Être indivisaire, c’est bénéficier de droits étendus, tels que la jouissance du bien indivis dans le respect de sa destination, la participation aux décisions de gestion, ainsi que la possibilité de demander le partage. Ces prérogatives permettent à chaque coïndivisaire de faire valoir ses intérêts tout en préservant l’équilibre de l’indivision.
A) Le droit d’user des biens indivis
En tant que propriétaires indivis, tous les indivisaires bénéficient, par principe, du droit d’user et de jouir des biens indivis.
Ce droit, consacré par l’article 815-9, alinéa 1er, du Code civil, énonce que « chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l’effet des actes régulièrement passés au cours de l’indivision ».
Ce principe confère à chaque coïndivisaire la liberté d’utiliser les biens indivis, mais dans le respect de leur affectation initiale et des droits égaux et concurrents des autres indivisaires.
Cependant, ce droit n’est pas absolu. Son exercice est soumis à un encadrement strict qui vise à garantir un usage harmonieux du bien, tout en évitant les tensions et les conflits entre les indivisaires.
Comme l’a souligné Christian Atias, « l’usage du bien indivis ne peut être totalement libre ; il est nécessairement soumis aux conditions de destination du bien et au respect des droits des autres coïndivisaires »[1].
Cette limitation dont est assortie la liberté d’user des biens indivis s’explique par la nature collective de la propriété indivise, qui impose un équilibre entre les prérogatives de chaque indivisaire et la préservation des intérêts communs.
1. Les conditions d’exercice du droit d’usage
L’article 815-9 du Code civil énonce trois conditions principales à l’exercice du droit d’usage d’un bien indivis :
- La conformité à la destination du bien
- Le respect des droits des autres indivisaires
- La compatibilité avec les actes passés antérieurement.
a. La conformité à la destination du bien indivis
Aux termes de l’article 815-9, alinéa 1er du Code civil, chaque indivisaire est titulaire du droit d’user du bien indivis, sous réserve que cet usage respecte scrupuleusement la destination du bien.
Cette exigence découle de la nature collective du droit indivis : nul indivisaire ne saurait altérer unilatéralement l’affectation du bien sans porter atteinte aux droits égaux et concurrents des autres indivisaires.
La notion de destination renvoie à l’usage initialement prévu pour le bien, qu’il s’agisse d’un usage résidentiel, agricole, commercial ou autre.
A cet égard, cette notion s’interprète de façon large, au regard de l’affectation pour laquelle le bien a été conçu ou utilisé.
Il peut s’agir d’une affectation précise, comme celle d’un immeuble à usage d’habitation ou encore d’un terrain à vocation agricole.
Toutefois, cette destination peut évoluer en fonction de l’usage collectif du bien, des accords entre les coïndivisaires, ou des circonstances propres au bien lui-même. La jurisprudence a, à maintes reprises, éclairé cette notion, en tenant compte des spécificités des biens concernés.
Ainsi, dans une décision du 5 novembre 2014, la Cour de cassation a validé l’analyse d’une cour d’appel, qui avait jugé conforme à la destination d’un bien l’utilisation d’une cour commune à des fins agricoles (Cass. 1ère civ. 5 nov. 2014, n°13-11.304).
Dans cette affaire, l’indivisaire avait aménagé un jardin potager et un poulailler sur la cour commune, et la cour d’appel avait estimé que cet usage correspondait à l’affectation agricole historique de la parcelle, issue de la division d’un champ agricole.
Les juges en ont déduit que l’indivisaire n’avait pas dénaturé la destination initiale du bien.
Il peut être observé que la détermination de la conformité de l’usage d’un bien indivis à sa destination relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Ces derniers évaluent, au cas par cas, si l’usage du bien respecte ou non sa destination.
Dans l’affaire précitée, les juges ont estimé que l’usage fait par l’indivisaire de la cour commune, bien que contesté par la société coïndivisaire, n’entravait ni la circulation ni le stationnement des véhicules. Cette appréciation, propre à chaque situation, échappe au contrôle de la Cour de cassation.
Cette jurisprudence illustre ainsi que l’usage d’un bien indivis doit être apprécié en fonction des caractéristiques du bien et de l’utilisation qu’en faisaient historiquement les indivisaires.
En outre, il incombe à celui qui conteste l’usage d’en démontrer l’incompatibilité avec la destination du bien.
Quoi qu’il en soit, lorsque l’usage du bien indivis dénature sa destination, les coïndivisaires peuvent saisir le juge pour faire cesser cette utilisation abusive.
Le juge peut alors ordonner l’arrêt immédiat de l’usage non conforme, et, dans certains cas, il peut aller jusqu’à exiger la destruction des ouvrages édifiés en violation de la destination du bien.
C’est précisément ce qu’a confirmé la Cour de cassation dans une décision du 12 mai 2010 ((Cass. 1ère civ., 12 mai 2010, n°09-65.362).
Dans cette affaire, un indivisaire avait édifié des constructions empiétant sur une parcelle indivise sans l’accord des autres coïndivisaires.
La Cour de cassation a jugé que tout indivisaire peut demander la cessation de tels actes et la remise en état des lieux, même avant le partage.
Cette sanction vise à préserver l’intégrité de la destination initiale du bien indivis, protégeant ainsi les droits de tous les indivisaires.
b. Le respect des droits des autres indivisaires
Conformément à l’article 815-9, alinéa 1er du Code civil, chaque indivisaire peut user du bien indivis, mais cette utilisation doit rester compatible avec les droits concurrents des autres indivisaires.
La reconnaissance de droits égaux sur le bien commun implique que l’usage d’un indivisaire ne peut se faire au détriment des prérogatives des autres coïndivisaires, ce qui se traduit parfois par le versement d’une indemnité d’occupation lorsque l’un des indivisaires occupe seul le bien.
Cette règle a été introduite par la loi du 31 décembre 1976 réformant le régime de l’indivision.
Sous l’empire du droit antérieur, elle avait toutefois déjà été énoncée par la jurisprudence. Dans un arrêt du 9 janvier 1976, la Cour de cassation avait, par exemple, jugé que « tout copropriétaire est en droit de faire cesser les actes portant atteinte à son droit de jouissance de la chose indivise » (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1979, n°76-11.255).
La condition de compatibilité de l’usage avec les droits des autres indivisaires découle de la nature même de l’indivision, où chaque indivisaire est titulaire de droits de même nature et en concurrence avec ceux des autres.
Ainsi, un indivisaire ne peut exploiter un bien indivis d’une manière qui affecterait de manière significative l’usage ou la jouissance du bien par ses coïndivisaires.
La jurisprudence a souvent eu l’occasion de se prononcer sur cette règle. Par exemple, la Cour de cassation a validé une décision de Cour d’appel, qui avait refusé de permettre à un indivisaire d’effectuer des travaux de canalisation sur une voie indivise.
Les juges du fond avaient estimé que ces travaux, visant à desservir un immeuble de quinze logements, créeraient une augmentation importante du trafic sur la voie indivise, affectant ainsi les droits des autres indivisaires (Cass. 3e civ., 12 juill. 2000, n° 98-22.450).
Les juges du fond, dans leur appréciation souveraine, ont donc pu refuser cette utilisation car elle n’était pas compatible avec les droits égaux des autres coïndivisaires.
L’appréciation de la compatibilité de l’usage d’un bien indivis avec les droits des autres indivisaires relève du pouvoir souverain des juges du fond, qui évaluent chaque situation en fonction des circonstances propres à l’affaire.
Ce pouvoir souverain d’appréciation permet aux juges de déterminer si l’occupation par un indivisaire porte atteinte aux droits égaux et concurrents des autres coïndivisaires. Il ne suffit pas que l’usage soit privatif ou conforme à la destination du bien, encore faut-il qu’il ne compromette pas l’exercice des droits des autres indivisaires.
Ainsi, l’occupation d’un bien indivis par un indivisaire n’entraîne pas automatiquement le versement d’une indemnité d’occupation.
La condition essentielle pour qu’une telle indemnité soit due réside dans le fait que l’usage privatif doit entraver ou diminuer les droits des autres indivisaires.
Dans un arrêt du 5 novembre 2014, la Cour de cassation a confirmé cette approche (Cass. 1ère civ., 5 nov. 2014, n°13-11.304).
Dans cette affaire, deux indivisaires utilisaient une cour commune pour des activités différentes : l’un y élevait des poules, tandis que l’autre y faisait passer ses chevaux et véhicules. Aucun obstacle significatif à l’usage concurrent n’avait été constaté, les juges ayant estimé que le partage des utilités de la cour était harmonieux. L’installation d’un poulailler clôturé, qui n’entravait pas le passage des chevaux, n’a donc pas été considérée comme une occupation privative nécessitant une indemnité d’occupation.
À l’inverse, lorsque l’occupation d’un indivisaire empêche de fait les autres coïndivisaires d’accéder au bien, cela constitue une atteinte à leurs droits égaux sur l’immeuble indivis.
La Cour de cassation a ainsi jugé qu’un indivisaire détenant seul les clés d’un immeuble indivis empêchait les autres d’y accéder et exerçait ainsi une jouissance privative et exclusive. La privation de l’accès constitue une violation claire des droits des coïndivisaires, justifiant une indemnisation ou d’autres mesures correctrices (Cass. 1ère civ., 31 mars 2016, n°15-10.748).
Cette jurisprudence illustre parfaitement l’appréciation nuancée des juges, qui doivent prendre en compte le caractère concret de l’atteinte aux droits des autres indivisaires. Le simple fait d’occuper un bien ne suffit pas à lui seul pour justifier une sanction, mais dès lors que cette occupation limite de manière significative l’usage commun du bien, les juges sont habilités à intervenir.
Au-delà des atteintes immédiates aux droits concurrents des coïndivisaires, une occupation prolongée du bien indivis par un indivisaire pose un risque plus grave : celui de l’usucapion.
Si un indivisaire se comporte en possesseur exclusif du bien sur une longue période, il pourrait acquérir la propriété pleine et entière du bien par la prescription acquisitive.
La jurisprudence reconnaît cette possibilité, comme l’a affirmé la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 2012 (Cass. 3e civ., 3 oct. 2012, n°11-16.405).
Le risque d’usucapion est particulièrement réel lorsque les autres coïndivisaires tardent à réagir face à une occupation exclusive. Il est donc impératif que les coïndivisaires agissent rapidement pour faire cesser cette occupation afin de préserver leurs droits et éviter l’acquisition par usucapion.
En cas d’atteinte aux droits des autres indivisaires, ces derniers disposent de la faculté d’agir en justice pour obtenir réparation ou des mesures correctrices.
L’article 815-9, alinéa 1er du Code civil leur confère ce droit en permettant à tout indivisaire de demander l’intervention judiciaire lorsque l’usage du bien indivis par un autre indivisaire devient incompatible avec leurs droits concurrents.
Ce texte précise que « à défaut d’accord entre les intéressés, l’exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal ».
Dans certains cas, le juge peut ordonner des mesures radicales, telles que la cessation de l’occupation privative d’un bien indivis ou même la libération de celui-ci.
Un exemple topique de cette sanction est illustré par un arrêt de la Cour de cassation du 26 octobre 2011 (Cass. 1ère civ., 26 oct. 2011, n°10-21.802).
Dans cette affaire, un indivisaire occupant un bien indivis sans verser d’indemnité a été expulsé par décision judiciaire.
L’occupation, qui s’était prolongée pendant plus de quinze ans sans aucune contrepartie financière, a été jugée incompatible avec les droits concurrents des autres coïndivisaires.
La Cour de cassation a validé la décision entreprise par la Cour d’appel de Douai contraignant l’indivisaire à libérer les lieux.
Cette décision démontre que l’occupation exclusive d’un bien indivis, lorsqu’elle s’accompagne d’une absence de compensation pour les autres indivisaires, peut justifier une sanction aussi sévère que l’expulsion.
Cette jurisprudence a été confirmée dans un arrêt rendu le 30 janvier 2019, aux termes de laquelle la Cour de cassation a considéré qu’une indivisaire qui refusait de collaborer pour la réalisation de diagnostics immobiliers et ne répondait pas aux sollicitations d’un notaire, tout en continuant à occuper le bien, créait un « trouble manifestement illicite », raison pour laquelle son expulsion était justifiée (Cass. 1ère civ., 30 janv. 2019, n°18-12.403)
Cependant, une limite existe quant à l’expulsion d’un indivisaire. Bien qu’un indivisaire puisse être en faute pour avoir ignoré les droits de ses coïndivisaires, il ne perd pas pour autant son titre qui lui donne droit d’usage du bien.
Comme l’a souligné la Cour de cassation dans un arrêt du 7 novembre 2018, un indivisaire occupant ne peut être qualifié « d’occupant sans droit ni titre », empêchant ainsi toute expulsion forcée (Cass. 1ère civ. 1ère, 7 nov. 2018, n°17-22.280).
Les juges peuvent toutefois imposer d’autres mesures, telles que la libération des lieux sous astreinte, notamment lorsqu’une occupation entrave une vente ou une licitation.
L’indivisaire, bien que fautif, reste titulaire de son droit, limitant ainsi les possibilités d’exécution forcée.
c. La compatibilité avec les actes régulièrement passés au cours de l’indivision
En application de l’article 815-9 du Code civil l’usage du bien indivis doit être compatibles avec les actes régulièrement passés durant l’indivision.
Autrement dit, tout indivisaire faisant usage du bien doit respecter les droits que des tiers ont acquis en vertu de ces actes. Il s’agit là d’une application de la théorie des droits acquis, qui garantit la sécurité juridique des transactions conclues au cours de l’indivision.
Par exemple, un bail conclu par l’un des indivisaires avec un tiers, même en l’absence de consentement de tous les indivisaires, reste opposable à ces derniers.
A cet égard, il est admis en doctrine que la notion d’« actes » doit être interprétée de manière extensive, englobant aussi bien les actes juridiques que ceux pris en vertu d’une décision judiciaire.
Le respect de tels actes est essentiel pour préserver les droits des tiers, lesquels ont contracté en toute bonne foi.
Cela vaut non seulement pour les actes passés au cours de l’indivision, mais aussi pour ceux qui ont été conclus avant son ouverture et dont les effets se prolongent.
Ainsi, dans une indivision successorale, les indivisaires ne peuvent pas porter atteinte aux droits résultant d’un contrat de location établi par le de cujus avant son décès.
2. Les modalités d’exercice du droit d’usage
L’exercice du droit d’usage du bien indivis peut être aménagé soit par convention entre indivisaires, soit, à défaut d’accord, par une décision judiciaire.
Ces deux modalités permettent d’organiser l’usage du bien, en tenant compte des besoins de chaque indivisaire et des particularités du bien indivis.
a. L’usage du bien indivis fixé conventionnellement
Les indivisaires disposent de la liberté de convenir des modalités d’usage du bien indivis par un accord, qu’il soit exprès ou tacite.
Cette faculté est prévue par l’article 815-9, alinéa 1er du Code civil, qui précise que le recours au juge n’est envisageable qu’en l’absence d’un accord entre les parties. Cela permet aux coïndivisaires d’organiser eux-mêmes la gestion de leur bien indivis en fonction de ses spécificités et de la nature de leurs relations.
Ainsi, les indivisaires peuvent répartir l’usage du bien entre eux ou confier à l’un d’eux une jouissance exclusive.
Dans ce dernier cas, l’indivisaire bénéficiant de cette jouissance obtient un droit personnel sur le bien, sans que cela n’affecte la nature de son droit de propriété indivis.
Cet accord peut prévoir des modalités diverses, comme une jouissance exclusive à titre gratuit ou moyennant une indemnité d’occupation, et il peut être conclu pour une durée déterminée ou indéterminée. Dans tous les cas, les indivisaires restent libres de mettre fin à cet accord, tant qu’il respecte la durée de l’indivision.
La jurisprudence a confirmé cette faculté dans plusieurs arrêts. Dans un arrêt du 8 avril 2009, la Cour de cassation a, par exemple, jugé qu’une convention de jouissance privative à titre gratuit, conclue pour une durée indéterminée jusqu’au partage, pouvait être librement rompue par l’un ou l’autre des indivisaires (Cass. 3e civ., 8 avr. 2009, n°07-21.294).
Ce type d’accord, bien que non soumis à des règles formelles, reste encadré par le droit commun des contrats. Rien n’interdit, par ailleurs, de conclure de tels accords sous condition résolutoire, par exemple en cas de demande en partage de l’un des indivisaires.
b. L’usage du bien indivis fixé judiciairement
En l’absence d’accord entre les indivisaires, l’article 815-9 du Code civil prévoit que c’est au président du tribunal judiciaire qu’il revient de fixer, à titre provisoire, les modalités d’usage et de jouissance du bien indivis.
L’intervention du juge vise principalement à résoudre les désaccords entre indivisaires quant à l’usage du bien, tout en garantissant le respect des droits de chacun. Il dispose du pouvoir, exercé de manière exceptionnelle, de restreindre les prérogatives d’un indivisaire si le comportement de celui-ci porte atteinte aux droits des autres coïndivisaires. Cette compétence se limite strictement à la gestion des relations entre indivisaires et à la préservation de leurs intérêts respectifs.
Ainsi, le président peut organiser une répartition équitable de l’usage du bien, notamment lorsque les indivisaires ne parviennent pas à un accord. Par exemple, dans une affaire récente, la Cour de cassation a validé une décision de répartition des terres agricoles entre coïndivisaires, visant à apaiser les tensions relatives à leur exploitation (Cass. 1ère civ., 29 sept. 2021, n°19-24.421).
Cependant, il est important de noter que la compétence du président ne s’étend pas aux litiges impliquant des tiers à l’indivision. Lorsque le différend concerne un tiers, tel qu’un locataire d’un bien indivis, c’est le tribunal judiciaire qui est compétent pour trancher le contentieux.
L’article 815-9 du Code civil précise que le président du tribunal judiciaire statue « à titre provisoire » sur l’exercice du droit d’usage et de jouissance des biens indivis, lorsqu’il n’y a pas d’accord entre les indivisaires.
Cette décision provisoire se rend, par principe, selon la procédure de référé. Toutefois, en cas de contestation sérieuse, le juge des référés peut être déclaré incompétent conformément à l’article 834 du Code de procédure civile (ancien article 808), et le litige devra alors être tranché au fond.
Historiquement, la Cour de cassation avait déjà précisé que, pour l’application des articles 815-9 et 815-11 du Code civil, le président du tribunal n’était pas tenu de respecter les exigences formelles des articles 808 et 809 du Code de procédure civile (Cass. 1ère civ., 3 févr. 2004, n°01-02.758). Il devait, en effet, statuer en la forme des référés, ce qui permettait une procédure plus souple et rapide, facilitant la gestion des conflits en indivision. Cette approche a été confirmée par plusieurs décisions (Cass. 1ère civ., 20 avr. 2017, n° 16-16.457 et 16-17.233).
Le décret n° 2019-1419 du 20 décembre 2019 a cependant modifié ce cadre procédural, en remplaçant la procédure en la forme des référés par la procédure accélérée au fond.
Celle-ci, codifiée à l’article 481-1 du Code de procédure civile, est aujourd’hui utilisée pour déterminer provisoirement l’exercice des droits d’usage et de jouissance d’un bien indivis. Cette procédure accélérée offre un temps de préparation suffisant aux parties pour présenter leur défense tout en maintenant la rapidité de la décision provisoire.
Toutefois, quelles que soient les modalités procédurales utilisées, la décision du président du tribunal judiciaire ne peut jamais être définitive. En effet, il ne saurait être question de reconnaître un droit de jouissance exclusive à un indivisaire de manière irrévocable avant le partage définitif.
La compétence du juge se limite à régler la répartition des droits de jouissance entre les indivisaires. Il ne peut, en revanche, statuer sur les droits de tiers, comme le souligne la Cour de cassation dans un arrêt du 16 mai 2000, où elle a refusé d’accorder l’expulsion d’un tiers au litige (Cass. 1ère civ, 16 mai 2000, n°98-17.454).
B) Le droit de percevoir les fruits et les revenus
Le droit des indivisaires de percevoir les fruits et revenus générés par l’indivision repose sur un principe général : les fruits et revenus des biens indivis accroissent à l’indivision.
Cette règle, hérité de l’adage romain fructus augent hereditatem (« les fruits augmentent l’héritage »), signifie que les fruits et revenus produits par les biens indivis s’ajoutent à la masse indivise plutôt que d’être immédiatement attribués aux indivisaires individuellement.
Ce principe favorise la solidarité entre les coïndivisaires et maintient l’intégrité du patrimoine indivis, en évitant que chacun ne s’approprie séparément les fruits et revenus avant le partage.
Cependant, ce principe est assorti d’une exception notable. Il est en effet possible que les bénéfices soient distribués annuellement aux indivisaires.
Sous certaines conditions légales, chaque indivisaire peut demander la répartition de sa part des fruits et revenus avant le partage définitif. Cette exception offre une certaine flexibilité dans la gestion des revenus de l’indivision, en conciliant la préservation de la masse indivise avec les besoins individuels des coïndivisaires.
1. Le principe : Les fruits et revenus accroissent l’indivision
a. Le mécanisme d’accroissement de l’indivision
==>Énoncé du principe
L’article 815-10, alinéa 2, du Code civil énonce que « les fruits et les revenus des biens indivis accroissent à l’indivision ».
Cette disposition, d’une portée majeure, incarne la solidarité qui régit les relations entre coïndivisaires. Elle énonce le principe selon lequel les bénéfices générés par les biens indivis — qu’il s’agisse de loyers, de dividendes ou de tout autre revenu — doivent être partagés entre tous les indivisaires.
En cela, elle empêche tout indivisaire de s’arroger unilatéralement les fruits d’un bien indivis avant que le partage ne soit formalisé, affirmant ainsi l’égalité des droits et des devoirs au sein de l’indivision.
Ce mécanisme, loin d’être purement technique, revêt une dimension éthique, préservant l’équilibre des intérêts patrimoniaux jusqu’à la liquidation de l’indivision.
==>Justification du principe
La justification de ce principe repose sur la nécessité de préserver l’autonomie de la masse indivise, en la distinguant clairement des patrimoines propres des indivisaires.
En effet, selon le professeur Philippe Malaurie, l’indivision forme une véritable « communauté patrimoniale distincte », dont la cohésion et la pérennité dépendent des fruits et revenus générés par les biens indivis.
Tant que le partage n’a pas été opéré, cette communauté indivise est appelée à subsister parfois sur de longues périodes, rendant indispensable la réintégration systématique des bénéfices produits par ces biens dans le patrimoine indivis.
Ce mécanisme permet non seulement de garantir l’entretien et la valorisation de la masse indivise, mais également d’assurer une gestion collective équitable.
En réintégrant les fruits et revenus au sein de l’indivision, le droit évite qu’un seul indivisaire, par son usage exclusif ou privilégié des biens indivis, ne s’approprie une part excessive des bénéfices au détriment des autres coïndivisaires.
La règle énoncée à l’article 815-10, al. 2e du Code civil reflète ainsi une volonté de solidarité patrimoniale, en maintenant un équilibre entre les indivisaires, tous étant égaux quant à la jouissance des fruits jusqu’au partage final.
La Cour de cassation a réaffirmé à maintes reprises le principe selon lequel les fruits et revenus issus des biens indivis doivent être réintégrés dans la masse indivise, renforçant ainsi la solidarité qui unit les indivisaires.
Un arrêt marquant en ce sens, rendu par la Première chambre civile le 11 janvier 1977, illustre parfaitement cette règle.
Dans cette décision, la Cour de cassation a jugé que le bénéficiaire d’une attribution préférentielle d’un bien indivis ne pouvait prétendre à un droit exclusif sur les revenus générés par ce bien avant le partage définitif.
En l’espèce, les fermages perçus de la location d’une ferme indivise devaient donc être réintégrés dans l’indivision, et ce jusqu’au moment du partage (Cass. 1ère civ. 11 janv. 1977, n°75-13.310).
Cette jurisprudence met en lumière un point essentiel : même lorsqu’un indivisaire bénéficie temporairement d’une jouissance ou d’une gestion particulière d’un bien indivis, cela ne saurait altérer la solidarité entre coïndivisaires.
La Haute juridiction rappelle ainsi que l’intégration des fruits et revenus dans l’indivision s’impose, et ce, indépendamment des modalités de gestion du bien ou des droits préférentiels qui pourraient être reconnus à l’un des indivisaires.
La règle vise donc à garantir que les bénéfices des biens indivis soient répartis équitablement entre tous, consolidant ainsi l’esprit de communauté et d’égalité qui caractérise l’indivision.
==>La notion de fruits et revenus
À l’examen de la règle énoncée à l’article 815-10, alinéa 2 du Code civil, il apparaît que les termes « fruits » et « revenus » ne bénéficient d’aucune définition légale explicite, laissant ainsi à la jurisprudence et à la doctrine la tâche d’en préciser l’interprétation et d’en affiner le contenu.
Cette absence de définition textuelle a conduit à une interprétation large de la notion de « fruits » et « revenus », prenant en compte l’objectif primordial de maintenir l’intégrité de la masse indivise et d’assurer une répartition équitable des bénéfices issus des biens indivis. En effet, la jurisprudence a adopté une conception extensive, englobant aussi bien les fruits naturels, civils qu’industriels, sans établir de distinction entre eux.
L’une des conséquences majeures de l’absence de distinction entre les fruits civils, naturels et industriels est la simplification du régime de l’indivision.
Contrairement à l’usufruit, où une distinction est opérée entre différents types de fruits (articles 582 et suivants du Code civil), l’indivision adopte une approche unifiée. Cette unification évite les complexités liées à la détermination de l’origine des fruits, qu’ils proviennent du bien lui-même ou de l’industrie personnelle de l’indivisaire.
Une autre conséquence est le renforcement de la solidarité entre les indivisaires, en empêchant l’établissement de différences quant au bénéfice des fruits et revenus.
Ainsi, même si un indivisaire participe plus activement à la gestion ou à l’exploitation des biens indivis, il ne peut prétendre à une part supérieure des fruits, sauf exceptions prévues par la loi, notamment en ce qui concerne la rémunération de l’indivisaire gérant (article 815-12 du Code civil) ou les améliorations apportées à ses frais à un bien indivis (article 815-13 du Code civil).
Cette approche garantit que, malgré une contribution plus importante à la gestion des biens, les bénéfices tirés de ces derniers doivent être équitablement répartis entre tous les indivisaires, proportionnellement à leurs droits respectifs.
En effet, cette logique de répartition équitable s’applique à tous les bénéfices générés par les biens indivis, qu’il s’agisse de fruits réguliers tels que les loyers, les dividendes ou les intérêts, ou des cas où la gestion particulière d’un indivisaire justifie une rémunération distincte. Cette règle trouve son application aussi bien pour les revenus immédiats que pour les plus-values réalisées à l’occasion de l’exploitation de biens indivis.
Par exemple, la Cour de cassation a jugé que les dividendes provenant de parts sociales indivises doivent être réintégrés dans la masse indivise, garantissant ainsi une répartition proportionnelle entre les indivisaires en fonction de leurs droits (Cass. 1re civ., 28 mars 2018, n° 17-16.198). Cette jurisprudence illustre l’idée que tous les bénéfices tirés des biens indivis, quelle que soit leur nature, doivent profiter équitablement à l’ensemble des coïndivisaires.
Ce principe reflète la solidarité fondamentale qui existe au sein de l’indivision, et il assure que la gestion des fruits et revenus des biens indivis se fasse de manière transparente et équitable, sans que l’un des indivisaires puisse s’arroger un avantage disproportionné.
La question de l’indemnité d’occupation a également été abordée par la jurisprudence qui s’est interrogée sur leur qualification de fruits.
L’indemnité d’occupation est due par l’indivisaire qui jouit privativement d’un bien indivis au détriment des autres coïndivisaires.
La Cour de cassation a assimilé cette indemnité à un revenu qui accroît l’indivision, la considérant ainsi comme un fruit au sens de l’article 815-10, alinéa 2 du Code civil (Cass. 1re civ., 5 février 1991, n°89-11.136). Cette qualification implique que l’indemnité d’occupation doive être réintégrée dans la masse indivise et répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits.
La jurisprudence a également étendu la notion de « fruits » aux plus-values réalisées sur les biens indivis.
Par exemple, la Cour de cassation a jugé que les plus-values résultant de l’exploitation d’un fonds de commerce indivis doivent être réintégrées dans l’indivision, sous réserve de la rémunération de l’indivisaire gérant pour son travail (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n° 94-14.632). Ce principe s’applique également aux plus-values tirées de l’exploitation d’une clientèle civile ou de parts de sociétés civiles ou commerciales.
Dans ces situations, bien que l’indivisaire gestionnaire puisse légitimement recevoir une rémunération pour son activité, les bénéfices excédant cette rémunération, notamment les plus-values, doivent profiter à l’ensemble des indivisaires.
Cette règle prévient le risque qu’un indivisaire ne s’approprie de manière disproportionnée les fruits du bien commun avant le partage.
Reste que tous les avantages financiers tirés d’un bien indivis ne sont pas nécessairement considérés comme des fruits ou revenus devant être réintégrés dans l’indivision.
La Cour de cassation a ainsi exclu de cette qualification les avantages fiscaux liés à un investissement locatif. Dans un arrêt de 2007, elle a estimé qu’un tel avantage fiscal ne pouvait être assimilé à un fruit, contrairement à un loyer ou à des intérêts sur un placement (Cass. 1ère civ., 14 nov. 2007, n°06-17.086).
Cette décision souligne que la notion de fruits ne s’étend pas à tous les bénéfices financiers, notamment lorsque ceux-ci ne représentent pas un revenu directement généré par le bien indivis.
==>Incidences du principe
Le principe cardinal qui préside à l’application de l’article 815-10 du Code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence, est la préservation de la solidarité entre les coïndivisaires.
En effet, pour mémoire, selon ce texte, tant que le partage n’a pas été prononcé, aucun indivisaire ne peut prétendre s’approprier seul les fruits et revenus générés par l’indivision.
Ce principe vise à empêcher qu’un indivisaire ne tire un avantage disproportionné du fait de la gestion temporaire ou exclusive d’un bien indivis.
A cet égard, puisque tous les fruits et revenus des biens indivis accroissent à l’indivision, les bénéfices réalisés à partir de ces biens sont eux-mêmes indivis et appartiennent proportionnellement à chaque indivisaire.
De même, les pertes doivent être réparties de façon équitable. L’article 815-10, alinéa 4, du Code civil prévoit expressément en ce sens que « chaque indivisaire a droit aux bénéfices provenant des biens indivis et supporte les pertes proportionnellement à ses droits dans l’indivision ».
Ce principe s’applique également aux charges de l’indivision, qu’il s’agisse de dépenses courantes ou de charges liées à l’exploitation du bien indivis.
Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 25 novembre 1980, la répartition des bénéfices et des charges doit se faire proportionnellement aux droits de chacun dans l’indivision, indépendamment des dépenses spécifiques engagées par un indivisaire (Cass. 1ère civ., 25 nov. 1980, n° 78-14.241).
Cela assure que chaque indivisaire bénéficie d’une part équitable de l’actif mais aussi qu’il supporte une part équitable du passif.
Dans le même esprit, la Cour de cassation a réaffirmé que même lorsque certains indivisaires jouissent exclusivement d’un bien indivis, les charges afférentes à ce bien doivent être supportées par tous les coïndivisaires en proportion de leurs droits, et ce jusqu’au partage (Cass. 1ère civ., 24 mai 1989, n°87-17.587). Ce principe exclut donc toute répartition fondée sur l’utilisation effective du bien par un indivisaire en particulier.
Le principe de solidarité entre indivisaires empêche également l’application de l’effet déclaratif du partage sur les fruits et revenus produits par les biens indivis avant le partage.
La Cour de cassation a, par exemple, jugé que même après le partage, les fruits et revenus perçus avant cette date continuent à profiter à l’indivision et doivent être répartis entre tous les indivisaires (Cass. 1ère civ., 10 mai 2007, n°05-12.031).
b. La prescription quinquennale
==>Principe général
L’article 815-10, alinéa 3 du Code civil dispose que « aucune recherche entre indivisaires relative aux fruits et revenus des biens indivis n’est recevable plus de cinq ans après que ces fruits et revenus ont été perçus ou auraient pu l’être ».
Cette règle institue une prescription quinquennale spécifique au domaine de l’indivision, qui fixe un délai à l’expiration duquel toute action relative aux fruits et revenus des biens indivis devient irrecevable.
La prescription quinquennale instaurée par cette disposition s’inscrit dans le cadre général du droit de la prescription en droit civil, dont la fonction première est d’éteindre, par l’écoulement du temps, les actions non intentées dans un délai imparti.
Ce mécanisme vise à garantir la stabilité des relations juridiques en empêchant que des situations de fait puissent être contestées indéfiniment. En matière d’indivision, cette prescription a pour but de réguler les rapports entre coïndivisaires en instaurant une limite temporelle pour les contestations portant sur la perception des fruits et revenus des biens indivis.
L’objectif de la prescription quinquennale dans le cadre de l’article 815-10, alinéa 3, est double :
- D’une part, elle vise à sécuriser les relations entre les indivisaires en leur offrant un cadre temporel strict pour exercer leur droit de revendication des fruits et revenus générés par les biens indivis.
- D’autre part, elle permet d’éviter que des litiges trop anciens et complexes ne viennent perturber la gestion de l’indivision ou son éventuel partage, parfois des années après la perception de ces fruits ou revenus.
En ce sens, la prescription quinquennale répond à une exigence d’ordre public, car elle garantit une gestion plus fluide et plus transparente de l’indivision.
En limitant dans le temps la possibilité d’introduire des actions en justice pour contester ou réclamer des sommes perçues, elle permet de préserver un équilibre entre les indivisaires. Cela évite, par exemple, qu’un indivisaire puisse rester inactif durant de longues années, pour ensuite réclamer des revenus ou fruits perçus par un autre indivisaire des décennies auparavant. Une telle situation de déséquilibre pourrait créer de l’incertitude et entraîner des tensions au sein de l’indivision.
==>Domaine
Il peut être observé que prescription quinquennale ne s’applique que dans le cadre des rapports entre coïndivisaires. Elle ne joue pas à l’égard des tiers, tels que les locataires ou les débiteurs de la masse indivise, contre lesquels les indivisaires conservent leurs droits conformément aux règles de droit commun de la prescription civile.
Par exemple, si un tiers doit des loyers ou des dividendes aux indivisaires, le délai de prescription applicable sera celui prévu par le droit commun (article 2224 du Code civil), soit cinq ans à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir.
Le domaine de la prescription quinquennale instaurée par l’article 815-10, alinéa 3, se limite donc exclusivement aux contestations entre indivisaires. Elle ne s’applique qu’aux actions visant à réclamer ou contester des fruits et revenus qui auraient été perçus ou auraient dû l’être par l’un d’eux. Ce délai vise à assurer une gestion fluide de l’indivision, en évitant que des litiges tardifs entre indivisaires ne viennent perturber l’équilibre de la gestion des biens indivis.
Ainsi, en matière d’indivision, les coïndivisaires sont tenus d’agir dans un délai de cinq ans pour toute action portant sur les revenus perçus par l’un d’entre eux. Passé ce délai, aucune action n’est plus recevable entre eux, garantissant ainsi une plus grande sécurité juridique et la pérennité de la gestion de l’indivision.
En revanche, lorsqu’il s’agit de relations avec des tiers, cette prescription spéciale ne trouve pas à s’appliquer. Les actions contre des tiers relèvent des prescriptions de droit commun, qui sont distinctes et non soumises à la même exigence temporelle stricte que celle applicable aux relations entre coïndivisaires. Ce cadre différencié renforce l’équilibre nécessaire entre la préservation des droits internes à l’indivision et la gestion des interactions externes avec des tiers.
==>Dérogation conventionnelle
La prescription quinquennale prévue par l’article 815-10, alinéa 3 du Code civil, bien que s’imposant aux indivisaires, n’est pas d’ordre public.
La jurisprudence a en effet admis la possibilité pour les indivisaires de déroger à ce délai par voie conventionnelle. Ainsi, les coïndivisaires peuvent, par un accord commun, décider d’étendre ou de modifier les règles de prescription qui leur sont normalement applicables.
La possibilité pour les indivisaires de déroger à la prescription quinquennale par voie conventionnelle a été reconnue par la Cour de cassation dans un arrêt du 4 octobre 2005 (Cass. 1ère civ., 4 oct. 2005, n°03-19.459).
Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a jugé qu’une convention entre indivisaires pouvait valablement reconnaître une dette, en l’occurrence une indemnité d’occupation due à l’indivision, sur une période excédant le délai quinquennal de prescription prévu par l’article 815-10, alinéa 3 du Code civil.
Cette faculté permet, par exemple, de reconnaître la validité de créances ou d’indemnités d’occupation sur une période excédant les cinq ans initialement fixés.
La Cour de cassation a jugé que les indivisaires peuvent valablement établir une convention qui reconnaît des dettes à l’égard de la masse indivise, même pour des montants dus au-delà du délai quinquennal.
Cette souplesse contractuelle offre aux indivisaires la possibilité de s’accorder sur les modalités de gestion des fruits et revenus, en ajustant la prescription à leurs besoins spécifiques.
==>Point de départ de la prescription
Le point de départ de la prescription quinquennale prévu à l’article 815-10, alinéa 3 du Code civil est déterminé par la date à laquelle les fruits et revenus des biens indivis ont été perçus ou auraient pu l’être.
La portée de la règle est d’importance, car elle ne se limite pas aux revenus effectivement encaissés par un indivisaire, mais inclut également ceux qui auraient pu l’être si une gestion diligente et conforme aux obligations des indivisaires avait été exercée.
Ainsi, la prescription commence à courir non seulement à partir du moment où un indivisaire perçoit des revenus issus de l’exploitation ou de la gestion des biens indivis (loyers, dividendes, intérêts, etc.), mais également lorsque ces revenus auraient dû être perçus.
Cela peut englober des situations où un indivisaire aurait négligé de percevoir des loyers ou des dividendes qu’il aurait pu collecter, ce qui permet de responsabiliser les coïndivisaires dans la gestion de l’indivision.
Cette règle vise à encourager une gestion active et transparente des biens indivis. En pratique, cela permet d’éviter que des revendications tardives, souvent sources de conflits, ne viennent perturber la gestion de l’indivision ou son partage ultérieur.
La jurisprudence a d’ailleurs précisé que ce point de départ devait être interprété de manière stricte, de sorte que les indivisaires ne peuvent retarder le début de la prescription en invoquant des circonstances internes à l’indivision. Dès lors qu’un revenu est produit par un bien indivis ou aurait pu l’être dans le cadre d’une gestion ordinaire, la prescription commence à courir, et les indivisaires doivent se montrer vigilants à ce sujet.
Ainsi, que les revenus proviennent de la location d’un immeuble, des intérêts produits par des placements financiers ou encore des dividendes liés à des parts sociales, le délai de cinq ans commence dès leur perception potentielle ou effective. Cette approche protège l’indivision contre des différends prolongés tout en favorisant une gestion rigoureuse des biens.
==>Interruption de la prescription
L’article 815-10, alinéa 3 du Code civil instaure une prescription quinquennale pour les réclamations portant sur les fruits et revenus des biens indivis.
Si ce délai n’est pas respecté, toute demande concernant les fruits et revenus perçus ou qui auraient pu l’être devient irrecevable. Toutefois, ce délai peut être interrompu dans certaines circonstances bien précises, permettant ainsi de prolonger le temps dont disposent les indivisaires pour faire valoir leurs droits.
La nature exacte de ce délai a fait l’objet de nombreuses discussions en doctrine et en jurisprudence. Il a été question de savoir s’il s’agissait d’un délai préfix ou d’un délai de prescription.
Pour mémoire, un délai préfix est un délai impératif qui, une fois écoulé, éteint automatiquement le droit sans possibilité d’interruption ou de suspension.
À l’inverse, un délai de prescription peut être interrompu ou suspendu dans certaines conditions, ce qui permet de prolonger la période pendant laquelle une action peut être engagée.
La Cour de cassation a finalement tranché cette question dans un arrêt du 26 juin 2001, en considérant que le délai prévu par l’article 815-10, alinéa 3, est bien un délai de prescription et non un délai préfix.
Cette qualification est importante, car elle ouvre la possibilité de l’interrompre ou de le suspendre (Cass. 1ère civ., 26 juin 2001, n°99-15.487). Il devient donc possible pour les indivisaires d’agir sur ce délai en certaines circonstances.
Aussi, il est admis que plusieurs événements sont susceptibles d’interrompre la prescription quinquennale.
Tout d’abord, l’assignation en justice, même si la demande en paiement des fruits et revenus n’est pas expressément formulée, peut suffire à interrompre la prescription.
Cette solution a été consacrée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts, notamment dans une décision du 26 juin 2001.
Dans cette affaire, les héritiers avaient assigné en justice pour une expertise afin de déterminer la valeur locative d’un bien indivis occupé sans indemnité. La Cour a jugé que, même sans demande explicite d’indemnité, la nature de l’assignation impliquait une réclamation, interrompant ainsi la prescription quinquennale (Cass. 1re civ., 26 juin 2001, n°99-15.487).
Un autre moyen reconnu d’interruption est le procès-verbal de difficultés dressé par un notaire.
Toutefois, pour que ce dernier produise un effet interruptif, il doit expressément mentionner des réclamations concernant les fruits et revenus indivis.
En revanche, un procès-verbal qui n’aborde pas ces questions ne suffit pas pour interrompre la prescription (Cass. 1ère civ., 10 févr. 1998, n°96-16.735).
La jurisprudence a précisé également que la simple correspondance, comme une lettre adressée par un indivisaire au notaire, n’interrompait pas la prescription. Un procès-verbal doit être formalisé pour produire cet effet (Cass. 1ère civ., 5 oct. 2016, n°15-25.944).
Enfin, la rédaction d’un projet d’acte liquidatif peut également constituer un acte interruptif de prescription.
La Cour de cassation a jugé en ce sens, dans un arrêt du 10 mai 2007, qu’un projet d’acte récapitulant les créances et fermages impayés, même s’il n’est pas signé par tous les indivisaires, interrompt le délai de prescription (Cass. 1re civ., 10 mai 2007, n°05-19.789).
Cette décision souligne que l’interruption peut être obtenue, même en présence de réticences ou d’obstructions de certains indivisaires.
==>Suspension de la prescription
La prescription quinquennale peut également être suspendue dans certains cas, notamment entre époux.
Conformément à l’article 2236 du Code civil, la prescription « ne court point entre époux ».
Aussi, lorsque des époux sont coïndivisaires, notamment à la suite de la dissolution de leur régime matrimonial, la prescription quinquennale prévue par l’article 815-10, alinéa 3, ne s’applique pas immédiatement.
Selon l’article 2236, tant que le mariage n’est pas dissous, aucune prescription ne peut jouer entre les époux. Cela signifie que toute action portant sur les fruits et revenus des biens indivis pendant la période où le mariage est en vigueur est suspendue.
Concrètement, cela signifie que si des ex-époux demeurent coïndivisaires d’un bien après leur divorce, la prescription pour réclamer les fruits et revenus ne commence à courir qu’à partir du moment où le jugement de divorce est passé en force de chose jugée.
Ainsi, jusqu’à cette date, les actions relatives aux fruits ou aux revenus de l’indivision ne sont pas soumises à la prescription quinquennale de l’article 815-10.
La suspension de la prescription entre époux a des conséquences pratiques notables.
Elle permet notamment de protéger l’un des conjoints contre des manœuvres dilatoires de l’autre. En effet, sans cette suspension, un époux pourrait tenter de laisser courir le délai de prescription quinquennale, empêchant ainsi son conjoint de réclamer des sommes dues à l’indivision.
La règle énoncée à l’article 2236 vise donc à ce que les demandes portant sur les fruits ou les revenus d’un bien indivis, ou encore sur l’indemnité d’occupation due par l’un des époux, ne soient pas affectées par le délai de prescription tant que le divorce n’est pas définitivement prononcé.
Dans ce cadre, la Cour de cassation a précisé que les demandes d’indemnité d’occupation formulées par un époux à l’encontre de l’autre, à la suite d’un divorce, échappent à la prescription quinquennale prévue par l’article 815-10 du Code civil pendant toute la durée du mariage (Cass. 1re civ., 18 févr. 1992, n°90-16.954).
2. L’exception : La distribution annuelle des bénéfices
L’article 815-11, alinéa 1er du Code civil dispose que « tout indivisaire peut demander sa part annuelle dans les bénéfices, déduction faite des dépenses entraînées par les actes auxquels il a consenti ou qui lui sont opposables ».
Cette règle constitue une exception au principe général d’incorporation des fruits et revenus dans la masse indivise, tel que prévu par l’article 815-10 du Code civil, qui dispose, pour mémoire, que les fruits et revenus augmentent l’indivision jusqu’au moment du partage définitif.
La finalité de cette exception au principe est double :
- D’une part, elle vise à donner une plus grande flexibilité dans la gestion de l’indivision en permettant aux indivisaires de percevoir une partie des bénéfices générés par les biens indivis avant le partage final.
- D’autre part, elle participe du maintien de l’indivision en atténuant la tentation de demander précipitamment un partage des biens indivis simplement pour accéder aux revenus.
==>Nature du droit aux bénéfices
L’article 815-11, alinéa 1er du Code civil confère à chaque indivisaire un droit individuel de demander annuellement sa part des bénéfices provenant des biens indivis.
Contrairement à la règle initialement envisagée, qui aurait subordonné la répartition des bénéfices à une décision majoritaire des indivisaires, ce droit est exercé à titre personnel, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’accord des autres coïndivisaires.
Ce mécanisme a été mis en place pour faciliter la gestion de l’indivision en permettant à chaque indivisaire de percevoir régulièrement les fruits et revenus générés par les biens indivis, qu’il s’agisse de loyers, d’intérêts ou de dividendes.
A cet égard, il est admis que tant qu’il existe des bénéfices à distribuer, la demande ne peut être refusée par le juge. Toutefois, ce droit individuel est encadré de manière à préserver l’équilibre de l’indivision. Ainsi, la distribution des bénéfices ne doit pas compromettre la gestion ordinaire de l’indivision, notamment lorsque les bénéfices sont indispensables pour couvrir des dépenses nécessaires à son fonctionnement.
==>L’assiette du droit aux bénéfices
L’assiette du droit aux bénéfices, prévu par l’article 815-11 du Code civil, englobe l’ensemble des fruits et revenus nets générés par les biens indivis.
Ces bénéfices comprennent non seulement les loyers perçus, les intérêts ou encore les dividendes, mais aussi les indemnités d’occupation dues par un indivisaire qui occupe à titre privatif un bien indivis.
En effet, la jurisprudence a reconnu que ces indemnités, bien que résultant d’une occupation personnelle, font partie intégrante des revenus indivis et devaient, à ce titre, être partagées entre tous les coïndivisaires.
La Cour de cassation a, en effet, jugé en ce sens, dans un arrêt du 5 février 1991, que « doit être assimilée à un revenu accroissant à l’indivision, et que chaque indivisaire peut donc solliciter sa part annuelle dans les bénéfices en résultant pour celle-ci » (Cass. 1ère civ., 5 févr. 1991, n°89-11.136).
Le mécanisme ainsi institué encourage les indivisaires à solliciter régulièrement leur part des bénéfices généré par l’indivision, leur évitant d’être confrontés à la prescription quinquennale prévue à l’article 815-10 du Code civil.
==>Les conditions d’exercice du droit aux bénéfices
L’exercice du droit aux bénéfices prévu par l’article 815-11 du Code civil est soumis à certaines conditions, qui visent à garantir une répartition équitable des fruits et revenus des biens indivis tout en tenant compte des réalités de la gestion de l’indivision.
- Périodicité de la demande
- La répartition des bénéfices dans le cadre de l’indivision, comme le prévoit l’article 815-11 du Code civil, s’effectue sur une base annuelle, conférant ainsi à chaque indivisaire le droit de demander sa part des fruits et revenus générés par les biens indivis.
- Cette demande doit être exercée à des intervalles réguliers, généralement à la date anniversaire de la création de l’indivision.
- L’objectif de cette règle est de fournir un cadre clair, permettant à tous les coïndivisaires de bénéficier périodiquement des bénéfices sans retarder indûment leur distribution jusqu’au partage final.
- Toutefois, la date anniversaire de l’indivision n’est pas une obligation rigide.
- Les indivisaires peuvent convenir ensemble d’une autre périodicité, comme faire coïncider la répartition des bénéfices avec l’année civile.
- Cette flexibilité vise à faciliter la gestion collective en s’adaptant aux circonstances et aux pratiques comptables des indivisaires, notamment si ces derniers estiment plus opportun de définir des périodes compatibles avec leur situation administrative ou fiscale.
- Disponibilité des bénéfices
- L’exercice du droit à la répartition des bénéfices, tel que prévu par l’article 815-11 du Code civil, est soumis à une condition essentielle : l’existence de bénéfices effectivement disponibles.
- Ce principe garantit que la répartition annuelle des fruits et revenus de l’indivision ne peut avoir lieu que si les recettes générées par les biens indivis excèdent les dépenses nécessaires à leur gestion.
- Les bénéfices disponibles sont déterminés après la déduction de toutes les charges supportées par l’indivision, qu’il s’agisse des dépenses courantes de gestion (telles que les primes d’assurance, les taxes foncières, les travaux d’entretien), ou encore des dépenses exceptionnelles liées à des actes auxquels les indivisaires ont consenti ou qui leur sont opposables.
- Ce mécanisme de déduction vise à éviter qu’un indivisaire ne perçoive une part des bénéfices alors même que les charges de l’indivision n’ont pas été intégralement couvertes.
- L’idée sous-jacente est que la gestion des biens indivis doit rester équilibrée et pérenne.
- Si les dépenses de gestion excèdent les recettes, aucun bénéfice ne peut être distribué, et il peut même en résulter un déficit à répartir entre les indivisaires, proportionnellement à leurs droits dans l’indivision (article 815-10, alinéa 4 du Code civil).
- Cette répartition des pertes assure que les indivisaires ne puissent réclamer leur part des fruits et revenus tant que les obligations financières de l’indivision ne sont pas satisfaites.
- En cas de contestation sur la disponibilité réelle des bénéfices, un compte annuel de gestion peut être établi pour clarifier la situation.
- Ce document permet de vérifier si les bénéfices nets peuvent être attribués, et garantit que la répartition des fruits et revenus respecte les charges effectives liées à la gestion de l’indivision.
- Déduction des charges de gestion
- L’article 815-11 du Code civil impose que, avant toute répartition des bénéfices entre les indivisaires, les charges de gestion des biens indivis soient systématiquement déduites.
- Ce mécanisme vise à assurer une répartition juste et équilibrée des fruits et revenus générés par l’indivision, en tenant compte des coûts inhérents à la gestion et à la conservation des biens indivis.
- Les charges déductibles incluent une large variété de dépenses nécessaires à la gestion des biens.
- Parmi celles-ci figurent notamment les frais d’entretien courant, tels que les travaux de réparation et de rénovation, qui sont indispensables pour préserver la valeur des biens indivis.
- Les primes d’assurance, couvrant notamment les risques d’incendie, de dégâts des eaux ou de responsabilité civile, font également partie des charges à déduire.
- De même, les taxes foncières et autres impôts relatifs aux biens indivis, comme la contribution aux charges de copropriété, doivent être intégralement déduites avant que les bénéfices ne soient répartis.
- Cette déduction des charges de gestion garantit que les indivisaires ne perçoivent leur part des bénéfices qu’après avoir contribué aux frais nécessaires au maintien et à l’exploitation des biens indivis.
- En outre, ce mécanisme assure que la répartition des fruits et revenus reflète fidèlement la situation financière de l’indivision, en évitant que les indivisaires ne retirent des gains avant que les obligations financières liées aux biens indivis ne soient satisfaites.
- Il est important de noter que les dépenses liées à la gestion des biens indivis doivent être approuvées par les indivisaires ou leur être opposables pour être déduites des bénéfices.
- Cela signifie que seules les charges légitimement engagées au titre de la gestion des biens peuvent affecter le montant des bénéfices redistribués, offrant ainsi une protection aux indivisaires contre des dépenses injustifiées.
- La déduction des charges de gestion, loin d’être une simple formalité, s’inscrit dans la logique de préservation des intérêts collectifs de l’indivision.
- Elle permet de maintenir l’équilibre financier de l’indivision tout en assurant que la répartition des bénéfices se fasse de manière équitable et en toute transparence.
- Prise en compte des dépenses consenties ou opposables
- Dans le cadre de la répartition des bénéfices issus d’une indivision, l’article 815-11 du Code civil impose que les dépenses liées à la gestion des biens indivis soient dûment prises en compte avant toute distribution.
- Ce principe garantit que la répartition des bénéfices reflète non seulement les revenus générés par l’indivision, mais aussi les contributions financières de chaque indivisaire aux charges et dépenses liées à la gestion des biens indivis.
- Les dépenses concernées se divisent en deux catégories : celles auxquelles l’indivisaire demandeur a consenti et celles qui lui sont opposables.
- Les premières correspondent aux dépenses que l’indivisaire a expressément approuvées, par exemple dans le cadre de décisions collectives ou d’accords entre coïndivisaires.
- Cela peut inclure des dépenses engagées pour l’entretien des biens, des travaux de réparation ou d’amélioration, ainsi que d’autres dépenses courantes nécessaires à la gestion du patrimoine indivis.
- Les dépenses dites “opposables” renvoient quant à elles à celles que l’indivisaire doit supporter même en l’absence de son consentement direct.
- Ce sont généralement des dépenses résultant d’actes de gestion entrepris par un coïndivisaire agissant seul, mais qui s’imposent à tous en vertu de leur caractère nécessaire à la conservation du bien ou de décisions majoritaires dans l’intérêt de l’indivision.
- Il peut s’agir de frais liés à des obligations légales, comme les taxes foncières, les primes d’assurance ou encore les dépenses urgentes engagées pour préserver la valeur des biens indivis (réparations d’urgence, mise aux normes, etc.).
- La prise en compte de ces dépenses dans le calcul des bénéfices à attribuer est cruciale, car elle évite qu’un indivisaire ne perçoive des revenus disproportionnés par rapport à sa contribution réelle aux charges de l’indivision.
- En effet, il serait inéquitable de permettre à un indivisaire de bénéficier des fruits de l’indivision sans tenir compte des coûts qu’il n’aurait pas assumés ou qui auraient été supportés uniquement par d’autres indivisaires.
- La jurisprudence a confirmé à plusieurs reprises que les bénéfices distribués doivent être réduits des charges que chaque indivisaire doit assumer.
- Ainsi, les bénéfices nets attribués à chaque indivisaire doivent être calculés en fonction de la part des dépenses engagées par chacun, en tenant compte tant de leurs contributions volontaires que des dépenses qui leur sont opposables de droit (Cass. 1ère civ., 25 oct. 2005, n° 03-12.579l).
- Ce mécanisme de déduction assure une répartition équitable et proportionnée des bénéfices en fonction des charges supportées, tout en préservant l’intérêt général de l’indivision.
- Il incite également les indivisaires à participer activement à la gestion du bien indivis, en sachant que leurs contributions financières seront prises en compte dans la répartition des fruits et revenus.
- Établissement d’un compte de gestion annuel
- L’exercice du droit à la répartition des bénéfices dans le cadre d’une indivision, tel que prévu par l’article 815-11 du Code civil, repose sur un impératif de transparence et de rigueur comptable.
- Pour garantir une répartition équitable des bénéfices, il est essentiel de procéder à l’établissement d’un compte de gestion annuel.
- Ce document constitue une synthèse des opérations financières de l’indivision, en retraçant de manière claire et détaillée les revenus générés par les biens indivis ainsi que les charges supportées pour leur gestion.
- Le compte de gestion annuel joue un rôle central dans le processus de répartition, car il permet de justifier les montants attribués à chaque indivisaire.
- Il récapitule non seulement les fruits et revenus perçus par l’indivision, qu’il s’agisse de loyers, d’intérêts ou de dividendes, mais aussi l’ensemble des dépenses déductibles, telles que les frais d’entretien, les primes d’assurance, les taxes foncières, ou encore les dépenses exceptionnelles engagées pour la préservation ou la valorisation des biens indivis.
- Cette ventilation claire des revenus et des charges assure une traçabilité des flux financiers et permet de déterminer, avec précision, les bénéfices nets à répartir entre les indivisaires.
- En outre, le compte de gestion annuel est un outil de transparence indispensable dans les relations entre les coïndivisaires.
- Il offre à chacun une vision précise de la situation financière de l’indivision et permet de s’assurer que la répartition des bénéfices est réalisée de manière juste et proportionnelle aux droits de chaque indivisaire.
- En l’absence de ce compte, le risque de contestation entre les indivisaires est accru, notamment en cas de doute sur la répartition des revenus ou sur la légitimité des dépenses engagées.
- C’est pourquoi l’établissement d’un tel document est crucial pour garantir une gestion sereine et éviter les litiges.
- La jurisprudence a réaffirmé à plusieurs reprises l’importance de ce compte de gestion annuel, soulignant qu’il constitue la base sur laquelle le juge peut, en cas de contestation, apprécier le bien-fondé d’une demande de répartition provisoire des bénéfices (Cass. 1re civ., 27 oct. 1993, n° 91-13.946).
- En effet, le président du tribunal judiciaire, compétent pour ordonner une répartition des bénéfices sous réserve d’un compte à établir lors de la liquidation définitive, s’appuie nécessairement sur ce compte pour statuer.
- En définitive, le compte de gestion annuel assure non seulement une répartition équitable des bénéfices, mais il protège également l’intérêt de l’indivision en garantissant que les charges nécessaires à sa gestion ont été dûment prises en compte. Il est le garant de la transparence et de la légitimité des opérations financières au sein de l’indivision.
==>Cadre procédural
L’article 815-11, alinéa 3 du Code civil confie au président du tribunal judiciaire une compétence exclusive pour trancher les différends entre indivisaires concernant la répartition des bénéfices.
En cas de contestation, il appartient au juge de statuer sur la demande de répartition provisionnelle des bénéfices, tout en veillant à préserver l’équilibre entre les intérêts des coïndivisaires et ceux de l’indivision.
Le pouvoir conféré au juge dans cette procédure est important, car il peut, à titre provisoire, ordonner une répartition des fruits et revenus, tout en s’assurant qu’un compte final sera établi lors de la liquidation définitive de l’indivision.
Cette répartition provisionnelle permet de garantir une certaine souplesse dans la gestion des biens indivis, en évitant que les indivisaires soient privés de leurs bénéfices pendant la durée de l’indivision.
Cependant, le juge exerce un pouvoir discrétionnaire quant à l’opportunité de faire droit à la demande de répartition.
Comme l’a rappelé la Cour de cassation dans son arrêt du 16 mars 1999, c’est dans l’exercice de cette faculté d’appréciation que le juge peut refuser une répartition provisionnelle des bénéfices (Cass. 1ère civ., 16 mars 1999, n°97-11.972).
Son intervention n’est donc pas automatique et dépend des éléments fournis par les indivisaires.
Le juge peut ainsi rejeter une demande si les conditions ne sont pas réunies, notamment en l’absence de documents comptables clairs et précis, tels qu’un compte de gestion annuel.
Ce compte, bien qu’important pour la transparence, n’est pas le seul critère décisif : le juge conserve la liberté de refuser la répartition s’il estime que cela mettrait en péril la gestion sereine de l’indivision ou déséquilibrerait les droits des coïndivisaires.
C) Le droit au remboursement des dépenses exposées
Les indivisaires disposent, pendant toute la durée de l’indivision, du droit d’user et de jouir du bien indivis.
Comme tout bien, celui-ci doit être entretenu pour conserver son utilité initiale, et peut également faire l’objet d’améliorations destinées à en accroître la valeur ou les usages. Dans cette perspective, les indivisaires peuvent être amenés à engager des dépenses, que ce soit pour assurer la préservation du bien ou pour en améliorer l’état.
L’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil, prévoit une compensation pour ces dépenses, dites « impenses », réalisées par un indivisaire.
Ces dépenses peuvent concerner l’entretien ou l’amélioration du bien indivis. Il est ainsi prévu par ce texte que lorsque l’un des indivisaires améliore, à ses frais, l’état du bien, il a droit à une indemnisation, déterminée selon des critères d’équité, au regard de l’augmentation de la valeur du bien au moment du partage ou de sa vente.
Il en va de même pour les dépenses strictement nécessaires à la conservation du bien, même si elles n’entraînent pas de revalorisation.
Toutefois, il convient de distinguer entre les dépenses éligibles à une indemnisation et celles qui en sont exclues.
En effet, l’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil ne prévoit une compensation que pour les dépenses d’amélioration ou de conservation.
Ainsi, les simples dépenses d’entretien, qui ne modifient ni l’état ni la valeur du bien, n’ouvrent pas droit à indemnisation.
Cette règle a été fermement rappelée par la jurisprudence, notamment dans le cadre d’une indivision successorale concernant une maison d’habitation (Cass. 1ère civ. 28 mars 2006, n°04-10.596).
En outre, certaines dépenses peuvent être écartées du droit à indemnisation lorsqu’elles sont jugées exagérées ou inutiles.
Par exemple, lorsqu’un indivisaire engage des dépenses disproportionnées ou qui ne sont pas justifiées par l’état du bien, les tribunaux peuvent refuser tout remboursement.
C’est notamment ce qui s’est produit dans une affaire où les impenses réclamées ont été considérées comme excessives et non nécessaires, privant ainsi l’indivisaire de toute indemnisation (Cass. 1ère civ. 13 déc. 1994, n°92-20.780).
Ces exclusions témoignent de la volonté des juges de s’assurer que les dépenses revendiquées par les indivisaires soient réellement justifiées et proportionnées, garantissant ainsi un équilibre dans la gestion des biens indivis.
1. Les dépenses d’amélioration du bien indivis
L’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil prévoit un régime d’indemnisation pour les dépenses d’amélioration réalisées par un indivisaire.
Ces dépenses, qualifiées d’impenses utiles, visent à augmenter la valeur ou l’utilité du bien, sans pour autant être indispensables à sa conservation.
Conformément à ce texte, lorsque l’un des indivisaires entreprend à ses frais des travaux d’amélioration, il peut obtenir une indemnité calculée selon le principe d’équité, en tenant compte de l’augmentation de valeur que le bien en a tiré au moment du partage ou de l’aliénation.
a. Le domaine des impenses utiles
==>Distinction entre les impenses utiles et les impenses nécessaires
L’application de l’article 815-13, al. 1er du Code civil repose sur la distinction entre les impenses nécessaires et les impenses utiles.
Les impenses nécessaires, comme leur nom l’indique, sont celles sans lesquelles la conservation du bien serait mise en péril.
Ces dépenses visent à préserver l’intégrité du bien indivis, évitant ainsi sa dégradation ou sa perte.
Leur remboursement est intégral, indépendamment de toute augmentation de la valeur du bien, car elles sont indispensables à sa survie. On pense notamment aux travaux d’urgence tels que des réparations pour prévenir des dommages graves, comme la consolidation d’une structure affaissée ou la réfection d’une toiture pour éviter des infiltrations d’eau.
Les impenses utiles, en revanche, sont des dépenses effectuées par un indivisaire pour améliorer l’état du bien indivis, en augmentant sa valeur ou en élargissant ses usages, sans toutefois être indispensables à sa conservation.
Leur objet se distingue ainsi de celui des impenses nécessaires, qui visent principalement à préserver l’intégrité matérielle ou juridique du bien.
Les impenses utiles se matérialisent souvent sous forme de travaux destinés à moderniser ou rendre le bien plus confortable, comme l’installation d’un chauffage central, la réfection de la toiture, ou l’ajout de commodités non essentielles mais améliorant considérablement la jouissance du bien.
==>Variété des impenses utiles
L’objet des impenses utile comprend une grande variété de travaux, tels que des rénovations, des améliorations énergétiques, ou encore des extensions, qui ne sont pas nécessaires à la conservation du bien mais qui en augmentent objectivement la valeur.
À titre d’exemple, la jurisprudence a reconnu l’installation d’un chauffage central ou encore la construction de nouveaux bâtiments sur un terrain indivis comme des impenses utiles ouvrant droit à une indemnité (Cass. 1ère civ., 6 févr. 1996, n°94-10.380).
Cependant, la finalité de ces impenses n’est pas simplement d’embellir ou de satisfaire des préférences personnelles.
Pour être qualifiées d’impenses utiles, les travaux réalisés doivent procurer un bénéfice pour l’ensemble des indivisaires, notamment en accroissant la valeur du bien indivis au moment du partage ou de la vente.
L’indemnité qui en découle est strictement proportionnelle à l’enrichissement qu’elles apportent au bien, plutôt qu’au coût des travaux. Cela garantit que l’indivisaire qui a engagé ces dépenses ne soit pas indemnisé au-delà de la plus-value effectivement générée pour l’indivision.
==>Limites
Il peut être observé que les impenses utiles doivent être distinguées des dépenses d’acquisition, qui n’ouvrent pas droit à indemnisation au titre de l’article 815-13 du Code civil.
En effet, le financement direct d’un bien indivis par un indivisaire, par exemple à travers un apport en capital personnel pour acquérir une part de l’indivision, ne peut être qualifié d’impense utile (Cass. 1ère civ., 26 mai 2021, n°19-21.302).
Dans ce cadre, les sommes engagées ne visent pas à améliorer ou à conserver le bien indivis existant, mais à financer son acquisition.
La Cour de cassation a opté pour une exclusion de ces dépenses du régime de l’article 815-13, précisant que ces apports relèvent d’un régime distinct, notamment celui de la créance personnelle contre l’indivision.
Cependant, certaines dépenses, même associées à l’acquisition d’un bien, peuvent être assimilées à des impenses utiles si elles sont engagées dans le but de préserver un bien déjà indivis.
Ainsi, le remboursement d’un emprunt contracté pour financer des travaux d’amélioration, ou pour éviter la saisie d’un bien indivis, a été reconnu comme une impense utile, car ces dépenses permettent de conserver le bien dans le patrimoine des indivisaires (Cass. 1ère civ., 7 juin 2006, n°04-11.524).
La question des plus-values générées par l’activité personnelle d’un indivisaire soulève une autre problématique complexe.
Il est possible que, par son travail ou ses efforts, un indivisaire contribue à augmenter la valeur d’un bien indivis.
En principe, ces plus-values pourraient être considérées comme des fruits revenant à l’indivision, conformément à l’article 815-10, alinéa 2, du Code civil, qui dispose que les fruits et revenus d’un bien indivis sont partagés entre les coïndivisaires.
Cependant, la jurisprudence a parfois assimilé ces plus-values à des impenses ouvrant droit à indemnisation au profit de l’indivisaire ayant fourni les efforts personnels.
Dans un arrêt remarqué rendu le 25 mai 1987, la Cour de cassation a admis que les plus-values résultant de l’activité d’un indivisaire pouvaient être indemnisées comme s’il s’agissait d’impenses utiles, eu égard au profit subsistant au moment du partage (Cass. 1re civ., 25 mai 1987, n°85-16.995).
Cette solution, qui s’écartait de la distinction traditionnelle entre fruits et impenses, a toutefois fait l’objet de vives critiques doctrinales, car elle avantagerait de manière excessive l’indivisaire ayant contribué à l’augmentation de la valeur du bien au détriment des autres indivisaires.
Cette position a finalement été abandonnée par la Cour de cassation dans un revirement jurisprudentiel ultérieur.
La Haute juridiction a en effet réaffirmé que les plus-values apportées par le travail d’un indivisaire devaient être considérées comme des fruits de l’indivision et non comme des impenses d’amélioration (Cass. 1re civ., 29 mai 1996, n°94-14.632).
Ainsi, un indivisaire ayant contribué par son activité à l’enrichissement d’un bien indivis ne peut prétendre qu’à une rémunération de son travail, en vertu de l’article 815-12 du Code civil, et non à une indemnité au titre de l’article 815-13.
En définitive, le régime des impenses utiles s’attache à garantir un juste équilibre entre les dépenses engagées par un indivisaire et le bénéfice qu’elles procurent à l’indivision.
L’indemnisation est limitée aux améliorations objectivement constatées et exclut toute compensation pour des dépenses somptuaires, disproportionnées, ou visant simplement à acquérir une part dans l’indivision.
Quant aux plus-values découlant du travail personnel d’un indivisaire, elles doivent être traitées distinctement, sous le régime des fruits et revenus, garantissant ainsi que chaque coïndivisaire bénéficie équitablement des avantages procurés par le bien indivis.
b. Conditions d’indemnisation des dépenses d’amélioration
Les conditions d’indemnisation des dépenses d’amélioration d’un bien indivis, conformément à l’article 815-13, alinéa 1er du Code civil, sont rigoureusement encadrées et reposent sur plusieurs critères.
L’objectif est de garantir une indemnisation équitable des indivisaires ayant contribué à l’amélioration du bien, tout en s’assurant que les dépenses en question sont effectivement justifiées.
i. L’auteur des dépenses
Il est impératif que les dépenses d’amélioration aient été effectuées par un indivisaire, c’est-à-dire une personne qui a cette qualité au moment où les travaux sont entrepris.
Les travaux réalisés par une personne avant d’acquérir la qualité d’indivisaire, comme dans le cas d’un enfant qui aurait financé des améliorations sur un bien appartenant à ses parents avant d’en hériter, ne peuvent être indemnisés au titre de l’article 815-13 du Code civil (Cass. 1re civ., 23 juin 1987, n°85-18.882).
Cette condition s’explique par le fait que l’indemnisation sur le fondement de l’article 815-13 est conçue pour compenser un appauvrissement personnel lié à des dépenses visant à améliorer un bien indivis, dans l’intérêt commun des indivisaires.
ii. L’objet des dépenses
L’article 815-13 du Code civil précise que les dépenses engagées doivent porter sur un bien indivis pour ouvrir droit à indemnisation.
Autrement dit, l’indemnité ne peut être réclamée que si les dépenses concernent l’amélioration d’un bien appartenant à l’indivision.
Cette condition exclut les dépenses réalisées sur des biens personnels de l’indivisaire, même si ces dépenses ont indirectement servi à l’indivision.
Par exemple, dans une affaire jugée par la Cour de cassation, un indivisaire avait mis à disposition un bien lui appartenant personnellement pour exploiter un fonds de commerce indivis. La Première chambre civile a estimé que, bien que ce bien personnel ait contribué à enrichir l’indivision, il ne s’agissait pas de fruits du bien personnel mais d’une amélioration au sens de l’article 815-13 du Code civil, ouvrant droit à une indemnité (Cass. 1re civ., 17 déc. 1996, n°94-21.989).
Cette jurisprudence montre que l’indemnisation est possible même si les améliorations ne portent pas directement sur le bien indivis, mais résultent d’une mise à disposition de biens personnels ayant servi à l’exploitation du bien indivis.
Cependant, la condition principale demeure que les dépenses soient effectuées dans l’intérêt de l’indivision et qu’elles concernent un bien relevant du régime de l’indivision.
En revanche, les dépenses visant à l’acquisition d’un bien en indivision, financées par un futur indivisaire avant qu’il ne devienne indivisaire, ne peuvent être indemnisées.
C’est notamment le cas lorsqu’une personne finance l’acquisition d’un bien indivis avant que la qualité d’indivisaire ne soit acquise, les juges ayant exclu la possibilité de réclamer une indemnisation dans ce contexte (Cass. 1ère civ., 26 sept. 2012, n°11-14.033).
iii. Dépenses financées sur les deniers personnels
Le principe de l’indemnisation des impenses en indivision repose sur la nécessité pour l’indivisaire d’avoir financé les dépenses sur ses propres deniers.
En effet, conformément à l’article 815-13 du Code civil, seules les dépenses effectuées « à ses frais » par l’indivisaire, soit pour la conservation, soit pour l’amélioration d’un bien indivis, peuvent donner lieu à indemnisation.
Cela signifie que l’indivisaire doit prouver un appauvrissement personnel au bénéfice de l’indivision, autrement dit, que les fonds investis proviennent directement de son patrimoine.
==>La nécessité d’un appauvrissement personnel
Pour pouvoir prétendre à une indemnité, il est donc impératif que l’indivisaire ait effectivement supporté les dépenses, c’est-à-dire qu’il ait utilisé ses fonds propres.
Cette condition a été maintes fois rappelée par la jurisprudence. Par exemple, dans un arrêt du 15 janvier 2020, la Cour de cassation a refusé l’indemnisation d’un indivisaire qui avait financé des travaux par l’intermédiaire d’une société qu’il dirigeait.
En effet, les fonds n’ayant pas transité par son patrimoine personnel, il ne pouvait pas se prévaloir d’un appauvrissement direct au profit de l’indivision (Cass. 1ère civ., 15 janv. 2020, n°18-26.502).
Il ressort de cette jurisprudence que le simple fait pour l’indivisaire d’avoir orchestré ou supervisé les travaux ne suffit pas si ce dernier n’a pas directement financé les dépenses.
==>Cas du financement partiel d’une dépense
Il est également possible qu’un indivisaire finance les dépenses uniquement de manière partielle, en recourant à ses deniers personnels pour une fraction des travaux.
Dans cette hypothèse, l’indemnisation ne sera accordée qu’à hauteur des sommes effectivement payées par l’indivisaire.
En d’autres termes, il ne pourra être indemnisé que pour la portion des dépenses qu’il a financée, excluant les parts éventuellement couvertes par des tiers.
Cette règle vise e à garantir que l’indivision ne soit tenue de rembourser que l’appauvrissement réellement subi par l’indivisaire.
==>La preuve de l’origine des fonds
- Charge de la preuve
- La charge de la preuve incombe à l’indivisaire qui réclame l’indemnité. Il doit démontrer que les sommes engagées proviennent de ses propres deniers.
- Cette exigence a pour objectif d’éviter que les autres coindivisaires ne soient tenus d’indemniser des dépenses réalisées par des tiers ou des entités distinctes de l’indivisaire.
- Si, par exemple, une société ou un organisme tiers couvre les dépenses, ou si ces dernières sont financées par une assurance, l’indivisaire ne pourra pas réclamer d’indemnisation au titre des impenses.
- À titre d’exemple, la jurisprudence a refusé l’indemnisation à un indivisaire lorsque les échéances d’un crédit avaient été directement réglées par une compagnie d’assurance à la suite de l’invalidité de l’indivisaire (Cass. 1re civ., 20 oct. 2021, n°20-11.921).
- Dans ce cas, l’indivisaire n’a pas personnellement déboursé les sommes, car l’assurance a pris en charge les remboursements, ce qui a empêché toute indemnisation.
- Preuves admises
- Pour prouver que les dépenses ont bien été effectuées avec ses deniers personnels, l’indivisaire devra fournir des éléments probants, tels que des factures ou des relevés bancaires justifiant les paiements.
- Les juges se montrent particulièrement exigeants en matière de preuve, et l’absence de démonstration claire peut entraîner le rejet de la demande d’indemnisation.
- Par ailleurs, la jurisprudence considère que lorsque l’indivisaire a réalisé des dépenses, mais ne parvient pas à prouver qu’elles proviennent de ses fonds propres, la demande d’indemnisation sera refusée.
- Cette rigueur répond à la nécessité de protéger les autres indivisaires contre des réclamations non fondées ou imprécises.
iv. Dépenses engagées sans l’accord des autres indivisaires
En application de l’article 815-13 du Code civil, pour qu’un indivisaire puisse prétendre à une indemnité au titre des dépenses d’amélioration ou de conservation qu’il a réalisées sur un bien indivis, ces dépenses doivent avoir été engagées sans l’accord des autres indivisaires.
Cette règle repose sur l’idée que si tous les coïndivisaires avaient donné leur accord pour les dépenses, celles-ci profiteraient à l’ensemble de l’indivision et ne nécessiteraient pas de compensation spécifique pour celui qui a réalisé la dépense.
==>Absence de consentement des autres indivisaires : une condition d’indemnisation
L’article 815-13 distingue donc les situations où un indivisaire agit seul pour effectuer des dépenses sur le bien indivis de celles où tous les indivisaires ont consenti à la dépense.
Dans le premier cas, l’indivisaire qui prend l’initiative de réaliser des travaux d’amélioration ou de conservation sur un bien indivis sans consulter ou obtenir l’accord des autres indivisaires peut demander une indemnité pour ces dépenses, à condition qu’elles aient été nécessaires ou utiles.
Cette condition vise à protéger les coindivisaires contre des initiatives unilatérales pouvant entraîner des frais non souhaités.
Dans un arrêt du 9 janvier 1979 (Cass. 1ère civ., 9 janv. 1979, n°77-13.694), la Cour de cassation a jugé que les modifications effectuées sur un bien indivis avec l’accord de tous les indivisaires profitaient à tous, et que, par conséquent, l’indivisaire qui les a financées ne pouvait réclamer d’indemnité.
Ce principe est fondé sur le fait que, dans ce cas, la dépense est perçue comme étant commune, et il n’est donc pas nécessaire d’indemniser l’indivisaire qui a réalisé les travaux.
La dépense a été collective et non unilatérale, ce qui exclut toute indemnisation individuelle.
==>L’accord des indivisaires exclut l’indemnisation
L’accord des autres indivisaires, qu’il soit explicite ou implicite, exclut toute demande d’indemnisation.
Cette approche se justifie par le fait que les décisions prises de manière collective au sein de l’indivision sont censées représenter l’intérêt commun des indivisaires, et la dépense réalisée est donc partagée par tous.
En conséquence, une compensation particulière n’est pas requise, car tous les indivisaires bénéficient de la dépense de manière équitable.
Il est important de noter que l’accord des coïndivisaires peut se manifester de manière formelle (par exemple, lors d’une réunion ou d’une délibération de l’indivision) ou informelle (telle qu’une acceptation tacite lorsque les travaux sont visibles et aucun des indivisaires ne s’y oppose explicitement).
Dans ces cas, l’indivisaire qui a financé les travaux ne peut pas prétendre à une indemnité puisque l’amélioration a été consentie par l’ensemble des indivisaires.
Ainsi, le consentement des autres indivisaires, ou son absence, est un facteur décisif. Si l’un des indivisaires a agi en concertation avec les autres, la dépense est réputée collective et ne saurait ouvrir droit à une indemnité spécifique, car elle a été décidée pour le compte de tous.
À l’inverse, si l’indivisaire a agi seul, sans l’accord préalable, son initiative peut être indemnisée, dans la mesure où elle bénéficie à l’ensemble des indivisaires.
Le fondement de cette règle est de protéger les indivisaires contre des initiatives unilatérales qui pourraient les contraindre à financer des travaux ou des améliorations qu’ils n’ont pas souhaités.
C’est donc une condition essentielle de la demande d’indemnisation que de démontrer l’absence d’accord de la part des autres indivisaires.
Dans le cadre de cette logique, un indivisaire ne peut pas non plus réclamer une indemnisation pour des dépenses somptuaires ou inutiles qu’il aurait réalisées pour son seul bénéfice personnel, même si ces dépenses ont été engagées sans le consentement des autres.
Dans ce cas, l’absence de consentement ne suffit pas à justifier une indemnité : il faut que la dépense réponde à un intérêt commun de l’indivision et non à des besoins personnels de l’indivisaire qui les a engagées.
v. Utilité des dépenses pour le bien indivis
Le principe fondamental en matière d’indemnisation des dépenses engagées par un indivisaire sur un bien indivis repose sur l’idée que ces dépenses doivent profiter à l’ensemble de l’indivision, et non servir exclusivement les intérêts personnels de l’indivisaire à l’origine de ces travaux.
Ce principe est expressément encadré par l’article 815-13 du Code civil, qui distingue clairement entre les dépenses qui visent à améliorer ou conserver le bien indivis, et celles qui n’ont pour but que de satisfaire des besoins individuels.
==>Impenses devant profiter à l’indivision
Pour qu’un indivisaire puisse prétendre à une indemnisation, il est impératif que les dépenses réalisées aient été effectuées dans l’intérêt de tous les coïndivisaires.
Autrement dit, les impenses doivent avoir contribué soit à la conservation du bien (empêcher sa dégradation), soit à son amélioration (augmenter sa valeur ou son utilité pour l’ensemble de l’indivision).
Cela signifie que les dépenses somptuaires ou celles qui ne sont d’aucune utilité pour la collectivité des indivisaires sont exclues du champ d’application de l’article 815-13 du Code civil.
Par exemple, des travaux de rénovation destinés à prévenir la détérioration d’un bien indivis ou à en augmenter la valeur sur le marché immobilier, comme la modernisation des installations électriques ou l’ajout d’un système de chauffage, peuvent être considérés comme des impenses profitant à l’ensemble des coïndivisaires.
En revanche, des dépenses qui répondent uniquement aux besoins individuels de l’indivisaire ayant pris l’initiative, sans apporter de bénéfice commun, ne peuvent être indemnisées.
==>Exclusion des dépenses somptuaires
Les impenses somptuaires, également appelées impenses voluptuaires, sont des dépenses qui n’ont pas pour objet de conserver le bien ou d’en améliorer de manière utile la valeur ou l’état, mais qui relèvent plutôt du superflu ou du luxe.
En vertu de l’article 815-13 du Code civil, ces dépenses somptuaires ne peuvent donner lieu à indemnisation, car elles ne répondent pas à un intérêt commun des indivisaires ni à une augmentation de la valeur objective du bien.
Voici quelques exemples typiques d’impenses somptuaires que la jurisprudence et la doctrine excluent de toute indemnisation :
- Dépenses purement esthétiques ou de luxe
- Des améliorations qui visent principalement à embellir le bien de manière extravagante, sans augmenter sa valeur réelle, sont classées dans cette catégorie.
- Par exemple :
- Installation de matériaux coûteux mais non nécessaires, tels qu’un sol en marbre ou des équipements de cuisine de luxe (Cass. 1ère civ., 18 févr. 1986, n°84-16.652).
- Ajout de décors ou d’éléments d’architecture sophistiqués, tels qu’une fontaine dans le jardin, des dorures aux murs, ou l’ajout de sculptures coûteuses à l’intérieur ou à l’extérieur d’un bâtiment, sans utilité pratique pour le bien ou son usage courant.
- Ajout d’éléments qui ne répondent qu’à des préférences personnelles
- Certaines dépenses réalisées pour satisfaire les goûts personnels d’un indivisaire, qui ne bénéficient pas réellement à la totalité des indivisaires, sont également exclues.
- Par exemple :
- Ajout d’une piscine ou d’un sauna dans une maison indivise, si cet ajout est jugé comme un luxe non nécessaire pour améliorer la valeur objective du bien, surtout si la maison n’est pas située dans une région où ces installations sont couramment valorisées.
- Construction d’une véranda ou d’une serre pour un usage personnel, alors que cet ajout n’améliore pas la fonctionnalité ni la valeur marchande globale du bien.
- Travaux exagérés et disproportionnés par rapport au bien
- Même si certaines améliorations pourraient avoir une utilité dans certaines circonstances, elles peuvent être considérées comme des impenses somptuaires si elles sont disproportionnées par rapport à la nature ou à la destination du bien.
- Par exemple :
- Installation d’un système de sécurité sophistiqué ou d’un home cinéma dans une petite résidence modeste, lorsque cela ne correspond pas à la valeur globale du bien ou à ses usages probables (Cass. 1ère civ., 13 déc. 1994, n°92-20.780).
- Ajouts ne contribuant pas à l’intérêt collectif des indivisaires
- Les travaux qui ne bénéficient qu’à un seul indivisaire ou qui sont conçus uniquement pour son usage personnel ne peuvent être pris en compte au titre des impenses.
- Par exemple :
- Aménagement d’un bureau privé pour l’indivisaire occupant le bien, dans le cadre de son activité professionnelle, alors que ce bureau ne présente pas d’utilité pour les autres coindivisaires ou pour l’usage général du bien.
- Dépenses non proportionnées à la revalorisation du bien
- Enfin, une dépense peut être considérée comme somptuaire si elle est trop importante par rapport à la plus-value qu’elle procure au bien. C’est le cas des dépenses qui n’apportent qu’une revalorisation minime ou nulle en comparaison de leur coût.
- Par exemple :
- Rénovation complète de pièces secondaires peu utilisées, telles que des caves ou des dépendances, sans que cela n’augmente substantiellement la valeur du bien lors du partage ou de la vente.
==>Dépenses dans un intérêt purement personnel
Au-delà des dépenses somptuaires, l’article 815-13 du Code civil exclut également les dépenses engagées dans un intérêt purement personnel.
La règle est claire : les dépenses effectuées par un indivisaire dans l’unique but de satisfaire ses besoins ou désirs individuels ne sont pas susceptibles de donner lieu à une indemnité.
Ce critère vise à empêcher qu’un indivisaire puisse faire supporter à l’ensemble de l’indivision des frais qui ne profitent qu’à lui seul.
La Cour de cassation a ainsi confirmé que les dépenses réalisées par un indivisaire dans son propre intérêt, même si elles apportent une amélioration au bien, ne peuvent ouvrir droit à indemnité que dans la mesure où elles bénéficient objectivement à l’ensemble des indivisaires (Cass. 1ère civ., 18 déc. 1990, n°89-11.433).
L’exemple classique concerne un indivisaire qui occupe privativement un bien indivis et engage des frais d’aménagement pour améliorer son confort personnel, tels que la décoration d’intérieur ou l’installation d’équipements spécifiquement adaptés à ses besoins. Ces dépenses ne répondent pas à l’intérêt commun de l’indivision et ne justifient donc aucune compensation.
==>La notion d’intérêt commun
L’évaluation de l’intérêt commun repose sur une analyse objective de l’utilité des dépenses pour la préservation ou l’amélioration du bien indivis.
Il appartient aux juges de vérifier si les dépenses réalisées ont véritablement contribué à la conservation ou à l’amélioration du bien et si elles profitent à l’ensemble des coïndivisaires. L’indemnisation repose donc sur le fait que la dépense sert le bien commun, et non pas un intérêt individuel.
Par ailleurs, la question de savoir si une dépense est faite dans l’intérêt commun ou dans un intérêt personnel est souvent laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond, comme l’a rappelé la jurisprudence.
Le juge peut examiner les circonstances spécifiques entourant les dépenses, leur utilité réelle et leur proportionnalité par rapport aux besoins du bien indivis.
vi. Montant des dépenses
Enfin, pour qu’une indemnité soit allouée, les dépenses doivent être significatives. Ce principe repose sur l’application de l’adage latin « de minimis non curat praetor », qui signifie que la loi ne s’occupe pas des choses insignifiantes.
==>L’exclusion des dépenses infimes
La jurisprudence a clairement affirmé qu’une indemnisation ne pouvait pas être réclamée pour des dépenses d’un montant insignifiant ou dérisoire.
Dans un arrêt rendu le 24 juin 1986, la Cour de cassation a fermement rappelé en ce sens que les dépenses minimes ne sont pas susceptibles de donner lieu à une indemnité au titre de l’article 815-13 du Code civil (Cass. 1ère civ., 24 juin 1986, n°84-15.215).
Ainsi, les dépenses qui ne présentent pas un caractère substantiel ou qui ne génèrent pas une augmentation notable de la valeur ou de la conservation du bien sont exclues.
Par exemple, des travaux mineurs comme des réparations superficielles ou l’achat d’objets décoratifs sans importance ne sauraient donner lieu à indemnisation. Il est primordial que les impenses aient une utilité réelle et un impact sur la préservation ou l’amélioration du bien pour l’ensemble de l’indivision.
==>Critère de proportionnalité
Le principe de l’exclusion des dépenses infimes s’inscrit dans une logique de proportionnalité.
Le montant des dépenses réclamées doit être proportionné à l’amélioration ou à la conservation apportée au bien indivis.
Une simple dépense cosmétique ou une petite réparation de routine ne saurait constituer une impense utile ou nécessaire au sens de l’article 815-13 du Code civil.
Il est important que la dépense soit d’une ampleur suffisante pour justifier une indemnisation et qu’elle ait contribué de manière significative à l’entretien ou à l’augmentation de la valeur du bien.
==>L’appréciation du juge
Il appartient aux juges d’évaluer le caractère significatif des dépenses au cas par cas. Les juges examineront donc la nature et le montant des dépenses, ainsi que leur impact sur la préservation ou la valorisation du bien indivis, pour déterminer si elles justifient une indemnité.
La jurisprudence a ainsi confirmé que, même si les dépenses ont pu être effectivement réalisées, leur montant doit être suffisamment élevé pour justifier une compensation dans le cadre de l’indivision.
Ce critère de significativité permet d’établir une ligne de démarcation entre les impenses éligibles à une indemnisation et les demandes qui pourraient être jugées abusives ou disproportionnées par rapport à l’impact réel sur le bien indivis.
c. Modalités d’évaluation de l’indemnité due au titre de la dépense d’amélioration
L’évaluation de l’indemnité due à l’indivisaire pour les dépenses d’amélioration réalisées sur un bien indivis est encadrée par l’article 815-13, alinéa 1er, du Code civil.
Ce texte instaure un régime particulier, reposant sur l’idée que l’indemnité ne doit pas être calculée en fonction du coût des travaux effectués, mais en fonction de la plus-value apportée au bien au moment du partage ou de l’aliénation.
i. L’évaluation de l’indemnité au regard du profit subsistant
Selon l’article 815-13, alinéa 1er, le montant de l’indemnité est déterminé par le profit subsistant au moment du partage ou de la vente du bien indivis.
L’indemnité due à l’indivisaire ne correspond donc pas aux dépenses réelles engagées, mais à la plus-value résiduelle qu’une dépense a apportée au bien indivis.
Autrement dit, ce mécanisme repose non pas sur le montant déboursé par l’indivisaire pour effectuer des travaux, mais sur la valeur ajoutée qu’a générée cette dépense lors du partage ou de la vente du bien.
Ainsi, une dépense qui, bien qu’importante, n’a pas entraîné de plus-value notable ne donnera droit qu’à une indemnisation limitée, voire inexistante.
Prenons l’exemple d’une maison indivise qui valait 300 000 € avant la réalisation de travaux d’amélioration.
Un des indivisaires a investi 50 000 € pour rénover la toiture et moderniser le système de chauffage.
Au moment du partage, cette maison est estimée à 380 000 €, prenant en compte une plus-value résultant de l’amélioration de 40 000 €.
Dans cette situation, bien que l’indivisaire ait engagé 50 000 €, l’indemnité à laquelle il a droit sera calculée sur la base de la plus-value subsistante, c’est-à-dire 40 000 €.
Il ne pourra donc pas réclamer le remboursement total de son investissement, car la règle de l’article 815-13 ne repose pas sur le coût des travaux, mais sur l’enrichissement réel du bien au jour du partage.
Ce mode d’évaluation repose sur le principe de la dette de valeur, selon lequel la dette évolue avec la valeur du bien auquel elle est attachée. La somme due à l’indivisaire est donc calculée au jour du partage, en tenant compte de l’appréciation ou de la dépréciation du bien indivis.
En ce sens, l’indemnité doit refléter la plus-value réelle que les dépenses ont apportée au bien à ce moment précis, et non leur coût initial.
Dans un arrêt du 23 mars 1994, la Cour de cassation a confirmé cette approche en jugeant au visa de l’article 815-13, al. 1er du Code civil « qu’il résulte de ce texte que lorsqu’un indivisaire a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l’équité et eu égard, dans le cas où le bien a été vendu, à ce dont sa valeur s’est trouvée augmentée au jour de l’aliénation » (Cass. 1ère civ., 23 mars 1994, n°92-14.703).
Ce système permet de tenir compte des fluctuations du marché immobilier ou de l’usure des travaux, et garantit que l’indivisaire ne soit indemnisé qu’à hauteur du gain réel pour l’indivision, tout en préservant l’équité entre les coïndivisaires.
ii. Le rôle modérateur de l’équité
Les règles relatives à l’évaluation des indemnités pour les dépenses d’amélioration s’inscrivent dans le cadre général des dettes de valeur, que l’on retrouve également en matière de récompenses (C. civ., art. 1469) ou de rapport (C. civ., art. 861).
Cependant, la spécificité de l’indemnisation des impenses d’amélioration réside dans l’introduction d’un facteur d’équité par la loi du 31 décembre 1976.
Contrairement à d’autres domaines où l’indemnité doit refléter exactement la valeur de l’amélioration apportée, ici, le juge est doté d’un pouvoir modérateur qui lui permet de s’écarter d’une application strictement mécanique de la règle pour prendre en compte les particularités de chaque cas.
L’équité, véritable clé de voûte de l’évaluation des indemnités au titre des dépenses d’amélioration d’un bien indivis, s’impose comme un principe cardinal de l’article 815-13, alinéa 1er du Code civil, orientant le juge dans la recherche d’une juste compensation ajustée aux spécificités de chaque situation.
Ce principe confère au juge un pouvoir modérateur dans l’évaluation de l’indemnité, permettant d’éviter une application mécanique et rigide des règles relatives à la plus-value subsistante, afin de garantir un résultat juste et adapté aux circonstances particulières de chaque affaire.
Contrairement à d’autres régimes de créances où la compensation est strictement calculée en fonction des dépenses engagées, l’article 815-13 introduit une évaluation fondée sur l’équité.
Cela signifie que l’indemnité due à l’indivisaire ne doit pas nécessairement refléter l’intégralité des coûts engagés, mais doit correspondre à la plus-value réelle apportée au bien, ajustée selon l’appréciation des besoins de l’indivision.
En effet, ce critère d’équité permet au juge de prendre en compte des facteurs contextuels tels que l’utilité réelle des travaux pour l’ensemble des indivisaires ou leur caractère disproportionné par rapport à l’objectif poursuivi.
L’introduction d’un facteur d’équité vise ainsi à éviter que des dépenses somptuaires, inutiles ou manifestement excessives ne bénéficient d’une indemnisation disproportionnée.
Le juge peut donc, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, modérer ou même refuser l’indemnité si les travaux effectués n’ont pas véritablement servi les intérêts communs de l’indivision.
Comme souligné par la doctrine, l’équité agit comme un correctif qui permet d’atténuer la rigueur des règles applicables aux dettes de valeur, et de tenir compte des circonstances propres à chaque situation.
Ce pouvoir modérateur, confié au juge, se traduit notamment par la nécessité de déterminer si les dépenses ont réellement conduit à une augmentation de la valeur du bien.
En d’autres termes, il ne suffit pas de produire des factures pour justifier d’une indemnité : il appartient au juge d’évaluer si les dépenses ont effectivement apporté une plus-value tangible au bien indivis et, le cas échéant, d’ajuster l’indemnité en fonction de l’équité et des intérêts communs des coïndivisaires (Cass. 1ère civ. 26 juin 2019, n°18-17.038).
En somme, l’équité permet de maintenir un équilibre juste entre les intérêts de l’indivisaire qui a engagé les dépenses et ceux des autres coïndivisaires, en s’assurant que seule la plus-value réelle, mesurée à l’aune des besoins et de l’utilité pour l’ensemble de l’indivision, soit prise en compte dans le calcul de l’indemnité.
iii. La charge de la preuve de la plus-value
L’indivisaire qui sollicite une indemnité pour les dépenses d’amélioration réalisées sur un bien indivis se heurte à une exigence essentielle : la preuve de la plus-value.
En effet, il ne suffit pas de présenter les factures des travaux effectués pour établir un droit à indemnisation.
Selon l’article 815-13 du Code civil, l’indemnité ne se calcule pas en fonction des dépenses engagées, mais bien selon l’augmentation effective de la valeur du bien au moment du partage ou de la vente.
Dès lors, la charge de la preuve repose sur l’indivisaire demandeur, qui doit démontrer que les travaux ont effectivement contribué à accroître la valeur du bien indivis.
La simple production de factures, attestant uniquement de la réalité des dépenses engagées, ne saurait suffire à établir ce lien.
La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé, dans un arrêt du 26 juin 2019, que les juges du fond doivent aller au-delà du simple examen des montants dépensés et vérifier si les travaux ont effectivement apporté une plus-value au bien indivis.
Dans cette affaire, la Haute juridiction a censuré une décision qui avait fixé l’indemnité uniquement sur la base des dépenses réalisées, sans procéder à cette vérification cruciale (Cass. 1re civ., 26 juin 2019, n°18-17.038). Ce rappel met en lumière la distinction nécessaire entre la dépense en tant que telle et la valeur ajoutée qu’elle peut générer.
En conséquence, l’indivisaire doit non seulement prouver qu’il a financé des améliorations à ses frais, mais aussi que celles-ci ont réellement profité à l’indivision en augmentant la valeur du bien.
Ce système préserve ainsi l’équilibre entre les droits de l’indivisaire ayant engagé des dépenses et les intérêts des coïndivisaires, en s’assurant que l’indemnité ne dépasse pas la plus-value réelle générée par les travaux.
d. Le moment du paiement de l’indemnité
Le paiement de l’indemnité due au titre des dépenses d’amélioration d’un bien indivis a longtemps été entouré d’incertitudes.
Initialement, la jurisprudence considérait que le règlement de cette créance ne pouvait intervenir qu’au moment de la liquidation de l’indivision, c’est-à-dire lors du partage.
Cette approche se fondait sur la référence explicite de l’article 815-13, alinéa 1er du Code civil, à l’« évaluation au temps du partage ou de l’aliénation », impliquant que le remboursement ne puisse être exigé avant cette échéance (Cass. 1ère civ., 27 oct. 1993, n°91-13.946).
Cette solution visait à éviter que l’un des indivisaires ne prenne des initiatives coûteuses sans l’accord des autres, et à préserver ainsi un équilibre dans la gestion de l’indivision.
Cependant, un revirement est intervenu avec l’arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2001.
La Haute juridiction a reconnu que l’indivisaire créancier, qu’il s’agisse de dépenses de conservation ou d’amélioration, n’était pas tenu d’attendre la clôture des opérations de partage pour obtenir le paiement de l’indemnité qui lui était due.
Il pouvait, en effet, solliciter un remboursement immédiat et, au besoin, poursuivre la saisie des biens indivis afin de recouvrer sa créance (Cass. 1ère civ., 20 févr. 2001, n°98-13.006).
Cette évolution jurisprudentielle s’est étendue au-delà des seules dépenses de conservation.
En 2021, la Cour de cassation a confirmé que l’indemnité pouvait être réclamée au fur et à mesure que les dépenses étaient engagées, sans qu’il soit nécessaire d’attendre le partage judiciaire ou la vente du bien indivis (Cass. 1ère civ., 14 avr. 2021, n°19-21.313).
Ainsi, dès qu’un indivisaire a justifié d’une créance liée à la conservation ou à l’amélioration du bien, cette créance devient exigible, permettant ainsi d’éviter les délais liés aux opérations de partage qui peuvent être particulièrement longs.
En définitive, cette évolution marque un tournant dans la gestion des créances d’indivision, en permettant un remboursement immédiat des sommes avancées pour la conservation ou l’amélioration des biens indivis, tout en garantissant la sécurité juridique des indivisaires.
Cela évite également que des créances ne soient indûment retardées, notamment dans les situations où le partage est repoussé.
Cette approche pragmatique, tout en facilitant la gestion des indivisions, concilie les impératifs d’une juste indemnisation des dépenses engagées avec la préservation de l’intérêt collectif de l’indivision.
2. Les dépenses de conservation du bien indivis
Les règles qui encadrent l’indemnisation des impenses de conservation dans le cadre d’une indivision sont définies principalement par l’article 815-13 du Code civil.
Ces impenses nécessaires, par opposition aux impenses utiles ou somptuaires, concernent les dépenses réalisées pour préserver le bien indivis de toute dégradation matérielle.
Elles sont strictement liées à la conservation du bien et ne visent pas à améliorer celui-ci.
a. Le domaine des impenses nécessaires
Les impenses nécessaires regroupent les dépenses effectuées par un indivisaire avec ses deniers personnels pour éviter la dégradation ou la perte du bien indivis.
Ces dépenses visent à maintenir la valeur du bien, sans pour autant l’améliorer. Aussi, se distinguent-t-elles des dépenses d’amélioration, qui visent à augmenter la valeur du bien, ainsi que des dépenses d’entretien courant, qui ne permettent pas d’obtenir une indemnité.
a.1. Les dépenses de conservation
Les dépenses de conservation visent donc à maintenir la substance et l’intégrité du bien indivis, évitant ainsi sa dégradation.
Leur caractère strictement conservatoire repose sur la nécessité de préserver le bien et de le protéger contre toute atteinte qui pourrait affecter son existence ou son état.
A cet égard, on dénombre plusieurs variétés de dépenses de conservation.
i. Les dépenses de réparation
Les dépenses de réparation concernent des travaux destinés à maintenir la substance et la valeur du bien indivis.
Il s’agit de dépenses qui sont nécessaires pour prévenir la ruine, la dégradation, ou tout simplement pour assurer que le bien indivis continue de remplir son usage initial.
==>Les réparations nécessaires à la conservation du bien
Les réparations conservatoires sont celles qui visent à prévenir la détérioration physique du bien, souvent dictées par l’urgence de la situation. Elles incluent, par exemple :
- La réparation d’une toiture endommagée : un toit dégradé expose le bien à des infiltrations d’eau pouvant entraîner des dommages importants à la structure du bâtiment, risquant de compromettre la sécurité et l’intégrité du bien.
- La réfection des fondations : lorsque les fondations sont fragilisées, leur réparation devient indispensable pour éviter l’effondrement de la structure entière. De telles réparations sont considérées comme des dépenses strictement nécessaires à la préservation du bien.
Ces réparations visent à garantir que le bien reste en bon état de fonctionnement et à prévenir des dommages plus graves, qui pourraient affecter non seulement la valeur économique du bien, mais aussi l’intérêt des indivisaires dans leur ensemble.
A cet égard, il peut être observé que, si le Code civil ne dit pas ce que l’on entendre par travaux de conservation, il distingue néanmoins les grosses réparations des réparations d’entretien.
En application de l’article 606, les grosses réparations concernent des travaux majeurs réalisés sur un immeuble (murs de soutènement, voûtes, réfection totale de la toiture), tandis que les réparations d’entretien se limitent à des interventions plus mineures, mais tout aussi essentielles à la conservation du bien, comme la révision régulière de la toiture ou la réparation des installations de chauffage.
Bien que cette distinction soit essentiellement mise en oeuvre dans le cadre du rapport d’obligation qui lie un bailleur à son locataire, elle peut parfaitement être transposée dans le contexte de l’indivision aux fins d’identifier la nature des réparations à effectuer.
La jurisprudence s’appuie d’ailleurs sur cette distinction pour clarifier la répartition des charges entre les indivisaires et définir le caractère nécessaire ou non d’une dépense.
==>Les frais d’entretien courant
Au nombre des dépenses de réparation, on compte également les frais d’entretien courant lorsqu’ils sont indispensables à la préservation du bien.
Il s’agit, par exemple, du nettoyage régulier des gouttières, de la révision des systèmes d’évacuation d’eau, ou encore de la vérification des systèmes de chauffage et d’électricité. L’objectif est de maintenir le bien en état d’usage sans qu’il se détériore avec le temps.
Toutefois, il convient de distinguer les frais d’entretien strictement nécessaires, qui doivent être partagés entre les indivisaires, et les dépenses d’amélioration, qui sont le fruit d’une volonté d’augmenter la valeur du bien ou de le moderniser, et qui ne sont donc pas considérées comme des dépenses de conservation.
==>Les critères d’appréciation par la jurisprudence
Il peut être observé que la jurisprudence a largement contribué à préciser ce que sont les réparations nécessaires à la conservation du bien indivis.
Les tribunaux ont tendance à retenir comme dépenses de réparation conservatoire celles qui permettent de maintenir le bien en état ou d’éviter sa destruction.
Par exemple, dans un arrêt de rendu le 29 mai 2013, la Cour de cassation a reconnu qu’une réparation effectuée pour préserver l’intégrité d’un bien immobilier indivis devait être considérée comme une dépense de conservation, répartie entre les indivisaires proportionnellement à leurs droits (Cass. 1ère civ., 29 mai 2013, n° 12-13.638).
A cet égard, les juges apprécient ces réparations au cas par cas, en tenant compte de la nécessité et de l’urgence des travaux, ainsi que des conséquences qu’une absence de réparation pourrait entraîner. Le critère central repose sur la notion d’utilité commune : les réparations doivent bénéficier à l’ensemble des indivisaires, et non seulement à l’un d’entre eux.
ii. Les impôts locaux et les charges de copropriété
Les impôts locaux et les charges de copropriété, sont considérés comme des dépenses de conservation dans la mesure où leur paiement est nécessaire pour préserver les droits de propriété et garantir la jouissance continue du bien.
==>La taxe foncière
Les impôts locaux, et plus particulièrement la taxe foncière, sont des contributions annuelles dues par tout propriétaire d’un bien immobilier.
En matière d’indivision, la jurisprudence a confirmé que ces charges devaient être réparties entre les indivisaires proportionnellement à leurs parts dans l’indivision, conformément à l’article 815-13 du Code civil, qui énonce que les dépenses de conservation sont supportées par tous les indivisaires.
Dans un arrêt du 16 avril 2008, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la taxe foncière, en tant qu’impôt local, constituait une dépense nécessaire à la préservation du bien, et devait donc être répartie entre tous les indivisaires, même lorsque l’un d’eux occupe privativement le bien (Cass. 1ère civ. 16 avr. 2008, n°07-12.224).
La Première chambre civile a été guidée par l’idée selon laquelle la conservation de la propriété profite à l’ensemble des indivisaires, indépendamment de la jouissance privative que pourrait avoir l’un d’eux.
==>La taxe d’habitation
Concernant la taxe d’habitation, les règles de répartition sont plus nuancées. Cette taxe, avant sa suppression progressive depuis 2021 pour les résidences principales, était due par le résident occupant le logement au 1er janvier de l’année d’imposition.
La particularité en matière d’indivision réside dans le fait que si un indivisaire occupe seul le bien indivis à titre de résidence principale, c’est à lui que revient le paiement de la taxe d’habitation. Toutefois, il est possible que les indivisaires conviennent d’une répartition différente par voie d’accord.
Dans un arrêt du 5 décembre 2018, la Cour de cassation a précisé que la taxe d’habitation devait peser exclusivement sur l’indivisaire occupant le bien à titre privatif, à moins qu’un accord entre les indivisaires n’en dispose autrement (Cass. 3e civ., 5 déc. 2018, n° 17-31.189).
La solution retenue ici se fonde sur l’idée selon laquelle cette taxe est liée à la jouissance du bien, et non à sa propriété, contrairement à la taxe foncière.
==>Les charges de copropriété
Lorsque le bien indivis est situé dans un immeuble soumis au régime de la copropriété, les charges de copropriété s’ajoutent aux frais supportés par les indivisaires.
Ces charges, régies par la loi du 10 juillet 1965 sur la copropriété des immeubles bâtis, couvrent diverses dépenses, notamment celles liées à l’entretien et à la conservation des parties communes, à la gestion de l’immeuble, et à d’éventuels travaux d’amélioration ou de réparation.
A cet égard, les charges de copropriété se divisent en deux catégories principales :
- Les charges générales : elles concernent l’entretien courant et la conservation des parties communes (ex. : nettoyage, électricité, ascenseur, entretien des espaces verts, etc.). Ces charges doivent être réparties entre les indivisaires en fonction de leurs droits dans l’indivision, proportionnellement à la quote-part qui leur est attribuée dans le règlement de copropriété.
- Les charges spéciales : elles correspondent aux dépenses relatives aux services collectifs (comme le chauffage collectif ou l’ascenseur). Ces charges peuvent également être réparties entre les indivisaires selon leurs droits, sauf accord particulier.
Le paiement des charges de copropriété a une incidence directe sur la conservation du bien, car leur non-paiement peut conduire à des actions judiciaires de la part du syndic de copropriété, voire à une saisie des parts indivises pour régler les dettes. Il est donc impératif que tous les indivisaires participent au règlement de ces charges.
iii. Le remboursement d’un emprunt contracté pour l’acquisition du bien
Le remboursement d’un emprunt contracté pour l’acquisition d’un bien indivis peut, dans certains cas, être qualifié de dépense de conservation.
Cela concerne notamment les situations où l’emprunt est directement lié à la sauvegarde du bien, c’est-à-dire lorsqu’il permet d’éviter la perte de ce bien à travers une saisie ou une vente forcée.
Pour rappel, les dépenses de conservation sont généralement entendues comme celles qui visent à préserver la substance et la valeur du bien, et donc à éviter qu’il ne subisse une dégradation ou qu’il soit perdu, par exemple par une saisie.
Dans l’arrêt du 29 mai 2013, la Cour de cassation a pourtant estimé que le remboursement d’un emprunt contracté pour l’acquisition du bien indivis pouvait être considéré comme une dépense de conservation (Cass. 1ère civ. 29 mai 2013, n°12-13.638).
À première vue, le remboursement d’un emprunt semble être une dépense d’acquisition, car l’emprunt lui-même a été contracté pour financer l’achat du bien.
Cependant, lorsque le bien est en indivision et que le remboursement de cet emprunt devient indispensable pour éviter une saisie, il peut être qualifié de dépense de conservation.
L’idée sous-jacente est que si l’emprunt n’est pas remboursé, le créancier pourrait saisir le bien, le vendre aux enchères, et ainsi dissoudre l’indivision d’où la solution retenue par la Cour de cassation.
Une fois la qualification de dépense de conservation du remboursement d’un emprunt, il s’en déduit que tous les indivisaires doivent participer à ce remboursement, proportionnellement à leurs parts dans l’indivision, conformément aux dispositions de l’article 815-13 précité.
Cette règle s’applique même si certains indivisaires n’ont pas directement contribué à la décision de contracter l’emprunt initial.
Néanmoins, il faut distinguer la situation où un seul indivisaire a contracté l’emprunt à titre individuel.
Dans ce cas, il pourrait être amené à rembourser seul, sauf accord entre les indivisaires pour partager le fardeau de la dette.
Toutefois, dès lors que le remboursement devient nécessaire pour protéger le bien indivis de la saisie, tous les indivisaires peuvent être sollicités pour y participer, car la conservation du bien profite à chacun d’eux.
Il peut être observé que l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 29 mai 2013 n’est pas isolé.
D’autres décisions jurisprudentielles sont venues conforter cette analyse, en reconnaissant que, même si le prêt était initialement contracté pour l’acquisition, son remboursement est parfois nécessaire pour assurer la continuité de l’indivision et protéger le bien contre une dégradation financière (par exemple, par la saisie du créancier).
Dans la pratique, cette situation peut se présenter lorsqu’un bien indivis est financé par un crédit immobilier, et qu’un des indivisaires fait défaut dans ses obligations de remboursement.
Le risque d’expropriation ou de vente forcée du bien étant présent, il est dans l’intérêt de tous les indivisaires de contribuer au remboursement de l’emprunt pour préserver le bien et éviter la dissolution forcée de l’indivision.
Un exemple concret pourrait être le cas d’un immeuble indivis financé par un prêt bancaire. Si les indivisaires ne s’acquittent pas des échéances, la banque pourrait entamer une procédure de saisie immobilière.
Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que le remboursement des mensualités du prêt peut être classé parmi les dépenses de conservation, car il vise à éviter la vente du bien et à maintenir l’indivision.
a.2. Les dépenses non indemnisables
Dans le cadre de l’indivision, certaines dépenses, bien que supportées par un indivisaire, ne peuvent pas être qualifiées de dépenses de conservation au sens de l’article 815-13 du Code civil et ne donnent donc pas droit à une indemnisation de la part des autres indivisaires.
La jurisprudence a clairement établi les catégories de dépenses qui, bien qu’elles puissent concerner le bien indivis, relèvent de l’usage privatif ou de l’amélioration du bien, et non de sa conservation.
==>Les dépenses d’entretien courant
Les dépenses d’entretien courant, telles que la consommation d’eau, l’électricité ou encore le chauffage collectif, ne sont pas considérées comme des dépenses de conservation.
Elles relèvent de l’usage privatif du bien et sont donc à la charge de l’indivisaire occupant le bien indivis. Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2007 (Cass. 1ère civ., 12 déc. 2007, n°06-11.877).
Dans cet arrêt, la Cour a jugé que les dépenses courantes qui découlent de l’utilisation individuelle du bien ne peuvent être considérées comme indispensables à la conservation du bien.
En conséquence, elles ne sont pas à partager entre les indivisaires, mais doivent être assumées par l’occupant, car elles résultent de son usage personnel et non d’une nécessité de préservation du bien.
Par exemple, si un indivisaire vit seul dans une maison indivise, il devra supporter seul les charges liées à l’eau, au gaz, ou encore à l’électricité.
==>Les travaux d’amélioration
Les travaux d’amélioration, qui visent à augmenter la valeur du bien indivis, ne constituent pas non plus des dépenses de conservation.
La distinction est importante : contrairement aux dépenses de conservation, qui ont pour objectif de préserver l’état et la substance du bien, les travaux d’amélioration sont destinés à apporter une plus-value ou à moderniser le bien.
Dans un arrêt du 15 mai 2008, la Cour de cassation a jugé que de tels travaux ne sont indemnisables qu’à hauteur de la plus-value qu’ils apportent au jour du partage ou de l’aliénation du bien (Cass. 1ère civ., 15 mai 2008, n°07-17.645).
Ainsi, un indivisaire qui réalise des travaux d’amélioration, tels que la modernisation de la cuisine ou l’installation d’un système de chauffage plus performant, ne pourra obtenir une compensation que si ces travaux augmentent la valeur du bien, et cette compensation sera limitée à la part de la plus-value réalisée.
Cette règle est d’importance, car elle introduit une certaine équité dans le traitement des dépenses en indivision.
En effet, un indivisaire ne peut pas imposer aux autres les frais résultant de travaux qu’il a entrepris seul, sauf à démontrer que ces travaux ont directement bénéficié à l’ensemble des indivisaires en augmentant la valeur de leur patrimoine commun.
==>Les dépenses d’acquisition
Les dépenses d’acquisition ne peuvent pas non plus être qualifiées de dépenses de conservation.
Elles comprennent notamment les frais liés à l’achat initial du bien indivis, tels que les frais notariés, les droits de mutation, ou encore les intérêts d’un prêt contracté pour financer cet achat.
Dans un arrêt du 26 mai 2021, la Cour de cassation a décidé que ces dépenses ne pouvaient pas donner lieu à une indemnisation entre les indivisaires, car ne répondant pas à la définition de dépenses nécessaires à la conservation du bien (Cass. 1ère civ., 26 mai 2001, n° 19-21.302).
En effet, les dépenses engagées pour l’acquisition du bien indivis relèvent d’une phase antérieure à la conservation du bien. Elles concernent l’acquisition de la propriété, et non le maintien du bien dans un état satisfaisant.
b. Les conditions d’indemnisation des dépenses de conservation
L’indivisaire qui a engagé des dépenses nécessaires à la conservation du bien indivis a droit à une indemnité, sous certaines conditions définies par la jurisprudence et par l’article 815-13 du Code civil.
Ces conditions visent à garantir une répartition équitable des charges entre les indivisaires tout en préservant le bien commun.
==>Nécessité des dépenses engagées
Pour qu’une indemnité soit accordée, les dépenses doivent être nécessaires à la conservation du bien, c’est-à-dire qu’elles doivent avoir pour objet de maintenir le bien en bon état ou d’éviter sa dégradation.
Ce critère s’inscrit dans l’objectif de préserver la substance du bien indivis et de garantir que sa valeur ne soit pas compromise par des dommages irréversibles.
La jurisprudence rappelle régulièrement que ces dépenses peuvent consister en l’exposition de frais de réparation, au paiement d’impôts locaux comme la taxe foncière, ou encore le règlement des charges de copropriété.
Cependant, toutes les dépenses ne sont pas automatiquement considérées comme nécessaires.
Par exemple, des travaux purement esthétiques ou de confort n’entrent pas dans cette catégorie, même s’ils peuvent indirectement améliorer le bien.
==>Engagement des dépenses par l’indivisaire sur ses deniers personnels
L’indemnisation n’est possible que si les dépenses ont été effectuées par l’indivisaire lui-même et non par un tiers.
Cela signifie que l’indivisaire doit avoir avancé les fonds nécessaires à partir de ses propres ressources.
Dans un arrêt du 28 mars 2018 la Cour de cassation a précisé que les dépenses engagées par un tiers, comme une compagnie d’assurance, ne pouvait donner lieu à une indemnisation pour l’indivisaire, même si ces dépenses concernent la conservation du bien (Cass. 1ère civ., 28 mars 2018, n°17-18.127).
==>Sort des dépenses engagées sans l’accord des autres indivisaires
La gestion d’un bien indivis implique souvent la nécessité de prendre des décisions collectives.
Toutefois, il arrive qu’un indivisaire prenne l’initiative d’engager des dépenses de conservation sans consulter ou obtenir l’accord des autres indivisaires.
En principe, la règle est que tout acte important relatif à la gestion d’un bien indivis doit faire l’objet d’une décision commune des indivisaires, conformément à l’article 815-3 du Code civil.
Cette disposition précise que la gestion des biens indivis, notamment les actes de disposition, nécessite le consentement de tous les indivisaires. En l’absence de cet accord, l’indivisaire qui agit seul engage sa propre responsabilité. Cependant, une distinction s’impose selon la nature des dépenses.
Par exception, lorsqu’il s’agit de dépenses de conservation urgentes, l’indivisaire peut, en l’absence d’accord, engager des frais unilatéralement.
Ces dépenses, qui visent à préserver le bien ou à éviter un péril imminent (exemple : réparer une fuite d’eau menaçant la structure d’un immeuble), sont considérées comme indispensables à la sauvegarde de l’intérêt commun des indivisaires.
En vertu de l’article 815-2 du Code civil, chaque indivisaire a le droit de prendre seul les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis.
A cet égard, la Cour de cassation a reconnu à plusieurs reprises le droit à indemnisation pour des dépenses de conservation engagées unilatéralement, tant que ces dépenses visaient à protéger la substance du bien et que leur nécessité pouvait être démontrée (Cass. 1ère civ., 12 nov. 1998, n°96-18.642).
Aussi, l’indivisaire qui engage des dépenses de conservation sans l’accord préalable des autres indivisaires est, par principe, toujours en droit de réclamer une indemnisation, à condition que les dépenses exposées soient effectivement nécessaires.
Celui-ci devra dès lors justifier du caractère nécessaire et proportionné des frais engagés.
Si tel est le cas, l’indemnisation sera due au moment du partage ou de la vente du bien, et elle sera calculée au prorata des parts indivises.
Cependant, si les dépenses engagées sans accord n’étaient pas strictement nécessaires ou n’avaient pas un caractère urgent, l’indivisaire peut être privé de son droit à indemnisation, voire être tenu de réparer le préjudice causé aux autres indivisaires.
==>Le montant des dépenses
Enfin, pour qu’une indemnité soit allouée, les dépenses doivent être significatives. Ce principe repose sur l’application de l’adage latin « de minimis non curat praetor », qui signifie que la loi ne s’occupe pas des choses insignifiantes.
La jurisprudence a clairement affirmé qu’une indemnisation ne pouvait pas être réclamée pour des dépenses d’un montant insignifiant ou dérisoire.
Dans un arrêt rendu le 24 juin 1986, la Cour de cassation a fermement rappelé en ce sens que les dépenses minimes ne sont pas susceptibles de donner lieu à une indemnité au titre de l’article 815-13 du Code civil (Cass. 1ère civ., 24 juin 1986, n°84-15.215).
Ainsi, les dépenses qui ne présentent pas un caractère substantiel ou qui ne génèrent pas une augmentation notable de la valeur ou de la conservation du bien sont exclues.
Par exemple, des travaux mineurs comme des réparations superficielles ou l’achat d’objets décoratifs sans importance ne sauraient donner lieu à indemnisation. Il est primordial que les impenses aient une utilité réelle et un impact sur la préservation ou l’amélioration du bien pour l’ensemble de l’indivision.
Le principe de l’exclusion des dépenses infimes s’inscrit dans une logique de proportionnalité.
Le montant des dépenses réclamées doit être proportionné à l’amélioration ou à la conservation apportée au bien indivis.
Une simple dépense cosmétique ou une petite réparation de routine ne saurait constituer une impense utile ou nécessaire au sens de l’article 815-13 du Code civil.
Il est important que la dépense soit d’une ampleur suffisante pour justifier une indemnisation et qu’elle ait contribué de manière significative à l’entretien ou à l’augmentation de la valeur du bien.
Il appartient aux juges d’évaluer le caractère significatif des dépenses au cas par cas. Les juges examineront donc la nature et le montant des dépenses, ainsi que leur impact sur la préservation ou la valorisation du bien indivis, pour déterminer si elles justifient une indemnité.
La jurisprudence a ainsi confirmé que, même si les dépenses ont pu être effectivement réalisées, leur montant doit être suffisamment élevé pour justifier une compensation dans le cadre de l’indivision.
Ce critère de significativité permet d’établir une ligne de démarcation entre les impenses éligibles à une indemnisation et les demandes qui pourraient être jugées abusives ou disproportionnées par rapport à l’impact réel sur le bien indivis.
c. Les modalités d’évaluation des dépenses de conservation
L’évaluation de l’indemnité due à un indivisaire pour les dépenses de conservation repose sur une distinction importante entre les dépenses qui ont généré une plus-value et celles qui ont seulement permis de maintenir le bien en l’état, sans augmentation de valeur.
Contrairement aux dépenses d’amélioration, les dépenses de conservation ont pour objectif principal la préservation du bien indivis, et leur évaluation ne suit donc pas les mêmes règles strictes de profit subsistant que celles appliquées aux dépenses d’amélioration.
i. La règle de l’indemnisation
En application de l’article 815-13 du Code civil, l’indemnité due à l’indivisaire au titre d’une dépense de conservation doit correspondre à la plus forte des deux sommes entre :
- D’une part, celle représentant la dépense effectivement faite
- D’autre part, le profit subsistant, s’il y en a un
Dans un arrêt du 4 mars 1986, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « pour le remboursement des impenses nécessaires, il doit être tenu compte, selon l’équité, à l’indivisaire de la plus forte des deux sommes que représentent respectivement la dépense qu’il a faite et le profit subsistant » (Cass. 1ère civ. 4 mars 1986, n°15-071).
Ainsi, si les dépenses de conservation ont permis d’accroître la valeur du bien indivis (ce qui est rare dans ce contexte), l’indemnité sera évaluée sur la base de la plus-value obtenue au moment du partage ou de l’aliénation.
Dans le cas contraire, l’indemnisation est calculée selon le montant réel des sommes déboursées pour conserver le bien.
Exemple :
Imaginons qu’un indivisaire ait déboursé 10 000 € pour la réparation de la toiture d’un immeuble indivis, afin de préserver l’intégrité du bien. Cette réparation est considérée comme une dépense de conservation.
Deux situations sont envisageables lors de l’évaluation de l’indemnité à laquelle cet indivisaire peut prétendre :
- Dépense réellement faite
- L’indivisaire a effectivement déboursé 10 000 € pour cette réparation.
- Si cette somme est supérieure à toute plus-value générée, l’indemnité sera basée sur ce montant.
- Profit subsistant (hypothèse d’une plus-value)
- Supposons que, grâce à cette réparation, la valeur de l’immeuble ait augmenté et qu’au moment du partage ou de l’aliénation, la plus-value réalisée grâce à la conservation du bien soit estimée à 15 000 €.
- Dans ce cas, l’indivisaire pourrait prétendre à une indemnité de 15 000 €, car la plus-value (profit subsistant) est supérieure à la dépense effectivement faite.
En revanche, si la réparation n’a pas généré de plus-value particulière, ou si cette dernière est inférieure au montant déboursé (par exemple, une plus-value de 8 000 €), l’indemnité serait alors calculée sur la base des 10 000 € effectivement déboursés, car cette somme est supérieure au profit subsistant.
ii. Rôle modérateur du juge
L’article 815-13 confère au juge le pouvoir de modérer l’indemnisation en fonction des circonstances particulières, et plus précisément en se laissant guider par le principe d’équité (Cass. 1re civ., 24 sept. 2014, n°13-18.197).
Cette disposition permet de corriger d’éventuels excès ou d’ajuster l’indemnité en cas de dépenses disproportionnées par rapport à l’utilité réelle pour l’indivision.
Cependant, l’exercice par le juge de ce pouvoir modérateur est plutôt rare en matière de dépenses de conservation, car ces dépenses sont, par définition, indispensables à la protection de l’intégrité physique ou juridique du bien.
Étant donné que les dépenses de conservation visent à éviter la dégradation du bien et à maintenir sa valeur initiale, elles sont généralement considérées comme nécessaires et proportionnées. Par conséquent, le juge modère rarement l’indemnisation de ces dépenses, car leur utilité pour l’indivision est évidente.
Le principe d’équité, bien qu’important, ne permet donc pas au juge de réduire systématiquement l’indemnité due à l’indivisaire pour des dépenses de conservation, sauf si des circonstances particulières le justifient.
Par exemple, si un indivisaire a engagé des dépenses de conservation excessives sans consultation ou accord préalable des autres indivisaires, le juge pourrait modérer l’indemnité pour éviter un déséquilibre entre les droits et obligations des parties.
Toutefois, dans la majorité des cas, les dépenses de conservation sont pleinement indemnisées, car elles sont jugées absolument nécessaires pour maintenir la valeur du bien indivis.
d. Le moment du paiement de l’indemnité
L’indemnité due à un indivisaire pour des dépenses effectuées dans le cadre de la conservation ou de l’amélioration d’un bien indivis peut être réclamée dès que la dépense a été engagée.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette indemnisation n’est pas subordonnée à l’événement du partage ou de la vente du bien indivis.
En effet, dès lors que la dépense a été effectuée, l’indivisaire concerné peut immédiatement demander l’indemnisation, ce qui permet de protéger ses intérêts financiers tout au long de l’indivision.
La Cour de cassation a statué en ce sens dans un arrêt du 20 février 2001 (Cass. 1ère civ., 20 févr. 2001, n°98-13.006),
Il est donc possible pour un indivisaire de réclamer l’indemnité dès le paiement effectif des sommes engagées. Cela permet d’éviter que l’indivisaire supporte seul le poids financier des dépenses nécessaires à la conservation du bien durant toute la période de l’indivision.
La Haute juridiction a confirmé sa position dans un arrêt du 14 avril 2021 aux termes duquel la Cour de cassation a rappelé que la créance résultant de dépenses de conservation est exigible dès le paiement de chaque dépense, et non seulement au moment du partage (Cass. 1ère civ., 14 avr. 2021, n°19-21.313).
Dans cette affaire, un indivisaire avait réclamé le remboursement d’échéances d’emprunt qu’il avait payées pour préserver un bien indivis. La Haute juridiction a décidé que cette créance pouvait être exigée immédiatement, l’indivisaire n’étant pas obligé d’attendre le règlement final de l’indivision pour obtenir compensation.
Il y a lieu toutefois d’observer que la créance d’indemnisation est soumise à un délai de prescription de cinq ans, comme le prévoit l’article 2224 du Code civil. Ce délai de prescription quinquennal commence à courir à compter du jour où chaque dépense a été payée, et non à partir du moment du partage ou de la vente du bien. Cela signifie que l’indivisaire doit être vigilant et ne pas laisser s’écouler plus de cinq ans après le paiement d’une dépense avant de demander le remboursement.
Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Cour de cassation a confirmé cette règle en précisant que le point de départ du délai de prescription pour réclamer l’indemnité correspond à la date à laquelle l’indivisaire a effectivement réglé la dépense (Cass. 1ère civ., 14 avr. 2021, n°19-21.313).
Le paiement de l’indemnité peut ainsi intervenir pendant toute la durée de l’indivision, et non seulement au moment du partage. Cette possibilité de demander une indemnisation en cours d’indivision se révèlera particulièrement utile lorsque les dépenses engagées sont importantes et nécessitent un rééquilibrage financier immédiat.
D) Le droit d’obtenir une avance en capital
L’avance en capital prévue par l’article 815-11, alinéa 4 du Code civil, constitue une innovation majeure de la loi du 31 décembre 1976.
Elle permet à un indivisaire de percevoir une somme d’argent par anticipation, avant le partage des biens indivis, tout en préservant la pérennité de l’indivision.
Cet instrument juridique offre une alternative souple à l’indivisaire en besoin immédiat de liquidités, sans qu’il soit contraint de demander le partage du bien ou de céder ses droits dans l’indivision.
1. Le principe de l’avance en capital
Le principe de l’avance en capital, tel que prévu par l’article 815-11, alinéa 4, du Code civil, constitue une innovation majeure de la loi du 31 décembre 1976.
En effet, avant cette réforme, l’indivisaire qui avait besoin de liquidités était souvent contraint de provoquer le partage des biens indivis ou de céder ses droits dans l’indivision, des solutions qui pouvaient être radicales et préjudiciables à la cohésion du groupe d’indivisaires.
L’avance en capital vient donc corriger cette rigidité, permettant à un indivisaire de percevoir une somme par anticipation, sans remettre en cause la pérennité de l’indivision.
En d’autres termes, l’indivisaire n’a plus besoin de choisir entre maintenir l’indivision tout en supportant des contraintes financières ou y mettre fin brutalement pour percevoir sa part. Désormais, grâce à l’avance en capital, il est possible de concilier le maintien de l’indivision avec les besoins de trésorerie d’un indivisaire.
L’avance en capital se distingue donc de la répartition annuelle des bénéfices (prévue par l’article 815-11, alinéa 1er, du Code civil), laquelle ne porte que sur les revenus générés par les biens indivis.
Cette répartition peut être insuffisante pour répondre aux besoins immédiats d’un indivisaire qui souhaite obtenir une somme plus substantielle.
C’est là qu’intervient l’avance en capital, laquelle repose sur une portion du capital indivis lui-même. L’indivisaire peut ainsi percevoir une somme qui correspond à une fraction de ses droits dans le partage définitif à venir.
Toutefois, il est important de souligner que, contrairement à la répartition des bénéfices, l’avance en capital n’est pas un droit de l’indivisaire : elle dépend de l’accord des coïndivisaires et, le cas échéant, de la décision du juge. Elle doit, par ailleurs, respecter un certain nombre de conditions dont celle tenant à la disponibilité des fonds.
Cette avance en capital, qui permet de répondre aux besoins d’un indivisaire sans provoquer la dissolution de l’indivision, est susceptible de présenter un grand intérêt dans des situations particulières.
Par exemple, elle peut permettre à un indivisaire de s’acquitter des droits fiscaux de mutation ou de faire face à des dépenses urgentes sans avoir à attendre le partage ou la vente des biens indivis.
Cela permet ainsi d’éviter les situations de blocage où un indivisaire serait contraint de demander le partage uniquement pour accéder à des liquidités nécessaires.
2. Les conditions d’obtention de l’avance en capital
Pour qu’un indivisaire puisse obtenir une avance sur capital, il doit réunir deux conditions cumulatives :
- L’existence de fonds disponibles
- L’avance doit être imputée sur la part de l’indivisaire
a. La disponibilité des fonds
En application de l’article 815-11, al. 4e du code civil, un indivisaire ne peut réclamer une avance sur capital qu’« à concurrence des fonds disponibles ».
Autrement dit, ces fonds doivent être présents au sein de l’indivision. Par fonds disponibles, il faut entendre une grande variété de ressources, allant des liquidités issues des fruits et revenus générés par les biens indivis, jusqu’aux sommes résultant de la vente de certains actifs indivis.
En d’autres termes, la disponibilité des fonds ne se limite pas uniquement à l’argent immédiatement accessible, mais comprend toutes les valeurs qui peuvent rapidement être mobilisées pour répondre aux besoins des indivisaires.
Les ressources disponibles peuvent provenir, par exemple, des loyers perçus par un indivisaire pour un bien indivis.
A cet égard, dans un arrêt du 24 mai 2018, la Cour de cassation a jugé que des loyers non redistribués par un indivisaire devaient être considérés comme des fonds disponibles pour l’indivision (Cass. 1ère civ. 24 mai 2018, n°17-17.846).
Cette solution jurisprudentielle vise à empêcher que certains coïndivisaires s’approprient des ressources communes sans juste compensation.
Aussi, lorsqu’un indivisaire perçoit des loyers pour le compte de l’indivision, mais retient ces fonds à son profit personnel, cela ne fait nullement obstacle à ce qu’un autre indivisaire obtienne une avance en capital à partir de ces sommes non partagées.
La jurisprudence a ainsi adopté une approche extensive de la notion de « fonds disponibles ».
Dans certains cas, une indivision peut sembler être dépourvue de fonds, non pas à cause d’une véritable absence de liquidités, mais en raison du comportement d’un ou plusieurs indivisaires qui retiennent indûment les ressources communes. Cela n’empêchera pas pour autant le juge de considérer ces ressources comme disponibles.
C’est ce qu’a jugé la Cour de cassation dans un arrêt du 20 juin 2006, où les héritiers qui avaient accaparé la totalité des biens indivis ont été contraints de verser une avance en capital à l’un des indivisaires lésés (Cass. 1ère civ. 20 juin 2006, n°05-14.281).
b. L’imputation sur la part de l’indivisaire
L’obtention d’une avance sur capital implique que les fonds prélevés s’imputent sur la part de l’indivisaire dans le partage à intervenir.
Cette règle, prévue par l’article 815-11, alinéa 4 du Code civil, garantit que l’avance perçue par l’indivisaire ne puisse en aucun cas excéder sa quote-part dans l’indivision.
Il s’agit, autrement dit, d’éviter tout déséquilibre au détriment des autres coïndivisaires, en empêchant que l’indivisaire bénéficiaire d’une avance ne reçoive une somme supérieure à ce qui lui reviendra au moment du partage définitif.
Le mécanisme de l’avance en capital repose sur l’idée que l’indivisaire peut accéder à une partie de sa future part de manière anticipée, mais cette anticipation doit nécessairement être proportionnelle à ses droits dans l’indivision.
Si cette condition n’est pas respectée, cela pourrait entraîner un préjudice pour les autres indivisaires, notamment si les actifs indivis voient leur valeur diminuer avant le partage ou si la quote-part de l’indivisaire demandeur est finalement inférieure à la somme avancée.
En pratique, lorsque le juge est saisi d’une demande d’avance en capital, il doit s’assurer que la somme demandée correspond à une part raisonnable des droits de l’indivisaire.
Cette vérification passe souvent par une évaluation préliminaire des droits de chaque indivisaire, réalisée sous la forme d’un aperçu liquidatif.
Toutefois, cette évaluation peut rester approximative, car le montant exact des parts respectives ne sera définitivement fixé qu’au moment du partage. Néanmoins, cette précaution permet de garantir que l’avance ne met pas en péril l’équilibre de l’indivision.
La Cour de cassation a confirmé cette approche dans un arrêt rendu le 5 février 1980. Dans cette décision, la Cour a précisé qu’une avance en capital ne pouvait être accordée sans une vérification préalable que l’indivisaire bénéficiaire disposait d’une part suffisante pour couvrir la somme demandée (Cass. 1ère civ. 5 févr. 1980)
3. La procédure d’obtention de l’avance en capital
a. L’accord amiable entre les indivisaires
La voie amiable est toujours, en première intention, l’option à privilégier pour un indivisaire qui sollicite une avance en capital.
Si l’ensemble des coïndivisaires consent à accorder une avance en capital à l’un d’entre eux, aucune intervention judiciaire n’est requise.
En effet, l’article 815-11, alinéa 4, du Code civil n’impose pas le recours au juge en cas d’accord entre les parties, ce qui permet aux indivisaires d’organiser librement la gestion des fonds indivis.
Le principe de l’accord amiable repose sur le fait que les indivisaires disposent de la maîtrise collective de l’indivision.
Ils peuvent ainsi convenir ensemble de la mise à disposition d’une partie des fonds disponibles à l’un d’entre eux, à titre d’avance en capital, sous réserve que cette avance n’excède pas les droits futurs du bénéficiaire dans le cadre du partage définitif.
Il s’agit là d’une mesure provisoire qui anticipe la répartition des biens au moment du partage tout en respectant les équilibres internes de l’indivision.
L’accord amiable permet également d’éviter les délais et les coûts associés à une procédure judiciaire. En effet, en l’absence de contestation, les indivisaires peuvent organiser rapidement et efficacement l’octroi de l’avance, sans être contraints de saisir le Président du Tribunal judiciaire.
En cas de désaccord entre les coïndivisaires, la voie amiable devient toutefois inopérante et l’indivisaire demandeur n’aura alors d’autre choix que d’emprunter la voie judiciaire, laquelle constitue la solution de dernier recours.
b. L’intervention du juge en cas de désaccord
Lorsqu’aucun accord n’est trouvé entre les indivisaires pour octroyer une avance en capital, l’un d’entre eux peut saisir le président du tribunal judiciaire, qui dispose alors d’un pouvoir discrétionnaire pour décider s’il convient ou non d’accorder cette avance.
==>Le pouvoir supplétif du juge
Lorsqu’un indivisaire sollicite une avance en capital, il n’est autorisé à saisir le juge qu’en cas de désaccord avec ses coindivisaires.
Bien que cette exigence ne soit pas clairement exprimée par les textes, elle s’infère des termes des alinéas 3e et 4 de l’article 815-11 du Code civilm qui prévoient que le juge peux « semblablement ordonner une avance en capital » (alinéa 4e) « en cas de contestation » (alinéa 3e).
Pour cette raison, il est admis que l’intervention du juge en matière d’avance en capital est subordonnée à l’absence d’accord entre les indivisaires.
L’indivisaire qui souhaite obtenir une avance en capital ne peut donc solliciter l’intervention du juge que si les coïndivisaires ne parviennent pas à un accord amiable.
==>Compétence exclusive du président du tribunal judiciaire
En matière d’avance en capital, le Président du tribunal judiciaire est investi d’une compétence exclusive pour statuer.
Dans un arrêt du 6 mai 1997, la Cour de cassation en a tiré la conséquence que le notaire liquidateur ne disposait pas de l’autorité nécessaire pour ordonner une telle avance en l’absence d’accord unanime des indivisaires (Cass. 1re civ., 6 mai 1997, n°94-18.304).
A cet égard, dans un avis rendu le 18 décembre 2020, la Haute juridiction a précisé que, dans le cadre des successions complexes, le juge commis à la surveillance des opérations de partage peut également statuer sur une demande d’avance en capital (Cass. 1re civ., 18 déc. 2020, n°20-70.004).
Cet avis se fonde sur l’article 1371, alinéa 3, du Code de procédure civile, qui confie à ce juge le traitement des demandes relatives à la succession. Cela inclut, entre autres, la surveillance des opérations de partage, mais aussi le pouvoir d’adresser des injonctions ou de prononcer des astreintes.
Ainsi, dans le cadre des opérations de partage successoral, le juge commis dispose d’une compétence similaire à celle du président du tribunal judiciaire pour statuer sur les demandes d’avance en capital, selon la procédure accélérée au fond prévue par l’article 1380 du Code de procédure civile.
==>L’opportunité de l’avance en capital
Pour statuer sur l’opportunité de l’avance en capital, le juge apprécie, au cas par cas, si l’avance avance sollicitée est justifiée par les besoins de l’indivisaire et si elle n’affecte pas de manière disproportionnée l’équilibre de l’indivision.
Dans certains cas, il peut rejeter la demande, notamment s’il apparaît que d’autres solutions existent pour répondre aux besoins du demandeur, comme la répartition annuelle des bénéfices de l’indivision (article 815-11, alinéa 1er).
De plus, le juge doit tenir compte de l’ensemble des circonstances entourant la demande, comme l’âge, l’état de santé ou encore la situation financière du demandeur.
Par exemple, dans une affaire jugée par la cour d’appel de Bourges, une avance en capital avait été accordée à un indivisaire en situation de précarité financière, incapable de subvenir à ses besoins immédiats (CA Bourges, 22 sept. 1998, n° 9800714).
Le juge doit donc s’efforcer de concilier les intérêts individuels et collectifs des indivisaires pour parvenir à une décision équilibrée.
==>Procédure et décision judiciaire
Conformément à l’article 1380 du Code de procédure civile, les demandes d’avance en capital sont soumises au président du tribunal judiciaire selon les règles de la procédure accélérée au fond.
Reste que la décision d’octroyer ou non une avance n’a pas l’autorité de la chose jugée dans la mesure où elle est susceptible être renouvelée dans la limite des droits de l’indivisaire (Cass. 1re civ., 7 juill. 1981, n° 80-14.533).
4. Les conséquences de l’avance en capital
L’avance en capital, bien qu’elle procure au bénéficiaire une somme immédiatement disponible, ne constitue pas un partage partiel.
En effet, la Cour de cassation a clairement exclu cette qualification dans un arrêt du 1er mars 1988.
La conséquence en est – et c’est là tout l’enjeu de la qualification de partage partiel – que l’avance en capital ne permet pas à l’indivisaire de sortir de l’indivision pour la proportion des droits qu’elle représente. Le bénéficiaire reste dans l’indivision, et cette somme doit être rapportée lors du partage définitif comme une dette envers les autres coïndivisaires, plutôt qu’une véritable attribution de droits (Cass. 1ère civ., 1er mars 1988, n°86-13.374).
La conséquence directe de l’exclusion de la qualification de partage partiel est l’obligation pour l’indivisaire bénéficiaire de rapporter l’avance en capital lors du partage définitif, conformément au principe du nominalisme monétaire.
Ce principe, rappelé par la Cour de cassation dans plusieurs décisions, notamment celle du 29 novembre 1989 (Cass. 1ère civ., 29 nov. 1989, n°87-11.680), signifie que le montant nominal de l’avance est celui qui doit être rapporté, sans réévaluation, même si la valeur de la monnaie ou des actifs a évolué entre la date de l’avance et celle du partage.
Ainsi, le bénéficiaire de l’avance en capital devra restituer exactement le montant perçu, sans tenir compte de l’inflation ou de la dévaluation de la monnaie.
Cette solution, bien que conforme au principe de sécurité juridique, peut soulever des difficultés pratiques, notamment en cas de durée longue entre l’avance et le partage, où la dépréciation monétaire pourrait significativement affecter la valeur réelle de la somme avancée.
Toutefois, cette absence de réévaluation peut être compensée par le paiement d’intérêts au taux légal, qui courent dès la date de l’avance jusqu’au jour du partage, conformément à la jurisprudence (Cass. 1ère civ., 29 nov. 1989, n°87-11.680).
Ce mécanisme permet d’atténuer l’effet de la dépréciation monétaire, en garantissant que les coïndivisaires qui n’ont pas bénéficié de l’avance ne soient pas lésés lors du partage.
A cet égard, conformément aux dispositions de l’article 866 du Code civil, ces intérêts sont exigibles au moment du partage, mais peuvent être capitalisés selon les règles de l’anatocisme (Cass. 1re civ., 23 mars 1994, n°92-13.345).
En outre, la Cour de cassation a admis la possibilité de conventions contraires entre coïndivisaires.
Ces derniers peuvent décider, par accord, de réévaluer la dette au jour du partage, ou même de convenir que l’avance en capital servira à acquérir un bien dont la valeur sera rapportée dans le partage.
Ainsi, la liberté contractuelle permet d’aménager les effets de l’avance, notamment en ce qui concerne sa réévaluation, offrant ainsi une flexibilité dans la gestion des indivisions, qu’elles soient successorales ou post-communautaires.
Au bilan bien que l’avance en capital permette une liquidation anticipée des droits, elle ne modifie pas fondamentalement les règles du partage, mais doit être rigoureusement rapportée pour préserver l’égalité entre les indivisaires.
E) Le droit à rémunération du gérant de l’indivision
La question de la rémunération de l’indivisaire gérant, prévue par l’article 815-12 du Code civil, s’inscrit dans un cadre spécifique qui reconnaît, sous certaines conditions, le droit pour l’indivisaire exerçant des tâches de gestion au sein de l’indivision de percevoir une contrepartie financière.
Cette rémunération n’est toutefois ni automatique ni arbitraire ; elle est soumise à des règles strictes visant à équilibrer les intérêts de l’indivision et les droits du gérant.
1. Principe de la rémunération
L’article 815-12 du Code civil reconnaît à l’indivisaire gérant le droit à percevoir une rémunération pour l’activité qu’il consacre à la gestion des biens indivis.
L’introduction de cette disposition dans le Code civil par la loi du 31 décembre 1976 met fin à l’ancienne jurisprudence, qui faisait une distinction complexe entre les actes de gestion ordinaires, considérés comme non rémunérables, et les tâches exigeant une expertise particulière, qui pouvaient justifier une rémunération.
Avec la réforme de 1976, cette distinction est désormais abandonnée au profit d’un régime plus souple.
En effet, l’indivisaire gérant peut, sans égard pour la nature professionnelle ou occasionnelle de son activité, prétendre à une rémunération dès lors qu’il s’agit d’une gestion effective et continue au bénéfice de l’indivision.
Cette gestion peut prendre des formes diverses : elle peut être exercée en vertu d’un mandat explicite ou tacite, être fondée sur une décision de justice, ou résulter d’une gestion d’affaires. Peu importe la qualité en vertu de laquelle le gérant agit, l’essentiel est que la gestion à laquelle il se livre bénéficie directement à l’indivision.
Le versement d’une rémunération au gérant n’est toutefois pas automatique ; il est soumis à plusieurs conditions :
==>Exercice d’une véritable activité de gestion
Pour prétendre à une rémunération, le gérant de l’indivision doit démontrer qu’il a exercé une activité de gestion réelle et substantielle.
La jurisprudence exclut toute rémunération pour une simple occupation passive des biens indivis ; en d’autres termes, le gérant doit accomplir des actes de gestion concrets et réguliers, orientés vers la conservation, l’entretien ou l’exploitation des biens indivis. La continuité de cette activité est également requise, et celle-ci doit refléter un engagement dans la gestion effective des biens.
==>La justification d’une qualité
Pour être indemnisé, le gérant doit avoir agi au titre d’une qualité juridique, comme celle de mandataire, gérant d’affaires ou toute autre fonction reconnue dans le cadre de l’indivision.
Cette exigence vise à exclure les actes isolés ou purement personnels qui ne relèvent pas d’une mission de gestion en faveur de l’indivision.
La qualité juridique confère au gérant l’autorité nécessaire pour agir au nom de l’indivision et représente une légitimité pour revendiquer une rémunération.
==>Une activité effective et désintéressée
L’activité de gestion doit être effectivement exercée et avoir un impact tangible pour l’indivision.
Il ne suffit pas d’invoquer une mission ; les actions du gérant doivent être réelles et orientées vers les intérêts de tous les indivisaires.
La jurisprudence a ainsi reconnu le droit à une rémunération pour des démarches entreprises au profit de la succession, mais refuse toute indemnisation pour des actions qui relèvent de l’usage personnel des biens indivis (CA Paris, 16 déc. 1999).
==>Proportionnalité entre le travail fourni et la rémunération
La rémunération attribuée doit être proportionnelle au volume de l’activité de gestion réalisée.
Dans un arrêt du 20 novembre 1984, la Cour de cassation a jugé en ce sens que « l’indivisaire qui a géré l’indivision a droit à la rémunération de l’activité qu’il a réellement fournie » (Cass. 1re civ., 20 nov. 1984, n°83-15.657).
Cette exigence impose aux juges d’évaluer la charge de travail du gérant sur la base d’éléments concrets et de justifier leur estimation par des critères objectifs. À défaut, la décision pourrait être annulée pour défaut de base légale.
2. Nature de la rémunération
La question de la qualification de la rémunération de l’indivisaire gérant n’est pas sans soulever des difficultés, plusieurs qualifications pouvant être envisagées.
==>La qualification de fruits et revenus
La première qualification à écarter est celle des fruits et revenus de l’indivision.
Contrairement aux fruits (loyers, produits agricoles, etc.), qui augmentent l’actif de l’indivision en bénéficiant à l’ensemble des indivisaires, la rémunération du gérant ne vise pas à enrichir l’indivision. Elle est destinée à compenser les efforts et le temps investis par le gérant pour assurer la bonne gestion du bien commun.
Ainsi, la Cour d’appel de Bordeaux a explicitement jugé que la rémunération de l’indivisaire gérant ne pouvait être assimilée aux fruits et revenus de l’indivision (CA Bordeaux, 28 juin 1999).
La conséquence en est que la prescription quinquennale applicable aux fruits et revenus de l’indivision, prévue à l’article 815-10 du Code civil, ne joue pas pour la rémunération du gérant de l’indivision.
==>La qualification de salaire
Si la rémunération peut sembler se rapprocher d’un salaire en raison du lien entre le travail fourni par le gérant et le paiement reçu, elle ne peut toutefois être considérée comme telle.
Contrairement à un salaire, qui rémunère une activité sous les directives d’un employeur et prend en compte les résultats obtenus ou le temps passé, la rémunération du gérant d’indivision est accordée en tant que compensation pour une gestion autonome des biens indivis.
Dans un arrêt du 3 avril 2001, la Cour de cassation a rappelé en ce sens que « l’indivisaire qui gère un bien indivis a droit à la rémunération de son activité ; que les conditions de cette rémunération, dont le montant n’est pas limité par les résultats de la gestion, sauf à tenir compte, le cas échéant de la responsabilité éventuelle du gérant pour ses actes de gestion, sont indépendantes des règles gouvernant l’octroi d’un salaire » (Cass. 1ère civ., 3 avr. 2001, n°99-15.665).
Il ressort très clairement de cette décision le gérant d’indivision ne saurait être assimilé à un salarié et, par voie de conséquence, sa rémunération ne peut être qualifiée de salaire.
==>La qualification d’indemnité
La rémunération du gérant d’indivision s’apparente davantage à une indemnité. Elle compense les charges personnelles, les efforts et la perte de temps que le gérant supporte pour le compte de l’indivision.
En ce sens, elle se rapproche des indemnités prévues pour compenser un préjudice ou une dépense engagée dans l’intérêt commun.
À l’instar des dépenses conservatoires ou d’amélioration des biens indivis prévues à l’article 815-13 du Code civil, cette indemnité est due en reconnaissance du travail fourni et des sacrifices personnels consentis pour la préservation ou la valorisation du patrimoine indivis, indépendamment de tout gain concret ou financier.
3. Modalités de fixation de la rémunération
La fixation de la rémunération de l’indivisaire gérant suit un mécanisme en deux étapes, favorisant d’abord une solution amiable avant de recourir, si nécessaire, à l’intervention judiciaire.
==>Évaluation amiable de la rémunération
En application de l’article 815-12 du Code civil, la rémunération du gérant doit, en priorité, être évaluée à l’amiable.
Cette préférence du législateur pour la recherche d’un consensus entre les indivisaires reflète la volonté de préserver l’autonomie des indivisaires dans la gestion de leurs biens communs, mais également prévenir les litiges judiciaires.
Dans ce cadre, les parties s’accordent sur la valeur de l’activité de gestion exercée par le gérant, prenant en compte divers éléments tels que le volume de travail fourni, l’importance des tâches accomplies, et l’impact de la gestion sur le bien indivis.
Cette approche permet aux indivisaires de définir librement et en fonction de leurs propres critères, les modalités de la rémunération qui reflètent au mieux la réalité de la gestion effectuée.
==>Intervention judiciaire en cas de désaccord
C’est n’est qu’en l’absence d’un accord amiable que les indivisaires sont autorisés à emprunter la voie judiciaire pour fixer la rémunération du gérant.
Le juge devra alors procéder à un examen minutieux de la nature et de l’ampleur des actes de gestion accomplis par l’indivisaire gérant.
Conformément à la jurisprudence en vigueur, une correspondance doit être recherchée entre l’effort réellement consenti par le gérant et le montant de la rémunération allouée (Cass. 1re civ., 20 nov. 1984, n°83-15.657).
Cette équivalence vise à éviter une rémunération excessive ou insuffisante, garantissant ainsi un équilibre entre les intérêts des indivisaires.
4. Critères d’évaluation de la rémunération
L’article 815-12 du Code civil reconnaît au gérant un droit à rémunération, sans pour autant indiquer les modalités précises de son évaluation.
Cette absence de directive laisse une marge d’appréciation, qui doit être comblée par une analyse rigoureuse de divers facteurs liés à l’activité du gérant.
==>Prise en compte des critères objectifs de l’activité
Le premier élément à prendre en compte dans l’évaluation de la rémunération du gérant réside dans le temps investi par ce dernier dans la gestion des biens indivis.
Le juge devra examiner la continuité et la régularité des interventions du gérant et, surtout, vérifier que le travail fourni correspond à une activité de gestion effective et soutenue, dépassant la simple surveillance passive des biens.
La complexité des tâches accomplies constitue également un critère d’importance. Plus les actes de gestion impliquent une expertise ou des compétences techniques spécifiques, plus le gérant est fondé à solliciter une rémunération conséquente.
==>Déconnexion de la rémunération et des résultats de la gestion
Il peut être observé que la fixation de la rémunération du gérant doit être déconnectée des résultats financiers qui seraient liés à la gestion du bien indivis.
Dans un arrêt du 25 octobre 2005, la Cour de cassation a jugé en ce sens que la rémunération du gérant ne doit pas être « limitée par les résultats de la gestion, sauf à tenir compte, le cas échéant, de la responsabilité éventuelle du gérant pour ses actes de gestion » (Cass. 1ère civ. 25 oct. 2005, n°02-13.787).
Il ressort de cette décision que la rémunération perçue par le gérant vise à l’indemniser pour le travail fourni. Il ne s’agit pas d’une rétribution qui lui serait due au titre d’un quelconque rendement économique.
==>Pouvoir souverain du juge et obligations de motivation
Le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des éléments d’évaluation à prendre en compte, ce qui lui permet de moduler le montant alloué en fonction des circonstances particulières de chaque affaire.
Cependant, ce pouvoir n’est pas exempt de contrôle. La Cour de cassation insiste sur l’importance d’une motivation rigoureuse de la décision des juges du fond, qui doivent clairement justifier les critères retenus pour le calcul de la rémunération. Une insuffisance de motivation est susceptible de conduire à la censure de la décision rendue.
5. Production d’intérêts
La rémunération due au gérant de l’indivision est assortie, de plein droit, d’intérêts au taux légal dès que l’indivision devient débitrice de cette créance, et ce, sans attendre une demande formelle en justice.
L’allocation d’intérêts répond à une logique indemnitaire : elle vise à compenser la perte de jouissance de la somme due, valorisant ainsi l’effort consenti par le gérant pour le compte de l’indivision.
Ce droit à percevoir des intérêts a été reconnu par la jurisprudence, notamment dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 11 juin 1996.
Aux termes de cette décision, la Première chambre civile a précisé « que les intérêts de [la rémunération du gérant] courent de plein droit à partir du jour où l’indivision est constituée débiteur et non pas de la demande en justice » (Cass. 1ère civ., 11 juin 1996, n°94-14.293).
En pratique, si les indivisaires se mettent d’accord sur la rémunération, les intérêts courront à compter de cet accord.
Dans le cas d’une fixation judiciaire, ils prendront effet à partir de la date de la décision rendue. C’est là une application de l’article 1231-7 du Code civil qui dispose que toute condamnation à une indemnité porte intérêts au taux légal dès le prononcé de la décision, sauf disposition contraire.
6. Le prélèvement de la rémunération du gérant
L’article 815-12 du Code civil oblige le gérant de l’indivision à rendre compte aux indivisaires des produits nets issus de sa gestion des biens indivis.
Cette règle s’applique sans distinction, que l’indivisaire assume cette gestion bénévolement ou en vue d’une rémunération, ce qui souligne l’exigence de transparence au sein de l’indivision.
Les produits nets, dans ce contexte, correspondent aux revenus bruts générés par les biens indivis, desquels doivent être déduits l’ensemble des frais de fonctionnement et d’exploitation nécessaires.
Cependant, le calcul de ces produits nets doit exclure la rémunération propre au gérant, celle-ci étant prévue séparément par l’article 815-12 du Code civil.
L’application de cette règle soulève des questions pratiques, notamment celle de savoir si le gérant peut prélever directement sa rémunération sur les produits nets ou s’il doit d’abord rendre compte des résultats de sa gestion.
Certains auteurs ont soutenu qu’il convient de dissocier ces deux étapes : le gérant doit d’abord établir et rapporter les produits nets pour ensuite réclamer sa rémunération.
Ce raisonnement repose sur l’idée que les produits nets, une fois déterminés, constituent un ensemble transparent et disponible pour tous les indivisaires avant toute déduction personnelle.
D’autres auteurs, au contraire, considèrent que la rémunération du gérant fait partie des charges inhérentes à l’exploitation, autorisant le gérant à la prélever directement.
Cette dernière interprétation est en réalité plus favorable au gérant, car elle évite la contrainte d’une restitution ultérieure.
La Cour de cassation a implicitement validé cette seconde approche dans un arrêt du 15 mai 1979, aux termes duquel elle a permis à un indivisaire d’effectuer ce prélèvement direct (Cass. 1ère civ. 15 mai 1979)
La Première chambre civile a toutefois rappelé les limites de cette prérogative, le juge devant systématiquement vérifier que les sommes retenues sont proportionnelles aux services rendus et à la juste rémunération de l’indivisaire gérant.
En somme, la possibilité pour le gérant de prélever directement sa rémunération est admise, mais elle est encadrée par une exigence de proportionnalité et de justification, de sorte que les intérêts de l’indivision restent protégés.
F) Compte d’indivision
1. L’obligation de tenir un état des créances et des dettes
En application de l’article 815-8 du Code civil, toute personne percevant des revenus ou engageant des dépenses pour le compte de l’indivision est tenue de tenir un état des créances et des dettes.
Cette obligation s’étend non seulement aux indivisaires eux-mêmes, mais également à toute personne impliquée dans la gestion des biens indivis, qu’il s’agisse d’un mandataire désigné par les indivisaires ou d’une personne nommée par voie judiciaire.
L’état des créances et des dettes, couramment rédigé par un notaire, constitue un document essentiel à la gestion de l’indivision. Il doit être mis à la disposition des indivisaires et contenir un récapitulatif précis des recettes perçues et des dépenses engagées pour le compte de la collectivité indivise.
Ce document ne se limite pas à un simple état descriptif ; il est un véritable compte de gestion, destiné à permettre aux indivisaires de suivre de manière claire l’évolution financière de l’indivision. Il assure également la transparence quant à la répartition équitable des charges et des bénéfices entre les co-indivisaires.
Dans le cadre d’une succession, le rôle du notaire liquidateur devient primordial. Ce dernier est chargé de tenir un compte d’administration de l’indivision, qui centralise toutes les opérations financières effectuées au nom de la masse indivise.
Ce compte inclut non seulement les revenus perçus, tels que les loyers ou les produits de cession d’actifs indivis, mais également les dépenses nécessaires à la gestion des biens indivis, comme le paiement des taxes ou les frais d’entretien.
Bien que distinct du compte d’indivision proprement dit, ce compte d’administration joue un rôle essentiel. Il permet, en effet, d’établir les créances et les dettes de chaque indivisaire vis-à-vis de l’indivision et d’assurer une liquidation transparente au moment du partage.
2. La nature du compte d’indivision
==>Termes du débat
La nature juridique du compte d’indivision fait l’objet d’une controverse doctrinale importante. Deux courants principaux s’opposent sur cette question.
- Première thèse
- Un premier courant doctrinal voit dans le compte d’indivision un véritable compte juridique, comparable à celui des récompenses dans la liquidation d’une communauté.
- Selon cette conception, le compte d’indivision est bien plus qu’un simple état descriptif des flux financiers entre les indivisaires et l’indivision.
- Il constitue un mécanisme juridique ce qui entraîne des effets juridiques immédiats dès l’inscription des créances.
- En effet, dès que les créances et dettes sont inscrites au compte d’indivision, elles perdent leur individualité pour constituer un « bloc indivisible ».
- Ce bloc est constitué de la totalité des créances et des dettes inscrites, qui se fondent ensemble pour former un solde unique.
- Ainsi, les créances et les dettes disparaissent dans leur forme originelle et sont absorbées dans ce bloc indivisible, qui devient constitutif du solde du compte.
- Ce mécanisme présente l’avantage de simplifier considérablement les relations financières au sein de l’indivision.
- En effet, au lieu de procéder à des règlements individuels de créances ou de dettes pendant la durée de l’indivision, toutes les créances et dettes inscrites dans le compte s’annulent réciproquement, créant ainsi un solde net qui sera établi lors de la clôture du compte.
- Ce solde est alors soumis à un règlement unitaire, qui n’interviendra qu’au moment du partage définitif.
- Autrement dit, ce compte ne permet pas aux indivisaires de revendiquer individuellement l’exigibilité de leurs créances avant le partage.
- Ce n’est qu’à la clôture du compte, c’est-à-dire au moment du partage de l’indivision, que le solde final sera calculé et réglé entre les indivisaires.
- Cette conception s’inspire en partie de la théorie de la novation, selon laquelle l’inscription des créances dans le compte d’indivision entraîne leur transformation en simples articles de compte.
- Ces articles perdent leur individualité juridique et sont soumis aux règles propres au compte, incluant notamment des mécanismes de compensation automatique.
- Ainsi, ce solde unique résultant du compte d’indivision est opposable à tous les indivisaires au moment du partage, créant une liquidation simplifiée et homogène des créances et des dettes.
- Les créances ne peuvent plus être exigées individuellement avant cette clôture, et elles ne redeviennent exigibles qu’au moment où le solde global est calculé lors du partage.
- Ce fonctionnement unitaire garantit donc une gestion financière plus fluide, en évitant des contestations sur l’exigibilité des créances en cours d’indivision.
- Seconde thèse
- Les partisans du second courant doctrinal, parmi lesquels figure notamment Michel Grimaldi, adoptent une approche plus circonspecte quant à la qualification juridique du compte d’indivision.
- Selon cette vision, le compte d’indivision s’apparente à un simple instrument de nature arithmétique, ayant pour seul objet de répertorier les mouvements financiers entre les indivisaires et l’indivision elle-même.
- Il ne s’agit donc pas, selon cette conception, d’un compte juridiquement structuré, mais plutôt d’un registre destiné à faciliter le règlement comptable lors du partage final.
- Autrement dit, le compte n’a pas pour effet de modifier la nature des créances et dettes qui y sont inscrites.
- Chaque élément inscrit au compte conserve son individualité et demeure isolé.
- Contrairement à la thèse opposée, qui envisage la fusion des créances et des dettes dans un « bloc indivisible », les défenseurs de cette approche soutiennent que le compte d’indivision ne joue qu’un rôle descriptif et informatif.
- Il se contente de répertorier de manière précise et détaillée les créances et dettes de chaque indivisaire, sans entraîner de novation ou de transformation de la nature juridique de ces créances et dettes.
- Ainsi, la fonction première du compte d’indivision, selon cette thèse, est de fournir un état détaillé des flux financiers, dans le but d’en simplifier le calcul au moment du règlement final.
- Chaque créance ou dette est inscrite individuellement, avec son montant exact, et sans qu’il y ait fusion ou compensation entre elles avant le partage.
==>Thèse privilégiée
Entre les deux thèses en présence, la doctrine majoritaire tend à privilégier la première, en raison des particularités qui régissent le fonctionnement du compte d’indivision.
Tout d’abord, il convient de souligner que dès l’inscription des créances au sein du compte, celles-ci perdent leur individualité pour être fusionnées dans un « bloc indivisible ».
Ce solde global, regroupant créances et dettes, ne sera liquidé qu’au moment du partage définitif, instant précis où les droits et obligations des indivisaires seront également réglés. Cette fusion des créances démontre que le compte d’indivision dépasse le simple cadre d’un relevé comptable.
De plus, l’entrée des créances et des dettes dans le compte interrompt le cours de la prescription. Ce seul élément confère une portée juridique immédiate au compte, garantissant que les créances, loin de s’éteindre sous l’effet du temps, demeurent exigibles lors du partage.
Par conséquent, le compte ne se limite pas à fournir une information sur la situation financière de l’indivision, mais joue un rôle actif dans la préservation des droits des indivisaires.
Une autre différence majeure entre le compte d’indivision et un simple outil de gestion comptable réside dans l’absence de mécanisme de compensation.
Contrairement à la compensation, qui ne s’applique qu’à des dettes exigibles entre créanciers et débiteurs réciproques, le compte d’indivision prend en compte des créances et dettes qui ne sont pas forcément exigibles avant le partage.
De surcroît, il régit exclusivement les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, sans inclure les créances entre indivisaires eux-mêmes, ce qui souligne encore une fois sa vocation à gérer la relation globale au sein de l’indivision.
Par ailleurs, le but ultime du compte d’indivision est d’établir un solde unique à la clôture de l’indivision. Ce solde, qu’il soit positif ou négatif, est imputé sur les droits de l’indivisaire dans la masse indivise.
Ainsi, si un indivisaire se trouve créancier au moment du partage, il sera réglé par prélèvement sur la masse. À l’inverse, s’il est débiteur, sa dette sera imputée avant l’attribution de ses droits, protégeant ainsi les autres indivisaires contre les risques d’insolvabilité.
Au total, au regard de ces différentes règles et mécanismes, il apparaît que le compte d’indivision s’éloigne du simple outil de gestion comptable pour s’inscrire véritablement dans la catégorie des comptes juridiques.
Par la fusion des créances, la protection des droits, et l’imputation sur la masse indivise, il présente toutes les caractéristiques d’un compte juridique structuré, davantage que d’un simple registre descriptif.
3. Les éléments composant les comptes d’indivision
Le compte d’indivision regroupe les créances et les dettes nées durant la période d’indivision, permettant ainsi de centraliser toutes les opérations financières effectuées au profit ou à la charge de la masse indivise.
Il peut être observé que l’inscription des créances et dettes dans le compte d’indivision présente un caractère essentiellement facultatif, laissant aux indivisaires une marge de manœuvre quant à la gestion de leurs créances et dettes vis-à-vis de la masse indivise.
En effet, chaque indivisaire, qu’il soit créancier ou débiteur, conserve une certaine liberté dans la décision d’inscrire ou non ses créances au compte d’indivision.
Par ailleurs, un indivisaire créancier, en vertu de l’article 815-17 du Code civil, peut, selon son intérêt, soit exiger immédiatement le règlement de sa créance, soit en reporter l’inscription jusqu’au moment du partage.
Cette faculté permet à l’indivisaire de moduler le moment où il souhaite récupérer les fonds investis dans la gestion de l’indivision, tout en évitant une exigibilité immédiate de créances qui pourraient mettre en péril la stabilité financière de l’ensemble indivis.
Cette flexibilité quant à l’inscription en compte n’est toutefois pas sans soulever des interrogations dans la doctrine.
Certains auteurs préconisent de distinguer la faculté d’inscription des créances selon la cause de la créance en question :
- D’un côté, pour les dépenses strictement nécessaires à la conservation du bien indivis ou celles validées par tous les indivisaires, l’indivisaire créancier aurait le choix entre un paiement immédiat ou l’inscription en compte avec règlement au partage, assurant ainsi une revalorisation de sa créance pour garantir une répartition équitable entre les coïndivisaires.
- D’un autre côté, pour les créances nées de dépenses non essentielles, la doctrine majoritaire estime que la créance devrait nécessairement être inscrite en compte et être régularisée lors du partage, afin d’éviter tout déséquilibre dans la jouissance et l’administration des biens indivis.
3.1. La détermination des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision
a. Les créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision
i. Les créances
Le compte d’indivision regroupe diverses créances nées pendant la période d’indivision.
==>Dépenses de gestion et de conservation des biens indivis
Tout indivisaire qui engage des dépenses nécessaires à la gestion ou à la conservation des biens indivis peut inscrire cette créance dans le compte d’indivision.
Ces frais peuvent inclure des dépenses courantes telles que les réparations urgentes pour préserver la valeur du bien ou la mise en conformité avec les normes de sécurité,
Ces frais sont essentiels au maintien du bien en bon état, et l’indivisaire qui les prend en charge a droit à une créance équivalente sur l’indivision.
==>Amélioration du bien indivis
Les dépenses engagées pour améliorer le bien indivis, par exemple des travaux de rénovation, peuvent également être inscrites comme créances dans le compte d’indivision. Ces améliorations augmentent la valeur du bien et bénéficient à tous les indivisaires.
L’indivisaire qui finance ces améliorations peut demander une compensation au moment du partage en raison de l’augmentation de la valeur du bien (Cass. 1ère civ., 20 février 2001, n°98-13.006). Toutefois, ces créances ne seront liquidées qu’au moment du partage.
==>Prise en charge des impôts et taxes
Les indivisaires sont solidairement responsables du paiement des impôts et taxes relatifs aux biens indivis, tels que la taxe foncière ou les frais d’assurance.
Si un indivisaire avance ces frais pour le compte de l’indivision, il peut inscrire cette somme au compte d’indivision en tant que créance. Cette créance sera prise en compte lors du partage, garantissant à l’indivisaire le remboursement de sa contribution.
==>Rémunération du gérant
Si l’un des indivisaires est désigné gérant de l’indivision, il peut inscrire sa rémunération au compte d’indivision, même si cette créance peut parfois être payée immédiatement (Cass. 1ère civ., 10 mai 2006, n°04-12.473). Cette rémunération peut être déduite des produits de la gestion avant le partage final, garantissant au gérant une compensation pour son travail de gestion quotidienne.
ii. Les dettes
Certaines dettes peuvent également être inscrites dans le compte d’indivision, représentant les obligations financières des indivisaires envers la masse indivise. Voici les principales dettes pouvant être inscrites au compte d’indivision :
==>Indemnité d’occupation privative
Lorsqu’un indivisaire occupe privativement un bien indivis, il doit indemniser l’indivision pour l’usage exclusif qu’il en fait.
Cette indemnité d’occupation est inscrite dans le compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire occupant (C. civ., art. 815-9). Cette dette sera prise en compte lors du partage, l’indivisaire concerné devant compenser les autres indivisaires pour l’usage exclusif du bien.
==>Perception de fruits indivis
Si un indivisaire perçoit des fruits ou des revenus issus du bien indivis (par exemple, des loyers) sans les reverser à la masse indivise, il devient débiteur envers l’indivision (C. civ., art. 815-10).
Ces montants peuvent être inscrits au compte d’indivision en tant que dette et seront pris en compte lors du partage. Ce mécanisme garantit que les bénéfices du bien indivis soient répartis équitablement entre tous les indivisaires.
==>Détérioration ou négligence concernant un bien indivis
Si un indivisaire cause une détérioration au bien indivis par négligence ou non-respect de ses obligations de conservation, il peut être tenu de réparer cette détérioration.
Cette obligation peut être inscrite au compte d’indivision comme une dette à l’encontre de l’indivisaire fautif. Cette dette sera liquidée lors du partage.
b. Les créances et dettes exclues du compte d’indivision
Certaines créances ou dettes ne peuvent pas être inscrites au compte d’indivision, car elles ne sont pas directement liées à la gestion ou à la conservation du bien indivis, ou elles ne concernent que les relations entre les indivisaires eux-mêmes, et non avec l’indivision.
==>Créances entre indivisaires
Les créances personnelles entre indivisaires, telles que des prêts consentis entre eux, ne peuvent pas être inscrites dans le compte d’indivision.
Le compte d’indivision ne régit que les relations entre chaque indivisaire et la masse indivise, et non les relations personnelles entre indivisaires. Ces créances doivent être réglées séparément des opérations de l’indivision.
==>Avances en capital
Si un indivisaire a effectué une avance en capital dans l’indivision, cette avance n’est pas automatiquement inscrite au compte d’indivision.
Elle peut faire l’objet d’un accord distinct, et il appartient à l’indivisaire créancier de demander le paiement de cette avance avant le partage s’il le souhaite.
3.2. La preuve des créances et dettes pouvant être inscrites dans le compte d’indivision
La preuve des éléments inscrits dans le compte d’indivision repose sur les exigences énoncées à l’article 815-8 du Code civil, qui impose aux indivisaires une obligation de tenir un état dans deux situations bien distinctes :
- L’indivisaire perçoit des revenus pour le compte de l’indivision
- L’indivisaire expose des frais pour le compte de l’indivision
Dans le premier cas, l’indivisaire qui perçoit des fruits ou revenus provenant des biens indivis – qu’il soit détenteur d’un mandat explicite ou qu’il agisse en qualité de gérant de fait, voire dans le cadre d’une gestion d’affaires – est tenu de consigner ces recettes de manière rigoureuse.
Cette obligation n’est pas simplement une formalité administrative ; elle vise à garantir que chaque somme perçue pour le compte de l’indivision est comptabilisée de façon fidèle et rendue accessible aux autres indivisaires.
Ce relevé des revenus perçus permet ainsi de préserver l’équité entre les indivisaires, en évitant que l’un d’eux ne dispose, à titre individuel, de fonds qui devraient bénéficier à l’ensemble des co-indivisaires.
Dans un arrêt du 6 décembre 2005, la Cour de cassation a rappelé l’importance de cette obligation en censurant une décision qui n’avait pas vérifié que les revenus, en l’occurrence des loyers, avaient effectivement été perçus pour le compte de l’indivision (Cass. 1ère civ., 6 déc. 2005, n° 03-11.489).
Il ressort de cette décision que l’état des revenus perçus doit revêtir un caractère concret, appuyé par des preuves sérieuses, et ne saurait se fonder sur de simples évaluations ou conjectures.
Le second cas concerne les frais exposés pour le compte de l’indivision. Dans cette hypothèse, l’indivisaire qui avance des fonds pour des dépenses nécessaires, telles que des frais d’entretien, des mesures conservatoires ou des travaux d’amélioration, peut inscrire ces dépenses en tant que créance sur l’indivision.
Par exemple, un indivisaire qui finance des réparations urgentes sur un bien indivis ou qui règle des impôts fonciers dans l’intérêt de tous les indivisaires est en droit d’inscrire cette somme au compte d’indivision.
Cet enregistrement des dépenses, bien qu’il ne donne pas nécessairement lieu à un remboursement immédiat, assure que l’indivisaire concerné pourra faire valoir sa créance au moment du partage.
En ce sens, il ne s’agit pas uniquement d’une obligation de transparence, mais d’une garantie pour l’indivisaire contributeur d’être remboursé des frais exposés pour le compte de l’indivision.
L’obligation de tenir un « état » des opérations, qu’il s’agisse de revenus perçus ou de dépenses engagées, est volontairement imprécise dans son expression.
L’article 815-8 fait référence à la notion d’« état », sans définir la forme exacte que ce document doit revêtir.
En pratique, cet état prend la forme d’un relevé chronologique et détaillé, rendant compte des sommes perçues ou dépensées et accompagné des justificatifs nécessaires pour attester de la réalité de chaque transaction. Cette flexibilité permet une adaptation aux circonstances propres de chaque indivision, tout en respectant le principe de traçabilité.
A cet égard, dans son arrêt du 6 décembre 2005 cité précédemment, la Cour de cassation, a confirmé que ce document devait refléter des montants précis et effectivement perçus ou déboursés, plutôt que des valeurs hypothétiques ou non vérifiées.
L’état ainsi tenu doit être suffisamment détaillé pour permettre aux co-indivisaires de comprendre les flux financiers intervenus au sein de l’indivision et d’assurer ainsi une transparence totale sur les contributions respectives.
Dans certains cas spécifiques, tels que la gestion d’une activité commerciale ou agricole par un indivisaire pour le compte de l’indivision, les exigences en matière de preuve se renforcent.
La gestion de ces activités nécessite une comptabilité plus élaborée, intégrant des comptes précis et complets pour documenter les entrées et sorties de fonds liés à l’activité.
Ces circonstances imposent ainsi une adaptation du niveau de preuve, en raison des enjeux financiers souvent plus conséquents et de la nécessité d’assurer une équité entre les indivisaires.
4. Le règlement des comptes d’indivision
==>L’inscription en compte des créances et des dettes
Le fonctionnement du compte d’indivision repose sur un système d’inscription des créances et des dettes, qui sont consignées au fur et à mesure qu’elles se créent.
Ce système vise non seulement à différer l’exigibilité des créances jusqu’au moment du partage, mais aussi à maintenir une transparence absolue sur les flux financiers relatifs aux biens indivis.
Chaque opération est inscrite en compte, ce qui permet tracer les relations financières intervenant entre les indivisaires et la masse indivise.
L’enregistrement des créances et des dettes emporte transformation juridique de ces dernières en articles de compte. Une fois inscrites, elles perdent, en effet, leur individualité pour se fondre dans un ensemble unique d’où il résulte ce que l’on appelle un solde.
Ainsi, les dettes à terme, bien qu’elles ne soient pas immédiatement exigibles, sont intégrées au débit du compte, garantissant qu’un indivisaire ne puisse percevoir l’intégralité de sa part sans avoir honoré ses obligations envers l’indivision.
==>Compte d’indivision et compensation
Le compte d’indivision se distingue fondamentalement du mécanisme de compensation, car l’indivisaire n’est pas obligé directement envers chacun de ses coïndivisaires, mais bien à l’égard de la masse indivise.
Aussi, le compte d’indivision ne peut-il pas donner lieu à une compensation automatique des créances et dettes, laquelle suppose une exigibilité immédiate des obligations entre parties qui se trouvent mutuellement créancières et débitrices.
Dans le cadre de l’indivision, en revanche, le solde est établi en prenant en compte l’ensemble des créances et dettes, qu’elles soient ou non échues.
Par ailleurs, la notion même de compensation est inapplicable dans le contexte de l’indivision, car elle repose sur un principe de réciprocité qui n’existe pas ici : l’indivision n’est pas une personne morale, et les indivisaires n’agissent pas en tant que créanciers et débiteurs directs entre eux dans ce cadre.
De plus, la balance du compte d’indivision peut être réalisée même en cas de redressement ou de liquidation judiciaire d’un indivisaire, préservant ainsi les droits de l’ensemble des coïndivisaires sans porter atteinte aux créanciers personnels de l’indivisaire concerné.
==>L’imputation des créances et des dettes
S’agissant de l’imputation des créances et dettes inscrites dans le compte d’indivision, elle s’opère uniquement lors de l’établissement du solde final au moment du partage.
Si un indivisaire présente un solde créditeur, il pourra prélever la somme correspondante sur la masse indivise.
À l’inverse, si le solde est débiteur, cet indivisaire devra effectuer un rapport de dette.
Cette règle d’imputation protège les autres indivisaires contre l’insolvabilité éventuelle d’un indivisaire débiteur en permettant d’amortir sa dette sur la part qui lui revient au sein de la masse indivise.
Cette méthode d’allocation réduit les risques financiers pour la communauté, notamment dans les cas où les dettes personnelles d’un indivisaire excéderaient sa part dans l’indivision (Cass. civ., 11 janv. 1937).
En tout état de cause, les créances et les dettes inscrites dans le compte d’indivision produisent des intérêts au taux légal dès leur entrée en compte et jusqu’à la date du partage.
Ce mécanisme de valorisation continue assure que les créanciers ne voient pas leurs droits dévalorisés sous l’effet du temps, garantissant ainsi une juste compensation pour les indivisaires ayant avancé des fonds ou supporté des frais pour la préservation des biens indivis.