l’indivisaire demandeur est finalement inférieure à la somme avancée.

En pratique, lorsque le juge est saisi d’une demande d’avance en capital, il doit s’assurer que la somme demandée correspond à une part raisonnable des droits de l’indivisaire.

Cette vérification passe souvent par une évaluation préliminaire des droits de chaque indivisaire, réalisée sous la forme d’un aperçu liquidatif.

Toutefois, cette évaluation peut rester approximative, car le montant exact des parts respectives ne sera définitivement fixé qu’au moment du partage. Néanmoins, cette précaution permet de garantir que l’avance ne met pas en péril l’équilibre de l’indivision.

La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt rendu le 5 février 1980. Dans cette décision, la Cour a précisé qu’une avance en capital ne pouvait être accordée sans une vérification préalable que l’indivisaire bénéficiaire disposait d’une part suffisante pour couvrir la somme demandée (Cass. 1ère civ. 5 févr. 1980)

3. La procédure d’obtention de l’avance en capital

a. L’accord amiable entre les indivisaires

La voie amiable est toujours, en première intention, l’option à privilégier pour un indivisaire qui sollicite une avance en capital.

Si l’ensemble des coïndivisaires consent à accorder une avance en capital à l’un d’entre eux, aucune intervention judiciaire n’est requise.

En effet, l’article 815-11, alinéa 4, du Code civil n’impose pas le recours au juge en cas d’accord entre les parties, ce qui permet aux indivisaires d’organiser librement la gestion des fonds indivis.

Le principe de l’accord amiable repose sur le fait que les indivisaires disposent de la maîtrise collective de l’indivision.

Ils peuvent ainsi convenir ensemble de la mise à disposition d’une partie des fonds disponibles à l’un d’entre eux, à titre d’avance en capital, sous réserve que cette avance n’excède pas les droits futurs du bénéficiaire dans le cadre du partage définitif.

Il s’agit là d’une mesure provisoire qui anticipe la répartition des biens au moment du partage tout en respectant les équilibres internes de l’indivision.

L’accord amiable permet également d’éviter les délais et les coûts associés à une procédure judiciaire. En effet, en l’absence de contestation, les indivisaires peuvent organiser rapidement et efficacement l’octroi de l’avance, sans être contraints de saisir le Président du Tribunal judiciaire.

En cas de désaccord entre les coïndivisaires, la voie amiable devient toutefois inopérante et l’indivisaire demandeur n’aura alors d’autre choix que d’emprunter la voie judiciaire, laquelle constitue la solution de dernier recours.

b. L’intervention du juge en cas de désaccord

Lorsqu’aucun accord n’est trouvé entre les indivisaires pour octroyer une avance en capital, l’un d’entre eux peut saisir le président du tribunal judiciaire, qui dispose alors d’un pouvoir discrétionnaire pour décider s’il convient ou non d’accorder cette avance.

==>Le pouvoir supplétif du juge

Lorsqu’un indivisaire sollicite une avance en capital, il n’est autorisé à saisir le juge qu’en cas de désaccord avec ses coindivisaires.

Bien que cette exigence ne soit pas clairement exprimée par les textes, elle s’infère des termes des alinéas 3e et 4 de l’article 815-11 du Code civilm qui prévoient que le juge peux « semblablement ordonner une avance en capital » (alinéa 4e) « en cas de contestation » (alinéa 3e).

Pour cette raison, il est admis que l’intervention du juge en matière d’avance en capital est subordonnée à l’absence d’accord entre les indivisaires.

L’indivisaire qui souhaite obtenir une avance en capital ne peut donc solliciter l’intervention du juge que si les coïndivisaires ne parviennent pas à un accord amiable.

==>Compétence exclusive du président du tribunal judiciaire

En matière d’avance en capital, le Président du tribunal judiciaire est investi d’une compétence exclusive pour statuer.

Dans un arrêt du 6 mai 1997, la Cour de cassation en a tiré la conséquence que le notaire liquidateur ne disposait pas de l’autorité nécessaire pour ordonner une telle avance en l’absence d’accord unanime des indivisaires (Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n°94-18.304).

A cet égard, dans un avis rendu le 18 décembre 2020, la Haute juridiction a précisé que, dans le cadre des successions complexes, le juge commis à la surveillance des opérations de partage peut également statuer sur une demande d’avance en capital (Cass. 1re civ., 18 déc. 2020, n°20-70.004).

Cet avis se fonde sur l’article 1371, alinéa 3, du Code de procédure civile, qui confie à ce juge le traitement des demandes relatives à la succession. Cela inclut, entre autres, la surveillance des opérations de partage, mais aussi le pouvoir d’adresser des injonctions ou de prononcer des astreintes.

Ainsi, dans le cadre des opérations de partage successoral, le juge commis dispose d’une compétence similaire à celle du président du tribunal judiciaire pour statuer sur les demandes d’avance en capital, selon la procédure accélérée au fond prévue par l’article 1380 du Code de procédure civile.

==>L’opportunité de l’avance en capital

Pour statuer sur l’opportunité de l’avance en capital, le juge apprécie, au cas par cas, si l’avance avance sollicitée est justifiée par les besoins de l’indivisaire et si elle n’affecte pas de manière disproportionnée l’équilibre de l’indivision.

Dans certains cas, il peut rejeter la demande, notamment s’il apparaît que d’autres solutions existent pour répondre aux besoins du demandeur, comme la répartition annuelle des bénéfices de l’indivision (article 815-11, alinéa 1er).

De plus, le juge doit tenir compte de l’ensemble des circonstances entourant la demande, comme l’âge, l’état de santé ou encore la situation financière du demandeur.

Par exemple, dans une affaire jugée par la cour d’appel de Bourges, une avance en capital avait été accordée à un indivisaire en situation de précarité financière, incapable de subvenir à ses besoins immédiats (CA Bourges, 22 sept. 1998, n° 9800714).

Le juge doit donc s’efforcer de concilier les intérêts individuels et collectifs des indivisaires pour parvenir à une décision équilibrée.

==>Procédure et décision judiciaire

Conformément à l’article 1380 du Code de procédure civile, les demandes d’avance en capital sont soumises au président du tribunal judiciaire selon les règles de la procédure accélérée au fond.

Reste que la décision d’octroyer ou non une avance n’a pas l’autorité de la chose jugée dans la mesure où elle est susceptible être renouvelée dans la limite des droits de l’indivisaire (Cass. 1re civ., 7 juill. 1981, n° 80-14.533).

4. Les conséquences de l’avance en capital

L’avance en capital, bien qu’elle procure au bénéficiaire une somme immédiatement disponible, ne constitue pas un partage partiel.

En effet, la Cour de cassation a clairement exclu cette qualification dans un arrêt du 1er mars 1988.

La conséquence en est – et c’est là tout l’enjeu de la qualification de partage partiel – que l’avance en capital ne permet pas à l’indivisaire de sortir de l’indivision pour la proportion des droits qu’elle représente. Le bénéficiaire reste dans l’indivision, et cette somme doit être rapportée lors du partage définitif comme une dette envers les autres coïndivisaires, plutôt qu’une véritable attribution de droits (Cass. 1ère civ., 1er mars 1988, n°86-13.374).

La conséquence directe de l’exclusion de la qualification de partage partiel est l’obligation pour l’indivisaire bénéficiaire de rapporter l’avance en capital lors du partage définitif, conformément au principe du nominalisme monétaire.

Ce principe, rappelé par la Cour de cassation dans plusieurs décisions, notamment celle du 29 novembre 1989 (Cass. 1ère civ., 29 nov. 1989, n°87-11.680), signifie que le montant nominal de l’avance est celui qui doit être rapporté, sans réévaluation, même si la valeur de la monnaie ou des actifs a évolué entre la date de l’avance et celle du partage.

Ainsi, le bénéficiaire de l’avance en capital devra restituer exactement le montant perçu, sans tenir compte de l’inflation ou de la dévaluation de la monnaie.

Cette solution, bien que conforme au principe de sécurité juridique, peut soulever des difficultés pratiques, notamment en cas de durée longue entre l’avance et le partage, où la dépréciation monétaire pourrait significativement affecter la valeur réelle de la somme avancée.

Toutefois, cette absence de réévaluation peut être compensée par le paiement d’intérêts au taux légal, qui courent dès la date de l’avance jusqu’au jour du partage, conformément à la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 29 nov. 1989, n°87-11.680).

Ce mécanisme permet d’atténuer l’effet de la dépréciation monétaire, en garantissant que les coïndivisaires qui n’ont pas bénéficié de l’avance ne soient pas lésés lors du partage.

A cet égard, conformément aux dispositions de l’article 866 du Code civil, ces intérêts sont exigibles au moment du partage, mais peuvent être capitalisés selon les règles de l’anatocisme (Cass. 1re civ., 23 mars 1994, n°92-13.345).

En outre, la Cour de cassation a admis la possibilité de conventions contraires entre coïndivisaires.

Ces derniers peuvent décider, par accord, de réévaluer la dette au jour du partage, ou même de convenir que l’avance en capital servira à acquérir un bien dont la valeur sera rapportée dans le partage.

Ainsi, la liberté contractuelle permet d’aménager les effets de l’avance, notamment en ce qui concerne sa réévaluation, offrant ainsi une flexibilité dans la gestion des indivisions, qu’elles soient successorales ou post-communautaires.

Au bilan bien que l’avance en capital permette une liquidation anticipée des droits, elle ne modifie pas fondamentalement les règles du partage, mais doit être rigoureusement rapportée pour préserver l’égalité entre les indivisaires.

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