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Indivision: le droit à rémunération du gérant de l’indivision

La question de la rémunération de l’indivisaire gérant, prévue par l’article 815-12 du Code civil, s’inscrit dans un cadre spécifique qui reconnaît, sous certaines conditions, le droit pour l’indivisaire exerçant des tâches de gestion au sein de l’indivision de percevoir une contrepartie financière.

Cette rémunération n’est toutefois ni automatique ni arbitraire ; elle est soumise à des règles strictes visant à équilibrer les intérêts de l’indivision et les droits du gérant.

1. Principe de la rémunération

L’article 815-12 du Code civil reconnaît à l’indivisaire gérant le droit à percevoir une rémunération pour l’activité qu’il consacre à la gestion des biens indivis.

L’introduction de cette disposition dans le Code civil par la loi du 31 décembre 1976 met fin à l’ancienne jurisprudence, qui faisait une distinction complexe entre les actes de gestion ordinaires, considérés comme non rémunérables, et les tâches exigeant une expertise particulière, qui pouvaient justifier une rémunération.

Avec la réforme de 1976, cette distinction est désormais abandonnée au profit d’un régime plus souple.

En effet, l’indivisaire gérant peut, sans égard pour la nature professionnelle ou occasionnelle de son activité, prétendre à une rémunération dès lors qu’il s’agit d’une gestion effective et continue au bénéfice de l’indivision.

Cette gestion peut prendre des formes diverses : elle peut être exercée en vertu d’un mandat explicite ou tacite, être fondée sur une décision de justice, ou résulter d’une gestion d’affaires. Peu importe la qualité en vertu de laquelle le gérant agit, l’essentiel est que la gestion à laquelle il se livre bénéficie directement à l’indivision.

Le versement d’une rémunération au gérant n’est toutefois pas automatique ; il est soumis à plusieurs conditions :

==>Exercice d’une véritable activité de gestion

Pour prétendre à une rémunération, le gérant de l’indivision doit démontrer qu’il a exercé une activité de gestion réelle et substantielle.

La jurisprudence exclut toute rémunération pour une simple occupation passive des biens indivis ; en d’autres termes, le gérant doit accomplir des actes de gestion concrets et réguliers, orientés vers la conservation, l’entretien ou l’exploitation des biens indivis. La continuité de cette activité est également requise, et celle-ci doit refléter un engagement dans la gestion effective des biens.

==>La justification d’une qualité

Pour être indemnisé, le gérant doit avoir agi au titre d’une qualité juridique, comme celle de mandataire, gérant d’affaires ou toute autre fonction reconnue dans le cadre de l’indivision.

Cette exigence vise à exclure les actes isolés ou purement personnels qui ne relèvent pas d’une mission de gestion en faveur de l’indivision.

La qualité juridique confère au gérant l’autorité nécessaire pour agir au nom de l’indivision et représente une légitimité pour revendiquer une rémunération.

==>Une activité effective et désintéressée

L’activité de gestion doit être effectivement exercée et avoir un impact tangible pour l’indivision.

Il ne suffit pas d’invoquer une mission ; les actions du gérant doivent être réelles et orientées vers les intérêts de tous les indivisaires.

La jurisprudence a ainsi reconnu le droit à une rémunération pour des démarches entreprises au profit de la succession, mais refuse toute indemnisation pour des actions qui relèvent de l’usage personnel des biens indivis (CA Paris, 16 déc. 1999).

==>Proportionnalité entre le travail fourni et la rémunération

La rémunération attribuée doit être proportionnelle au volume de l’activité de gestion réalisée.

Dans un arrêt du 20 novembre 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’indivisaire qui a géré l’indivision a droit à la rémunération de l’activité qu’il a réellement fournie » (Cass. 1re civ., 20 nov. 1984, n°83-15.657).

Cette exigence impose aux juges d’évaluer la charge de travail du gérant sur la base d’éléments concrets et de justifier leur estimation par des critères objectifs. À défaut, la décision pourrait être annulée pour défaut de base légale.

2. Nature de la rémunération

La question de la qualification de la rémunération de l’indivisaire gérant n’est pas sans soulever des difficultés, plusieurs qualifications pouvant être envisagées.

==>La qualification de fruits et revenus

La première qualification à écarter est celle des fruits et revenus de l’indivision.

Contrairement aux fruits (loyers, produits agricoles, etc.), qui augmentent l’actif de l’indivision en bénéficiant à l’ensemble des indivisaires, la rémunération du gérant ne vise pas à enrichir l’indivision. Elle est destinée à compenser les efforts et le temps investis par le gérant pour assurer la bonne gestion du bien commun.

Ainsi, la Cour d’appel de Bordeaux a explicitement jugé que la rémunération de l’indivisaire gérant ne pouvait être assimilée aux fruits et revenus de l’indivision (CA Bordeaux, 28 juin 1999).

La conséquence en est que la prescription quinquennale applicable aux fruits et revenus de l’indivision, prévue à l’article 815-10 du Code civil, ne joue pas pour la rémunération du gérant de l’indivision.

==>La qualification de salaire

Si la rémunération peut sembler se rapprocher d’un salaire en raison du lien entre le travail fourni par le gérant et le paiement reçu, elle ne peut toutefois être considérée comme telle.

Contrairement à un salaire, qui rémunère une activité sous les directives d’un employeur et prend en compte les résultats obtenus ou le temps passé, la rémunération du gérant d’indivision est accordée en tant que compensation pour une gestion autonome des biens indivis.

Dans un arrêt du 3 avril 2001, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « l’indivisaire qui gère un bien indivis a droit à la rémunération de son activité ; que les conditions de cette rémunération, dont le montant n’est pas limité par les résultats de la gestion, sauf à tenir compte, le cas échéant de la responsabilité éventuelle du gérant pour ses actes de gestion, sont indépendantes des règles gouvernant l’octroi d’un salaire » (Cass. 1ère civ., 3 avr. 2001, n°99-15.665).

Il ressort très clairement de cette décision le gérant d’indivision ne saurait être assimilé à un salarié et, par voie de conséquence, sa rémunération ne peut être qualifiée de salaire.

==>La qualification d’indemnité

La rémunération du gérant d’indivision s’apparente davantage à une indemnité. Elle compense les charges personnelles, les efforts et la perte de temps que le gérant supporte pour le compte de l’indivision.

En ce sens, elle se rapproche des indemnités prévues pour compenser un préjudice ou une dépense engagée dans l’intérêt commun.

À l’instar des dépenses conservatoires ou d’amélioration des biens indivis prévues à l’article 815-13 du Code civil, cette indemnité est due en reconnaissance du travail fourni et des sacrifices personnels consentis pour la préservation ou la valorisation du patrimoine indivis, indépendamment de tout gain concret ou financier.

3. Modalités de fixation de la rémunération

La fixation de la rémunération de l’indivisaire gérant suit un mécanisme en deux étapes, favorisant d’abord une solution amiable avant de recourir, si nécessaire, à l’intervention judiciaire.

==>Évaluation amiable de la rémunération

En application de l’article 815-12 du Code civil, la rémunération du gérant doit, en priorité, être évaluée à l’amiable.

Cette préférence du législateur pour la recherche d’un consensus entre les indivisaires reflète la volonté de préserver l’autonomie des indivisaires dans la gestion de leurs biens communs, mais également prévenir les litiges judiciaires.

Dans ce cadre, les parties s’accordent sur la valeur de l’activité de gestion exercée par le gérant, prenant en compte divers éléments tels que le volume de travail fourni, l’importance des tâches accomplies, et l’impact de la gestion sur le bien indivis.

Cette approche permet aux indivisaires de définir librement et en fonction de leurs propres critères, les modalités de la rémunération qui reflètent au mieux la réalité de la gestion effectuée.

==>Intervention judiciaire en cas de désaccord

C’est n’est qu’en l’absence d’un accord amiable que les indivisaires sont autorisés à emprunter la voie judiciaire pour fixer la rémunération du gérant.

Le juge devra alors procéder à un examen minutieux de la nature et de l’ampleur des actes de gestion accomplis par l’indivisaire gérant.

Conformément à la jurisprudence en vigueur, une correspondance doit être recherchée entre l’effort réellement consenti par le gérant et le montant de la rémunération allouée (Cass. 1re civ., 20 nov. 1984, n°83-15.657).

Cette équivalence vise à éviter une rémunération excessive ou insuffisante, garantissant ainsi un équilibre entre les intérêts des indivisaires.

4. Critères d’évaluation de la rémunération

L’article 815-12 du Code civil reconnaît au gérant un droit à rémunération, sans pour autant indiquer les modalités précises de son évaluation.

Cette absence de directive laisse une marge d’appréciation, qui doit être comblée par une analyse rigoureuse de divers facteurs liés à l’activité du gérant.

==>Prise en compte des critères objectifs de l’activité

Le premier élément à prendre en compte dans l’évaluation de la rémunération du gérant réside dans le temps investi par ce dernier dans la gestion des biens indivis.

Le juge devra examiner la continuité et la régularité des interventions du gérant et, surtout, vérifier que le travail fourni correspond à une activité de gestion effective et soutenue, dépassant la simple surveillance passive des biens.

La complexité des tâches accomplies constitue également un critère d’importance. Plus les actes de gestion impliquent une expertise ou des compétences techniques spécifiques, plus le gérant est fondé à solliciter une rémunération conséquente.

==>Déconnexion de la rémunération et des résultats de la gestion

Il peut être observé que la fixation de la rémunération du gérant doit être déconnectée des résultats financiers qui seraient liés à la gestion du bien indivis.

Dans un arrêt du 25 octobre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la rémunération du gérant ne doit pas être « limitée par les résultats de la gestion, sauf à tenir compte, le cas échéant, de la responsabilité éventuelle du gérant pour ses actes de gestion » (Cass. 1ère civ. 25 oct. 2005, n°02-13.787).

Il ressort de cette décision que la rémunération perçue par le gérant vise à l’indemniser pour le travail fourni. Il ne s’agit pas d’une rétribution qui lui serait due au titre d’un quelconque rendement économique.

==>Pouvoir souverain du juge et obligations de motivation

Le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments d’évaluation à prendre en compte, ce qui lui permet de moduler le montant alloué en fonction des circonstances particulières de chaque affaire.

Cependant, ce pouvoir n’est pas exempt de contrôle. La Cour de cassation insiste sur l’importance d’une motivation rigoureuse de la décision des juges du fond, qui doivent clairement justifier les critères retenus pour le calcul de la rémunération. Une insuffisance de motivation est susceptible de conduire à la censure de la décision rendue.

5. Production d’intérêts

La rémunération due au gérant de l’indivision est assortie, de plein droit, d’intérêts au taux légal dès que l’indivision devient débitrice de cette créance, et ce, sans attendre une demande formelle en justice.

L’allocation d’intérêts répond à une logique indemnitaire : elle vise à compenser la perte de jouissance de la somme due, valorisant ainsi l’effort consenti par le gérant pour le compte de l’indivision.

Ce droit à percevoir des intérêts a été reconnu par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 juin 1996.

Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a précisé « que les intérêts de [la rémunération du gérant] courent de plein droit à partir du jour où l’indivision est constituée débiteur et non pas de la demande en justice » (Cass. 1ère civ., 11 juin 1996, n°94-14.293).

En pratique, si les indivisaires se mettent d’accord sur la rémunération, les intérêts courront à compter de cet accord.

Dans le cas d’une fixation judiciaire, ils prendront effet à partir de la date de la décision rendue. C’est là une application de l’article 1231-7 du Code civil qui dispose que toute condamnation à une indemnité porte intérêts au taux légal dès le prononcé de la décision, sauf disposition contraire.

6. Le prélèvement de la rémunération du gérant

L’article 815-12 du Code civil oblige le gérant de l’indivision à rendre compte aux indivisaires des produits nets issus de sa gestion des biens indivis.

Cette règle s’applique sans distinction, que l’indivisaire assume cette gestion bénévolement ou en vue d’une rémunération, ce qui souligne l’exigence de transparence au sein de l’indivision.

Les produits nets, dans ce contexte, correspondent aux revenus bruts générés par les biens indivis, desquels doivent être déduits l’ensemble des frais de fonctionnement et d’exploitation nécessaires.

Cependant, le calcul de ces produits nets doit exclure la rémunération propre au gérant, celle-ci étant prévue séparément par l’article 815-12 du Code civil.

L’application de cette règle soulève des questions pratiques, notamment celle de savoir si le gérant peut prélever directement sa rémunération sur les produits nets ou s’il doit d’abord rendre compte des résultats de sa gestion.

Certains auteurs ont soutenu qu’il convient de dissocier ces deux étapes : le gérant doit d’abord établir et rapporter les produits nets pour ensuite réclamer sa rémunération.

Ce raisonnement repose sur l’idée que les produits nets, une fois déterminés, constituent un ensemble transparent et disponible pour tous les indivisaires avant toute déduction personnelle.

D’autres auteurs, au contraire, considèrent que la rémunération du gérant fait partie des charges inhérentes à l’exploitation, autorisant le gérant à la prélever directement.

Cette dernière interprétation est en réalité plus favorable au gérant, car elle évite la contrainte d’une restitution ultérieure.

La Cour de cassation a implicitement validé cette seconde approche dans un arrêt du 15 mai 1979, aux termes duquel elle a permis à un indivisaire d’effectuer ce prélèvement direct (Cass. 1ère civ. 15 mai 1979)

La Première chambre civile a toutefois rappelé les limites de cette prérogative, le juge devant systématiquement vérifier que les sommes retenues sont proportionnelles aux services rendus et à la juste rémunération de l’indivisaire gérant.

En somme, la possibilité pour le gérant de prélever directement sa rémunération est admise, mais elle est encadrée par une exigence de proportionnalité et de justification, de sorte que les intérêts de l’indivision restent protégés.

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