Dans le cadre de la gestion d’un bien indivis, si les indivisaires jouissent de droits, ils n’en demeurent pas moins soumis à des obligations dont le respect assure la pérennité de l’indivision et l’équité entre coindivisaires.
Parmi celles-ci, l’établissement d’un compte de gestion annuel s’impose comme une démarche essentielle pour garantir la transparence des droits et devoirs de chaque indivisaire.
Dans cette perspective, deux types d’indemnités peuvent être réclamées, destinées à maintenir l’équilibre entre les droits d’occupation et d’usage, d’une part, et la préservation de la valeur du bien indivis, d’autre part : l’indemnité d’occupation et l’indemnité pour détérioration.
Ces obligations, énoncées à l’article 815-11 du Code civil, visent à corriger les éventuels déséquilibres engendrés par une utilisation exclusive ou abusive du bien par l’un des coindivisaires, garantissant ainsi une gestion juste et concertée de l’indivision.
A) L’indemnité d’occupation
1. Le principe d’attribution d’une indemnité d’occupation
L’article 815-9 du Code civil prévoit que « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité. »
Il ressort de cette disposition que tout indivisaire jouissant exclusivement d’un bien indivis, au détriment des droits de jouissance de ses coindivisaires, doit indemniser ces derniers.
Il peut être observé que l’indemnité d’occupation n’a pas toujours été prévue par la loi. Elle été introduite dans le Code civil par la loi du 31 décembre 1976 qui a codifié la jurisprudence.
Dans un arrêt du 15 février 1973, la Cour de cassation avait, en effet, affirmé que « l’indivisaire qui use privativement de la chose indivise doit, sauf convention contraire, une indemnité à ses coïndivisaires » (Cass. 1ère civ. 15 févr. 1973, n°68-13.698).
Cette décision repose sur l’idée selon laquelle la jouissance exclusive d’un bien indivis crée un déséquilibre, en privant les autres indivisaires de leur droit d’usage ainsi que des fruits potentiels de ce bien.
L’indemnité d’occupation ne s’analyse donc pas en une simple redevance d’usage ; elle constitue une réparation du préjudice subi par l’indivision, en rétablissant l’égalité entre coindivisaires.
En effet, lorsque l’un des indivisaires bénéficie seul de la jouissance du bien commun, cette utilisation exclusive justifie que les autres soient indemnisés pour la perte de jouissance et de revenus auxquels ils auraient légitimement pu prétendre.
S’agissant de la nature de l’indemnité d’occupation, elle s’apparente à des fruits perçus par l’indivision.
Dans un arrêt du 10 janvier 1990, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’indemnité mise à la charge de l’indivisaire qui jouit privativement d’un bien indivis, ayant pour objet de réparer le préjudice causé à l’indivision par la perte des fruits et revenus de ce bien, se substitue à ceux-ci et en emprunte les caractères » (Cass. 1ère civ. 10 janv. 1990, n°87-10.453).
La conséquence en est que l’action en paiement de cette indemnité est ainsi soumise à la prescription quinquennale de l’article 815-10 du Code civil.
2. Les conditions d’attribution d’une indemnité d’occupation
L’attribution d’une indemnité d’occupation est subordonnée à la réunion de plusieurs conditions cumulatives.
a. Existence d’une indivision
La première condition devant être remplie pour qu’une indemnité d’occupation puisse être réclamée est l’existence d’une situation d’indivision.
L’octroi d’une indemnité d’occupation trouve sa justification dans l’atteinte portée aux droits de jouissance des autres indivisaires, droits qui ne peuvent être affectés qu’en situation d’indivision.
Aussi, l’exigence d’une situation d’indivision implique que le bien concerné soit détenu par plusieurs personnes sans division matérielle, permettant à chacun des indivisaires de revendiquer un droit de jouissance sur l’ensemble du bien.
À défaut, comme dans le cas où le bien appartient exclusivement à une seule personne ou dans une indivision limitée à la nue-propriété, aucune indemnité d’occupation ne pourrait être due, l’indivision n’engageant pas de concurrence de jouissance entre plusieurs titulaires.
La Cour de cassation confirmé cette règle dans un arrêt du 6 juillet 2000, aux termes duquel elle a annulé la condamnation d’un mari à verser une indemnité d’occupation pour l’usage du domicile conjugal durant une procédure de divorce, le bien ne relevant pas de l’indivision post-communautaire (Cass. 1re civ., 6 juill. 2000, n° 98-16.814).
Ce n’est donc qu’en présence d’une situation d’indivision que l’article 815-9 du Code civil s’applique.
A cet égard, la Cour de cassation a précisé que cette disposition demeure applicable même si l’indivision ne porte que sur la jouissance et non sur la propriété pleine et entière du bien.
Lorsqu’ainsi, un héritier occupe seul un bien indivis dont il ne détient qu’une partie en usufruit, il demeure redevable d’une indemnité au titre de sa jouissance exclusive, car il limite l’accès des autres indivisaires à la jouissance de ce bien (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 19 janv. 1999, n°96-18.303).
Ce principe s’étend également à d’autres situations d’indivision, telles que les constructions érigées sur un terrain indivis sans l’accord de tous les indivisaires.
Dans ce cas, l’indivisaire constructeur est tenu de verser une indemnité d’occupation jusqu’à la démolition de la construction (Cass. 1re civ., 12 mai 2010, n°09-65.362).
A l’inverse, il est certaines situations qui, bien que proche de l’état d’indivision, ne se confondent pas avec lui de sorte que l’octroi d’une indemnité d’occupation est exclu. Tel est le cas en présence, par exemple, d’une clause d’accroissement ou de tontine.
Pour mémoire, la clause d’accroissement est un mécanisme par lequel deux personnes ou plus acquièrent un bien en prévoyant que, au décès de l’une d’elles, la part de celle-ci reviendra automatiquement aux autres coacquéreurs survivants. Elle a pour effet d’éviter le partage successoral, assurant ainsi aux survivants la pleine propriété du bien sans passage par une situation d’indivision.
La clause de tontine, également appelée « clause de survie », fonctionne de manière similaire. Elle stipule que le bien sera considéré comme ayant toujours appartenu au dernier survivant des coacquéreurs. En pratique, cette clause fait en sorte que le dernier survivant devient l’unique propriétaire du bien, en éliminant toute copropriété antérieure, même si les acquéreurs l’ont initialement financé ensemble.
Ces clauses, en organisant la transmission automatique de la propriété au survivant, font obstacle à la reconnaissance d’une situation d’indivision, même provisoire, ce qui exclut de fait la possibilité d’exiger une indemnité d’occupation au titre de l’article 815-9 du Code civil.
b. Occupation privative du bien indivis
La jouissance exclusive d’un bien indivis par un seul indivisaire constitue la seconde condition à l’octroi d’une indemnité d’occupation.
Si, en principe, une indemnité d’occupation est due lorsque l’usage privatif du bien par un indivisaire empêche de fait ou de droit les autres coïndivisaires d’y accéder, la jurisprudence nuance toutefois cette règle en fonction de l’existence ou de l’absence d’un titre légitimant l’occupation exclusive.
==>L’occupation privative fondée sur un titre
L’occupation privative d’un bien indivis par un indivisaire peut, dans certaines circonstances, résulter d’un titre, comme une convention entre coïndivisaires ou une décision de justice, ce qui confère à cet indivisaire un droit de jouissance exclusive.
Toutefois, pour qu’une indemnité d’occupation puisse être exigée, ce titre doit véritablement priver les autres indivisaires de toute possibilité de jouissance sur le bien.
Ainsi, il ne suffit pas que l’indivisaire dispose d’un titre, encore faut-il que ce titre prévoit une exclusivité de jouissance au détriment des autres coïndivisaires.
Dans un arrêt du 23 octobre 2013, la Cour de cassation a ainsi affirmé que, si le jugement qui attribue la jouissance exclusive du logement familial à un époux dans le cadre d’un divorce ne supprime pas, de fait, les droits de jouissance de l’autre conjoint, il n’en confère pas moins à l’époux occupant un titre exclusif. Une indemnité d’occupation devient due pour compenser la privation de jouissance subie par l’autre indivisaire, évincé de l’usage du bien commun (Cass. 1ère civ., 23 oct. 2013, n°12-21.556).
En matière de succession, la jurisprudence a précisé qu’un héritier bénéficiaire d’une attribution préférentielle, jouissant exclusivement d’un bien avant le partage définitif, reste redevable d’une indemnité d’occupation tant que les autres coïndivisaires n’ont pas renoncé à leur droit de jouissance sur le bien indivis (Cass. 1ère, 23 nov. 1982, n° 81-15.037). Dans ce cas, l’attribution préférentielle confère un droit de jouissance temporaire à l’indivisaire occupant, mais ce droit exclusif n’éteint pas les droits concurrents des autres indivisaires, qui peuvent réclamer une indemnité pour la période d’occupation privative.
La Cour de cassation a également précisé que l’attribution d’une indemnité d’occupation ne dépend pas de l’occupation effective du bien par l’indivisaire débiteur de l’indemnité.
Ce qui importe, c’est la possibilité pour cet indivisaire d’user privativement du bien en disposant librement de l’accès et de la jouissance du bien, peu importe s’il l’occupe ou non.
En effet, il suffit que l’indivisaire débiteur ait le pouvoir d’empêcher les autres de jouir du bien pour que l’indemnité soit due, même en l’absence de jouissance effective. Cet aspect a été affirmé dans plusieurs arrêts de la Cour de cassation, notamment le 14 juin 2000, où il a été jugé que l’indemnité est due dès lors que l’indivisaire jouit de manière exclusive du bien, même s’il n’en fait qu’un usage partiel (Cass. 1ère civ., 14 juin 2000, n°98-19.255).
A cet égard, la jurisprudence admet que des indices matériels, tels que la possession exclusive des clés, le changement des serrures ou la mise en place de biens personnels, peuvent suffire à caractériser une jouissance exclusive, même en l’absence d’occupation effective (Cass. 1ère civ., 14 juin 2000, n°98-19.255).
Enfin, il est à noter que l’indemnité d’occupation peut être due indépendamment de la prédisposition du bien à générer des revenus.
La Cour de cassation a ainsi précisé que l’état de vétusté ou la valeur locative du bien n’influencent que le montant de l’indemnité et non le droit à son versement.
Cette indemnité vise à compenser l’exclusion de fait ou de droit des autres coïndivisaires, sans considération de la rentabilité éventuelle du bien (Cass. 1ère civ. 1re, 22 avr. 1997, n°95-15.830).
==>L’occupation privative sans titre
En l’absence de titre conférant une jouissance exclusive à l’indivisaire occupant, la question se pose de savoir si une situation de fait peut donner lieu à une jouissance privative au sens de l’article 815-9 du Code civil.
En effet, pour qu’une indemnité d’occupation soit due, il est nécessaire que l’usage exclusif par un indivisaire exclue les autres coïndivisaires de la jouissance du bien, même si cette occupation n’est pas fondée sur un titre explicite.
La jurisprudence semble admettre qu’un tel usage privatif puisse découler d’une situation de fait.
Dans un arrêt du 22 avril 1997, la Cour de cassation a ainsi affirmé qu’un indivisaire occupant un bien indivis sans convention expresse ou décision judiciaire ne peut pour autant échapper au paiement d’une indemnité, dès lors que son occupation prive de fait les autres indivisaires de leur droit de jouissance concurrente.
En d’autres termes, le simple fait d’avoir la maîtrise d’un bien indivis et d’en interdire l’accès aux autres peut suffire à caractériser une jouissance privative entraînant la dette d’indemnité d’occupation (Cass. 1ère civ. 1ère, 22 avr. 1997, n°95-15.830).
Plusieurs indices matériels peuvent, en l’absence de titre, manifester cette appropriation exclusive : la possession exclusive des clés, le changement de serrures, ou encore l’installation de biens personnels dans les lieux.
Ces éléments, même en l’absence d’occupation permanente, suffisent à priver les autres indivisaires de leur droit de jouissance et justifient dès lors une indemnité d’occupation.
La Cour de cassation a ainsi estimé que la seule détention des clés par un indivisaire peut démontrer un usage privatif, dès lors qu’elle rend impossible l’accès des coïndivisaires (Cass. 1ère civ., 14 juin 2000, n°98-19.255).
Par ailleurs, il est établi que la privation de jouissance des autres indivisaires n’exige pas une occupation continue ou lucrative du bien.
La jurisprudence, en adoptant une lecture extensive de l’article 815-9, considère que la dette d’indemnité résulte du simple fait que l’indivisaire occupant dispose de la liberté d’utiliser le bien sans partage, indépendamment de son usage effectif. Cette interprétation permet de sanctionner toute privation de jouissance, même théorique, et de maintenir les droits concurrents des coïndivisaires.
c. Une occupation privative au titre de la qualité d’indivisaire
Pour qu’une indemnité d’occupation soit due, la jouissance exclusive exercée par l’indivisaire occupant doit se fonder sur sa qualité d’indivisaire et non sur un titre distinct, qu’il soit conventionnel ou légal.
i. L’existence d’une convention entre coïndivisaires
La jouissance exclusive d’un bien indivis peut résulter de la conclusion d’une convention entre coïndivisaires.
Il peut s’agit d’un bail ou encore d’une convention conclue dans le cadre de l’article 815-9 du Code civil qui autorise les indivisaires à conférer à l’un d’entre eux conventionnement la jouissance exclusive du bien à titre onéreux ou gratuit.
Dans tous les cas, la conclusion d’une convention qui confère à un indivisaire la jouissance exclusive du bien exclut l’attribution d’une indemnité d’occupation sur le fondement de l’article 815-9 du Code civil.
En cas de rétribution des coindivisaires en contrepartie de la jouissance exclusive du bien consentie à l’un d’eux, elle sera due au titre de la seule convention conclue entre eux et non en application de l’article 815-9.
==>Conclusion d’un bail
Lorsque le bien est occupé dans le cadre d’un bail, il est admis que l’indivisaire occupant est redevable des loyers selon les termes du contrat de location, mais non d’une indemnité d’occupation au sens de l’article 815-9 du Code civil.
Lorsque, en effet, l’indivisaire dispose d’un titre distinct, comme un contrat de location, c’est ce titre qui régit sa jouissance, et non le droit commun de l’indivision.
En ce sens, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 18 mars 2020 que la qualité de locataire empêche les autres coïndivisaires de réclamer une indemnité d’occupation (Cass. 1ère civ., 18 mars 2020, n°19-11.206).
A cet égard, il ressort de cette décision que, quand bien même le loyer versé par l’indivisaire locataire est inférieur à la valeur locative réelle du bien, les coïndivisaires ne peuvent pas prétendre à une indemnité d’occupation, le bail neutralisant toute atteinte aux droits concurrents des coïndivisaires.
Une question subsiste toutefois : un loyer tellement bas qu’il en devient dérisoire pourrait-il être contesté comme insuffisamment onéreux pour constituer un véritable contrat de bail, requalifiant ainsi la situation en jouissance exclusive de l’indivisaire au titre de l’indivision ?
Il y a lieu d’être prudent sur ce point, mais il est probable qu’une requalification puisse être envisagée si le loyer est symbolique, au point de nier toute contrepartie effective, ce qui remettrait en cause la nature même de la convention.
==>Existence d’une convention tacite
Il peut être observé que l’existence de conventions tacites peut également justifier l’occupation privative d’un bien indivis sans indemnité.
Par exemple, si un coïndivisaire tolère pendant une longue période l’usage exclusif d’un bien par un autre indivisaire sans jamais revendiquer son droit de jouissance ou réclamer d’indemnité, cette tolérance peut être interprétée comme une renonciation implicite à l’indemnité d’occupation.
Toutefois, la jurisprudence est exigeante sur les preuves nécessaires pour établir une renonciation tacite. Une simple tolérance ponctuelle ou temporaire ne suffit pas à écarter durablement le versement de toute indemnité d’occupation.
Ainsi, l’indivisaire qui souhaite se prévaloir d’une renonciation tacite devra démontrer une abstention prolongée et constante de la part des autres coïndivisaires.
ii. L’existence d’un titre légal excluant l’indemnité
Il est certains cas où un indivisaire exerce une jouissance exclusive sur le bien indivis au titre d’un droit qui lui est conféré par la loi.
Dans cette hypothèse, l’indivisaire occupant est dispensé de payer une indemnité d’occupation aux autres coindivisaires. Cette situation se rencontre notamment en présence d’indivisions successorales ou post-communautaires.
==>Le droit d’habitation du conjoint survivant
L’article 764 du Code civil prévoit que « sauf volonté contraire du défunt exprimée dans les conditions de l’article 971, le conjoint successible qui occupait effectivement, à l’époque du décès, à titre d’habitation principale, un logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession, a sur ce logement, jusqu’à son décès, un droit d’habitation et un droit d’usage sur le mobilier, compris dans la succession, le garnissant. »
Il ressort de cette disposition que le conjoint survivant bénéficie d’un droit d’habitation légal et exclusif sur le domicile conjugal, droit instauré pour assurer la protection de sa résidence après le décès de l’époux.
Cette jouissance exclusive, conférée par la loi, exonère expressément le conjoint du versement d’une indemnité d’occupation envers les autres héritiers indivisaires. En effet, la loi, par cette disposition, entend garantir au conjoint survivant la continuité du logement familial, priorité qui s’impose aux droits concurrents des coïndivisaires.
Dans un arrêt du 25 juin 2002, la Cour de cassation a affirmé en ce sens que ce droit d’usage et d’habitation conféré par l’article 764 exclut toute obligation d’indemnisation au titre de l’occupation privative, car l’occupation n’est pas fondée sur la seule qualité d’indivisaire mais sur un titre légal qui prime (Cass. 1ère civ., 25 juin 2002, n°00-14.376).
==>L’attribution préférentielle
En matière successorale, le droit d’attribution préférentielle, accordé à un héritier pour la jouissance d’un bien indivis conformément à l’article 832 du Code civil, peut également dispenser du paiement d’une indemnité d’occupation.
Ce droit, qui s’exerce dans le cadre du partage successoral, confère à l’héritier bénéficiaire une jouissance exclusive temporaire, justifiée par sa vocation à obtenir ce bien lors du partage définitif.
La jurisprudence considère légitime que l’héritier appelé à recevoir le bien en jouisse sans contrepartie financière, dès lors que cette occupation exclusive découle d’un droit conféré par la loi (Cass. 1ère civ., 23 nov. 1982, n°81-15.037).
Ce droit d’occupation anticipée se substitue ainsi à la jouissance partagée, informant les autres héritiers que le bien sera attribué à l’héritier demandeur lors du partage définitif.
==>Usufruit et location-attribution
Dans d’autres situations, la jouissance exclusive repose sur des droits d’usufruit ou des dispositifs de location-attribution, excluant également l’indemnité d’occupation.
Par exemple, un logement en location-attribution, n’étant pas propriété commune des époux mais indivis, il a été jugé que cette situation ne pouvait pas donner lieu à une indemnité d’occupation si l’un des ex-conjoints continuait d’y résider après dissolution de la communauté (Cass. 1ère civ., 17 mars 1992, n°90-14.279).
3. Modalités de fixation de l’indemnité
La fixation de l’indemnité d’occupation, qui vise à compenser l’usage privatif d’un bien indivis par l’un des coïndivisaires, peut se faire de manière amiable ou judiciaire, selon les circonstances et les rapports qu’entretiennent entre eux les indivisaires.
==>Fixation amiable
Idéalement, l’indemnité d’occupation est fixée à l’amiable entre les indivisaires au moment où l’un d’eux commence à jouir exclusivement d’un bien indivis.
Cette solution présente l’avantage de réduire le risque de contentieux futur, en permettant aux indivisaires de s’entendre sur les modalités d’usage, la durée de l’occupation privative, et le montant de l’indemnité.
Ce processus amiable permet ainsi de préserver la cohésion entre indivisaires et d’assurer une gestion harmonieuse de l’indivision.
Cependant, en l’absence d’un accord préalable ou lorsque les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant de l’indemnité, il devient nécessaire de recourir à une fixation judiciaire.
==>Fixation judiciaire
À défaut d’accord amiable, la fixation de l’indemnité d’occupation relève de la compétence du Président du tribunal judiciaire, comme le prévoit l’article 815-9, alinéa 2 du Code civil.
Selon la procédure définie par l’article 1380 du Code de procédure civile (modifié par le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019), le Président du tribunal judiciaire peut être saisi pour statuer en procédure accélérée au fond.
La jurisprudence est constante sur ce point : seul le tribunal judiciaire dispose de l’autorité pour fixer l’indemnité en l’absence d’accord amiable, excluant ainsi la compétence du juge aux affaires familiales, sauf pour les questions de liquidation et de partage post-divorce (Circulaire du 16 juin 2010).
Lorsqu’un différend survient dans le cadre de la liquidation-partage, le juge aux affaires familiales peut être compétent si le litige concerne l’évaluation de l’indemnité d’occupation suite à la dissolution du mariage ou du PACS.
En revanche, si le conflit se produit avant cette phase procédurale la compétence demeure entre les mains du président du tribunal judiciaire.
==>Le rôle du notaire liquidateur
Dans certaines situations, le tribunal judiciaire peut renvoyer les parties devant un notaire pour une expertise en vue d’évaluer le montant de l’indemnité.
Toutefois, le rôle du notaire est limité à une mission d’ordre technique : il se borne à fournir un avis sur la valeur locative du bien indivis sans pour autant disposer de l’autorité pour fixer lui-même l’indemnité.
Seul le tribunal peut, en dernier ressort, statuer sur le montant, l’intervention du notaire servant uniquement à éclairer le juge par un apport d’informations factuelles.
4. L’évaluation de l’indemnité d’occupation
L’évaluation de l’indemnité d’occupation, prévue à l’article 815-9, alinéa 2, du Code civil, obéit à une approche fondée sur plusieurs critères précis, permettant d’assurer une juste compensation aux coïndivisaires privés de leur droit de jouissance.
a. La durée de la jouissance privative
L’indemnité d’occupation couvre toute période de jouissance privative du bien indivis, s’étendant du début de l’indivision jusqu’au partage.
Pour les indivisions successorales, elle prend effet à partir de l’ouverture de la succession, tandis qu’en cas d’indivision post-communautaire, elle s’applique dès la date à laquelle le divorce produit ses effets patrimoniaux entre époux, conformément à l’article 262-1 du Code civil (Cass. 2e civ., 11 févr. 1998, n°96-14.901).
Cette indemnité se prolonge jusqu’au partage définitif, matérialisé par le procès-verbal de liquidation dressé par le notaire.
b. Point de départ et terme de l’indemnité
Si le point de départ de l’indemnité est déterminé par le fait générateur de l’indivision — ouverture de la succession ou prise d’effet patrimonial du divorce — la fin de la jouissance exclusive requiert un examen des circonstances particulières de chaque affaire.
En effet, l’indemnité peut cesser lorsque survient le partage définitif de l’indivision, formalisé par le procès-verbal de liquidation établi par le notaire.
Ce moment marque la fin de l’indivision, mais il peut être anticipé par la libération volontaire des lieux par l’occupant.
c. La prise en compte de la valeur locative
Le calcul de l’indemnité d’occupation s’appuie sur la valeur locative du bien occupé, c’est-à-dire le montant du loyer qui pourrait être perçu si le bien était donné en location.
Dans un arrêt du 27 octobre 1992, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’indemnité d’occupation mise par l’article 815-9 du Code civil à la charge de l’indivisaire qui jouit privativement d’un bien indivis doit être déterminée en ayant égard à la valeur locative des biens, l’enrichissement procuré à l’indivision par les dépenses effectuées par cet indivisaire pour la conservation ou l’amélioration de ce bien étant compensée par l’indemnité fixée selon l’article 815-3 du même Code » (Cass. 1ère civ., 27 oct. 1992, n° 91-10.773).
Il convient toutefois de noter que si la valeur locative du bien demeure un critère privilégié, le juge reste libre d’ajuster le montant de l’indemnité selon les circonstances spécifiques à chaque affaire.
Ainsi, lorsque le bien est dans un état de vétusté incompatible avec sa mise en location, l’indemnité peut être réajustée sans pour autant être totalement supprimée, puisque l’occupation exclusive du bien par un indivisaire prive les autres de leur droit de jouissance (Cass. 1ère civ., 3 oct. 2019, n°18-20.430).
d. Autres critères influençant l’évaluation
Outre la valeur locative, divers facteurs peuvent influencer le montant de l’indemnité. Les juges tiennent parfois compte de la situation économique des coïndivisaires et de l’obligation d’entretien des enfants communs.
Par exemple, un époux ayant la garde des enfants peut bénéficier d’une réduction de l’indemnité d’occupation si cette jouissance sert à remplir son devoir d’entretien (CA Versailles, 17 nov. 1988). Cependant, cette obligation est limitée dans le temps, et la jouissance gratuite ne peut être invoquée si les enfants sont désormais adultes et indépendants (CA Paris, 9 mai 2000).
e. La question des travaux de conservation et d’amélioration
Lorsqu’un indivisaire occupant finance des travaux de conservation ou d’amélioration sur le bien indivis, cette initiative n’a pas pour effet de réduire le montant de l’indemnité d’occupation.
Cependant, l’indivisaire peut réclamer une compensation à concurrence du montant des travaux réalisés sur le fondement de l’article 815-13 du Code civil.
La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 14 janvier 1997 (Cass. 1re civ., 14 janv. 1997, n°94-19.102).
5. Le paiement de l’indemnité d’occupation
a. Le bénéficiaire du paiement de l’indemnité d’occupation
L’indemnité d’occupation, lorsqu’un indivisaire use privativement d’un bien indivis, est attribuée à l’indivision dans sa globalité, et non aux coïndivisaires non-occupants pris individuellement.
Cette règle découle de la nature de l’indemnité qui, selon l’article 815-9, alinéa 2, du Code civil, compense la privation des fruits et revenus que le bien aurait générés au profit de l’indivision.
En effet, les fruits perçus lors d’une jouissance privative appartiennent collectivement à l’indivision, et non à chaque indivisaire en particulier.
En ce sens, la Cour de cassation a affirmé dans un arrêt du 30 mai 2000 que « l’indemnité d’occupation, qui a pour objet de réparer le préjudice causé à l’indivision par la jouissance privative d’un coïndivisaire, est due à l’indivision jusqu’au partage et doit entrer dans la masse active partageable » (Cass. 1re civ., 30 mai 2000, n° 98-19.195).
De plus, cette indemnité ne peut être exigée directement par un indivisaire en particulier, comme l’illustre un arrêt de la Cour de cassation ayant annulé une décision ordonnant le paiement de l’indemnité d’occupation au conjoint non-occupant, alors que celle-ci devait revenir intégralement à l’indivision (Cass. 1re civ., 26 mai 1999, n°97-11.904). Le droit des coïndivisaires non-occupants réside donc non dans une compensation individuelle, mais dans le partage final de la masse indivise augmentée par cette indemnité.
Dans certains cas spécifiques, lorsque l’usufruitier dispose d’une jouissance exclusive sur un bien indivis, il est tenu au paiement d’une indemnité d’occupation au bénéfice de l’indivision.
La Cour de cassation a ainsi précisé dans un arrêt du 19 janvier 1999 que l’usufruitier qui occupe un bien indivis est redevable de cette indemnité à l’indivision dans son ensemble, et non aux coïndivisaires individuellement, confirmant ainsi l’unité d’attribution de cette indemnité (Cass. 1re civ., 19 janv. 1999, n°96-18.303).
En revanche, cette indemnité n’est pas due lorsque le bien est en nue-propriété et usufruit, car il n’existe pas de rapport d’indivision entre le nu-propriétaire et l’usufruitier, les droits étant considérés comme distincts et indépendants (Cass. 1ère civ., 15 mai 2013, n°11-24.217).
Ainsi, l’indemnité d’occupation, indépendamment de la situation des coïndivisaires non-occupants, est conçue comme une compensation en faveur de l’entité indivise dans son ensemble. Elle est destinée à maintenir l’équilibre économique de l’indivision jusqu’au partage, et cette intégration dans la masse indivise garantit que chaque indivisaire retrouve, au moment de la répartition, une part équitable des fruits de l’indivision.
Enfin, il convient de noter qu’en cas de liquidation judiciaire de l’indivisaire débiteur de l’indemnité d’occupation, les autres indivisaires doivent déclarer leur créance auprès du liquidateur pour la période antérieure au jugement d’ouverture de la liquidation.
Faute de déclaration, la créance d’indemnité d’occupation sera éteinte. Cette exigence vise à garantir la sauvegarde des intérêts de l’indivision dans les procédures collectives tout en respectant les impératifs de la liquidation judiciaire.
b. Le débiteur du paiement de l’indemnité d’occupation
L’indemnité d’occupation, destinée à compenser la privation de jouissance collective d’un bien indivis par l’ensemble des indivisaires, est intégralement due par l’indivisaire qui jouit exclusivement du bien. La dette de l’indemnitaire est ainsi évaluée dans sa globalité, sans possibilité pour cet indivisaire de réduire le montant de sa dette en fonction de sa propre part dans l’indivision.
En ce sens, la Cour de cassation a rappelé dans un arrêt du 26 mai 1999 rque l’indemnité d’occupation, fixée soit par accord amiable entre les indivisaires, soit judiciairement, reste due dans son intégralité par l’occupant privatif (Cass. 1ère civ., 26 mai 1999, n°97-11.904).
A cet égard, il peut être observé qu’il est expressément fait interdiction à l’indivisaire débiteur d’opérer une compensation entre l’indemnité d’occupation et d’éventuelles créances qu’il pourrait avoir contre l’indivision.
Par exemple, même si l’indivisaire occupant a acquitté des charges, remboursé des mensualités de prêts ou effectué des améliorations sur le bien indivis, ces dépenses ne peuvent être déduites du montant de l’indemnité d’occupation.
La Cour de cassation a rappelé cette interdiction dans plusieurs arrêts, soulignant que de telles créances doivent être revendiquées séparément, lors de l’établissement du compte de liquidation de l’indivision, et ne sauraient être invoquées pour réduire la dette d’occupation (Cass. 1re civ., 18 janv. 1989, n°87-13.177).
Cette position vise à maintenir l’équilibre entre les indivisaires en distinguant les obligations personnelles de l’indivisaire occupant de celles relatives à l’indemnité d’occupation. En d’autres termes, bien que l’indivisaire puisse avoir assumé des dépenses bénéfiques pour l’indivision, elles ne peuvent pas être regardées comme compensant la dette d’occupation ; elles ne peuvent donner lieu qu’à une créance distincte contre l’indivision.
Dans certaines configurations, la compensation peut toutefois être envisagée. Il en va ainsi lorsque des indivisaires occupent chacun un bien indivis distinct.
Dans ce cas, une compensation réciproque entre les indemnités d’occupation dues peut être admise. Cependant, cette solution est limitée aux situations où chaque indivisaire occupe un bien appartenant à l’indivision.
Par contraste, lorsque l’occupation implique des biens de nature différente, par exemple un bien propre occupé par l’épouse et un bien commun occupé par le mari dans une indivision post-communautaire, la compensation ne saurait s’appliquer.
La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 14 février 2006 que la qualité des parties est ici essentielle : la compensation ne peut jouer qu’entre créances et dettes qui concernent des parties ayant la même qualité (Cass. 1re civ., 14 févr. 2006, n°05-12.866).
c. Le moment du paiement
L’indemnité d’occupation vise donc à rétablir l’équilibre au sein de l’indivision en compensant la jouissance privative d’un indivisaire. Une difficulté réside cependant dans le choix du moment de son paiement : est-elle exigible immédiatement après sa fixation conventionnelle ou par le juge ou seulement lors du partage ?
Certains auteurs ont avancé que l’indemnité ne devrait être payée qu’au moment du partage, en raison de la règle de l’effet déclaratif du partage prévue par l’article 883 du Code civil.
Selon ce principe, le partage a un effet rétroactif, attribuant à chaque indivisaire la propriété exclusive des biens figurant dans son lot dès l’origine de l’indivision.
Si le bien utilisé de façon privative par un indivisaire est finalement attribué à ce dernier lors du partage, l’indemnité d’occupation pourrait en théorie être annulée, car le bien serait juridiquement censé lui avoir toujours appartenu. Cette approché a été adoptée par certaines juridictions, comme en témoigne un arrêt de la Cour d’appel de Paris, qui avait écarté la demande de paiement immédiat de l’indemnité (CA Paris, 30 nov. 1988).
Cependant, cette position, bien que cohérente avec la règle de l’effet déclaratif, a été remise en cause par la Cour de cassation, qui considère que l’indemnité d’occupation ne saurait être retardée jusqu’au partage, afin de ne pas priver l’indivision de la réparation à laquelle elle a droit.
En effet, en assimilant cette indemnité à un revenu de l’indivision, la Cour de cassation considère que les coïndivisaires sont fondés à réclamer le paiement de l’indemnité dès sa fixation, que celle-ci soit déterminée de manière amiable ou judiciaire.
Cette position a notamment été exprimée dans un arrêt rendu le 15 avril 1980 aux termes duquel la Première chambre civile affirmé que « l’effet déclaratif du partage ne saurait effacer les conséquences de la jouissance privative dans les rapports entre indivisaires » (Cass. 1re civ., 15 avr. 1980, 78-15.245).
La Cour de cassation a réaffirmé cette solution dans plusieurs arrêts, soulignant que l’indemnité d’occupation devait être considérée comme un revenu immédiat de l’indivision, et non comme une créance différée jusqu’au partage.
Ainsi, l’indemnité doit être payée dès que son montant a été fixé, afin de compenser la perte de fruits et revenus dont l’indivision aurait bénéficié.
Cette règle, précisée dans un arrêt du 30 mai 2000, consacre le caractère autonome de l’indemnité d’occupation vis-à-vis du partage et protège l’indivision contre l’allongement de la procédure de partage qui, dans certains cas, pourrait s’étendre sur plusieurs années (Cass. 1ère civ., 30 mai 2000, n°98-19.195).
L’exigibilité immédiate de l’indemnité d’occupation n’est pas sans incidence prratique.
En effet, si l’indemnité devait être différée jusqu’au partage, le préjudice subi par les coïndivisaires non-occupants pourrait s’aggraver au fil du temps, rendant l’objectif de réparation illusoire. La Cour de cassation, en assimilant l’indemnité à un revenu, considère qu’elle doit être intégrée sans délai dans la masse indivise, renforçant ainsi l’économie collective de l’indivision jusqu’au partage.
Cette position a été confirmée par des décisions ultérieures, qui rejettent toute interprétation tendant à retarder le paiement.
Par exemple, dans un arrêt du 23 mai 2012, la Haute juridiction a précisé que l’indemnité d’occupation est due à l’indivision et non aux indivisaires individuellement, et qu’elle doit être exigible dès que fixée, en préservant ainsi l’intérêt commun des coïndivisaires (Cass. 1ère civ., 23 mai 2012, n°11-12.813).
6. Prescription de l’indemnité
L’indemnité d’occupation, qui compense la jouissance exclusive d’un bien indivis par l’un des coïndivisaires, est soumise au régime de prescription quinquennale, conformément à l’article 815-10, alinéa 2 du Code civil.
Cette disposition, alignée avec les prescriptions relatives aux fruits et revenus des biens indivis, limite à cinq ans la durée pendant laquelle les coïndivisaires peuvent réclamer une indemnité.
La règle répond à un impératif de sécurité juridique, permettant de limiter les réclamations tardives et d’assurer une gestion plus sereine de l’indivision (V. en ce sens Cass. 1ère civ., 8 juin 2016, n°15-19.614).
La prescription quinquennale de l’indemnité d’occupation n’est pas un délai préfix et ne s’applique pas de plein droit. Il peut dès lors y être dérogé par convention contraire.
Par exemple, dans un arrêt du 6 novembre 1985, la Cour de cassation a validé une convention qui stipulait que l’indemnité serait due à compter d’une date antérieure à l’entrée en vigueur de la loi de 1976, fixant le point de départ de la prescription au 1er juillet 1977 pour les indivisions existantes (Cass. 1re civ., 6 nov. 1985, n°84-13.609).
==>Point de départ de la prescription
Le point de départ du délai de prescription quinquennale est fixé à la date où les fruits et revenus de l’indivision « ont été perçus ou auraient pu l’être » (art. 815-10, al. 3 C. civ.).
En matière d’indivision post-communautaire, une difficulté subsiste quant au point de départ du délai de prescription quinquennale : doit-on le faire courir à partir de la saisine du juge ou bien à compter de la date à laquelle le jugement de divorce acquiert force de chose jugée ?
La jurisprudence a tranché en fixant ce point de départ à la date à laquelle le jugement de divorce acquiert force de chose jugée, marquant ainsi la fin de la communauté et le début de l’indivision (Cass. 1re civ., 23 mai 2012, n° 11-12.813).
À partir de cette date, le délai de cinq ans commence à courir pour que chaque indivisaire puisse exercer ses droits en réclamation de l’indemnité. En cas d’action judiciaire en partage ou de réclamation d’indemnité d’occupation, seules les créances nées dans les cinq ans précédant la demande pourront être invoquées (Cass. 1re civ., 10 juill. 2013, n° 12-13.850).
==>Interruption de la prescription
La prescription quinquennale peut être interrompue dans plusieurs cas, notamment par une demande en justice ou par une assignation en partage, permettant ainsi aux coïndivisaires de prolonger leurs droits.
La Cour de cassation a également reconnu que le simple dépôt d’une demande implicite, telle qu’une assignation visant à déterminer la valeur locative d’un bien indivis, suffit pour manifester l’intention de réclamer une indemnité d’occupation, constituant ainsi un acte interruptif de prescription (Cass. 1ère civ., 26 juin 2001, n°99-15.487).
De même, un procès-verbal de difficultés dressé par le notaire dans le cadre de la liquidation de l’indivision constitue un acte interruptif si ce dernier fait expressément mention de la demande d’indemnité (Cass. 1re civ., 18 mars 2020, n°18-21.659)..
==>Suspension de la prescription
Lorsque l’indivision concerne des époux, l’article 2236 du Code civil, qui empêche la prescription de courir entre conjoints, trouve à s’appliquer. Ce mécanisme vise à éviter qu’un époux ne soit pénalisé par le passage du temps pendant la durée du mariage.
La prescription est suspendue tant que dure le lien matrimonial, même en cas de séparation de corps.
Ce principe s’applique également en cas de séparation de corps : la suspension de la prescription continue, car cette mesure ne rompt pas juridiquement le mariage (Cass. 1ère civ., 17 mai 1989, n°87-10.438).
Ce n’est qu’à la dissolution définitive du mariage que le délai quinquennal commence à courir. En d’autres termes, la prescription quinquennale pour la demande d’indemnité d’occupation ne prend effet qu’à compter de la date où le divorce devient définitif, c’est-à-dire après épuisement des voies de recours suspensives, le cas échéant (Cass. 1re civ., 17 mai 1989, n°87-10.438). Cette règle protège les intérêts des époux, qui ne peuvent être contraints de formuler une demande en indemnité d’occupation tant que le mariage n’a pas été dissous.
Dans le cadre d’un pacte civil de solidarité, le même principe de suspension s’applique, la prescription reprenant son cours à la dissolution du PACS (art. 2236 C. civ.).
7. Comptabilisation de l’indemnité d’occupation
La comptabilisation de l’indemnité d’occupation dans le cadre d’une indivision repose sur une distinction essentielle entre les créances dues à l’indivision elle-même et les charges afférentes à la jouissance privative d’un bien indivis par l’un des coïndivisaires.
==>L’intégration de l’indemnité d’occupation dans le compte d’indivision
L’indemnité d’occupation, destinée à compenser la jouissance privative exercée par un indivisaire sur un bien indivis, constitue une créance de l’indivision.
Conformément à l’article 815-9, alinéa 2 du Code civil, elle doit être inscrite au compte d’indivision, conformément aux principes posés à l’article 815-11 du même Code.
Cette indemnité, assimilée à des revenus de l’indivision, est donc intégrée dans la masse partageable et n’est pas directement due aux autres coïndivisaires.
Pour mémoire, il est de jurisprudence constante que l’indemnité d’occupation doit être payée dès qu’elle est fixée, sans attendre le partage définitif, afin d’éviter des déséquilibres prolongés au sein de l’indivision.
Le refus de subordonner le paiement de l’indemnité à la clôture du compte de liquidation permet ainsi de prévenir des situations d’iniquité, en permettant une répartition plus équitable des bénéfices de l’indivision.
==>Distinction entre charges de propriété et charges d’occupation
La comptabilisation des charges liées à l’usage privatif d’un bien indivis implique une séparation entre deux catégories de charges : celles qui incombent à l’indivision et celles qui sont à la charge exclusive de l’occupant.
- Charges incombant à l’indivision
- Les charges liées à la conservation et à la gestion du bien indivis, telles que les primes d’assurance, les taxes foncières et les frais de grosses réparations, sont généralement supportées par l’ensemble des coïndivisaires proportionnellement à leurs droits (Cass. 1ère civ., 12 janv. 1994, n°91-18.104).
- Ces charges, qui contribuent au maintien de la valeur du bien indivis, ne peuvent pas être intégralement supportées par l’occupant, sauf accord contraire entre les parties.
- Charges d’occupation
- Les dépenses courantes directement liées à l’usage privatif du bien indivis, comme les consommations d’eau, d’électricité, de gaz ou les frais d’entretien quotidien, sont quant à elles à la charge exclusive de l’occupant.
- Ainsi, un indivisaire jouissant privativement du bien ne peut imputer ces frais à l’indivision ni les compenser avec l’indemnité d’occupation due à l’indivision.
- Cette règle vise à éviter que les autres coïndivisaires soient indûment pénalisés par l’occupation exclusive du bien.
==>Absence de compensation avec l’indemnité d’occupation
La jurisprudence a fermement établi qu’il n’existe pas de droit de compensation entre l’indemnité d’occupation et les charges assumées par l’occupant pour son usage privatif.
L’indivisaire occupant ne peut prétendre à une réduction de l’indemnité d’occupation sous prétexte qu’il a réglé des charges inhérentes à la jouissance exclusive du bien, telles que les taxes d’habitation ou les frais d’entretien (Cass. 1re civ., 6 nov. 1985, n°84-13.609).
==>Accord entre les parties sur la répartition des charges
Les coïndivisaires ont cependant la possibilité de convenir d’une répartition différente des charges et de l’indemnité d’occupation, notamment en prévoyant que l’occupant prendra en charge certaines dépenses en contrepartie d’une réduction du montant de l’indemnité.
Ce type d’accord, lorsqu’il est formalisé, permet d’adapter la répartition des coûts en fonction des besoins spécifiques des coïndivisaires et des caractéristiques de l’occupation.
En l’absence d’accord, le juge peut fixer le montant de l’indemnité en tenant compte de l’ensemble des éléments financiers, y compris les charges effectivement supportées par l’occupant.
B) L’indemnité pour détérioration
1. Principe
L’article 815-13, alinéa 2, du Code civil prévoit que « l’indivisaire répond des dégradations et détériorations qui ont diminué la valeur des biens indivis par son fait ou par sa faute ».
Il ressort de cette disposition que chaque indivisaire est tenu de préserver l’intégrité des biens indivis et doit répondre des dommages qu’il leur cause.
La règle ainsi énoncée impose à l’indivisaire responsable une obligation d’indemniser l’indivision pour toute perte de valeur due à son comportement, assurant ainsi la protection des intérêts des coïndivisaires.
Cette obligation vise à maintenir une équité dans le partage final, en indemnisant l’indivision pour les détériorations imputables aux actes ou omissions de l’indivisaire.
En ce sens, la règle se rapproche de la logique de la responsabilité civile délictuelle, exigeant réparation pour tout préjudice causé aux biens communs, afin que chaque coïndivisaire retrouve au moment du partage une valeur intacte ou indemnisée des biens indivis.
2. Domaine
L’indemnité prévue par l’article 815-13, alinéa 2 du Code civil s’applique, en premier lieu, aux dégradations matérielles manifestes, c’est-à-dire celles qui affectent physiquement l’état du bien indivis.
Cela inclut, par exemple, l’enlèvement d’éléments essentiels tels qu’un portail, une toiture ou un dispositif de fermeture, entraînant ainsi une diminution de la valeur du bien.
La jurisprudence s’est abondamment prononcée sur ce point ; ainsi, la Cour d’appel de Grenoble a jugé que la suppression d’équipements de base, comme un portail automatique ou une cuve de mazout, constitue une dégradation imputable à l’indivisaire responsable (CA Grenoble, 27 mai 1997, JurisData n° 1997-056832).
L’indemnité couvre également les fautes de gestion ayant causé une perte de valeur économique pour le bien indivis.
Par exemple, lorsque la gestion imprudente ou négligente d’un indivisaire entraîne un préjudice financier pour l’indivision, une indemnisation peut être exigée. Cela a été notamment reconnu dans des situations où un indivisaire avait effectué des placements risqués ou engage des dépenses importantes sans consultation préalable des coïndivisaires, affectant ainsi la valeur économique globale du bien indivis (Cass. 1ère civ. 4 oct. 2005, n° 03-11.986).
De même, l’absence de travaux de conservation nécessaires peut constituer une faute si elle résulte d’une négligence, comme cela a été jugé dans un cas où un indivisaire n’a pas entrepris de réparations après un sinistre dû à une sécheresse, réduisant ainsi la valeur de vente du bien (Cass. 1ère civ., 19 déc. 2012, n°11-26.054).
La jurisprudence souligne toutefois que seules les dégradations imputables à l’indivisaire sont concernées par cette indemnité.
En ce sens, les pertes de valeur dues à des facteurs extérieurs ou économiques échappent à la responsabilité de l’indivisaire. Par exemple, une dévaluation causée par des fluctuations économiques, ou des sinistres exceptionnels tels que la sécheresse, n’engage pas la responsabilité de l’indivisaire gérant en l’absence de faute directe (Cass. 1ère civ., 19 déc. 2012, n°11-26.054).
3. Evaluation de l’indemnité
L’évaluation de l’indemnité due pour détérioration ou dégradation d’un bien indivis repose sur une règle fixée par l’article 815-13, alinéa 2 du Code civil, qui impose à l’indivisaire fautif de répondre des pertes de valeur qu’il a causées.
En matière d’indivision, cette indemnité doit permettre une réparation intégrale du préjudice subi, et pour ce faire, elle est calculée non pas au moment où le dommage s’est produit, mais à la date du partage effectif.
La Cour de cassation a adopté ce principe, estimant que l’évaluation devait s’opérer lors du partage pour assurer une compensation adéquate des pertes financières supportées par l’indivision.
Cette approche permet d’apprécier l’indemnité à la valeur actuelle, tenant ainsi compte des fluctuations économiques, telles que l’inflation, ainsi que des variations de valeur du bien entre la date de la détérioration et celle du partage (Cass. 1ère civ., 19 déc. 2012, n° 11-26.054).
Cette règle s’inspire des principes de responsabilité civile, qui imposent que le montant de l’indemnisation corresponde à la perte effective au moment de la réparation, et non à la simple valeur antérieure du bien.
En matière successorale, l’évaluation des biens indivis suit le même principe et se fait, selon l’article 898 du Code civil, au moment du partage ou au plus proche de celui-ci, notamment dans les cas de rescision pour lésion.
Cette approche garantit que le préjudice soit compensé par une indemnité reflétant la réalité économique au jour de la liquidation et non au moment du dommage initial, évitant ainsi une « double peine » pour les coïndivisaires qui subiraient autrement une perte financière encore aggravée par la dévaluation des biens.
Cependant, bien que l’évaluation finale soit faite lors du partage, la consistance du bien, c’est-à-dire son état et sa composition au moment du dommage, est essentielle pour mesurer précisément l’étendue de la dégradation.
Le calcul de l’indemnité repose donc sur une double approche : d’une part, la valeur actuelle de la perte est fixée au moment du partage, et d’autre part, la consistance initiale du bien est appréciée au moment où la détérioration a été causée.
Cette combinaison permet de garantir que les coïndivisaires reçoivent une compensation équitable, adaptée à l’état du bien tel qu’il était au moment du fait dommageable.
La jurisprudence souligne par ailleurs que, contrairement à l’évaluation des impenses d’amélioration pour lesquelles le juge peut moduler l’indemnisation selon l’équité (article 815-13, alinéa 1er), l’indemnité due pour dégradations causées par un indivisaire est fixée de manière stricte et sans modulation possible.
La Cour de cassation rappelle ainsi que l’indemnisation doit être intégrale et ne permet pas d’atténuation, même si elle semble sévère pour l’indivisaire responsable (Cass. 1ère civ., 7 déc. 2016, n°14-25.106).
En somme, le choix d’une évaluation à la date du partage pour les dégradations répond à une logique de justice en matière d’indivision : l’indemnité vise à replacer l’indivision dans une situation comparable à celle qui aurait existé sans la détérioration, en compensant intégralement la perte actuelle, tout en tenant compte de la consistance du bien au moment du dommage.
4. Règlement de l’indemnité
Le règlement de l’indemnité pour dégradation ou détérioration due par un indivisaire fautif ne peut être différé jusqu’au partage final ; il est dû immédiatement afin de prévenir la persistance d’une situation injuste au détriment de l’indivision.
Ce principe, bien établi en jurisprudence, s’aligne sur les règles applicables aux impenses d’amélioration et de conservation, dont le paiement est également exigible sans attendre le partage (Cass. 1ère civ., 15 avr. 1980, n°78-15.245).
- Ch. Atias et J-M Roux, L’indivision, éd/ Edilaix, 2008, n° 268 ?